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dimanche 18 avril 2021

Entre la boue et la lumière



Il existe dans les professions des codes des usages, c'est-à-dire des listes d'opération et de produits autorisés pour avoir le droit à des appellations  par exemple, andouillette, gâteau Saint-Honoré, gruyère, gewurtztraminer, etc.

Il s'agit toujours de prescriptions qui imposent un minimum pour mériter des dénominations, sans déloyauté.

A la réflexion, ces minimum sont des minimum, et je ne les aime pas, parce qu'ils nous font rester au ras du plancher, disons dans la boue en quelque sorte.  

Ce n'est pas nul, bien sûr,  puisque la profession s'est mise d'accord pour autoriser ces nominations mais quand même, ce sont des codes a minima.

Ne peut-on pas,  au contraire,  imaginer des codes à maxima ? Des prescription qui donneraient des idée du meilleur ? N'est-il pas préférable de proposer aux jeunes... et aux autres des indications de comment très bien faire ?

Là, on aurait le regard braqué sur le bleu du ciel, on deviendrait enfin véritablement humain, au lieu de rester tels des pourceaux dans la fange.

Je ne peux pas m'empêcher de penser que toute prescription a minima devrait être assortie d'une considération à maxima.

Prévisions culinaires

 Que peut-il bien se passer... 


Nous sommes bien d'accord : avant d'avoir fait une expérience, on n'a que des hypothèses. Et ceux qui comprennent bien le mécanisme de la recherche scientifique savent combien un scientifique est plus intéressé de voir ses prévision réfutées que confirmées.
Pour autant, la science produit quand même des théories extraordinairement précises, et c'est pourquoi il y a peu de doute dans les suivantes :

1. Que se passe-t-il quand on met un échaudé (pensons gnochi, par exemple) au four ?
Un échaudé, cela peut être de la farine et de l'oeuf, possiblement additionnés de matière grasse (beurre), de fromage, etc., que l'on fait tomber dans de l'eau bouillante : l'oeuf coagule, et le "pochage" produit donc une "poche", à savoir une couche externe coagulée, qui enferme le reste de la préparation, laquelle peut aussi coaguler ; la farine s'empèse.
Au four après le passage à l'eau bouillante ? La partie externe séchera, et l'on aura le même produit, mais avec une croûte externe. Possiblement un soufflage, et, donc des fissurations.

2. Un échaudé que l'on frit ?
Il y a deux cas : la pâte à échaudé que l'on frit, sans avoir échaudé (et le nom est donc erroné), ou bien l'échaudé qui a été formé et que l'on frit.
Dans le second cas, on aura le même résultat que ci dessus, mais, avec une pâte à échaudé que l'on frit, ce sera... un beignet, n'est-ce pas ? De sorte que la "pâte à échaudé" peut être plus justement nommée pâte à beignet ;-)

3. Peut-on frire une pâte ?
Observons qu'une cuillerée de farine dans de l'huile chaude ne fait rien de bien : les grains de farine ne sont pas solidarisés, et pourquoi le seraient-ils ?
Inversement, si l'on a déjà une structure, et notamment une structure empesée, alors le séchage de la couche externe fait une croûte dure, qui maintient la structure. Evidemment, si la préparation contient de l'oeuf cru, alors la cuisson de l'oeuf ajoute sa solidité à celle de la préparation... à condition bien sûr que l'oeuf soit initialement cru, et non cuit sans former un gel, comme dans une crème anglaise.
Mais on n'oubliera pas, aussi, le phénomène de capillarité qui fera venir l'huile à coeur, s'il y a des a porosités : rien de pire qu'un beignet mal fait, gorgé d'huile de friture, n'est-ce pas ?
Une pâte à tarte ? On peut faire des rissoles. Une pâte à choux ? Au fond, elle s'apparente à une pâte à beignets, sauf que la farine est déjà empesée. Un pâte à génoise ? Cette fois, attention à la porosité. Et ainsi de suite.

dimanche 21 mars 2021

Pochage et enseignement de la cuisine

 

Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2021, nous avons discuté de terminologie et d'enseignement. Le constat  a été fait que le milieu professionnel, qu'il s'agisse des cuisiniers en activité ou des enseignants, utilisait fautivement certains termes.
Par exemple, le mot "pochage" : de toute éternité, on a bien nommé pochage le fait de pocher, c'est-à-dire de faire une poche, notamment par la cuisson des oeufs dans l'eau bouillante.

Initialement, dans les livres de cuisine anciens, les recettes ne mentionnaient le pochage que pour les oeufs pochés, et c'est ensuite que s'est introduite la terminologie pour d'autres cas où il y a effectivement un pochage, par exemple dans une quenelle, dont la couche périphérique vient effectivement coaguler dans l'eau bouillante.

La question à propos de pochage, c'est que certains, pour des raisons incompréhensibles, se sont mis à désigner par ce terme de pochage la cuisson dans de l'eau froide que l'on porte lentement au frémissement, ce qui fait exactement le contraire d'un pochage.
Et j'ajoute que je suis de ceux qui ont suivi le troupeau sans y penser !

Que faut-il faire, maintenant que l'erreur est dépistée : entériner un usage récent (à l'échelle de la cuisine) et idiot ?  Ou bien, au contraire, éclairer les apprenants avec une terminologie juste et simple, que nous pouvons leur expliquer  ?

La question revient à celle de transmettre des idées juste  ou des idées fausses... et l'on pressent quelle est ma réponse !

J'ajoute que, expérimentalement, le séminaire de gastronomie moléculaire s'est toujours attaché  à tester expérimentalement les précisions culinaire, afin de permettre aux enseignants de ne plus transmettre que des idées justes.

En conséquence, malgré un débat sur la possibilité de conserver des terminologies fautives (au mauvais prétexte que le mileu professionnel les utiliserait), je crois qu'il serait indécent de propager des terminologies fautives ; et que le rôle du séminaire est au contraire le dire le juste, le fondé, le légitime, s'en aller vers un avilissement de l'art culinaire !

Au contraire, notre objectif est de  faire grandir l'art culinaire, et cela passe par les mots, même si certains doivent réviser leur vocabulaire et apprendre un peu !

mercredi 17 mars 2021

Des Masterclass à l'Ecole Le Cordon bleu

 TRES HEUREUX de vous annoncer une série de Masterclass enregistrées à l'Ecole Le Cordon Bleu  ! 




Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
Science et art culinaire 2/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q
Science et art culinaire 3/6  : https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY
Science et art culinaire 4/6 : https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM
Science et art culinaire 5/6 : https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I
Science et art culinaire 6/6 : https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc

samedi 27 février 2021

Des classifications ? A condition qu'elles soient utiles !

 Se pose à nouveau à moi, aujourd'hui, la question des référentiels et des examens pour les cuisiniers.

Il y a quelques années, j'avais combattu une classification fautives, qui évoquait des "cuissons par concentration" (alors qu'il n'y avait de concentration) et des cuissons dites "par expansion", où n'y avait pas non plus ce qui était dit dans le nom.

Je m'aperçois aujourd'hui que je n'ai pas pris le mal à la racine... car, au fond, pourquoi cette classification ?

Un ancien formateur me dit aujourd'hui :
"Mais en fait, jamais je n’ai entendu dans une brigade dans la bouche d’un chef ordonner de cuire par expansion etc. C’était appris pour le savoir le jour de l’examen. Donc une théorie totalement inutile."

Donc non seulement c'était faux, mais c'était de surcroît inutile ? De qui se moque-t-on ?

Et puis, quand même, y a-t-il tant de types de cuisson qu'il faille en faire une catégorisation ? On compte les cuissons sur les doigts d'une main : rôtissage, poêlage (dans un poêlon), sauté (dans une poêle), étuvage, cuisson à la vapeur, grillades...

Surtout, quel service une catégorisation peut-elle rendre ? Si elle ne rend pas un service pratique, alors il est idiot de l'utiliser. C'est de la pédanterie (quand c'est juste), ou un scandale (quand c'est faux).

Pour autant, on comprend que l'enseignement culinaire ne doive pas montrer seulement de la technique, mais s'élever à de la technologie, plus puissante.

De sorte que se pose la question de voir plus loin que le geste technique. Voir quoi ?

Comparons un pot-au-feu et un poulet rôti : on voit bien une différence, à savoir que le poulet devient croustillant et brun, alors que la viande de pot au feu devient grisâtre et molle (dans les bons cas). Si l'on analyse, ce n'est pas la question du brunissement qui est première, mais le fait que, à plus de 100 degrés (pour le rôtissage), l'eau de surface s'évapore, et la viande croûte ; ce qui ne se produit pas dans le cas du pot-au-feu.

Et c'est la raison pour laquelle, dans Mon histoire de cuisine, j'ai proposé 14 commandements aussi fondamentaux que simples, et véritablement "technologiques", car il donnent es véritables clé de la technologie culinaire au lieu d'être des mots de plus de trois syllabes prétentieusement plaqués sur les notions variables et floues.

Aujourd'hui, la question se pose à nouveau à propos de la cuisson des légumes et, de nouveau, je dépiste des terminologies foireuses.

Mais il se trouve que au même moment, je vois pour la pâtisserie des incohérences... avec le même phénomène d'interprétations technologiques fautives. Là encore, je retrouve la prétention qui ne prend pas la technologie au phénomène, mais introduit des terminologies fautives.

Il y a donc lieu de mener un grand combat, de faire un grand ménage et si nos élèves gagnent à savoir faire des gestes particuliers tels que rôtir, sauter, et cetera, il y a surtout à donner les clés technologique, car,  je le répète,  pour la pâtisserie, il y a surtout dans deux idées,  à savoir que
1. quand on m'alaxe de la farine et de l'eau, on obtient une pâte de plus en plus ferme,  parce que des protéines liées par de l'eau forment un réseau, nommé "réseau de gluten", 2. si l'on ajoute du sucre à une pâte ferme, elle perd sa fermeté, s'effondre,  parce que le sucre capte l'eau pour former un sirop dans lequel les grains d'amidon sont dispersés.
Arrêtons-nous là, et on aura déjà rendu bien service !

mardi 9 février 2021

Qui a la charge de la preuve ? Celui qui soutient une thèse !

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude

 

 

Au fond, il y a quand même un peu lieu de s'étonner à propos des indications techniques que donnent certains cuisiniers,  ar exemple à propos du fait que la viande serait cautérisée quand elle est saisie. En réalité,  on sait bien qu'il n'en n'est rien, car quand on soulève un steak qui était grillé, après qu'on l'a posé sur une assiette, à la sortie de la poêle, on voit bien qu'il repose sur sur une mare de jus : je ne sais pas bien ce qu'est une "cautérisation" (mais mes amis qui utilisent ce mot le savent-ils mieux que moi ?), mais nous voyons tous parfaitement que, cautérisation ou pas, nous avons la preuve que les liquides sont sortis et que cette sortie n'a pas été évitée par le fait de saisir la viande.  


La question que je pose aujourd'hui est savoir pourquoi on nous serine de telles erreurs avec autant d'imprudence ou d'impudence. Et je m'étonne aussi que l'on   doive aujourd'hui faire tout notre possible pour réfuter ces erreurs, alors qu'il aurait été plus naturel que ceux qui prétendent l'existence de la cautérisation des viandes saisies en apportent la preuve (et ils n'auraient alors pas pu le faire). Bref, pourquoi, dans un milieu pourtant techniques, dit-on parfois n'importe quoi ? Pourquoi  cause-t-on ainsi dans le vide depuis des siècles ? Pourquoi n'a-t-on pas établi les faits auparavant ? 


Bien sûr, les anciens avaient des excuses, puisqu'ils n'avaient pas la notion de molécules que nous avons aujourd'hui, ils ignoraient les vrais mécanisme de la capillarité ou de l'osmose, ils ignoraient la constitution des viandes... Mais quand même, il y en a eu beaucoup, qui, plus récemment, alors que ces connaissances sont disponibles (mais il faut reconnaître que c'est du "travail" d'aller les chercher) ont raconté n'importe quoi avec un aplomb extraordinaire.
Oui, il nous faut détester l'argument d'autorité ! Il faut détester ceux qui, réputés compétents par une communauté ou par eux-mêmes, se sont laissés aller à dire plus qu'ils ne savaient, car cela est de la prétention. 


Après vingt ans de séminaires de gastronomie moléculaire, nous avons eu très fréquemment l'occasion de voir que le milieu culinaire n'a qu'exceptionnellement fait des expériences de comparaison, avec un seul facteur changé, et des procédés rigoureux : pesée, mesures de temps, de température, de pH, observations au microscopes.
Les cuisiniers sont pour certains des artistes, et leur question est le bon, donc le beau à manger, pour lequel il n'y a rien à discuter, mais quand ils vont sur le terrain technique, ils ont intérêt à être prudents, car que peut penser leur entourage s'ils se mettent à divaguer ?  

Mais il y a des raison d'être optimistes : depuis une dizaine d'années, les professeurs de cuisine sont formés à la technologie. On leur apprend à faire des expériences, et ils apprennent cela à leur élèves. Oui, ayons confiance : la prochaine génération de cuisiniers français sera techniquement plus assurée que la précédente !

Restera la question de l'Art !

samedi 23 janvier 2021

Il faut donc que je m'explique mieux ; j'essaye.

Ce matin, un commentaire sur mon blog de la revue Pour la Science :

Je n'ai rien compris à l'introduction tendant à prouver que la cuisine n'est pas de la chimie. Celle-ci couvre les réaction intra comme intermoléculaires. Dès qu'il y a transformation d'une substance en une autre, c'est de la chimie. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de chimie, "science de la nature" ? Le plexiglas, les colorants azoïques, le Tergal ce n'est donc pas de la chimie ?
Bon, ceci dit j'ai apprécié la suite de l'article, c'est l'essentiel !


Décidément, il faut que j'explique pas à pas, car je ne veux certainement pas laisser planer des doutes quant à la chimie, et mon objectif est de ne pas laisser subsister des confusions, qui sont toujours la source de conflits.


Commençons par définir la cuisine, d'une part, et la chimie, d'autre part.

Pour la cuisine, je suis resté longtemps dans l'incertitude, jusqu'au jour où je suis devenu capable de dire (et d'expliquer à tous) que "la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".
Certes, la cuisine, c'est une activité de préparation des aliments à partir d'ingrédients, mais cette activité a trois composantes :
(1) La composante technique : il faut battre des blancs d'oeufs pour obtenir des blancs d'oeuf en neige ; il faut chauffer un steak pour avoir un steak cuit ; etc. Comme pour la peinture (qui ne doit pas couler), comme pour la musique (il ne doit pas y avoir de fausses notes), comme pour la littérature (il ne doit pas y avoir de fautes d'orthographe, de grammaire, etc.), la composante technique est évidemment essentielle, et cela d'autant plus que notre vie est entre les mains de ceux qui nous nourrissent.
(2) La composante artistique : je dis bien "artistique"... parce que n'est pas l'époque si lointaine où des individus bornés refusaient de donner à la cuisine, au moins pour celle de certains cuisiniers, le statut d'art, à égalité avec la peinture, la musique, la littérature, etc.
Pour bien comprendre, ici, il faut observer que le "bon", c'est le beau  à manger. Il n'y a pas de bon général, sauf à considérer que le sucré, le gras, le salé, sont appréciés par les enfants nouveaux-nés, tout comme des primates nouveaux-nés. De même que certains préfèrent les peintures de Jérome Bosch, et d'autres celles d'Hokusai, il y a ceux qui préfèrent le style de Pierre Gagnaire, et ceux qui préfèrent des cuisines plus "classiques", voire plus "populaires".
Et, tout comme on distingue les peintres en bâtiment et les Rembrandt, on distingue des cuisines d'artisans, d'artisans d'art et d'artistes. Le steak grillé frites du midi, c'est (le plus souvent) de l'artisanat : il faut que ce soit "bon", mais on ne cherche pas à pleurer d'émotion.
(3) Enfin, il y a une composante de lien social : le meilleur des plats, le mieux exécuté, ne vaut rien s'il nous est jeté à la figure. Cuisiner, c'est cuisiner pour quelqu'un... tout comme peindre, c'est faire une peinture pour qu'elle soit vue, et écrire, c'est écrire pour être lu (ne finassons pas, s'il vous plaît : je donne ici une explication succincte de dont j'ai fait tout un livre !).

La chimie, maintenant, puisque c'est surtout là que je suis en désaccord avec mon ami lecteur.
Allons-y doucement, parce que, là, j'ai eu encore plus de difficultés à comprendre que pour la cuisine. Tout a commencé quand je me suis demandé ce qu'était au juste cette activité. Une technique ? Une technologie ? Une science ? On trouvera dans la revue L'Actualité chimique ma recension d'un excellent livre sur l'alchimie (D. Kahn), qui montre excellemment que l'alchimie est devenue la chimie avant Lavoisier, progressivement. Mais il s'agissait  toujours d'une exploration de ce que l'on ignorait être des réorganisations d'atomes, des transformations moléculaires (je prends des précautions parce que, à côté des molécules, il y a les ions).
Puis, entre la publication du premier et du dernier tome de l'Encyclopédie, les choses se sont clarifiées, et la "chimie" est clairement devenue une activité scientifique. Pas une technologie, pas une technique. D'ailleurs, à l'époque, on n'aurait pas parlé de chimie pour désigner l'industrie qui usurpe ce nom aujourd'hui. Non, la chimie est bien une science.

Allons un pas plus avant : la chimie est une "science de la nature". Oui, car, parmi les "sciences", il y a des activités de différentes natures : l'histoire, la sociologie, la chimie, la physique, la biologie... Parfois, on a utilisé la terminologie "sciences exactes", mais on verra dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations ?" pourquoi je récuse cette terminologie. Pour faire vite, disons ici que :
1. l'objectif des chimie, physique, biologie... est de chercher les mécanismes des phénomènes
2. à l'aide d'une méthode qui passe par :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative de ce dernier
- réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
- production d'une "théorie" (on parle parfois de modèle) par réunion des lois et introduction de nouveaux concepts
- recherche de conséquences testables de la théorie
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
- et ainsi de suite, à l'infini, parce que les modèles réduits de la réalité ne peuvent aucunement prétendre à une description parfaite.
Bref, les sciences que sont la chimie, la physique, la biologie, et qui étaient nommées jadis "philosophie naturelle" (relisons Michael Faraday, par exemple) sont plutôt des "sciences de la nature", terme bien plus juste que "sciences exactes".

Terminons rapidement par la réponse à la question "Le plexiglas, les colorants azoïques, le tergal ce n'est donc pas de la chimie ?". Avec ce qui précède, on comprend que non, les colorants azoïques ne sont pas "de la chimie". Ce sont des produits qui ont été découverts par les chimistes, et qui sont produits par une industrie des colorants. Certains, d'ailleurs, sont synthétisés, mais d'autres peuvent être extraits de plantes. Pour le plexiglas ou le tergal, ce sont sans doute des produits synthétisés qui n'existe pas naturellement, mais ils ne sont pas "de la chimie".
On sera particulièrement attentif à la faute du partitif, que l'on explique souvent avec l'expression "le cortège présidentiel" : le cortège n'est présidentiel que s'il est lui-même le président ; sinon, c'est plus clair de parler du "cortège du président". Et cela est particulièrement important de bien veiller à cette faute quand on utilise le terme "chimique". Quand on dit "produit chimique", que dit-on au juste ? D'un produit découvert par la science qu'est la chimie ? D'un produit fabriqué par une industrie d'application de la science qu'est la chimie ? D'un composé particulier (ne pas confondre svp le terme "composé" avec celui de "molécule", comme je l'explique dans un article récemment paru : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/la-rigueur-terminologique-pour-les-concepts-de-la-chimie-une-base) ?

En tout cas, ce qui est clair, c'est que l'activité de production d'aliments à partir d'ingrédients n'a rien à voir avec une activité d'exploration du monde moléculaire : dans le premier cas, on produit des aliments, tandis que l'on produit des connaissances dans le second.
Soyons bien clairs ! L'ai-je été ?
 

lundi 7 décembre 2020

Pour une histoire scientifique et culturelle des aliments

 Alors que notre alimentation est attaquée, il faut répéter que jamais l'humanité n'a aussi bien mangé ! Oui, on peut toujours faire mieux... mais sans écouter les mensonges des populistes, des marchands, des idéologues. D'ailleurs, leurs critiques sans propositions sont le signe de leur indignité. Car oui, qui critique sans proposition devrait se cacher de honte !

Un "aliment" ? Le terme est bien triste : parlons des plats, des mets, des compositions culinaires, de préparations où intervient évidemment la technique, mais aussi l'art culinaire (le "bon", c'est le beau à manger !) et la composante sociale de la cuisine (je cuisine pour toi parce que je t'aime).
Plus généralement,  nos mets sont des objets de culture, tout comme l'est la chimie (puisque c'est une science de la nature), et il y a lieu d'y voir plus clair. Comment ? 


En nous interrogeant d'abord sur leur origine, leur nom, l'étymologie de celui-ci, leur histoires, leurs variations, leurs évolutions, leur confection... Cela étant posé, il n'est pas inutile de nous interroger sur l'objectif qu'ont la cuisinière ou le cuisinier quand ils préparent un met particulier. Oui, un objectif, au lieu de se lancer tête baissée à suivre un protocole... qui n'envisage pas bien toutes ls possibilités, et laisse donc place à l'échec : le soufflé qui ne gonfle pas, la viande dure, la sauce mayonnaise qui rate... Bref, c'est seulement quand l'objectif est clair que l'on peut imaginer une série d'étapes techniques (la composante technique de la "recette") pour l'atteindre. Et chaque étape mérite des commentaires techniques, au delà de son libellé sec, rigoureux, précis.
Bien sûr, dans ce lot d'explorations culturelles, la discipline scientifique nommée "gastronomie moléculaire", avec ses composantes chimiques et physiques, trouve parfaitement sa place : ne cherchons-nous pas les mécanismes des phénomènes qui ont lieu quand on prépare les mets ?
Et l'on peut, ensuite, envisager des "applications" de ces connaissances scientifiques en termes technologiques : des améliorations du travail, voire du résultat.
Bien sûr, on ne doit jamais manquer de discuter les composantes artistiques et sociales, parce que nous mangeons aussi de la culture !

lundi 23 novembre 2020

Des indications pour le concours de cuisine note à note

 A propos de "suspensions" : la fondue ?

On m'interroge à propos du prochain concours international de cuisine note à note dont le thème est  : les suspensions.

Les suspensions ? Ce sont des dispersion colloïdales de particules solides dans un liquide, pour les suspensions liquides, et de particules solides dans un solide pour les suspensions solides.

Mais je m'aperçois que cette définition abstraite ne suffit pas puisque l'on m'interroge en me demandant par exemple si les fondues au fromage sont des suspensions.
Commençons donc par les fondues au fromage que l'on fait classiquement en chauffant du fromage dans du vin. Le gel laitier qu'est le fromage se désagrège et laisse partir dans le liquide des gouttelettes de matière grasse et, sans doute aussi, des micelles de caséine, de sorte que l'on obtient une émulsion, qui est donc une dispersion d'un liquide dans un autre, mais pas une suspension.

Des exemples de suspension, alors ?

Il y a d'abord les frappés aux fruits ("smoothies"), que l'on obtient en broyant un tissu végétal dans un liquide : le broyage désagrège le tissu végétal  macroscopiques en particules qui peuvent avoir des tailles variées, des gros morceaux jusqu'à des résidus de cellules. Car effectivement, les tissus végétaux sont des agrégats de sacs vivants, les cellules végétales en l'occurrence, et le broyage forme des morceaux plus ou moins petits qui vont du gros agrégats de nombreuses cellules jusqu'au morceau de paroi végétale brisée.
Il y a donc là des petits solides dispersées dans un liquide, et donc une suspension.
Très analogue est la purée de légumes, bien évidemment, à cela près que la phase aqueuse est réduite.

Une autre  : la crème anglaise, que l'on obtient en chauffant une solution de protéines, classiquement du jaune d' œuf avec du sucre et du lait.
Cette fois, le processus est inverse du précédent, à savoir que l'on part des molécules pour former des agrégats de plus en plus gros... jusqu'au grumeau, quand la crème anglaise est ratée. Mais en tout cas, pour une crème anglaise réussi, l'épaississement vient de la formation d'une suspension.

Pour le concours  de cuisine note à note, les deux processus, du macroscopique vers le moléculaire, ou du moléculaire vers le microscopique, sont utilisables bien évidemment.
On pourrait constituer un solide macroscopique, note à note, que l'on diviserait, ou, au contraire, dissoudre les molécules dans un liquide et provoquer l'agrégation.


Reste la question de la fondue.

Au fond, si on veut simplement faire une fondue, que l'on fasse une fondue, mais la probabilité de gagner le concours est réduite, car qu'a-t-on le fait plus que la cuisine traditionnelle ? En revanche, s'il s'agit d'abstraire et de généraliser, alors on voit un gel qui se dissocie et qui laisse partir dans la solution ses constituants, et là, oui, il y a une idée car nous sommes encore dans le mouvement descendant, du macroscopique au moléculaire, mais nous avons remplacé ici l'agitation thermique par la dissociation.
Un exemple ? Partons de grains d'amidon (des solides, de la fécule) que nous dispersons dans un gel de gélatine (aspic) ou de pectine (confiture). Puis mettons ce gel dans un liquide chaud : il fond, et libère les particules solides qu'il contenait.

Reste à donner du goût !

mercredi 4 novembre 2020

L'innovation ? Il s'agit d'être très clair : c'est une question de technologie, pas de science


Tout a commencé
avec la préparation d'une conférence que je dois faire en mars, pour une communauté internationale de cuisiniers. L'organisateur me demande :

Pourriez-vous nous indiquer brièvement comment votre présentation va discuter la question de l'innovation ?

Et j'avais répondu :
 

Les inventions mensuelles que je présente depuis 20 ans, d'abord pour mon ami Pierre Gagnaire (en français, car -même si je suis alsacien- c'est une langue très intéressante : voir https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux/2) sont une démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'elles rendent cela possible. Si ce n'est pas de l'innovation, qu'est-ce que c'est ?
Mais avec la "cuisine note par note", le pouvoir d'innovation est encore plus grand, parce que c'est un nouveau continent, comme lorsque l'Amérique a été découverte. Et la question est maintenant : allez-vous traverser l'Atlantique pour le découvrir ?
Gardez à l'esprit que dans mes cours de Master sur l'innovation, en particulier (mais pas seulement dans le cadre du programme Erasmus Mundus Plus "Innovation alimentaire et conception de produits ; voir par exemple https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/Cours_2019-2020 et https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS/7_applications_of_mg), je démontre que l'introduction de nouveaux plats n'est rien de vraiment... car j'ai introduit trois infinités de nouveaux systèmes. Non, la question c'est l'art et l'amour, et là la question est beaucoup plus intéressante.



Manifestement, je n'ai pas été assez clair, parce que je reçois ensuite la réponse suivant :
 
J'apprécie votre réponse rapide. Si je vous comprends bien, votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela. À bien des égards, le processus de création de vos plats n'a pas pour but d'innover, mais plutôt d'exprimer l'art et l'amour ? Ai-je bien compris ?
Questions complémentaires :
1.       Pourquoi la cuisine "note par note" est-elle comme la découverte de l'Amérique ? Pouvez-vous en dire plus ?
2.       Qu'est-ce qui stimule ou inspire votre créativité ?
3.       Lorsque vous décomposez les aliments en leurs composés élémentaires, vous pouvez obtenir des milliards de nouvelles combinaisons de plats. Toutes ces possibilités vous dépassent-elles parfois ? Comment choisissez-vous les combinaisons qui fonctionnent ensemble et assurez-vous qu'elles mènent à un beau produit final ?  


Là, il faut vraiment que je m'explique mieux, ce que je fais maintenant

1. À propos de "votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela", ma réponse est : c'est sûr, la gastronomie moléculaire n'a rien à voir avec l'innovation car c'est une science de la nature, et le but ici est de "chercher les mécanismes des phénomènes, en utilisant la "méthode scientifique", qui passe :
1. identification d'un phénomène
2. la caractérisation quantitative du phénomène
3. le regroupement des données de mesure (à partir de 2) en "lois" (c'est-à-dire en équations)
4. introduire de nouveaux concepts afin de faire des "théories" (c'est-à-dire des groupes d'équations + des concepts proposant une description quantitative du phénomène)
5. la recherche de prédictions testables de la théorie
6. tests expérimentaux des prévisions théoriques (à partir de 5)
Et ainsi de suite,  pour toujours.

Vous voyez que le but des sciences de la nature n'a rien à voir avec l'innovation.
L'innovation est le but de la technologie, et ici, oui, la cuisine moléculaire et la cuisine note par note sont intéressées.

Au fait :
1. avec Nicholas Kurti, nous avons introduit la "gastronomie moléculaire" (ou plus précisément la "gastronomie moléculaire et physique"
2. mais nous promouvions également la cuisine moléculaire (et s'il est vrai que nous avons montré comment la faire, nous ne l'avons pas "pratiquée", car elle est destinée aux chefs, pas aux scientifiques
3. J'ai introduit la cuisine note par note en 1994, et je la fais connaître dans le monde entier ; je la pratique quotidiennement dans ma cuisine, mais je n'oublie pas que je ne suis pas un chef.
Et enfin, n'oubliez pas que ma vie quotidienne est une science, pas une cuisine. J'attache une de mes productions, et vous verrez que cela n'a rien à voir avec la cuisine (l'article sur les statgels et les dynagels)


2. A propos de votre " le processus créatif derrière vos plats n'a pas pour but l'innovation, mais plutôt l'expression de l'art et de l'amour ? "
Pas exactement. Les plats que j'invente sont sans aucun doute la démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'il est facile d'innover techniquement. Mais je recommande aux chefs cuisiniers : parce que l'innovation technique est si facile (du moins pour moi), concentrez-vous sur l'amour et soyez.

Questions complémentaires :

1. La cuisine note par note montre en effet un immense continent de nouvelles possibilités culinaires : nouvelles consistances, nouvelles saveurs, nouveaux goûts, nouvelles odeurs, nouvelles couleurs.

2. N'oubliez pas que ma "créativité" est une question de science. Et ici, c'est une question très difficile, mais vous trouverez la réponse dans mon article sur la "stratégie scientifique" (voir document ci-joint)

3. Me submerger ? Pourquoi en effet ? Mais oui, pour les chefs, la question est maintenant de choisir ce qu'ils veulent faire. Et c'est pourquoi je dis que vous avez une autre question que celle de l'"innovation" (technique).
Disons-le autrement :
- avec mes "formalismes", je vous montre une infinité de nouveautés (imaginez que je les mette sur une table, devant nous)
- Lequel choisissez-vous ? Il est évident qu'il vous faut un autre critère que la technique
D'ailleurs, toutes les combinaisons "fonctionnent ensemble", il n'y a pas de problème ici.

Mais finalement, vous avez dit le bon mot "beau produit final" : beau, et c'est pourquoi j'ai fait mon livre "La cuisine, un art quintessenciel" (The University Press of California), dont le titre en français était "La cuisine : c'est l'amour, l'art, la technique". Vous voyez : l'art ! Parce que "bon" signifie "beau à manger", et cela n'a rien à voir avec la technique.



mercredi 14 octobre 2020

La cuisine n'est pas l'épicerie

 
 J'ai discuté dans un autre billet cette théorie simpliste selon laquelle les choses seraient bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont.

Ici, je veux discuter d'une idée voisine, selon laquelle les cuisiniers devraient utiliser des "bons produits".

Dans le monde culinaire professionnel, il y a cette tendance qui n'est pas nouvelle d'avoir ce que les cuisiniers nomme des "beaux produits". Et rien que cette expression est symptomatique, parce qu'elle montre que les cuisiniers considèrent les produits comme... des produits. En réalité, ces "produit" sont plutôt des ingrédients,  car certes,  ce sont les produits de l'élevage, de l'agriculture, de la chasse, de la pêche,  mais certainement pas les produits de la cuisine.

Et, d'ailleurs, je dénonce ici une espèce de travail culinaire simpliste qui consiste à chercher ses ingrédients particuliers, ce qui conduit tous les cuisiniers à identifier les mêmes fournisseurs ; et nous, de l'autre côté, à retrouver toujours les mêmes d'huîtres, toujours le même beurre, toujours les mêmes légumes... dans tous les restaurants !

Je n'ai pas besoin de donner les noms de ces fournisseurs, car ils sont connus de tous
Mais, surtout, s'il est vrai que ces fournisseurs font des ingrédients de belle qualité, ce n'est pas là le nec plus ultra  culinaire ! Car la cuisine ne consiste pas à aller chercher des ingrédients et à les traiter de façon minimale, ce que certains disent "respecter le produit", expression idiote : nous devons respecter des hommes et des femmes, pas des carottes ou des navets !

Bien sûr, il faut faire attention aux productions des bons producteurs, et ce serait du gâchis que de secouer des fruits, entre la ferme et la cuisine ; ou de mal stocker des poissons et des viandes, par exemple.

Mais c'est en cuisine que le travail de cuisine commence, et c'est là que le cuisinier doit montrer son savoir ou son art.

Je répète que je peux, tout aussi bien qu'eux, me fournir chez de bons fournisseurs d'ingrédients, mais je réclame à des artistes culinaires... qu'ils fassent de l'art culinaire, qu'ils fassent du bon, à partir de ces ingrédients qui s'apparentent aux touches du piano pour le pianiste.

D'ailleurs, la comparaison est juste : oui, le piano doit être accordé, ce qui signifie que les ingrédients culinaires doivent être justes, frais, de belle qualité.
Mais, ensuite, c'est le musicien qui fait surgir la musique, et c'est sa manière particulière de jouer du piano qui fait exister une musique ! La touche seule est bête !

lundi 5 octobre 2020

A propos de transitions en cuisine

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude

 

 

 

1. On m'interroge pour savoir si l'on parviendrait à cuire des spaghettis en les stockant longtemps dans l'eau froide, et cette question m'arrive alors je reçois une autre question sur la cuisson des oeufs, où mon interlocuteur cherche (pourquoi ?) à optimiser l'énergie dépensée pour la cuisson, en faisant séjourner également les oeufs dans l'eau froide après avoir stoppé la cuisson plus tôt.

2. Bon, pourquoi ne pas répondre... mais pour moi qui ne cesse de réclamer un objectif avant d'emprunter un chemin, j'hésite quand même:
1. car pourquoi vouloir mettre des spaghettis dans l'eau froide, alors qu'il suffit de quelques minutes dans l'eau chaude pour les cuire ?
2. et pourquoi gagner des quantités d'énergies minimes, quand les mêmes roulent dans de grosses voitures, et gaspillent l'énergie à qui mieux mieux ?

3. Pour sûr, l'innovation ne vient pas de la répétition, et c'est quand on fait "autrement" que l'on peut trouver d'autres manières de faire.

4. Mais il ne s'agit pas de faire tout et n'importe quoi  au hasard, sans quoi on fait de l'empirisme.

5. Or on sait combien la cuisine a peu progressé de cette manière : la mayonnaise n'a été découverte que vers le début du 19e siècle, et des préparations comme le "chocolat chantilly" n'ont été inventées (par moi, en l'occurrence) qu'en 1995. Oui, l'empirisme a été balayé par la physico-chimie, et, plus précisément, par la science de la nature nommée "gastronomie moléculaire".

6. Pour les spaghettis et l'oeuf, il y a quelque chose en commun, à savoir des phénomènes qui découlent d'échauffements.  

7. Or les chimistes savent bien  qu'il y a des réactions qui se font plus ou moins rapidement, selon la température. Et une règle approximative dont ils usent est que la même réaction double de vitesse tous les 10 degrés supplémentaires.

8. C'est  hélas le cas des réaction de glycation (entre des sucres et des protéines), qui sont responsables de l'opacification du cristallin des personnes qui souffrent de diabète : c'est qui explique que réaction de glycation, fautivement nommée réaction de Maillard par ceux qui ne savent pas assez de chimie, se font en 10 minutes à 200 degrés mais en une vie à la température du corps c'est-à-dire de 37 degrés.

9. Mais je propose de ne pas oublier qu'il existe aussi des transitions qui, elles, ne doivent rien au temps, mais tout à la température Par exemple, si on prend de la glace à moins 10 degrés Celsius, on aura beau attendre des millions d'années, elle ne fondra pas, parce qu'on n'a pas atteint la température de zéro degré. De même, si on prend de l'eau liquide, il n'y aura pas d'ébullition tant qu'on aura pas atteint 100 degrés. Certes, il y aura de l'évaporation,  mais pas d'ébullition, laquelle est caractérisée par une transition brusque.

10. La physique est intéressée depuis longtemps à cette question des transitions : transitions de phase par exemple.

11. Pour la coagulation, heureusement qu'il y a une température de transition ! Car sinon, nous cuirions à ce feux doux qu'est la température de 37 degrés Celsius. En effet notre corps contient des protéines qui coagulent, et il y a une température à laquelle cela se produit.  La coagulation est, heureusement, un phénomène qui dépend de la température, non du temps.

12. Comme pour le blanc d'oeuf : on peut le chauffer aussi longtemps que l'on veut ; il ne coagulera que si l'on dépasse 62 degrés Celsius.

13. Pour les spaghettis, il y a deux questions : l'hydratation des spaghettis, et l'hydratation des grains d'amidon. Voici ce que l'on obtient si l'on fait tremper quelques jours des spaghettis dans l'eau froide (20 degrés Celsius). 

 


 

 


 

D'une part, les spaghettis s'hydratent, mais la question n'est pas là : dans la mesure où les spaghettis sont faits de grains d'amidon, la question est de savoir si ces grains sont, eux, empesés... sans oublier que la cuisson rend l'amidon digeste en le dissociant chimiquement (et cela m'étonnerait bien qu'il le soit dans l'eau froide).


samedi 26 septembre 2020

Le tremplin du covid

1. La relance ? Elle passe aussi par l'économie familiale et par l'instruction

2. La pandémie de covid a donc bouleversé les économies, mais elle a également bouleversé les modes de vie, et la "cuisine" s'est à nouveau imposée, dans les foyers... au point que les médecins qui pèsent leurs patients ont eu l'occasion d'observer des prises de poids de plusieurs kilogrammes : l'inactivité physique accrue avec le confinement, et un temps  de préparation culinaire accru ont déséquilibré l'alimentation de certains.

3. Ce constat ne doit-il pas être l'occasion de tirer des leçons d'autant plus importantes que les personnes en surpoids ou obèses ont été particulièrement atteintes par le virus ?

4. Les leçons sont de plusieurs types. Nutritionnelles, certainement : l'activité culinaire, qui était hier toute de reproduction de recettes traditionnelles, s'est considérablement diversifiée, augmentée de recettes de tous les pays, tout comme les ingrédients qui sont utilisés.
Quand je me souviens avoir été critiqué, après une émission de télévision en 1992, parce que j'avais proposé de faire un sorbet mêlant basilic et citron vert... à l'azote liquide ! Ce qui était en cause, c'était moins l'azote liquide que l'association de deux ingrédients dont la réunion n'était pas "traditionnelle" : cela allait-il nous empoisonner, par je ne sais quelle "réaction chimique" nouvelle et imprévue ?

5. Mais pour en revenir à ce régime alimentaire confiné, les foyers ont dû cuisiner au long cours, sans se reposer au moins la moitié du temps sur la restauration collective, et si du temps a été passé, on a donc vu que l'apport calorique était excessif par rapport aux dépenses (https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2020/confinement-quelles-consequences-sur-les-habitudes-alimentaires).

6. Cela a pour conséquence que nous devons apprendre à cuisiner avec moins de sucre et moins de gras... ce qui est difficile, parce que notre composante animale ne cesse de nous diriger vers la direction inverse.
Oui, nous ne cessons de travestir la graisse et le sucre en chocolat, les graisses et sucres en pâtisserie, nous déguisons l'huile en sauce mayonnaise, le beurre en sauces hollandaises ou béarnaises, nous faisons des fritures que nous préférons quand elles sont chargées d'huile, et d'huile malsaine -parce que chauffée- de surcroît, et ainsi de suite : je n'arriverais pas à faire la liste complète.

7. Et il se trouve que, peut-être, une cuisine moins grasse et moins sucrée est plus coûteuse : la question de l'économie familiale est posée.
Car, après tout, que sont nos aliments, d'un point de vue chimique, pour la masse (le goût, c'est autre chose) : de l'eau, d'abord, puis des protéines (coûteuses), des lipides, des sucres lents (polysaccharides tels que l'amylose et l'amylopectine de l'amidon) ou rapides (le saccharose, ou sucre de table, mais aussi les glucose et fructose des miels et de bien des légumes ou fruits). Or les produits "frais" que sont fruits et légumes sont coûteux.

8. Cette conclusion rejoint une question de culture : la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, mais c'est très certainement une question de culture. Or ne pas reproduire des cuisines du passé, c'est déjà faire un saut de culture terrible.
Qui doit être préparé ! Se pose la question d'un enseignement culinaire (dès l'école, surtout dès l'école) qui saurait ne pas se limiter à de la reproduction, mais évoluer vers de la compréhension !

9. Et il faudra apprendre à manger la "nouvelle" cuisine. Ici, des guillemets à "nouvelle", parce que l'expression "nouvelle cuisine" a été utilisée dans les années 1960 par Gault et Millau... qui ne faisaient que reprendre une expression du 17e siècle.
Là, aujourd'hui, c'est une autre nouvelle cuisine qu'il faut introduire, pour cette ère post-covid.

10. Mais surtout, le passage des citoyens par la cuisine n'est-il pas l'occasion de faire évoluer notre modèle alimentaire, avec plus de préparations domestiques ? 

11. Je rappelle que, si la cuisine, c'est d'abord de l'amour, ce n'est pas l'industrie alimentaire (très importante : je ne la dénigre certainement pas) qui peut donner cela ? Mettre sur la table une pizza surgelée pour sa famille n'est pas malsain, mais ce n'est pas la question : l'amour, ai-je dit !
 

12. Et si la cuisine, c'est de l'art, au même titre que l'aquarelle que l'on fait le dimanche, la musique que l'on joue en amateur, ce n'est pas non plus l'industrie alimentaire qui peut pallier nos insuffisances.
 

13. La technique ? Rien de plus simple si la transmission est bien faite, si l'on cesse de publier des recettes "pourries", infaisables, fausses, tordues... Bref, rien de difficile dans la technique culinaire si elle est bien expliquée.

14. Et finalement, la crise du covid peut être un tremplin pour un nouveau modèle alimentaire, parce que culinaire !

jeudi 24 septembre 2020

À propos de sel et de viande

science/études/cuisine/politique/émerveillement/gratitude

 

1. Il se dit mille choses, à propos de viandes, jusqu'à ceux qui, sans formation scientifique et n'ayant fait aucune étude scientifique des phénomènes, en donnent des "explications", en ligne, dans des revues, dans des livres... J'aimerais bien avoir leur certitudes, mais j'invite mes amis à se méfier quand ils entendent parler d'osmose, de réactions de Maillard, de choc thermique, et j'en passe et des meilleures.

2. L'osmose ? Si vous entendez dire que l'eau va du milieu le plus concentré au milieu le moins concentré, passez votre chemin. Les réactions de Maillard ? Là encore, si l'on vous dit qu'elles sont responsables du brunissement des viandes, c'est nul. Le choc thermique ? J'en ai déjà parlé mille fois dans ce blog, et, bien souvent, c'est du pur fantasme.

3. Bref, puisque l'on m'interroge à propose de saler la viande que l'on fait sauter (je rappelle que cela se fait dans une poêle, alors que poêler se fait dans un poêlon), je commence par rappeler que nous avons fait un séminaire de gastronomie moléculaire où nous avons vu s'affronter des professionnels : certains disaient que mettre le sel avant change la couleur (pas vu d'effet), d'autres disaient que saler après la cuisson permettait d'avoir une viande plus juteuse (pas vu d'effet), tandis que d'autres, encore, salaient en cours de cuisson... sans que l'on voit de différences avec les autres façons de saler.

4. Pour autant, il y a des phénomènes, qui doivent s'interpréter à partir de la connaissance de la structure des viandes... en commençant par rappeler que la viande est du tissu musculaire, fait de cellules allongées que l'on nomme des "fibres musculaires", lesquelles contiennent comme du blanc d'oeuf (de l'eau, des protéines), et qui sont groupées en faisceau par du "tissu collagénique" : un matériau qui limite les cellules, et les groupe en faisceaux, et les faisceaux en faisceaux de faisceaux.

5. Ce muscle est coupé... et il y a toute la différence du monde entre un découpe perpendiculaire aux fibres, et parallèles aux fibres : pensons à la différence entre une entrecôte et une bavette.

6. Et c'est en gros la quantité de tissu collagénique qui fait la dureté des viandes : quand il y a beaucoup de tissu collagénique, la viande est naturellement dure, et l'on préfère la braiser que la griller.

7. Mais, à propos de sauter les viandes, il faut bien garder en tête deux notions : la jutosité (combien il y a de jus) et la tendreté (combien la viande est tendre, molle en quelque sorte).

8. Quand on chauffe une telle viande, il y a des phénomènes divers, à commencer par des coagulations de protéines qui opacifient la viande, la perte d'oxygène qui change la couleur, la contraction du tissu collagénique qui comprime la viande comme une éponge et en expulse des jus, ou la dégradation du tissu collagénique qui attendrit la viande, ou encore le brunissement de surface, la formation d'une croûte (qui n'est en aucun cas imperméable).

9. Bref, mille phénomènes qui jouent différemment selon la façon particulière de chauffer.

10. Et c'est ainsi que l'on distingue assez justement la cuisson rapide, à haute température, et les cuissons lentes, à basse température.

11. A haute température, on chauffe surtout la surface, que l'on fait brunir ; la cuisson évapore l'eau de surface, et l'on s'arrête généralement avant que la texture de la viande soit homogène : le but est de produire un contraste, avec une partie centrale peut modifiée, qui conserve donc ses jus.

12. Pour la cuisson rapide, à haute température, il y a une contraction de la viande qui expulse les jus, d'où des bulles de vapeur au pied de la viande, des sifflements, de la fumée... Là, rien ne rentre et tout sort, de sorte que le sel ne peut en aucun cas venir à coeur.

13. En revanche, quand une viande sautée repose, elle se détend un peu, et peut absorber un peu de jus qui aurait été salé quand du jus exclu par la contraction se serait trouve au contact de sel, qui se serait donc dissous dans le jus.

14. Pour la cuisson à basse température, il y a deux façons de la faire :  courte ou longue.

15. Quand la cuisson est courte et que la température est basse, alors, surtout si le morceau de viande est épais, la température augmente légèrement de l'extérieur vers l'intérieur et, si on fixe une température de cuisson à 50 degrés par exemple avec quelques minutes, alors on obtiendra 50 degrés que sur une faible épaisseur et la viande sera quasi crue. Pas de risque microbiologique pour de la viande de boeuf, car c'est en surface que se trouvent des micro-organismes : si l'on a lavé la viande, ou si on l'a fait brunir avec un coup de gril ou de chalumeau, elle sera assainie.

16. Mais j'ai pris la précaution de parler de boeuf. Avec du porc, du sanglier, du cheval, il faut se méfier des parasites, et chauffer à plus haute température : on n'oublie pas que la cuisson sert (1) à assainir microbiologiquement, (2) à modifier la consistance pour rendre les denrées facilement consommables et assimilables, (3) enfin, et enfin seulement, à donner du goût.

17. Passons à la cuisson longue à basse température : le but est alors de dissoudre le tissu collagénique, pour attendrir la viande sans lui faire perdre sa jutosité.

18. Si maintenant on fixe une température de 60 degrés pendant plusieurs heures ou jours, alors la température sera de 60 degrés dans la totalité de la viande.

19. J'ai pris la précaution de parler de 60 degrés, parce que pour ces cuissons longues, il ne faut pas descendre trop bas en température, sans quoi on fait proliférer les micro-organismes, et l'on risque des accidents.

20. D'ailleurs, c'est une bonne pratique, quand on fait ce type de cuisson, de commencer par un brunissement à haute température, qui tue les micro-organismes ; puis on enferme la viande dans une cocotte ou dans une poche plastique, afin qu'elle ne soit pas recontaminée à l'air.

21. Et quand on cuit ainsi, à basse température pendant longtemps, le tissu collagénique est dégradé, et la viande s'attendrit merveilleusement : c'est la technique du braisage enfin maîtrisée par les thermostats modernes, qui évitent ce "coup de feu" qui ruinait tout.

22. Et là, la viande, qui est restée juteuse, devient tendre : tout bien, d'autant que cette viande à braiser est généralement bon marché.

23. Notons que, quand le tissu collagénique se défait, les fibres peuvent se séparer, et un liquide salé peut entrer à coeur par "capillarité".

mardi 21 juillet 2020

Ne transmettons pas des erreurs à nos amis

1. J'ai fini par m'en apercevoir mieux encore, mais j'en ai eu la confirmation par des amis cuisiniers : malgré les efforts de l'inspection de l'Education nationale, l'enseignement de la cuisine reste fondé sur la reproduction de gestes du professeurs, et de répétitions, en vue d'arriver à des résultats "conformes".

2. Cette méthode s'explique par la connaissance insuffisante de la physico-chimie des transformations culinaires, et aussi par leur abstraction, qui en rebute plus d'un de ceux qui veulent de la pratique. Bref, on est dans la technique plutôt que dans la technologie.

3. Et la technique était dans le soin que l'on prend à exécuter, on reste sur des gestes anciens, des matériels anciens, des méthodes anciennes, au lieu d'être dans une démarche novatrice, créatrice...

4. Bien sûr, on peut proposer aux étudiants de découvrir des cuisines du présent... mais il faut  à cette fin que les professeurs y soient formés, qu'ils soient à la pointe technique. Le sont-ils ? Bien peu se sont lancés dans la cuisine note à note, et j'en vois pour signe que très peu de Français participent au Concours international de cuisine note à note.

5. Je vois aussi qu'il y aurait lieu d'épauler la reproduction (on n'y échappera pas, soyons lucides) par des invitations à critiquer la technique qu'ils apprennent. Le simple questionnement devrait contribuer, en termes d'ingrédients, de méthodes, d'ustensiles... Bref, il y a tout à faire !

dimanche 12 avril 2020

A propos d'associations d'ingrédients


Ici, je mets en pratique ma nouvelle idée de constitution des textes. N'hésitez pas à me dire si cela vous paraît plus clair (icmg@agroparistech.fr)


1. On me parle encore de food pairing... La clé du bon  ! La clé du bon ? Je n'ai pas assez de points d'interrogation, afin de mettre en garde mes amis.

2. Tiens, j'observe que c'est de l'anglais : un peu snob,  un peu idiot, un peu simplet ? Nous aurions raison de nous souvenir de cette phrase hélas souvent juste : "à beau mentir qui vient de  loin" ! Oui, les termes étrangers, "ça en jette" ; ou disons plus justement que certains malhonnêtes ou prétentieux pensent que ça en jette, ou veulent faire croire qu'ils sont plus habiles que les autres. Oui, puisque non seulement ils ont des connaissances  (ou plus exactement ils prétendent les avoir) que les autres n'ont pas, et, de surcroît, ils sont allés les chercher si loin que, dans ces contrées, on ne parle même pas le français.

3. Le food pairing, c'est comme le nombre d'or : de ces petites règles simplistes qui sont prétendument la clé du beau. Le food pairing ? Il s'agit de penser que l'on peut faire quelque chose de bon  si l'on mêle deux ingrédients qui ont un composé odorant en commun. Enfin, disons que c'est la théorie actuelle, ou une des théories, parce que cette affaire de food pairing est complètement foireuse, et change tous les deux jours. On a d'abord dit, un composé odorant en commun, puis un composé odorant essentiel en commun, puis...

4. Au fait, et le nombre d'or  ? C'est un nombre, comme le nombre pi, que l'on trouve dans des circonstances faciles à décrire, mais ce serait un peu long. Disons seulement que des esprits mathématiquement un peu "légers"  y voient la clé de la construction des cathédrales, des pyramides, que sais-je... La clé du Beau, en tout cas. Et là encore, cette numérologie peut être largement réfutée.

5. Dans mon livre La cuisine c'est de l'art, de l'amour de la technique, je discute également la question du nombre-d'or qui était proposé en cuisine comme pour la construction des cathédrales. D'une part, les cathédrale ne sont jamais vraiment construites au nombre d'or,  qui est un nombre avec un nombre infini de décimales : une construction en pierre, elle, pourrait avoir certaines de ces proportions qui approchent le nombre d'or, mais pas toutes les proportions : ce serait idiot. De sorte que le choix des proportions au nombre d'or est arbitraire.

6. Dans les deux cas, du nombre d'or et du food pairing, une question : si le Beau était à ce compte enfantin du food pairing ou du nombre d'or, ne croyez vous pas que tout le monde l'atteindrait ? Oui, s'il suffisait de règles aussi simples, pourquoi tous les articles ne les utilisent-ils pas ? Pourquoi tout le monde n'est-il pas Mozart, Rembrandt, Rodin, Flaubert, Carême ? 

7. D'ailleurs, pour en revenir plus précisément  à la cuisine, observons que, trop souvent, il y a la confusion entre la technique et l'art. La technique, c'est le fait d'être capable d'assembler des ingrédients, de les préparer, et c'est très simple, même si c'est parfois long. L'art, d'autre part, c'est le fait de faire du bon, c'est-à-dire du beau à manger. Et là, il ne s'agit pas d'une question physiologique, mais sans doute d'une question culturelle, et on aura toujours intérêt à comparer la cuisine avec les autres arts que son la musique, la peinture, et cetera.

8. Aujourd'hui, le correspondant qui suscite ce billet est un cuisinier qui me parle d'associer les huîtres avec l'huître végétale, cette plante dont les feuilles ont un goût d'huîtres. Un goût d'huîtres ? D'abord, toutes les huîtres n'ont pas le même goût, et, d'autre part, le goût de cette plante ressemble au goût de certaines huîtres. Pas celles qui ont "un goût de noisette", par exemple.  Alors, lesquelles : huîtres de Marennes ? d'Oléron ? de Normandie ? claires ? ? petites ? grosses ? Mais, surtout, pourquoi associer un goût d'huîtres avec un goût d'huîtres ? Ce serait comme mêler du vin rouge à du vin blanc : pourquoi faire ?

9. Comparons avec la musique : associer un fa avec un fa dièse, par exemple :  pourquoi pas ? mais d'abord pourquoi ? Je propose que l'objectif soit toujours premier : avant de nous demander si le prétendu "food pairing" permettrait d'associer une huître avec une feuille d'huître végétale, demandons-nous ce que nous visons : quel effet veut-on obtenir ?  Le fait que mon correspondant s'aperçoive que l'association ne fonctionne pas ne condamne pas l'association pour autant.

10. D'ailleurs,  il est rare d'avoir seulement deux ingrédients dans un plat, et pourquoi ne pas mettre tout cela avec un œuf poché ? Et une mayonnaise dans laquelle il y aura donc du jaune d' œuf, du vinaigre de l'huile ? Et du sel, et du poivre... Dailleurs, ne pourrait-on pas y mettre du sucre, du piment ? Se limiter à deux ingrédients, c'est bien faible et sans intérêt a priori, car je le répète pourquoi vouloir associer deux ingrédients et deux seulement alors que ce n'est jamais cela que l'on fait en cuisine ?

11. Tout cela me fait souvenir d'un cuisinier qui prétendait faire du beau en mettant toujours dans l'assiette trois éléments  : règle simplissime, simpliste, car pourquoi trois, et pas deux (le yin et le yang), et pas quatre (la beauté du carré), et pas cinq comme le voudrait la pensée coréenne, et pas six, comme l'étoile à 6 branches... Décidément les règles de valent pas grand-chose en matière artistique.

12. Et c'est d'ailleurs leur contestation qui fait grandir l'art. Suivre une règle condamne presque l'oeuvre : les artistes n'ont cessé de dérogé... mais cela est au delà des capacités de beaucoup, car il y a quand même de la règle de base, de la technique. Pour être Jean-Sébastien Bach, qui utilise l'accord du diable, il faut en être capable. Pour jouer avec la perspective, dans un tableau, il faut en maîtriser les règles. Les artistes sont d'excellents techniciens !

13. Et derrière les oeuvres d'art, il y a beaucoup de travail : derrière les oeuvres de Bach, il y a une virtuosité fondée sur d'interminables travaux. Derrière les toiles de Rembrandt, il y a toute la maîtrise technique de la peinture. Flaubert travaillait jour et nuit pour ne produire que sept phrases par jour !

14. J'alerte donc mes amis : ne vous laissez pas piéger par le "food pairing" (qui n'existe pas !).

jeudi 9 avril 2020

Ma recette de Lammala

Il est temps de s'entraîner, puisque Pâques arrive !

Voici ma recette (éprouvée) de Lammara :




Lammala (ou Lamala)  de Pâques :
Pour 1 agneau, il vous faut :
– 60 g de farine tamisé type 45
– 90 g de sucre semoule (60 et 30)
– 1 sachet de sucre vanillé
– Le zeste d’un demi-citron
– 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
– 4 jaunes d’œufs (3 s'ils sont gros)
- de l'eau de fleur d'oranger
Un moule en terre cuite
– une noix de beurre fondu dans  le moule
– Environ 20 g de farine tamisée Type 45

La fabrication :
1. Dans un premier temps, préparer le moule : déposer une noix de beurre dans chaque moitié, et mettre les deux moitiés dans le four que l'on préchauffe.
2. Quand le beurre est fondu, en badigeonner bien tout le moule, puis farine ; éliminer l'excès
3. Séparer les 4 jaunes des 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
4. Faire blanchir les jaunes d’œufs avec 60 g de sucre semoule et le sucre vanillé : il faut battre TRES longtemps, pour que ce soit parfaitement blanc et ferme.
5. Puis ajouter le zeste de citron très finement râpé det l'eau de fleur d'oranger
4. Monter les œufs en neige très ferme, et les serrer encore avec 30 g de sucre semoule et 1 pincée de sel.
6. Mélanger les blancs en neige au premier mélange délicatement.
7. Ajouter 60 g à 100 g de farine et 50 g de beurre fondu à l'ensemble et incorporer à la spatule avec un minimum de mouvement, pour ne pas faire retomber la préparation
8. Puis fermer le moule avec le crochet et y verser la pâte.
9.  Enfourner le Lammala à 170°C pendant 35 à 40 minutes.
10. Une fois la cuisson finie, patientez 5 minutes avant de le démouler.
11. Saupoudrez le Lammala de sucre glace

mardi 7 avril 2020

Quelles relations entre 'activité nommée "cuisine" et l'activité nommée "chimie" ?



1. Commençons par observer que la cuisine est une activité "technique" : le mot "technique" vient du grec techne, qui signifie "faire". Et, de ...fait, on "fait" quand on produit un mets.
Naguère, il y  également eu une activité de fabrication de métaux, de bougies, de médicaments, de couleurs, de cosmétiques... et cela fut, comme la cuisine, du technique qui engendra des réflexions sur le pourquoi des phénomènes observés, et, à partir de la Renaissance, des sciences de la nature.
Oui, la cuisine est une base à partir de laquelle la chimie est née, mais la métaphore de l'engendrement n'est pas juste, car la chimie n'est pas "fille" des arts techniques, mais d'une autre nature.

2. Observons que, en français, il n'y a pas d'autre mot que "cuisine" pour désigner la production d'aliments à partir d'ingrédients. Certes, certains me diront qu'il vaudrait mieux parler de "mets" que d'aliments ; pourquoi pas, puisque la définition des aliments n'impose pas qu'ils soient préparés, en langue française (je maintiens que le Trésor de la langue française informatisé, du CNRS, est le seul dictionnaire officiel, puisqu'il n'est pas produit par un organisme commercial).
D'autre part, je maintiens aussi (puisque c'est ce que montre parfaitement l'histoire des techniques et des sciences) que la "chimie" n'est pas la production de composés, à partir de  composés différents, mais bien la science de la nature qui  explore ces transformations. Le mot "chimie" a toujours désigné cette activité, et il continue de le faire, de sorte qu'il faut un autre nom pour désigner la techique qui met en oeuvre les phénomènes.

3. Donc la cuisine, d'un côté, et la chimie, de l'autre. Deux activité qui sont préparées dans des pièces respectivement nommées "cuisine" et "laboratoire"... à cela près que les charcutiers, les pâtissiers, et d'autres professionnels travaillent aussi dans un lieu nommé "laboratoire". Le mot vient de labeur, travail. Mais on aurait tort de penser que le chimiste se limite à son laboratoire, car l'activité des sciences de la nature a en réalité deux composantes indissociables : l'expérience et le calcul. Pas de science sans les deux activités. Et c'est la raison pour laquelle j'ai naguère proposé de parler plutôt de sciences de la nature que de sciences expérimentales.

4. Oui, en cuisine, il  y a des gestes qui ressemblent à ceux de certains chimistes, quand ils en sont à faire la partie expérimentale de la chimie : broyer, découper, chauffer, refroidir... Cela ressemble,  et alors ? Le cuisinier et le chimiste respirent, marchent, aiment, mangent, boivent... mais ces activités communes ne font pas que tout soit commun !

5. Tout cela étant dit, observons la chimie, à la lumière des nombreux documents d'histoire des sciences et des techniques.
Au début, des chimistes (on disait aussi des alchimistes, le mot n'ayant pas, en réalité, la connotation ésotérique qu'on lui prête trop souvent aujourd'hui, à tort) chauffaient des matières et observaient des modifications de leurs propriétés. La matière était donc littéralement transformée, et cela était cause de trouble, mais avait aussi des applications pratiques évidentes : produire de la chaux à partir de carbonate était essentiel, tout comme fabriquer des métaux à partir des minerais, ou du savon, qui lave, à partir de graisse et de cendres...
Ce premier temps, qui consistait à pratiquer des "recettes", s'accompagnait de "spéculations", d'interrogations sur les transformations, bien mystérieuses qui se manifestaient lors des expériences. Il y  eut des "théories", celle des quatre éléments (air, terre, feu, eau) ou celle du phlogistique (on croyait que le chauffage enlevait des matières aux "substances"), celle du "calorique" (qui aurait été un fluide transmis par chauffage), etc.
Puis progressivement se dégagèrent les notions de molécule, d'atome... L'(al)chimie (en anglais chymistry) céda la place à la chimie (chemistry), cette merveilleuse science de la nature que j'aime passionnément. Rien à voir avec l'activité culinaire, qui n'a pas changé et ne changera pas dans ses objectifs : préparer des aliments.

6. Bien sûr, les sciences de la nature ont des conséquences technologiques. Et c'est ainsi, par exemple, que le chimiste Michel-Eugène Chevreul améliora la confection des bougies après avoir découvert la constitution moléculaire des graisses. Dans les premières recettes de savon, on mettait de la cendre avec de la graisse, mais il apparut que, dans la cendre, la composante essentielle était la potasse qui y est présente (c'est ce que l'on nommait un alcali, aujourd'hui nommé base). De ce fait, il y eut cette proposition de remplacer la potasse par d'autres bases, et il y eut d'autres savons, mieux que les premiers.
Progressivement, la science de la chimie  permit de déterminer par avance les résultats des opérations techniques que l'on se proposait de faire. Au lieu d'observer des résultats, de les orienter empiriquement, on devenait capable de prévoir des résultats.
Trois temps, donc : la recette, la recette épurée à ses seuls composés actifs, la recette prévue théoriquement.

7. Et pour la cuisine, quelle évolution est-elle possible ? L'objectif, je l'ai dit, ne changera pas, mais la technique, elle, peut encore progresser. D'abord, il y a eu cette rénovation technique de la cuisine moléculaire, qui voulait rénover les ustensiles. Puis, depuis moins longtemps, la "cuisine note à note", où l'on change les ingrédients.
Mais l'usage que l'on fait des ingrédients reste le même : produire des aliments. Bien sûr, les progrès de la gastronomie moléculaire permettent de prévoir par avance le résultat des transformations que l'on met en oeuvre, mais la technique restera la technique.

8. Pour conclure, deux champs séparés :
- la cuisine, activité technique, avec une composante artistique et une composante sociale
- la chimie, science de la nature, qui cherche les mécanismes des phénomènes.


mardi 18 février 2020

Donner du bonheur

Il faut être juste : j'ai critiqué les cuisiniers qui, interviewés, disent tous, sans être originaux, "Je veux que mes clients soient heureux" et "Je cuisine des produits frais". Mais je me trouve un peu injuste.

Pas pour la déclaration sur les produits frais : imagine-t-on qu'un restaurateur puisse dire "Je cuisine des produits qui ne sont pas frais" ? Ou alors, ce serait un spécialiste des produits fermentés, par exemple... et la mode du fermenté devrait nous trouver cela. Mais là, nos amis cuisiniers partiraient de produits frais, pour faire leurs fermentations.

Mais c'est à propos des clients heureux que j'étais un peu injuste, parce que je critiquais leurs propos en disant :
- peut-on imaginer qu'un cuisinier ne veuille pas rendre ses clients heureux ?
- ils manquent d'originalité en disant tous la même chose.

Pour la première critique, je la maintiens, mais c'est à propos de l'originalité que je m'en veux... car que diraient des scientifiques interviewés sur leurs objectifs  ? Tous répondraient : "Je cherche à lever un coin du grand voile"... sans originalité.

Bien sûr, c'est à chacun de dire comment il fait, plus en détail, et c'est là que réside l'originalité (il y a des "styles", en science), mais sur l'objectif, tous ont le même !

dimanche 16 février 2020

Ils redécouvrent la roue


Amusant : les mêmes qui vilipendent les productions de l'industrie alimentaire en découvrent les vertus !

Ici, je trouve ce commentaire :

"Après avoir vu une vidéo sur l'injection de gélatine dans les poulets et les gambas chez certains industriels agroalimentaires peu regardants sur la qualité des produits qu'ils distribuent, nous nous sommes dits que cela pourrait être utile en cuisine pour réaliser des plats encore plus surprenants. Alors nous avons testé, et ce n'est pas mal du tout.
Nous avons commencé par des tests avec des filets de poulet et de l'eau de parmesan pour parfumer la viande d'un goût assez surprenant lorsque l'on déguste le plat. Nous avons nous [sic] également testé avec de l'eau de bacon cuit, ce qui a donné de bons (de délicieux !) résultats comme vous pouvez vous..."


On observera que nos commentateurs sont bien en retard : non seulement j'avais proposé cela dans mes Secrets de la casserole, mais j'ignorais que cela avait été proposé un demi siècle plus tôt comme des "intrasauces".





Oublions donc les naïfs, et restons sur la question industrielle : certes, il y a des industriels médiocres, mais il y  en a aussi de remarquables, et il suffit d'aller au supermarché pour voir des prouesses. Par exemple, ces crackers en forme de ballons percés : impossible de gonfler un ballon s'il a un trou, non ? Ou ces compotes sans sucre ajouté, de conservation parfaite. Ou ces laits qui se conservent des années. Et ainsi de suite : on trouve tout à n'importe quelle heure de la journée  !