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vendredi 11 février 2022

je n'aime pas les pâtes al dente

Que mes amis italiens me pardonnent ce titre : j'espère qu'ils seront d'accord avec moi, quand ils auront fini la lecture de ce billet, si ce sont de vrais amateurs de pâtes.

Le point de départ, c'est un oukase que l'on répète en France : il faudrait que les pâtes soient cuites al dente.

Mais on me connaît  : je n'aime guère les oukases, ces ordres qui viennent d'on ne sait où et qu'il faudrait suivre sans réfléchir.

D'ailleurs, cela fait bien longtemps que je me demande pourquoi il faudrait cuire les pâtes al dente.

Et l'on verra qu'il est très fautif de considérer que les pâtes al dente sont "meilleures".

Bien sûr, mes amis italiens sont  des amateurs de pâtes, parfois des connaisseurs de pâtes... mais moi aussi  ! Et je vois bien mal comment on pourrait mesurer l'expertise, et, surtout, pourquoi la connaissance des pâtes devrait dicter mon goût.

Car parfois, j'aime les pâtes bien cuites, parfois je les veux al denté, parfois je les veux si cuites qu'elles se défont... Oui, mon goût est changeant, d'heure en heure, de jour en jour, de saison en saison, selon les convives, le temps qu'il fait... Et seul mon goût compte, pour ce que je mange. Si je veux des pâtes bien cuites, je me fiche de savoir que d'autres les veulent al dente, et vice versa.

Pis encore, la répétition les mêmes plats est lassante, et l'être humain, sans doute pour des raisons  de biologie de l'évolution, veut des changements, sans doute parce que ces derniers garantissentqu'il mangera de façon diversifiée et qu'il évitera d'accumuler des composés toxiques qui proviendraient d'un aliment particulier. Manger varié, c'est limiter la concentration de certains composés... ce qui est essentiel, car  tous les composés de nos aliments sont toxiques à haute dose.

Finalement, j'invite mes amis à ne jamais céder au terrorisme intellectuel du "meilleur" : le meilleur, c'est ce que nous préférons hic et nunc, rien de plus.

De surcroît, le conseil de cuire les pâtes al dente est est idiot parce que les pâtes ne se mangent pas seul, mais en accompagnement :  a minima d'une sauce,  mais aussi d'autres ingrédients, d'une viande ou d'un poisson etc., et chaque association impose une consistance particulière des pâtes.
Si l'on a une consistance de la garniture qui est celle d'une pâte al dente, alors on aurait deux fois la même consistance en appropriant la garniture de pâtes al dente. Est-ce vraiment intéressant ? Certainement pas si l'on considère que notre appareil sensoriel est biologiquement fait pour reconnaître précisément les contrastes, et les contrastes de consistance en particulier.

Mais on se souvient que le bon, c'est le "beau à manger". Et en art culinaire, comme dans les autres arts, il n'y a pas de loi.

Je reviens à mes pâtes, à mes pauvres pâtes, et j'avais bien raison de me méfier de cette loi tombée du ciel, ou plutôt de l'Italie,  qui voudrait m'imposer ses goûts, nous imposer ses goûts. Nous valons mieux : cuisons les pâtes comme nous avons décidé de les cuire, agrémentons-les comme nous avons décidé de les agrémenter. Comme en musique, c'est seulement l'aléatoire, l'à peu près, qui empêchent d'atteindre le beau.

Oui, pour nos pâtes, sachons les cuire de la consistance que nous voulons, et dans le liquide que nous voulons, pour leur donner la consistance et le goût que nous aurons décidé.

jeudi 10 février 2022

La question du poulet rôti

 Ayant identifié qu'il était plus facile de séparer l'analyse technique, l'analyse artistique et l'analyse sociale des préparations culinaires, j'ai précédemment testé l'idée de transmettre une recette avec les trois aspects successivement, au lieu de les voir mêlés, comme on le fait classiquement. Aujourd'hui, je teste l'idée à propos de poulet rôti : comment produire un bon poulet rôti ?

Observons d'abord que certains plats sont considérés comme à la fois faciles et difficiles à faire : le poulet rôti en est un surtout quand on n'a pas analysé sa cuisson en termes physico-chimiques. L'écueil est connu : c'est d'avoir des cuisses insuffisamment cuites, alors que le blanc l'est bien, ou, inversement, d'avoir les cuisses bien cuites et le blanc trop sec.

Examinons d'abord l'objectif : je fais l'hypothèse que l'on souhaite un poulet bien doré, avec une belle odeur, un jus un peu court, d'un goût soutenu, des cuisses bien cuite,  les suprêmes moelleux et tendres.

Certes, il y a là des choix artistiques, mais ils sont en réalité plus traditionnels que choisis artistiquement (on rappelle que l'art n'est pas la répétition, contrairement à l'artisanat).

Cela dit, la première chose à obtenir, pour une cuisson classique à environ 200 degrés, c'est que la chaleur ait atteint à l'intérieur des chairs, blancs comme cuisses.

Or le temps pour qu'une pièce soit chauffée à une certaine température dépend de l'épaisseur que la chaleur va parcourir. Et c'est ainsi que deux  saucisses qui auraient 3 cm de diamètre cuiraient le même temps, même si l'une est de  5 cm de long, et l'autre de 10 km. C'est une question d'épaisseur  à parcourir.

Or la distance à parcourir est plus grande pour les cuisses que pour le blanc : on n'y peut rien.

D'autre part,  souvent le poulet est posé sur le dos, le blanc très apparent à la source de chaleur, de sorte qu'il cuit en premier, et plus vite. On néglige cet aspect,  mais il est essentiel car l'énergie rayonnée par une source chaude diminue en raison du carré de la distance entre la source et l'objet chauffé : s'il y a une certaine quantité d'énergie  reçue à 10 cm, alors ce ne sera pas deux fois moins d'énergie qui arrivera à 20 cm mais 4 fois moins.

D'où cette première idée qui consiste à poser le poulet d'abord sur une cuisse pour l'exposer à la chaleur, et ensuite sur l'autre cuisse, avant de terminer éventuellement sur le dos.

Cela dit, dans un four, il n'y a pas seulement de la chaleur rayonnée par la voute,  mais il y a aussi la chaleur de l'air environnant, et cela s'ajoute au premier phénomène surtout, dans l'analyse précédente, on a fait l'hypothèse d'une cuisson classique à 180-220 degrés.

Mais, au fait, si la cuisson fait sécher, en évaporant l'eau, pourquoi la fait-elle durcir ? Ici, c'est comme pour les oeufs  durs, qui sont encore tendres quand on les cuit pendant 10 minutes, mais qui deviennent catoutchouteux quand on les cuit plus de 20 minutes : il n'y a pas de différence d' "évaporation", dans ce cas, mais seulement le fait que de plus en plus de protéines coagulent.

Et c'est pour cette raison que la cuisson à basse température est merveilleuse : elle tue les micro-organismes, elle fait coaguler les chairs, mais elle évite le durcissement.

Alors pourquoi ne pas cuire nos poulets à basse température ?

Certes, on n'aura pas alors le brunissement que l'on attendait mais qu'est-ce qui nous empêche de l'obtenir finalement, par le grill ? Oui, on pourrait très bien on peut très bien commencer à cuire à basse température pendant longtemps à basse température, sans se préoccuper du temps de cuisson, du moment qu'il suffit pour cuire toutes les chairs et, au dernier moment, on rapprocherait le poulet du grill, à une très forte chaleur jusqu'à ce que l'on obtienne le brunissement.

Car obtenir toutes les qualités à la fois est bien difficile ; le découplage est une solution bin plus simple.

Reste la question du jus, dont il faut savoir qu'ils sont expulsés par les chairs quand elles sont chauffées, car elles se contractent.

Il est certain que la cuisson à basse température, qui ne contractera pas autant les chairs, ne produira pas cette expulsion, ou disons la procurera moins... mais il faut savoir ce que l'on veut : une chair tendre, ou du jus ?

D'autant que rien ne nous empêche, avec la carcasse d'un poulet précédent, d'avoir  préparé un jus qui serait ajouté au nouveau poulet  que l'on cuit. Ainsi,   surtout avec une cuisson longue à basse température, le jus serait réduit au point souhaité.


Voilà pour la partie technique. Pour la partie artistique, on peut s'en donner à cœur joie entre le citron, la température exacte de cuisson à basse température, le degré de brunissement, le temps de brunissement, l'emploi de thym, de romarin, le sel ou le poivre, etc.

Il n'y a pas deux poulets rôtis identiques, et le choix artistique s'impose.

Pour la question sociale, il est certain qu'un poulet rôti entier, bien doré suscite l'admiration des convives, mais il également certain qu'il est plus facile de découper sur une planche, en cuisine, ce qui permet ensuite, en disposant bien les morceaux découpés, de les présenter dans un plat plus beau que celui qui va généralement au four.

Bref le poulet rôti ne se fait pas en 5 minutes mais, avec la basse température, la longue durée ne pèse pas puisque nous partons nous promener pendant ce temps-là et que le travail se réduit quasiment au brunissement final.

mardi 16 novembre 2021

Cuire la tarte au citron


Pourquoi la tarte au citron mérite-t-elle d'être cuite en deux temps ?
Je propose de penser que la tarte au citron ressemble un peu à la quiche : il faut que la garniture soit très  tendre, pour faire un contraste avec la pâte, qui doit être croustillante.
Pour la quiche, la cuisson doit être arrêtée quand la garniture  commence à gonfler. C'est le signe que de l'eau s'évapore, et prolonger la cuisson risquerait de faire une garniture trop sèche, caoutchouteuse.
Pour la tarte au citron, la question est identique : il faut une couche suffisante, au-dessus de la pâte, et non pas ce mince appareil que l'on voit parfois, tout sec, tout dur...

Pour faire bien...

Pour avoir un bon résultat, il faut cuire en deux fois, et non d'une seule fois, car il est très difficile d'arriver à ce que, dans un même temps, la pâte soit croustillante et la garniture juste cuite.
Bref,  il est bien préférable de cuire la pâte "à blanc", seule, après l'avoir piquée pour qu'elle ne gonfle pas, en n'ayant pas oublié d'y ajouter du sucre pour qu'elle brunisse et prenne un bon goût. Et c'est seulement au deux tiers de la cuisson que l'on y verse l'appareil au citron, fait d'oeufs battus avec du sucre, puis avec du  jus de citron, une pincée de sel et des zestes rapés. On termine alors la cuisson,  qui dure une dizaine de minutes pas plus.

De la sorte, on garde un appareil épais et tendre

samedi 21 août 2021

La cuisson des "oeufs parfaits"

Un ami, excellent scientifique, m'avoue ne pas bien comprendre la cuisson des oeufs à basse température, ce que j'avais jadis inventé sous le nom d'"oeufs parfaits", mais que je propose de nommer plutôt "oeuf à 65 degrés" quand ils sont cuits à 65 degrés, ou "oeufs à 67 degrés" quand ils sont cuits à 67 degrés, etc.


Il me faut lui expliquer le mécanisme de la constitution de ces oeufs, puisque si lui ne comprend pas, bien d'autres, aussi, risquent de ne pas comprendre.


1. Commençons simplement par considérer le blanc d'oeuf, parce qu'il est plus simple chimiquement que le jaune.
Ce blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines. Ce qui correspond à 20 000 fois plus de molécules d'eau que de molécules de protéines.

2. Pour comprendre l'effet de la cuisson, il faut savoir que quand on chauffe un matériau,  les molécules du matériau s'agitent plus vite.
Or les molécules de protéines sont comme des pelote repliées sur elles-mêmes, dispersés parmi les molécules d'eau.

3. Quand on chauffe au-delà d'une certaine température, alors les protéines se déroulent, exposant la partie centrale qui, pour les protéines du blanc d'oeuf,  contient un atome de soufre lié à un atome d'hydrogène.

4. Et quand deux molécules de protéines voisines sont ainsi déroulées, alors les atome de soufre peuvent se lier et former des liaisons que l'on nomme des "ponts disulfures". 


5. L'ensemble des protéines attachées  les unes aux autres forme une sorte d'échafaudage dans toute la masse du blanc d'oeuf, une sorte de filet où les molécules d'eau sont piégées, comme des poissons dans un filet.
Et comme l'eau est piégée, elle ne coule plus, de sorte que l'on obtient un solide mou, qui est ce que l'on nomme un gel.

6. À ce point , on ne comprends pas pourquoi la coagulation de l'œuf peut être différente à différentes température, mais c'est cela que j'ai découvert, proposant la théorie améliorée suivante : dans la précédente description, j'ai évoqué des "protéines" sans plus de précisions, mais, en réalité, dans le blanc d'oeuf, il y a plusieurs sortes de protéines, et ces dernières coagulent à des températures différentes.

7. Vers 62 degrés, il y a une sorte de protéines qui coagule et qui forme donc un réseau, le filet dont je parlais.
Avec un seul filet et beaucoup de choses à l'intérieur, on comprend que le gel formé soit très délicat, très fragile. Cela correspond d'ailleurs à la cuisson que l'on observe entre 62 et 65 degrés : le blanc devient à peine laiteux et encore presque liquide ; plus ou moins fragile en tout cas.

8. Puis, si l'on chauffe à 65 degrés, alors un deuxième filet se forme, avec une autre sorte de protéines. Ce deuxième filet s'ajoute au premier, et l'ensemble est mieux tenu  : le gel est  un peu plus opaque et un peu plus solide.

9. Et si l'on porte maintenant la température à 68 degrés, alors c'est un troisième gel qui s'ajoute et le blanc devient un peu plus ferme et un peu plus blanc.

10. Et ainsi de suite jusqu'à 100 degrés où l'on a un empilement de réseaux qui fait le blanc que l'on reconnaît comme être caoutchouteux dans les oeufs durs.

11. Il faut ajouter que tout cela se fait "immédiatement" : dès qu'une température de coagulation est atteinte, la coagulation se fait. Et une fois une coagulation faite, elle ne bouge plus. Autrement dit, si l'on a porté l'oeuf à une certaine température, on peut le refroidir et le réchauffer sans avoir de changement... tant que la température ne dépasse pas celle qui avait été atteinte.

jeudi 22 juillet 2021

Pourquoi ne peut-on pas cuire une mousse au chocolat ? (si, on peut !)

 
Pourquoi ne peut-on pas cuire une mousse au chocolat ? Répondons d'abord rapidement que l'on peut cuire une mousse au chocolat, si l'on sait s'y prendre.

Mais pour la question initiale, elle est de celles qui montrent la supériorité d'une compréhension de la microstructure (la structure physique et chimique) des aliments.

Quand ne sais rien de la constitution physique et chimique des aliments, alors tout est incompréhensible.
En l'occurrence, on serait réduit à faire cuire une mousse au chocolat et à voir qu'elle s'effondre. On ne peut pas prévoir le résultat d'opérations que l'on n'a pas encore faites, sauf quand elle sont très semblables à des opérations qu'on a faites.

Inversement, en comprenant, je suis certain du résultat que j'aurais, et, mieux, je peux faire cuire une mousse au chocolat si je la construis de façon que je puisse la faire cuire.

Mais commençons par la mousse au chocolat on l'a produit généralement à partir de blanc d'oeuf que l'on bat en neige, et que l'on ajoute à du chocolat fondu (éventuellement additionné de beurre et de jaune d'oeuf).
Là, la phase "dispersante", c'est-à-dire la matière où l'on disperse quelque chose, c'est la matière grasse. A l'intérieur, il y a de la mousse qui a été divisée, et que l'on voit d'ailleurs à l'oeil nu quand la division n'a pas été parfaitement homogène.
Si l'on cuit cette préparation, la phase dispersante, le chocolat fondu, va fondre à nouveau ;  il va donc couler comme la matière grasse fondue, et la mousse qui est à l'intérieur va donc s'effondrer.

Notons qu'on aurait pu s'y prendre très différemment en dispersant plutôt le chocolat fondu dans la mousse. Dans ce cas, on aurait pu cuire la mousse au chocolat et obtenir une sorte de gâteau : en effet, une mousse de blanc d'oeuf peut se cuire au four à micro-ondes, par exemple, parce que la phase dispersante est de l'eau : il y a  des bulles d'air qui sont dispersées dans l'eau, entourées par des protéines. Or ces protéines peuvent coaguler et, lors d'une cuisson micro-ondes, l'ensemble des protéines coagule et fige la mousse.
Si l'on a dispersé du chocolat dans la mousse, il peut fondre localement, mais la mousse au chocolat continuera de se tenir, puisque le réseau global aura été formé.

Il en va de même npour une mayonnaise et plus généralement pour les gibbs que j'ai introduits il y a plusieurs années et qui sont des émulsions dans du blanc d'oeuf, que l'on passe au four pendant quelques instants pour faire comme des soufflés qui tiennent très bien... parce que les protéines autour des gouttes d'huile sont coagulées par la chaleur.

Décidément, c'est la compréhension de la microscopie des aliments qui permet de prévoir leur comportement, alors que se reposer sur des recettes nous laisse bien démunis !  

N'hésitons pas : réfléchissons toujours à la microscopie des aliments que nous préparons.

lundi 4 janvier 2021

Du goût dans les spaghettis ?

 
Une question ancienne m'est posée, et je réponds par une expérience.

La question, tout d'abord : quand on cuit des spaghettis, peut-on donner du goût à coeur ?

L'expérience : dans une casserole, de l'eau, un colorant rouge et des spaghettis qui ont cuit selon les règles. Le résultat est dans l'image :



Oui, le colorant est entré à coeur, et tout composé du même type aurait migré de même.
Evidemment, la difficulté est dans le "tout composé du même type", parce que certains composés ont des molécules plus grosses que d'autres, ou qui ont plus ou moins d'affinité avec l'eau, par exemple.
Mais, en première approximation, on peut dire que des composés sapides peuvent migrer vers le coeur des pâtes, parce que leur taille est bien inférieure aux espaces qui se forment quand les grains d'amidon s'empèsent.

jeudi 24 septembre 2020

Une terrine ? Les recettes sont inutiles quand on y pense.

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude
 

 

1. On veut confectionner une terrine ? Classiquement, on utiliserait une recette : cela signifie suivre un protocole, sans avoir de latitude, en espérant que les prescriptions seront valides. Mais on n'est ainsi pas en sécurité, car les textes culinaires fourmillent d'erreurs,  de "précisions culinaires" largement réfutées : cela va du "le jaune d'oeuf est en bas de l'oeuf" à "il faut couper la tête des cochons de lait au sortir du four afin d'avoir la peau plus croustillante", en passant par "les règles féminines font tourner les sauces mayonnaises" ou "une barre de fer sous un tonneau de vin empêchent ce dernier de tourner en cas d'orage".
Bref, pourquoi omettrions-nous de mettre en action ce que nous avons entre les deux oreilles, surtout si nous avons les connaissances physico-chimiques qui permettent de comprendre les phénomènes mis en oeuvre ?

2. Commençons par les mots : une terrine, c'est d'abord un récipient de terre, puis son contenu.

3. Le plus souvent, pour les terrines de "viande", la recette est simple : il s'agit de broyer de la viande, de la mettre dans la terrine, puis de chauffer.

4. Mais on met la charrue avant les boeufs, puisque l'objectif n'a pas été donné ! Que cherche-t-on à produire ? Et pourquoi ?

5. Restons sur la terrine de viande, en observant qu'il s'agit d'abord de broyer de la viande : historiquement, on valorisait tous les morceaux, & pas seulement les pièces les plus tendres. D'où le hachage.

6. Là, cela vaut la peine de s'interroger plus finement : quelle est l'action du hachage ?

7. Pour répondre à la question, commençons par observer que la "viande", c'est du tissu musculaire, un faisceau de faisceaux de cellules allongées nommées "fibres musculaires". Ces cellules contiennent de l'eau des protéines qui assureront la contraction du muscle, & elles sont limitées par une "peau" en "tissu conjonctif". Comme le papier qui est fait de fibres entremêlées, le tissu conjonctif est fait de protéines fibreuses : le collagène.
C'est ce même tissu conjonctif qui relie les fibres en faisceaux, et ces faisceaux en super-faisceaux.
Finissons en disant que plus le tissu conjonctif est abondant dans une viande, & plus cette viande est dure.

8. Hacher la viande, c'est évidemment diviser cette structure, tout en libérant une partie de l'intérieur des fibres musculaires : la masse de viande hachée ne contient que de petites parties directement assimilables, plus l'eau & les protéines libérées.

9. La cuisson d'une telle masse ? Les protéines libérées coagulent, comme les protéines d'un blanc d'oeuf, et le "gel" formé emprisonne l'eau et les morceaux de muscle formés par le hachage : la masse, qui était molle, durcit, et c'est la terrine.

10. A ce stade, il ne faut pas oublier que toute matière grasse qui aurait été ajoutée avant la cuisson restera piégée dans le gel final, ce qui donnera une consistance plus souple. Tout comme de la mie de pain qui aurait été trempée dans du lait. Et des échalotes, des oignons, de l'ail ou du persil broyés ou ciselés resteront également emprisonnés dans le gel.

11. A ce stade, nous savons donc que le hachage attendrit une viande dure, et que la cuisson redonne de la structure à la mêlée hachée et assaisonnée. La question est maintenant : comment cuire ?

12. Pour répondre à la question, il y a des données que nous devons avoir :
- à 40°C, début de la dénaturation des protéines, la viande perd sa transparence;
- à 50°C, les fibres de collagène commencent à se contracter ;
-à 55°C, coagulation de la partie fibrillaire de la myosine
-à 55°C, début de la dissolution du collagène ;
-à 66°C, coagulation des protéines sarcoplasmiques, du collagène, de la partie globulaire de la myosine ;
- à 70°C, la myoglobine ne fixe plus l'oxygène, et l'intérieur de la viande devient rose ;
-à 79°C, coagulation de l’actine ;
- à 80°C, les parois cellulaires sont rompues, et la viande devient grise.
- à 100°C, l’eau est évaporée.
- à une température supérieure à 150°C (voir plus loin), les réactions de Maillard engendrent des produits mélanoïdes bruns.
Ces changements sont visibles dans une section d'un rôti de boeuf cuit au four à 200°C  pendant un temps ajusté pour que la température au centre reste inférieure à 40°C  : on observe les différentes  zones, concentriques.

13. De ce fait, la mêlée d'une terrine évoluera selon la température à laquelle on la portera.
Et rien ne prescrit, dans tout cela, l'usage d'un bain marie dans un four chaud (par exemple 180 °C ou 200 °C) ! D'ailleurs, le bain-marie ne s'imposait que parce que l'on ne pouvait pas régler la température, dans les fours d'antan.

14. Aujourd'hui, supprimons donc le bain marie, et choisissons notre température de cuisson... en n'oubliant pas que la cuisson sert en tout premier lieu à a assainir microbiologiquement les produits alimentaires, nécessairement contaminés en surface (mais dans une mêlée, la surface vient à coeur !).
Et il est bon de savoir que plus  de 60 °C pendant plus de 15 minutes suffisent pour tuer des salmonelles... mais à condition que la température soit bien atteinte au coeur de la masse !
Avec du porc, par exemple, on craindra des parasites, et l'on dépassera 82 °C.

15. Bref, avec tout cela, on sera tranquille avec un four branché à 85 °C, pendant un très long moment (plus d'une heure, mais cela dépend du rayon de la masse que l'on chauffe).

16. Et, dans les terrines traditionnelles, il y a la croûte, délicieuse. Un coup de gril, un coup de chalumeau, et l'affaire est faite. Bien sûr, on n'oublie pas le cognac, qui pourra être pris dans la gelée de bon aloi, qui se formera sur la partie supérieure, au refroidissement.

lundi 7 septembre 2020

A propos de flammes en cuisine

 Un de ces cuisiniers cathodiques qui a plus une belle gueule (semble-t-il) que de compétences (là, je suis certain) vient de montrer des viandes cuites sur des feux : des flammes insensées venaient lécher la viande, et je propose de bien dire que cette pratique est à la fois idiote et malsaine. 

 Chacun fait bien comme il veut, et l'on sait que la télévision ne brille pas par sa rigueur, mais là, quand même, on verse dans le ridicule, l'incohérent, l'incompétent et le dangereux. 

Lorsque j'étais directeur scientifique de l'émission Archimède, sur Arte, j'avais organisé avec mes collègues de l'INRAE de Toulouse une expérience de dosage des benzopyrènes dans des saucisses que nous faisions griller au barbecue.
1. Avec la grille au-dessus des braises (sans flamme parce que chacun sait que ces dernières déposent des composés toxiques), nous avions vu et montré (le dosage était filmé et expliqué par mes collègues) que la pratique déposait des quantités notable de benzopyrène cancérogènes.
2. Puis nous avons montré que ces quantités étaient divisées par 10 quand on montait la grille de 5 cm.
3. Et elles n'étaient plus mesurables quand la viande était cuite devant le feu et non dessus. 


Car  je rappelle que les rayonnements infrarouges se propagent tout aussi bien latéralement que verticalement : la lumière n'est pas sensible à la gravité. D'autre part, on aura raison de signaler que toute flamme conduit à la production de composés cancérogènes, qu'elle vienne d'un barbecue, du gaz d'un chalumeau, etc. 

Non seulement le goût est répugnant, mais, de surcroît, les composés produits sont dangereux. Certes, on peut manger un barbecue de temps en temps, mais on n'oubliera pas que les populations du nord de l'Europe souffrent massivement de cancers digestifs, dus à la fumée. 


Bref, rien ne vaut une viande cuite devant le feu, comme le font bien les rôtisseurs. Ce qui permet de placer sous la viande une lèchefrite qui récupère les jus délicieux.

Combien de fois faudra-t-il répéter tout cela ? Et quand le public réservera-t-il son admiration pour des personnes qui en valent la peine ? Quand le service public audiovisuel sera-t-il enfin d'une qualité qui méritera nos impôts ?

jeudi 18 juin 2020

La cuisson "idéale" de l'oeuf ? Hic et nunc !



Il y  a plusieurs décennies, j'avais inventé ce que j'avais nommé des "oeufs parfaits", et ces oeufs sont sur les tables du monde entier.
Non pas qu'ils soient "parfaits", car la perfection n'est pas de ce monde, et je me repens de ce nom, que mes amis acceptent, tout comme ils acceptent l'idéalité, par exemple. Je renvoie à Mon histoire de cuisine pour des discussions qui expliquent ce point, lequel remonte au moins au débat des philosophes grecs de l'Antiquité Platon et Aristote.



En revanche, je réponds aujourd'hui à une question technique, à propos de ces oeufs :

Pour avoir une cuisson parfaite d’œufs de pintade qui ne sont pas calibrés et avec des coquilles d’épaisseurs très différentes, quelle température serait idéale ?

Ma réponse rapide est la suivante

Pour les cuisson à basse température, le temps ne compte pas, tant qu'on atteint la température à coeur, soit 45 min pour un oeuf de poule. Et l'épaisseur de coquille ne joue pas : du moment que vous faites une cuisson d'environ 1 h, seule la température détermine le résultat.
Et l'Idéal n'existe pas : il y a un idéal par personne, et d'ailleurs changeant selon les circonstances, les accompagnements de l'oeuf, etc.

Il faut quand même expliquer


Pour les oeufs, la découverte de mes "oeufs parfaits" s'explique plus facilement quand on considère le blanc. Ce dernier est fait de molécules d'eau, qui "grouillent", et de protéines, analogues à de minuscules colliers de perles tassés sur eux-mêmes, dispersés parmi les molécules d'eau.
Il y a une vingtaine de protéines différentes, dans le blanc, c'est-à-dire une vingtaine de sortes de colliers de perles. Mais, de même qu'il y a des milliards de milliards, etc. de molécules d'eau, dans un blanc d'oeuf, il y a des milliards de molécules de protéines pour chacune des sortes de protéines.
Quand on chauffe, on augmente la vitesse du grouillement, et les chocs des molécules d'eau contre les colliers de perles les déroulent. Et à chaque sorte de protéines, une température particulière à laquelle les molécules de cette sorte de protéines se déroulent. Autrement dit, il y a des températures différentes de "déroulement" des protéines.



Ce que l'on doit ajouter, c'est que pour certaines protéines, le déroulement permet ensuite que les protéines déroulées s'attachent, formant un "réseau" : pensons à une toile d'araignée dans tous les sens, dans une pièce. L'eau est piégée comme des mouches dans ce réseau. L'ensemble est dit "coagulé", et l'on obtient un solide mou.
De sorte que, quand on chauffe un blanc d'oeuf, à partir de la température ambiante, vient un moment (vers 62 °C pour le blanc d'oeuf de poule) où une première sorte de protéine coagule, et l'on obtient un solide blanc laiteux très mou. Puis, si l'on augmente encore la température, vient un moment où une deuxième sorte de protéines coagule, et le blanc d'oeuf, avec deux réseaux imbriqués, est plus dur. Et ainsi de suite.
On observe que, dans cette description, n'intervient que la température, et pas le temps ! Et voici la raison pour laquelle les oeufs à basse température doivent être cuits longtemps. C'est aussi un avantage, parce que si l'on règle bien la température, une heure de cuisson de plus ou de moins ne changeront rien... à condition que l'on ait atteint la température voulue à coeur, ce qui nécessite environ une heure pour des oeufs de poule.
Et évidemment, avec une telle durée, l'épaisseur de la coquille n'a aucune influence.

Et pour l' "idéalité" ?


Initialement, j'avais donc utilisé le mot "parfait" pour prendre le contrepied des mauvais oeufs durs : blanc caoutchouteux, jaune sableux, odeur soufrée, cerne vert horrible... Mais j'avais attribué ce qualificatif à des oeufs à 65 °C. Or je préfère aujourd'hui de loin les oeufs à 67 °C. Ou, disons plutôt que je choisis la température de cuisson en fonction des plats que je fais. Parfois, il faudra un oeuf à 65, comme pour dans une meurette ; parfois, il faudra à 68, comme quand on roule le jaune dans du parmesan salé et poivré ; parfois il faudra 82, comme quand on sert une mayonnaise ; etc. Chaque oeuf a  son intérêt, en fonction du contexte où il est utilisé.
Et puis, mon humeur peut changer ! Parfois, j'ai envie des oeufs à 63 °C, et parfois à 68 °C.
Et puis, le goût des convives peut différer, aussi.
Bref, pas de perfection absolue, pas d'idéalité !

Et c'est ainsi que l'art culinaire est merveilleux, n'est ce pas ?




mardi 14 avril 2020

A propos d'hygiène

1. Allons : faisons aujourd'hui quelques considérations d'hygiène puisque l'époque est à cela. Je propose de parler aujourd'hui de la méthode HACCP, de la marche en avant, de la cuisson des aliments et des TIAC (les toxi-infections alimentaires).

2. Commençons par la méthode HACCP qui est très judicieusement enseignée dans les écoles de cuisine, et qui est une manière de se prémunir  contre les dangers microbiologiques et chimiques, donc de réduire ces risques. Je passe sur la définition du sigle pour indiquer seulement que c'est une méthologie, qui va d'ailleurs de pair avec la "marche en avant", dans les restaurants : il y a un circuit qui va de l'entrée des founisseurs, avec des produits contaminés, vers la table du client, où tout doit etre sain ; les locaux doivent être organisés de sorte que les produits sains ne croisent pas les objets souillés.

3. Plus généralement, l'idée est d'éviter des contaminations qui rendront le client malade : je  me souviens avec effroi d'une diarrhée qui a duré 15 jours alors que je faisais partie d'un groupe qui revenait de Tunisie. Il ne serait pas tolérable que cela puisse avoir  lieu en France métropolitaine, et c'est notamment pour éviter cela que l'on insiste tant sur l'hygiène dans les formations culinaires.

4. Ce qui me fait dire depuis longtemps que,  s'il est obligatoire d'avoir un CAP pour ouvrir un salon de coiffure, cela fait longtemps que l'on aurait dû imposer la même réglementation pour les restaurants : les particuliers qui cuisinent n'ont pas les notions d'hygiène indispensable, d'autant que l'école ne les donne pas.

5. Il y a donc des progrès à faire... et la meilleure preuve en sont les statistiques de TIAC (toxi-infections alimentaires collectives) : aux Etats-Unis, il y a un an ou deux, plus de la moitié de telles infections résultaient du mauvais lavage des mains par les personnels des restaurants ! Bref, il y a encore beaucoup à faire, d'autant que les statistiques publiées à l'occasion de l'épidémie de covid-19 montrent qu'un nombre excessif de personnes ne se lavent pas les mains, notamment en sortant des toilettes  : mas étonnant que l'on retrouve les micro-organismes qui les contaminent  sur les aliments !

6. Il faut bien redire que la cuisson tue les micro-organismes, mais surtout en surface : on pensera utilement à ne jamais descendre sous 60 °C (sauf à coeur, pour une viande saignante... et à condition qu'on ne l'ait pas piquée, ce qui aurait eu pour effet de faire venir à l'intérieur des micro-organismes de la surface.

7. Et l'on n'oubliera pas des températures supérieures s'imposent pour des viandes qui peuvent être parasitées : porc, sanglier, cheval.

8. On n'oubliera pas, aussi, que le lavage permet d'éviter des parasites, venus du sol ou de l'environnement, telle la douve du foie sur le cresson sauvage,  ou divers parasites du poisson cru...  La congélation n'est pas un moyen suffisant de tuer ces êtres vivants qui nous veulent du mal.

9. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans un hygiénisme déplacé, comme à propos de la crainte de l'empoisonnement par les aliments. Paradoxalement, ce sont les groupes sociaux les plus aisés qui ont le plus peur, mais, en réalité, l'effort doit porter surtout sur les groupes les moins aisés, et c'est l'Ecole qui a la charge essentielle de transmission des informations salutaires : c'est seulement quand  l'ensemble de la population est sensibilisé que l'on peut vivre tranquille sans trop s'en faire, avec des gestes simples.

10. Enfin, redisons-le sans craindre la répétition : ce sont les campagnes de promotion de l'hygiène, en plus des antibiotiques, qui sont essentiellement à l'origine de l'allongement de la durée de la vie dans les dernières décennies.


lundi 13 avril 2020

A propos de lentilles et de dureté de l'eau


1. Un jeune collègue italien  m'interroge à propos de cuisson de légumes, et, plus particulièrement, de cuisson de lentilles. Je propose de commencer par une expérience...  puisque l'expérience a toujours raison, disait déjà Galilée :
Un bon moyen pour atteindre la vérité, c'est de préférer l'expérience à n'importe quel raisonnement, puisque nous sommes sûrs que lorsqu'un raisonnement est en désaccord avec l'expérience il contient une erreur, au moins sous une forme dissimulée. Il n'est pas possible, en effet, qu'une expérience sensible soit contraire à la vérité. Et c'est vraiment là un précepte qu'Aristote plaçait très haut et dont la force et la valeur dépassent de beaucoup celles qu'il faut accorder à l'autorité de n'importe quel homme au monde.

2. Cette expérience consiste à cuire des lentilles dans trois casseroles, où l'on met de l'eau du robinet, si celle-ci n'est pas trop "dure" (mais j'ai fait l'expérience dans des lieux si différents que je sais l'expérience "robuste") :
- dans la deuxième casserole, on ajoute du vinaigre
- dans la troisième casserole, on ajoute du "bicarbonate".
On chauffe les trois casseroles jusqu'à ce que les lentilles dans l'eau "pure" soient cuites, et l'on compare alors les lentilles des trois casseroles :
- dans l'eau "pure", les lentilles sont cuites comme il faut (par définition)
- dans l'eau avec le vinaigre, les lentilles sont dures comme des cailloux
- dans l'eau avec bicarbonate, les lentilles sont complètement défaites, en purée.

3. Ce fait étant établi, il nous faut des données pour interpréter les résultats, et il y a notamment :
- le fait que la dureté des légumes est due notamment à la cellulose
- le fait que la dureté des légumes est due  notamment aux pectines
- le fait que les lentilles contiennent des grains d'amidon

4. La cellulose est inerte chimiquement : et la preuve en est que nos chemises de coton, en cellulose quasi pure, peuvent être bouillies des centaines ou des milliers de fois sans se "dissoudre" dans l'eau de lavage.

5. Mais les molécules de celluloses sont tenues par les molécules de pectine, qui sont commes des cables autours de piliers de cellulose. Or les pectines peuvent se dégrader  par une réaction d'"hydrolyse" particulière, nommée élimination bêta. Elles perdent de petits morceaux, et les piliers de cellulose ne sont plus tenus : c'est pour cette raison que les légumes cuits ordinairement (casserole 1) s'attendrissent. Il  y a nombres d'articles scientifiques à propos, et je renvoie vers mon texte 66. Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, May 2009, vol 42, N°5, pp. 575-583, Published on the Web 05/19/2009 www.pubs.acs.org/acr, doi10.1021/ar8002078. , qui donne des pistes.

6. Les pectines sont sensibles à l'acidité du milieu, car ces "cordes", ou "cables", sont en réalité des chaînes moléculaires qui  portent de nombreux groupes acide carboxylique (-COOH). Lorsque le milieu est peu acide, une partie de ces groupes est sous la forme "déprotonée", ce qui signifie qu'ils ont perdu l'atome d'hydrogène H, et sont donc électriquement chargés. D'une part, ces charges se repoussent... ce qui explique d'ailleurs que les confitures ne prennent pas quand elles ne sont pas assez acides : les pectines se repoussent, et ne s'associent donc pas. D'autre part, les milieux "basiques" favorisent l'hydrolyse des pectines.

7. On comprend ainsi que les lentilles cuites en milieu acide restent dures, alors qu'elles sont défaites en milieu basique.

8. Mon correspondant parle un français difficile à comprendre (ce n'est pas un reproche que je lui fais), de sorte que  je ne suis pas certain de bien comprendre ce qu'il me dit à propos du bicarbonate, mais je le renvoie vers mon cours en ligne sur les calculs de pH pour voir ce qui se passe quand on ajoute du bicarbonate dans l'eau (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=GM&curdirpath=/Des_cours_de_niveau_universitaire).
D'abord, disons plutôt hydrogénocarbonate de sodium.
Ensuite, ce composé de formule NaHCO3 se dissocie en Na+ et HCO3-, qui se dissocie lui-même en proton et ion carbonate CO32-

9. Pour comprendre maintenant la complication supplémentaire due au calcium, il faut savoir que ces ions Ca2+ sont abondants dans les eaux "dures".

10. Or les ions calcium gênent la réaction de dégradation des pectines, en "pontant" des molécules de pectine. En effet, les ions calcium sont doublement chargés, avec la charge électrique opposée  des groupes carboxylates (souvenez-vous : les groupes acides déprotonés). Et ils forment des édifices difficiles à détruire avec ces groupes. Cela durcit les lentilles.

11. D'ailleurs, une autre expérience consiste à cuire des légumes dans de l'eau additionnée d'ions calcium (par exemple, du chlorure) : les légumes deviennent très durs.
On voit aussi cet effet quand on chauffe des légumes (faisons l'expérience avec des carottes) à seulement 40-50 °C : on active des enzymes qui provoquent la fuite du calcium intracellulaire, lequel vient durcir les légumes, au point qu'on ne parvient plus, ensuite, à les amollir... avec deux conséquences :
- surtout pas de légumes dans les cuissons à basse température
- utilisons cette méthode pour affermir des cornichons, afin qu'ils restent bien croquants.

12. Ajouter du bicarbonate, c'est libérer des ions négativement chargés (hydrogénocarbonates et carbonates), qui peuvent conduire à la précipitation de carbonate de sodium, ou calcaire !
Autrement dit, le bicarbonate a une double action : il précipite le calcium, ce qui contribue à ne pas durcir les lentilles, et il amollit, par l'effet "anti-acide".

Est-ce clair ?

lundi 6 avril 2020

Comment rater la cuisson d'un steak


1. Dans la série des "Comment rater", il faut quand même commencer par quelque chose de simple : cuire un steak.

2. Je rappelle que cette série ne vise évidemment pas à rater, mais à réussir, en connaissant les causes d'échec les plus fréquentes. Bien sûr, je ne peux pas les évoquer toutes, et j'écris cela en me souvenant d'une personne qui ratait ses mayonnaises... parce qu'elle les faisait sans huile, ou en me souvenant d'un ami qui ne savait pas reconnaître qu'il avait réussi, de sorte qui poursuivait le travail, ce qui le conduisait à rater. Bref, il y a une infinité de possibilités de faire, mais pas beaucoup de bien faire, et l'on perdrait son temps à imaginer toutes les errances.
Reste que le "paysage" des réussites et des échecs devient plus familier quand on connaît les principales causes d'erreurs. Lançons-nous donc, à propos  d'un steak.

3. La première cause d'échec, c'est la qualité de la viande ! Car qui dit steak ne dit en réalité rien de bien précis. Le dictionnaire (le TLFi, le seul bon) dit "Tranche de bœuf grillée ou à griller". Toutefois, il y a du bon comme du mauvais... et il est bien difficile de faire une bonne viande grillée si l'on part de viande dure, d'un animal âgé, dont la chair contient beaucoup de tissu collagénique. Bien sûr, on peut attendrir une viande dure en la cuisson  à basse température, mais ce n'est plus une viande grillée... à  moins que l'on ne s'y prenne bien  : nous y reviendrons.

4. Mais commençons simplement par une viande tendre, "à griller" : la tendreté - pas la tendresse, qui est bien autre chose- d'une viande se reconnaît à la pression des doigts : quand la viande cède sous les doigts comme du beurre, alors la viande est parfaitement tendre, et c'est même ainsi que certains cuisiniers la reconnaissent.
Soit donc cette viande tendre : comment la "griller" ?

5. Observons qu'il y a des  opérations différentes possibles : griller, c'est placer sur un grill, ou sous une salamandre, une "grille". La température étant très élevé, il y a une façon de rater, qui consiste à cuire trop longtemps, ce qui évapore l'eau et faire perdre la jutosité, tandis que l'on perd aussi de la tendreté.
Expliquons ces deux termes : une viande tendre est tendre, elle cède sous les doigts. Et une viande tendre qui cuit durcit, parce que les protéines qu'elle contient en abondance coagulent, comme le blanc d'oeuf durcit quand on le chauffe. Mais, ce faisant, s'il n'y a que cette coagulation, la viande ne perd pas d'eau (de jus), et elle ne perd pas de jutosité : le jus sera libéré quand on aura la viande sous la dent. En revanche, si l'on chauffe longtemps, l'eau de la viande s'évapore (observons la fumée blanche au dessus d'une viande que l'on grille), et la viande perd de la jutosité. Pour rater, il faut donc évaporer l'eau de la viande... mais pour ne pas rater, il faut donc éviter de perdre de l'eau.

6. Cela dit, je reviens aux différentes façons de cuire un steak. On peut aussi le "sauter", ce qui signifie le cuire dans un sautoir, ce que l'on nomme couramment une poêle. Autrement dit, on ne poêle pas un steak, mais on le fait sauter. Et là, même question de tendreté et de jutosité.

7. Bref, il faut conserver l'eau du steak pour qu'il reste juteux, et il faut éviter de le durcir par coagulation... ce qui impose qu'il reste bleu, ou saignant, voire à point : à l'intérieur, il ne doit certainement pas être comme à l'extérieur... ce qui arriverait si la cuisson languissait. Pour rater un steak, il faut le cuire doucement, lentement, afin qu'il perde son jus et qu'il soit coagulé à l'intérieur comme à l'extérieur... mais bien sûr, a contrario, on aura un bon résultat si l'on cuit à très forte chaleur, afin que la partie extérieure soit brunie, prenne du goût, de la croustillance, tandis que l'intérieur reste tendre et juteux.



jeudi 12 mars 2020

Même pour une simple omelette


Même pour une simple omelette je m'aperçois qu'il y a lieu de  donner des explications.
Oui, depuis quelques semaines, je me suis mis à expliquer les transformations qui surviennent lors de la préparation des certains plats compliqués : cassoulet, soufflé, etc. Mais c'est souvent bien compliqué, et des amis me demandent des explications pour des choses bien plus simples, en quelque sorte : les omelettes.
D'ailleurs, je m'aperçois que je suis tombé dans un travers d'analyse insuffisante : j'ai privilégié des recettes "intéressantes" à des recettes utiles (à mes amis).

Pour une omelette, donc,  il s'agit de battre de l'oeuf, et de chauffer l'oeuf battu. Là,  les informations de base sont les suivantes : le blanc d'oeuf est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines, tandis que le jaune est fait de 50 pour cent d'eau, de 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides (disons de "graisse"). Au total, il y a donc beaucoup d'eau avec des protéines, et un peu de graisse.
La graisse  n'étant pas soluble dans l'eau, elle est nécessairement dispersée sous la forme de gouttelettes. Et elle n'intervient pas notablement lors  de la cuisson.
On peut donc ne considérer que le chauffage de l'eau et des protéines, comme si la graisse n'était pas présente  : elle ne changera que la consistance plus ou moins crémeuse, en fin de cuisson.

De l'eau et les protéines  ?  Il faut imaginer un ensemble de billes pour représenter les molécules d'eau au milieu desquelles flottent des pelote de laine, pour représenter les protéines.


Quand on chauffe tout cela, les molécules s'agitent de plus en plus vite, et les pelotes se déroulent. Mais la différence entre des pelotes de laine et des protéines, c'est que les protéines déroulées s'attachent et  forment une espèce de toile d'araignée dans toutes les directions, emprisonnant les molécules d'eau. C'est cela qu'il faut apprendre à voir, quand on regarde une omelette  : un filet souple qui emprisonne les molécules d'eau.










Évidemment, si l'on agite l'omelette (avec une fourchette, on peut casser  localement le filet, ce que l'on nomme un réseau : on forme alors des morceaux d'omelette. Et si l'on agite bien plus vigoureusement, on peut aller jusqu'à l'oeuf brouillés.
Mais en tout cas, voilà la description générale du phénomène.

mercredi 5 février 2020

Ne pas tout confondre par ignorance ou par idéologie


Alors que le restaurant de Paul Bocuse vient de perdre sa troisième étoile, je vois un journaliste prendre la défense de ce restaurant et dire que là, enfin, on a de la vraie cuisine française et pas ces viandes standardisées cuites à basse température.
Je ne cherche pas ici à prendre parti pour ou contre la troisième étoile du restaurant où Paul Bocuse n'est plus, mais simplement de discuter cette idée selon laquelle le rôtissage ou d'autres cuissons de ce type (lesquelles ?) vaudraient mieux que la cuisson à basse température.

Et je tiens à signaler immédiatement que la critique faite aux cuissons basses température s'apparente en tous points au critiques que faisaient certains, au début du 20e siècle,  quand le gaz est arrivé à tous les étages et que l'on a cuit autrement que par du bois ou du charbon. D'ailleurs, ces critiques sont du même type que celles qui sont apparues quand on a introduit les mixers, avec lesquels on a fait des farces bien plus fines que par le passé, au tamis, en y passant des heures. Ou quand on a commencé à utiliser les feuilles de gélatine plutôt que le pied de veau. Ou encore quand on a produit des mousses au siphon, au lieu de passer de longs moments au fouet. Et ainsi de suite...
Dans tous ces cas, on ne peut s'empêcher de penser  à la crise des canuts à Lyon, ou aux Luddites, c'est-à-dire quand des techniques modernes ont mis des gens au chômage. Oui, dans chaque cas, il y a l'avènement de systèmes techniques modernes qui facilitent le travail, mais qui sont refusés pour des raisons en réalité idéologiques, politiques. Mon point de vue : si c'est le cas, disons le franchement, sans incriminer la technique pour ce qu'elle produit, mais pour ses conséquences.

Mais revenons à cette question de la basse température pour observer que les grands auteurs de cuisine du passé, en  France, n'avaient pas de mots assez élogieux pour le braisage, cette grande opération culinaire française classique, qui fait des viandes parfaitement tendres.
Le braisage se faisait dans une braisière, cendres dessus et dessous, et c'était en réalité de la cuisson à basse température,  sauf que l'on avait le plus grand mal à contrôler la cuisson et que l'on savait bien que le moindre coup de feu ruinait tout. Un coup de feu, cela signifie passer à plus haute température, et effectivement, c'est pour les éviter que la cuisson basse température a été introduite.




La cuisson  à basse température, il faut le répéter, c'est du braisage, et du braisage parfait en quelque sorte. 
De sorte que le journaliste dont il était question au début de ce billet n'a rien compris techniquement,  à moins qu'il ait tout mélangé volontairement, pour des raisons politiques ?
Dans toutes ces affaires,  il y a la question du mélange entre l'appréciation technique et l'idéologie. On comprend bien que certains individus puissent avoir peur de perdre une compétence unique, un savoir-faire, voire leur emploi. Cela est légitime, mais c'est une autre affaire que la question technique elle-même.
Bref, il y a soit un peu d'incompétence technique, sois un peu de malhonnêteté idéologique à faire la critique qui a été faite contre la cuisson à basse température.

D'autant que « la » cuisson à basse température n'existe pas : il y a mille cuissons à basse température, et les résultats sont tous différents. De même, la fraise n'existe pas :  il y a mille fraises différentes, aux goûts tous différents.
À propos de la cuisson basse température, on est donc dans une généralisation hâtive et déplacée,  et je retrouve une fois de plus, pour des raisons qu'il faut bien élucider, la vraie la grande querelle entre Aristote et Platon. Le Beau n'existe pas : il y a des beaux. Le Bon, idem. La Fraise, la Bonne Cuisson... Tout cela, c'est du fantasme, et le monde est bien plus beau que s'il y avait une voie unique.


Il y a mille belles cuissons, et c'est en le reconnaissant que nous ferons grandir l'Art culinaire.




dimanche 2 février 2020

Améliorons le koulibiac... pour faire des poissons en croûte feuilletée


Le koulibiac est un plat qui est dit d'origine russe, avec une pâte qui enferme du poisson, du riz, des oeufs dur, des épinards, des échalotes.
 J'ai toujours trouvé que ce plat était lourd, et d'ailleurs, je ne peux m'empêcher d'observer qu'il y a comme une redondance entre le riz et la pâte :  deux ingrédients qui apportent le même type d'effet, ce que mon ami Pierre Gagnaire dirait sans doute "le pain avec le pain". De surcroît,  le riz dans l'intérieur du plat ne vient pas faire de contraste avec la pâte.


Pourtant, on pressent qu'il y a quelque chose d'intéressant dans ce plat, avec une bonne pâte feuilletée, et un poisson pas trop cuit, sans oublier qu'il faudra ajouter une belle sauce (au vin et à la crème).
L'analyse d'un défaut courant des koulibiac révèle des pistes d'amélioration. Souvent le poisson est trop cuit, donc sec,  et ce n'est pas l'oeuf dur  ni le riz qui peuvent venir contrebalancer cela. En revanche, on peut analyser la question et  comprendre qu'il faut protéger le poisson d'une cuisson excessive en amincissant la pâte, ce qui permet de raccourcir la cuisson, et aussi en enveloppant le poisson dans des matières qui ralentirons les transferts de chaleur. Par exemple, on peut très bien faire un lit de champignons de Paris à peine cuits et une couverture d'épinard juste tombés au beurre, avec bien sûr des échalotes hachées préalablement passées au beurres : fondantes, elles viendront apporter du moelleux à tout cela. 




Et c'est ainsi que je vous propose de faire un plat qui n'est plus un koulibiac, mais dont je peux  vous garantir qu'il est  absolument délicieux : 

1. on abaisse une pâte feuilletée très mince
2. au centre, on pose un lit de champignons de Paris crus en lamelles assez épaisses
3.  sur ce lit de lamelles de champignons de Paris, on dépose le filet de poisson (cru)
4. on met par-dessus les échalote émincées et passées au beurre, fondantes
5.  on couvre d'épinards cuis très légèrement,  juste tombés à la vapeur
6. on  referme la pâte
7. on dore évidement au jaune d'oeuf
8. on cuit jusqu'à ce que le mince feuilletage soit doré
9. et je vous invite à accompagner préparation de la sauce alsacienne que j'ai décrite ailleurs.




jeudi 30 janvier 2020

Il n'y a pas de cuisson "juste", mais il y a des cuissons conformes à des objectifs

Je reçois la question :

Monsieur, 
Je souhaiterais savoir comment je fais pour avoir la cuisson juste.


La cuisson juste ? Je ne sais pas ce que c'est. 
Moi, je sais que les cuissons longues à  basse température permettent :
- de ne pas durcir les poissons : il faut alors choisir la température selon ce que l'on aime
- d'avoir des oeufs 6X°C : on choisit la température et on cuit plus d'une heure
- d'attendrir des viandes dures : on fait basse température, comme on aime, et le plus longtemps possibles


Simple, non ?

Et pour des raisons toxicologiques, je serais partisan de ne pas descendre sous 60 °C, surtout quand le milieu n'est pas acide, et avec la réserve que, pour le porc, sanglier, cheval, il faut sans doute être au-dessus de 82,5 °C.

Et je ferais également attention à bien choisir les poches où je ferais la cuisson : hors de question d'empoisonner mes convives avec des poches plastiques qui libéreraient des perturbateurs endocriniens, notamment. Si c'est dans un autre matériau, je le choisirais bien, surtout quand les cuissons sont très longues ;-)

Mais je ne suis ni toxicologue, ni nutritionniste.

vendredi 17 janvier 2020

L'osso bucco



Aujourd'hui c'est à propos d'osso bucco que l'on m'interroge mais je risque de me répéter un peu,  car la question essentielle de l'osso bucco, c'est de bien attendrir la viande. Or j'ai déjà largement discuté de cette question de l'attendrissement des viandes à la cuisson, et notamment de l'emploi des basses températures.
En pratique, c'est simple : il suffit de cuire longuement à basse température pour que la viande, qui contient souvent de tissu collagénique abondant, puisse se défaire progressivement, libérant le collagène dégradé qui contribue à faire l'onctuosité du jus de cuisson.
D'ailleurs, dans ce dernier, les tomates sont "fondues" :  cela signifie qu'elles se sont complètement défaites, surtout si on les a bien mondé et épéminé, ce qui ne demande qu'un passe de dix à vingt secondes dans de l'eau bouillante. 

Mais, à propos d'osso bucco, il faut évoquer le quignon de pain grillé que mettent ceux qui ne font pas revenir la viande initialement, en la singeant, c'est-à-dire en saupoudrant de farine, qui permet ensuite de lier la sauce.
Et il y le zeste de citron !  Tout tient dans cette observation qui est que l'on obtient des effets d'inflammation amusants quand on presse la  peau d'un citron, d'une orange ou d'un pamplemousse devant une bougie. C'est que ce liquide contient notamment un composé nommé limonène et bien d'autres composés odorants qui donnent le goût particulier que l'on a quand on utilise des zestes de citron. Naguère, je me suis étonné que ces composés odorants puissent être présents dans la sauce, faite d'eau... car ils ne sont quasiment pas soluble dans l'eau. Mais il y a d'une part le fait qu'ils ne sont pas complètement insolubles :  la très petite quantité qui passe dans l'eau suffit à donner beaucoup de goût. Et, surtout, le fait qu'ils peuvent se dissoudre dans la matière grasse émulsionnée dans la sauce : tout cela fait un goût merveilleux !

lundi 30 décembre 2019

Cuire à la cocotte-minute ?

Peut-on cuire raisonnablement avec une cocotte minute ? Personnellement, cela fait longtemps que j'ai arrêté d'utiliser un tel instrument, pour bien des raisons. Et là, un message me conduit à analyser la question plus en détail  :

Monsieur le Professeur,
Suite à vos conseils j’ai réussi une blanquette à la Staub, très onctueuse et tendre (cuisson induction (De Dietrich) à 2 sur 15 pendant 3 heures avec une sonde thermomètre plongée dans la casserole et piquée dans un morceau de veau qui n’a jamais dépassé 90 °C.
Mais ce week end,  j’ai tenté une version rapide du pot au feu à la cocotte-minute et ma viande était très très très dure. La recette (je pourrais dire les recettes car il y en a pléthore sur internet) commandait de jeter la viande dans l’eau bouillante, de fermer la cocotte et d’attendre 50 minutes une fois la cocotte sous pression (la soupape fermée).
Les légumes étaient parfaits, le bouillon aussi, mais la viande avait réduit en taille (30 %) et les morceaux étaient comme contractés sur eux mêmes, rétrécis ou torturés…
Comment peut on envisager une viande braisée à la cocotte minute sous pression dans la mesure où la température de cuisson sera forcément > 100 °C
Dois-je réduire le temps : le site de la marque xxx parle de 30 minutes ?
Est-ce que ceux qui disent avoir fait un pot au feu tendre à la cocotte minute mentent ?
Merci de ne pas m'écharper avec des remarques telles que : un pot au feu ça se fait en cuisson douce et longue et surtout pas à la cocotte pression.
Je voudrais comprendre ce que j'ai raté et comment il faut le faire à la cocotte pression !



Dans le message de nos amis en ligne, il y a deux questions :
1. la cuisson des viandes
2. la cuisson des légumes.



1. Les viandes

Pour les viandes, le "modèle" à conserver est celui d'un faisceau de "fibres" liées entre elles par du "tissu collagénique".
Les fibres ? De longs et très fins tuyaux contenant de l'eau et des  protéines, un peu comme du blanc d’œuf. Et si l'on chauffe, cela durcit, parce que les protéines coagulent ; et plus on chauffe, plus ça durcit.

Le tissu collagénique  ? Un assemblage d'une protéine particulière, le collagène, qui commence à se contracter quand on chauffe la viande ; et quand on chauffe à 100 °C, sa contraction conduit à environ 30 % de contraction... qui fait sortir le jus de l'intérieur de la viande.
Une cuisson longue de ce tissu conduit à sa dégradation, ce qui permet la séparation des fibres, tandis que les fragments de tissu collagénique libérés permettent ultérieurement de faire gélifier le liquide où ils sont partis. Mais il faut insister : dès que l'on chauffe à plus de 55 °C, cette dégradation a lieu. Plus lentement qu'à haute température, mais elle a lieu... et c'est bien là l'intérêt de la cuisson à basse température  : le tissu collagénique se dégrade sans se contracter, de sorte que la jutosité de la viande est préservée, tandis qu'il y a un attendrissage dû à la disparition de ce tissu qui fait précisément les viandes dures ; et le bouillon se charge de gélatine et des "peptides" ou d'acides aminés, qui ont du goût.

Cuire dans une cocotte minute ? La température dépasse 100 °C, de sorte que la viande se contracte. Certes, le tissu collagénique se défait rapidement, mais je n'aime pas le résultat.



2. Les légumes

Pour les légumes, ce sont des cellules jointoyées par une sorte de "ciment" fait de pectine et de cellulose. La cellulose, c'est le coton, et rien ne lui arrive quand on la chauffe, comme le prouve le lavage du linge en coton. En revanche, la pectine se dégrade, et cela correspond à la "dégradation du ciment" : les légumes s’amollissent sans dégâts collatéraux. Pas de problème pour cuire les légumes à la cocotte minute, donc.





Finalement, autant la cocotte minute est efficace pour les légumes, autant elle est médiocre pour les viandes très collagéniques, "à braiser". Mais, inversement, la cuisson à basse température est médiocre pour les légumes, qu'elle durcit, alors qu'elle s'impose pour les viandes. Il faut donc séparer les opérations, si l'on veut faire quelque chose de très bien, n'est-ce pas ?

J'ajoute enfin que la cocotte minute fut inventée par Denis Papin pour faire des "bouillons d'os" : il l'avait nommé "digesteur".











lundi 18 novembre 2019

Coup de feu sur les braisés !


Le braisage est une merveilleuse opération culinaire, que l'on fait en mettant dans une cocotte du lard, des oignons et des carottes, une viande, puis, par dessus, carottes, oignons et lard, plus un bon verre d'eau de vie. 
On met à four très chaud, pour brunir l'ensemble, puis on couvre et l'on cuit longuement "cendres dessus et dessous", ce qui signifie "à basse température". De la sorte, le tissu collagénique se dégrade, et la viande s'attendrit sans que l'intérieur des fibres musculaires ne durcisse. 

Tout cela étant dit, je reçois ce message : 

Monsieur This Bonjour,
Il m’est arrivé ce week-end de perdre foi dans ma cocotte Staub, dans ma plaque à induction puis dans mon boucher que j’adore. Ma blanquette Ô combien si traditionnelle et facile fut dure comme du bois. Et du bois dur… Rien n’y fit. Pas même le lendemain.
 J’ai lu vos lignes et j’ai compris (un peu tard…) les fibres, le collagène, la température basse. J’ai vu – et je vous l’annonce honteusement – la mienne bouillir. Il était trop tard.
Bien, désormais la science à travers vos lignes a fait son travail et j’ai compris le pourquoi.
 Maintenant que mon dos est tout fouetté d’erreur : avais je une solution autre que la rage et l’accusation des uns et des autres ? Ma question est simple : si notre vie trop moderne ne nous a pas permis de surveiller la température de la joue, du jarret, du quasi et qu’il est devenu tout dur, révolté d’avoir été chauffé : y a-t-il une science inverse pour récupérer l’affaire ?
Et est ce applicable à temps pour servir à Madame ? Aidez-moi par pitié !


Sans attendre, ma réponse : 

Cher Monsieur
Ne perdons pas confiance dans nos cocottes... mais mettons-les dans un four correctement réglé, notamment à des températures comprises entre 60 et 100 °C. Evidemment, il faut des fours modernes, à la norme "verte", pour une cuisson très longue.
En revanche, nos Anciens avaient raison de dire que le "coup de feu" est la mort des braisés : on ne peut dé-coaguler une viande trop cuite, et la seule ressource, alors, consiste à cuire encore plus longtemps, afin d'obtenir une complète gélatinisation du  tissu collagénique, quitte ensuite à faire tremper cela dans une émulsion qui ira nourrir les chairs de matière grasse.
Madame devrait donc attendre !

dimanche 15 septembre 2019

Chaleur tombante ?

Il y a quelque temps, j'avais discuté la recette des financiers, et j'ai reçu plusieurs propositions de cuisson, notamment celle-ci :

Ma recette de financiers est à four tombant pendant 15 mn : 5 mn à 240, puis baisser à 200 pdt 5 mn, puis éteindre le four et laisser 5 mn.
Qu’en pensez-vous ? Un avantage scientifique aux différentes températures ?


J'observe que "chaleur tombante" est un terme qui désigne le plus souvent une pratique de  boulangers : on enfourne le pain, puis il cuit quand on a éteint le four et que, en conséquence, la température diminue. L'ennui, c'est que cette façon de cuire est extrêmement imprécise : sauf à disposer d'un four dont on pourrait régler la température pour la ramener de façon connue jusqu'à la température ambiante, on subit l'inertie du four. Un four aux parois épaisses, très inerte thermiquement, se refroidit bien plus lentement qu'un four plus léger.
D'autre part, je sais assez que les fours ne sont pas capables -précisément en raison de leur inertie thermique- de changer de température dès que l'on change la consigne, et, de surcroît, les indications que l'on pourrait donner ne conduisent pas à des pratiques reproductibles par tous.
D'ailleurs, je retrouve ici une question qui se posait naguère à propos des oeufs, quand les recettes stipulaient de les placer dans de l'eau froide que l'on portait  ensuite à ébullition pendant un certain temps :  selon la quantité d'eau présente dans la casserole, selon l'énergie de chauffage, etc., on obtenait des  cuissons très différentes.
Évidemment, je n'ai rien contre les gradients de températures : les variations de température peuvent  effectivement avoir leur intérêt dans certains cas, mais c'est l'indication que je récuse car elle me signifie rien sauf pour celui ou celle qui utilise toujours la même four et toujours la même condition de cuisson.