jeudi 30 avril 2020

Pourquoi s'interdire le mot "arôme" dans des acceptions fautives est en réalité quelque chose de positif et de merveilleux

1. Pourquoi s'interdire le mot "arôme" dans des acceptions fautives est en réalité quelque chose de positif et de merveilleux
Ah, le mot "arôme" ! Employé à tort et à travers, et d'abord par tous ceux qui ignorent qu'un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, d'un aromate. Il n'y a pas d'arôme de viande, puisque la viande n'est pas un aromate. Pas d'arôme de banane ou de cerise, pas d'arôme de tabac, pas d'arôme de cuir...

2. Les acceptions fautives sont nombreuses, et notamment parmi les amateurs de vins, sommeliers, oenologues. Mais aussi parmi les spécialistes des sciences et technologies du goût, qui, d'ailleurs, ont des acceptions contradictoires, certains y voyant une odeur, d'autres une odeur rétronasale (quand l'odeur monte par l'arrière de la bouche, vers le nez), d'autres encore la "somme" d'une odeur et d'une saveur (qui pourra bien m'expliquer comment on calcule une telle somme ?), et ainsi de suite : c'est une immense cacophonie.

3. Sans compter qu'une certaine réglementation très fautive, et qui conduit à de la déloyauté, au mépris de cette loi de 1905 qui veut protéger le public des marchands sans scrupules, a admis le terme d'"arôme" pour désigner des compositions ou des extraits de composés souvent odorants. Il faut absolument que ces produits soient, au minimum, nommés des aromatisants, et pas des arômes, sans quoi on verse dans la confusion, dont quelques malhonnêtes s'empareront pour tromper.

4. Restreindre le mot "arôme" à son vrai sens est-il une limitation ? Au contraire : introduisons de nouveaux mots pour désigner des entités mieux comprises aujourd'hui, et introduisons de nouveaux mots pour désigner des produits industriels qui ont leur vertus, et dont nous avons tous intérêt de comprendre les caractéristiques  !

mardi 28 avril 2020

Pourquoi critiquer le mot "flaveur" n'est pas négatif, mais au contraire très encourageant


1. L'écriture gastronomique ? On veut discuter des mets, évoquer des bonheurs gourmands, faire des promesses artistiques, évoquer des réunions amicales, joyeuses, fines, subtiles...
Et je vois que, en fin de cette phrase précédente, je suis tombé dans l'épithétisme : l'accumulation de termes (ici des adjectifs) qui voudrait faire bien sentir mon enthousiasme.

2. Le problème, c'est que les synonymes stricts n'existent pas, et qu'à force d'entasser des mots, ma pensée devient de plus en plus gauchie, au point d'être parfois médiocre ou mauvaise.
Bref, jusqu'où peut-on aller, sans tomber dans l'erreur ou la faute ?

3. L'un des mots que je critique, dans la littérature gourmande, que l'on doit plutôt dire gastronomique, d'ailleurs, ou culinaire, est "flaveur". C'est un mot qui a été introduit avec un peu de force dans les années 1950, et dont personne ne sait vraiment bien ce qu'il signifie, au point que mêmes mes collègues "sensorialistes" n'ont pas toujours la même définition.
Je suis bien désolé de vous dire que des collègues distants d'un bureau, dans la même institution de recherche, dans le même laboratoire, la même "unité", le même bâtiment, la même équipe, le même groupe, ne s'entendent pas sur ce terme, et l'on voit la cacophonie régner dans les conférences scientifiques, tout comme dans les articles scientifiques. C'est honteux !

4. Inversement, rien de contradictoire, ailleurs : à propos de température, d'entropie, d'énergie... De quoi est-ce l'indication ? Que les définitions, en sciences de la nature, doivent toujours être formelles, quantitatives, sous peine de n'être que du discours verbeux ?
Oui, chacun peut avoir sa définition, mais ce n'est pas ainsi que l'on construit des monuments. Il y a lieu de faire quelque chose.

5. Et évidemment, que peut penser le public plus large du sens de ces mots, s'ils ne sont pas bien définis par ceux qui devraient le faire ? Le flou règne, l'incohérence, l'incompréhension, la discorde.
Les poètes les plus faibles s'emparent de ces mots, pour donner un son, ou couleur, faire vibrer des cordes sensibles. Fort bien, mais finalement, de quoi parle-t-on ?

6. Oui, dans les années 1950, certains ont voulu imposer le mot "flaveur" pour le mot français "goût"... mais nous avions déjà ce mot "goût", que chacun comprend parfaitement : quand nous mangeons une fraise, nous percevons le goût de fraise. Faut-il en dire plus ?

7. Certes, si nous le voulons, nous pouvons décomposer le goût, sensation synthétique, en saveur, odeur, consistance, température, piquant ou frais... Mais où irait alors se nicher le mot "flaveur" ? Il est inutile.

8. Donc gênant  !

9. Et dire cela, c'est bien sûr critiquer ceux qui ont voulu introduire le mot "flaveur", avec toutes sortes de mauvaises raisons.
Mais c'est surtout débarrasser notre langue commune de scories.


Ne parlons plus de flaveur, mais parlons de goût !


lundi 27 avril 2020

Ecrire "jeune" ?


1. Des échanges épistolaires avec un nouvel ami me font souvenir d'une  époque ancienne où j'étais rédacteur en chef de la revue Pour la Science, et où tous les jeunes éditeurs, moi compris (en quelque sorte) disaient : "Il faut rajeunir la langue dans le journal"...
Certes, nous avions tout intérêt à ne pas avoir un lectorat vieillissant, qui finirait par mourir, et, de ce fait, il était clair que nous devions séduire les plus jeunes, dont on constate qu'ils parlent différemment.

2. Mais, "différemment" comment ? Allions-nous supporter de faire exprès des fautes de français ou d'orthographe ? Allions-nous supporter des clichés, signes d'une bien piètre pensée, d'une ignorance lexicale, d'une hâte coupable, d'un laxisme idiot ? Oui, "parler jeune", "écrire jeune", c'est quoi, exactement ? Coller à une langue ignorante ? Faire des fautes ?
Sans compter que tous les "jeunes" ne parlent pas de la même façon. Voulait-on dire "jeunes des milieux populaires" ?

3. Je combats absolument l'idée selon laquelle la mauvaise monnaie chasse la bonne, et, lorsque j'ai été directeur scientifique d'émissions de télévision, j'ai largement démontré que, au contraire, le public est reconnaissant quand on lui apprend quelque chose, sans prétention, légèrement. Oui, à nous de faire que la bonne monnaie chasse la mauvaise !

4. Et  je crois aujourd'hui que c'est dans la couleur et le rythme que tout se tient. Un imbécile qui jacte ne fera jamais qu'un discours d'imbécile qui jacte, mais une langue propre,  puissante, vigoureuse, support d'une pensée forte, voilà ce qui remue tout le monde, n'est-ce pas ?


dimanche 26 avril 2020

La justesse n'est pas un frein ; c'est un moteur !




1. Nous craignons parfois que la rigueur ne nous empêche de marcher, d'avancer, car nous craignons les pointilleux (en alsacien : Dieffalashiesser), les procrastinateurs...
Mais non, mille fois non : bien dosée, avec cette modération qui était considérée par les Grecs antiques comme la vertu suprême, la rigueur est ce qui nous permet de nous mouvoir avec aisance.

2. N'oublions pas Condillac, puis Antoine Laurent de Lavoisier, qui était tout imprégné des idées du premier : il a rénové la chimie avec la rénovation des termes (dois-je vous redonner son introduction, dans le Traité élémentaire de chimie ?) .

3. En réalité, ce mouvement est le mouvement tout entier des sciences (de la nature), et j'ai bien dû faire quelques billets de blog pour dire que, au contraire, tout cela, toute cette précision terminologique,  fait grandir. D'ailleurs, il y a une sorte d'évidence à cela : comment créer du neuf si l'on reste dans l'ancien ? Il faut introduire des mots pour désigner des objets nouveaux, et seuls des champs poussiéreux tourneront avec les mêmes termes. Les sciences de la nature sont tout entières dans des mots justes, et jamais des raccrocs.

4. Et la rigueur empêcherait-elle la gourmandise, d'autre part ? La question m'a été posée il y a des décennies, par une journaliste qui me demandait si je n'abattais pas la "poésie" de la cuisine avec la gastronomie moléculaire, la réfutation éventuelle des précisions culinaires.
A l'époque, j'avais trouvé du tac au tac une réponse que je ne renie pas aujourd'hui :  si je vais au clair de lune avec mon amoureuse, savoir pourquoi la lune brille n'empêche pas l'amour.

samedi 25 avril 2020

Les morceaux caquetés en paraissent meilleurs... surtout quand les mots sont justes ;-)

Les morceaux caquetés en paraissent meilleurs... surtout quand les mots sont justes ;-)

Nous sommes bien d'accord : "les morceaux caquetés en paraissent meilleurs" : les mets dont on parle sont toujours magnifiés par le discours, la gastronomie, tant il est vrai que nous ne sommes pas des animaux, mais des êtres de culture, et, surtout, de langage.

Cela étant,  je ne vois pas d'inconvénient à ne pas dire des choses fausses, à propos de ce dont on parle, car le manteau des mots ne couvre jamais assez le corps, et ne suffit pas à lui donner sa tenue. Il faut le corps, la justesse du propos, pour ériger le manteau, le faire exister, en quelques sorte.
De surcroit, je garantis à mes amis que la bonne conscience d'utiliser de bons termes, donc de penser bien et d'aider les autres à faire de même, s'ajoute au bonheur de distribuer de l'enthousiasme au dela d'une sorte d'épithétisme qui est une façon veule de parler de cuisine.


Bref, il y a lieu d'avoir un discours gastronomique aussi précis que possible, sans jamais craindre que la poésie soit abattue.... comme je le raconterai un autre jour.

vendredi 24 avril 2020

La logique de la connaissance


1. L'absence d'idée préconçue serait une audace ? C'est l'idée que l'on me tend, et je préfère la regarder avec circonspection, avant de l'adopter. En fin d'analyse, je conclus, au contraire, qu'il n'est pas question d'audace dans cette affaire, mais seulement de conséquences. De quoi nous pousser à lire ou à relire la nouvelle de Voltaire consacrée au portefaix borgne.

2. Nous sommes tous les enfants de la culture que nous avons reçue alors que nous étions précisément des enfants,  et cette culture nous maintient dans un état infantile. Cette "culture", ce sont des idées préconçues qui nous tombe dessus comme des chapes de plomb, comme des filets dont nous ne pouvons pas nous dépêtrer.

3. Il y a donc lieu de regarder le monde avec lucidité, de combattre ces filtres qui sont souvent ceux des mots.

4. Mais il y a aussi ceux concepts, des notions. En sciences de la nature, je répète assez que les professeurs distribuent des informations, des méthodes, des valeurs, des anecdotes, mais aussi des notions et des concepts, qui sont autant d'outils intellectuel : la température, l'énergie, la vitesse, l'accélération, et caetera. 

5. Ces outils méritent d'être considérés avec attention, car s'ils ne sont pas appropriés, le travail ne sera pas fait. Inversement, s'ils sont bons, ils nous permettront des accomplissements merveilleux.

6. Evidemment, la découverte d'un outil, c'est du travail. Il faut apprendre à connaître l'outil, le tester, faire un apprentissage. En conséquence, l'utilisation de l'outil conduit à des réalisations, à des productions. Et ces productions seront toutes nouvelles puisqu'elles seront au minimum des reproductions.

7.  Il n'y a pas d'audace dans la production de ces réalisation ; seulement l'utilisation logique de l'outil.
Si on utilise un marteau, on écrasera ou l'on enfoncera :  pas d'audace dans l'écrasement ou dans l'enfoncement, puisqu'il s'agit seulement de l'utilisation du marteau. Avec un tournevis, on tournera une vis,  et le fait qu'une vis soit vissée n'est pas de l'audace non plus. Il en va, de même, avec l'utilisation d'outils intellectuels tels que l'entropie, l'énergie, la température... Une fois une notion obtenue, ce qu'elle permet de faire  n'est qu'une conséquence logique.

8. Et je vois ainsi ce mouvement : l'étudiant découvre d'abord une connaissance et il  la transforme en compétences, qui conduisent à d'autres résultats, logiquement, sans audace.

9. Nommons cela la logique de la connaissance ! 

 

jeudi 23 avril 2020

Il est temps d'introduire une critique gastronomique qui ne confonde pas tous sous prétexte de poésie !

Il est temps d'introduire une critique gastronomique qui ne confonde pas tous sous prétexte de poésie !

1. Il y a des écrivains qui discutent des questions culinaires : leur activité pourrait-elle de la critique "culinaire" ? Ce serait une expression abusive, car cette critique n'est pas de la cuisine. Serait-une écriture "gourmande" ? Pas plus : c'est éventuellement l'écrivain, qui est gourmande (et j'écris "éventuellement" en référence au Paradoxe sur le comédien, de mon ami Denis Diderot). Serait-une écriture gastronomique ? Très certainement, et j'insiste un peu en observant qu'il ne s'agit pas, avec le mot "gastronomie", de cuisine coûteuse, d'apparat, fine, mais de connaissance de la cuisine. Le discours à propos de la cuisine est très proprement, très justement gastronomique.

2. Hélas, cette littérature-là est bien trop indigente, car elle verse le plus souvent dans le "j'aime" ou le "je n'aime pas". Mais qu'avons-nous à faire de ce qu'un petit marquis ou une petite marquise aime ou n'aime pas ? Qu'il ou elle gardent leurs goût pour eux, au lieu de vouloir nous les imposer ?

3. Je leur réclame autre chose : des éclaircissements, des explications, et cela n'est plus de la poésie, mais du précis, pratique, rigoureux. Il est temps que, passé l'après guerre, où les journalistes politiques les plus sulfureux ont été souvent recasés dans la critique gastronomique, nous ayons enfin des écrivains compétents, précis.

4. Et leur plume doit donc être précise, fine et juste. C'est ce que je réclame dans au moins deux de mes livres :
- La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique : une idée structurante, d'ailleurs, que ce titre, car pourquoi nos amis critiques n'analyseraient-ils pas la cuisine selon ces trois composantes, si elles sont celles de la cuisine (et elles le sont !) ?



- Les précisions culinaires : dans la dernière partie, déjà, je proposais des rénovations de la littérature gastronomique, et je vous invite à en prendre connaissance.


Nos valeurs

Cela faisait longtemps que je n'avais pas envoyé cette liste  (rénovée, augmentée) :



Quelques idées pour aider à se supporter quand on se voit dans un miroir

IL FAUT S’AMUSER A FAIRE DES CHOSES PASSIONNANTES
H. This

Nous sommes ce que nous faisons : quel est ton agenda ?
H. This

Une colonne vertébrale !
H. This

Tout fait d'expérience gagne à être considéré comme l'émanation de généralités que nous devons
inventer (abstraire et généraliser)
H. This

Quels sont les mécanismes ?
La science en général

Les mathématiques nous sauvent toujours : « que nul ne séjourne ici s’il n’est
géomètre »
Platon

Ne pas oublier de donner du bonheur.
H. This

Tu fais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais le, et, en plus, fais-en la théorisation.
H. This

Surtout ne pas manquer le moindre symptôme
H. This

Je ne sais pas, mais je cherche !
H. This

De quoi s’agit-il ?
Henri Cartier-Bresson

Puisque tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer aujourd’hui ?
H. This

« Dois-je croire au probable ? ».
H. This ?

A rapprocher de :« En doutant, nous nous mettons en recherche, et en cherchant nous trouvons la vérité ».
Abélard

Et de :
"Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir".
Poincaré

Combien ?
La science en général

D’r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht
Proverbe alsacien amendé par H. This

Ni dieu ni maître
La devise des anarchistes

Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait
?

La vie est trop courte pour mettre les brouillons au net : faisons des brouillons nets !
Jean Claude Risset

Se mettre un pas en arrière de soi même
?
 
Le summum de l’intelligence, c’est la bonté
(et la droiture)
Jorge Borgès


Regarder avec les yeux de l’esprit
H. This

Vérifier ce que l’on nous dit
Ne pas généraliser hâtivement
Ayez des collaborations
Y penser toujours
Entretenez des correspondances
Avoir toujours sur vous un calepin pour noter les idées
Ne pas participer à des controverses
Michael Faraday et Isaac Watts

Penser avec humour des sujets sérieux (un sourire de la pensée)
H. This

« Comme chimiste, je passai cette oeuvre à la cornue ; il n'en resta que ceci : »
; se dissoudre dans, infuser, macérer, décoction, cristalliser, distiller,
sublimer, purifier, alambiquer
Jean-Anthelme Brillat-Savarin

« Et c’est ainsi que la chimie est belle »
H. This d’après Alexandre Vialatte

Morgen Stund het Gold a MundProverbe alsacien

Y penser toujours
Louis Pasteur

Ne pas confondre les faits et les interprétations
Elémentaire

Quand les lois sont mauvaises, il faut les changer
H. This

Ne pas faire de lois qui punissent les bons élèves, et ne pas faire des lois pour punir les mauvais si on ne les applique pas.
Un conseil de H. This aux prétentieux qui font des lois

Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant
Cicéron

Dieu vomit les tièdes
La Bible

Il n’est pas vrai que « La tête guide la main », ce qui est prétendu par une
poutre du Musée du compagnonnage, à Tours : la tête et la main sont
indissociables
H. This

Les calculs !!!!
Tous les scientifiques dignes de ce nom

Tout changer à chaque instant (vers du mieux !)
H. This

Chercher des cercles vertueux
H. This

Comme le poète, le chimiste et le physicien doivent maîtriser les métaphores
H. This

Le moi est haïssable
Blaise Pascal

Quels mécanismes ?
La science en général

N’oublions pas que nos études (scientifiques) doivent être JOVIALES
Hervé This

L’enthousiasme est une maladie qui se gagne
Voltaire

Clarifions (Mehr Licht)
Goethe

Tu viens avec une question, mais quelle est la réponse (utilise la méthode du soliloque)
H. This

Pardon, je suis insuffisant, mais je me soigne
H. This

Comment faire d’un petit mal un grand bien ?
H. This

Le diable est caché derrière chaque geste expérimental, et derrière chaque calcul
H. This

Les questions sont des promesses de réponse (faut-il tenir ces promesses). Vive les questions étincelles
H. This

La méditation est si douce et l’expérience si fatigante que je ne suis point étonné que celui qui pense soit rarement celui qui expérimente
Diderot

Comment pourrais-je gouverner autruy, moi qui ne me gouverne pas moi- même

Prouvons le mouvement en marchant !
Hervé This

Comment passer du bon au très bon ? Comment donner à nos travaux un supplément d’esprit ?
Hervé This

Il faut des TABLEAUX : les cases vides sont une invitation à les remplir, donc à travailler!
Hervé This

Si le résultat d'une expérience est ce que l'on attendait, on a fait une mesure ; sinon, on a (peut-être) fait une découverte!
Franck Westheimer

Quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
Marcel Fétyzon

Il n'est pas nécessaire d'être lugubre pour être sérieux (le paraître n'est pas l'être).
H. This

Il faut tendre avec efforts vers l'infaillibilité sans y prétendre.
Michel-Eugène Chevreul

 vois une régularité du monde ? Il devient urgent de s'interroger sur sa cause.
H. This

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée
H. This

Avant toute chose, quel est l'objectif ? (et est-il légitime?)
Hervé This

On a le droit de ne pas savoir, mais ne faut-il pas avoir le sentiment pressant qu'il faut apprendre ?
Hervé This

Restons à de sains principes (au lieu de perdre notre temps à mettre des rustines)
Hervé This

Censeur ? Au contraire !


1. Alors que je préparais une conférence pour expliquer que les réaction de Maillard ne méritent pas leur nom, que ce sont en réalités des réactions de glycation, je m'aperçois que, souvent, la rigueur intellectuelle risque de me mettre en position de censeur.

2. Pour la conférence sur les réactions de glycation, j'étais conscient du risque et j'ai tout fait -en préparant ma conférence- pour transformer cette apparence négative en une promesse de progrès : si l'on comprend que tout ce qui brunit en cuisine n'est pas pêle-mêle "des réactions de Maillard", on a quelque chance de finir par comprendre pourquoi les aliments brunissent, et, de ce fait, d'en tirer des conséquences techniques !

3. Mais les applications techniques, via les travaux technologiques, ne sont pas ma préoccupation première, comme on finit par le savoir autour de moi. Surtout, je suis bien persuadé, et Lavoisier l'a amplement démontré, que la pensée et les mots vont de pair, que la science ne peut se perfectionner sans des améliorations du langage, et vice versa.

4. De  sorte que l'on n'a jamais intérêt, si l'on vise plus de clarté, à utiliser de mauvais termes. Ce qui vaut pour les réactions de glycation vaut aussi pour l'utilisation de mots comme "flaveur" (oublions le terme sans attendre) ou "arôme", le premier n'ayant aucun sens et le second étant souvent dévoyé, car en réalité l'arôme est l'odeur d'une plante aromatique.

5. Du point de vue de la compréhension et la clarté, les choses sont claires : nous avons intérêt à utiliser des termes appropriés.
Mais perd-on quelque chose ?
Perd-on une capacité d'enthousiasme à utiliser des termes dévoyés, fautifs, erronés ? Je ne crois pas car c'est en voyant mieux le monde, en le voyant plus finement, que nous pouvons le mieux nous émerveiller.
Prenons la métaphore d'une pendule que nous pouvons regarder de loin. Nous pouvons l'appeler une horloge, une pendule : la littérature voudra que nous choisissions l'un ou l'autre terme en fonction d'assonances, d'allitérations, que sais-je ? Mais une horloge n'est pas une pendule, et les connotations qui vont avec ces mots risquent d'avoir une force qui contredit l'utilité littéraire fondée sur la confusion ou l'ignorance. De même, prêche ou sermon ? On aura beau faire : ce n'est pas la même chose puisque le sermon est catholique et le prêche protestant. Et même si une sorte de goût naïf nous poussait à utiliser l'un pour l'autre, nous aurions des catastrophes amicale à vouloir confondre les termes.

6. Oui c'est en voyant mieux le monde,  en appréciant mieux ses détails,  que l'on est le plus efficace en terme d'enthousiasme,  tel le guide du musée qui montre du doigt des particularités que personne ne voit,  sans se tromper.
Gardons l'image du guide, qui montre cet insecte en bas d'une nature morte, et qui explique que l'insecte symbolise... tout un ensemble de choses que   je vous invite à découvrir en regardant l'histoire de la peinture classique (je fais là une coquetterie, en ouvrant une parenthèse qui veut inviter mes amis à aller plus loin ; n'est-ce pas un peu lourdement didactique ?).

7. Mais revenons à l'idée principale : je me sentirai toujours mieux, toujours plus honnête, à être un guide clair, pas un guide qui cache son ignorance derrière de l'obscurité.
Car je le clame depuis longtemps : je suis insuffisant, insuffisamment compétent, insuffisamment savant. Je travaille pour pallier ces insuffisances, et j'implore la clémence de mes amis, car c'est pour eux que je fais ces travaux qui veulent éradiquer mes ignorances : tendre avec efforts vers l'infaillibilité, disait le chimiste Michel Eugène Chevreul.
Oui, je déteste les prétendus savants, les prétendus compétents, et l'obscurité du langage est souvent leur apanage, au point que mes incompréhensions, face à un quelqu'un qui me parle, me font presque aussitôt supposer que celui-là ou celle-là veulent me tromper. Trop de prétentieux, de malhonnêtes, d'autoritaires, de paresseux jouent à ce jeu de l'obscurité pour que je puisse l'accepter pour moi !

8. Et puis, quand même, le projet n'est-il pas de mettre  de la lumière partout, de combattre l'obscurité, cette obscurité qui se nourrit justement des confusions, et des confusions lexicales en particulier.

9. Enfin, je le répète, le merveilleux est dans le quotidien, et pas dans le fantasme ni dans l'obscurantisme. Je ne résoudrai jamais à me laisser aller à moins de rigueur  sous prétexte qu'il pourrait y avoir de plus de poésie. Car il n'y a pas plus de poésie ;  il y en a plutôt moins, car les grands voiles posés  sur le monde nous empêchent de voir, de l'admirer.
La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public, n'est-ce pas ?

lundi 20 avril 2020

Pour obtenir du croustillant/ how to make crisp products

On m'interroge à propos de croustillant  : comment en obtenir quand on cuisine ?
About crackling, how to get it ? (in English at the bottom of the  page. 
 
Pour une telle question, il y a lieu d'analyser un peu en n'oubliant pas ces "commandements" que j'avais donné s dans mon livre Mon histoire de cuisine
 
 
 
 
Je ne vais pas les rappeler tous, car il y en a 14,  et certains n'ont pas de rapport avec la question qui nous intéresse. En revanche, je propose d'observer que les liquides sont... liquides,  et que les solides sont... solides. 
Cela suffit en réalité à tout dire à condition de savoir  que nos aliments sont souvent des assemblage de composés qui sont soit solides soit liquides dans les conditions ambiantes. 
 
Par exemple la farine est solide, mais l'eau est liquide, et l'huile aussi. Dans une pâte, par exemple il peut y avoir des grains de farine - solides-  dispersées dans un liquide, et cette  "suspension" peut-être plus ou moins molle, plus ou moins dure.
Mais restons à cette expérience de disperser de la farine dans de l'eau. On obtient une pâte plus ou moins molle, selon la proportion de solide : par exemple, avec beaucoup d'eau et peu de farine, on a une poudre dispersée (qui finit par sédimenter). Mais avec beaucoup de farine et peu d'eau, on a une pâte plus dure. 
A la cuisson, cette pâte peut durcir. Si on la sèche, c'est-à-dire si l'on élimine liquide, alors on obtient quelque chose de très dur, qui peut-être est craquant si on a une couche un peu épaisse, et croustillant si l'on a milles petits "crac" qui résultent de la rupture de nombreux feuillets, comme dans une pâte feuilletée. 
 
Cette analyse, faite pour l'eau, ne vaut pas pour l'huile, qui ne s'évapore pas à la cuisson : si l'on répète la même expérience que précédemment mais en remplaçant l'eau par du beurre, qui fondra quand il chauffera, on récupérera une pâte sablée, avec des grains de farine dispersées dans du beurre qui, au refroidissement, vont durcir un peu. 
 
Et s'impose maintenant une discussion relative à l'énergie de liaison des molécules dans les solides. 
 
Dans un cristal de sel, les liaisons entre les atomes de sodium et de chlore sont très forts (ce sont des liaisons "électrostatiques", de sorte que de tels cristaux sont très résistants, très durs. 
Idem pour des cristaux de sucre, où, les molécules de saccharose sont tenues par de nombreuses "liaisons hydrogène". 
Idem dans les grain d'amidon,, puisque les "polysaccharides" (amylose et amylopectine) qui composent ces grains sont des polymères de saccharides, toujours avec les liaisons hydrogène précédemment considérées pour le sucre de table, ou saccharose.  
Pour les matières grasses, telle l'huile que l'on fait figer, les cristaux formés sont bien plus mous, parce que les liaisons sont des "liaisons de van der Waals", environ dix fois plus faibles que les liaisons hydrogène, et plus de cent fois plus faibles que les liaisons électrostatiques (je donne des ordres de grandeur). 
 
 Bref, on n'oubliera donc pas de penser à la chimie, si l'on veut maîtriser parfaitement le croustillant, notamment pour ceux qui se préparent à participer au 8e concours de cuisine note à note. 


 
 
PS. Pour les plus chimistes, voici une image que je crois de salut public de distribuer 
 
 
 
 
 
The translation in English : 
 
I'm asked about crispness: how do you get it when you cook?

For such a question, it is necessary to analyze a little while not forgetting these "commandments" that I had given in my book Mon histoire de cuisine.

I am not going to recall them all, because there are 14 of them, and some of them are not related to the question we are interested in. On the other hand, I propose to observe that liquids are... liquids, and solids are... solids.
That's really enough to say it all if you know that our food is often a collection of compounds that are either solid or liquid under the ambient conditions.

For example, flour is solid, but water is liquid, and so is oil. In a dough, for example, there may be grains of flour - solids - dispersed in a liquid, and this "suspension" may be more or less soft, more or less hard.
But let's stick to this experiment of dispersing flour in water. We obtain a more or less soft paste, depending on the proportion of solid: for example, with a lot of water and little flour, we have a dispersed powder (which ends up sedimenting). But with a lot of flour and little water you get a harder dough.
When baking, this dough can harden. If you dry it, i.e. if you remove the liquid, then you get something very hard, which may be crunchy if you have a thick layer, and crispy if you have a thousand little "cracks" resulting from the breaking of many layers, as in a puff pastry.

This analysis, made for water, does not apply to oil, which does not evaporate during cooking: if we repeat the same experiment as before, but replacing the water with butter, which will melt when it heats up, we will recover a shortbread dough, with grains of flour dispersed in butter which, on cooling, will harden a little.

And now a discussion about the binding energy of the molecules in the solids is necessary.

In a salt crystal, the bonds between the sodium and chlorine atoms are very strong (these are "electrostatic" bonds, so that such crystals are very resistant, very hard.
Same for sugar crystals, where the sucrose molecules are held by many "hydrogen bonds".
Ditto in starch grains, since the "polysaccharides" (amylose and amylopectin) that make up these grains are polymers of saccharides, again with the hydrogen bonds previously considered for table sugar, or sucrose. 
For fats, such as oil, which is frozen, the crystals formed are much softer, because the bonds are "van der Waals bonds", about ten times weaker than hydrogen bonds, and more than one hundred times weaker than electrostatic bonds (I give orders of magnitude).

 In short, one should not forget to think about chemistry, if one wants to perfectly master the crispness, especially for those who are preparing to participate in the 8th note-to-notes cooking contest.




PS. For the most chemists, here is a picture that I think of public salvation to distribute

dimanche 19 avril 2020

Pourquoi on ne sent pas le goût du vin en apnée ?


Une question de dégustation, ce matin : pourquoi ne sent-on pas le goût du vin en apnée ?


Pour répondre, il faut d'abord expliquer ce qu'est le "goût".


1. Le goût d'un met, c'est ce que l'on perçoit quand on déguste ce met. Par exemple, quand on mange (ordinairement) une banane, on a le goût de la banane.


2. Ce goût est la résultante de plusieurs perceptions, par des récepteurs différents, situés en des endroits différents de la bouche et du nez   : des récepteurs de la saveur des récepteurs de l'odeur, des récepteurs "trigéminaux", des capteurs de pression, des récepteurs pour certains lipides particuliers, des capteurs de température, des récepteurs de lumière...Et c'est la somme de toutes ces strimulations qui fait le goût, après un traitement dans le cerveau.


3. Mais tout cela est bien compliqué, et rien ne vaut  quelques expériences.


4. Pour commencer, il n'est pas difficile de voir que les aliments ont une apparence visuelle, avec texture, couleurs, brillance...


5. Puis, approchons l'aliment de la bouche : il passe sous le nez, et l'on perçoit alors parfois une odeur : c'est l'odeur anténasale, due à des composés qui s'évaporent de l'aliment, passent dans l'air environnant, et montent dans le nez, où elles sont détectées. Et une bonne indication, c'est que l'on ne sent rien si l'on pince le nez.


6. Puis, une expérience qui consiste à se pincer le nez, puis à mâcher des herbes aromatiques (par exemple, du thym séché) pendant quelques secondes. On ne sent alors rien que la consistance, une sorte d'impression de mâcher du foin.

On conclut que les herbes aromatiques séchées n'ont quasiment pas  de saveur.


7. Après plusieurs secondes (disons 10), de mastication des herbes aromatiques séchées, on  relâche le nez : et soudain il y a une vague de sensation, à savoir que, cette fois, on perçoit  le "goût" ses herbes aromatiques. Ici, c'est simplement que les molécules odorantes libérées par la mastication ont réussi à atteindre les récepteurs du nez. Et l'on est conduit à conclure que le "goût" des herbes aromatiques tient essentiellement dans leur odeur. Une odeur rétronasale, puisque, cette fois, elle résulte de la montée des molécules odorantes par un canal qui relie la bouche au nez, à l'arrière de la bouche. C'est l'odeur "rétronasale".

Conclusion supplémentaire :  les herbes aromatiques séchées ont une odeur, mais quasiment pas de saveur


8. On répète maintenant l'expérience de goûter le nez pincé, puis de libération du nez avec du sucre.

Cette fois, on perçoit bien la saveur sucrée, quand le nez est pincé. Mais rien ne vient s'ajouter quand on libère le nez, de sorte que l'on doit conclure que le sucre a une saveur, mais pas d'odeur (rétronasale).


9. Répétons avec du vinaigre : là, on sent bien l'acidité, quand le nez et bouché, mais une odeur rétronasale s'ajoute : le vinaigre a de la saveur et de l'odeur.

C'est d'ailleurs de cas de nombreux autres aliments.


10. Je fais l'impasse sur d'autres modalités sensorielles : le trigéminal (piquant, frais...), etc., parce que mon objectif, ici, était de répondre à la question de mon correspondant : en apnée, quand on ne permet pas aux molécules odorantes de venir stimuler les récepteurs olfactifs du nez, on ne perçoit pas la composante odorante du goût, et, pour des produits qui ont essentiellement de l'odeur (rétronasale), le goût n'est pas perçu.

vendredi 17 avril 2020

Un priestley, c'est quoi ?

Depuis quelques jours, la culinosphère bruit d'un terme mystérieux "priestley", depuis que mon ami Pierre Gagnaire en a parlé sur Top Chef.

De quoi s'agit-il : qu'est-ce qu'un priestley ? C'est une de mes inventions, qui date d'avant 2008.

Tout d'abord,  expliquons le nom : Joseph Priestley (1733 - 1804) était un chimiste et théologien anglais qui isola de nombreux gaz, tel l’oxygène. Il fut ainsi un des pionniers de la « chimie pneumatique », et fut élu à la Royal Society en 1772, l'année où il publia ses Observations sur différentes espèces d'air. Au moyen d'une cuve à mercure, Priestley isola des gaz, comme l'ammoniac, l'oxyde d'azote, le dioxyde de soufre et le monoxyde de carbone.
C'est en 1774 qu'il produisit pour la première fois de l'oxygène et comprit également son rôle dans la combustion, ainsi que dans la respiration des végétaux (1775). Cependant, partisan de la théorie erronée du phlogistique, il nomma ce nouveau gaz l'air déphlogistiqué et ne comprit l'importance de sa découverte.

Pourquoi avoir donné ce nom ? Parce que j'avais inventé une sorte de généralisation des crèmes anglaise : or Priestley était anglais.

Pour comprendre ce qu'est un priestley, partons de la crème anglaise. C'est une sauce un peu épaisse que l'on obtient classiquement en battant du jaune d’œuf avec du sucre, jusqu’à ce que la préparation prenne une consistance lisse, plus blanche : on dit que la préparation doit « faire le ruban ». Puis on ajoute du lait et toutes sortes de produits qui contribuent au goût de la préparation, et l’on cuit, en faisant des huit au fond de la casserole jusqu’à ce que la crème épaississe.
Longtemps, la crème anglaise a été fautivement décrite comme une émulsion chaude… alors qu’il s’agit d’une « suspension ».  Suspension ? C’est le nom que les physico-chimistes donnent à des systèmes physiques faits d’une phase liquide, où sont dispersés des solides de très petites tailles, ce que l’on nommait naguère des dispersions « colloïdales » (de kolla, la colle). Bref, ce sont nombre de pâtes, par exemple, mais aussi des systèmes plus fluides, comme la classique crème anglaise. Parce que l’œuf coagule quand on le chauffe : la raison pour laquelle la crème « prend », c’est précisément que l’œuf coagule, et l’on voit d’ailleurs, au microscope, une myriade de petits agrégats solides, dans le liquide. Autrement dit, une crème anglaise réussie est pleine de grumeaux microscopiques. Le grumeau n’est dérangeant que lorsqu’il est perceptible.

De la crème anglaise aux priestleys

Que faire de cette connaissance ? De nouveaux mets, bien sûr. Pour faire une crème anglaise, il faut de l’œuf (le sucre est là pour donner une consistance sucrée, mais guère plus) et du liquide (le lait, classiquement, mais tout autre liquide convient.
Des protéines ? Les viandes en sont plein ! Les poissons aussi. Apprenons à broyer finement ces tissus musculaires, et nous récupérerons des protéines en solution. Plus exactement, la quantité de protéines récupérables dans un tissu musculaire broyé sera six à huit fois plus concentrée que dans un blanc ou que dans un jaune d’œuf. A cette chair broyée, ajoutons un liquide : celui que l'on veut convient, en salé ou en sucré. Puis un peu de matière grasse que l'on émulsionne pour retrouver celle de la crème anglaise, qu’elle soit apportée par l’œuf ou par le lait. Puis chauffons, doucement : les protéines coaguleront et la crème prendra.

C'est cela, mon invention que j'ai nommée "priestley", et que Pierre Gagnaire a été le premier à servir en cuisine, puisque je lui donne mes inventions en priorité.

Qu'est-ce que le vinaigre ?

Qu'est-ce que le vinaigre ? Il suffit d'aller ailleurs qu'en France (quand on n'est pas confiné, bien sûr), pour savoir que ce n'est pas toujours obtenu par fermentation du vin, comme on le suppose dans l'Orléanais.
Et c'est ainsi que l'Alsace a dû batailler à propos du Melfor, qui est... du Melfor.

Pour les définitions légales, le bon réflexe est toujours le même  : .gouv.fr.

Et c'est ainsi que je vous livre ce lien :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006066377&dateTexte=20110507

Pour les échanges internationaux, il faut regarder le Codex alimentarius :
http://www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/search/en/?cx=018170620143701104933%3Aqq82jsfba7w&q=vinegar&cof=FORID%3A9&siteurl=www.fao.org%2Ffao-who-codexalimentarius%2Fcodex-texts%2Flist-standards%2Fen%2F&ref=duckduckgo.com%2F&ss=1004j208704j7


Hopla !

mercredi 15 avril 2020

This one was in French, but it deserves translation in English : about fair citation in scientific articles


A friend who submits a manuscript to me quotes popular books in an academic text. I point out to him that the authors he quotes are compilers, moreover, but my friend replies that the texts he quotes are those from which he has taken the information he used for his own text, and that it is therefore only fair to quote these people.

What can we conclude? What can we do?



Yes, it is fair, but what about good practice?

First of all, let us observe that it is justice to quote these people... but injustice not to quote those who are at the origin of the works cited by the compilers.

And insofar as lazy scientists -let's say "fast", to be charitable- quote much more the "reviews", synthesis, compilation, works of popularization than the original works, we end up having only the compilers quoted, which is perfectly abnormal.
Injustice is established... all the more so since there is also an injustice in giving credit to compilers for works they did not do. For what are we quoting: the compilers' texts, or the compiled data? This is the first question that should have been asked, and the answer shows that the original works must be cited.

On the other hand, it is not a good practice to start from texts - especially compilations - when they are not perfectly recent, and not to show everyone that one is making one's bibliography, but especially because recent works make useful scientific revisions: this is the state of the art, and any older work, which would have been revised, should therefore not be cited.

All the more so since recent articles, which appear more often than reviews, syntheses or compilations, are published more frequently, and on more precise points. Moreover, if these articles are good, they will have made a tight bibliographical exploration, and which will have more acuity than those of the compilations.

Hence the conclusion: when one cites works, one must directly cite the authors of these works, and the authors of revisions of these results. Not the intermediate texts, and even less the compilations!

But obviously, this requires a lot of work, whereas my friend was lazily relying on reviews, syntheses, compilations... which avoided all the research.

But I end charitable: it was probably less laziness than ignorance of the rules of good scientific practice.




References (only some ;-))

A quote that served me well: Penders B (2018) Ten simple rules for responsible referencing. PLoS Comput Biol 14(4):e1006036. https://doi.org/10.1371/journal.pcbi.1006036

An important article, because it says that quoting is still to have a critical eye: Nature Genetics. Neutral citation is poor scholarship. Nature Genetics. 2017; 49:1559. https://doi.org/10.1038/ng.3989 PMID: 29074946

A "best practice" article: Carol Anne Meyer, Reference accuracy: best practices for making the links, The Journal of Electronic Publishing, 11(2), 2008, DOI: http://dx.doi.org/10.3998/3336451.0011.206


(text still in progress)

Qui citer ?


Un ami qui me soumet un manuscrit cite des livres de vulgarisation dans un texte universitaire. Je lui fais remarquer que les auteurs qu'il cite sont des compilateurs, de surcroît, mais mon ami me répond que les textes qu'il cite sont ceux dont il a tiré l'information qu'il utilise pour son propre texte, et que c'est donc justice que de citer ces personnes.
Que conclure ? Que faire ?



Oui, c'est justice, mais qu'elle la bonne pratique ?
Observons tout d'abord que c'est justice de citer ces personnes... mais injustice de ne pas citer ceux qui sont à l'origine des travaux cités par les compilateurs.
Et dans la mesure où les scientifiques paresseux -disons "rapides", pour être charitable- citent beaucoup plus les "reviews", synthèse, compilation, oeuvres de vulgarisation que les travaux princeps, on finit par n'avoir que les compilateurs cités, ce qui est parfaitement anormal. L'injustice s'entérine... d'autant qu'il y a aussi une injustice à créditer les compilateurs de travaux qu'ils n'ont pas fait. Car que cite-t-on : les textes des compilateurs, ou les données compilées ? Là est la première question que l'on aurait dû poser, et la réponse montre qu'il faut citer les travaux originaux.

D'autre part, ce n'est pas une bonne pratique de partir de textes -notamment les compilations- quand ils ne sont pas parfaitement récents, et non pas pour montrer à tous que l'on fait sa bibliographie, mais surtout parce que les travaux récents font des révisions scientifiques utiles : c'est l'état de l'art, et tout travail plus ancien, qui aurait été révisé, ne doit donc pas être cité.
D'autant que les articles récents, qui paraissent plus souvent que les reviews, synthèses ou compilations,  sont publiés plus fréquemment, et sur des points plus précis. De surcroît, si ces articles sont bons, ils auront fait une exploration bibliographique serrée, et qui aura plus d'acuité que celles des compilations.

D'où la conclusion : quand on cite des travaux, il faut citer directement ceux qui en sont les auteurs, et les auteurs de révisions de ces résultats. Pas les textes intermédiaires, et encore moins les compilations  !

Mais évidemment, cela demande beaucoup de travail, alors que mon ami se reposait paresseusement sur les reviews, synthèses, compilations... qui lui évitaient toute la recherche.

Mais je finis charitablement : c'était sans doute moins de la paresse que de l'ignorance des règles de bonne pratique scientifique.



Références  :
Une citation qui m'a servi : Penders B (2018) Ten simple rules for responsible referencing. PLoS Comput Biol 14(4):e1006036. https://doi.org/10.1371/journal.pcbi.1006036
Un article important, parce qu'il dit bien que citer, c'est quand même avoir un regard critique : Nature Genetics. Neutral citation is poor scholarship. Nature Genetics. 2017; 49:1559. https://doi.org/10.1038/ng.3989 PMID: 29074946
Un article "bonnes pratiques" : Carol Anne Meyer, Reference accuracy: best practices for making the links, The Journal of Electronic Publishing, 11(2), 2008,  DOI: http://dx.doi.org/10.3998/3336451.0011.206

(texte encore en chantier)

mardi 14 avril 2020

A propos d'hygiène

1. Allons : faisons aujourd'hui quelques considérations d'hygiène puisque l'époque est à cela. Je propose de parler aujourd'hui de la méthode HACCP, de la marche en avant, de la cuisson des aliments et des TIAC (les toxi-infections alimentaires).

2. Commençons par la méthode HACCP qui est très judicieusement enseignée dans les écoles de cuisine, et qui est une manière de se prémunir  contre les dangers microbiologiques et chimiques, donc de réduire ces risques. Je passe sur la définition du sigle pour indiquer seulement que c'est une méthologie, qui va d'ailleurs de pair avec la "marche en avant", dans les restaurants : il y a un circuit qui va de l'entrée des founisseurs, avec des produits contaminés, vers la table du client, où tout doit etre sain ; les locaux doivent être organisés de sorte que les produits sains ne croisent pas les objets souillés.

3. Plus généralement, l'idée est d'éviter des contaminations qui rendront le client malade : je  me souviens avec effroi d'une diarrhée qui a duré 15 jours alors que je faisais partie d'un groupe qui revenait de Tunisie. Il ne serait pas tolérable que cela puisse avoir  lieu en France métropolitaine, et c'est notamment pour éviter cela que l'on insiste tant sur l'hygiène dans les formations culinaires.

4. Ce qui me fait dire depuis longtemps que,  s'il est obligatoire d'avoir un CAP pour ouvrir un salon de coiffure, cela fait longtemps que l'on aurait dû imposer la même réglementation pour les restaurants : les particuliers qui cuisinent n'ont pas les notions d'hygiène indispensable, d'autant que l'école ne les donne pas.

5. Il y a donc des progrès à faire... et la meilleure preuve en sont les statistiques de TIAC (toxi-infections alimentaires collectives) : aux Etats-Unis, il y a un an ou deux, plus de la moitié de telles infections résultaient du mauvais lavage des mains par les personnels des restaurants ! Bref, il y a encore beaucoup à faire, d'autant que les statistiques publiées à l'occasion de l'épidémie de covid-19 montrent qu'un nombre excessif de personnes ne se lavent pas les mains, notamment en sortant des toilettes  : mas étonnant que l'on retrouve les micro-organismes qui les contaminent  sur les aliments !

6. Il faut bien redire que la cuisson tue les micro-organismes, mais surtout en surface : on pensera utilement à ne jamais descendre sous 60 °C (sauf à coeur, pour une viande saignante... et à condition qu'on ne l'ait pas piquée, ce qui aurait eu pour effet de faire venir à l'intérieur des micro-organismes de la surface.

7. Et l'on n'oubliera pas des températures supérieures s'imposent pour des viandes qui peuvent être parasitées : porc, sanglier, cheval.

8. On n'oubliera pas, aussi, que le lavage permet d'éviter des parasites, venus du sol ou de l'environnement, telle la douve du foie sur le cresson sauvage,  ou divers parasites du poisson cru...  La congélation n'est pas un moyen suffisant de tuer ces êtres vivants qui nous veulent du mal.

9. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans un hygiénisme déplacé, comme à propos de la crainte de l'empoisonnement par les aliments. Paradoxalement, ce sont les groupes sociaux les plus aisés qui ont le plus peur, mais, en réalité, l'effort doit porter surtout sur les groupes les moins aisés, et c'est l'Ecole qui a la charge essentielle de transmission des informations salutaires : c'est seulement quand  l'ensemble de la population est sensibilisé que l'on peut vivre tranquille sans trop s'en faire, avec des gestes simples.

10. Enfin, redisons-le sans craindre la répétition : ce sont les campagnes de promotion de l'hygiène, en plus des antibiotiques, qui sont essentiellement à l'origine de l'allongement de la durée de la vie dans les dernières décennies.


lundi 13 avril 2020

A propos de lentilles et de dureté de l'eau


1. Un jeune collègue italien  m'interroge à propos de cuisson de légumes, et, plus particulièrement, de cuisson de lentilles. Je propose de commencer par une expérience...  puisque l'expérience a toujours raison, disait déjà Galilée :
Un bon moyen pour atteindre la vérité, c'est de préférer l'expérience à n'importe quel raisonnement, puisque nous sommes sûrs que lorsqu'un raisonnement est en désaccord avec l'expérience il contient une erreur, au moins sous une forme dissimulée. Il n'est pas possible, en effet, qu'une expérience sensible soit contraire à la vérité. Et c'est vraiment là un précepte qu'Aristote plaçait très haut et dont la force et la valeur dépassent de beaucoup celles qu'il faut accorder à l'autorité de n'importe quel homme au monde.

2. Cette expérience consiste à cuire des lentilles dans trois casseroles, où l'on met de l'eau du robinet, si celle-ci n'est pas trop "dure" (mais j'ai fait l'expérience dans des lieux si différents que je sais l'expérience "robuste") :
- dans la deuxième casserole, on ajoute du vinaigre
- dans la troisième casserole, on ajoute du "bicarbonate".
On chauffe les trois casseroles jusqu'à ce que les lentilles dans l'eau "pure" soient cuites, et l'on compare alors les lentilles des trois casseroles :
- dans l'eau "pure", les lentilles sont cuites comme il faut (par définition)
- dans l'eau avec le vinaigre, les lentilles sont dures comme des cailloux
- dans l'eau avec bicarbonate, les lentilles sont complètement défaites, en purée.

3. Ce fait étant établi, il nous faut des données pour interpréter les résultats, et il y a notamment :
- le fait que la dureté des légumes est due notamment à la cellulose
- le fait que la dureté des légumes est due  notamment aux pectines
- le fait que les lentilles contiennent des grains d'amidon

4. La cellulose est inerte chimiquement : et la preuve en est que nos chemises de coton, en cellulose quasi pure, peuvent être bouillies des centaines ou des milliers de fois sans se "dissoudre" dans l'eau de lavage.

5. Mais les molécules de celluloses sont tenues par les molécules de pectine, qui sont commes des cables autours de piliers de cellulose. Or les pectines peuvent se dégrader  par une réaction d'"hydrolyse" particulière, nommée élimination bêta. Elles perdent de petits morceaux, et les piliers de cellulose ne sont plus tenus : c'est pour cette raison que les légumes cuits ordinairement (casserole 1) s'attendrissent. Il  y a nombres d'articles scientifiques à propos, et je renvoie vers mon texte 66. Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, May 2009, vol 42, N°5, pp. 575-583, Published on the Web 05/19/2009 www.pubs.acs.org/acr, doi10.1021/ar8002078. , qui donne des pistes.

6. Les pectines sont sensibles à l'acidité du milieu, car ces "cordes", ou "cables", sont en réalité des chaînes moléculaires qui  portent de nombreux groupes acide carboxylique (-COOH). Lorsque le milieu est peu acide, une partie de ces groupes est sous la forme "déprotonée", ce qui signifie qu'ils ont perdu l'atome d'hydrogène H, et sont donc électriquement chargés. D'une part, ces charges se repoussent... ce qui explique d'ailleurs que les confitures ne prennent pas quand elles ne sont pas assez acides : les pectines se repoussent, et ne s'associent donc pas. D'autre part, les milieux "basiques" favorisent l'hydrolyse des pectines.

7. On comprend ainsi que les lentilles cuites en milieu acide restent dures, alors qu'elles sont défaites en milieu basique.

8. Mon correspondant parle un français difficile à comprendre (ce n'est pas un reproche que je lui fais), de sorte que  je ne suis pas certain de bien comprendre ce qu'il me dit à propos du bicarbonate, mais je le renvoie vers mon cours en ligne sur les calculs de pH pour voir ce qui se passe quand on ajoute du bicarbonate dans l'eau (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=GM&curdirpath=/Des_cours_de_niveau_universitaire).
D'abord, disons plutôt hydrogénocarbonate de sodium.
Ensuite, ce composé de formule NaHCO3 se dissocie en Na+ et HCO3-, qui se dissocie lui-même en proton et ion carbonate CO32-

9. Pour comprendre maintenant la complication supplémentaire due au calcium, il faut savoir que ces ions Ca2+ sont abondants dans les eaux "dures".

10. Or les ions calcium gênent la réaction de dégradation des pectines, en "pontant" des molécules de pectine. En effet, les ions calcium sont doublement chargés, avec la charge électrique opposée  des groupes carboxylates (souvenez-vous : les groupes acides déprotonés). Et ils forment des édifices difficiles à détruire avec ces groupes. Cela durcit les lentilles.

11. D'ailleurs, une autre expérience consiste à cuire des légumes dans de l'eau additionnée d'ions calcium (par exemple, du chlorure) : les légumes deviennent très durs.
On voit aussi cet effet quand on chauffe des légumes (faisons l'expérience avec des carottes) à seulement 40-50 °C : on active des enzymes qui provoquent la fuite du calcium intracellulaire, lequel vient durcir les légumes, au point qu'on ne parvient plus, ensuite, à les amollir... avec deux conséquences :
- surtout pas de légumes dans les cuissons à basse température
- utilisons cette méthode pour affermir des cornichons, afin qu'ils restent bien croquants.

12. Ajouter du bicarbonate, c'est libérer des ions négativement chargés (hydrogénocarbonates et carbonates), qui peuvent conduire à la précipitation de carbonate de sodium, ou calcaire !
Autrement dit, le bicarbonate a une double action : il précipite le calcium, ce qui contribue à ne pas durcir les lentilles, et il amollit, par l'effet "anti-acide".

Est-ce clair ?

La chimie est née de l'alchimie au 18e siècle

L'alchimie ? On ne saurait assez oublier tout ce qui a été dit et écrit ily a plus de cinquante ans, avec des travaux rigoureux, tels ceux de Robert Halleux, en Belgique. Il n'est pas seul : pour les textes en langue française, on pourra se référer également à Bernard Joly ou Didier Kahn. En substance, l'alchimie est l'ancien nom de la chimie, et la transition s'est faite au 18e siècle, en même temps que la physique ou la biologie apparaissaient sous leur forme moderne. Galilée, Newton (dans son champ), Bacon furent de merveilleux précurseurs de cette apparition des sciences de la nature modernes, qui nécessitaient encore des discours épistémologiques serrés, au 19e siècle (avec par exemple Michel Eugène Chevreul et sa "méthode a posteriori expérimentale"), pour que nous en arrivions à notre idée moderne (et l'on oubliera les idées floues de ceux qui confondent sciences de la nature et technologie sous le vocable de "technosciences" ou de ceux qui confondent les sciences de la nature et les sciences de l'humain et de la société).

Dans tout ce contexte, on aura raison de lire l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert , qui fut précisément publiée au moment où la chimie  se dégageait plus clairement de l'alchimie, avec une transition qui a été nommée (al)chimie par Didier Kahn, et chymistry par les historiens de langue anglaise. Dans l'Encyclopédie on voit les changements à l'oeuvre, entre le début et la fin de l'entreprise : la chimie telle que nous l'entendons aujourd'hui n'apparaît que vers le volume VI.

Et dans le volume 1, voici ce que l'on trouve (p. 248, http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-1117-0/, dernier accès 2020-03-25) :

ALCHIMIE, s. f. est la chimie la plus subtile par laquelle on fait des opérations de chimie extraordinaires, qui exécutent plus promptement les mêmes choses que la nature est long-tems à produire ; comme lorsqu’avec du mercure & du soufre seulement, on fait en peu d’heures une matiere solide & rouge, qu’on nomme cinabre, & qui est toute semblable au cinabre natif, que la nature met des années & même des siecles à produire.[on le voit : pas de mystique ici, mais seulement la reconnaissance de faits].

Les opérations de l’alchimie ont quelque chose d’admirable & de mystérieux ; il faut remarquer que lorsque ces opérations sont devenues plus connues, elles perdent leur merveilleux, & elles sont mises au nombre des opérations de la chimie ordinaire, comme y ont été mises celles du lilium, de la panacée, du kermès, de l’émétique, de la teinture de l’écarlate, &c. & suivant la façon, dont sont ordinairement traitées les choses humaines, la chimie use avec ingratitude des avantages qu’elle a reçûs de l’alchimie : l’alchimie est maltraitée dans la plûpart des livres de chimie. Voyez Alchimistes.[ici, la chimie prend sa place, et il faut d'ailleurs signaler que l'évolution vers la chimie visait notamment à se débarrasser de l'image détestable qu'avaient les alchimistes]

Le mot alchimie est composé de la préposition al qui est Arabe, & qui exprime sublime ou par excellence, & de chimie, dont nous donnerons la définition en son lieu. Voyez Chimie. De sorte que alchimie, suivant la force du mot, signifie la chimie sublime, la chimie par excellence.[dont acte, mais le 18e siècle fut quand même le moment où la quête de la pierre philosophale, par exemple, fut abandonnée, au point que Colbert interdit de considérer ces matières dans l'Académie qu'il avait créée]

Les antiquaires ne conviennent pas entre eux de l’origine, ni de l’ancienneté de l’alchimie : si on en croit quelques histoires fabuleuses, elle étoit dès le tems de Noé. Il y en a même eu qui ont prétendu qu’Adam savoit de l’alchimie.[on lira dans les bons auteurs d'histoire de la chimie que nombre de livres sont plus récents qu'ils ne le disent, et pas toujours écrits par ceux à qui on les attribue  : en les enracinant, leurs véritables auteurs voulaient en accroître l'autorité]

Pour ce qui regarde l’antiquité de cette science ; on n’en trouve aucune apparence dans les anciens auteurs, soit Medecins, soit Philosophes, soit Poëtes, depuis Homere, jusqu’à quatre cens ans après Jesus-Christ. Le premier auteur qui parle de faire de l’or est Zozime, qui vivoit vers le commencement du cinquieme siècle. Il a composé en Grec un Livre sur l’art divin de faire de l’or & de l’argent. C’est un Manuscrit qui est à la Bibliotheque du Roi. Cet ouvrage donne lieu de juger que lorsqu’il a été écrit, il y avoit déjà long-tems que la chimie étoit cultivée ; puisqu’elle avoit déjà fait ce progrès.[oui, j'ai parlé de pierre philosophale, mais j'aurais dû évoquer la confection de l'or, puisque c'était un moteur essentiel de l'alchimie ; le même, en quelque sorte]

Il n’est point parlé du remede universel, qui est l’objet principal de l’Alchimie, avant Geber, auteur Arabe, qui vivoit dans le septieme siecle.[ah, voici la pierre philosophale : notre auteur prend les choses au rebours de moi, mais qu'importe, puisque c'est la même chose, la même quête]

Suidas prétend que si on ne trouve point de monument plus ancien de l’Alchimie, c’est que l’Empereur Dioclétien fit brûler tous les Livres des anciens Egyptiens ; & que c’étoient ces Livres qui contenoient les mysteres de l’Alchimie.[un peu facile : les preuves ont disparu ! Mais on se souviendra utilement de cette idée : à prétention extraordinaire, il faut des preuves extraordinaires.]

Kirker assûre que la théorie de la Pierre-philosophale est expliquée au long dans la table d’Hermès, & que les anciens Egyptiens n’ignoroient point cet art.

On sait que l’Empereur Caligula fit des essais, pour tirer de l’or de l’orpiment. Ce fait est rapporté par Pline, Hist. nat. ch. iv. liv. XXXIII. Cette opération n’a pû se faire sans des connoissances de Chimie, supérieures à celles qui suffisent dans la plûpart des arts & des expériences pour lesquelles on employe le feu.
[Oui, des essais, mais il est certain qu'il n'a pas réussi ! ]

Au reste, le monde est si ancien, & il s’y est fait tant de révolutions, qu’il ne reste point de monumens certains de l’état où étoient les sciences dans les tems qui ont précedé les vingt derniers siecles ; je n’en rapporterai qu’un exemple : la Musique a été portée, dans un certain tems chez les Grecs, à un haut point de perfection ; elle étoit si fort au-dessus de la nôtre, à en juger par ses effets, que nous avons peine à le comprendre ; & on ne manqueroit pas de le révoquer en doute, si cela n’étoit bien prouvé par l’attention singuliere qu’on sait que le gouvernement des Grecs y donnoit, & par le témoignage de plusieurs auteurs contemporains & dignes de foi. Voyez An ad sanitatem musice, de M. Malouin. A Paris, chez Quillau, rue Galande.[amusant, cette idée d'un âge d'or  ! bien faible, aussi : de sorte que l'on dit justement "à beau mentir qui vient de loin", on aura raison de penser que ce qui est ancien est périmé, plutôt qu'abatardi. Pensons notamment à la médecine... qui n'a jamais réussi, dans les anciens temps, ce qu'on fait les antibiotiques ou la médecine moderne. Allons, ne cédons pas à la faiblesse d'esprit du "bon vieux temps".]

Il se peut aussi que la Chimie ait de même été portée à un si haut point de perfection, qu’elle ait pû faire des choses que nous ne pouvons faire aujourd’hui, & que nous ne comprenons pas comment il seroit possible que l’on exécutât. C’est la Chimie ainsi perfectionnée qu’on a nommée Alchimie. Cette science, comme toutes les autres, a péri dans certains tems, & il n’en est resté que le nom. Dans la suite, ceux qui ont eu du goût pour l’Alchimie, se sont tout d’un coup mis à faire les opérations, dans lesquelles la renommée apprend que l’Alchimie réussissoit ; ils ont ainsi cherché l’inconnu sans passer par le connu : ils n’ont point commencé par la Chimie, sans laquelle on ne peut devenir Alchimiste que par hasard.[Et voilà, on repart sur la même idée fausse, pour le début du paragraphe. La suite est moins claire.]

Ce qui s’oppose encore fort au progrès de cette science, c’est que les Chimistes, c’est-à-dire, ceux qui travaillent par principes, croient que l’Alchimie est une science imaginaire, à laquelle ils ne doivent pas s’appliquer ; & les Alchimistes au contraire croient que la chimie n’est pas la route qu’ils doivent tenir.[Ici, on ne sait pas bien de quelle "science" il s'agit. Et science au sens de "science de la nature moderne", ou simplement de "savoir" ? La confusion entre ces deux termes embrouille les discussions.]

La vie d’un homme, un siecle même, n’est pas suffisant pour perfectionner la Chimie ; on peut dire que le tems où a vécu Beker, est celui où a commencé notre Chimie. Elle s’est ensuite perfectionnée du tems de Stahl, & on y a encore bien ajoûté depuis ; cependant elle est vraissemblablement fort éloignée du terme où elle a été autrefois.[Amusant que notre auteur  cite Stahl comme un progrès... alors que Lavoisier allait le réfuter quelques années plus tard. Pour ceux qui l'ignorent, Stahl avait promu l'idée fausse du "phlogistique", un corps de masse négative, qui aurait enlevé aux corps calcinés. Et c'est ainsi que l'on expliquait que du fer que l'on brûle dans l'air a une masse qui augmente : Stahl prétendait que la perte de ce phologistique de masse négative laissait le métal calciné, plus lourd. Lavoisier fut celui qui montra que, au contraire, le métal capte l'oxygène lors de la combustion, de sorte que l'oxyde métallique formé avait la masse du métal plus la masse de l'oxygène fixé lors de la réaction.]

Les principaux auteurs d’Alchimie sont Geber, le Moine, Bacon, Ripley, Lulle, Jean le Hollandois, & Isaac le Hollandois, Basile Valentin, Paracelse, Van Zuchten, Sendigovius, &c. (M) [Bon, pas certain qu'il faille aller lire leurs divagations si l'on n'est pas historien de la chimie ;-).]

Et je vous invite maintenant à aller découvrir la suite, dans la suite de l'Encyclopédie, et surtout dans les auteurs modernes que je vous ai cités !


dimanche 12 avril 2020

A propos d'associations d'ingrédients


Ici, je mets en pratique ma nouvelle idée de constitution des textes. N'hésitez pas à me dire si cela vous paraît plus clair (icmg@agroparistech.fr)


1. On me parle encore de food pairing... La clé du bon  ! La clé du bon ? Je n'ai pas assez de points d'interrogation, afin de mettre en garde mes amis.

2. Tiens, j'observe que c'est de l'anglais : un peu snob,  un peu idiot, un peu simplet ? Nous aurions raison de nous souvenir de cette phrase hélas souvent juste : "à beau mentir qui vient de  loin" ! Oui, les termes étrangers, "ça en jette" ; ou disons plus justement que certains malhonnêtes ou prétentieux pensent que ça en jette, ou veulent faire croire qu'ils sont plus habiles que les autres. Oui, puisque non seulement ils ont des connaissances  (ou plus exactement ils prétendent les avoir) que les autres n'ont pas, et, de surcroît, ils sont allés les chercher si loin que, dans ces contrées, on ne parle même pas le français.

3. Le food pairing, c'est comme le nombre d'or : de ces petites règles simplistes qui sont prétendument la clé du beau. Le food pairing ? Il s'agit de penser que l'on peut faire quelque chose de bon  si l'on mêle deux ingrédients qui ont un composé odorant en commun. Enfin, disons que c'est la théorie actuelle, ou une des théories, parce que cette affaire de food pairing est complètement foireuse, et change tous les deux jours. On a d'abord dit, un composé odorant en commun, puis un composé odorant essentiel en commun, puis...

4. Au fait, et le nombre d'or  ? C'est un nombre, comme le nombre pi, que l'on trouve dans des circonstances faciles à décrire, mais ce serait un peu long. Disons seulement que des esprits mathématiquement un peu "légers"  y voient la clé de la construction des cathédrales, des pyramides, que sais-je... La clé du Beau, en tout cas. Et là encore, cette numérologie peut être largement réfutée.

5. Dans mon livre La cuisine c'est de l'art, de l'amour de la technique, je discute également la question du nombre-d'or qui était proposé en cuisine comme pour la construction des cathédrales. D'une part, les cathédrale ne sont jamais vraiment construites au nombre d'or,  qui est un nombre avec un nombre infini de décimales : une construction en pierre, elle, pourrait avoir certaines de ces proportions qui approchent le nombre d'or, mais pas toutes les proportions : ce serait idiot. De sorte que le choix des proportions au nombre d'or est arbitraire.

6. Dans les deux cas, du nombre d'or et du food pairing, une question : si le Beau était à ce compte enfantin du food pairing ou du nombre d'or, ne croyez vous pas que tout le monde l'atteindrait ? Oui, s'il suffisait de règles aussi simples, pourquoi tous les articles ne les utilisent-ils pas ? Pourquoi tout le monde n'est-il pas Mozart, Rembrandt, Rodin, Flaubert, Carême ? 

7. D'ailleurs, pour en revenir plus précisément  à la cuisine, observons que, trop souvent, il y a la confusion entre la technique et l'art. La technique, c'est le fait d'être capable d'assembler des ingrédients, de les préparer, et c'est très simple, même si c'est parfois long. L'art, d'autre part, c'est le fait de faire du bon, c'est-à-dire du beau à manger. Et là, il ne s'agit pas d'une question physiologique, mais sans doute d'une question culturelle, et on aura toujours intérêt à comparer la cuisine avec les autres arts que son la musique, la peinture, et cetera.

8. Aujourd'hui, le correspondant qui suscite ce billet est un cuisinier qui me parle d'associer les huîtres avec l'huître végétale, cette plante dont les feuilles ont un goût d'huîtres. Un goût d'huîtres ? D'abord, toutes les huîtres n'ont pas le même goût, et, d'autre part, le goût de cette plante ressemble au goût de certaines huîtres. Pas celles qui ont "un goût de noisette", par exemple.  Alors, lesquelles : huîtres de Marennes ? d'Oléron ? de Normandie ? claires ? ? petites ? grosses ? Mais, surtout, pourquoi associer un goût d'huîtres avec un goût d'huîtres ? Ce serait comme mêler du vin rouge à du vin blanc : pourquoi faire ?

9. Comparons avec la musique : associer un fa avec un fa dièse, par exemple :  pourquoi pas ? mais d'abord pourquoi ? Je propose que l'objectif soit toujours premier : avant de nous demander si le prétendu "food pairing" permettrait d'associer une huître avec une feuille d'huître végétale, demandons-nous ce que nous visons : quel effet veut-on obtenir ?  Le fait que mon correspondant s'aperçoive que l'association ne fonctionne pas ne condamne pas l'association pour autant.

10. D'ailleurs,  il est rare d'avoir seulement deux ingrédients dans un plat, et pourquoi ne pas mettre tout cela avec un œuf poché ? Et une mayonnaise dans laquelle il y aura donc du jaune d' œuf, du vinaigre de l'huile ? Et du sel, et du poivre... Dailleurs, ne pourrait-on pas y mettre du sucre, du piment ? Se limiter à deux ingrédients, c'est bien faible et sans intérêt a priori, car je le répète pourquoi vouloir associer deux ingrédients et deux seulement alors que ce n'est jamais cela que l'on fait en cuisine ?

11. Tout cela me fait souvenir d'un cuisinier qui prétendait faire du beau en mettant toujours dans l'assiette trois éléments  : règle simplissime, simpliste, car pourquoi trois, et pas deux (le yin et le yang), et pas quatre (la beauté du carré), et pas cinq comme le voudrait la pensée coréenne, et pas six, comme l'étoile à 6 branches... Décidément les règles de valent pas grand-chose en matière artistique.

12. Et c'est d'ailleurs leur contestation qui fait grandir l'art. Suivre une règle condamne presque l'oeuvre : les artistes n'ont cessé de dérogé... mais cela est au delà des capacités de beaucoup, car il y a quand même de la règle de base, de la technique. Pour être Jean-Sébastien Bach, qui utilise l'accord du diable, il faut en être capable. Pour jouer avec la perspective, dans un tableau, il faut en maîtriser les règles. Les artistes sont d'excellents techniciens !

13. Et derrière les oeuvres d'art, il y a beaucoup de travail : derrière les oeuvres de Bach, il y a une virtuosité fondée sur d'interminables travaux. Derrière les toiles de Rembrandt, il y a toute la maîtrise technique de la peinture. Flaubert travaillait jour et nuit pour ne produire que sept phrases par jour !

14. J'alerte donc mes amis : ne vous laissez pas piéger par le "food pairing" (qui n'existe pas !).

Je rigole, mais c'est pathétique


Dans un journal, un article sur la mayonnaise, et sa "chimie", à savoir que les gouttes d'huile seraient dispersées dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf, grâce à des molécules "tensioactives", qui seraient des protéines nommées "lécithine".
Pour quelqu'un qui ignore la chose, cela fait savant, et c'est plausible... mais c'est parfaitement faux ! Expliquons, pour démasquer les faux savants, qui abusent les rédacteurs en chef, tout comme les lecteurs.

Oui, lors de la confection d'une mayonnaise, on part effectivement de jaune d'oeuf, et oui, le jaune d'oeuf est fait d'environ 50 pour cent d'eau, de 15 pour cent de protéines, et de 35 pour cent de matière grasse, notamment des "phospholipides", dont les lécithines (il y en a plusieurs).
Et, d'ailleurs, il faut ajouter que la sauce mayonnaise se fait aussi avec du vinaigre, qui apporte plus de 90 pour cent d'eau. L'eau se mélangeant bien à l'eau, le jaune d'oeuf se mélange sans difficulté au vinaigre.

Puis, si l'on ajoute de l'huile, on voit que cette dernière flotte à la surface. Il faut donner de l'énergie, pour que le fouet divise la gouttelettes d'huile en deux, et en deux, et ainsi de suite jusqu'à atteindre des tailles microscopiques. Et les protéines, tout comme les phospholipides, sont alors essentiels pour cette division, parce que ces composés se placent à la limite des gouttelettes, une partie dans l'huile et une partie dans l'eau.

Les protéines ? Ce sont comme des fils microscopiques, en pelote, qui se déroulent quand on fouette la mayonnaise. Et certains segments se placent dans l'huile, et d'autres dans l'eau, formant une sorte de couche chevelue.
Les phospolipides ? Rien à voir chimiquement : ce sont de petites molécules, de la famille des lipides, avec une "tête" phosphate, très soluble dans l'eau.
Et ce sont bien principalement les protéines qui assurent l'émulsion.

La faute faite par la personne qui écrit dans le journal est-elle grave ? Je vous laisse juger, mais je trouve bizarre que quelqu'un qui n'est pas scientifique se pique d'expliquer la science de la cuisine... en se mélangeant les pinceaux. Imposture ?

jeudi 9 avril 2020

Ma recette de Lammala

Il est temps de s'entraîner, puisque Pâques arrive !

Voici ma recette (éprouvée) de Lammara :




Lammala (ou Lamala)  de Pâques :
Pour 1 agneau, il vous faut :
– 60 g de farine tamisé type 45
– 90 g de sucre semoule (60 et 30)
– 1 sachet de sucre vanillé
– Le zeste d’un demi-citron
– 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
– 4 jaunes d’œufs (3 s'ils sont gros)
- de l'eau de fleur d'oranger
Un moule en terre cuite
– une noix de beurre fondu dans  le moule
– Environ 20 g de farine tamisée Type 45

La fabrication :
1. Dans un premier temps, préparer le moule : déposer une noix de beurre dans chaque moitié, et mettre les deux moitiés dans le four que l'on préchauffe.
2. Quand le beurre est fondu, en badigeonner bien tout le moule, puis farine ; éliminer l'excès
3. Séparer les 4 jaunes des 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
4. Faire blanchir les jaunes d’œufs avec 60 g de sucre semoule et le sucre vanillé : il faut battre TRES longtemps, pour que ce soit parfaitement blanc et ferme.
5. Puis ajouter le zeste de citron très finement râpé det l'eau de fleur d'oranger
4. Monter les œufs en neige très ferme, et les serrer encore avec 30 g de sucre semoule et 1 pincée de sel.
6. Mélanger les blancs en neige au premier mélange délicatement.
7. Ajouter 60 g à 100 g de farine et 50 g de beurre fondu à l'ensemble et incorporer à la spatule avec un minimum de mouvement, pour ne pas faire retomber la préparation
8. Puis fermer le moule avec le crochet et y verser la pâte.
9.  Enfourner le Lammala à 170°C pendant 35 à 40 minutes.
10. Une fois la cuisson finie, patientez 5 minutes avant de le démouler.
11. Saupoudrez le Lammala de sucre glace

Cessons de parler des "laits végétaux" et de proposer qu'ils soient "naturels"


Je ne cesse de m'étonner du conservatisme de mon entourage. Quand je dis "entourage",  cela signifie jusqu'à mes collègues scientifiques,  et j'en vois encore un exemple ce matin alors que je suis en train éditer un texte pour le prochain Handbook of molecular gastronomy.

Le manuscrit de mon collègue discute la question des systèmes émulsionnés (qu'il confond avec des émulsions, preuve qu'il est imprécis), et il en cite des exemples : la mayonnaise, qui est bien une dispersion d'huile dans l'eau du jaune d' œuf et du vinaigre, ou encore le lait, qui contient effectivement des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau.

Puis mon collègue évoque ces liquides blancs, qui ressemblent à du lait et sont extraits des végétaux et qui, comme le lait, contiennent des matières grasses émulsionnées. Il les nomme des "laits végétaux", mais je lui fais remarquer que cette dénomination est contestable, car le lait est le lait ;  ces émulsions  ne sont pas du lait, et je lui fais valoir que nous aurions intérêt, collectivement, à leur refuser le nom de lait, car des végétariens le confondent avec du lait au point de mettre de jeunes enfants en danger de mort. Ne pourrait-on pas parler d'émulsions végétales ?

De surcroît, je critique énergiquement son emploi du mot "naturel", à propos de ces produits :  ces produits ne sont pas naturels, puisque ils ont  été extraits ; or la définition du naturel, c'est ce qui n'a pas fait l'objet d'interventions par un être humain.
Mon collègue répond que la d'élimination lait végétal est acceptée,  et que, comme ces produits se trouvent les graines, ils sont bien naturels.

Soit il n'a rien compris à mon argumentation,  soit il s'enferme dans une erreur nuisible, car susceptible de créer des confusions. Le mot "naturel" tout d'abord, est à l'origine de nombre d'interminables débats publics, et ces débats naissent de l'utilisation du mot dans une acception gauchie, donc erronée, parfois fautive.
D'autre part, des accidents, dans les familles végétariennes, seraient évités si l'expression "lait végétal était interdite (ma proposition).

Mais, surtout, je ne vois pas ce que mon collègue perdrait en changeant ses habitudes de langage. Pourquoi reste-t-il collé à des idées anciennes : la paresse, des intérêts idéologiques ou commerciaux, de l'incompréhension ?

Pourrez-vous m'aider à comprendre sa position et les avantages qu'elle aurait ?
Pour moi, je termine en rappelant cette utile citation d'Antoine Laurent de Lavoisier :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage ».





Et celle de Condillac :

« Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite »

mardi 7 avril 2020

Quelles relations entre 'activité nommée "cuisine" et l'activité nommée "chimie" ?



1. Commençons par observer que la cuisine est une activité "technique" : le mot "technique" vient du grec techne, qui signifie "faire". Et, de ...fait, on "fait" quand on produit un mets.
Naguère, il y  également eu une activité de fabrication de métaux, de bougies, de médicaments, de couleurs, de cosmétiques... et cela fut, comme la cuisine, du technique qui engendra des réflexions sur le pourquoi des phénomènes observés, et, à partir de la Renaissance, des sciences de la nature.
Oui, la cuisine est une base à partir de laquelle la chimie est née, mais la métaphore de l'engendrement n'est pas juste, car la chimie n'est pas "fille" des arts techniques, mais d'une autre nature.

2. Observons que, en français, il n'y a pas d'autre mot que "cuisine" pour désigner la production d'aliments à partir d'ingrédients. Certes, certains me diront qu'il vaudrait mieux parler de "mets" que d'aliments ; pourquoi pas, puisque la définition des aliments n'impose pas qu'ils soient préparés, en langue française (je maintiens que le Trésor de la langue française informatisé, du CNRS, est le seul dictionnaire officiel, puisqu'il n'est pas produit par un organisme commercial).
D'autre part, je maintiens aussi (puisque c'est ce que montre parfaitement l'histoire des techniques et des sciences) que la "chimie" n'est pas la production de composés, à partir de  composés différents, mais bien la science de la nature qui  explore ces transformations. Le mot "chimie" a toujours désigné cette activité, et il continue de le faire, de sorte qu'il faut un autre nom pour désigner la techique qui met en oeuvre les phénomènes.

3. Donc la cuisine, d'un côté, et la chimie, de l'autre. Deux activité qui sont préparées dans des pièces respectivement nommées "cuisine" et "laboratoire"... à cela près que les charcutiers, les pâtissiers, et d'autres professionnels travaillent aussi dans un lieu nommé "laboratoire". Le mot vient de labeur, travail. Mais on aurait tort de penser que le chimiste se limite à son laboratoire, car l'activité des sciences de la nature a en réalité deux composantes indissociables : l'expérience et le calcul. Pas de science sans les deux activités. Et c'est la raison pour laquelle j'ai naguère proposé de parler plutôt de sciences de la nature que de sciences expérimentales.

4. Oui, en cuisine, il  y a des gestes qui ressemblent à ceux de certains chimistes, quand ils en sont à faire la partie expérimentale de la chimie : broyer, découper, chauffer, refroidir... Cela ressemble,  et alors ? Le cuisinier et le chimiste respirent, marchent, aiment, mangent, boivent... mais ces activités communes ne font pas que tout soit commun !

5. Tout cela étant dit, observons la chimie, à la lumière des nombreux documents d'histoire des sciences et des techniques.
Au début, des chimistes (on disait aussi des alchimistes, le mot n'ayant pas, en réalité, la connotation ésotérique qu'on lui prête trop souvent aujourd'hui, à tort) chauffaient des matières et observaient des modifications de leurs propriétés. La matière était donc littéralement transformée, et cela était cause de trouble, mais avait aussi des applications pratiques évidentes : produire de la chaux à partir de carbonate était essentiel, tout comme fabriquer des métaux à partir des minerais, ou du savon, qui lave, à partir de graisse et de cendres...
Ce premier temps, qui consistait à pratiquer des "recettes", s'accompagnait de "spéculations", d'interrogations sur les transformations, bien mystérieuses qui se manifestaient lors des expériences. Il y  eut des "théories", celle des quatre éléments (air, terre, feu, eau) ou celle du phlogistique (on croyait que le chauffage enlevait des matières aux "substances"), celle du "calorique" (qui aurait été un fluide transmis par chauffage), etc.
Puis progressivement se dégagèrent les notions de molécule, d'atome... L'(al)chimie (en anglais chymistry) céda la place à la chimie (chemistry), cette merveilleuse science de la nature que j'aime passionnément. Rien à voir avec l'activité culinaire, qui n'a pas changé et ne changera pas dans ses objectifs : préparer des aliments.

6. Bien sûr, les sciences de la nature ont des conséquences technologiques. Et c'est ainsi, par exemple, que le chimiste Michel-Eugène Chevreul améliora la confection des bougies après avoir découvert la constitution moléculaire des graisses. Dans les premières recettes de savon, on mettait de la cendre avec de la graisse, mais il apparut que, dans la cendre, la composante essentielle était la potasse qui y est présente (c'est ce que l'on nommait un alcali, aujourd'hui nommé base). De ce fait, il y eut cette proposition de remplacer la potasse par d'autres bases, et il y eut d'autres savons, mieux que les premiers.
Progressivement, la science de la chimie  permit de déterminer par avance les résultats des opérations techniques que l'on se proposait de faire. Au lieu d'observer des résultats, de les orienter empiriquement, on devenait capable de prévoir des résultats.
Trois temps, donc : la recette, la recette épurée à ses seuls composés actifs, la recette prévue théoriquement.

7. Et pour la cuisine, quelle évolution est-elle possible ? L'objectif, je l'ai dit, ne changera pas, mais la technique, elle, peut encore progresser. D'abord, il y a eu cette rénovation technique de la cuisine moléculaire, qui voulait rénover les ustensiles. Puis, depuis moins longtemps, la "cuisine note à note", où l'on change les ingrédients.
Mais l'usage que l'on fait des ingrédients reste le même : produire des aliments. Bien sûr, les progrès de la gastronomie moléculaire permettent de prévoir par avance le résultat des transformations que l'on met en oeuvre, mais la technique restera la technique.

8. Pour conclure, deux champs séparés :
- la cuisine, activité technique, avec une composante artistique et une composante sociale
- la chimie, science de la nature, qui cherche les mécanismes des phénomènes.