Ayant identifié qu'il était plus facile de séparer l'analyse technique, l'analyse artistique et l'analyse sociale des préparations culinaires, j'ai précédemment testé l'idée de transmettre une recette avec les trois aspects successivement, au lieu de les voir mêlés, comme on le fait classiquement. Aujourd'hui, je teste l'idée à propos de poulet rôti : comment produire un bon poulet rôti ?
Observons d'abord que certains plats sont considérés comme à la fois faciles et difficiles à faire : le poulet rôti en est un surtout quand on n'a pas analysé sa cuisson en termes physico-chimiques. L'écueil est connu : c'est d'avoir des cuisses insuffisamment cuites, alors que le blanc l'est bien, ou, inversement, d'avoir les cuisses bien cuites et le blanc trop sec.
Examinons d'abord l'objectif : je fais l'hypothèse que l'on souhaite un poulet bien doré, avec une belle odeur, un jus un peu court, d'un goût soutenu, des cuisses bien cuite, les suprêmes moelleux et tendres.
Certes, il y a là des choix artistiques, mais ils sont en réalité plus traditionnels que choisis artistiquement (on rappelle que l'art n'est pas la répétition, contrairement à l'artisanat).
Cela dit, la première chose à obtenir, pour une cuisson classique à environ 200 degrés, c'est que la chaleur ait atteint à l'intérieur des chairs, blancs comme cuisses.
Or le temps pour qu'une pièce soit chauffée à une certaine température dépend de l'épaisseur que la chaleur va parcourir. Et c'est ainsi que deux saucisses qui auraient 3 cm de diamètre cuiraient le même temps, même si l'une est de 5 cm de long, et l'autre de 10 km. C'est une question d'épaisseur à parcourir.
Or la distance à parcourir est plus grande pour les cuisses que pour le blanc : on n'y peut rien.
D'autre part, souvent le poulet est posé sur le dos, le blanc très apparent à la source de chaleur, de sorte qu'il cuit en premier, et plus vite. On néglige cet aspect, mais il est essentiel car l'énergie rayonnée par une source chaude diminue en raison du carré de la distance entre la source et l'objet chauffé : s'il y a une certaine quantité d'énergie reçue à 10 cm, alors ce ne sera pas deux fois moins d'énergie qui arrivera à 20 cm mais 4 fois moins.
D'où cette première idée qui consiste à poser le poulet d'abord sur une cuisse pour l'exposer à la chaleur, et ensuite sur l'autre cuisse, avant de terminer éventuellement sur le dos.
Cela dit, dans un four, il n'y a pas seulement de la chaleur rayonnée par la voute, mais il y a aussi la chaleur de l'air environnant, et cela s'ajoute au premier phénomène surtout, dans l'analyse précédente, on a fait l'hypothèse d'une cuisson classique à 180-220 degrés.
Mais, au fait, si la cuisson fait sécher, en évaporant l'eau, pourquoi la fait-elle durcir ? Ici, c'est comme pour les oeufs durs, qui sont encore tendres quand on les cuit pendant 10 minutes, mais qui deviennent catoutchouteux quand on les cuit plus de 20 minutes : il n'y a pas de différence d' "évaporation", dans ce cas, mais seulement le fait que de plus en plus de protéines coagulent.
Et c'est pour cette raison que la cuisson à basse température est merveilleuse : elle tue les micro-organismes, elle fait coaguler les chairs, mais elle évite le durcissement.
Alors pourquoi ne pas cuire nos poulets à basse température ?
Certes, on n'aura pas alors le brunissement que l'on attendait mais qu'est-ce qui nous empêche de l'obtenir finalement, par le grill ? Oui, on pourrait très bien on peut très bien commencer à cuire à basse température pendant longtemps à basse température, sans se préoccuper du temps de cuisson, du moment qu'il suffit pour cuire toutes les chairs et, au dernier moment, on rapprocherait le poulet du grill, à une très forte chaleur jusqu'à ce que l'on obtienne le brunissement.
Car obtenir toutes les qualités à la fois est bien difficile ; le découplage est une solution bin plus simple.
Reste la question du jus, dont il faut savoir qu'ils sont expulsés par les chairs quand elles sont chauffées, car elles se contractent.
Il est certain que la cuisson à basse température, qui ne contractera pas autant les chairs, ne produira pas cette expulsion, ou disons la procurera moins... mais il faut savoir ce que l'on veut : une chair tendre, ou du jus ?
D'autant que rien ne nous empêche, avec la carcasse d'un poulet précédent, d'avoir préparé un jus qui serait ajouté au nouveau poulet que l'on cuit. Ainsi, surtout avec une cuisson longue à basse température, le jus serait réduit au point souhaité.
Voilà pour la partie technique. Pour la partie artistique, on peut s'en donner à cœur joie entre le citron, la température exacte de cuisson à basse température, le degré de brunissement, le temps de brunissement, l'emploi de thym, de romarin, le sel ou le poivre, etc.
Il n'y a pas deux poulets rôtis identiques, et le choix artistique s'impose.
Pour la question sociale, il est certain qu'un poulet rôti entier, bien doré suscite l'admiration des convives, mais il également certain qu'il est plus facile de découper sur une planche, en cuisine, ce qui permet ensuite, en disposant bien les morceaux découpés, de les présenter dans un plat plus beau que celui qui va généralement au four.
Bref le poulet rôti ne se fait pas en 5 minutes mais, avec la basse température, la longue durée ne pèse pas puisque nous partons nous promener pendant ce temps-là et que le travail se réduit quasiment au brunissement final.
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