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mardi 6 février 2018

Une émulsion sucrée

Ce matin, une question :


"Je vous écris au sujet d’une question concernant une émulsion H/E  (huile dans l’eau) dont la phase continue est partiellement sucrée.

Dans le cas d’une préparation contenant 70% d’huile, 30% d’eau, 10% de saccharose, et d’un tensioactif  est-ce que le l’huile va s’émulsionner avec les 30% d’eau ou  avec 20% à 25% d’eau  puisque le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l’eau (retenir je ne sais pas si c’est le meilleur terme pour traduire le côté hygroscopique du saccharose)".

Ma réponse n'est au fond qu'une sorte de légende du schéma suivant :



Ce que j'ai d'abord représenté, c'est une émulsion de type huile (en jaune) dans eau (en bleu). En  pratique, faisons un "geoffroy", en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, par exemple : les protéines et les autres molécules sont  trop petites pour être représentées à cette échelle, où la taille des gouttes d'huile est entre 0,001 et 0,1 millimètres. 
Le schéma inférieur représente un fort grossissement du petit cercle : 
- le fond est noir, parce que, entre les molécules, il n'y a rien, du vide
- à gauche, les peignes à trois dents sont les molécules de triglycérides ; pour mieux faire, j'aurais dû les orienter dans toutes les directions, mais c'est un détail
- à droite, on voit les molécules de saccharose (en bleu) dispersées au milieu des molécules d'eau (une boule rouge avec deux boules blanches)
- je n'ai pas réprésenté les molécules de tensioactifs, mais elles seraient sur le trait jaune, sous la forme de "cheveux" (pour les protéines).

Reste à commenter  le : "le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l'eau".  Cette phrase est à la fois discutable et peu claire.
Le "est reconnu" invite à demander  : par qui ? Et à rappeler que, en sciences, l'argument d'autorité ne joue pas. Les faits expérimentaux ont toujours raison.
D'autre part, le saccharose "retient" l'eau : que cela signifie-t-il ?
Ce qui est un fait, c'est que les molécules de saccharose sont "hérissées" (ce n'est pas représenté sur mon schéma) de groupes "hydroxyle", avec les atomes carbone du squelette liés à un atome d'oxygène lui-même lié à un atome d'hydrogène. Cela  donne au  saccharose une structure chimique très semblable à celle des molécules d'eau, au moins pour ce qui concerne les interactions avec les molécules voisines.
De ce fait, quand le sucre est dans l'air humide, il s'entoure de molécules d'eau de l'atmosphère, parce que les forces sont donc notables entre les molécules de saccharose et les molécules d'eau.
Dans de l'eau  liquide, les forces (nommées "liaisons hydrogène") permettent la solubilisation du sucre dans l'eau, à des concentrations considérables.
Finalement, on pourrait tout aussi bien dire que l'eau "retient" le sucre, ou que le sucre "retient" l'eau, mais je crois que le  mot "retient" est mal choisi. Il suffit de dire qu'il y a des liaisons entre les molécules de sucre et les molécules d'eau.

Et, finalement, je reviens à l'expérience : si vous faites un geoffroy, en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, vous pouvez ajouter autant de sucre que vous voulez jusqu'à atteindre la limite de solubilité dans la petite quantité d'eau (30 grammes pour un blanc environ) du blanc. Si l'on compte un litre de sucre par kilogramme d'eau, on voit qu'on peut facilement mettre 30 grammes de sucre pour un blanc émulsionné (soit un volume d'huile maximal de 600 grammes d'huile environ). Si l'on ajoute plus  de sucre, ce dernier restera sous la forme de cristaux non dissous. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 2 février 2018

A propos de crème au beurre

Les recettes qui ratent sont des occasions d'analyse, de compréhension. Et, dans ces travaux d'exploration, j'ai l'impression qu'il vaut toujours mieux faire la chose au premier ordre, disons en première approximation, quitte à voir ensuite si le résultat ne suffirait pas à répondre à la question posée.

Voyons un exemple, avec un message arrivé ce matin : 

Monsieur,
En espérant que vous voudrez bien m'éclairer sur ce phénomène, je me permets de vous faire part d'un problème rencontré depuis quelques années avec le gâteau susnommé (dit aussi Le Cannois). Je précise tout de suite que nous faisons ce gâteau depuis 3 générations dans ma famille, et que je n'avais jamais eu ce problème pendant des décennies (j'ai commencé très jeune...). N'étant pas scientifique, je vais tenter de vous le décrire. 
Voici la recette : travailler une tasse de sucre avec 100 gr de beurre ramolli. Ajouter 2 oeufs, puis le jus d'une demi-orange, les zestes d'une orange et d'un demi-citron, enfin 1 tasse de farine et un sachet de levure alsacienne. Cuire à four moyen 1/2 heure. Mélanger le jus de l'autre demi-orange avec une petite tasse de sucre et verser ce mélange sur le gâteau chaud dans son moule. 
Le problème : depuis quelques années, quand j'ajoute le jus d'orange, le mélange sucre + beurre + oeufs, bien lisse et homogène auparavant,   se décompose : je ne sais comment décrire exactement à quoi il ressemble, n'ayant pas les termes adéquats. On a l'impression que le gras se sépare du reste en quelque sorte. L'ajout de la farine ensuite  ne rend pas complètement  l'appareil homogène et même si le goût ne semble pas altéré, la consistance une fois cuit me semble moins aérée.
Peut-être vous faudrait-il une photo ? Ou bien comprenez-vous tout de suite la réaction qui s'opère dans l'appareil ? Serait-ce lié à la fabrication du beurre qui a changé ? 
Par avance, je vous remercie vivement si vous pouvez dissiper ce mystère culinaire, et vous adresse mes salutations gastronomiques.

Ouf, c'est trop touffu pour un petit esprit comme le mien. Allons à l'os, à savoir que la recette est (pour ce qui concerne les masses) : 

1. sucre et beurre
2. oeuf entiers
3. jus d'orange
4. farine
5. poudre levante
6. cuisson
7. ajout de liquide sucré

Des données supplémentaires : 

 - le sucre, c'est du sucre
- le beurre, c'est environ 80 pour cent de matière grasse et 20 pour cent d'eau
- les oeufs apportent de l'eau, des protéines, des phospholipides : environ 50 grammes d'eau, plus le reste
- le jus d'orange, c'est essentiellement de l'eau
- je milite pour que la poudre levante soit nommée poudre levante, et pas "levure", car la "levure" est un ensemble de cellules vivantes, alors que la poudre levante est un mélange de poudres minérales qui produisent un gaz en présence d'eau et de chaleur
- la cuisson coagule les protéines et empèse la farine

Mais c'est en réalité beaucoup trop, pour analyser la question de ma correspondante, parce que la catastrophe survient seulement quand on ajoute le jus d'orange au mélange beurre + sucre + oeuf. Il faut donc analyser plus finement ce mélange. 

Quand on mélange du sucre et du beurre, il pourrait se produire que, avec beaucoup de sucre et peu de beurre, les grains de sucre s'entourent de beurre, mais, en réalité, dans le procédé décrit, on disperse les grains de sucre dans le beurre. Il peut se produire que le sucre reste sous la forme de grains, mais il se peut aussi que le sucre se dissolve dans l'eau du beure, formant des poches de sirop dans la matière grasse. Et c'est l'hypothèse que je privilégie, car de toute façon, on ajoute ensuite des oeufs, c'est-à-dire beaucoup d'eau. La recette qui m'est transmise est imprécise (une tasse ?), mais je compte 20 grammes d'eau venant du beurre, plus 100 grammes d'eau venant des oeufs. Tant qu'une tasse de sucre fait moins que 120 grammes, tout le sucre peut se dissoudre... d'où ma prévision d'un appareil très lisse. Bref, je crois que l'on est, à ce stade, à une émulsion de type eau dans huile... assez fragile : je sais que j'ai réussi à mettre 200 pour cent de d'eau dans du beurre, mais l'émulsion devient de plus en plus instable (et molle).

Et si l'on ajoute encore du jus d'orange, on a bien intérêt à bien ajouter le jus d'orange très doucement, en fouettant vigoureusement, sans que la préparation chauffe excessivement, sans quoi l'émulsion tourne comme une mayonnaise qui rate ! J'observe que l'on ajoute du jus d'orange, lequel est un liquide acide, qui peut modifier la stabilité des protéines.

Qu'est-ce qui pourrait avoir changé et qui expliquerait les échecs récents ? 

La loi impose que le beurre ne contiennent pas plus de 18 pour cent d'eau, de sorte que je vois au contraire une évolution positive, qui protège la recette. Les oranges seraient-elles  plus acides  ou moins acide? Pas certain. Bref, je risque de passer bien longtemps à chercher toutes les modifications possibles alors que la question est moins de comprendre que de réaliser un cannois réussi. Et la règle me semble alors la même que pour les crèmes au beurre : ajouter les liquides très lentement, en battant énergiquement. Car la farine ne parviendra effectivement pas à rétablir une émulsion qui aurait tourné, ni la coagulation des oeufs à forcer un ensemble stable dans toute la masse.



Reste maintenant à faire l'essai.













Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 27 janvier 2018

La crème fouettée et égouttée ?

La crème fouettée ? On l'obtient en fouettant de la crème.




La crème ? Sa structure dépend de la température, parce qu'elle renferme de l'eau et de la matière grasse.
Aux températures inférieures à - 10 degrés, toute l'eau est solidifiée (en glace), et toute la matière grasse aussi.
Aux températures comprises entre - 10 degrés et 0 degrés, une partie (petite) de la matière grasse est fondue, mais l'eau est sous forme de glace.
Aux température comprises entre 0 degrés et 50 degrés, l'eau est liquide, et la proportion de matière grasse sous la forme solide diminue... de sorte que le système est une supension de gouttelettes de matière grasse, avec une partie  de graisse liquide et une partie de graisse solide. Ce n'est pas une émulsion pure.
Enfin, aux températures supérieures à  55 degrés, toute la matière grasse est sous la forme liquide, et l'on a enfin une véritable émulsion, dispersion de gouttelettes de matière grasse liquide dans une phase aqueuse.

Quand on fouette de la crème, surout de la crème refroidie, la graisse fusionne en un réseau de graisse solide qui stabilise l'ensemble, comprenant notamment  des bulles d'air que l'on a introduit. Mais, dans ce système instable, l'eau peut drainer. A quelle vitesse ?
Dans le temps, on avait l'habitude de placer la crème fraichement fouettée sur un linge, afin que l'eau s'écoule. Avez vous déjà fait l'expérience de goûter cette crème fouettée et égouttée ?



Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 24 janvier 2018

L'émulsion, c'est quoi ?

L'émulsion, c'est quoi ?



Une question, une réponse.

 La question, tout d'abord :

Bonjour, 
Je suis en classe de première. Avec mon groupe nous travaillons sur la cuisine moléculaire pour nos TPE et notamment sur ses différentes techniques. 
Cependant il y a certaines techniques dont nous ne comprenons que très vaguement leur processus. C'est pour cela qui j'aimerai vous nous éclaireriez un peu plus sur certains sujets comme  l'émulsion.

Et la réponse :


Pour répondre à une question, il faut faire les choses "stratégiquement". Notamment, pour ne pas égarer nos amis, il faut commencer par une réponse simple, et compliquer progressivement.
D'autre part, toujours d'un point de vue stratégique, je crois que les expériences sont plus parlantes que les théories.

 Je propose donc de commencer par mettre de l'eau dans un verre. Puis de verser de l'huile : cette dernière tombe de la bouteille, formant des gouttes qui s'enfoncent dans l'eau, puis remontent vers la surface supérieure, où elles se fondent, formant une couche d'huile qui flotte sur l'eau. On dit (mais c'est juste une dénomination, par une explication !) que l'huile est "hydrophobe".
Si l'on prend maintenant un petit fouet de cuisine et que l'on fouette l'ensemble des deux "phases", on voit l'huile être divisée en petites gouttelettes qui sont dispersées dans l'eau, laquelle prend un aspect laiteux tant que l'on agite. Cette dispersion de gouttes d'huile, éventuellement très petites, dans l'eau est un exemple d'émulsion. Et le fait d'agiter pour disperser les gouttes d'huile est une émulsification.
Evidemment, dans un tel cas, il faut dépenser beaucoup d'énergie pour avoir de petites gouttelettes, et l'émulsion est très instable : elle ne subsiste généralement (ça dépend des huiles) que quelques dixièmes de secondes. En revanche, quand on ajoute une goutte de liquide à vaisselle, ou une goutte de jaune d'oeuf, alors l'émulsion se fait bien plus facilement (on peut le calculer), et elle est bien plus stable : après plus de vingt jours, l'émulsion qu'est une sauce mayonnaise subsiste presque dans déstabilisation.
Les composés qui, dans le liquide vaisselle ou dans le jaune d'oeuf, viennent enrober les gouttelettes d'huile, faciliter leur dispersion dans l'eau, éviter leur "fusion" (on parle de "coalescence") sont dites "tensioactives". Dans le liquide vaisselle, ce sont des composés  qui sont souvent des "sels d'acides gras" ; dans le jaune d'oeuf, ce sont principalement les protéines, et aussi des "lécithines".

Voilà pour la description la plus élémentaire.
Plus en détail ? Ce sera pour une autre fois, mais nos jeunes amis peuvent aussi se reporter à des traités de physico-chimie, ou à mes "cours en ligne" sur le site d'AgroParisTech, et dont voici le sommaire :



# FIPDES molecular gastronomy (in English)
# The link is https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR
#
# In the courses given by H. This, you will find :
# - the full course
# - a How to work within this module (audio)
# -  a group of methods, including
#               - the method 1 3 9 27
#              - a course on creativity
#              - a course on reading documents
#              - another "applied" course on innovation and creativity (Let's have an egg)
#              - a document explaining why you would be wise to use Maple (or R)
#              - another document on creativity, applied on pastry products
# - a ppt on molecular gastronomy
# - a group of particular courses, including :
#               - a course on "coagulation"
#               - a course on dimension analysis, applied to the duration of cooking, for a roast
#               - an easy calculation of the distance between molecules
#               - a course on dry matter determination
#               - a group of courses on the formalism for the description of disperse (colloidal) systems, including :
#                                     -  a first comprehensive course
#                                     - a course focusing on operators
#                                     - a course explaining how to find the possible disperse systems
#              -  a course on formulation
#              - an example intended to explain calculation, based on the maximum volume of whipped egg white from one egg (more than one cubic meter)
#             - a course on the Laplace force
#             - an introduction to the nano world
#             - a group of courses on note by note cooking including
#                                       - a lecture for the European customs (2012)
#             - a course on sedimentation and creaming
#             - a course on surfactants
#
# Gastronomie moléculaire (in French)
# This is a very large group, with many documents in French. Intended for all publics.
# It is here : https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/GM/?id_session=0
#
#
# Physico-chimie pour la formulation, structuration des aliments (both French and English)
#
# The link is : https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/PHYSICOCHIMIEPOURLAF/?id_session=0
# This group of documents is initially for the Master IPP, the common module with the FIPDES Master. As such, it includes documents in French, and documents in English. 
#
# First, there is a groupe of courses on particular points :
# - a text on the Laplace force in French
# - a text on formulation in French
# - a course on the Laplace force in English
# - a course on surfactants in French
#
# Then there are courses giving methods
# In English :
# - backbone calculation : this document is the one that one is invited to use when calculating, as explained in...
# - how to calculate
# - how to read: it was recognized that students are not always as efficient as they could be
# - what you learn
# In French:
# - ce que tu pourras apprendre : in this particular environment
# - comment lire
# - enseignement scientifique et technologique : there is a difference between science and technology!
# - methode du soliloque: very important when you have a problem
# - penser en termes de chemin
# - squelette de calcul.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 6 janvier 2018

A propos de crème au beurre

Voici la question :


Je fais une crème type aux amandes, un beurre foisonné et du sucre. J'incorpore les œufs 1 à 1, et quand la crème est à la limite de trancher,  j'incorpore du chocolat fondu. L'appareil deviens lisse et homogène. Pourquoi ? 

L'interprétation, maintenant : 

Observons que  mon interlocuteur me donne peu d'indications, sur les quantités... et les amandes. Je vais faire comme si la poudre d'amande ne jouait donc aucun rôle, ce qui est probable.

Si l'on bat du beurre avec du sucre, ce dernier peut venir se dissoudre dans l'eau qui est dispersée sous la forme de gouttelettes à l'intérieur  de la matière grasse du beurre. On forme donc un sirop dispersé dans une matière grasse, ce qui reste une "émulsion de type eau dans huile" (c'est la terminologie).

Puis, quand on ajoute des oeufs, on ajoute du liquide, et, notamment des composés tensioactifs (qui facilitent l'émulsion) et de l'eau.

Toutefois une émulsion ne se soutient pas quand la proportion de "phase dispersée" (ici l'eau) devient excessive. C'est pourquoi, je crois, la crème est  à la limite de trancher.

Ajouter du chocolat fondu à ce stade ? Le chocolat, c'est en gros du gras et du sucre... de sorte que l'on fait de nouveau  augmenter la proportion de matière grasse, et tout redevient comme si l'on avait moins d'eau.

A quoi bon répondre à ce type de questions, sachant qu'elles sont en nombre infini, et que cela prend du temps sur la recherche ?

D'abord, les phénomènes culinaires sont essentiels, parce que ce sont des invitations à la recherche scientifique. Ici, c'est un phénomène intéressant, qui fait intervenir les "inversions de phase", ce  qui  est quelque chose de compliqué.

Ensuite, mon interprétation est toute théorique, et j'invite les collègues à la discuter, car sans étude expérimentale de ma part, c'est une sorte de devinette que je fais.

Pour l'"industrie" (je parle, comme les Canadiens, de toutes les activités de production, de l'artisanat à l'industrie), la question est essentielle, parce que des règles fixes faciliteraient le travail : ma réponse est donc, à nouveau, à explorer le phénomène... ce qui est l'objet de la gastronomie moléculaire.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 5 janvier 2018

Un vrai billet scientifique...

Un vrai billet scientifique...
On me fait observer que je n'ai que très peu expliqué le travail scientifique que nous faisons au laboratoire (sauf bien sûr dans des articles scientifiques). Au-delà des inventions mensuelles que je publie notamment sur le site de Pierre Gagnaire, au delà des comptes rendus de séminaires, des billets de blog de réflexion, de "bonnes pratiques", par exemple, quel est le travail vraiment effectué ? Quel est le travail proprement scientifique ?
La question est évidemment légitime, et je comprends que la réponse permettrait de mieux faire comprendre que la gastronomie moléculaire (notre travail de recherche scientifique) n'a rien à voir avec la cuisine, qu'elle soit moléculaire ou note à note.
Bref, ici, je propose d'expliquer la teneur d'un travail fait il y a quelques années. La première contrainte sera d'être clair ; la seconde sera de montrer combien nos travaux sont enthousiasmants (pire : sans épithétisme !).
Mais je prends d'emblée une précaution : le travail n'est qu'un détail parmi mille, parce que ce serait trop compliqué de présenter des travaux un peu profonds, et j'en suis absolument désolé.
Mais bon, essayons quand même.

De la science, à propos de technologie
Le travail que je propose de discuter ici a été réalisé dans le cadre d'un travail de thèse sur la fraîcheur des yaourts : pourquoi les yaourts sont-ils frais, en bouche, même quand ils ne sont pas froids ?
La fraîcheur peut être due à de multiples causes, telle la présence de composés qui, tel le menthol, stimulent les terminaisons nerveuses du nerf trijumeau, mais elles peuvent aussi être associées -par une sorte de conditionnement- à des couleurs, tels certains verts.
Ou bien il peut y avoir des effets thermiques, comme quand des matières grasses fondent en bouche : la "chaleur" communiquée par la bouche à ces matières grasses donne une sensation de fraîcheur.
Certes, l'étude de la fraîcheur était initialement plus technologique que scientifique... mais on peut compter sur moi pour tirer toujours les questions du côté de la science : je fais bien la différence, et je sais parfaitement où est mon intérêt (au sens d'être passionné intellectuellement, pas au sens financier).
Bref, en réalité, le travail que je vais décrire, est bien une recherche de connaissance pure, scientifique donc, plutôt que la recherche technologique qui y a conduit.

Les yaourts ? Des gels

Pour situer le phénomène que nous avons explorer, partons du yaourt, tout d'abord, qui est produit par gélification du lait.
Comment ce phénomène a-t-il lieu ? Partons donc du lait : c'est une "émulsion", c'est-à-dire une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans de l'eau où sont dispersés ou dissous des protéines et notamment un sucre nommé lactose.
 Quand on ajoute au lait deux types de micro-organismes qui consomment le lactose, ce dernier sucre est transformé en acide lactique, qui acidifie le lait. Or le lait n'est pas stable en milieu acide, comme le montre l'expérience toute simple qui consiste à ajouter du jus de citron dans du lait : le lait caille. Avec le citron, la coagulation est rapide, ce qui engendre des petits agrégats visibles à l'oeil nu, mais quand la coagulation est plus lente, par les micro-organismes de la fermentation des yaourts, alors un gel lisse est produit : c'est le yaourt.
Il faut imaginer la structure finale, gélifiée comme un grand échafaudage où se trouve le liquide, eau et matière grasse dispersée dans l'eau sous la forme de gouttelettes.

Les graisses du yaourt
Tout cela étant dit, il y a donc des gouttelettes de matière grasse dans les gels que sont les yaourts, et ces gouttelettes sont enrobées de protéines et de divers minéraux qui pontent ces protéines.
Que se passe-t-il quand on refroidit un yaourt ? La matière grasse qui forme les gouttelettes est celle du lait, et on la retrouve dans de la crème ou dans du beurre. C'est principalement un mélange de très nombreuses sortes de molécules nommées "triglycérides".
Or autant un matériau fait d'une seule sorte de molécules passe brusquement de l'état liquide à l'état solide, quand on le refroidit (pensons à l'eau liquide qui devient solide à exactement 0 °C), autant les matériaux faits de plusieurs sortes de molécules ont une transition progressive. Ainsi le beurre est entièrement solide à la température de -10 °C, mais entièrement fondu à la température de 50 °C ; entre les deux extrêmes, le beurre est fait d'une partie liquide dans une partie solide, en proportions qui dépendent donc de la température, entre 0 % de liquide à la température de - 10 °C et 100 % à la température de 50 °C. .

 Les transitions dans un yaourt

Et dans une gouttelette de matière grasse qui se trouve à l'intérieur d'un yaourt ? En théorie, selon la température, la proportion de matière grasse solide et la proportion de matière grasse liquide devraient évoluer comme à l'extérieur des yaourts... à cela près que l'on doit distinguer les états à l'équilibre (quand on laisse longtemps un yaourts à une température fixée) et hors d'équilibre. Ainsi, on sait que de l'eau très pure peut rester liquide même à des températures inférieures à 0 °C, quand il n'y a pas de perturbations, telles des vibrations. Cela pourrait être le cas pour des yaourts : il se pourrait que la matière grasse d'un yaourt que l'on refroidit reste en surfusion.
Comment le savoir ? Pour certaines de nos études expérimentales, nous utilisons un équipement de "résonance magnétique nucléaire", une grosse machine qui nous permet... plein de choses... mais notamment de compter le nombre de molécules de différentes espèces, quand elles sont à l'état liquide.
Je passe volontairement sur la présentation de cette machine merveilleuse, parce que cela allongerait un billet qui est déjà long, et je me contente d'observer que l'on peut notamment compter les molécules de triglycérides à l'état liquide, sans voir celles qui sont à l'état solide. De ce fait, si nous partons de matière grasse laitière fondue ou de yaourt chauffé à une température où la matière grasse doit être fondue (on peut chauffer à l'intérieur de la machine), alors on compte toutes les molécules de triglycérides du yaourt, mais si l'on refroidit suffisamment, le compte tombe à zéro.
Ainsi, en observant cette matière grasse à une température particulière, on peut déterminer la proportion de matière grasse liquide et de matière grasse solide...
Et -je fais court- les mesures ont finalement montré que la matière grasse se comportait de la même façon, qu'elle soit dans le yaourt ou en dehors : la proportion de matière grasse ne dépend que de la température, et nous n'avons pas observé de surfusion.


Je fais maintenant un pas en arrière.

Ai-je été clair ? Je l'espère. Ai-je montré pourquoi nos travaux sont enthousiasmants ? Je ne suis pas sûr, et cela pour plusieurs raisons :
1. d'abord, il a fallu expliquer beaucoup de choses avant d'arriver au fait : ce qu'est la constitution d'un yaourt, ce que sont les matières grasse laitières, etc. ; de sorte que mes amis se sont sans doute dits qu'il fallait beaucoup d'efforts pour...
 2. un résultat qui ne semble guère original
3. souvent nos amis veulent comprendre "à quoi ça sert" ; or le résultat précédent ne semble pas servir à grand chose.
4. je me suis pas rendu le travail facile, parce que, pour arriver au résultat, j'ai évité l'explication du fonctionnement de la résonance magnétique nucléaire, qui est véritablement une machine merveilleuse...
5. je n'ai absolument pas discuté tous les calculs qui fondent ces travaux ; il y a ceux qui permettent de faire les comptage, ceux qui permettent de prévoir la répartition de triglycérides à l'état liquide, ceux qui indiquent s'il y a ou non une différence entre la quantité de matière grasse liquide selon que la graisse est dans un yaourt ou pas...
6. je ne me suis guère tapé sur la poitrine, je n'ai pas fait d'épithétisme, je n'ai pas cherché à faire penser que nous faisions des choses particulièrement difficiles...

Je reprends maintenant ces raisons une à une

1. Oui, il y a lieu de dépenser beaucoup d'énergie, pour des résultats expérimentaux proprement obtenus. Et il faut dire et redire que la science progresse à très petits pas, à pas très soigneux, par des mesures que l'on répète, que l'on affine, que l'on valide. Aujourd'hui, par ces temps d'utilisation courante d'ordinateurs, de téléphones portables, d'avions, de trains, on oublie que tout cela n'a été obtenu que très lentement. Ce sont des conquêtes humaines extraordinaires.
De surcroît, il faut dire et redire aussi que la science expérimentale, c'est 99 pour cent d'échec, de mise au point, de travail de fourmi, acharné... et il faut ces 99 pour cent si l'on veut le 1 pour cent qui est au bout !
2. Le résultat ne semble pas original... mais seulement a posteriori. D'une part, nous avons mis au point une méthode de dosage des graisses à l'intérieur des yaourts, sans modification de ces derniers. D'autre part, il faut bien avouer que, quand nous avons lancé cette étude, nous nous attendions à un résultat différent. Autrement dit, nous avons progressé, en analysant les raisons pour lesquelles nos prévisions étaient fausses. Mais cela serait trop long à expliquer.
3. A propos de l'utilité des travaux scientifiques, je suis précédemment parti sur une mauvaise piste en évoquant les ordinateurs, les avions, les téléphones portables... En réalité, sous peine que la science ne devienne de la technologie, elle ne doit servir à rien d'autre qu'à produire de la connaissance. Et cela est essentiel, car on ne dira jamais assez que la technologie n'est qu'une des "utilités" de la science ; en réalité, les modifications des connaissances humaines sont essentielles, et c'est parce qu'il y a de la Raison que les intolérances peuvent reculer, les superstitions disparaître. Quand l'être humain était sans compréhension du monde, on invoquait des divinités qui laissaient à quelques uns la possibilité d'abuser des autres, comme le font, hélas encore aujourd'hui, des rebouteux, des marabouts, des prétendus devins... Oui, il faut plus de science, toujours plus de science.
Cela dit, il ne serait pas difficile de justifier technologiquement les études précédentes. Par exemple, alors que le dosage des matières grasses dans les laits ou dans les yaourts est long, la méthode précédente, maintenant qu'elle est au point, pourrait être mise sur des lignes de productions, pour des mesures qui ne prendraient que quelques minutes. Mieux encore, je n'ai pas expliqué que notre méthode de mesure permet de distinguer les "résidus d'acides gras" des triglycérides. Et ainsi de suite...

 4. Oui, je n'ai pas dit ici pourquoi la résonance magnétique nucléaire, parce que j'ai "chanté" cela dans un de mes livres (La Sagesse du chimiste, Editions L'oeil Neuf). Cette méthode est vraiment merveilleuse : pensons qu'à l'aide de deux champs magnétiques, on peut voir les atomes des molécules ! Je reste parfaitement ébloui par la beauté de la chose.

5. A propos des calculs qui ont été nécessaires pour arriver au résultat présenté, il faut bien avouer que leur présentation allongerait démesurément le billet... sans compter qu'il faudrait les expliquer, et que cela risquerait de prendre beaucoup de temps, de lasser mes amis. Je réserve ce genre d'exercices pour un autre billet. Car dans ces calculs, il y a beaucoup de "petites beautés", de petits plaisirs... Allez, une autre fois.
 6. Oui, je n'ai pas fait de rodomontades, parce que l'objectif était précisément de faire penser que tout cela était simple : quand on dit que les choses sont difficiles, nos amis ne comprennent pas. Or je m'adresse à des amis.

Les sauces brunes sont-elles des émulsions ?

Absolument  : une sauce brune traditionnelle, montée au beurre, donc, est bien une émulsion! 

Un mouillement tel qu'un fond brun, c'est une phase "aqueuse", puisque l'on est parti d'une solution aqueuse (eau pure, vin, bouillon, etc.) que l'on a concentré par "réduction" (une partie de l'eau est évaporée). Bien sûr, la réduction ne se limite pas à une augmentation de la concentration en solutés dans l'eau, et il y a aussi des réactions, notamment à l'origine de la couleur et du goût. Mais, finalement, on obtient quand même une solution aqueuse concentrée.
Si l'on ajoute du beurre à  cette solution aqueuse ("eau"), le beurre fond, libérant 82 % de matière grasse, et 18 % d'eau (au maximum, selon la loi). Cette "eau" libérée (le petit lait)  va se mélanger avec l'eau du mouillement, mais la matière grasse libérée, elle, forme des gouttelettes qui sont dispersées dans la phase aqueuse. Bref, on obtient une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans une phase aqueuse, et c'est précisément cela une émulsion.

Donc oui, la sauce brune est émulsionnée.


Ajoutons de surcroît que cette émulsion n'est pas stable, car en réalité aucune émulsion n'est stable. Il y a seulement des émulsions moins instables que d'autres.
Et, pour la bonne bouche, il me faut ajouter que, selon la façon dont on a monté au beurre, on peut obtenir une simple émulsion, ou bien une émulsion foisonnée (si l'on a utilisé un fouet et introduit des bulles d'air). Toutefois la "bonne pratique classique" recommande de vanner seulement, pendant que le beurre fond, et, là, il n'y a pas de bulles d'air : la sauce est une simple émulsion, pas une émulsion foisonnée.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 29 décembre 2017

A propos d'émulsions

Une question ? Une réponse... mais pour tous !

Bonjour, je suis une élève de première S et je dois bientôt rendre mon TPE. Mais je ne comprend pas certaines informations à propos de l'émulsion huile-eau-œuf.
Je n'arrive pas à savoir s'il se forme des liaisons hydrogène entre la tête hydrophile de l'huile (composée elle même d'oxygène) et la molécule d'eau. Si il existe des liaisons hydrogène, se font-elles entre les atomes d'oxygène de la tête hydrophile de la molécule d'huile et les atome oxygène des molécules d'eau?
Je profite évidemment de l'occasion pour répéter que, en sciences de la nature, il est essentiel d'utiliser de mots appropriés, d'une part, et je propose, d'autre  part, de bien "ingurgiter les questions, les ruminer", avant de répondre. Pour ce second conseil, il s'agit de  reformulation, et c'est souvent l'occasion de s'apercevoir que la  question était  mal posée. 

Ici, que  mon interlocutrice soit une "élève de première  S" me va bien, et je comprends bien ce qu'est les TPE, puisque je répète que j'ai mis sur mon site une analyse du travail qui doit être fait dans ce cadre (https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/second-degre/tpe-et-tipe). 
Puis notre jeune amie m'interroge sur "l'émulsion huile-eau-oeuf". Là, c'est bien moins clair, car les émulsions sont des systèmes où l'on disperse un liquide dans un autre liquide, non miscible avec le premier. 
Si notre jeune amie pense à la mayonnaise, ce n'est pas une émulsion huile-eau-oeuf, mais une "émulsion de type huile dans eau" (la terminologie est consacrée... et on pourrait conseiller de donner une référence). Et, pour faire une telle émulsion, de nombreux "composés tensioactifs" peuvent être utilisés. 
Composés tensioactifs ? Ce sont des composés qui abaissent l'énergie interfaciale eau/huile, comme indiqué dans un de mes cours en ligne d'AgroParisTech (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours/Cours_sur_des_points_particuliers). 
Bref, l'expression "émulsion huile-eau-oeuf" n'est pas claire, et je devine que notre jeune amie ne voit pas clairement comment une mayonnaise se construit : 
- on part d'un jaune d'oeuf, qui est une phase aqueuse (type eau), avec des protéines et des phospholipides dispersés ou dissous
- on ajoute du vinaigre, c'est-à-dire une solution aqueuse d'acide acétique (et de divers composés minoritaires), ce qui produit au total une solution aqueuse (de l'eau plus de l'eau, ça fait de l'eau ; pensons à un sirop de sucre mélangé à de l'eau salée)
- enfin, on disperse dans ce mélange aqueux de l'huile, en fouettant, pour obtenir une dispersion de gouttes d'huile  dans la phase aqueuse. 

Ouf, voilà la première étape faite  : comprendre le système. Passons  à "Je n'arrive pas à savoir s'il se forme des liaisons hydrogène entre la tête hydrophile de l'huile (composée elle même d'oxygène) et la molécule d'eau."
Là, si notre jeune amie est à la veille de rendre son TPE, elle doit se faire du souci. Des liaisons hydrogène entre la tête hydrophile de l'huile et la molécule d'eau ? 
Il faut commencer par expliquer que les liaisons hydrogène sont des liaisons qui s'établissent entre un atome d'hydrogène d'une molécule (par exemple une molécule d'eau) et un atome d'oxygène  d'une autre molécule, parce que cet atome  d'oxygène, qui a deux liaisons covalentes avec un ou deux atomes d'une molécule, a aussi une paire d'électrons, qui, négativement chargés, peuvent interagir avec l'atome d'hydrogène, si celui-ci est partiellement privé de  son électron, par l'atome  lié à lui. 

Je  vois que  tout cela est un peu confus, parce que général, et je propose donc de considérer l'exemple de deux molécules d'eau voisines, que je nommerai E1 et E2. 
Considérons un des atomes d'hydrogène de E1. Il est lié à un atome d'oxygène, mais l'oxygène a tendance à "tirer la couverture à lui"  : l'électrion de l'atome d'hydrogène  que nous considérions est plus attiré vers l'atome d'oxygène. De sorte que cet atome, partiellement chargé positivement, est attiré par l'atome d'oxygène de la molécule d'eau voisine E2. 

Ce qui est gênant, dans la question de notre jeune amie, c'est qu'elle évoque la tête hydrophile de l'huile... alors que cette fameuse tête n'existe pas ! 
Les molécules de l'huile sont des "triglycérides,"  avec un squelette qui est un résidu de glycérol, trois atomes de carbone, liés chacun à un atome d'hydrogène et à un atome d'oxygène qui fait le lien avec des résidus d'acides gras. Les acides gras ? Une chaîne d'atomes de carbone tous liés à des atomes d'hydrogène, mais avec, à une extrémité, un groupe acide carboxylique -COOH, avec un atome de carbone lié à un atome d'oxygène (=O), d'une part, et à un groupe hydroxyle (-OH), d'autre part. 
Parlons donc d'une molécule de triglycéride : elle n'a pas de "tête hydrophile" ! Et c'est bien pour cette raison que l'huile n'est pas soluble dans l'eau. Et, par conséquence, c'est pour cette raison que, pour disperser de l'huile dans de l'eau, il faut des molécules "tensioactives", telles celles de l'oeuf : les protéines, tout d'abord, et, ensuite, les "phospholipides" que sont les lécithines et leurs consines variées. 

Là, oui, pour les protéines ou les phospholipides, il y a une partie hydrophile (qui établit des liaisons, notamment  des liaisons hydrogène) avec les molécules d'eau, et des liaisons faibles avec les molécules d'huile. 
Par exemple, quand on fouette de l'huile dans une solution de protéines, on obtient des gouttes d'huile dispersées dans l'eau, avec les protéines déroulées à l'interface, les parties électriquement chargées ou hydrophile venant au contact de l'eau, et les parties non chargées et hydrophobes venant dans l'huile. J'ai mis des schémas de cela dans mes livres, par exemple "Les secrets de la casserole", ou "Révélations gastronomiques". 

Bref, pas de tête hydrophile des "molécules d'huile"... sans quoi il n'y aurait pas besoin de composés tensioactifs pour faire des émulsions !
















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 25 décembre 2017

Les ganaches

La tradition pâtissière veut que l'on produise des ganaches en :
 - fondant du chocolat
 - faisant bouillir de la crème
 - versant la crème au centre du chocolat fondu
 - mélangeant les deux masses à l'aide d'une cuiller que l'on passe en tournant autour de la crème.


Il y a maintenant 30 ans, j'ai proposé d'y réfléchir en termes physico-chimiques. Le système final est une émulsion, ce qui doit déterminer la pratique de préparation.

En effet, le chocolat est fait de sucre et de matières  végétales dispersés dans de la matière grasse. Quand on fond du chocolat, on forme une dispersion liquide, avec le sucre et les particules de matière végétale dispersées, cette fois, dans la matière grasse à l'état liquide.
La crème, d'autre part, est une émulsion, avec des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau. Faire bouillir l'ensemble ne change guère le système, au premier ordre : la crème bouillie reste une émulsion.
Quand on mêle le chocolat à la crème, le chocolat est comme l'huile que l'on ajoute à une mayonnaise : on augmente la proportion de matière grasse de l'émulsion, tandis que le sucre se dissout dans l'eau de la crème ; les particules végétales restent dispersées.
Finalement, on aura une émulsion qui refroidira, ce qui signifie que les gouttelettes de matière grasses cristalliseront en partie, restant émulsionnées. Le système sera mou, puisque la phase "continue", celle qui disperse les gouttelettes de matière grasse, sera faite d'un mélange des graisses du chocolat et du beurre : si les graisses du chocolat durcissent en refroidissant, celles du beurre restent partiellement liquides.

 Tout cela étant dit, on comprend que l'on puisse "savoriser" ou "odoriser" les ganaches de deux façons : soit en dissolvant des composés dans l'eau (de la crème), soit en dissolvant des composés dans la matière grasse. Le plus souvent, les composés solubles dans l'eau donnent de la saveur, tandis que les composés solubles dans ce que l'on nomme "l'huile" donnent de l'odeur.
Faut-il l'un, ou faut-il l'autre ? C'est mieux d'avoir les deux ! Par exemple, un caramel sera soluble dans la crème, mais des odeurs délicates iront dans la matière grasse. Bien sûr, si l'on infuse la crème avec des matières qui donnent du goût, les deux dissolutions se font simultanément.

 Enfin, une pratique rénovée sur la base de la compréhension précédente : pourquoi ne pas ajouter le chocolat fondu à de la crème chauffée, en fouettant comme pour une mayonnaise ? On est alors sûr de bien faire l'émulsion de type "huile dans eau".























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 22 décembre 2017

Würtz, liebig et mayonnaises collées

Pourquoi les liebigs ne sont pas des mayonnaises collées, ni des würtz ?


Les "liebigs" ?
Ce sont des préparations que l'on obtient en dissolvant de la gélatine dans une solution aqueuse (vin, vinaigre, bouillon, thé, café, jus de fruit, etc.), puis  en ajoutant de l'huile goutte à goutte en fouettant comme quand on prépare une mayonnaise.
J'ai inventé cette préparation il y a plusieurs dizaines d'années, et l'on obtient d'abord une émulsion... qui gélifie physiquement, ce qui permet de produire une couche brillante, avec du goût, sur une pièce, comme une sauce chaud-froid.


Il y a une parenté avec la sauce mayonnaise collée, qui s'obtient avec une sauce mayonnaise à laquelle on ajoute une gelée fondue : on pose alors le récipient sur glace, et l'on fouette jusqu'à la prise. Dans ce second cas, on obtient une sorte de mousse émulsionnée et gélifiée... qui se distingue également des "würtz", que j'avais inventés il y a encore plusieurs dizaines d'années.


Pour les würtz, pas d'émulsion, mais seulement une mousse gélifiée physiquement que l'on obtient de la façon suivante : à une solution aqueuse, on ajoute de la gélatine, puis on fouette sur glace.


Pour être bien clair, je propose les schémas suivants :


La partie en bleue est la solution aqueuse. Les gouttelettes d'huile sont en jaune, et les disques blancs représentent des bulles d'air.

Le goût ? Il peut être celui que l'on veut ! 

Voulez vous des recettes ? Le mieux que je puisse faire, c'est de vous engager à aller les prendre sur le site de mon ami Pierre Gagnaire, à qui je donne une invention chaque mois depuis plus de quinze ans : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 décembre 2017

Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? Vous n'en croirez pas vos yeux ni vos papilles

Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? 


La purée de pomme de terre s'obtient par cuisson des pommes de terre, que l'on écrase ensuite, en ajoutant éventuellement un liquide (par exemple du lait). Parfois, on ajoute sel, noix de muscade, poivre... et beurre !
Du beurre ? Certains cuisiniers se font une joie d'en ajouter beaucoup, ce qui contribue certainement au plaisir gourmand. On parle de recettes avant autant de beurre que de pommes de terre.

Soit, mais prenons plutôt la question différemment : combien de beurre peut-on mettre, au maximum, dans une purée de pomme de terre ? 


Nous ferons un détour par la mayonnaise, avant de répondre.
Pourquoi la mayonnaise ? Parce que c'est une émulsion, et  non pas une mousse, comme le disent certains cuisiniers qui confondent émulsions et mousse. Là, il faut prendre une seconde pour rectifier l'erreur, tant elle est tenace... et propagée avec autorité par des ignorants.

Une mousse, c'est une dispersion de bulles d'air dans un liquide. Par exemple, un blanc d'oeuf battu en neige est une mousse. Une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans un liquide : c'est bien le cas de la mayonnaise, avec une dispersion d'huile dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre.
Evidemment, il y a des cas hybrides, comme la crème fouettée : la crème est clairement une émulsion, mais si on la fouette, elle prend du volume parce que le fouet y disperse de l'air sous la forme de bulles piégées dans l'émulsion, et l'on obtient une émulsion foisonnée.
Au fait, au siphon ? Selon les cas, on obtient des systèmes variés, mais le plus souvent, les siphons permettent de disperser des bulles d'air, de faire foisonner. Et au mixer plongeant ? Là, tout se rencontre : on peut  aussi bien émulsionner de l'huile dans un liquide pour faire une émulsion (une mayonnaise, par exemple) qu'utiliser l'appareil pour foisonner, produire une mousse. Ce n'est donc pas l'appareil qui détermine le résultat, mais l'usage que l'on en fait. D'ailleurs, pour ce mixer plongeant, si on l'utilise pour faire tourner des vis, en adaptant le système, on en fait un tournevis... qui ne fera donc pas d'émulsion. Et si on l'utilise pour taper sur des clous, on en fait un marteau. Bref, j'y revient, ce n'est pas l'appareil qui détermine le résultat obtenu, mais l'usage que l'on en fait.

Et j'enchaîne donc en revendiquant que, par respect pour nos interlocuteurs, nous cessions de confondre mousses et émulsions.
Une mousse, c'est du gaz, mais une émulsion, c'est du gras.
 Et j'insiste encore un peu : pas de bulles d'air dans une mayonnaise ! Si elle "monte", si elle prend du volume, ce n'est pas en raison de la présence de prétendue bulles d'air, mais parce que l'on ajoute beaucoup d'huile : aucun espoir de mincir en mangeant beaucoup de mayonnaise.
Enfin, coup de grâce, le mot "émulsion" a été introduit par Ambroise Paré en 1560 pour désigner des préparations comme le lait... qui sont donc des émulsions, avec des gouttelettes de matière grasses dispersées dans de l'eau. 


Cette question étant réglée, restons à la mayonnaise, qui est donc une émulsion, puisqu'on l'obtient en dispersant de l'huile sous la forme de gouttelettes dans une phase liquide. Combien de mayonnaise peut-on faire à partir d'un jaune d'oeuf ?
Au début de l'ajout d'huile, le fouet (par exemple, ou la fourchette, ou le pilon) disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans la phase liquide. Puis, progressivement quand on arrive à environ 70 pour cent d'huile (et donc 30 pour cent de phase liquide), il n'y a plus de place pour d'autres gouttelettes d'huile... sauf si elles se déforment, et c'est bien ce qui se passe.
 La limite, c'est 5 pour cent de liquide, et 95 pour cent d'huile : autrement dit, pour un jaune d'oeuf, c'est environ 300 grammes d'huile que l'on peut émulsionner.
Evidemment, si l'on ajoute du vinaigre, c'est plus de place pour les gouttes d'huile, et une possibilité d'ajouter plus d'huile... comme l'avait bien dit Madame Saint Ange. Après un certain stade (ce qu'ignorait Madame Saint Ange), ce sont les molécules "tensioactives" du jaune d'oeuf qui viennent à manquer, mais j'ai calculé que l'on peut faire environ 60 litres de mayonnaise à partir d'un jaune d'oeuf... à condition d'ajouter du liquide : eau, lait, vin, thé, bouillon...

De sorte que nous pouvons enfin arriver à la purée. Une pomme de terre, c'est 80 pour cent d'eau. De sorte que pour 100 grammes de pomme de terre (ou de pomme de terre écrasée), on a 80 grammes d'eau. Or rappelons-nous l'ordre de grandeur : dans une émulsion, la phase liquide peut se réduire à 5 pour cent du total. On calcule donc que l'on peut ajouter 1,5 kilogrammes de beurre fondu.

Oui, je répète : si l'on si prend bien, on peut ajouter un kilo et demie de beurre fondu à 100 grammes de purée ! Je ne dis pas que ce sera bon, mais je dis que nos amis cuisiniers sont loin du compte ;-)





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Une sauce merveilleuse : la sauce kientzheim


Cette fois, laissez-moi vous parler, comme promis, d'une sauce absolument extraordinaire, que j'ai nommée sauce kientzheim.




Pour comprendre la nouveauté, partons de la sauce mayonnaise.
Elle s'obtient en mêlant du jaune d'oeuf et du vinaigre, puis en ajoutant de l'huile goutte à goutte pendant que l'on fouette.
Pas de moutarde, sans quoi on obtient une sauce rémoulade, et non plus d'une sauce mayonnaise. Les sauces mayonnaise et rémoulade sont différentes, parce que la moutarde apporte un savorisme particulier. Pourtant ces deux sauces sont des émulsions, elles sont cousines.

Émulsion : cela signifie que ces sauces sont constituées d'une myriade de gouttelettes dispersées dans la phase aqueuse, dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre. Le mot « émulsion » fut introduit en 1560 par Ambroise Paré, chirurgien de plusieurs rois de France, et le mot vient de emulgere, qui en latin signifie traire. De fait, on trait les vaches pour obtenir du lait, lequel est une émulsion, composé de gouttelettes de matières grasses dispersées dans l'eau : le lait effectivement est un cousin physico-chimique de la sauce mayonnaise. Ou, plus exactement, la sauce mayonnaise et une cousine artificielle (ce qui signifie : un produit de l'art) du lait.

D'autre part les gourmands connaissent et apprécient les sauces hollandaises et béarnaises : ces deux sauces sont des cousines physico-chimiques, qui ne diffèrent l'une de l'autre que par l'emploi d'estragon dans la béarnaise, pour simplifier.
En principe, on les produit en chauffant du jaune d'oeuf avec de la matière grasse, et il y a plusieurs procédures possibles, mais, dans tous les cas, l'oeuf coagule,  ses protéines faisant de microscopiques agrégats qui donnent de la consistance à la sauce.
Cette fois, le système physico-chimique n'est plus l'émulsion, mais la « suspension émulsionnée » : « suspension », parce qu'il y a des agrégats microscopiques solides en suspension dans le liquide ; « émulsionnée », parce qu'il y a effectivement de la matière grasse, le beurre fondu,  qui a été divisée en gouttelettes,  dispersées également dans la phase aqueuse.

Faisons maintenant la synthèse : dans les sauces hollandaises comme dans les sauces mayonnaise, il y a la matière grasse, mais cette matière grasse n'est pas la même. Dans la mayonnaise, c'est de l'huile, mais dans la béarnaise, c'est du beurre fondu. Le beurre fondu ? Quel délice !


Pourrait-on alors produire une émulsion où la matière grasse serait du beurre fondu ? C'est cela la sauce kientzheim.

La recette : fondons préalablement du beurre, en le chauffant, puis attendons qu'ils refroidisse un peu, sans quoi il ferait cuire les jaunes d'oeufs ;  on l'ajoute alors à du jaune d'oeuf en le fouettant comme si c'était de l'huile  d'une mayonnaise. La sauce obtenue est une sauce kientzheim, une émulsion, et non une suspension ou une suspension émulsionnée.

En pratique ? Je vous propose de partir d'un jaune d'oeuf,  de lui ajouter le jus d'un citron, beaucoup de poivre,  un peu de sel, et d'utiliser plutôt que du beurre fondu du beurre noisette fondu et pas trop chaud. Ajoutez en fin  de préparation quelque câpres, et vous aurez une sauce tout à fait extraordinaire.

Pourquoi ce nom de sauce kientzheim ? Pour mille  raisons compliquées, mais il suffira de dire que Kientzheim est le nom d'un village du Haut-Rhin, situé près de Colmar. Un merveilleux village médiéval, coquet, où il fait bon manger pour vivre. Bon appétit !








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mardi 12 décembre 2017

Un blanchiment en cuisine ? Une mousse, une émulsion, une suspension...

Une question m'arrive par courriel :


Bonjour,
J'ai toujours été passionnée par la cuisine, mais par dessus tout, j'aime comprendre comment fonctionnent les choses. J'ai beaucoup aimé votre livre Révélations Gastronomiques.
Cependant une question subsiste, et je ne parviens pas à trouver une réponse satisfaisante sur internet  : d'ou vient le changement d'aspect de la preparation lorsqu'on blanchit des oeufs avec du sucre ? J'ai beau savoir que cette technique n'apporte strictement rien à une recette, je me fais mal au bras a chaque fois juste pour admirer la transformation, et tenter de comprendre (en vain).
Auriez vous un ouvrage ou un site internet à me conseiller pour trouver des reponses?


 Et voici la réponse :


Merci pour votre message, et votre éloge de Révélations gastronomiques. Ce n'est pas mon préféré (celui que j'aime le plus, c'est Le terroir à toutes les sauces), mais quand même, je m'étais donné du mal.

Pour le changement d'aspect de la préparation, je vous propose de faire l'expérience de considérer un verre d'eau : c'est un liquide incolore, transparent.
Si vous faites tourner très rapidement un petit fouet dans le verre, vous verrez que des bulles s'introduisent, et, si vous tournez assez rapidement, vous verrez apparaître une couleur blanche, alors que l'eau et l'air sont transparents. En réalité, la lumière du jour (blanche, en générale) pénètre sans modification notable dans l'eau (à part le fait d'être déviée), mais elle se réfléchit sur la surface des bulles, surface qui agit comme un miroir. D'ailleurs, ne voit-on pas le soleil se réfléchir à la surface de l'eau ?
Une bulle, un reflet (blanc, si la lumière est blanche). Deux bulles, deux reflets ; mille bulle, mille reflets...

Reprenez la même expérience avec un blanc d'oeuf (qui est transparent et jaune) : vous verrez qu'au début, il y a des bulles avec des reflets, et, progressivement, de plus en plus de bulles de plus en plus petites, avec des reflets sur chaque.

Tiens, un "exercice d'application", pour voir si j'ai été clair : quelle serait la couleur d'un blanc en neige éclairé en lumière bleue ? Réponse : bleue, parce que la lumière bleue serait réfléchie sur chaque bulle.
Un autre exercice plus difficile : que verrait-on au coeur d'un blanc en neige ?


Pour en revenir au blanchiment des jaunes avec le sucre, la couleur jaune s'éclaircit, parce que la préparation  foisonne, devient mousseuse. On ne voit pas les bulles, parce qu'elles sont trop petites, mais on voit les reflets blancs : blanc plus jaune, cela fait jaune clair, au lieu de jaune soutenu.
Voici une image :
Et ce n'est pas exact que le foisonnement n'apporte rien à la recette : dans les Séminaires de gastronomie moléculaire, vers 2001, nous avons organisé un test triangulaire pour comparer une crème anglaise avec et sans ruban... et la crème anglaise avec ruban était différente, gustativement.

Plus généralement, il y a une règle : chaque fois qu'une préparation culinaire qui est fouettée blanchit, c'est souvent qu'il y a mousse ou émulsion, ou, plus généralement, un système colloïdal. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)


dimanche 10 décembre 2017


Pourquoi continue-t-on à trouver dans des revues culinaires, cette confusion entre émulsions et mousses ? P

ourquoi certains cuisiniers, parfois étoilés, continuent-ils d'utiliser le verbe “émulsionner” pour décrire l'opération qui consiste à foisonner, afin de produire une mousse ?
Certes, ils utilisent le même mixer plongeant pour faire les deux systèmes, émulsions et mousses, mais cela n'est-il pas une erreur ? Dans un cas, on veut seulement cisailler les gouttes d'huile, alors que, dans l'autre, on veut introduire des bulles de gaz dans un liquide.
Les deux systèmes d'émulsions et de mousses sont des cousins, certes, mais que l'on obtient bien différemment, sous peine de bien mal travailler. Après tout, les suspensions sont également des cousins, et on les produit bien différemment, non ? Et j'ajoute enfin que nombre d'échecs, en cuisine, découlent de ce que l'on utilise le même outil (le fouet) pour les deux opérations, sans bien comprendre que ce fouet doit être manié bien différemment en vue d'obtenir les deux systèmes.

Reste qu'il y a confusion... et confusion ! Une sauce mayonnaise n'a rien d'une mousse de blanc d'oeuf battu en neige, et cela fait toujours bizarre d'entendre les maîtres d'hôtel annoncer des « émulsions de fraises », quand arrive le dessert.

Pourquoi la confusion ? Certes, nos cuisiniers modernes sont les héritiers d'une erreur centenaire : cela fait environ un siècle que des manuels minables ont répété l'erreur (je l'ai pistée dès 1901).
Pour autant, n'est-il pas temps de changer ? Les professionnels, et surtout les professionnels étoilés, n'ont-ils pas un devoir vis à vis des jeunes ? N'est-ce pas à eux (ils se tapent parfois très fort sur la poitrine) d'être les premiers à apprendre le sens juste des mots, et de transmettre correctement les informations ?  
Ne nous lamentons pas, et contentons-nous d'être   actifs. Ne manquons pas une occasion de dire qu'une émusions est une dispersion est de matières grasses dans une solution aqueuse (la matière grasse, liquide, est divisée sous la forme de gouttelettes trop petites pour être vues à l'oeil nu),  alors qu'une mousse est une dispersion de bulles d'air, souvent trop petites pour être vues à l'oeil nu.
Deux systèmes différents, avec des consistances différentes ; la cuisine aura considérablement progressé, quand sachant dire les bons mots, elles saura effectuer les bonnes opérations, et, aussi, utiliser les bons outils pour obternir des résultats précis, voulus.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)



samedi 9 décembre 2017

Une sauce émulsionnée qui ne contiendrait pas d'oeuf ne serait pas une mayonnaise !




Ce matin, un message amical d'un étudiant en technologie alimentaire qui veut "formuler" des sauces, et, notamment, remplacer le jaune d'oeuf par la mayonnaise par un autre tensioactif.

Jusque là, rien de particulier... sauf qu'il prétend conserver le nom de "mayonnaise" à la sauce obtenue.

Stop ! Une mayonnaise, c'est du jaune d'oeuf, du vinaigre, de l'huile (et si possible de l'huile d'Aix), du sel et du poivre.

Si l'on remplace le jaune d'oeuf par autre chose, on aura une autre sauce, de même qu'une mayonnaise additionnée de moutarde perd son statut de mayonnaise pour prendre celui de rémoulade.
Avec du blanc d'oeuf, du vinaigre, de l'huile, on fait une émulsion que j'ai nommée "geoffroy".

Pour toute autre variation, pour laquelle on aura un résultat gustativement différent, il faut aussi un autre nom. A celui qui fait la modification de proposer le nom qu'il veut, comme pour la dénomination des espèces animales ou végétales, par exemple.

En tout cas, ce serait la porte ouverte à la fraude, au frelatage, que de conserver le nom de mayonnaise à ce qui n'en est pas.











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 10 novembre 2017

On m'interroge ce matin à propos d'émulsions et de "formulation".
Je réponds en envoyant des documents, mais, surtout, en renvoyant notre ami vers les "cours en ligne" d'AgroParisTech :

https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours
 
et 

https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS
 
Le premier lien correspond à l'Unité d'enseignement "Physico-chimie pour la formulation", du Master IPP d'AgroParisTech, et le second aux cours de gastronomie moléculaire du Master "Food Innovation and Product Design" (FIPDES)

mercredi 22 février 2017

Le blog de gastronomie moléculaire

Ce matin, je dois arbitrer  : la génoise est-elle une mousse ou une émulsion ?

La réponse est là : http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/02/la-genoise-une-mousse-ou-une-emulsion.html

mercredi 10 août 2016

Emulsions de beurre noisette


Une question m'arrive ce matin, à propos d'émulsions de beurre noisette... ce qui me donne l'occasion de parler à nouveau de cette merveilleuse sauce  que j'avais introduite il y a de nombreuses années : la "sauce kientzheim" et, aussi, de rappeler des résultats obtenus lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire à propos de sauce hollandaise. Je  présente cela, avant de répondre à la question de mon correspondant.


D'abord, la sauce kientzheim

Cette invention que j'ai faite il y a de nombreuses années est une sorte de mayonnaise de matière grasse chaude. Voici le protocole, pour une des versions :
1. dans une terrine, mettre le jaune d'un ou deux oeufs
2. puis ajouter le jus d'un citron
 3. saler et poivrer vigoureusement (pour le poivre)
4. faire un beurre noisette (on chauffe du beurre jusqu'à ce que l'apparence des bulles de vapeur change et qu'une légère coloration se forme, avec une belle odeur
5. attendre que le beurre noisette refroidisse un peu (mais reste liquide : il faut  pouvoir poser la main sur le bord de la casserole, preuve que la température ne sera pas suffisante pour coaguler l'oeuf)
6. ajouter le beurre noisette refroidi goutte à goutte dans le mélange oeuf+citron, en fouettant comme pour une mayonnaise.
C'est absolument délicieux et, on le voit, c'est une émulsion de beurre noisette dans un liquide (jaune d'oeuf + citron). Je rappelle en passant qu'une émulsion n'est pas une mousse : la mousse, c'est obtenu par foisonnement (ajout de bulles de gaz), alors que l'émulsion correspond à la dispersion de gouttelettes de matière grasse dans un liquide avec lequel la matière grasse n'est pas miscible).


Puis notre séminaire

Dans notre séminaire, nous avons examiné, à une occasion, la question de la hollandaise que l'on rate : pouvait-on la rattraper en ajouter une goutte d'eau froide ? Et la réponse est oui : nous sommes devenus "champions du monde" de la hollandaise ratée (exprès) et rattrapée : il suffisait, une fois la sauce tournée, de mettre une ou deux cuillerées à soupe d'eau, et la sauce reprenait spontanément... comme je l'avais d'ailleurs signalé dès 1992 dans mon livre Les Secrets de la casserole (éditions Belin).
Après quatre ou cinq rattrapages, nous avons décidé d'en finir, et de pousser la cuisson de la sauce... jusqu'au beurre noisette. Et quand nous avons mis une cuillerée d'eau froide, la sauce s'est rétablie, preuve que nous avions retrouvé une émulsion de type huile dans eau.


Jusqu'à mon "beurre feuilleté"

On le voit, on peut parfaitement faire des émulsions de beurre noisette dans un liquide, mais on peut  faire aussi des émulsions d'un liquide dans du beurre noisette, et c'est ce qui m'a conduit à inventer, il y a plusieurs mois, le "beurre feuilleté". Dans cette préparation inspirée par la pâte feuilletée inversée, j'ai proposé qu'une des couches soit faite par une émulsion d'un liquide aqueux dans du beurre, et l'autre par une émulsion de beurre dans un liquide aqueux. Mon ami Pierre Gagnaire en a fait bon usage : http://www.pierre-gagnaire.com/#/pg/pierre_et_herve/travail_du_mois.
Disperser du beurre noisette dans un liquide est, on l'a vu, sans aucune difficulté, mais disperser du  liquide dans du beurre noisette ? Pas de problème non plus, et, de toute façon, si les protéines manquaient, il serait facile d'ajouter un blanc d'oeuf, ou un jaune d'oeuf, ou de la gélatine en solution dans le liquide, ou de la lécithine.


Bref, on n'a aucune difficulté  à émulsionner du beurre noisette !