Affichage des articles dont le libellé est technique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est technique. Afficher tous les articles

mardi 14 août 2018

Directeur scientifique

Dans un billet précédent, j'ai évoqué la question des "directeurs scientifiques" pour des institutions de recherche telles que l'Inra ou le CNRS. Et j'avais conclu que la tâche était bien difficile... mais je renvoie mes amis vers ce texte que je ne veux pas refaire ici.
Aujourd'hui, c'est une question différente que je veux discuter : celle de ce qui est nommé "directeur scientifique" pour l'industrie.

Oui, pour des sociétés comme l'Air liquide, ou Rhodia, ou Lafarge, etc., qu'est-ce qu'un "directeur scientifique" ? Pour commencer, observons que ces sociétés n'ont pas pour vocation de faire de la recherche scientifique, mais bien plutôt de la recherche technologique ou technique. Je ne dis pas que ces sociétés ne puissent pas payer des scientifiques pour faire de la recherche scientifique, mais j'observe que chaque fois que cela s'est produit, les espoirs ont été déçus... et les services de recherche scientifique ont été les premiers fermés, quand les bénéfices de ces sociétés ont diminué. Et je crois préférable de bien penser une répartition des tâches qui confierait à l'Etat le soin d'organiser la recherche scientifique, le soin à l'industrie de chercher des applications des résultats obtenus par la recherche scientifique, par ce qui se nomme plus justement de la recherche technique ou technologique. La question, dans un fonctionnement de ce type, c'est de bien organiser les relations entre les scientifiques et les services techniques.

Mais considérons le cas d'une grosse société, qui vend des produits ou des services : ordinateurs, médicaments, matériaux, programmes informatiques, aliments... Il s'agit de faire des produits nouveaux pour être en avance sur les concurrents, pour proposer aux clients des produits qui rendent de meilleurs services que les produits des concurrents : programmes plus rapides, médicaments plus actifs, aliments meilleurs, etc. Pour cela, il faut effectivement des ingénieurs qui ne sont pas ceux qui font tourner les usines (les ingénieurs "procédés"), mais des ingénieurs qui connaissent suffisamment les sciences pour comprendre, pour pister ce qui se produit de plus avancé en science, afin d'en faire le meilleur usage.
Raison pour laquelle j'ai proposé que les écoles d'ingénieurs organisent les études autour des trois fonctions : apprendre à chercher les résultats des sciences, apprendre à sélectionner ces résultats en vue d'une application particulière, apprendre à transférer ces résultats pour améliorer les techniques couramment mises en oeuvre.

Pour diriger les ingénieurs qui feront donc ce triple travail, il faut (peut-être) un directeur, mais quel est la nature de ce directeur ?  Si cette personne est un scientifique, c'est bien un directeur scientifique.... mais dans la mesure où il ne fait plus de science, n'usurpe-t-il pas son titre ? Au fond, on n'est scientifique que si l'on pratique la recherche scientifique, mais si l'on fait de la direction d'ingénieur engagé dans la technologie, on n'est plus scientifique, n'est-ce pas ? Etre scientifique, ce n'est pas comme un titre de docteur en médecine ; c'est une activité.
Oui, ce directeur n'est donc généralement pas un directeur scientifique, sauf quand, il y a plusieurs années, une société comme Rhône Poulenc s'est adjoint les conseils de Guy Ourisson, Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes et Claude Hélène, pour guider les ingénieurs vers de l'innovation : nos quatre collègues n'usurpaient pas le titre de "directeur scientifique", puisqu'ils indiquaient des "directions", ce qui est le propre d'un "directeur", et qu'ils étaient scientifiques.
En revanche, aujourd'hui, dans de nombreux cas, les "directeurs scientifiques" sont en réalité des directeurs technologiques ou des directeurs techniques. Et ils ont évidemment une grande importance industrielle !

lundi 9 juillet 2018

Nos étudiants doivent travailler dans l'industrie !


Peut-être ai-je tort de m'exprimer à ce propos, parce que le sujet est politique, donc sujet à controverses, mais c'est en réalité une réponse à des questions que me posent des étudiants.

Beaucoup sont un peu égarés par la cacophonie sociétale, et ils ont une idée fausse du monde réel -et pas fantasmé par des média- où ils vivent. Par exemple, je me souviens d'un étudiant en stage dans notre groupe de recherche qui voulait faire de la science, parce que, disait-il, l'industrie aurait été un milieu humainement effroyable. Il faisait une double erreur : d'une part, à propos de l'industrie, et d'autre part à propos  de la science.
A propos de l'industrie : je ne sais comment il avait eu cette idée fausse sur l'industrie, parce que, quand même, l'industrie, c'est 90 % pour cent au moins de notre pays, et à moins d'admettre que l'humanité est inhumaine, comment penser que toutes les sociétés, petites, moyennes ou grosses, ne soient composées que de gens terribles ? Méfions-nous des généralités, disait justement Michael Faraday)
D'autre part, à propos de science, la question était quand même de savoir s'il avait les capacités pour en faire... et cet étudiant-là était un des plus faibles qui soient jamais venus dans notre groupe. Pour mieux comprendre, d'ailleurs, j'ajoute que j'accepte TOUS les étudiants qui veulent venir apprendre, sans tri, sans sélection, et non pas parce que j'ai besoin de main d'oeuvre (je sais très bien faire ce qui m'amuse tout seul), mais surtout parce que je me sens une obligation morale depuis que la première stagiaire m'avait harcelé pour venir en stage, alors que je refusais tout le monde, et qu'elle m'avais convaincu avec l'observation : "Vous, on vous a accepté en stage".
Bref, pour en revenir à l'étudiant qui détestait l'industrie (sans la connaître), il était aussi enfantin qu'un enfant qui déteste les épinards sans les goûter, et, surtout, il n'avait ni les capacités pour faire de la science, ni les connaissances acéquates... ni la capacité de travail pour rattraper son retard.  Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que ce garçon ait pu, depuis qu'il nous a quitté, devenir capable de faire de la science. En réalité, il faisait partie de ce grand nombre de personnes que la vulgarisation fascine, mais qui ressemblent aux papillons de nuit qui viennent se brûler les ailes sur les bougies qui brûlent dans la nuit.
Cet exemple est le pire de ceux que j'ai rencontrés, mais il n'en demeure pas moins que beaucoup de nos stagiaires venus de l'université ne comprennent pas pourquoi ils devraient viser une carrière "industrielle", et ils veulent faire de la "recherche", sans savoir ce que recouvre ce mot, et sans en avoir la capacité, alors que la fin de leurs études approche. A ce propos de "recherche", je me suis expliqué dans un billet précédent.
D'autres étudiants confondent science, technologie et technique, ce qui, on en conviendra, ne peut guère les aider pour faire des choix... en supposant que le retard qu'ils ont pris leur permettent de le faire encore.
Et d'autres encore ne comprennent pas pourquoi les institutions scientifiques ne peuvent pas accepter tous les postulants, pourquoi tout le monde ne peut pas être fonctionnaire.

Je ne critique pas nos étudiants, mais je propose d'être de ceux qui les aident en leur disant des choses justes, pas démagogiques. C'est pour eux, et pour eux seulement, que je fais ce billet.

Je propose donc de dire, de façon très élémentaire, que ce monde où nous vivons (eux aussi !) -pensons pour l'instant à la France- est un monde où chacun utilise (je ne dis pas "consomme") des ingrédients alimentaires ou des aliments, des briques et des peintures pour se loger, des voitures, bicyclettes, trains et avions pour se transporter, des vêtements, des ordinateurs...
Cela, nous le payons avec l'argent que nous gagnons par notre travail... de production : le plus souvent, nous échangeons notre activité, notre "industrie", contre de l'argent qui paye ces biens dont nous avons besoin. D'ailleurs, je dis "des biens", mais il peut s'agir de services !
Et l'industrie alimentaire de produire des aliments qu'elle fait payer, ce qui paye ses salariés, qui achètent des ordinateurs à sociétés micro-électroniques, des voitures à des constructeurs, de l'énergie à des société idoines, des vêtements à des sociétés textiles ; et chacune de ces sociétés fait payer les biens qu'elle produit, afin de distribuer l'argent qu'elle gagne à ses salariés, qui achètent etc.

On le voit, dans cette affaire de production de biens et de services, les fonctionnaires n'ont pas leur place. Ils ne la trouvent que parce que l'état prélève des impôts, pour harmoniser le fonctionnement de la collectivité nationale. Cet argent permet de créer les routes qui servirons à tous : pour que les citoyens puissent aller travailler ou partir en vacances, pour que les transporteurs routiers puissent faire leur métier, et, plus généralement pour que les citoyens puissent circuler. Il permet de payer des fonctionnaires dans des agences de régulation du commerce, dans des institutions de contrôle de l'hygiène (afin que n'importe qui ne puisse pas empoisonner tout le monde en vendant des aliments malsains).
Je passe sur les nombreux  services de l'état, pour me concentrer sur la recherche scientifique. C'est parce que l'innovation est la clé de la réussite industrielle que l'état paye des scientifiques, qui produisent de la connaissance que les ingénieurs peuvent ensuite transférer, afin d'améliorer la technique. Ce qui pose d'ailleurs une grave question pas résolue, à savoir que les petites entreprises et les artisans n'ont pas d'ingénieurs pour faire ces transferts. D'où des structures nationales pour les aider.

L'argent de l'état étant limité, le nombre de scientifiques ne peut être très grand, l'on ne peut donc embaucher que les "meilleurs". D'où des concours, qui viennent souvent bien tard, après une thèse, un ou deux séjours post-doctoraux : parfois, on n'a de poste qu'à un âge avancé... et un salaire qui est loin d'être celui d'un ingénieur dans l'industrie.
Personnellement, contribuable, je revendique que les institutions de recherche scientifique n'aient que les plus capables : ceux qui ont les "capacités" de faire de la recherche scientifique.

Quelles capacités, au fait ? Comprendre la science n'est pas suffisant : c'est bien pour un ingénieur, qui doit en faire un transfert, mais pas pour un scientifique, qui doit surtout produire de la connaissance.
D'ailleurs, il faut dire aux postulants que la science que l'on fait n'est pas celle du 18e, du 19e ou même du 20e siècle : c'est celle du 21e siècle. La connaissance de la science des siècles passés (mécanique quantique, relativité, prémisses de la biologie moléculaire...)  est bien insuffisante, et il faut bien comprendre la science d'aujourd'hui pour l prolonger. Pour cela, il faut avoir un esprit ouvert, pas dogmatique, afin d'être capable de mettre en question les théories que l'on s'est donné du mal à comprendre. Certainement il faut être rigoureux, minutieux, imaginatif (pour introduire des concepts nouveaux). Certainement aussi il faut savoir calculer comme chantent les rossignols, puisque les deux pieds de la science sont l'expérience et le calcul.

Bref très peu de nos étudiants peuvent devenir scientifiques, et ceux qui le souhaitent doivent s'y prendre très tôt, et ne cesser d'apprendre. Guère de place pour la poussière du monde : les matchs de football, les "voyages", les agrégations décervelées au bistrot... Il faut aimer les équations différentielles, le calcul, les mécanismes moléculaires...

J'ajoute, pour terminer, que ne pas être scientifique n'est pas une tare ! Il n'y a pas de hiérarchie entre la production scientifique de connaissance et la production de biens : un astrophysicien n'est pas mieux qu'un constructeur de ponts, et il y a une fierté à être un bon ingénieur qui orchestre l'activité d'une équipe technique, ou à être un bon technicien qui fait une production de qualité, et, mieux, de qualité sans cesse améliorée.

jeudi 5 juillet 2018

Conseil à de jeunes amis qui veulent faire de la "recherche"

Cela ne cesse de me tomber sur le nez : j'accueille de jeunes amis qui veulent faire de la "recherche", je réponds à d'innombrables emails de jeunes qui veulent faire de la "recherche"... mais les discussions approfondies que j'ai avec eux démontrent à l'envi que ce mot est galvaudé, pourri, connoté, fantasmé...

De la recherche ? Un coordonnier qui se préoccupe de bien enfoncer les clous dans les talonnettes, et qui change de marteau, de clous, de matériau de clous, de façon de taper sur le clous fait de la "recherche" : ce "technicien" (du grec techne, qui signifie "faire") a une "recherche technologique", que j'ai dite "locale", qui lui permet de faire mieux, voire bien.

D'autre part, imaginons un "ingénieur" de l'industrie alimentaire qui soit en charge de la confection de pizza, et qui veut "innover" en faisant des pizzas au basilic. A moins d'être vraiment naïf, on comprendra que l'on ne va pas déposer les feuilles de basilic une à une sur les pizzas où l'on aura déposé de la sauce tomate (à l'aide d'une buse doseuse). Que fera-t-on pour parvenir au but fixé ? Une certaine industrie jargonnante nomme ce type de travail de la "recherche et développement" : s'il est vrai qu'il faut chercher à obtenir l'objectif, il faudra ensuite non pas "développer" (un anglicismes qui permet à certains de parler sans comprendre ce qu'ils disent), mais de "mettre au point". Mais, oui, il y a là de la "recherche".
Cette recherche industrielle, technologique au sens véritable, est parfois bien plus élaborée : par exemple, quand on encapsule des composés odorants dans des nanocapsules, on a intérêt à être très bien formé à la chimie, à la physique, à la biologie, aux mathématiques, et ce n'est pas un savoir universitaire du siècle passé qui permettra de telles innovations.

Et j'en arrive maintenant à la "recherche scientifique", qui est donc l'activité des scientifique. Ce travail ne se distingue du travail précédent que par son objectif : alors que l'ingénieur veut obtenir un "objet" technique, le ou la scientifique cherche à produire une connaissance nouvelle, et pas une connaissance réductible à l'application de théories établies... puisque la science est précisément dans la critique des théories précédentes, en vue de les remplacer par des théories améliorées... voire complètement différentes. Et l'on doit ajouter qu'une théorie n'est pas un vague discours poétique tel qu'on le trouve dans une revue de vulgarisation ou une émission dite "scientifique" à la télévision : c'est du calcul, encore du calcul, toujours du calcul, des équations, encore des équations, toujours des équations... Es bien fini le temps où l'on collectionnait des papillons : la biologie est devenue moléculaire, et même la recherche de filiations entre groupes de papillons est moléculaire, donc réductible  à des équations.

D'ailleurs, en science, on distinguera utilement le travail technique de production de données, et le travail théorique, de production de concepts. Non pas que l'un soit mieux que l'autre, mais surtout que la science n'est pas réductible à la technique.

 Tout cela étant dit, je crois que mes jeunes amis comprennent que ce qu'il cherche à  faire n'est manifestement pas l'activité scientifique (quand elle est ainsi honnêtement décrite) : ils trouveront leur voie utile à la collectivité nationale dans l'industrie... mais c'est là une autre affaire.

jeudi 5 avril 2018

Les sciences de la nature ? Il n'y a qu'une méthode !

Ces temps-ci, je vois nombre d'amis qui confondent rigueur et science.  La rigueur, c'est la rigueur, et Flaubert était rigoureux, ou Mozart, par exemple... mais ils n'étaient pas scientifiques pour autant. De la rigueur, on peut en mettre dans toute activité humaine, et c'est d'ailleurs le propre des gens que j'aime que de ne pas être des tas de viandes avachis, mais au contraire des êtres dressés autour d'une "colonne vertébrale" (quelle est la vôtre ?).


Pour la science, j'ai discuté dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?, la question du mot "science", que les sciences de la nature ont eu tendance à "confisquer"... mais il y a des sciences de l'humain et de la société, qui ne se confondent pas avec elles. Et l'on a le droit de parler de la "science du cuisinier", ce qui ne signifie pas que les cuisiniers soient des scientifiques... au sens des sciences de la nature.





Focalisons nous donc à partir de cette phrase sur les sciences de la nature.
Quel est leur objet, leur unique objet  ?

Chercher les mécanismes des phénomènes, par l'emploi de la "méthode scientifique". 



Et qu'est-ce que cette méthode ?


Elle tient en six points :
1. identifier un phénomène
2. le quantifier (tout doit être "nombré", disait déjà Francis Bacon)
3. réunir les données de mesure en équations nommées "lois"
4. produire des "théories" en regroupant les lois et en introduisant des "mécanismes", assotis de nouvelles notions, concepts... ; à noter que, évidemment, tout doit être quantitativement compatible avec ce qui a été mesuré en 2
5. recherche de conséquences logiques, testables,  des théories
6. tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
7. et ainsi de suite à l'infini en bouclant, car une théorie n'est qu'un modèle réduit de la réalité, pas précis à l'infini (un exemple : Georg Ohm, à partir de ses mesures imprécises, a identifié la loi d'Ohm, mais quand, un siècle après, on y a regardé de plus près, on a vu que la relation entre la différence de potentiel et l'intensité électrique était plutôt sous la forme de marches d'escalier... et c'est l'effet Hall quantique).


Tout cela étant clair, on pourrait me demander : comment êtes-vous sûr que cette méthode est la méthode scientifique ? Ma réponse est que je soumets cette vision à tous les scientifiques du monde entier, dans les pays du monde, à raison d'environ 200 conférences par an, et jamais je n'ai eu de réfutation. Cela est publié... mais, surtout, c'est tiré de l'analyse des travaux des Lavoisiers, Faraday, Pasteur, Einstein, etc. Bref, ce n'est pas une invention personnelle.

D'autre part, on observera que la science (de la nature) ne se confond pas avec la technologie ou l'ingéniérie, ni avec la technique.
La technologie a une visée applicative que la science n'a pas. Je rappelle que la science cherche seulement les mécanismes des phénomènes ; elle ne cherche ni à produire des médicaments, ni à faire des ordinateurs, etc.
La technique, elle, est la production. Elle est améliorée par la technologie, qui prend les résultats de la science pour les transférer.
C'est notamment pour cette raison qu'il faut absolument combattre des terminologies comme "technoscience", qui sont aussi absurde que "carré rond". 

Et pour terminer, j'ajoute que chaque champ - science, technologie, technique- est merveilleux... quand il est bien fait. Il n'y a pas de hiérarchie, la science qui serait mieux, ou la technique, ou la technologie : on ne compare pas des pommes avec des bananes. Et il faut les trois pour que nous parvenions, dans la plus grande clarté intellectuelle, à faire demain un monde meilleur qu'aujourd'hui.

Vive la Connaissance produite, partagée, utilisée pour le bien de l'humanité !

samedi 10 février 2018

Qu'est-ce que la technologie aliimentaire ?

Qu'est-ce que la technologie alimentaire ?

Dépassons les fantasmes et les peurs, dépassons la lutte contre le Grand Capital, dépassons nos idiosyncrasies, et considérons les mots.
Techné signifie "faire". Logos signifie "étude". La technologie est l'étude des techniques en vue de leur amélioration.
Technologie  alimentaire, maintenant ? Il faut donc s'interroger sur  l'aliment.
L'aliment, ce n'est ni l'ingrédient alimentaire, ni seulement le produit de l'industrie alimentaire. L'aliment, c'est ce que nous mangeons, et qui, de ce fait, a fait l'objet d'une préparation qui est dite "culinaire".
Le coq au vin est un aliment, pas la viande de boeuf sur pied. La sauce béarnaise n'est pas un aliment... parce que ce n'en est qu'une  composante : cette sauce s'associe à d'autres partie, pour faire par exemple un "turbot sauce béarnaise", ce qui est un aliment.
La technologie alimentaire, de ce fait, est l'activité de perfectionnement des mets, des aliments.

Et voici un objet de technologie alimentaire , par exemple  :



C'est le "pianocktail", que j'avais inventé en 2001, objet  microfluidique auquel  j'avais attribué un nom emprunté à Boris Vian. L'objet n'est pas celui auquel Vian pensait, mais  j'avais trouvé  amusant de reprendre le mot, car nous avons fait des démonstrations de l'appareil pour la confection de cocktail, en 2003, à la foire de Francfort.



Et, pour terminer, le livre dont voici la couverture est un traité  de technologie alimentaire. Applicable aux  autres champs de la formulation, mais c'est là une autre histoire.












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)


samedi 3 février 2018

Allons-y pour quelques questions

Les élèves des classes de Première doivent faire des "travaux personnels encadrés", et très nombreux sont ceux qui s'intéressent à la gastronomie moléculaire, ou à la cuisine moléculaire, ou encore à la cuisine note à note (pas assez).

 J'ai déjà discuté la différence entre les trois champs, en observant une fois de plus que la gastronomie n'est pas une cuisine d'ordre supérieur, et je déplore que certains élèves s'intéressent encore à la cuisne moléculaire, alors qu'elle est bien dépassée par la cuisine note à note.

Le plus souvent, j'oriente les élèves vers les parties "questions et réponses"  et "questions and answers" de mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, puisqu'il y a des milliers de réponses à des questions, mais, parfois, survient une question qui n'a pas sa réponse dans le site, et que je discute ici. Par exemple :

Quelle est l'importance de nos sens dans notre alimentation ?

La question permet de rappeler cette idée de Theodosius Dhobzansky : tout ce qui se rapporte à du vivant doit s'interpréter en termes de biologie de l'évolution.
Et c'est la raison pour laquelle les travaux de Claude Marcel Hladik et de ses  collègues du Muséum national d'histoire naturelle sont si passionnants : nos amis et collègues étudient comment mangent les singes... et découvrent notamment que les primates ont coévolué avec les plantes, ces dernières offrant des fruits sucrés (les sucres sont de l'énergie) en échange de la dispersion des graines, noyaux, etc. Mais pour reconnaitre l'énergie, ne faut-il pas des yeux qui voient les couleurs, un nez qui voit, une bouche qui perçoit la saveur, par exemple ?
Sans compter -ce sont des travaux d'autres collègues, nutritionnistes ou physiologistes, cette fois- que la perception des goûts permet d'anticiper la digestion de composés particulièrement importants pour notre organisme (le calcium, les graisses, les acides aminés...), en même temps qu'il signale au cerveau quand il faudra s'arrêter de manger.  Mais comment répondre mieux à nos jeunes amis ? En les renvoyant à mon livre "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin), sans quoi je serais ici en train de le réécrire.




Qu'est ce que la cuisine moléculaire va changer dans notre perception des aliments ?

Drôle de question, car la cuisine moléculaire est une technique culinaire rénovée. En gros, au lieu de battre au fouet, on utilise un siphon ; au lieu d'utiliser une sorbetière, on utilise de l'azote liquide ; au lieu de perdre son temps à dégraisser les bouillons à la cuiller, on utilise une ampoule à décanter ; au lieu d'avoir des braisages secs et durs, on valorise des viandes par de la cuisson à basse température...
Les recettes sont les mêmes que par le passé, avec la cuisine moléculaire... et rien de nos aliments ne change profondément... contrairement à la cuisine note à note... mais je ne discute pas ici cette dernière, puisque nos amis ne posent pas la question.

La société actuelle est-elle prête à ce type de changement ?

Non seulement elle est prête... mais les siphons sont en vente dans les supermarchés, les fours ont maintenant des fonctions basse température... et les cuisiniers confondent tant la gélatine avec les gélifiants que j'avais introduits (agar-agar, alginate, etc.) qu'ils en viennent à parler de "gélatine végétale"... ce qui n'est pas possible, puisque la gélatine est extraite des animaux. Ils veulent dire "gélifiant".

Bref, la révolution de la cuisine moléculaire est faite, et il faut absolument passer à la suite : la cuisine note à note.



dimanche 31 décembre 2017

A propos de stage de gastronomie moléculaire

Par email, par courrier, par téléphone, par sms, je reçois de très nombreux messages d'étudiants intéressés par la gastronomie moléculaire ou par la cuisine moléculaire, voire la cuisine note à note, ce qui me réjouit évidemment, car cela prouve que je réussis à partager ma passion pour la connaissance et ses applications.

Pourtant j'ai souvent peur que  nos amis soient déçus, notamment quand il s'agit d'étudiants qui me demandent s'ils peuvent venir faire un stage dans notre équipe de recherche. Par exemple, ce matin, une étudiante anglaise me disait s'être amusée beaucoup à faire des chocolats chantilly, des berzélius, des gibbs…  La semaine dernière, c'était un correspondant autrichien qui  faisait un dirac et un gibbs.  Je ne parle pas de ceux qui font des perles d' alginate ou qui utilisent des siphons, car il s'agit là de cuisine moléculaire, telle que je l'ai proposée il y a 35 ans, et ma réponse est alors qu'ils feraient mieux de s'intéresser à la cuisine note à note.
Ce qui me trouble, c'est que mes interlocuteurs me parlent souvent de cuisine, quand je parle moi de gastronomie moléculaire,  et je veux profiter d'un message reçu il y a  quelques instants pour donner deux exemples des travaux que nous faisons au laboratoire afin de donner des explications pour le futur.

Nos jeunes amis sont de deux types principaux : il y a les cuisiniers, et les étudiants en science et en technologie, mais invariablement, je réponds  à tous que, dans notre groupe de recherche, notre travail quotidien consiste à mettre en oeuvre des méthodes d'analyse, telle la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, la fluorimétrie, l'électrophorèse capillaire, la chromatographie en phase gazeuse avec spectrométrie de masse, ou bien,  pour la partie théorique, nous cherchons à résoudre des équations différentielles ou des  équations aux dérivées partielles. Je donne maintenant un exemple de chaque cas.


Des manipulations, base de la science expérimentale

Pour chercher les mécanismes des phénomènes (ce qui est l'objectif des sciences de la nature), il faut identifier les phénomènes,les caractériser scientifiquement, en vue de disposer de beaucoup de données quantitatives, que l'on réunira en équations.
Commençons donc par une étude de spectroscopie par résonance magnétique nucléaire  (RMN), faite il y a peu : à  l'occasion d'un travail sur la « cuisson des aliments », avec une étudiante venue de l'Ecole de chimie de Strasbourg, nous avons cherché les performances d'une méthode analytique que j'avais proposée il y a quelques années et qui a pour nom « spectroscopie de résonance magnétique nucléaire in situ quantitative ».
Commençons avec la « résonance magnétique nucléaire », ou RMN. L'idée est de mettre un échantillon de matière (pensons à de l'eau, pour  faire simple) dans un gros aimant, puis d'appliquer  pendant quelques instants un petit champ magnétique  perpendiculaire au champ du gros aimant.




De la sorte, les aimantations des noyaux d'atome d'hydrogène (par exemple) de l'échantillon de matière sont d'abord basculés par le gros  aimant, jusqu'à ce qu'un état d'équilibre soit atteint ; l'application du second champ magnétique fait comme quand on tape sur une cloche, et l'analyse par  RMN s'apparente à l'analyse mathématique du bruit de la cloche. En pratique, on mesure le retour des aimantations des atomes  à l'équilibre… et l'on en déduit  comment les atomes  sont liés dans les molécules.
Par exemple, quand on analyse ainsi de l'éthanol, l'alcool des vins  et eaux—de-vie, on détecte, à partir des "spectres" obtenus, que trois atomes d'hydrogène sont liés à un premier atome de carbone, lequel est lié à un second atome de carbone, lequel est lié à deux atomes d'hydrogène, et à un atome d'oxygène, qui  est lui-même lié à un atome d'hydrogène.

Voilà donc pour la résonance magnétique nucléaire, laquelle ne fait usage d'atomes radioactifs, comme le craignent ceux qui entendent le mot « nucléaire » sans le comprendre (ils ont  raison d'être prudents, mais il ne faut  pas être timoré).
Bref, nous utilisons, dans  notre  équipe, de l'analyse par RMN pour analyser des liquides variés, par exemple du bouillon de carotte, lequel  est fait  d'eau et de divers sucres et acides aminés, ou des yaourts, des sauces,  etc. A partir des analyses, nous dosons notamment les  sucres et les acides aminés, mais tout aussi bien les matières grasses, l'acide lactique, etc.
Il y a plusieurs années, j'avais eu l'idée que notre technique pouvait s'appliquer à des morceaux de carotte, par exemple, et pas seulement à des liquides. C'est ce que j'ai nommé « analyse par RMN in situ quantitative ». La proposition est merveilleuse, parce qu'elle évite les « extractions », que les physico-chimistes pratiquent couramment. En effet, habituellement,  pour faire des analyses par résonance magnétique RMN, on produit d'abord une solution des composés que l'on veut doser et l'on dose cette solution. Par exemple pour analyser les sucres présents dans la racine de carotte, on met la carotte sous vide pendant quelques jours, on la broie, puis on la fait bouillir longuement dans des solvants organiques, tel le méthanol (évidemment, on utilise des matériels qui n'ont rien de casseroles!); on filtre et on centrifuge (avec une centrifugeusee qui n'est pas celle d'une cuisine !) la solution obtenue, et l'on récupère finalement une solution que l'on dose. Tout cela se fait sur des quantités aussi petites que possible : en général, on manipule sur des quantités qui ne sont même pas la pointe d'un couteau.
Par RMN (c'est aussi vrai pour  d'autres méthodes d'analyse), on obtient un spectre, c'est-à-dire une sorte de  figure avec des montagnes pointues… à condition, bien sûr, d'avoir fait correctement les choses, d'avoir appris à "conduire" la machine, ce qui impose de comprendre comment elle fonctionne, donc de savoir la constitution de la matière, mais aussi les phénomènes de physique quantique, d'électromagnétisme...


On doit apprendre à reconnaître à quels atomes correspondent les  « montagnes », mais, pour doser, on doit calculer leur aire, c'est-à-dire la quantité de surface comprise entre  les montagnes et  la ligne de base.

Ajoutons que ces calculs d'aires ne sont qu'une toute petite partie du travail. Une  fois une aire obtenue, il faudra la comparer à des aires obtenues pour des solutions connues, avec des quantités connues de sucres dans de l'eau.
Ce que ma description ne dit pas, surtout, c'est que le spectre n'est obtenu qu'au terme d'une infatigable minutie.  Préparer la moindre solution suppose d'avoir lavé de la verrerie, de l'avoir séchée, de l'avoir pesée (trois  fois, sur une balance de précision), d'avoir calculé la moyenne des masses mesurées,  la dispersion des mesures, d'avoir ajouté un liquide, d'avoir pesé à nouveau, en pesant la différence de masse du flacon dont on extrayait le liquide pour le transvaser…
Bref, il  a fallu peser des milliers de fois, avec le plus  grand soin, souvent  sous des hottes aspirantes, en portant des gants et des lunettes de protection, quand on manipule des produits tels que les solvants organiques. En outre, peser, cela semble simple, mais, pour de la recherche scientifique, il faut  d'abord s'assurer que la balance est fiable, qu'elle est bien horizontale, qu'elle donne des résultats cohérents… Il faut lui éviter les courants d'air, tarer lentement, prendre son temps pour que la balance (de précision) se stabilise, tarer encore, peser plusieurs fois de suite avec, chaque fois, ces attentes, ces gestes minutieux qui ne doivent rien renverser des produits dangereux que nous manipulons… Des heures, des journées, des semaines, des mois… Sans compter qu'il faut  consigner le plus précisément possible la totalité des détails expérimentaux, du premier au dernier,  en ajoutant que je suis passé extrêmement rapidement sur de nombreuses opérations. Et c'est seulement un soin extrême qui permet finalement d'obtenir un résultat que l'on pourra interpréter, à l'issue, évidemment, de beaucoup de calculs… ce qui déplaît à ceux qui n'aiment pas le calcul, mais donne du bonheur  à ceux qui aime la composante expérimentale de la science bien faite.

La composante théorique

Passons maintenant à la partie théorique de notre activité, encore avec un exemple. Un des travaux de notre équipe, il y a quelque temps, a consisté en une « modélisation » de la libération de composés par des gels complexes. Pour ce travail, il s'agissait de résoudre  numériquement des équations qui décrivent comment  un composé présent initialement dans un gel peut en sortir, pour aller se dissoudre dans une solution où le gel est placé, ce qui « représente » le cas d'un aliment dans la bouche.
En pratique, il faut utiliser un ordinateur pour construire une  représentation d'un gel (un ensemble de points de l'espace pour lesquels on définit des propriétés qui sont celles des gels), et placer ce « modèle de gel » dans un « modèle de solution », à savoir un ensemble de point de l'espace dont les propriétés sont celles d'un liquide. En utilisant des équations, telles celles qui décrivent le mouvement des molécules (dans le gel, dans le liquide), on calcule le mouvement de ces molécules, par « pas » de temps : par exemple, au  début de la mise en contact du modèle de gel et du  modèle de liquide, puis tous les millièmes de seconde.
Là, il s'agit donc d'utiliser un ordinateur, et de faire des programmes pour résoudre des équations. Là encore, l'activité plaît  à ceux  qui l'aiment, et déplaît à ceux qui  ne l'aiment pas, et, là encore, on programme pendant des jours, des semaines, des mois…
J'oublie, enfin, de signaler que les « expériences », réelles ou informatiques, doivent faire l'objet de « validations » : nous les répétons afin de les vérifier, nous les remâchons, nous les ruminons, nous y pensons sans cesse, car nous savons que le diable est caché derrière tout calcul, toute manipulation. Et tout prend beaucoup de temps.

Ce n'est pas de la cuisine, mais de la gastronomie moléculaire !

Bien sûr, ces exemples ne sont que des exemples, mais ils montrent bien à quel point notre activité de recherche n'est pas de la cuisine ! Quand nous fabriquons des bouillons de carotte, nous les faisons cuire pendant des semaines, des mois, des années… Et nous faisons évidemment des choses immangeables, parce que l'objectif n'est pas de préparer des aliments, mais de comprendre comment les aliments s'obtiennent, de comprendre les mécanismes des phénomènes qui ont lieu lors des transformations des ingrédients en aliments.

Finalement, il y aura la communication des résultats obtenus, et elle ne surviendra donc qu'après des années de travail, mais c'est ainsi que l'on produit  de la connaissance fiable, de bonne qualité. Il faut beaucoup de temps, d'énergie, beaucoup de patience,  mais il est vrai que l'on a immense plaisir, en fin de travail, d'avoir repoussé un peu les limites de la connaissance. Un peu seulement … mais ce peu est pour nous essentiel, parce que c'est la mission que  nous nous sommes donnée.

On le voit, finalement : pas de chocolat chantilly, pas de sauce, pas de viande grillée… mais de la recherche scientifique, soigneuse, rigoureuse, et, surtout, l'immense bonheur de contribuer à la production connaissance par la recherche scientifique.

Vive les sciences quantitatives, vive les sciences de la nature !






























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 20 décembre 2017

Puis-je sourire (moquerie) ?

On se souvient qu'il faut de la parfaite bonté, bienveillance, gentillesse... mais, parfois, les prétentions sont ahurissantes. Surmontons nos (petites) indignations, donc, pour conserver un état d'esprit parfaitement positif... sauf quand nous pouvons profiter de la chose pour dire des choses justes et utiles.

En l'occurrence, je combe sur  le paragraphe suivant :

"Les découvertes, au sens où je l'entends, résultent des travaux de recherche fondamentaux correspondant aux efforts faits par les chercheurs pour comprendre le monde qui nous entoure. Les inventions techniques sont des dispositifs nouveaux qui fonctionnent, mais n'ont pas forcément trouvé une application  grand public. Les innovations technologiques correspondent à des inventions pouvant résulter de découvertes et qui ont tuvé leur marché et leurs applications grand public."
 

Pourquoi ce paragraphe est-il risible ?
D'abord, parce que le mot "découverte" n'a guère a être défini par notre homme, surtout si mal. La découverte est à la fois l'acte de découvrir et l'object découvert, mis à la connaissance.
Et la "découverte scientifique", dans la seconde acception, est le fruit de la "recherche scientifique", terminologie qui est quand même plus précise que "recherche fondamentale". D'ailleurs, à ce sujet, on observe que le paragraphe n'utilise pas cette expression, mais plutôt "travaux fondamentaux de recherche" (je réorganise pour mieux faire sentir la chose).

Surtout, il y a cette distinction entre innovation technique et innovation technologique. Là, notre auteur dit le contraire de la langue, très illégitimement. Nous n'avons pas besoin de lui pour redéfinir les termes, même s'il appartient à une de nos académies. 
Une innovation est d'abord le fait d'innover, avant d'être le résultat de cette action, une chose nouvelle introduite. Bref, une innovation est une nouveauté, qu'elle ait ou non des applications dans un champ technique.
Pour la "technique", c'est le faire. Par exemple, la cuisine est une technique, ainsi que la plomberie, l'analyse chimique, la médecine, la confection de routes... Et "innovation technique" est  une expression un peu ambigüe pour signifier innovation de la technique. Par exemple, le siphon, en cuisine, est une innovation de la technique (culinaire), puisqu'il remplace le fouet.
Pour l'innovation technologique, c'est une innovation qui concerne le domaine de la technologie, donc du perfectionnement des techniques. Par exemple, quand un logiciel de conception des puces microélectroniques remplace le dessin des puces par des dessinateurs industriels dans des bureaux d'étude, c'est une innovation qui concerne la technologie, donc techonologique.
Bien sûr, on pourrait arguer que les dessinateurs industriels font un travail technique, de sorte que le logiciel serait une innovation technique. OK, passons alors au travail de l'ingénieur proprement dit : un logiciel qui lui permet de mieux connaître des flux de matière dans son usine facilite et transforme son travail. Innovation technologique.

Bref, les mots ont des sens qui ne nous appartiennent pas, et il faut beaucoup de stature pour avoir la moindre chance de bouleverser les mots... en supposant qu'il y ait un vrai besoin de le faire.
Mais, surtout, si l'on introduit des concepts nouveaux, pourquoi ne pas introduire des mots nouveaux ?

samedi 16 décembre 2017

Pour la science nommée chimie, une partie d'analyse, une partie de synthèse


La « chimie »  serait une grande famille, qui aurait la volonté de réunir des techniciens, des ingénieurs, des scientifiques ?

Pourquoi pas : toutes ces personnes se retrouvent autour de l'idée selon laquelle le monde est constitué d'atomes qui se réorganisent selon des lois particulières.
C'est donc, du point de vue de l'étude scientifique, quelque chose qui est de nature physique, puisque la physique est la science de la nature par définition, mais une branche de la physique particulière, car cette étude n'a rien à voir avec l'optique, ou l'électricité, ou l'hydrodynamique...

Et j'ai longtemps hésité, à propos du nom à donner à cette science, mais mes recherches historiques me montrent qu'il faut sans doute employer le nom de chimie pour l'activité scientifique qui étudie les réarrangements d'atomes.


Pour cette science, la tradition a toujours fonctionné avec au moins deux pieds : l'analyse et la synthèse.

L'analyse a toujours été essentielle, puis qu'il fallait comprendre la nature de la matière et son évolution.
Et la synthèse est essentielle, puisqu'elle construit des systèmes nouveaux que l'on peut analyser. D'ailleurs, il y a de la synthèse dans deux types d'activités : soit pour tester la nature, et en comprendre les lois ; soit pour obtenir des résultats, à savoir des médicaments, des pesticides (je répète qu'il vaut mieux des pesticides bien conçus que les pesticides naturels, non ciblés...).

Evidemment les individus dont l'esprit n'est pas assez élevé pour comprendre qu'il n'est pas nécessaire de dénigrer l'objet dont on veut faire l'éloge n'ont pas manqué d'abaisser l'analyse quand il faisaient de la synthèse, et vice versa. Mais les individus les plus éclairés, eux, savent qu'il faut deux pieds pour tenir debout.

Apprenons à dépasser ces querelles idiotes. Pour la chimie, il faut de la synthèse et de l'analyse, et c'est ainsi que la chimie est une science merveilleuse !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

La chimie est une science merveilleuse !


Quand je dis chimie, je dis  chimie, c'est-à-dire que je dis « sciences qui étudie les transformations de la matière », et ce que je ne confonds ni avec la technique de production des composés, ni avec la technologie qui utilise les résultats de la science chimique pour améliorer la technique. J'ai mis longtemps à le comprendre, mais c'est maintenant clair : la technique et la technologie fondés sur la chimie doivent recevoir d'autres noms que "chimie".


Par exemple, de l'eau que l'on chauffe s'évapore  : il y a une transformation, puisque la vapeur d'eau et l'eau liquide apparaissent différemment. Toutefois ce n'est pas de la chimie, puisque ce n'est pas là une activité de science. D'autre part, il  n'y a pas, ici, de "réactions", puisque les molécules sont toujours des molécules d'eau, qu'elles soient dans le liquide ou sous la forme d'un gaz nommé vapeur.
Au contraire,  si l'on fait passer de la vapeur d'eau sur du fer réduit en poudre (en pratique, il suffit d'utiliser un morceau de fer et une simple lime) et chauffé jusqu'à être rouge,  alors la vapeur d'eau se transforme en  un mélange de deux gaz qui ne sont plus de la vapeur d'eau : il s'agit de dihydrogène et de dioxygène. Les molécules ont été modifiées, et les propriétés des deux gaz n'ont rien à voir avec celles de la vapeur d'eau ; notamment, si l'on approche une allumette du mélange des deux gaz, il explose, alors que la vapeur d'eau, elle, n'a pas cette propriété. Cette fois, il y a eu réaction, et l'on devrait plutôt parler de transformation moléculaire.

La chimie est donc l'activité scientifique qui consiste à étudier les  transformations des molécules, et, plus généralement, les réarrangements d'atomes (il y a ici une petite subtilité de spécialiste, en ce sens que des solides tels que le sels ne sont pas composés de molécules, même s'ils restent évidemment composés d'atomes).

Mais nous sommes samedi, et je ne veux pas m'intéresser aujourd'hui à  la discipline scientifique que j'aime et que pratique, mais à la technique qui découle de la chimie, et qui continue de m'éblouir, parce que, par des actions simples comme chauffer, couper, broyer, illuminer, etc.,  on parvient à réorganiser les atomes.
Cela, le cuisinier le fait : quand il chauffe du sucre de table dans une casserole, les molécules de saccharose qui constituent le sucre de table sont modifiées, et il obtient une masse qui est classiquement nommée caramel, et qui est constituée d'autres molécules que celle de saccharose. Le cuisinier, par conséquent, opère des réactions moléculaires. Observons qu'il n'est pas chimiste pour autant : il n'est pas un scientifique qui étudie ces transformations, mais un technicien (certes, parfois doublé d'un artiste) qui les met en oeuvre.

Dans ce billet,  ce que je veux dire, c'est que la science de la chimie, la chimie, a produit des connaissances, est devenue progressivement capable de décrire les organisations d'atomes,  notamment en molécules, et que ces loi, règles, équations, permettent de prévoir des réactions qui n'ont jamais été faites.
Ce qui est extraordinaire, c'est que, à l'aide des descriptions  qui ont été patiemment mises au point par les chimistes du passé, les chimistes d'aujourd'hui deviennent capables de prévoir le résultat de réactions jamais imaginées, jamais pensées, jamais faites, et avec beaucoup de précision, de surcroit.
Pas en cuisine, toutefois... pour l'instant. Pas en cuisine, mais de nombreux sites, qui sont nommés souvent laboratoires. On écrit une équation toute simple, on observe son résultat, obtenue extraordinairement simplement.. et l'on constate que le résultat est juste quand on fait  l'expérience ! Quelle puissance extraordinaire de ces équations ! De ce fait, puisque la cuisine est une activité qui met en oeuvre des réactions moléculaires, on ne peut s'empêcher de se demander quand, enfin, les cuisiniers deviendront capables d'utiliser ce langage en équations de la chimie pour prévoir les résultats qu'ils obtiendront.

Vraiment la chimie est merveilleuse...









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

vendredi 1 septembre 2017

Pourquoi j'aime tant les sciences de la nature ?

Pourquoi j'aime tant les sciences de la nature ? La question m'est posée ce matin par un étudiant qui cherche à déterminer l'activité professionnelle vers laquelle il se dirigera. Il se trouve que, après que nous avons en commun analysé ses goûts personnels, ses inclinaisons, nous en sommes venus à lui proposer de choisir une direction parfaitement différente de la mienne.
Mais avant d'en arriver à cette dernière, j'ajoute que nous avons évoqué à la fois les activités proprement dites, et les circonstances de leur exercice, selon le bon principe qu'une activité professionnelle s'analyse en termes d'intérêt intrinsèque (l'intérêt du travail, pour une personne particulière), extrinsèque (combien l'on gagne, par exemple) et concommitant (la reconnaissance sociale par exemple).

Ainsi, dans les grosses sociétés, la loi et les possibilités financières procurent des comités d'entreprises bien dotés, des formations, des tas d'avantages que l'on n'a pas quand on travaille dans de petites sociétés, ou en libéral, ou quand on est fonctionnaire… Inversement, il y a une organisation bien plus lourde, une stratégie qui dépasse tous ceux qui sont en bas de l'échelle, par exemple.

Dans les petites sociétés, d'autres avantages, et d'autres inconvénients. Par exemple, dans une activité précédente, dans une petite société, je n'ai pu avoir que deux semaines de vacances par an pendant de très nombreuses années. Certes, les vacances que je ne prenais pas étaient payées, mais, la société étant petite, nous n'avions pas la possibilité de faire différemment, et nous n'étions pas en phase avec un environnement où les amis, familles, relations étaient plus disponibles. Il n'y avait pas de comité d'entreprise, nous n'avions pas besoin de représentation syndicale, par exemple, mais nous avions bien des avantages. Par exemple, une hiérarchie réduite, une plus grande responsabilité, et une action plus directe sur la marche de l'entreprise.
En libéral, que je connais pour d'autres raisons,  on est son propre maître, et il y a une liberté absolue… dans les limites d'une activité suffisante… Evidemment, on doit alors tout faire, au lieu de confier à d'autres le soin de faire fonctionner la structure.
Le fonctionnariat, lui, a d'autres avantages et d'autres inconvénients, et, pour ce qui me concerne, ayant connu les deux types d'activités, industrielles et publiques, je peux dire que je ne supporte mon statut de fonctionnaire que parce qu'il me donne la possibilité d'une action véritablement politique, au sens quotidien du terme, et non pas de la politique politisante.

Mais revenons à notre jeune homme. Nous avons donc conclu pour lui une direction qui était différente de la mienne, et qui, pour lui, sera bien préférable. Alors pourquoi, pour ce qui me concerne, fais-je tant de sacrifices pour mon activité actuelle, scientifique ?
En réalité, je suis exactement à ma place, parce que je ne suis pas remis des deux caractéristiques qui fondent la science, et, plus particulièrement, la physique chimique.
Ainsi, j'ai raconté dans un livre (La Sagesse du Chimiste, Editions L'oeil neuf) comment l'expérience de l'eau de chaux qui se trouble m'avait émerveillé à l'âge de six ans, et, en en parlant, je retrouve cet éblouissement intérieur, qui, au fond, ne m'a jamais quitté. Je revois le moment exactoù j'ai fait cette expérience, les circonstances, le lieu où je me trouvais, l'heure du jour où j'ai vu la première fois la matière se transformer, comme on pourrait dire un peu hâtivement.


Mais peu après il y a eu cette compréhension complémentaire que l'on peut exprimer par cette phrase de Galilée : « Le monde est écrit en langage mathématique ». Oui, il y a là, peut être encore plus que pour le premier cas, quelque chose d'extraordinaire. J'ai d'ailleurs bien choisi mes mots : dans le premier cas, il y avait un émerveillement, mais dans le second, il y avait quelque chose de quasi surnaturel, de littéralement miraculeux. De ces miracles quotidiens qui sont comme des paillettes d'or emportées par le flot, et que nous ne voyons que si nous décidons d'aller y voir.
L'expérimentation, d'une part, et la théorie, de l'autre. Nous sommes solidement campés sur ces deux pieds. L'un ne se conçoit pas sans l'autre, et, contrairement à une idée fausse, les sciences de la nature ne sont donc pas des nébulosités et les scientifiques des farfelus échevelés ; au contraire, leur activité est profondément enracinée dans le travail expérimental, dans les « faits ».


A ce mot, je tressaillis évidemment, car j'entends bruire une certaine épistémologie un peu faible,  qui ne manquera pas de nous dire, suivant quelques arguments d'autorité qui méritent d'être renversés, que les faits n'existent pas… mais Alexandre a tranché le nœud gordien, et nous devons faire ainsi pour ce qui concerne l'épistémologie. Que l'on ne me prenne pas pour un perdreau de l'année : je connais les discussions qui ont eu lieu à propos de la mécanique quantique, je connais les discussions épistémologiques autour des faits… mais j'invite mes amis à se souvenir que nous avançons quand nous bougeons les jambes, que nous sommes essoufflés quand nous courons, que nous avons chaud quand le soleil brille, froid quand la neige tombe… Quand je plonge un thermomètre dans de l'eau qui me brûle la main, je vois le niveau du mercure s'élever dans le canal central de l'appareil ; quand je branche un fil conducteur aux bornes d'une pile, ce dernier chauffe et je me brûle. On le voit, je ne parle pas de vérité, mais de faits expérimentaux.

Allons, dépassons ces discussions dont l'intérêt est plus que limité, en vue de mieux identifier ces enthousiasmes qui nous font lever le matin. Oui, je crois que les sciences de la nature sont merveilleuses, et notamment parce qu'elles sont l'honneur de l'esprit humain.
Et oui, j'ai ce bonheur inouï d'avoir une passion pour l'expériemntation et le calcul, c'est-à-dire eexactement ce qui constitue la science. J'ai donc cette chance sublime d'être parfaitement à ma place, et cette possibilité extraordinaire de n'avoir qu'une envie quand je me lève le matin : aller au laboratoire. Et non pas aller au laboratoire pour voir les collègues, les étudiants, mais bien plutôt pour me régaler des difficultés des expériences bien faites et des subtilités des théories, de leur merveilleuse adéquation aux expérimentations : quel bonheur !




PS. Pour le jeune ami qui est venu me consulter, il est apparu qu'il aurait été malheureux, au long cours, d'avoir cette activité activité qui me passionne tant, mais nous sommes convenus qu'il serait très heureux d'avoir une activité technique, puisque cela est plus dans ses goûts. Je lui souhaite beaucoup de réussite... laquelle découlera logiquement de son engagement et de son activité soutenue, dans cette voie.

dimanche 15 janvier 2017

Scientifique ?

Le mot "scientifique" est souvent dévoyé, détourné de son sens par des personnes qui ne le comprennent pas, ou bien qui, sciemment, l'utilisent à des fins pas toujours honnêtes. D'ailleurs, dans ce second cas, on voit aussi apparaître le mot "prouvé", souvent dans l'expression "prouvé scientifiquement", qui est un oxymoron, c'est-à-dire l'alliance de deux termes contradictoires. Expliquons.

 Scientifique ? Il y a un rapport à la science, et, dans ces matières, aux sciences de la nature plutôt qu'aux sciences de l'être humain et de la société. Pour ces sciences, le travail consiste à observer les phénomènes, les quantifier, réunir les données en lois, chercher des mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois, chercher des prévisions théoriques utilisant ces mécanismes et tester expérimentalement ces prévisions en vue de les réfuter, afin d'arriver àde nouveaux mécanismes mieux appropriés. Jamais de "preuve", puisque les théories sont insuffisantes par principe.

Cela étant posé, quels objets méritent-ils d'être nommés "scientifiques" ? Ceux qui se rapportent à la science. Donc pas des observations médicales, par exemple, puisque le grand Claude Bernard a bien montré que la médecine est une technique, et non pas une science. Pas des observations agronomiques, puisque l'agronomie est une technologie, et non pas une science. Plus généralement, pas des observations relatives à une technique, sans quoi il s'agit de technologie et non pas de science. A ce titre, il faut bien dire que la science nommée gastronomie moléculaire n'a pas pour but d'améliorer la cuisine, sans quoi ce serait une technologie, mais bien d'identifier des phénomènes ou des mécanismes inédits, la cuisine servant seulement de terrain d'exploration. Bien sûr, la gastronomie moléculaire a des applications en grand nombre, pédagogiques ou techniques, de sorte qu'il existe effectivement une technologie culinaire fondée sur la gastronomie moléculaire... mais qui ne se confond pas avec elle !

La vulgarisation ? Ce n'est pas non plus de la science, mais de la vulgarisation... et je connais nombre de spécialistes des "sciences studies" qui, hélas, confondent le discours qu'ils comprennent (de la vulgarisation) et la science. La question n'est pas neuve, malheureusement, et l'on s'est demandé depuis longtemps quels critères permettaient de répondre aux question suivantes.
Comment définir un texte "scientifique" ? Un film "scientifique" ? Un travail "scientifique" ?
La question a été bien posée dans une conférence au Palais de la découverte, en 1955, par Jean Painlevé :
"Le domaine du cinéma scientifique s'étend de la réalisation à l'utilisation des films scientifiques : mais comment délimiter le qualificatif "scientifique", dont l'emploi abusif permet de couvrir des films de tourisme sous prétexte d'ethnographie, des films d'hygiène alimentaire sous prétexte de lutte antimicrobienne, de propagande culinaire sous prétexte de phénomènes physico-chimiques de cuisson ? Le sujet réel et la manière de le traiter établissent déjà, pour peu qu'on le précise de plus en plus, une possibilité de restriction empêchant le pavillon de couvrir n'importe quelle marchandise. Ainsi, on peut déjà distinguer le documentaire scientifique du film de recherche.
"Même s'il fait une grande place aux documents purs, le documentaire scientifique diffère du film de recherche, car il impose déjà une conception, une explication influencée par le montage, le rythme, il cherche à convaincre, tandis que le document, lui, doit être livré tel qu'el aux analystes : c'est un document révélant un fait attendu ou non suivant l'hypothèse de travail qui a déterminé la prise de vue, mais que le cinéma a décelé ou aidé à mieux voir. La diffusion de connaissances nouvelles ou la diffusion de connaissances anciennes envisagées sous un aspect original (nouvelles preuves, nouvelles applications) nécessitent une présentation ; ce sera toujours un documentaire."

 C'était bien dit, non ?

mardi 16 août 2016

« Comme chimiste, je passais cette oeuvre à la cornue, et il ne resta que ceci »...

« Comme chimiste, je passais cette oeuvre à la cornue, et il ne resta que ceci »...
Ici je donne une phrase extraite du livre intitulé La physiologie du goût de Jean-Anthelme Brillat-Savarin, et il y a lieu de la considérer avec amusement, car Brillat-Savarin n'était pas chimiste, mais juriste. Dans son livre, il se donne le titre de  docteur, de maître, de chimiste,  de physiologiste.. mais il n’était rien de tout cela  : je répète qu'il était juriste.
La physiologie du goût est un livre merveilleux pour les gourmands, mais souvent ennuyeux, parce que précisément, pour donner un air sérieux à cette œuvre légère, littéraire, Brillat-Savarin a habillé son discours, et les « tunnels littéraires techniques » sont nombreux, sans doute pour donner de la crédibilité au reste de l'ouvrage, qui est parfois à d'un léger extrême.

Cela dit,  Brillat-Savarin s'est beaucoup amusé, comme le montre son texte et s'il se dit  chimiste, c'est évidemment par jeu. Jeu littéraire, avec un registre lexicographique qui prend de la couleur, tant il est vrai que des termes comme distiller, infuser, alambiquer, purifier, etc. sont des termes de métier, concrets, qui ancrent  un discours dans du solide, du pratique, du sensuel.

Tout  cela étant dit, on ne  manquera pas de se souvenir que les Jésuites proposaient de ne pas se comporter en tant que chrétien, mais en chrétien.  De même, nous ne devons pas nous comporter en tant que physico-chimiste, mais en physico-chimiste. Brillat-Savarin, lui, se comportait en tant que chimiste ; d'ailleurs, il écrit « comme chimiste ». Qu'importe : il reconnut l'importance de cette merveilleuse  activité qu'est la chimie, que l'on voit d'ailleurs décrite  par de merveilleuses planches dans l'Encyclopédie de Diderot, où l'on perçoit bien l’importance de la technique, de la matière. La chimie a cela d'extraordinaire que des instruments très simples, qui s'apparentent à des casseroles, permettent d'effectuer des opérations de transformations de la matière. Il y a là de quoi éblouir les enfants, et je crois que nous ne devrions pas manquer cette occasion. Bien sûr en grandissant, il apprendront à passer de la chimie (les transformations) aux sciences  chimiques, de la technique à la technologie et à la science, mais il y a là un chemin qu'ils devront parcourir par du travail. Ce travail sera passionnant s'ils ont appris à en voir les beautés.

jeudi 28 juillet 2016

Je propose d'utiliser les mots pour ce qu'ils signifient, et non pas pour ce que nous voudrions qu'ils signifient. Dans un de mes précédents billets, il y a eu beaucoup de commentaires intéressés, mais j'ai été intéressé de voir que les critiques éventuelles portaient sur des idées fantasmées, nées de mots que j'utilisais pourtant à bon escient. Je répète ici, en préambule, que mes mots sont choisis, et que, en conséquence, je propose de rester à leur sens premier, le plus souvent tel qu'il est donné dans le Trésor de la langue française informatisé, cet extraordinaire du CNRS, gratuit, en ligne (http://atilf.atilf.fr/).
D'autre part, il est amusant de voir que les discussions sur la science, et éventuellement ses rapports avec l'activité d'application des sciences, suscite des remarques... qui n'ont rien à voir avec la question traitée.

Qu'est-ce que la science ? Qu'est-ce que la technologie ? Ajoutons : qu'est-ce que la technique? qu'est-ce que l'art ? Pour  ceux qui ne cherchent pas à compliquer d'emblée des choses simples, je crois qu'il n'est pas mauvais de commencer par observer qu'une activité se définit par son objectif, puis par sa méthode, éventuellement.
1. L'objectif de la science, c'est d'agrandir le royaume du connu, de produire de la connaissance.
2. Pour la technologie, il s'agit de produire de l'innovation, que cette dernière résulte de l'application des résultats des sciences, ou qu'il s'agisse d'être simplement "astucieux", à propos de faits techniques (je renvoie à mon "Cours de gastronomie moléculaire N°1" à ce propos, pour une distinction entre technologie globale, et technologie locale).
3. La technique, c'est la production (de biens, de service) : technique vient de techne, qui signifie "faire".
4. L'art... est quelque chose de compliqué, mais qui tourne autour  du sentiments que l'oeuvre fait naître (en première approximation ; pour plus, voir mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", Editions Odile Jacob).

Commençons par observer que, de même que l'on ne compare pas des pommes à des oranges, il n'y a pas lieu de comparer la science à la technologie, ou à la technique, ou à l'art. Les quatre activités ont leur intérêt propre. Il n'y a pas lieu de mettre la science au-dessus  de la technologie, par exemple, sous prétexte que la technologie utilise (parfois) la science... sans quoi on serait conduit à mettre la technique au-dessus  de la science, puisque la science utilise la technique pour des travaux (par exemple, il faut des tournevis pour les expériences). Donc quatre champs parallèles, avec certes des relations, mais pas de hiérarchie.

D'autre part, il n'y a pas lieu de confisquer le "pouvoir" au profit d'un groupe particulier : les scientifiques, ou les technologues, ou les techniciens, ou les artistes. Car il y a d'abord à s'interroger sur la question du "pouvoir" : le pouvoir de quoi, pourquoi ?
En passant, je vois sous ma plume le mot "technologue", et il faut  absolument faire un commentaire. La technique produit, et la technologie est une réflexion sur la technique, en vue d'innovations. Ces innovations sont essentielles pour un pays, et il faut  donc former des jeunes capables de produire cette innovation.  Je me suis déjà expliqué dans mille billets sur cette question, mais j'insiste un peu : puisque des applications sont en jeu, ces applications sont "techniques", et l'innovation est donc véritablement "technologique". Donc le nom que l'on doit donner à des individus qui exercent cette activité de recherche d'innovations est "technologues". Ils se distinguent (parfois) des "ingénieurs", dont le nom a évolué avec le temps, mais qui sont souvent des gens qui mènent des projets.
La technologie serait-elle une "science appliquée" ? Certainement pas : ce n'est pas de la science, au sens des sciences de la nature. Et l'expression est donc fautive. Il y a des applications des sciences, mais pas de sciences appliquées. J'ajoute que cette phrase, ainsi dite, remonte au moins à Louis Pasteur, qui produisit de la belle science, mais aussi de remarquables applications des sciences. Et j'ajoute que l'innovation n'a pas toujours besoin des sciences. J'en prends deux exemples personnels  (pardon) : mon invention ancienne du "sel glace", et mon invention récente du "beurre feuilleté" ne doivent rien à la science, mais seulement à la réflexion sur les gestes techniques (de cuisine, en l'occurrence). De même, les premiers ordinateurs personnels n'étaient pas des innovations vraiment fondées sur la science, et le succès d'Apple ne résulte donc pas véritablement d'application des sciences.

Un beurre feuilleté réalisé par mon ami Pierre Gagnaire. La photographie est prise par cet extraordinaire photographe qu'est Jacques  Gavard (http://www.jacquesgavard.com/Jacques_Gavard_Photographe/WELCOME.html)

Ah, tant que j'y suis : nos discussions sont souvent empêtrées avec des expressions comme "science pure", ou "science fondamentale", et je crois que nous devons les combattre.
A des "sciences pures", on oppose évidemment des "sciences impures", et l'on mèle donc de la morale aux débats.  Cela n'a pas lieu  d'être : soit on agrandit le royaume du connu, soit on ne le fait pas. Il n'y a pas plus de science pure que de science impure. Il y a les sciences de la nature, qui produisent des connaissances, un point c'est tout.
D'autre part, cela n'a pas de sens de parler de "science fondamentale" : les sciences sont les sciences, et le boson de Higgs ou les trous noirs ne sont pas le "fondement" de l'épigénétique, par exemple. En passant, on voit que l'usage d'adjectifs conduit à la faute de pensée... raison pour laquelle, dans notre groupe de recherche, nous bânnissons adjectifs et adverbes, pour les remplacer le cas échéant par la réponse à la question "Combien ?".

jeudi 2 juin 2016

Morgen Stund het Gold a Mund


Il y aurait ceux qui se lèvent tôt et se couchent tôt, ceux qui se lèvent tard et de couchent  tard. Avec cette alternative, c'est comme avec pile ou face. Deux possibilités seulement semblent apparaître ; pourtant, il y a la tranche ! Il y en a qui se lèvent tard et se couchent tôt, justifiant leur comportement par le besoin de sommeil, mais si la physiologie est parfois une vraie justification, cette catégorie habille, parfois aussi, une peur du vaste monde, comme quand l'escargot ne sort plus de sa coquille.
Et puis, il y a ceux qui, passionnés par une activité, c'est-à-dire ayant appris à comprendre les beautés de cette dernière, se lèvent tôt et se couchent tard, parce qu'ils ne veulent pas perdre une seconde, qu'ils ont plaisir à être actifs... On a bien lu "ayant appris". Oui, il y a ceux qui sont tombés dans la marmite quand ils étaient petits, mais il y a aussi ceux qui ont grandi, ont appris.

Pour moi, la passion est venue de cette expérience merveilleuse -la beauté est dans le regard !- de l'eau de chaux qui se trouble quand on souffle dedans : enfant, j'ai aimé la chimie à la passion, utilisant mes moindres moments pour des expériences parfois risibles. Je n'ai toujours bien compris les enjeux, ou, plus exactement, je n'ai pas du tout compris les enjeux... confondant pendant longtemps la technique, la technologie et la science.
Et c'est ainsi que, pendant des décennies, j'ai signé mes messages d'un  "Vive la chimie ! » énergique. C'est pour cette même raison que j'avais détourné cette phrase avec laquelle Alexandre Vialatte  concluait ses Chroniques de la Montagne :  « Et c'est ainsi qu'Allah est grand ». L'enthousiasme ironique de cette phrase me permettait, en  la transposant à la chimie, de faire état d'un éblouissement et, aussi, de prendre un peu de recul par rapport à ce dernier. Pas assez pourtant pour comprendre que mon coeur va autant à la chimie qu'à la physique.


Mais je me suis éloigné de la phrase « Morgen Stund het gold a mund », qui est affichée sur un mur de mon laboratoire. C'est une phrase en alsacien qui signifie « Ceux qui se lèvent tôt ont de l'or dans l'a bouche", ce qu'il faut interpréter par "L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt". On comprend que c'est donc la justification (de mauvaise foi) de ceux qui se lèvent tôt et qui veulent prétendre à une  supériorité par rapport à ceux qui se lèvent tard. Je préfère penser que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt et se couchent tard, mettant beaucoup de soin et d'application à ce qu'ils font.

dimanche 10 janvier 2016

Eloge de la technique

 Certains croient que la technique est une activité mécanique, où l'être humain pourrait être remplacé par une machine, un robot... Les idées de ce genre méritent d'être réfutées, et notamment en considérant qu'il y a souvent une composante artistique et une composante sociale dans l'acte technique.
Pour la cuisine, le soin, par exemple, est essentiel, parce que c'est une façon de se préoccuper du bonheur de ceux  que l'on nourrit. En outre, le  technicien culinaire qui ne se préoccuperait  pas de faire bon serait vite ramené dans le droit chemin, ce qui prouve,  à nouveau, que la question technique est merveilleuse : vive la technique intelligente !

La suite sur  http://www.agroparistech.fr/Mettre-en-oeuvre-une-technique-c-est-y-penser.html

dimanche 29 novembre 2015

La communication, il y a du lien social, de l'art, de la technique

Hier, de jeunes amis sont venus me présenter un film qu'ils avaient produit, afin de faire la promotion d'un produit (pédagogique). Ils me demandaient ce que j'en pensais, et j'avais des raisons autres qu'esthétiques (au sens de la beauté des images ou du son) de critiquer leur travail : la critique essentielle portait sur le fait que le film restait à la surface des choses, et que le contenu n'était quasiment pas évoqué. Or je propose toujours de partie du contenu, et de faire l'habillage ensuite.

La suite sur  : http://www.agroparistech.fr/La-communication-il-y-a-du-lien-social-de-l-art-de-la-technique.html