mardi 19 décembre 2017

Un traiteur vegan m'interroge

Pour faire des macarons, des meringues, des mousses au chocolat, des boulettes, etc., un traiteur vegan m'interroge... mais

1. je ne suis pas un service de consultance technique (ou alors, c'est bien plus cher ;-)... et pour mon laboratoire ; je rigole : mon laboratoire n'a pas à se détourner de son objectif, qui est la production de connaissance, et pas la technologie !

2. cela fait des décennies que j'ai publié, par exemple, mes recettes de "chocolat chantilly", pour lequel aucune protéine n'est nécessaire ; ou que j'ai publié des informations sur la fonctionnalité des protéines (en gros, il y a celles qui coagulent et celles qui ne coagulent pas)

3. j'ai publié des tas d'informations de principe dans Mon histoire de cuisine

4. je ne suis pas certain de vouloir encourager le mouvement vegan ; autant je suis prêt à aider des personnes souffrant de véritables allergies, autant les contorsions pour ne pas manger de viande ne me poussent pas à utiliser de mon temps pour cela.

5. pour les petites sociétés, il existe en France des centres d'appui technologiques, à savoir le réseau Actia, dispersé dans toutes les régions.


Bon courage













Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Cuisson de viandes

Dans un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avions comparé des matériaux pour cuire des kougelhopfs, et observé de remarquables différences.

Là, se pose la question à propos de la cuisson des viandes  au four : est-elle différence quand les viandes sont placées dans une cocotte en fonte fermée, dans un tajine, dans un romertopf ? Dans le premier cas, de la fonte ; dans le deuxième de la terre vernissée ; dans le troisième de la terre poreuse.


Mon analyse est pourtant que la température de la viande est le paramètre essentiel, et que ce n'est pas le matériaux qui importe. C'est donc d'abord une cuisson à basse température qu'il faudra faire.

Qui le fait ?











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Peut-on manger des viandes cuites au barbecue ? Oui !

Ce matin, un correspondant (amical) me demande des précisions sur la cancérogénicité des viandes cuites au barbecue, afin de ne plus en manger :

"Vous dites que manger des aliments cuits au barbecue est cancérigène, pouvez-vous me préciser exactement ce qui l'est, est-ce le charbon ou autre chose ? J'aimerais en savoir plus avant d’arrêter définitivement ces moments plaisirs de l'été."

 Je lui réponds  :

Je ne dis pas qu'il ne faut pas manger de viande cuite au barbecue, pour cette première et importante raison que je dis que chacun doit faire ce qu'il veut.

Dans mon laboratoire, les "on doit" ou les "il faut" sont interdits, et nous invitons chacun à prendre des décisions responsables, après recherche.
Pour ce qui concerne le barbecue, je dis plus exactement (et j'ai des tas de références scientifiques à vous donner) que la viande mise au-dessus du feu ou de la braise se charge de benzopyrènes cancérogènes. Que le feu soit vif, avec des flammes,  ou qu'il n'y ait que des braises, que l'on ait utilisé du bois ou du charbon de bois, peu importe.

En revanche, je propose de savoir que si l'on surélève la grille, la quantité de benzopyrènes diminue, mais, surtout, que si l'on met la viande à côté du feu, et non pas dessus, alors la quantité de benzopyrène devient indétectable (pour ne pas dire nulle) : en effet, les viandes cuisent tout  aussi bien, parce que les infrarouges se propagent dans toutes les direction ; mieux encore, on peut mettre derrière la viande un réflecteur, nommé "coquille", qui accélère la cuisson. Et dans cette configuration, évidemment, pas de benzopyrène !

Finalement, s'il est vrai que les benzopyrènes cancérogènes sont effectivement abondants dans les viandes au barbecue classique, je ne crois pas qu'il faille arrêter de cuire ainsi, quand cela n'a lieu que quelques fois. Car le risque n'est grand que pas la répétition des expositions.

D'autre part, je prends souvent l'exemple de la viande au barbecue non pas pour empêcher mes amis de manger des préparations, mais surtout pour inviter à être de bonne foi, et à ne pas se préoccuper de dangers moins avérés, de risques plus faibles (les additifs, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le gluten, que sais-je ?) quand on fait soi-même bien pire. Il y a d'autres exemples de ce type : fumer, boire, ne pas enlever la peau des pommes de terre, etc.

 Je revendique surtout de la cohérence !














Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 18 décembre 2017

Deux échelles pour des reproductions de viande


Dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, j'avais avancé l'idée, l'hypothèse, que le cerveau humain a évolué de sorte qu'il reconnait des « formes ».

Par « formes », j'entendais des formes aristotéliciennes, c'est-à-dire  des structures, des organisations. Par exemple, la seule mélodie d'Au clair de la lune, sans les paroles, permet de reconnaître la chanson ; par exemple, les étoiles de la Grande Ourse nous font penser à une casserole,  et ainsi de suite.

En cuisine, ces formes sont les saveurs (la saveur du chocolat, du roquefort...), les odeurs (celle de l'asperge, du haricot vert...), les couleurs... mais pourquoi pas les consistances ? Et c'est ainsi que je me suis interrogé sur l'organisation des fibres de la viande.

Dans du tissu musculaire, les fibres ont toutes environ le même diamètre, mais elles sont groupées en faisceaux, lesquels sont groupés en superfaisceaux, et ainsi de suite. Nous sommes sans doute capables de "reconnaître" cette consistance particulière. De ce fait, pourquoi ne pourrions-nous pas reproduire cette consistance ?

Si le projet est simple, est-il compliqué ? Ou, plus exactement dit, pourrait-on faire une "copie" qui soit simplifié, tout comme une photographie de la Joconde n'est qu'une reproduction (sans le vernis, l'épaisseur, etc.)  ?
Le fait que la viande soit composée de fibres de divers diamètres pourrait conduire à sélectionner seulement quelques uns de ces diamètres.
Par exemple, pourquoi ne pas se limiter à une construction "bimodale", avec de petites fibres  et de grosses fibres ?
L'opération est simple : on part d'objets d'un diamètre de spaghetti, et l'on divise en objets environ dix fois plus petits, de sorte que la bouche les distingue. Si l'on mêle les deux types de fibres, sentira-t-on cette bimodalité ? Même si l'on ne reproduit pas la consistance de la viande (et je crois qu'on ne la reproduira pas ainsi), nous devrions sentir les deux consistances, car des fibres de diamètre dix fois plus petit que celui d'un spaghetti restent perceptibles (la limitre est de 15 micromètres, soit plus de fois moins que les 5 millimètres d'un spaghetti  cuit).
De ce fait, le mangeur concluera de sa dégustation qu'il y a  une caractéristique qui a été prévue  par le cuisinier, et je crois qu'il en déduira positivement qu'on "l'aime", puisque l'on s'est préoccupé de lui, qu'on a fait pour lui une construction.


Le goût ? C'est une autre affaire, et je propose que nous laissions libre cours à notre fantaisie, en salé ou en sucré, parce que c'est là une autre affaire. Ce qui restera, c'est que le convive aura compris qu'on s'est préoccupé de lui, qu'on l'aime.















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 17 décembre 2017

Les réactions de Maillard ? Une goutte dans l'océan des brunissements


Depuis la publication des Secrets de la casserole, en 1992, le monde culinaire s'est emparé des réactions de Maillard, que j'avais alors présentées, mises à l'honneur, considérant qu'il était indécent d'oublier ce chimiste nancéien Louis Camille Maillard, vue l'importance de la découverte qu'il avait faite pour la gastronomie moléculaire, en 1912.


Les réactions de Maillard se sont donc popularisées, et je rencontre même, aujourd'hui, des cuisiniers qui... croient pouvoir m'enseigner ce que ce sont ces réactions, quand elles sont lieu !
On me dit qu'elles n'auraient lieu qu'à haute température...
On me dit que les brunissements des aliments sont dus à des réactions de Maillard...
Pour réfuter la première affirmation, il suffit de savoir que les réactions de Maillard sont à l'origine de l'opacification du cristallin des diabétiques, le glucose étant abondant en compagnie de protéines, et le tout à seulement 37 degrés. Comme ces réactions ont lieu à des températures plus basses que celles de la cuisine, elles sont donc plus lentes... heureusement.

Mais c'est surtout au brunissement que je veux me consacrer ici. 

En cuisine, il y a des brunissements de toutes sortes.
Certes, dans certains cas très particuliers, quand se trouvent réunis des sucres réducteurs, tels le glucose, et des acides aminés, des réactions de Maillard peuvent avoir lieu si l'on chauffe.
 Toutefois il y a bien d'autres occasions culinaires où des brunissements apparaissent. Par exemple, quand on coupe une pomme : des enzymes de la pommes viennent modifier des composés phénoliques également présents dans le fruit (mais séparés, dans d'autres compartiments que les enzymes), et former, à l'issue d'une chaîne de réactions, des composés bruns. Le fruit brunit, mais là, pas de réaction de Maillard.

Il y a aussi des cas tels que la caramélisation, où, cette fois, il ne s'agit pas de réactions de Maillard, puisqu'il n'y pas de réaction entre sucres réducteurs et acides aminés.
C'est une autre réaction, qui , d’ailleurs, conduit à la formation d'une masse très particulière, qui est celle du caramel.
La caramélisation n'a rien à voir avec une réaction de Maillard. Lors de la caramélisation, il y a apparition d'une couleur brune, mais cette couleur résulte de réactions différentes de celles qui font la masse du caramel.

Quelles réactions ? Des réaction de « pyrolyse ». Oui, mot « pyrolyse » est un peu tautologique, puisqu'il s'agit de dire qu'il y a décomposition à la chaleur. On n'est guère plus avancé... mais c'est un fait que, en cuisine, les pyrolyses ont partout, bien plus abondantes que les réactions de Maillard. D'ailleurs, avec les composés organiques, lesquels ont des molécules formées essentiellement d'atomes de carbone, hydrogène, oxygène, il y a presque toujours un jaunissement ou un brunissement quand on chauffe.
Ce changement de couleur est le premier pas vers le noircissement auquel les pryolyses conduisent immanquablement... sauf à former de l'eau, du dioxyde de carbone.

A ce propos, cela vaut la peine de reprendre cette expérience classique de l'encre sympathique, cette encore qui est invisible quand on l'emploie et qui apparaît quand on chauffe la feuille de papier. On a parfois dit que le jus de citron aurait cette propriété, mais j'ai fait l'expérience... et j'ai vérifié, qu'une fois de plus les on-dit méritent d'être vérifiés. D'abord, quand on écrit avec du jus de citron sur du papier bien blanc, l'écriture n'est pas du tout invisible : elle apparaît. Certes, quand on chauffe, le jaune devient brun, mais on observe les mêmes effets avec du vinaigre cristal, par exemple.
L'acidité serait-elle en cause ? Non puisque l'usage de sirop montre un brunissement aussi. Plus généralement, l'ensemble des solution aqueuses de composés organiques conduit à un tel brunissement.

Rendons donc hommage à Maillard, mais ne généralisons pas abusivement, et, si nous voulions rester simples, nous serions bien avisés d'admettre que les pyrolyses sont responsables de la plupart des brunissements en cuisine.
Dans la mer des brunissements, il y a des réaction de Maillard, des brunissements enzymatiques, mais ce sont des îles dans l'océan des pyrolyses.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Cautériser la viande ? Un fantasme



De nombreux livres de cuisine indiquent que l'on doit saisir les viandes sautées afin de cautériser la chair, d'empêcher le jus de sortir. Que penser de cette prescription ?

Faisons l'expérience de poser un steak dans une poêle très chaude, et observons : nous entendons du bruit, nous voyons des bulles à la base du steak, et nous voyons aussi une fumée s'élever. 
Si nous mettons un verre froid dans la fumée, nous le voyons se couvrir de buée, ce qui montre que de l'eau s'évapore de la viande... ce qui est bien naturel, puisque l'on chauffe de la viande, laquelle est faite de 60 pour cent de protéines et de 40 pour cent d'eau. 
 
Disposant de cette première observation, nous pouvons maintenant comparer deux poêles où cuisent deux moitiés d'un même steak, l'une chauffée doucement et l'autre chauffée très fort. 
Dans les deux cas,  il y a de la fumée. Autrement dit, que l'on chauffe doucement ou énergiquement, de l'eau s'évapore ; autrement dit, si par hasard il y avait cautérisation, cette dernière ne préviendrait pas efficacement la sortie du jus ! D'ailleurs, prenons un steak sauté vivement et posons-le dans une assiette : rapidement, la viande surmonte une flaque de jus, preuve que la cautérisation ne prévient pas la sortie du jus. 
 
Pourquoi cette prescription, alors ? Parce que si l'on cuit lentement une viande, un thermocouple que l'on placera sous la viande, au contact de la poêle, montrera une température constante de 100° : c'est l'indication que le débit de sortie du jus de viande est supérieur à la vitesse l'évaporation du jus. En revanche, si nous sautons très vivement la viande, nous pouvons observer que la température sous le steak argumente considérablement, atteignant 180, 200, 250°, signe qu'il n'y a plus d'eau liquide et que, contrairement au cas précédent, on n'est pas en train de faire bouillir la viande. 
De ce fait, les réactions chimiques responsables de la formation de composés sapides, odorants, colorés ont lieu, et la surface de la viande prend un goût bien particulier.

Comment rendre cela quantitatif ? 

Bien sur, il y a eu la mesure de la température sous la viande, mais pourrions-nous faire un modèle ? Nous pourrions vouloir calculer l'épaisseur de la croûte. A cette fin, il faudrait déterminer la puissance transmise à la viande, ce qui pourrait se faire en remplaçant la viande par une petite coupelle pleine d'eau. En mesurant la température de l'eau, on pourrait suivre l'échauffement, et déterminer la puissance de chauffage. Puis, de ce fait, on pourrait calculer l'épaisseur de la croûte formée. 

Et c'est alors le début d'une longue histoire, celle d'une exploration scientifique de la cuisson des viandes.Vive la gastronomie moléculaire ! 


Aidez-moi à lutter contre les théories fausses de l'expansion et de la concentration !


Depuis au moins 1901 (j'ai une trace écrite), on enseigne une théorie de la cuisson qui est la suivante : il y aurait une cuisson par « concentration », pour le rôti, par exemple, et une cuisson par « expansion » pour les viandes bouillies, par exemple. Et puis il y aurait une cuisson mixte.
Que  penser de tout cela ? 

Commençons par examiner la cuisson par « concentration ».
Les manuels de cuisine, jusqu'à une époque extrêmement récente, comportaient un schéma où  l'on voyait des flèches vers l'intérieur, mais que représentaient-elles ?
La chaleur ? Si c'était le cas, les schémas de tous les types de cuisson auraient dû tous comporter des flèches vers l'intérieur, pour les rôtis  comme pour les bouillons. En réalité, les livres de cuisine  disaient que ces flèches représentaient le jus et le goût. Le jus ? Ce n'est pas possible, car la viande est faite de matières solides et de matières  liquides, toutes deux incompressibles ; de ce fait, le jus  ne peut pas affluer à coeur, car le jus est majoritairement fait d'eau, qui n'est pas compressible. La preuve que  l'eau n'est pas compressible ? Elle est dans tous les garages automobiles du monde : on soulèves les voitures sur le pont à l'aide d'un vérin hydraulique ! Et puis, si nous pesons un rôti avant et après puissant, nous voyons qu'il perd du jus, de sorte que les flèches qui auraient représenté le jus auraient  du être vers l'extérieur, et non vers  l'intérieur.
Le goût ? Si l'on coupe la partie externe de la viande, on voit  qu'il n'y a pas de goût cuit à l'intérieur, et que seule la croûte prend du goût lors de la cuissons. Conclusions: puisqu'il n'y a aucune concentration dans cette cuisson fautivement dite « par concentration », il faut abandonner cette dénomination fautive.

Pour la cuisson anciennement dite  par « expansion », il en va de même. Dans ce cas, les flèches qui étaient représentées vers l'extérieur pouvaient effectivement représenter les jus, mais certainement pas la viande, car cette dernière se contracte, comme  on s'en aperçoit facilement lorsqu'on fait l'expérience. Autrement dit, il n'y a pas d'expansion dans la cuisson qui était fautivement dite « par expansion ».
Quant à la cuisson mixte, c'est un affreux salmigondis.


Je suis heureux de vous dire que cette théorie fausse a été supprimée des "référentiels" de l'Education nationale, mais je suis bien malheureux de dire aussi que  quelques professeurs  continuent de l'enseigner et quelques professionnels continuent de la réclamer, à l'examen, alors que les indications de l'Education nationale excluent clairement un tel enseignement. Les théories fausses ne meurent pas, mais ceux qui les soutiennent disparaissent. Il suffit d'attendre. Militons quand même !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Les épinards absorbent-ils le beurre ? Non !


Passons rapidement sur les questions d'enfants, les « je n'aime pas les épinards », et consacrons-nous plutôt à cette recette d'épinards effleurée par Jean Antelme Brillat-Savarin, à propos d'un certain « chanoine Chevrier ».





Brillat-Savarin, qui était juriste et gastronome, et non scientifique, a recueilli des anecdotes, et il les a propagées quand elles étaient suffisamment gourmandes, sans se préoccuper de la véracité des faits.

Dans celle qui est relative au chanoine Chevrier, il est dit que ce dernier ne mangeait les épinards que lorsqu'ils avaient été cuits plusieurs jours de suite dans du beurre, et Brillat-Savarin laisse entendre que les épinards se sont gonflés de beurre. C'est séduisant, mais est-ce juste ?







Les épinards sont des tissus végétaux, faits de cellules solidarisées par une paroi végétale, une sorte de ciment. Les cellules sont comme de petits sacs principalement constitués d'eau. Quand on cuit les épinards, le tissu végétal est amolli, parce que les molécules de pectines (le ciment) sont dégradées. On voit un peu d'eau sortir des feuilles, et, évidemment, il n'a pas de variation totale de masse, car rien ne se perd, rien ne se crée.



Si l'on cuit les épinards dans du beurre, on voit ce dernier perdre environ un cinquième de sa masse, car le beurre est composé environ de 80 % de matière grasse et de 20 % d'eau (la proportion maximale d'eau est précisément définie par la loi, afin que l'on évite de vendre du beurre alourdi avec de l'eau).



Cuire les épinards dans du beurre, c'est à la fois fondre le beurre, amollir les feuilles, évaporer de l'eau apportée par le beurre et par les feuilles. Finalement, la matière grasse liquide se placera entre les feuilles par capillarité, et le fait que les feuilles soient très minces conduit à une bonne possibilité de migration de la matière grasse : on obtient une sorte de mille feuilles épinard/beurre/épinard/beurre...

Toutefois, après une certaine quantité de beurre, on en vient à produire une dispersion des épinards dans du beurre, ce qui n'est guère appétissant : du beurre aux épinards. Certes, la cuisson renouvelée du beurre conduit à améliorer le beurre noisette qui se forme progressivement. Et l'on sait combien le beurre noisette est bon ! Autrement dit, les épinards deviendraient l'excuse pour manger un merveilleux beurre noisette !



Ce qui doit m'inciter à vous dire que mon ami Pierre Gagnaire, quand il prépare du beurre noisette, ajoute périodiquement de l'eau (plus justement du jus de citron, d'orange...) afin de ralentir, de commander le brunissement de la matière grasse, qui ne doit jamais charbonner. Les procédés de confection du beurre noisette sont très mal connus du point de vue chimique, et il y aurait intérêt public à une exploration scientifique poussée, mais, en attendant, s'il est clair que les épinards recuits dans le beurre prennent un goût différent, il n'est pas moins vrai que cuire sept fois les épinards n'a aucun intérêt, et relève plus du fantasme gourmand que d'un bon principe technique. Cela est une probabilité, et non une certitude, de sorte que j'invite mes amis à cuire les épinards une fois, deux fois, trois fois... et à les comparer.



Que se passera-t-il si l'on montre que Brillat-Savarin a simplement fait rêver ? D'une part, la connaissance des mécanismes par lesquels la lune brille n'amoindrit pas la poésie du clair de lune. D'autre part, on sera fixé sur les conditions de la cuisson correcte des épinards, ce qui permettra d'en préparer de meilleurs pour nos amis. Enfin, je peux témoigner que, croyant pour l'instant que l’anecdote de Brillat-Savarin est pure invention, mon état d'esprit ne m'empêche ni d'admirer l'oeuvre de Brillat-Savarin ni de rêver à des épinards délicieusement cuits.







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Eviter l'huile dans les frites

Les frites sont un mets merveilleux, bien sûr, mais déconseillés quand on fait un régime, parce qu'il est souvent bien difficile d'éviter l'huile qui les accompagne.
Or dans un régime, la matière grasse est vraiment à éviter : c'est le composé le plus énergétique de notre alimentation, et, pis encore, plus on en mange, mieux on la stocke dans nos tissus adipeux. Combien y a-t-il d'huile dans les frites ? Essayons de le savoir par une expérience.


Taillons un bâtonnet de pomme de terre et plaçons-le dans de l'huile très chaude, par exemple à la température de 180 degrés Celsius. Immédiatement, nous voyons des bulles sortir du bâtonnet, avec un bruit de crépitement qui correspond à l'éclatement des bulles. Si nous plaçons un verre froid dans la fumée blanche qui s'élève au-dessus de l'huile, nous voyons la fumée se condenser, former une buée sur le verre, un liquide, et nous pouvons, en goûtant, nous assurer que c'est bien de l'eau. Autrement dit, la chaleur évapore l'eau des pommes de terre, et parce que un gramme d'eau fait environ un litre de vapeur, le volume considérable de la vapeur formée éjecte les bulles en dehors du bâtonnet de pomme de terre, ce qui repousse l'huile. Autrement dit, pendant la cuisson, l'huile n'entre pas dans les frites.


On peut corroborer cette observation avec l'enregistrement de la pression dans une frite : on voit la pression augmenter lentement, et, quand on sort la frite du bain, la pression cesse d'augmenter, avant de diminuer, après une minute environ. Diminuer ? Cela signifie donc que la vapeur se recondense, de sorte que la frite absorbe alors certainement l'huile qui adhère à la pomme de terre, en surface.


D'où l'expérience qui consiste à prendre un des bâtonnets de pomme de terre, à les mettre dans l'huile chaude, puis à cuire comme on cuirait des frites. Quand elles sont cuites, on les sort de l'huile et on les divise en deux lots. L'un des lots est laissé en l'état, tandis que l'on éponge soigneusement les frites de l'autre lot, afin d'éliminer l'huile en surface.

A la suite de quoi on pèse... et l'on s'aperçoit que la quantité d'huile en plus ou en moins, est de 25 g pour 100 g de pommes de terre ! Vous avez bien lu : un quart de la masse des frites est de l'huile ! Décidément, il est judicieux d'éponger les frites au sortir du bain. Et nous savons maintenant que nous avons une minute pour le faire.







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Pour une quiche


Par une sorte de réflexe idiot, j'ai failli écrire « la quiche lorraine », mais je serais tombé dans la périssologie, une faute, donc, car la quiche est lorraine !

Dans ce billet, je propose d'examiner la raison pour laquelle il est bien peu utile d'avoir des recettes pour cuisinier, quand on a ce qu'il faut entre les deux oreilles.

Analysons : une quiche, c'est de la pâte qui enferme une « migaine » coagulée. A ce stade, je ne peux m'empêcher de sourire, car, alors que je veux simplifier pour mes amis, j'utilise des mots comme « migaine », qui sont du patois lorrain. Rassurons-nous, il s'agit seulement d'un mélange d'oeufs, de crème, de lait, avec quelques lardons dedans. Nous y reviendrons.

Je repars donc du début : une quiche, c'est une pâte avec une préparation coagulée par dessus (on dit « un appareil », en cuisine). Il faudra donc considérer deux parties : la pâte, d'une part, et la migaine d'autre part.
Pour la pâte, nous savons tous qu'il y en a de sablées, brisées, feuilletées. Souvent, quand nous achetons une quiche, la pâte est feuilletée, parce que cela est le signe d'un travail plus élaboré, plus professionnel. Va pour la pâte feuilletée.

La pâte feuilletée ?

C'est tout simple.  On commence par faire un pâte en mélangeant la farine et de l'eau. 
Combien ? Ne vous en faites pas : partez de farine, et ajoutez de l'eau en mélangeant, cuillerée par cuillerée. Vous obtiendrez une pâte qui ne colle plus aux doigts.
Ce que l'on ne sait guère, c'est qu'il vaut mieux mettre cette pâte au frais sans quoi elle se rétracte. C'est ce que nous ferons, en mettant la pâte dans une  une feuille de plastique transparent, afin qu'elle ne sèche pas, ne croûte pas.

Puis nous la sortirons  après environ une heure, et nous l'étalerons en une galette un peu épaisse. Dessus nous déposerons du beurre malaxé pour qu'il soit mou : une masse comprise entre la moitié de la masse de pâte et la masse de pâte complète.
Nous posons une sorte de disque de beurre sur le disque de pâte, et  nous replions la pâte par-dessus le beurre pour l'envelopper comme une lettre dans une enveloppe. Puis, l'aide d'un rouleau à pâtisserie, nous étendons l'ensemble de sorte qu'il soit environ trois fois plus long que large, et nous le replions en trois.
Nous le tournons d'un quart de tour, et nous recommençons l'opération d'allongement et de repliement. 
Puis nous remettons la pâte dans le film, et nous remettons au frais, sans quoi, surtout en été, le beurre risque de fondre exagérément et de fuir tous les côtés.
Après une demi-heure à une heure de repos de la pâte au frais, nous reprenons l'ensemble, nous l'étendons trois fois plus long que large, nous plions en trois, nous tournons  d'un quart de tour, nous étendons trois fois  plus long que large, nous replions... et nous filmons, nous remettons  au frais.
Là, nous avons fait quatre tours. Il ne reste  que deux tours à faire, juste avant la cuisson.

Je n'explique donc pas comment on fera ces deux derniers tours, puisque j'ai déjà expliqué cela deux fois, mais je me limite à préciser que, finalement, nous étendrons  la pâte à la taille du  moule, un peu épaisse si nous voulons la voir gonfler considérablement, et très mince si nous voulons éviter le gonflement, ce qui est le cas pour une quiche.

Pourquoi le gonflement aurait-il lieu ? Parce que la pâte contient de l'eau, et que l'eau qui s'évapore prend plus de volume que l'eau liquide ; comme la vapeur est entre des feuillets de beurre, les feuillets de pâte se séparent avant de sécher. D’ailleurs, pour éviter un gonflement excessif, on a coutume de piquer la pâte avec une fourchette, ce qui soude les couches, mais conserve  une consistance feuilletée.
La cuisson ? Un four à 180° pendant 30 à 50 minutes fait l'affaire. Faites donc des essais : vous identifierez les paramètres qui vous conviennent, et votre entourage sera ravi de participer à des expérimentations qui se concluent toujours par la dégustation.

Reste l'appareil, la migaine, la préparation qui coagule. 

Nous avons vu qu'il s'agit de lait et de crème, c'est-à-dire d'eau et de matière grasse, mélange auquel on ajoute de l'oeuf, c'est-à-dire de l'eau et des protéines.
À la cuisson, les protéines coaguleront,  fixant l'ensemble dans une sorte de grand filet, de sorte que l'eau restera dans le réseau, tout comme les morceaux de lard qui, eux, contrairement aux molécules d'eau, sont bien visibles à l'oeil nu. Le lard ?  C'est de la poitrine fumée, que  vous aurez ou non fait rissoler par avance ; c'est une question de goût

A ce stade, il faut évoquer différentes écoles. Il y a ceux qui mettent la migaine dans la pâte, directement, et ceux qui cuisent d'abord la pâte à blanc, afin qu'elle soit bien cuite, et qui, dix minutes avant la fin de la cuisson, ajoutent la préparation afin qu'elle reste tendre.
Les bons cuisiniers lorrains ont l'habitude de dire que la quiche est prête quand elle se met à gonfler. C'est en effet le signe que la coagulation a eu lieu, et que la vapeur qui voudrait s'échapper est bloquée par la migaine juste coagulée.

Ah, j'ai oublié nombre de détails : muscade, sel, poivre... mais rappelez-vous que je ne suis pas cuisinier. Si j'ai de bons maîtres, je propose surtout ici d'analyser la composante technique de la cuisine. Pour la partie artistique, je vous renvoie aux artistes... Mais attention : aux artistes ! Pas aux techniciens.

Et, pour terminer, rappelons que la cuisine, c'est d'abord du lien social, avant d'être de l'art ou de la technique. 

La vraie question est de savoir comment donner du bonheur à nos amis. Faire une quiche, c'est bien, mais nos amis percevront-ils  tout le mal que nous nous sommes données pour eux ?
Cela peut apparaître si l'on a bien déposé la pâte, si l'on évité que le fond charbonne, si l'on a une surface légèrement brunie, si la quiche paraît gourmande, avec assez de lardons, coupés de la bonne taille, soigneusement désossés...
Et puis, il y a tout le reste : le plat où la quiche est placée, la nappe sur laquelle le plat est posé, les couverts soigneusement disposés, le couteau avec sa lame vers le convive, et la fourchette à la française, avec les dents  vers la nappe, au lieu de montrer des pointes agressives à nos vis à vis. Il y a la lumière, la couleur, l'environnement sonore, le moelleux des coussins ou la bonne assise des chaise.

Bref, une quiche, c'est bien plus qu'une quiche, et c'est seulement si l'on a bien dit je t’aime que nos amis le percevront clairement, et qu'ils auront toutes les bonnes raisons de nous aimer en retour. La quiche ? Une occasion de ne pas manquer d'établir de merveilleuses relations entre les individus. J'aurais pu dire cela de n'importe quel plat, et nous aurons donc l'occasion d'y revenir.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Faire de bon cannelés



Les cannelés ? Rien de plus simple, et il serait d'ailleurs erroné de croire que ces produits sont l'apanage du Bordelais, car ils existent en Angleterre sous le nom Durham popover
Ils s'apparentent aux soufflés, puisque c'est une préparation qui gonfle, mais, contrairement aux soufflés, ils restent gonflés après la cuisson, de sorte qu'ils s'apparentent également aux gâteaux... dont certains gonflent également.
Ils gonflent ? Oui, ils gonflent, car ils contiennent beaucoup d'eau, et que les conditions de cuisson font évaporer une partie de cette dernière, ce qui engendre un grand volume de vapeur. 

 
Mais commençons par une recette, puisque c'est tout simple. Dans un cul de poule, plaçons du lait (c'est de l'eau qui est du goût, description qui conduit immédiatement à imaginer des dérivés de la préparation, si l'on remplace le lait par du jus de fruits, du thé, du café, etc.) avec de la farine et de l'oeuf. La farine apporte des grains d'amidon, qui empèseront durant la cuisson et feront une architecture molle, qui stabilisera la préparation. 
L'oeuf apporte également de l'eau, et aussi des protéines qui coaguleront, rigidifiant la préparation. On mélange les trois ingrédients afin d'obtenir une pâte mollette, puis on dépose quelques dizaines de grammes de cette préparation dans un moule, et l'on cuit à une température supérieure à 100 degrés. 
Ainsi le moule, surtout s'il est de métal et conduit bien la chaleur, provoque l'évaporation de l'eau, si bien que la préparation gonfle jusqu'à ce que les protéines coagulent et figent le volume. 
 
Finalement on récupère une préparation molle, coagulée, alvéolée, avec un bon goût d'oeuf, et de tous les ingrédients que l'on utilisés, tels la vanilline, le sucre, le rhum, etc. Si la cuisson s'est bien passée (elle dure jusqu'à une heure), le produit a une légère croûte croustillante, et si la préparation était sucrée, alors, mieux, le cannelé est légèrement caramélisé, donc coloré et de haut goût. 

Dans cette préparation, l'important est sans doute le rapport de la partie de croûte et de la partie moelleuse du cœur. Je vous invite, si vous n'avez pas déjà fait, à visionner le film où l'on voit le cuisinier français Michel Bras régler au millimètre la taille du noyau de chocolat de ses célèbres coulants. Ils ont été souvent copiés, mais le savoir-faire du grand artiste dépasse largement l'idée de mettre un noyau qui fond dans un biscuit au chocolat : il y a d'abord la question du goût, et, aussi, le soin infini que le grand artiste a mis dans tous les détails, à commencer par celui de la taille exacte des diverses parties de son gâteau. 
 
Pour les cannelés, et pour bien des préparations analogues, la question de la taille, la question du rapport croûte-coeur, la question du moelleux, fixé à la fois par la quantité d'eau et par la cuisson, la question du goût... Tout compte !








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Réussi l'aïolli


Un ami m'envoie une précision culinaire à propos d’aïoli : les aïolis monteraient mieux quand on utilise de l'huile d'olive de l'année précédente. Pourquoi cette pratique, m'interroge-t-il ?


On sait qu'un torchon rouge agité devant un taureau conduit ce dernier à charge, mais, cette fois, résistons. Résistons, car les précisions culinaires sont loin d'être toutes justes, et des décennies de travail m'ont montré qu'il vaut mieux être prudent. Ce serait naïf de d'aller chercher la cause d'un effet qui n'existe pas.

L'aïoli ? C'est une sauce qui se compose exclusivement d'ail et d'huile d'olive. Pas de moutarde, sans quoi on produit une rémoulade ; pas d'oeuf, sans quoi on produit une mayonnaise à l'ail.

Pour faire un aïoli, on prenait jadis un mortier, des gousses d'ail, et l'on produisait d'abord une pâte à l'aide d'un pilon actionné répétitivement. Puis, toujours en pilant, on ajoutait de l'huile goutte-à-goutte et l'on s'arrêtait en quand la sauce avait pris une consistance de pommade.

Pourquoi cette transformation ? Parce que les gousses d'ail contiennent de l'eau pour plus de moitié, mais aussi des composés variés tels que les phospholipides des membranes, des protéines... Quand on ajoute de l'huile d'olive en pilant, le pilon divise les gouttes d'huile en microgouttelettes qui sont dispersées dans l'eau, les composés tensioactifs favorisant l'émulsion. Finalement, on obtient une émulsion très concentrée en huile, comme le serait une mayonnaise, par exemple, et le fait que les gouttes d'huile soient tassées les unes contre les autres prévient leur mouvement, et donc l'écoulement de la sauce.

La qualité de l'huile, dans cette affaire ? On peut bien sûr imaginer que le vieillissement de l'huile d'olive conduise à l'apparition de composés tensioactifs ou de composés qui stabiliseraient les émulsions par divers phénomènes. Toutefois, il y a tous les tensioactifs qu'il faut dans l'ail utilisé, à condition que l'on ait bien désagrégé les gousses, et les cellules qui composent ces dernières. On pourrait avoir le même phénomène que pour la tapenade, avec les mixers modernes : si l'on se contente de séparer les cellules, et non pas de les désagréger, ce qui libère leurs composés, alors on peut avoir des problèmes. Toutefois, si l'on a bien fait une pâte avec l'ail, le risque est faible.

Surtout, je propose d'interpréter. 

Je propose d'interpréter en observant que, comme pour la tapenade d'ailleurs, quand le travail de l'ail est insuffisant, la sauce peut rater.
Or mes études m'ont montré que les préparations qui ratent suscitent généralement plus de précisions culinaires que les autres. Le praticien se met alors à imaginer toutes les causes possibles : les règles féminines, la température, l'influence de la lune... ou la qualité de l'huile !
Il en va là de la pensée magique (voir Les précisions culinaires, Editions Quae/Belin), et la gastronomie moléculaire vient fort heureusement nous aider à mieux comprendre, au lieu de nous laisser en compagnie des démons. Pour l’aïoli, ne prenons pas nécessairement une huile ancienne, peut-être rancie, et privilégions des huiles dont nous choisirons d'abord le goût.








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Inventons la tarte aux oignons

Continuons de combattre la notion de recette, au moins pour la partie technique, avec la question de la confection d'une tarte à l'oignon, Zewelkuacha en alsacien.

Le projet : montrer qu'une recette ne sert à rien quand on a quelque chose entre les deux oreilles, et que l'on décide de s'en servir.



Une tarte à l'oignon ? Comme pour la quiche, déjà évoquée, il y a la pâte, d'une part, et la garniture, d'autre part. Pour la pâte, il est si simple de mêler de la farine, du beurre, de l'eau, que nous considérerons ici la garniture. On sait qu'elle doit contenir des oignons... et j'ai vu des tartes à l'oignons qui se limitaient à des oignons émincés posés sur la pâte, et qui cuisaient pendant la cuisson de la pate, soit environ 30 minutes à la température de 180°C.

Toutefois la tarte à l'oignon alsacienne est bien plus « gourmande » : sa garniture contient aussi de l'oeuf, du lard fumé et de la crème. Combien de chaque ? Avec de l'oeuf entier, la garniture est bien dure ; mais avec trop de crème, elle ne se tient plus, et s'écoule quand on coupe les parts. C'est donc cela qu'il faut régler : la proportion de crème et d'oeuf.

On observera que, dans ce raisonnement, je ne considère pas la quantité d'oignons : c'est que ces objets solides sont... solides. Si quelque chose coule, c'est le liquide (initial) qui est entre les morceaux d'oignons.

Analysons donc : l'oeuf, c'est, au premier ordre, de l'eau et des protéines (10 pour cent pour le blanc, 15 pour cent pour le jaune) ; la crème, c'est de la matière grasse liquide dispersée dans de l'eau (pensons un tiers de matière grasse pour deux tiers d'eau). Enfin, pour simplifier, il faut entre un et cinq pour cent de protéines au minimum pour assurer la gélification d'un liquide. Autrement dit, on peut allonger l'oeuf de une à cinq fois, avec la crème, pour conserver un liquide qui prendra en masse à la cuisson. Plus exactement, j'ai fait l'expérience, il y a plus de quinze ans, d'explorer la gélification éventuelle de liquide avec de l'oeuf battu, en concentrations décroissantes, et j'ai alors montré qu'un œuf permettait d'obtenir la gélification de 0,7 litres de liquide, au maximum.

Finalement, combien d'oeuf et de crème ? Comme vous le voudrez, mais dans la limite qui est ainsi donnée.

Et puis, tant que nous y sommes, on peut faire mieux :

    par exemple, faites revenir les oignons à feu très doux et à couvert, dans du beurre et un peu d'eau, pendant très longtemps (par exemple une heure), par avance : les oignons vont « fondre », disons plus justement qu'ils s'amollissent, parce que le ciment intercellulaire, des « parois végétales », sera dégradé par l'élimination bêta des pectines

    par exemple, faites revenir le lard, pour augmenter son goût

    par exemple, n'oubliez pas une pincée de noix muscade

Bref, une recette : pourquoi faire ?







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La tendreté des viandes et la capillarité


Histoire de capillarité

Le gastronome Jean Antelme Brillat-Savarin évoque avec éloquence (on se souvient qu'il était juriste)  les grenadins de veau, ces pièces de veau si tendres qu'on peut les manger à la cuillère. 

A la cuillère ? La viande serait-elle suffisamment tendre, naturellement, pour que l'on puisse ainsi la diviser ? Il est vrai que certaines viandes extraordinairement persillées se défont facilement, au point que certains cuisiniers les reconnaissent en les pressant entre deux doigts : ces derniers s'enfoncent comme dans du beurre. Ou bien est-ce le résultat d'une cuisson particulière ? 
 
Quand une viande est très tendre, la cuisson doit absolument éviter de la durcir, de la maltraiter. Comment faire ? Pour un tel cas, on se souvient que la viande est faite de fibres musculaires, sortes de sacs allongés, collés les uns aux autres. La cuisson coagule intérieur des fibres, tel du blanc d'oeuf qui cuirait, de sorte que l'on comprend, en conséquence, qu'il faut cuire très peu, à une température assez basse pour assurer la coagulation sans évaporer l'eau qui fait la jutosité ni former trop de réseau protéique, qui, tel un œuf dur caoutchouteux, « solidifierait » trop l'eau. Deux cas se présentent : soit on met la viande dans un liquide parfumé, et l'on chauffe pendant très peu de temps à très petits frémissements, soit on chauffe sur une poêle très chaude, et l'on colore rapidement de chaque côté. 
 
Pour les viandes dures, l'analyse est différente. Ces viandes sont celles dont le tissu collagénique est plus abondant, plus résistant. Dans un tel cas, la viande est dure initialement, et la question est de l'attendrir. La clé de la solution est la suivante : à partir de 55°C le tissu collagénique se dissout dans le liquide qui environne la viande. C'est là que la cuisson à basse température s'impose : on met la viande dans un liquide, et l'on chauffe à une température comprise entre 60 et 70° pendant très longtemps, afin d'assurer la dissolution du tissu collagénique. L'intérieur des fibres coagule délicatement, ce qui durcit la viande, mais le tissu collagénique se dissout, ce qui permet aux fibres de se séparer mollement. 
 
Une conséquence en est que si le liquide de cuisson a bon goût, il peut entrer dans la viande par capillarité, ce phénomène physique qui fait monter l'encre entre les poils des pinceaux.

Pourquoi cette montée capillaire ? Parce que les molécules d'eau sont composées d'atomes d'hydrogène et d'oxygène, et que, dans les molécules d'eau, les atomes d'oxygène attirent plus les électrons que les atomes d'hydrogène, ce qui crée l'apparition de charges électriques sur les deux types d'atomes. 
D'autre part, le collagène qui gaine les fibres, et qui est présent à l'extérieur de ces dernières, a également des atomes d'hydrogène et d'oxygène, chargés électriquement, de sorte que, puisque des charges électriques de signes opposés s'attirent, tels des aimant, les molécules d'eau collent au tissu collagénique, et, de proche en proche, remontent vers l'intérieur de la viande. De la sorte, à l'issue d'une longue cuisson, la viande se gorge de liquide de cuisson, tandis qu'elle s'attendrit.


A cette description, on aura compris qu'il existe une véritable possibilité de donner du goût à une viande : il faut cuire dans un liquide qui a du goût. C'est pourquoi les professionnels ne cuisent jamais dans l'eau, mais dans du vin, un fond corsé, etc. On observera d'ailleurs que ce liquide , qui ne doit pas être trop salé, peut-être réduit en fin cuisson : quand la viande est tendre, on récupère le liquide, et on le fait bouillir sans couvercle, afin que l'eau s'évapore. Certes, on perd nombre de composés odorants (il faudra considérer dans un autre billet comment on pourrait éviter ce gâchis) mais on concentre en espèces solubles et non volatiles : acides aminés, sels minéraux, sucres… De sorte que l'on obtient finalement un liquide qui a beaucoup de goût, avec lequel on nappera la viande.
Finalement les grenadins de Brillat-Savarin ne sont pas un doux rêve, mais une réalité accessible à qui connaît les bases de la gastronomie moléculaire. 





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

Des commandements pour la cuisine

Dans Mon histoire de cuisine, je prends plusieurs pages pour expliquer chacun des commandements de la cuisine (j'en donne ici la version française et la traduction)



1. Le sel se dissout dans l'eau
2. Le sel ne se dissout pas dans l'huile
3. L'huile ne se dissout pas dans l'eau
4. L'eau s'évapore à toute température, mais elle bout à  la température de 100 degrés.
5. Le plus souvent, les aliments sont faits principalement d'eau (ou d'un autre fluide)
6. Les aliments sans eau ni autre fluide sont durs
7. Certaines protéines (dans les oeufs, la viande, le poisson) coagulent.
8. Le tissu collagénique se dissout dans l'eau quand la température est supérieure à  55 degrés.
9. Les aliments sont des systèmes dispersés
10. Certaines réactions (de Maillard, de Strecker, des oxydations, des caramélisations, des pyrolyses) engendrent des composés nouveaux
11. Quand une préparation blanchit, c'est souvent qu'il y a foisonnement ou émulsion
12. La capillarité fait migrer les liquides
13. L'osmose a lieu quand des liquides de concentrations différentes sont séparés par une membrane appropriée
14. Les composés peuvent migrer par diffusion

1. Salt dissolves into water
2. Salt does not dissolve into oil
3. Oil does not dissolve in water
4. Water evaporates at any temperature, but it boils at 100 °C.
5. Most often, fresh products are made primarily from water (or another fluid)
6. Food without water or another fluid are hard.
7. Some proteines (in eggs, meat, fish) coagulate.
8. The collagenic tissue dissolves in water when the temperature is higher than 55  °C.
9. Food are generally disperse systems
10. Some reactions (Maillard, Strecker, oxidations, caramemizations,  pyrolysisâ) generate new compounds.
11. When food becomes whiter, during a process, it's often that there is a foaming or emulsification.
12. Capillarity moves liquids
13. Osmosis takes place when liquids having different concentrations are separated by an appropriate  membrane.
14. Compounds can move through diffusion


























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samedi 16 décembre 2017

Que manger ?


Une publicité pour une crème dessert, couverte de crème chantilly, avec des éclats de sucre, des noisettes... Dessous, en lettres presque aussi  grosses que celles de la publicité, un avertissement : « pour votre santé, évitez de manger gras, salé, sucré". 

A la réflexion, ce type d'objets, devenus familiers, est tout à fait extraordinaire. D'un côté, on nous engage à manger des bonnes choses, et, de l'autre, on nous dit que c'est très mauvais. Que faire? 

On aura compris que  je considère les lois hygiénistes comme médiocres, inutiles. On ne cesse de nous le dire, partout, qu'il faut éviter de manger gras, salé, sucré. Pourtant nous ne cessons de manger gras, salé, sucré. Pis encore : ce sont les groupes les plus pauvres de la population qui souffrent d'obésité, laquelle ne vient certainement par de l'odeur de la cuisine, mais bien plus d'une alimentation déséquilibrée (car il faut avouer qu'il coûte plus cher de cuire des petits pois que des pommes de terre, du riz ou des pâtes).
Faut-il donc dépenser de l'énergie et de l'argent pour nous donner mauvaise conscience quand nous mangeons des bonnes choses ? Ou bien, serait-il plus avisé de faire une véritable éducation alimentaire, laquelle devra nécessairement s'effectuer dans les écoles ? 


On aura compris que je milite pour la deuxième option... en ajoutant que la morale qu'on nous fait sans cesse me fatigue. A des discours négatifs, je préférerais des discours positifs, encourageants, optimistes. A bas les pisse vinaigre ! A bas les lois inutiles ! Militons pour une éducation enjouée, expérimentale. Apprenons à manger dans le plaisir, et n'oublions pas, d'ailleurs, que la question est l'adéquation des prises alimentaires à l'exercice que nous faisons. Découvrons le monde merveilleux des aliments et de leur transformations culinaires. 


Tout cela existe, et a un nom : les Ateliers expérimentaux du goût (https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/premier-degre/les-nouveaux-ateliers-experimentaux-du-gout), pour les écoles, et les Ateliers science & cuisine, pour les collèges et les lycées (https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/second-degre) !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Qu'est ce que "manger" ?



Il y a « manger », et « bien manger ». 

Jean-Anthelme Brillat-Savarin (j'ai scrupule à le citer : n'importe quel gourmand le connaît) disait que l'animal se repaît, l'homme mange, et seul l'homme d'esprit sait manger... mais je n'aime guère la citation, qui oublie la femme et qui distingue des hommes et des hommes d'esprit. Nous sommes tous d'esprit, puisque nous sommes humains, et je propose de donner à chacun la possibilité de ne pas tomber dans une catégorie trop définitive. D'ailleurs, les prétendus (ou soi disant) hommes d'esprit en manquent parfois gravement, et, d'autre part, je crois que c'est une grave erreur que de sous-estimer nos semblables. 
 
Bref, je préfère penser qu'iil y a manger, d'une part, et bien manger. Ce n'est pas une question de classe, mais une question d'attention, et d'analyse. 
 
Manger, on sait ce que c'est : absorber des aliments. Bien manger, c'est quoi ?
C'est manger de la géographie : que l'on se remémore la querelle du cassoulet de Toulouse ou de Castelnaudary, par exemple ; que l'on examine la consommation des grenouilles, d'un côté ou de l'autre de la Manche ; que l'on se souvienne de la France partagée en pays d'Oc et pays d’Oïl... 

Ce qui nous conduit, puisque nous parlons de temps anciens, à considérer le fait que nous mangeons de l'histoire. Un cas important est l'association du jambon cru avec le melon, qui est une réminiscence de ce temps où les humeurs étaient la garantie de la santé, où il fallait combattre le « chaud » avec le « froid », le « sec » avec l' « humide ». 
Ce n'est qu'un exemple, mais, en réalité, la quasi totalité de nos mets sont historiques ! 
La choucroute ? Si on la mange en Alsace, c'est parce que c'est en Alsace qu'elle a évolué, notamment avec un climat qui permettait à la fois la culture du chou et la production de choucroute. Ce serait bien trop long d'enchaîner les exemples, mais il suffit de penser que si nous mangeons un plat particulier, alors que d'autres (les Allemands, les Anglais, les Belges, les Chinois, les Indiens...) ne le mangent pas, c'est que ce plat a été sélectionné dans l'histoire. 
En réalité, nos aliments ne sont légitimés que par leur consommation ancienne.

Nous mangeons aussi de la socialité, de la religion, de l'art... Bref, nous mangeons de la culture, parce que nous sommes humains... mais je propose de penser, quand même, que cette culture n'est pas une sorte d'étincelle divine, et que, au contraire, elle est un « habillage de la bête ». 
Le chocolat ? C'est du gras pour moitié, et du sucre pour la seconde partie. Or il nous faut du gras pour construire les membranes de nos cellules, et du sucre pour l'énergie. 
La viande ? Ce sont des protéines, c'est-à-dire des atomes d'azote pour la construction de nos propres protéines. 
Les féculents, si universels (riz, blé, maïs...) ? Ce sont des polysaccharides qui vont lentement libérer ce glucose qui est le carburant de notre organisme.

Bref, nous mangeons de la physiologie, de la biologie, et, mieux encore, de la biologie de l'évolution. La culture me semble n'être qu'une façon de ne pas nous résoudre à être des bêtes, qui mangent, se reproduisent, échappent aux prédateurs et trouvent des proies ; une façon de ne pas admettre que nous sommes des sortes de machines qui ont besoin d'énergie pour se perpétuer...

Autrement dit, bien manger, ce serait à la fois faire marcher la machine et lui donner le sentiment qu'elle échappe à sa condition de machine. Mais la machine a inventé une foules d'artifices (au sens littéral du terme) pour se donner le sentiment de ne pas être machine... jusqu'à l'idée de dieu, avec lequel elle entretiendrait des relations privilégiées. 
Nous y revenons : bien manger, c'est manger de la religion, laquelle met des limites dont l'arbitraire est souvent merveilleux. 

 Finalement, manger, c'est donc de la culture... mais nous sommes bien heureux de pouvoir en être là, première génération à ne pas avoir connu de famine dans l'histoire de l'humanité !!!!!!!




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

Que serait un "produit chimique" ?




Lors d'une conférence au Lycée français de New York, Sasha m'a demandé ce qu'est un produit chimique, et je lui ai promis une réponse... distribuée à tous.

Un produit chimique, c'est d'abord un produit, quelque chose qui a été fabriqué, produit.
Cela dit, il y a de nombreuses façons de produire un produit. Par exemple, quand on lave une betterave à sucre, qu'on a râpe, qu'on fait infuser les râpures dans de l'eau chaude, que l'on récupère l'infusion, puis quand on évapore de cette infusion, on obtient du sucre de table. Le sucre de table est donc un produit de l'industrie alimentaire !

Ce produit est-il « chimique » ? C'est une question trop difficile pour commencer. Je propose donc de partir d'un produit plus simple : l'eau de Javel. Cette fois, c'est un produit, puisqu'il a été produit, mais, ce qui est plus spécifique, c'est qu'il a été obtenu par une réaction, avec des réarrangements d'atomes : à partir de divers réactifs, ils ont obtenu un produit nouveau, avec des propriétés nouvelles.

Parfois, lors des transformations de ce type, les modifications sont mineures, mais les modifications des propriétés sont considérables. Par exemple, quand on part de la vanilline, qui est le produit qui donne essentiellement son odeur à la vanille, on sait facilement fabriquer de l'éthylvanilline, qui donne la même odeur mais mille fois plus puissamment.

Le sucre, pour y revenir ? La question est difficile, parce que, s'il est vrai que l'on pourrait obtenir du sucre comme indiqué plus haut, l'industrie du sucre utilise une foule de composés qu'elle ajoute au sucre pour en faire le sucre que nous utilisons. Par exemple, l'industrie du sucre ajoute au « sucre pur » (on dit « saccharose ») des agents anti-mottants, qui facilitent la séparation des grains, qui évitent la formation de « mottes ». Du coup, le sucre n'est plus un produit extrait simplement de la betterave, et il contient des composés chimiques. Le sucre de table est un produit qui est donc fait des produits extraits des plantes, et de produits synthétisés. C'est bien compliqué, n'est-ce pas ?

Mais finalement, si le sucre est un produit, est-il un produit "chimique" ? Stricto sensu non, car on se souvient que la chimie est une science. Or les produits des sciences sont des connaissances nouvelles, et non pas des composés nouveaux, ou alors seulement quand la synthèse de ces composés vient à l'appui d'une découverte en termes de connaissances.
Le sucre ou l'éthylvanilline ne sont donc pas des produits chimiques, mais des composés, et des produits de l'industrie alimentaire.







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Ni adjectifs ni adverbes


La mauvaise littérature fait un usage déraisonnable des adjectifs et des adverbes, tombant facilement dans le cliché ou la périssologie (la forme fautive du pléonasme) : « le blanc manteau immaculé de la neige », « un terrible drame »…
L'épithétisme non voulu est redoutable, et les auteurs naïfs ne doivent pas s'étonner  que leurs manuscrits soient si facilement refusés : une lecture d'un paragraphe suffit souvent à se faire une idée de la médiocrité des textes médiocres.

Evidemment, en écrivant ce qui précède, je me surveille : n'ai-je pas écrit « mauvaise », « déraisonnable », « facilement », « redoutable », « naïfs », etc. ?
Oui, je m'en suis amusé, et l'on me connaît assez pour bien comprendre que cet amusement est pure  joie de vivre, et non ironie caustique. Il s'agit d'aider mes amis à vivre mieux, et, en l'occurrence, à mieux maîtriser l'usage de la langue. Pourquoi cet accès soudain ? Parce que je viens de commencer la lecture critique d'un manuscrit scientifique soumis à une revue de chimie, et que je ne cesse d'écrire dans le rapport : « précis », combien ? « grande sensibilité analytique », combien ? « bien connu », de qui ? « forte proportion », combien ?

La méthode des sciences de la nature faisant usage de la caractérisation quantitative des phénomènes, puis imposant que les mécanismes  proposés pour les phénomènes soient « encadrés » par les lois quantitatives, on comprend que les adjectifs et les adverbes soient des mots difficiles à manier. Petit ? Jolitorax venu voir Astérix et Obélix disait que son canot était plus grand que le casque de son neveu mais plus petit que le jardin de son oncle. Et si l'on riait d'une telle déclaration, vu la différence important de taille  des trois objets, il y avait le germe d'une saine pratique de la description scientifique. Oui, une gouttelette d'huile dans une sauce mayonnaise, avec un diamètre compris entre 0,001 et 0,1 millimètre est « petite » (sous-entendu, par rapport à nous), mais elle est énorme par rapport aux lipoprotéines qui sont dispersées dans le plasma d'un jaune d'oeuf, et, a fortiori, dans la sauce mayonnaise.
Il faut répéter que la description scientifique n'est pas de la littérature, de la poésie ; l'information doit être aussi précise que possible, mais aussi succincte… et c'est la raison pour laquelle notre Groupe de gastronomie moléculaire s'est fait une règle de ne pas utiliser adjectifs et adverbes.
Bien sûr, parfois, ils s'imposent, surtout quand la question est la communication, mais chaque fois que nous rédigeons un rapport, un article…, nous faisons, en fin de travail de rédaction, un balayage pour éliminer ces mots épineux.

Et si cette règle que j'ai introduite il y a quelques décennies à mon usage était imposée à tous ? Et si elle figurait dans les « conseils aux auteurs » ?
Merci de m'aider à penser que ma proposition est insensée.




















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Pas une seconde à perdre pour faire un feuilleté au munster !

Pour les repas de fête, il y a des entrée, des plats, des fromages, des desserts (jusqu'à 13, en Provence, pays béni de ce point de vue), mais une question importante est celles des fromages, qui ne satisfait jamais entièrement les cuisiniers : le plus souvent, on ne peut guère exercer son talent, puisqu'il s'agit surtout d'aller acquérir des produits chez un bon fromager, au mieux de l'avoir fait un peu à l'avance pour que les fromages soient correctement "faits".

Pouvons-nous faire mieux que simplement composer un plateau ? Je propose de travailler les fromages, et, pour cette fois, je vous invite à examiner la confection de feuilletés au munster, une recette merveilleuse qui réconcilie le fromage et la cuisine. 


Pour faire un feuilleté au munster, il faut du munster, ce qui n'est pas difficile à trouver. Il faut aussi de la pâte feuilletée... et c'est là où, souvent, mes amis hésitent. Ce serait difficile, ce serait long... Mieux, lors d'un débat que j'avais organisé à propos du récent décret relatif au "fait maison" (voir http://www.agroparistech.fr/+Conference-debat-Qu-est-ce-que-le+.html), un ami cuisinier a déclaré qu'il était normal que la pâte feuilletée puisse être achetée toute faite, parce qu'elle aurait demandé beaucoup de travail.
Depuis notre débat, j'ai mesuré le temps effectif de travail pour réaliser une pâte feuilletée, et j'ai mesuré... dix minutes seulement. Évidemment, pas dix minutes tout compris, mais dix minutes de travail. Ce serait beaucoup ? Pour les paresseux seulement !

Examinons donc la confection de la pâte feuilletée, quelque chose si élémentaire que j'en fais très souvent, quand je veux faire des desserts pour ma famille. Je ne prétends pas que la recette que je donne ici fasse la meilleure pâte feuilletée, mais je la donne pour montrer que la confection d'un feuilletage est quelque chose de très simple, d'élémentaire, de rapide, d'évident...

On prend une planche, on y dépose un petit tas de farine, on y met une quantité de beurre qui soit environ un quart du volume de farine. On ajoute une grosse pincée de sel fin. Puis on prépare un verre d'eau froide. Du bout des doigts, on travaille beurre et farine pour faire une sorte de sable. On ajoute de l'eau, progressivement, en travaillant, afin d'obtenir une boule pas trop collante. La boule faite, on se verse un peu de farine sur les mains, on les frotte pour faire tomber la pâte adhérente sur la boule. On incorpore tout cela, on filme la boule finale et, les doigts propres, on met la boule au réfrigérateur pendant une demi heure.
Après environ une demi heure ou une heure, on prend la boule, et on l'étale en un disque épais. On prend alors trois fois plus de beurre que l'on en avait utilisé précédemment, et on le travaille entre les doigts. Puis, quand il est bien mou, on fait un disque de beurre que l'on pose sur le disque de pâte. On replie alors la pâte sur le beurre en une enveloppe : le beurre doit être complètement enfermé dans la pâte. On farine le tout, on retourne l'enveloppe, et, au rouleau, on étend l'enveloppe de sorte qu'on obtienne un rectangle à bords arrondis trois fois plus long que large.
On replie alors ce rectangle arrondi en trois, dans le sens de la longueur, on tourne de 90 degrés, et l'on étend trois fois plus long que large. On replie en trois, on filme, et on met au réfrigérateur, à nouveau. Une heure plus tard, on répète l'opération d'étaler, de replier, de tourner de 90 degrés, d'étendre, de replier, filmer et mettre au réfrigérateur.

C'est presque fini ! Quand vient le moment de la cuisson, on répète encore les opérations d'étendre, replier, tourner de 90 degrés, étendre, replier... mais cette fois, on étend bien plus la dernière fois, afin d'obtenir la forme de pâte qui convient pour l'utilisation finale. On cuira alors pendant environ 35 minutes au four, à la température de 180 degrés... et l'on aura un feuilletage.


Dans cette description, j'ai omis une foule de détails. Par exemple, si vous voulez que votre feuilletage gonfle bien, coupez les bords. Ou, inversement, si vous voulez éviter des boursouflures et un gonflement, piquez la pâte avant la cuisson. Si vous voulez un gonflement régulier, posez une grille sur la pâte. Et ainsi de suite.
Mais rappelez vous que je voulais surtout montrer que la difficulté est nulle.

Et puis, vous vous rappelez que je voulais discuter la question du feuilleté au munster. Supposons donc que l'on ait fait un grand rectangle de pâte, deux fois plus long que large. Sur une moitié, on dépose des lamelles de munster, de la crème fraîche, un peu de noix muscade, du poivre. On replie la pâte sur elle même, on soude les bonds. On dore la surface au jaune, et l'on cuit : de la sorte, on aura un produit extraordinaire, une sorte d'oreiller doré, gonflé, au goût suave. L'odeur parfois puissante du munster aura été domestiquée par la cuisson, et l'on aura un goût, un vrai goût, profond, voluptueux, avec ce contraste merveilleux de la "crème" et du feuilletage.

Le recette étant décrite, prenons un moment pour considérer les phénomènes qui auront conduit au succès culinaire.
Il y a d'abord la question du munster et de la crème. Ce n'est pas une question bien difficile : les fromages sont faits de beaucoup de matière grasse, d'eau et de protéines qui forment un réseau. A la cuisson, le réseau de protéines se défait, et le fromage fait une crème... Pensons par exemple à la fondue. De sorte qu'une crème plus une crème (la vraie crème), cela fait une crème, celle qui emplit le feuilleté en fin de cuisson. C'est une émulsion, avec de la matière grasse dispersées dans un liquide aqueux.
Pour le feuilletage, maintenant, on peut distinguer deux parties : la détrempe, faite de pâte et d'eau, et la structure feuilletée. Pour la détrempe, elle est obtenue à partir de farine, laquelle est faite de petits grains, les grains d'amidon, et de protéines qui en présence d'eau, s'attachent en un filet, un "réseau", que l'on nomme le gluten, depuis 1742. Ce filet emprisonne les grains d'amidon, et il donne de la cohésion à la pâte. Comment les protéines se lient-elles en filet, en présence d'eau ? C'est une question passionnante... et sans réponse à ce jour.
Contentons-nous donc d'observer que la pâte tiendrait assez bien sans ce réseau de gluten, mais que le réseau ajoute à la cohésion. Pourquoi la pâte ferait-elle masse même sans gluten ? Parce que l'eau utilisée est tenue par des forces de capillarité entre les grains d'amidon. Il y a donc en réseau deux raisons pour que la pâte tienne : la capillarité et le réseau de gluten.
Puis quand on met du beurre sur la détrempe et qu'on replie, on forme une structure à couches qui est d'abord faite de deux couches de pâte autour d'une couche de beurre. Quand on replie le pâton étalé, on obtient trois couches de beurre, et donc une couche de pâte de plus. Puis on obtient 9 couches de beurre, 27 couches de beurre, et ainsi de suite jusqu'à obtenir 729 couches de beurre, et donc 730 couches de pâte. Tout cela sur l'épaisseur de la pâte : on comprend que ces couches soient donc très minces ! Observons aussi qu'avec 730 feuillets, on n'est pas au mille feuilles, mais il suffirait de replier encore en deux pour avoir ce dernier... et cela doit nous faire comprendre pourquoi il faut étaler très régulièrement les pâtes feuilletées : si on étale de façon irrégulière, deux feuillets voisins risque de se souder, et la pâte risque de moins gonfler. Voici aussi pourquoi les pâtes feuilletées doivent contenir assez de beurre : il faut séparer les feuillets !

Lors de la cuisson, il y a deux gonflements : celui des deux couches de pâte supérieure et inférieure, et celui de la structure tout entière. Pour le gonflement des couches de pâte, c'est l'eau de la pâte qui, s'évaporant, laisse des feuilles croustillantes, séparées par de la matière grasse fondue. Pour le gonflement de la structure, il est dû l'évaporation de l'eau, à nouveau : la "crème centrale" perd de son eau par évaporation, mais la vapeur formée, si elle est bien retenue par la soudure des bords de la pâte, fait gonfler la structure. On doit garder en tête un ordre de grandeur : l'évaporation d'un gramme d'eau (un petit volume correspondant à un cube de un centimètre de côté) fait un litre de vapeur. Et voilà pourquoi le feuilleté au munster prend l'aspect d'un oreiller bien gonflé. Évidemment, il faut éviter que tout ne retombe au sortir du four : c'est pourquoi il faut cuire longuement, afin de bien rigidifier la surface, mais cela aura de surcroît l'avantage que l'on évitera le goût de colle blanche des feuilletages insuffisamment cuits. Pensez bien à ne pas cuire à température trop élevée : il sera toujours possible d'augmenter la température en fin de cuisson.


Et c'est ainsi que vous servirez un merveilleux feuilleté au munster, qui suscitera ce "Ah" de bonheur qui est la récompense du cuisinier et de la cuisinière !




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

En cuisine comme en musique, il y a une question d'interprétation... mais il faut connaître la grammaire !



Il est étonnant, du moins je propose que l'on s'étonne, que le même plat préparé par deux cuisiniers différents puisse être si différent. 

Pour examiner cette question, je propose de partir de très simple : des pommes de terre sautées.
A priori, on prend des pommes de terre, on les pèle pour bien retirer les alcaloïdes toxiques qui sont dans les trois premiers millimètres sous la surface (OK, ici, je milite), puis on coupe en dés, et l'on fait sauter, c'est-à-dire que l'on cuit avec de la matière grasse dans une sauteuse (on ne poêle pas, parce que cela signifierait que l'on a cuit dans un poêlon, et non dans une poêle, comme on le croit fautivement).
Finalement, on récupère des  pommes de terre sautées, qui, idéalement,  doivent avoir un petit croustillant extérieur et être bien cuites à l'intérieur. Évidemment, si on ajoute des quantités considérables de matière grasse, on obtient un beau croustillant, mais les convives sortent alors de table avec une désagréable sensation de lourdeur.

En Alsace, la recette est bien supérieure : pour la confection des  Roigebrageldi (toujours une majuscule sur les noms communs alsaciens), les dés de pomme de terre sont mis directement dans une cocotte, mais on alterne des couches de pommes de terre  émincées, des oignons émincés et des lardons.  Ces derniers apportent encore de la matière grasse, mais moins, et, surtout, ils apportent une matière grasse qui a du goût, de sorte qu'au lieu de faire manger de la graisse, on fait manger du goût, ce qui est l'objectif, n'est-ce pas ?
On ferme la cocotte, et on met au four à 180 degrés pendant une bonne heure.  Le résultat est alors très différent, bien supérieur. Bien supérieur pour de nombreuses raisons, à commencer par le fait que les pommes de terre ont du goût, surtout si le lard a été bien fumé.
De surcroît,  les pommes de terre n'attachent pas, deviennent croustillantes, et, on a la différence de contraste et de goût entre les cubes de pomme de terre et les oignons, ces derniers apportant une sorte de "légèreté".
Bien sûr, j'écris "légèreté" entre guillemets, car c'est un sentiment, mais il est vrai que le contraste est bienvenu. 

Bref, il y a pommes de terre sautées et pommes de terre sautées : le résultat change considérablement selon la recette, tout d'abord. Mais surtout, je peux attester pour avoir souvent mangé des Roigebrageldi que deux cuisiniers alsaciens différents obtiennent des résultats bien différents, parce qu'il y a dans cette affaire une question de soin, de  qualité des pommes de terre, de découpe des oignons, d'ustensile... 

Ainsi, jusqu'ici, je me suis laissé aller à écrire "pomme de terre", mais cela manque considérablement d'intelligence, car il y a des différences considérables selon les variétés, et selon les terroirs. Et même à ingrédients égaux, il y a la question de l'interprétation artistique des mets.
Pour les musiciens, une comparaison : si une ronde est écrite sur une portée, la joue-t-on d'égale intensité, ou bien en l'attaquant et en réduisant le son sur la fin, ou bien en enflant le son progressivement, ou bien... Surtout, si l'on se décide pour une manière particulière, pourquoi le fait-on ainsi ? (réponse : il faut attaquer si elle commence au premier temps, qui est un temps fort, puis... suivre les conseils de Xavier Gagnepain)

On le voit, la question artistique, la question du style s'introduit immédiatement, qu'on le veuille ou non, et la désinvolture ne semble être qu'un manque d'intelligence, de finesse.
Oui, on peut jouer de la musique  en jouant les notes, mais l'expression "tirer son bois" que l'on applique aux mauvais violonistes décrit alors bien le manque de sensibilité qui caractérise la mauvaise musique. Pour la musique, comme pour la cuisine, tout compte, et l'on semble être bien avisé de reprendre la recette et de la discuter.
Par exemple, nous sommes rapidement passés sur la taille des dés de pomme de terre. Quelle taille ? Cette taille dépend-elle de la nature des pommes de terre (oui, bien sûr). Et les oignons : émincés comment ? Et la répartition des oignons et des pommes de terre : aléatoire ? en couches ? de quelle épaisseur ?  Et le lard : en dés, en lamelles, en bâtonnets ? Et du sel ? Gros ou fin ? Et du poivre  : noir ou blanc ? Du piment de Cayenne ? De la noix de muscade ? Du genièvre ? Du  clou de girofle ? Une feuille de laurier ? 

Tout cela étant dit, fallait-il vraiment s'étonner que le même plat soit si différent, sous la patte de deux  cuisiniers différents ? Il y a les artistes... et les autres. 







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Les macarons, au premier ordre

La confection des macarons n'est pas quelque chose de difficile... mais
évidemment la production de macarons parfaits est réservée à ceux... qui auront appris à bien faire les macarons.
A cette fin, il y a l'intelligence
personnelle, l'attention que l'on porte aux détails, et l'intuition qui conduit
à des gestes efficaces, ou bien la compréhension des phénomènes, qui identifie
les facteurs de réussite ; dans ce dernier cas, on ne maîtrise pas les gestes,
mais on sait guider son travail.


Pour commencer, reconnaissons que les macarons sont faits à partir de blanc
d'oeuf, que l'on bat en neige, que l'on sucre, auquel on ajoute de la poudre
d'amandes, et que l'on cuit comme pour une meringue.
Comprendre la confection des macarons, c'est d'abord comprendre qu'il s'agit de battre en neige du blanc d'oeuf. Dans la mousse obtenue, puisqu'il s'agit bien d'une mousse, on ajoute du sucre et l'on continue de battre afin que ce sucre se dissolve dans les "parois de bulles", lesquelles sont liquides : après tout, ce blanc d'oeuf, où l'on met de l'air, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines.

Il se trouve que, quand on bat les blancs en neige avec du sucre, on obtient des
bulles bien plus petites que sans sucre, de sorte que l'on change à la fois l'aspect et la stabilité de la mousse. L'aspect devient plus brillant, tout d'abord. Et la stabilité augmente considérablement, ce qui facilite les manipulations ultérieures.
Puis, pour des macarons, on ajoute de la poudre d'amandes, assez  délicatement, et l'on dépose de petits tas de cette préparation sur une plaque métallique de four.
Quand on cuit, de l'eau de la périphérie de ces petits tas s'évapore, ce qui conduit d'abord à une rigidification de la partie périphérique, à la formation d'une croûte, nommée la coque. A ce stade, selon que l'on cuit plus ou moins lentement, on obtient un intérieur qui contient plus ou moins d'eau, de sorte qu'il est plus ou moins dur. Il ne restera, pour certains macarons, qu'à préparer une crème que l'on placera entre deux coques.


Pour l'instant, restons à cette description simple, sans entrer dans les milles détails qui permettent à certains professionnels de faire mieux que les autres.
Enumérons seulement certains de ces détails : l'âge des blancs d'oeufs, le moment à partir duquel on introduit le sucre quand on bat les blancs, la durée
de séchage avant la cuisson...
Pourquoi n'entrons-nous pas tout de suite dans les détails ? Parce que, je tiens à le répéter, l'essentiel est ... essentiel, et le détail est... du détail.

Examinons donc les principaux mécanismes mis en oeuvre lors des opérations
décrites précédemment. Le premier est le battage des blancs en neige, avec la
production d'une mousse. On part donc d'une solution composée de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. C'est la présence des protéines qui
permet que, quand on introduit de l'air dans ce liquide, il reste sous la forme
de bulles un peu stables (on dit "métastables") au lieu de disparaître quasi
immédiatement, comme quand on fouette de l'eau dans un verre propre.
Avec le blanc d'oeuf, on obtient une mousse, puisque l'on pousse des bulles
d'air dans le liquide et que ces bulles d'air sont de plus en plus nombreuses.
Evidemment, l'épaisseur de la couche de liquide entre les bulles adjacentes
diminue progressivement. Et ce liquide est toujours le liquide initial, fait de
90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Il constitue ce que l'on
nomme des "parois de bulles".

Puis vient le moment où la mousse ne gonfle plus, quand on a atteint environ 95 pour cent d'air : à ce stade, il n'y a plus de place dans l'eau pour y mettre de
nouvelles bulles. C'est le moment où le blanc en neige est ferme.
Si maintenant on ajoute du sucre, par exemple en poudre, le saccharose, qui est le composé quasi exclusif du sucre en poudre, vient se dissoudre dans le
liquide. Pas immédiatement, pas spontanément, de sorte que l'on doit battre un
peu. Mais il se trouve que ce nouveau battage est très utile : il conduit à plusieurs effets favorables. Le premier est l'augmentation de viscosité du liquide entre les bulles. En quelque sorte, en dissolvant du sucre dans un
liquide, on obtient un sirop, lequel est plus visqueux que le liquide initial.
Or si le sirop est plus visqueux, il s'écoule moins facilement, de sorte que la
mousse se déstabilise moins, qu'elle est plus stable.

D'autre part, il y a un autre effet, que l'on observe facilement au microscope
quand on compare deux blancs d'oeufs battus en neige, l'un avec du sucre et
l'autre non : on voit que le blanc battu avec du sucre a des bulles beaucoup
plus petites et plus serrées que le blanc battu de la même manière, mais sans
sucre. Or il se trouve que les mousses à petites bulles sont plus stables que
les bulles à grosses bulles. Je n'entre pas dans les détails, et je renvoie ceux
qui sont intéressés à la consultation d'articles ou de traité scientifiques.
La mousse étant formée, l'ajout des particules solides que sont les grains de la poudre d'amandes conduit à leur simple dispersion dans la mousse. Le  système n'est pas considérablement changé, mais le goût l'est, lui, surtout à  la cuisson.
Examinons cette dernière : quand les petits tas de mousses sont chauffés, le
métal de la plaque ou l'air chaud transmettent leur énergie (leur "chaleur") à
la périphérie des macarons, ce qui évapore l'eau de l'appareil (je rappelle que
l'on nomme "appareil" une "préparation"). Une partie de la vapeur formée
s'échappe dans le four, mais, au contact de la plaque métallique sur laquelle
les macarons sont posés, la vapeur reste dans les macarons... et risque de les
faire gonfler et donc fissurer. D'où l'intérêt d'avoir fait sécher les petits
tas assez longtemps : sans ce séchage, la coque fissurerait à la cuisson.
Le séchage ? Comme la cuisson, il évapore l'eau de la préparation, de sorte que
se forme une couche dure formée de sucre, de poudre d'amandes et des protéines qui auront d'abord coagulé. A l'intérieur des macarons, la chaleur entrera progressivement, de sorte que viendra la température où les protéines coagulent, figeant la structure de la mousse interne. Avec un temps de cuisson encore supérieur, l'eau de l'intérieur s'évapore et c'est ainsi que l'on commandera la consistance exacte des macarons. Il reste maintenant à décrire tout le reste, le détail, mais ce serait trop long pour un seul billet.



Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Les sablés, entre spéculatif et opératif ;-)

J'hésite d'abord à utiliser ces deux mots, spéculatif et opératif, parce qu'ils sont largement utilisés dans des cercles... disons philosophiques.
En outre, les utiliser d'emblée risquerait de tourner au cliché.


Partons donc de quelque chose de simple, de concret : la cuisine. Et, mieux encore, d'un mets populaire, à savoir un poulet rôti.

Il est vrai que l'on peut discuter ce poulet rôti du point de vue de sa production. Il y a des gestes à effectuer pour l'obtenir : prendre un poulet, le tuer, le plumer, le vider, le rôtir. On effectue des opérations, et la description est donc opérative.
Malgré nos cercles philosophiques, conservons le mot, puisqu'il s'impose dans notre langue.

Cela dit, il y a aussi un "commentaire" du poulet rôti qui discuterait les conditions de sa production.
Par exemple, on peut essayer de comprendre ce qui se passe quand on rôtit un poulet. Cette fois, il y a de l'analyse, laquelle peut déboucher sur de l'opératif, des modifications des recettes. Par exemple, si l'on analyse la question de savoir si l'ajout de matière grasse ou de jus sur les suprêmes en cours de cuisson fait ces derniers plus tendres, alors on peut arriver à des modifications de la "recette" : si l'ajout contribue à la tendreté, et dans l'hypothèse où cette dernière est souhaitable, alors on fera l'ajout ; sinon on ne le fera pas (pourquoi faire quelque chose d'inutile).
Dans cette seconde démarche, est-on "spéculatif" ? En latin, la vitre et le miroir sont respectivement specularia et speculum. Le speculator est l'observateur. On ne participe pas à l'opération, mais on la considère.
Est-ce le rôle de celui qui explore des mécanismes de phénomènes ? Est-il simplement un observateur ? Admettons-le temporairement : cela nous conduit à conserver le terme "spéculatif" pour désigner le second type de commentaires.

Le sol sur lequel nous voulions avancer étant affermi, nous voyons que la cuisine peut être abordée d'un point de vue opératif, ou d'un point de vue spéculatif. Et il apparaît - c'est une donnée d'expérience, pas une donnée absolue, mais une donnée à valeur statistique - que nombre de nos "amis" (j'entends par "ami" ceux à qui nous parlons, puisque je propose de ne pas perdre de temps à parler à nos ennemis, conformément à la sentence alsacienne qui dit que, pour manger avec le diable, même une longue fourchette ne suffit pas) sont peu intéressés par les commentaires spéculatifs, ou, inversement, peu intéressés par les commentaires opératifs.

Cela dit, leur intérêt initial importe peu : si la synthèse, la réunion des deux commentaires, se révélait plus "utile" que les points de vue séparés, n'aurions-nous pas intérêt à (1) chercher un moyen de réunir ces points de vue et (2) chercher à montrer à nos amis que cette synthèse est une voie vers laquelle ils gagneraient à aller ?

Pour le (1), c'est ce que j'avais cherché à faire, il y a longtemps, avec mon livre "Révélations gastronomiques" (Belin, Paris, 1997)... mais depuis sa parution, et malgré les encouragements de quelques amis, je reste dans l'idée que la fusion n'a pas été comme on pourrait le souhaiter : le livre est difficile à utilise du point de vue opératif (même si, je le répète, certains amis l'ont largement utilisé), et la "spéculation" est un peu désincarnée, séparée, isolée ; elle apparaît comme gênante, dans la marche opérative.
Une autre tentative remarquable est celle de Madame Saint Ange, avec sa Bonne Cuisine, publiée en 1925 aux éditions Larousse. C'est un livre étonnant, qui sépare bien les parties opératives et spéculatives... mais les sépare. La fusion n'est pas faite.


Il faut donc nous lancer dans une entreprise nouvelle, où nous mettrons en œuvre une méthode nouvelle, conformément à celle que je réclamais déjà de mes voeux dans mon livre Les précisions culinaires (Quae/Belin, Paris, 2012).
Raisonnons. D'abord, il y a un objectif que nous devons identifier clairement : le poulet rôti, par exemple. Cet objectif étant défini, on peut chercher les moyens de l'atteindre, en passant (pardon pour les termes militaires) par stratégie, d'abord, puis tactique ensuite.
Puisque la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique, il faudra que les trois aspects soient discutés à chaque étape. Et, pour couronner la chose, pourquoi ne pas proposer une évaluation, laquelle sera la possibilité de progresser, selon la bonne idée du chimiste Michel Eugène Chevreul "Il faut tendre à la perfection avec efforts sans y prétendre" ?


Essayons, avec une recette simple, de sablés.

Objectif : produire de petits gâteaux sablés.

Analyse de l'objectif : des gâteaux sont des préparations faites de farine, de sucre, au minimum, comme chacun sait. Cela dit, le sucre et la farine ne peuvent, une fois cuits, que faire une poudre, qui n'aura pas de liant. Pourquoi ne pas ajouter de l’œuf ? Ce serait mieux, mais la préparation resterait dure : avec un peu de matière grasse, cela ira bien mieux.
Avec ces première analyse, on obtient un résultat qui a du sens, car le sucre est de l'énergie immédiatement disponible, la farine de l'énergie disponible durablement, l’œuf apporte des protéines qui nous constituent, et la matière grasse s'impose pour constituer notre organisme. Les sablés sont donc des friandises nutritionnellement intéressantes.
Cela étant, les sablés doivent être sablés. Or l'eau apportée par l’œuf (un blanc d’œuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines ; un jaune, c'est 50 pour cent d'eau, 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides) risque de cimenter excessivement la farine, l'eau participant à la formation d'un réseau de protéines nommé "gluten".
Pour conserver le caractère sablé, friable, il faut mettre la farine dans la matière grasse, frotter pour obtenir un sable, ajouter le sucre, qui captera l'eau au détriment du gluten, puis ajouter enfin l'oeuf, qui fera la "soudure" par capillarité, avant cuisson, et coagulation des protéines après cuisson.
Nous avons donc la stratégie. La tactique ? Cela pourrait être le détail des proportions... et là, tout est possible ou presque. Avec des raffinements : par exemple, si l'on grille par avance la farine, ses protéines ne pourront plus faire le réseau de gluten, et le sablé sera friablissime, si l'on peut dire. Une pincée de sel, d'autre part, rehaussera le sucré, affaiblissant l'amer qui pourrait résulter du grillage. Le beurre ? A volonté. De la vanille ? Pourquoi pas. De la cannelle ? Pourquoi pas.
Et ainsi de suite... pour arriver à une proposition : 200 grammes de beurre, 75 grammes de sucre glace, 1 gramme de sel, 1 oeuf entier, 250 grammes de farine.

Ou plus opérativement :
Commencer par griller sous le gril du four 250 grammes de farine jusqu'à ce qu'elle soit blonde. La laisser ensuite refroidir.
Puis, dans une terrine, mettre 200 grammes de beurre.
Ajouter 75 grammes de sucre glace.
Et les 250 grammes de farine grillée refroidie.
Ajouter 1 gramme de sel.
Puis quand toute ces poudres ont été bien amalgamées au beurre, ajouter un œuf, et l'incorporer sans trop travailler.
Abaisser et cuire pendant une dizaine de minutes, de sorte que l’œuf coagule (la durée de cuisson dépend de l'épaisseur des sablés.



A ce stade, la discussion n'a été presque que technique, à l'exception de l'observation nutritionnelle, mais on a manqué toute la partie artistique (par exemple, la pincée de cannelle), et toute la partie de lien social (par exemple, le découpage de la pâte en forme de coeurs, avant la cuisson). Mais c'est sans doute quelque chose qui dépasse ma compétence... et je vous invite à contribuer à l'amélioration de nos sablés en mettant vos commentaires... qui contribueront à l'évaluation envisagée initialement !



















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