La
terrible question de la stratégie de la recherche scientifique
Hervé
This
14
juin 2012
Les scientifiques sont en quête de
« découvertes ». C'est bien d'accord. Toutefois on
ignore trop souvent combien la question est difficile.
Une découverte ? Si l'on savait à
l'avance ce que l'on doit découvrir, et comment le découvrir, la
découverte n'en serait pas une. Si l'on avait une méthode, une
stratégie, une tactique simplement, voire une recette, les choses
seraient si simples !
A l'analyse de l'histoire des sciences,
je crois au contraire que nous n'avons pas cela, et il semble utile
de le dire publiquement, notamment aux jeunes qui s'engagent dans la
voie des sciences (si par hasard vous avez quelque chose à proposer,
n'hésitez pas à me le faire partager!).
Examinons, par exemple, la
découverte de l'iode, par Bernard Courtois (1777-1838) : c'est
en préparant du salpêtre pour l'armée qu'il est conduit à
utiliser des cendres de varech, et que, chauffant ces dernières, il
est étonné par l'apparition d'étranges vapeurs violettes, qu'il
découvre un nouvel élément, l'iode.
Pour la mécanique quantique, idem :
alors que les physiciens étaient triomphants, qu'ils croyaient avoir
atteint le maximum de connaissances sur le monde, il fallut que l'on
s'intéresse à une prévision expérimentale réfutée par
l'expérience (en gros, comment un fer à cheval chauffé dans une
forge émet de la lumière)... pour découvrir finalement, au terme
d'un très long accouchement, que la théorie que l'on avait du
comportement de la matière était parfaitement fautif.
Faisons bref, et renvoyons ceux qui le
souhaitent au merveilleux livre de Jean Jacques : L'imprévu, ou
la science des objets trouvés (Le seuil, 1999), ou encore aux
oeuvres complètes de Louis Pasteur, pour qui la chance ne sourit
qu'aux esprits bien préparés.
En pratique, comment le
scientifique peut-il se comporter, pour faire des découvertes ?
Quelle stratégie peut-il avoir ? Bien peu nous a été transmis
à ce sujet, parce que cela se saurait depuis longtemps s'il y avait
une « recette » de la découverte.
En discutant avec quelques
scientifiques reconnus pour leur « réussite » (en termes
de découverte, pas en terme de « carrière »;- ) ),
je crois que la quasi seule monition soit de traquer le symptome, le
modèle qui ne colle pas à la théorie en vigueur, ou encore la
généralisation d'un cas particulier (voir le Cours de gastronomie
moléculaire N°1, où cela est abondamment discuté).
Au total, il faut donc surtout
constater que nous sommes bien démunis, stratégiquement, et que
bien prétentieux serait celui qui dirait avoir une autre recette
qu'une activité soutenue, attentive.
(mais je me trompe
peut être)
Je propose la métaphore suivante :
Le scientifique est dans un paysage
vallonné.
Derrière lui, tout est clair, et l'on
voit des montagnes qui, dans notre comparaison, représentent les
découvertes.
En revanche, devant lui, tout est
embrumé, au point de ne pas voir à quelques pas devant soi.
Le scientifique est à la recherche de
montagnes qu'il ne voit pas, donc. Comment peut-il faire ?
Comparaison n'est pas raison, mais
quand même. Ce qui semble...clair, tout d'abord, c'est que
l'immobilité ne conduit à rien. Il faut avancer, pour avoir quelque
chance de rencontrer une montagne.
Ce qui semble clair, aussi, c'est que
tout pas fait dans une direction où ça monte semble plus favorable
qu'un pas fait vers la descente... bien que cela ne soit pas une
garantie : il se pourrait qu'une petite montée (minimum local)
soit suivie d'une grand descente.
Si l'on admet qu'il y a quelque espoir
dans le début d'une montée, si l'on admet que « Dieu n'est
pas malicieux » au point de mettre des descentes derrière
toute montée, le scientifique doit absolument se raccrocher aux
« symptômes », aux ignorances, aux moments où ça
coince, puisque les deux exemples donnés plus haut (et mille autres
que je ne donne pas) indiquent que c'est ainsi que se sont faites des
découvertes importantes...
Evidemment, à côté des découvertes
de l'iode et des autres particularités de notre monde, il y a aussi
la découverte de formalismes, de cadres théoriques (la chimie
supramoléculaires, la matière molle...), mais c'est là un autre
type de découvertes (à ne pas négliger bien sûr, mais dont la
discussion stratégique doit se faire différemment).
Des propositions ?
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