Affichage des articles dont le libellé est histoire. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est histoire. Afficher tous les articles

mardi 3 avril 2018

La découverte des molécules et des atomes

On dit parfois qu'Albert Einstein a découvert atomes et molécules. Ou le physicien Jean Perrin. Bref, les physiciens créditent les physiciens de cette découverte.

Pourtant, c'est oublier des images comme la suivante :




 Il s'agit d'une des figures de "La chimie dans l'espace", de Jacobus Henricus Van't Hoff, un texte paru en... 1875, soit bien avant qu'Einstein ne fasse ses travaux ou que Jean Perrin n'étudie le mouvement brownien.  Et vous avez bien lu le titre ! Quatre ans avant, d'ailleurs,  Van't Hoff avait publié un article où il représentent les atomes de carbone d'une molécule de glucose, en indiquant même les angles entre les liaisons chimiques, et les distances interatomiques.

Mais, plus généralement, la France était terriblement en retard, sur le reste du monde chimique, notamment depuis que Marcellin Berthelot s'était opposé à cette idée de molécules composées d'atomes. En France, il avait eu quelques opposants, avec Würtz, Gerhardt, Laurent, mais Berthelot et sa clique, qui verrouillaient les postes, considéraient avec retard que la théorie était abusive. D'ailleurs, alors que Berthelot se vantait d'être un pionnier de la synthèse organique, la France était très en retard de ce point de vue (et Berthelot n'était certainement pas le pionnier qu'il prétendait être).


Bref, il ne faut pas reconnaître à Perrin d'avoir montré l'existence des atomes, puisque les chimistes la connaissait déjà depuis plus de 40 ans !

vendredi 22 décembre 2017

Parlons des chlorophylles, et pas de chlorophylle !




Naguère encore, on parlait de la préparation du « vert d'épinard ». Aujourd'hui, on entend parler de « chlorophylle ». 
Dégringolade terminologique : on disait quelque chose de juste, et l'on dit maintenant quelque chose qui a une apparence scientifique… mais qui est faux.



Expliquons : le vert d'épinard est une préparation ancienne, que l'on obtient en broyant des épinards, puis en chauffant doucement le jus, dans une casserole ; se séparent une mousse d'un beau vert, en surface, et un liquide brun, qui décante.
On récupère la partie verte pour colorer en vert diverses préparations, telle la mayonnaise, en vue de donner une fraîche couleur.
Il y a quelques siècles, quand la religion catholique était plus forte, en France, le vert avait l'intérêt d'être associé au printemps, et, de ce fait, à la résurrection de Jésus.

Le mot «chlorophylle» fut introduit en 1818 par les pharmaciens français Joseph Bienaimé Caventou (1795–1877) et Pierre Joseph Pelletier (1788-1842), de l'Ecole de pharmacie de Paris, pour désigner le  « pigment » extrait des végétaux verts, et que l'on croyait constant.
Nos deux pharmaciens et chimistes reconnaissaient toutefois que le changement de mot n'était pas grand-chose :

« Nous n'avons aucun droit pour nommer une substance connue depuis longtemps, et à l'histoire de laquelle nous n'avons ajouté que quelques faits ; cependant nous proposerons, sans y mettre aucune importance, le nom de chlorophylle... ».

Puis, progressivement, les physico-chimistes apprirent à séparer les différents  composés présents dans cette matière verte : Georges Gabriel Stokes (1864), H. C. Sorby (1873), Mikhail Tswett (1906), et Richard Willstätter (1872-1942) découvrirent que la couleur des végétaux verts est due à la fois à des composés verts ou bleus, et à des composés jaunes, orange ou rouges.
On conserva le nom de « chlorophylle » pour les premiers, mais ce mot fut donné à l'ensemble de la famille, et chaque composé fut désigné par une lettre : a, a', b, b', c…
On connaît aujourd'hui une foule de chlorophylles, et parler de « la chlorophylle » n'a plus aucun sens. Il faut parler « des chlorophylles ».




















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Je redonne cette information que l'on me demande



Permettez-moi de vous raconter l'aventure extraordinaire de la sauce mayonnaise, afin que nous comprenions mieux ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas.

Je commence l'histoire en 1740, avec Louis-Auguste de Bourbon, qui écrit dans Le Cuisinier gascon : « Vous avez une rémoulade chaude, faite avec toutes sortes de fines herbes & beurre de Vamvre, finir de bon goût, jus de citron ».

On observe ainsi qu'il y a des rémoulades chaudes, et des rémoulades froides, ce que confirme Menon en 1755, dans Les soupers de la cour, ou l’Art de travailler toutes sortes d’aliments pour servir les meilleurs tables, suivant les quatre saisons : sa rémoulade chaude est composée d'oignons, huile, vin blanc, bouillon, herbes, et sa rémoulade froide de « persil, ciboule, échalotte, une gousse d’ail, capres, anchois, le tout haché très fin, délayez avec une cuillerée de moutarde, huile, vinaigre, sel, gros poivre ».

Quoi de commun entre ces sauces ? Cela figure dans d'autres passages, mais il y a le mot « rémoulade », que l'on trouve aujourd'hui encore dans « rémouleur », « rémouler » : il s'agit de faire un geste répétitif, et, pour une sauce, on sait que les liaisons par émulsion imposent ce type de gestes. La rémoulade, c'est une sauce que l'on dirait aujourd'hui travaillée, maniée, rémoulée.

Passons au XIXe siècle, avec Le cuisinier national de la ville et de la campagne : « Rémolade verte. Ayez une petite poignée de cerfeuil, la moitié de pimprenelle , d’estragon, de petite civette, vous ferez blanchir ces herbes que l’on appelle Ravigote ; quand elles seront bien pressées, vous les pilerez, ensuite vous y mettrez du sel, du gros poivre, plein un verre de moutarde : vous pilerez ensuite le tout ensemble, puis vous y mettrez la moitié d’un verre d’huile que vous amalgamerez avec votre ravigote et moutarde ; le tout bien délayé, vous y mettrez deux ou trois jaunes d’oeufs crus, et quatre ou cinq cuillerées à bouche de vinaigre ; vous mettrez le tout ensemble et vous le passerez à l’étamine comme si c’était une purée ; il faut que votre rémolade soit un peu épaisse ; en cas qu’elle ne soit pas assez verte, vous y mettrez un peu de vert d’épinard ».

Ici, on retrouve le fait que, dans la rémoulade, il y a de la moutarde. A cette base, on ajoute du jaune d'oeuf, parce que les cuisiniers savent bien que le jaune donne beaucoup de goût. Puis on travaille pour obtenir la sauce épaisse : à une époque où l'on ignorait la raison de la fermeté des émulsions (on se souvient qu'une émulsion n'est pas une mousse!), on voit qu'il y avait quelque merveille à obtenir cette liaison. On voit surtout que la rémoulade était d'abord la moutarde ; le jaune d'oeuf n'est qu'un raffinement ultérieur, important du point de vue gustatif.

Tout allait pour le mieux… jusqu'à ce que, au dix-huitième siècle, quelqu'un se passe de moutarde, et obtienne une sauce d'un goût bien plus fin que celui de la rémoulade, en émulsionnant de l'huile dans un mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre : la mayonnaise était née.

Les histoires abondent, sur la découverte de cette sauce merveilleuse, mais ce qu'il faut observer, c'est que la mayonnaise n'a pas de moutarde… sans quoi c'est une rémoulade. Le cuisinier Philéas Gilbert le disait d'ailleurs justement «  la moutarde est le savorisme particulier de la rémoulade ».

Aujourd'hui, je vois de nombreux cuisiniers faire un saut en arrière, avec des sauces qu'ils nomment fautivement des mayonnaises, et qui sont en réalité des rémoulades. Les deux sauces ont des goûts différents, des usages différents, mais l'histoire de la cuisine est claire : il ne faut pas confondre les deux, et, surtout, je crois que c'est une erreur (ou une faute, selon les cas) que de régresser, du point de vue de la technique culinaire.

Décidément, les mots justes sont essentiels, en cuisine ; n'est-ce pas ?














Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 décembre 2017

Qu'est ce que "manger" ?



Il y a « manger », et « bien manger ». 

Jean-Anthelme Brillat-Savarin (j'ai scrupule à le citer : n'importe quel gourmand le connaît) disait que l'animal se repaît, l'homme mange, et seul l'homme d'esprit sait manger... mais je n'aime guère la citation, qui oublie la femme et qui distingue des hommes et des hommes d'esprit. Nous sommes tous d'esprit, puisque nous sommes humains, et je propose de donner à chacun la possibilité de ne pas tomber dans une catégorie trop définitive. D'ailleurs, les prétendus (ou soi disant) hommes d'esprit en manquent parfois gravement, et, d'autre part, je crois que c'est une grave erreur que de sous-estimer nos semblables. 
 
Bref, je préfère penser qu'iil y a manger, d'une part, et bien manger. Ce n'est pas une question de classe, mais une question d'attention, et d'analyse. 
 
Manger, on sait ce que c'est : absorber des aliments. Bien manger, c'est quoi ?
C'est manger de la géographie : que l'on se remémore la querelle du cassoulet de Toulouse ou de Castelnaudary, par exemple ; que l'on examine la consommation des grenouilles, d'un côté ou de l'autre de la Manche ; que l'on se souvienne de la France partagée en pays d'Oc et pays d’Oïl... 

Ce qui nous conduit, puisque nous parlons de temps anciens, à considérer le fait que nous mangeons de l'histoire. Un cas important est l'association du jambon cru avec le melon, qui est une réminiscence de ce temps où les humeurs étaient la garantie de la santé, où il fallait combattre le « chaud » avec le « froid », le « sec » avec l' « humide ». 
Ce n'est qu'un exemple, mais, en réalité, la quasi totalité de nos mets sont historiques ! 
La choucroute ? Si on la mange en Alsace, c'est parce que c'est en Alsace qu'elle a évolué, notamment avec un climat qui permettait à la fois la culture du chou et la production de choucroute. Ce serait bien trop long d'enchaîner les exemples, mais il suffit de penser que si nous mangeons un plat particulier, alors que d'autres (les Allemands, les Anglais, les Belges, les Chinois, les Indiens...) ne le mangent pas, c'est que ce plat a été sélectionné dans l'histoire. 
En réalité, nos aliments ne sont légitimés que par leur consommation ancienne.

Nous mangeons aussi de la socialité, de la religion, de l'art... Bref, nous mangeons de la culture, parce que nous sommes humains... mais je propose de penser, quand même, que cette culture n'est pas une sorte d'étincelle divine, et que, au contraire, elle est un « habillage de la bête ». 
Le chocolat ? C'est du gras pour moitié, et du sucre pour la seconde partie. Or il nous faut du gras pour construire les membranes de nos cellules, et du sucre pour l'énergie. 
La viande ? Ce sont des protéines, c'est-à-dire des atomes d'azote pour la construction de nos propres protéines. 
Les féculents, si universels (riz, blé, maïs...) ? Ce sont des polysaccharides qui vont lentement libérer ce glucose qui est le carburant de notre organisme.

Bref, nous mangeons de la physiologie, de la biologie, et, mieux encore, de la biologie de l'évolution. La culture me semble n'être qu'une façon de ne pas nous résoudre à être des bêtes, qui mangent, se reproduisent, échappent aux prédateurs et trouvent des proies ; une façon de ne pas admettre que nous sommes des sortes de machines qui ont besoin d'énergie pour se perpétuer...

Autrement dit, bien manger, ce serait à la fois faire marcher la machine et lui donner le sentiment qu'elle échappe à sa condition de machine. Mais la machine a inventé une foules d'artifices (au sens littéral du terme) pour se donner le sentiment de ne pas être machine... jusqu'à l'idée de dieu, avec lequel elle entretiendrait des relations privilégiées. 
Nous y revenons : bien manger, c'est manger de la religion, laquelle met des limites dont l'arbitraire est souvent merveilleux. 

 Finalement, manger, c'est donc de la culture... mais nous sommes bien heureux de pouvoir en être là, première génération à ne pas avoir connu de famine dans l'histoire de l'humanité !!!!!!!




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

samedi 9 décembre 2017

La gastronomie moléculaire : quand a-t-elle commencé ? De quoi s'agit-il ?

Un collègue me fait observer qu'il était un précurseur de la gastronomie moléculaire, et que cette discipline n'a pas de raison d'être, puisque des individus tels que lui faisaient déjà de la gastronomie moléculaire alors qu'ils faisaient de la science des aliments.

Oui mais...

Oui, son travail (une étude du gonflement des spaghettis) ferait aujourd'hui partie de la gastronomie moléculaire... mais il faut rappeler que nous n'avons pas créé la gastronomie moléculaire pour le plaisir :

1. C'est un fait que, dans les éditions même récentes du Food Chemistry, il n'y a quasiment rien sur la cuisson des viandes, et rien du tout sur la cuisson du vin... alors que les cuisinières et cuisiniers du monde entier cuisent quotidiennement des viandes, et utilisent du vin pour faire des sauces !

2. L'industrie alimentaire n'a subventionné que des études très particulières, dans les champs qui les intéressaient directement.

3. La gastronomie moléculaire se moque des applications (même si on peut se réjouir que la discipline ait des tas d'applications, évidemment), puisque c'est de la science, et non de la technologie

4. Jusqu'à la création de la gastronomie moléculaire, la science des aliments était essentiellement préoccupée de chimie des ingrédients alimentaires, et les mets (cassoulet, choucroute, béarnaise, mayonnaise, beurre blanc, ganache, coq au vin, spaghetti à la sauce tomate, bavarois... et autres) étaient négligés par la science.

C'est pour cette raison qu'il nous a semblé important d'identifier et de nommer un champ disciplinaire scientifique particulier : la gastronomie moléculaire.

Rappelons qu'il ne s'agit pas de cuisine, mais de science : l'exploration des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires et un peu plus.

Disons le en anglais :
Molecular Gastronomy is the scientific discipline looking for the mechanisms of phenomena occcuring during dish preparation and consumption


Pour en terminer avec les précurseurs : oui, il y en a eu, et, dès 1994, j'ai publié dans la revue Papilles un texte sur les précurseurs : Darcet, Lavoisier, Chevreul, Rumford, et bien d'autres.

Passons sur le passé, et concentrons-nous sur le futur : quels résultats scientifiques importants allons-nous produire, lors des études de la gastronomie moléculaire ?





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

La gastronomie ? Ce n'est pas de la cuisine !

Qu'est-ce que la gastronomie ? Il y a beaucoup de confusion, notamment chez ceux qui croient qu'il s'agit de haute cuisine. Je ne cesse de voir des devantures de "gastronomie japonaise", "gastronomie chinoise", "gastronomie italienne", etc.





 Mais autant en rire. N'ai-je pas vu, à New York, un magasin qui affichait "Les meilleurs matelas du monde", ou bien, à Paris, ces posters "J'ai révolutionné la literie". On le voit, nos publicitaires et nos commerçants sont prêts à tous pour refiler leurs salades, sans honte (ils n'ont sans doute pas le gène de cela).

Mais, plus sérieusement, revenons à la question : qu'est-ce que la gastronomie ? Le mot fut introduit en français par le poète Joseph Berchoux, mais il fut défini en 1825 par le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin,  dans la Physiologie du goût :

DÉFINITION DE LA GASTRONOMIE :
18. - La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit.
Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible.
Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en aliments.
Ainsi, c'est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments.
La gastronomie tient :
A l'histoire naturelle, par la classification qu'elle fait des substances alimentaires ; A la physique, par l'examen de leurs compositions et de leurs qualités ; A la chimie, par les diverses analyses et décompositions qu'elle leur fait subir ; A la cuisine, par l'art d'apprêter les mets et de les rendre agréables au goût ; Au commerce, par la recherche des moyens d'acheter au meilleur marché possible ce qu'elle consomme, et de débiter le plus avantageusement ce qu'elle présente à vendre ; Enfin, à l'économie politique, par les ressources qu'elle présente à l'impôt, et par les moyens d'échange qu'elle établit entre les nations.


On le voit : la gastronomie est de la connaissance. Si l'on fait l'étude des différences entre les cassoulets selon les villes ou villages, en Occitanie,  on fait de la gastronomie géographique. Si l'on fait l'histoire  des pâtes en Alsace, on fait de la gastronomie historique. Si l'on étudie les modifications chimiques qui opèrent quand on cuisine, on fait de la gastronomie moléculaire.

Mais en aucun cas la gastronomie ne se confond avec la bonne ou la mauvaise cuisine.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 13 novembre 2017

La question du jargon


Je reçois aujourd'hui un mél (amical) d'un interlocuteur complètement
incompréhensible.

Par exemple : "Je commence des travaux avec une question au sein de ces grilles de lectures qui pose aussi celle de l’histoire des techniques dans l’évolution des pratiques et de la transmission des savoirs." Une question au sein de grilles de lectures ? Quelle question ? Quelles grilles de lecture ? Et le
deuxième "qui", non séparé par une virgule de "lectures" : comment faut-il
l'entendre ?
Plus loin, on me parle de "récit d'ego histoire" : kezaco ?
Puis je lis "L’histoire des pratiques alimentaires souffre souvent d’un cloisonnement. Soit on s’attelle par exemple à la question de la chimie : pourquoi une meringue tient ? Soit on s’attelle à une question d’ordre économique". Ce qui ne finit pas de me troubler. Commençons par l'usage des
pratiques alimentaires : de quoi s'agit-il ? De cuisine ? De comportements
alimentaires ? De choix alimentaires ? D'ailleurs, dans ces deux dernières
expressions, je ne suis pas fier de moi, parce que, au fond, un comportement
est-il vraiment "alimentaire" ? Que veut-on désigner ainsi ? Un choix
"alimentaire" est-il un choix d'aliments, ce qui, là, est bien clair, ou bien
autre chose ?
Plus loin, mon interlocuteur me parle d'historiographie, et, quand je consulte
le dictionnaire, j'y vois qu'il s'agit de la pratique des historiens... ce qui
est naturel, puisque mon interlocuteur est historien, mais ce dernier, consulté,
m'explique qu'il a en vue tout autre chose que ce travail général : comment
puis-je deviner ce qu'il a en tête ?
Un peu plus loin, on me parle d'histoire moderne et d'histoire contemporaine...
et j'apprends que l'histoire moderne va de la Renaissance à la Révolution
française, et l'histoire contemporaine ensuite. Pour moi, qui appelle un chat un
chat, ce qui est contemporain est ce qui est... contemporain, au sens du
dictionnaire.


Bref, j'abrège, en signalant seulement que notre interlocuteur nomme "ego
histoire" ce que l'on nommait naguère des "notices", ou des "titres et travaux".
Mais surtout, plus généralement, le message qui m'était adressé m'était
incompréhensible. C'était donc une faute, du point de vue de cette merveilleuse
phrase due à François Arago : "La clarté est la politesse de ceux qui
s'expriment en public", mais c'était en outre une erreur, parce que mon
interlocuteur me faisait penser à des marteaux alors qu'il me parlait de
tournevis (je transpose pour les besoins de l'explication, bien sûr).
Oui, les disciplines du savoir ont le droit d'avoir leurs propres termes. Par
exemple, la physique parle de "lignes de champ", ou les mathématiques de "corps"
et "d'anneaux", ou la chimie de "particules" et de "forces"... mais elles
n'utilisent ces termes qu' "en famille". Pour parler à des non spécialistes,
nous expliquons. Pourquoi les sciences de l'humain et de la société en
useraient-elles différemment ? Par exemple, pourquoi les psychanalystes
utiliseraient-ils en public le mot "corps" dans une autre acception que cet
ensemble de viande et d'os dont nous sommes constitué ? Soit ces gens se parlent entre eux, et alors je les laisse décider de la clarté de leur discours, soit
ils "nous" parlent, et alors ils ont le devoir d'être clair. Idem pour les
physiciens, ou pour les sociologues, ou pour les historiens, ou les philosophes.
Bien sûr, il y a moins d'ambiguité quand on utilise des termes qui ne sont pas
du langage courant : drisse, hauban, pommeau, troussequin... Ou bien quand on donne des précisions : couplage de Würtz, ciseau à bois, écoute de grand
voile...

Mais, alors, devons-nous utiliser (à bon escient, bien sûr) ces mots en public ?
Je crains toujours un peu cette espèce de supériorité technique, disons de
snobisme, qui consiste à dire des mots incompréhensibles histoire d'épater la
galerie : contre ces personnes prétentieuses, je propose toujours de ne pas les
laisser accumuler les termes incompréhensibles, et de les arrêter en leur
demander de s'expliquer. Oui, décidément, la clarté est une politesse !

dimanche 5 mars 2017

Pourquoi ce nom de "cuisine note à note" ?

La "cuisine note à note" est véritablement une "cuisine de synthèse", comme la musique électroacoustique est une "musique de synthèse".

Reprenons historiquement :
- il y a deux siècles, on jouait de la musique avec des instruments, qui produisaient des sons caractéristiques, limités, spécifiques : les vents sont les vents, les cuivres sont des cuivres, etc. Et, à la même époque, on cuisinait avec des ingrédients qui donnaient des goûts caractéristiques, limités, spécifiques : les carottes ont un goût de carotte, l'agneau un goût d'agneau, etc.

- puis, il y a un siècle environ, les physiciens apprirent à décomposer les sons en ondes sonores pures, de fréquence particulière ; on apprit qu'il y avait des "fondamentaux" et des "harmoniques", mais, surtout, on comprit que le timbre était dû à des groupes particuliers de sons. A la même époque, les sciences de la chimie commencèrent à explorer la composition des ingrédients alimentaires : on reconnut, dans un tissu végétal, la présence d'eau, de pectines, de cellulose, de sucres, d'acides aminés, etc. Et l'on comprit que les viandes étaient faites d'eau, de protéines, etc.

- il y a un demi siècle, l'avènement de l'électronique, puis de l'informatique, permit le développement de la musique électroacoustique : on pouvait enfin produire n'importe quel son, de synthèse, n'importe quel rythme, n'importe quelle musique, sans se limiter aux performances d'un humain jouant d'un instrument classique. Et la cuisine ? Elle n'avait pas changé.

- aujourd'hui, un enfant qui dispose d'un synthétiseur (20 euros dans un magasin de jouet)  peut composer n'importe quelle musique, de synthèse... et c'est seulement maintenant que s'introduit la "cuisine de synthèse" qu'est la cuisine note à note.


Pourquoi ce nom de "cuisine note à note" ? Pour des raisons historiques. En effet, après la création de la gastronomie moléculaire, il  y a eu, surtout dans le monde anglo-saxons, des confusions avec la "cuisine moléculaire". Il m'a fallu batailler (et ce n'est pas fini) contre la confusion, qui était notamment due au fait que :
- le mot "gastronomie" est souvent confondu, fautivement, avec le mot "cuisine d'apparat"
- certains cuisiniers ont prétendu faire de la gastronomie moléculaire... parce que la chose était à la mode, attirait des journalistes, faisait du buzz... 
Bref, c'est en 1999 que j'ai commencé à dire partout dans le monde qu'il y avait une différence entre la "gastronomie moléculaire", qui est de la physico-chimie, et la "cuisine moléculaire", qui est -c'est la définition- de la cuisine que l'on fait à l'aide d'ustensiles modernes.

Toutefois, vers 2002, cherchant un nom pour la cuisine de synthèse, j'ai voulu une terminologie qui s'éloigne le plus de la science... parce que la cuisine n'a rien à voir avec la science. Ayant alors dans l'idée que la cuisine, c'est une activité artistique, j'ai cherché un nom qui dirait cette parenté avec l'art, plutôt qu'avec la science. Et comme il y avait cette comparaison avec la musique, qui est un art, j'ai proposé "cuisine note à note".
A noter que ce mot est un peu fautif, parce que l'on devrait dire "cuisine onde à onde", mais il s'agissait d'avoir aussi un nom un peu engageant.
Bien sûr, la terminologie de "cuisine de synthèse" s'imposera peut-être, à la place de "cuisine note à note"... mais peu importe : je ne vends rien !

samedi 21 mai 2016

A propos de réactions de Maillard

Dans d'autres lieux, j'ai expliqué que j'étais un peu  fautif d'avoir exagérément promu  les "réactions de Maillard", au point que, aujourd'hui, des personnes des métiers de bouche, ignorant toute l'histoire, m'expliquent que les réactions de  Maillard sont responsables de tous les brunissements que l'on observe en cuisine. On met  dit aussi que ces réactions n'ont lieu qu'à haute température.

Pourtant... Pourtant, les réactions de Maillard n'incluent pas les caramélisations, qui ont également lieu à haute température. Pourtant les réactions de Maillard ont également lieu (hélas)  à température ambiante, étant notamment responsables de l'opacification du cristallin des personnes souffrant de diabète !

Et puis, qu'est-ce qu'une réaction de Maillard ? Même le milieu des sciences de la nature, notamment des sciences et technologies des aliments, ont des idées parfois bien vagues à propos des réactions de Maillard.
Là, à l'occasion du Colloque du 4 février 2016, consacré aux  "réactions et produits de Maillard", j'ai refais une histoire chimique des  réactions de  Maillard, et je crois que tout est clair : alors que les réactions des sucres et des acides aminés étaient connues dès Schiff, Maillard n'a découvert qu'une chose, à savoir que les mêmes réactions avaient lieu avec des  peptides ou des  protéines à la place des acides aminés.

Un texte précis est en ligne sur http://www.academie-agriculture.fr/publications/n3af/n3af-2016-3-maillard-products-and-maillard-reactions-are-much-discussed-food. 


Ref: Hervé This, 2016.  “Maillard   products”   and “Maillard reactions” are much discussed in food science and technology, but do such products   and   reactions   deserve   their name? Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France / Academic Notes from   the   French   Academy   of   Agriculture , 3, 1-10.

dimanche 8 mai 2016

Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant.

Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant" : Cette phrase est de Cicéron, au moins, et je dois avouer que je ne comprends plus très bien pourquoi elle figure sur mon mur.
Bien sûr, dans les discussions politiques sur la pollution, la toxicité des aliments, etc., il y a lieu de considérer

voir la suite sur  http://www.agroparistech.fr/Un-homme-qui-ne-connait-que-sa-generation-est-un-enfant.html

mercredi 14 novembre 2012

Que mes amis de science me pardonnent...

Ce matin, le billet ne concerne pas la science, sauf de façon bien lointaine, à considérer comme Lavoisier et Condillac que la science, c'est le langage.

Alain Robbe-Grillet, que j'ai déjà évoqué ici, parlait de la nullité littéraire des littératures militantes (l'art n'a que faire de la politique) ou des bégaiements du roman balzacien, ce que, hélas, bien des rédacteurs en chef d'aujourd'hui n'ont pas compris, eux qui revendiquent que l'on "raconte une histoire".

Robbe-Grillet explique de façon bellement clairvoyante que Balzac a été un dangereux anarchiste littéraire, comme Flaubert, comme... La littérature -l'art littéraire- n'a que faire de la répétition des mêmes "formes littéraires" (et on ne prendra pas ici le mot "forme" en opposition à "contenu" : voir Robbe-Grillet qui explique bien pourquoi), et le Nouveau Roman, qui a tant choqué, percole aujourd'hui, même si tant d'écrivains qui vivent de leur plume à défaut de produire des oeuvres véritablement littéraires, s'impose au XXe siècle (http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPB76069770/alain-robbe-grillet.fr.html)

Toutefois, le message de Robbe-Grillet est un peu compliqué, et la transposition en peinture est plus simple : elle fait mieux comprendre l'idée.
Les Egyptiens représentaient des personnages de profil. Puis on a appris à représenter différemment. Au Moyen-Age, toutefois, on ne représentait pas en petit ce qui est loin, et en gros ce qui est près, mais la taille des personnages dépendait de leur importance sociale. Vint la Renaissance, avec la perspective géométrique.
Ce n'était pourtant ni un progrès ni un aboutissement. Certes, cette perspective montre comme on voit... mais voit-on vraiment ainsi ? Guernica et bien d'autres oeuvres plus modernes ont bien montré que l'on peut représenter en "dépassant" la perspective géométrique. Bref, il serait dépassé de peindre comme à la Renaissance.
De même pour les "histoires que l'on raconte" : oui, c'est possible d'en faire ainsi, mais, du point de vue littéraire, c'est aussi dépassé que la perspective géométrique.

Et c'est parce que l'art est dans un dépassement qui n'est pas un progrès, mais une émanation d'une culture, que l'art est beau !

mercredi 27 juin 2012

Je crois que j'en ai déjà parlé, mais j'ai affiné la réflexion


La terrible question de la stratégie de la recherche scientifique

Hervé This


14 juin 2012




Les scientifiques sont en quête de « découvertes ». C'est bien d'accord. Toutefois on ignore trop souvent combien la question est difficile.

Une découverte ? Si l'on savait à l'avance ce que l'on doit découvrir, et comment le découvrir, la découverte n'en serait pas une. Si l'on avait une méthode, une stratégie, une tactique simplement, voire une recette, les choses seraient si simples !
A l'analyse de l'histoire des sciences, je crois au contraire que nous n'avons pas cela, et il semble utile de le dire publiquement, notamment aux jeunes qui s'engagent dans la voie des sciences (si par hasard vous avez quelque chose à proposer, n'hésitez pas à me le faire partager!).




Examinons, par exemple, la découverte de l'iode, par Bernard Courtois (1777-1838) : c'est en préparant du salpêtre pour l'armée qu'il est conduit à utiliser des cendres de varech, et que, chauffant ces dernières, il est étonné par l'apparition d'étranges vapeurs violettes, qu'il découvre un nouvel élément, l'iode.
Pour la mécanique quantique, idem : alors que les physiciens étaient triomphants, qu'ils croyaient avoir atteint le maximum de connaissances sur le monde, il fallut que l'on s'intéresse à une prévision expérimentale réfutée par l'expérience (en gros, comment un fer à cheval chauffé dans une forge émet de la lumière)... pour découvrir finalement, au terme d'un très long accouchement, que la théorie que l'on avait du comportement de la matière était parfaitement fautif.
Faisons bref, et renvoyons ceux qui le souhaitent au merveilleux livre de Jean Jacques : L'imprévu, ou la science des objets trouvés (Le seuil, 1999), ou encore aux oeuvres complètes de Louis Pasteur, pour qui la chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés.


En pratique, comment le scientifique peut-il se comporter, pour faire des découvertes ? Quelle stratégie peut-il avoir ? Bien peu nous a été transmis à ce sujet, parce que cela se saurait depuis longtemps s'il y avait une « recette » de la découverte.
En discutant avec quelques scientifiques reconnus pour leur « réussite » (en termes de découverte, pas en terme de « carrière »;- ) ), je crois que la quasi seule monition soit de traquer le symptome, le modèle qui ne colle pas à la théorie en vigueur, ou encore la généralisation d'un cas particulier (voir le Cours de gastronomie moléculaire N°1, où cela est abondamment discuté).

Au total, il faut donc surtout constater que nous sommes bien démunis, stratégiquement, et que bien prétentieux serait celui qui dirait avoir une autre recette qu'une activité soutenue, attentive.
(mais je me trompe peut être)



Je propose la métaphore suivante :
Le scientifique est dans un paysage vallonné.
Derrière lui, tout est clair, et l'on voit des montagnes qui, dans notre comparaison, représentent les découvertes.
En revanche, devant lui, tout est embrumé, au point de ne pas voir à quelques pas devant soi.

Le scientifique est à la recherche de montagnes qu'il ne voit pas, donc. Comment peut-il faire ?

Comparaison n'est pas raison, mais quand même. Ce qui semble...clair, tout d'abord, c'est que l'immobilité ne conduit à rien. Il faut avancer, pour avoir quelque chance de rencontrer une montagne.
Ce qui semble clair, aussi, c'est que tout pas fait dans une direction où ça monte semble plus favorable qu'un pas fait vers la descente... bien que cela ne soit pas une garantie : il se pourrait qu'une petite montée (minimum local) soit suivie d'une grand descente.
Si l'on admet qu'il y a quelque espoir dans le début d'une montée, si l'on admet que « Dieu n'est pas malicieux » au point de mettre des descentes derrière toute montée, le scientifique doit absolument se raccrocher aux « symptômes », aux ignorances, aux moments où ça coince, puisque les deux exemples donnés plus haut (et mille autres que je ne donne pas) indiquent que c'est ainsi que se sont faites des découvertes importantes...

Evidemment, à côté des découvertes de l'iode et des autres particularités de notre monde, il y a aussi la découverte de formalismes, de cadres théoriques (la chimie supramoléculaires, la matière molle...), mais c'est là un autre type de découvertes (à ne pas négliger bien sûr, mais dont la discussion stratégique doit se faire différemment).



Des propositions ?

samedi 10 décembre 2011

Tout cas particulier...

"Tout résultat experimental particulier doit être considéré comme la projection de cas généraux que nous devons inventer" : cet énoncé qui a surgi lors d'une discussion que j'avais avec Jean-Marie Lehn trouve un écho dans le livre de John Tyndall, qui succéda à Faraday à la Royal Institution (Faraday as a discoverer, Ed Apollo) :

"When an experimental result was obtained by Faraday, it was instantly enlarged by his imagination. I am acquainted with no mind whose power and suddenness of expansion at the touchh of new physical truth could be ranked with his. Sometimes I have compared the action of his experiments on his mind to that of highly combustible matter thrown into a furnace; every fresh entry of fact was accompanied by the immediate development of light and heat. The light, which was intellectual, enabled him to see far beyond the boundaries of the fact itself, and the heat which was emotional, urged him to the conquest of this newly revealed domain. But though the force of his imagination was enormous, he bridled it like a mighty rider, and never permitted his intellectu to be overthrown. In virtue of the expansive power which his vivid imagination conferred upon him, he rose from the smallest beginnings to the greatest ends. "

dimanche 19 décembre 2010

Vient de paraître

Christian Ferault est un membre actif de l'Académie d'agriculture de France, merveilleusement dévoué à la cause collective.
Aux éditions France Agricole, il vient de publier, avec Denis Le Chatelier, une "Histoire de l'agriculture" que je suis heureux de signaler.

Vive la connaissance !