En ces temps de dérégulations, où n'importe qui prétend exercer le métier de taxi ou d'hôtelier sans passer par la réglementation en place, cela vaut la peine de se poser la question de l'exercice du métier de restaurateur.
Cela fait longtemps que, personnellement, je me demande pourquoi n'importe qui peut tenir un restaurant, alors qu'un certificat d'aptitude professionnelles (CAP) est imposé pour tenir un salon de coiffure. Il y a évidemment le fait que nous cuisinons tous quotidiennement et que, si nous cuisinons pour notre famille, nous ne comprenons que difficilement pourquoi nous ne pourrions pas cuisinier pour autrui.
Toutefois ce raisonnement ne m'a jamais convaincu, car je ne suis pas sûr que tous les cuisiniers familiaux cuisinent correctement pour leur famille (on a compris que je manie l'euphémisme : je suis en réalité sûr que la majorité des cuisiniers familiaux ne cuisinent pas correctement). Lesquels savent les dangers du cuivre, eux qui utilisent des bassine en cuivre pour faire des confitures, et cela de façon traditionnelle ... mais dangereuse ? Lesquel ont une idée des micro-organismes et du développement de ces derniers lorsque les met sont chauds ? Lesques savent que leur réfrigérateur devrait être à 4 degrés ? Lesquels savent les toxicités des ingrédients ou des parties de ces derniers ? On me répondra peut-être que la tradition a sélectionné des recettes, des pratiques, qui évitent les accidents, mais est-ce vrai ? Même perfectible, l'enseignement de la cuisine n'a de cesse de vouloir éviter protéger le mangeur. En outre, je réfute la « bonne tradition » : l'examen des pratiques culinaires du passé, notamment lors de nos séminaires de gastronomie moléculaire, montre combien les pratiques anciennes sont souvent mauvaises.
Lors des enseignements professionnels, il y a des informations que les cuisiniers familiaux n'ont pas et n'auront sans doute jamais : la marche en avant, la méthode HACCP, l'examen des points critiques pour la mise en œuvre des pratiques culinaires (si vous ignorez ces notions, c'est une démonstration supplémentaire de ce que j'avance). Il y a aussi des enseignement utiles, comme la gestion du restaurant, la gestion du personnel, etc. On peut bien sûr imaginer que des individus se renseignent sur tous ces points, mais je maintiens qu'il est bien difficile de savoir reconnaître le degré de cuisson particulier auquel on doit arriver, simplement avec une photo ou un film, et un professeur qui vous observe et qui vous signale des fautes de procédure met une évaluation qui, si nous la faisions nous-même, serait très certainement trop complaisante. Et puis, un enseignement bien fait apporte une foule de compétences complémentaires qui, mieux que permettre une cuisine seulement saine, permettent une cuisine qui soit bonne, ce qui n'est pas rien.
Il est amusant de voir qu'en science, cette question de la déréglementation ne se pose pas, parce que la maîtrise du calcul -ce que le public nomme les mathématiques- fait une sélection immédiate. On objectera peut-être qu'il ne suffit pas de savoir calculer pour faire de la bonne science, mais je répondrai très volontiers que, a contrario, il n'y a pas de science du tout s'il n'y a pas de calcul. Certes la connaissance des objets spécifiques d'un champ est importante, mais c'est une base tellement faible qu'on ne peut imaginer exercer la recherche scientifique si on se limite à elle.
Finalement, ici comme dans d'autre billets, j'en arrive à une conclusion très optimiste, à savoir qu'une compétence s'obtient par une longue pratique doublée d'une réflexion appuyée, qui permet de dépasser la simple répétition des gestes ou des pensées, pour mettre les objets d'étude dans un cadre plus vaste et plus cohérent, ce qui permet la floraison d'une véritable compétence, qui n'a donc pas de raison de ne pas être testée, si elle est vraiment acquise. Je propose de penser que des diplômes d'état bien attribués sont une garantie pour les citoyens, une protection, une nécessité, enfin. Au fond, c'est cela l'information essentielle que nous devons transmettre aux étudiants qui nous font confiance au point de penser que nous pouvons les aider à marcher dans la voie professionnelle qu'ils ont choisie.
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