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samedi 22 juillet 2023

J'ai relu pour vous on le dossier hors-série consacré à Aristote par la revue Pour la science.

La question était de bien nommer les « sciences dures » que sont la physique, la chimie physique, la biologie... 

Sciences quantitatives ? C'était la conclusion à laquelle j'étais arrivé, il y a plusieurs mois, alors que je naviguais de philosophie naturelle (une erreur de français) en philosophie de la nature (le titre du livre de Newton). La terminologie avait été abandonnée, et les Anglo-Saxons utilisent « sciences de la nature » (et non pas « sciences naturelles », encore une erreur de français). 

Finalement, que pensait Aristote, de tout cela ? Aristote ? Quel fut son apport réel aux  sciences quantitatives ? Etait-ce un philosophe ? Un scientifique ? Un proto-scientifique ? 

Ce billet ne sera pas long, mais je vous invite très vivement à vous procurer  ce dossier hors-série de la collection « Les génie la science » consacré à Aristote, aux éditions Pour la Science.  

Il est il est l'oeuvre d'un auteur unique,  dont le nom d'ailleurs est insuffisamment mis en valeur dans l'ouvrage,  ce qui est injuste, puisque c'est son oeuvre. Cela dit, cette oeuvre est érudite, pas pédante, et l'on en sort avec des idées très claires sur l'apport d'Aristote. Évidemment, on n'entre pas dans les détails philosophiques, car le dossier n'a qu'une centaine de pages. C'est bien peu comparé aux immenses traités qui furent consacrés à cet homme représenté un doigt pointé vers le sol à côté de Platon, qui, lui, avait un doigt pointé vers le ciel. Pourtant cette centaine de pages est largement suffisante   pour une initiation, et je ne doute pas que l'Aristote ainsi découvert vous donnera envie d'en savoir plus. N'est-ce pas l'objectif de tout bon livre : donner envie,  au lieu de gaver. 

Je vous invite très vivement à lire ce dossier hors-série consacré à Aristote.

vendredi 21 juillet 2023

Réjouissons-nous : une partie de l'humanité est éclairée !

 
Au Salon de l'agriculture, deux événements, qui donnent des raisons d'espérer :

1. Juré au Concours général agricole, je suis à la même table qu'un charcutier de la Sarthe. Pour lui, le sel nitrité qui est utilisé dans les charcuteries ne pose par l'once d'un problème. Le nitrite est-il un produit chimique ? Peu importe, m'est-il répondu : on en a besoin en charcuterie professionnelle ; pas dans l'industrie, mais chez les artisans. Alors on l'utilise, un point c'est tout. Ses dangers ? Qu'importe : les couteaux aussi sont dangereux, m'est-il répondu. Il suffit de savoir l'utiliser . 

2. L'après-midi, après ma conférence sur la cuisine note à note, un petit homme reste, intéressé, pour des questions. C'est un boucher d'un petit village du Béarn. Il est intéressé par les composés qui ont été montrés (octénol, menthol, pipérine, etc.) : sont-ils "chimiques" ? 

Par ce terme, l'entretien montre qu'il voulait dire "de synthèse". Et la suite de l'entretien conduit à montrer qu'il ne sait pas ce qu'est un composé, de synthèse ou pas, et que cela l'intéresse beaucoup de comprendre. Pour figurer les choses, je prends l'exemple de la synthèse de l'eau, par électrolyse, puis sa recomposition. "Quoi, vous pouvez fabriquer de l'eau ?" Stupéfaction, oui, on peut fabriquer de l'eau, et décomposer l'eau. Tout cela expliqué en termes simples conduit notre homme a conclure  "Vous avez un merveilleux métier". Je lui réponds que lui aussi, a un très beau métier. Que tous les métiers sont beaux quand ils sont pratiqués avec passion par des gens honnêtes. N'est-ce pas ? 

 

Pour conclure, au delà de quelques individus qui troublent le public avec une idéologie douteuse (le gout du pouvoir ? de l'argent ? la peur animale des ignorants ? une névrose), je crois que nous devons nous réjouir  : nos concitoyens sont heureux de comprendre le monde où ils vivent. D'où un devoir d'explication ! 

 

Vive la chimie physique.

jeudi 6 juillet 2023

La tendreté des pâtes cuites

  Tiens, nous cuisons une Flammkuecha ou une pissaladière, voire une pizza, c'est-à-dire une couche de pâte, obtenue par mélange de farine et d'eau. 

Nous avons utilisé un rouleau ou un autre instrument afin d'obtenir une épaisseur assez régulière. Cette pâte, éventuellement avec une garniture, est placée dans un four très chaud, par exemple  200 °C. 

A cette température, les parties externes de la pâte ont leur eau qui s'évapore, ce qui produit un croûte croquante. À l'intérieur, la température reste toujours inférieure à 100°, parce que, tant qu'il y a de l'eau, la température ne peut guère augmenter (au mieux quelques degrés, parce que cette eau n'est pas pure, mais contient des "solutés", des composés dissous*). 

La chaleur arrive donc à la surface, et de l'eau s'évapore donc de la partie supérieure et de la  partie inférieure de la pâte, tandis que la tendreté du centre subsiste. 

 

Je  propose un exercice aux amateurs de sciences de la nature, un petit calcul : connaissant les lois classiques de transfert de la chaleur, connaissant la température du four, connaissant la chaleur latente d'évaporation de l'eau (combien il faut d'énergie pour évaporer une masse d'eau donnée, à la température de 100 °C),  pouvons-nous calculer quel sera, après 10 minutes de cuisson par exemple, l'épaisseur des croûtes inférieure et supérieure ? 

La réponse à  la question est intéressante, parce que si l'épaisseur totale de la pâte est inférieure à la somme de ces deux épaisseurs,  alors nous obtiendrons une couche de pâte entièrement croquante ;  en revanche, si l'épaisseur totale est supérieure à la somme des deux épaisseurs, alors nous ferons un coeur tendre entre deux couches croquantes. 

En pratique, les cuisiniers répondent à la question par l'expérience, mais les étudiants en physico-chimie obtiendront facilement le résultat par un simple calcul.  Et puis ? Ce type de problème ne conduit-il pas à l'étude de la physico-chimie ? A la connaissance par la gourmandise ? 

 

* A titre indicatif, quand on fait bouillir 200 g d'eau additionnés de 200 g de sel, la température d'ébullition de l'eau n'est pas de 100 °C, mais de 103 °C ; pas de quoi fouetter un chat.

mercredi 5 juillet 2023

Wallace

Je reçois de mon savant ami Jacques Reisse un exemplaire de son livre Wallace, plus darwiniste que Darwin, mais moins politiquement correct, publié par l'Académie royale de Belgique. 

Je n'ai pas encore lu le livre, mais je me promets de le lire avec délectation, car j'ai confiance en Jacques, et que son travail d'historien de la biologie (il est pourtant physico-chimiste) est "estampillé" par Michel Morange, qui, lui, est un historien estampillé (professeur à l'Ecole normale supérieure). 

Le quatrième de couverture est le suivant : Alfred Russel Wallace (1823-1913) est l’un des plus grands naturalistes du 19e siècle. Autodidacte génial, co-inventeur de la théorie de l’évolution, explorateur de régions inconnues d’Amazonie et de l’archipel malais, père de la biogéographie, écologiste avant l’heure mais aussi socialiste, anticapitaliste, antimilitariste,  féministe et donc « politiquement incorrect » dans l’Angleterre victorienne. 

Wallace est déiste et spiritualiste : il croit a l’existence d’un monde des esprits, à l’existence d’un pouvoir organisateur surnaturel, aux fantômes et en cela, aussi, il est « politiquement incorrect » pour ses collègues et amis comme Huxley, Hooker, Darwin qui cherchent à dégager la science de toute contrainte philosophique ou religieuse et à la fonder sur des bases rationnelles.

Wallace est un personnage fascinant sur le plan scientifique et personnel. Sa vie est un vrai roman !

vendredi 23 juin 2023

Cuire des légumes en milieu acide

  "On dit" qu'il ne faut pas cuire des légumes dans une eau acidifiée... Vrai ou faux ?
 
 Dans un tel cas, j'aurais tendance à ne pas répondre, mais à vous inviter à expérimenter.
 Par exemple, vous pourriez prendre trois casseroles, et y mettre de l'eau pure pour l'une, de l'eau acidifiée avec du vinaigre cristal pour la deuxième, et de l'eau avec du bicarbonate de sodium, ou de la soude, pour le troisième (ne pas goûter la troisième !!!!!!!!!). Puis vous ajoutez des lentilles, ou des carottes, et vous portez l'eau à ébullition, pendant un certain temps.
 Le résultat ? Des amis internautes m'ayant reproché de questionner au lieu de répondre aux questions, je vous donne le résultat : pour certaines conditions expérimentales (vous voyez comme je suis prudent), les lentilles ou les carottes cuites dans du vinaigre sont comme des cailloux, alors que les végétaux cuits dans le bicarbonate ou la soude sont complètement défaits. En effet, je propose d'imaginer que le tissu végétal est fait de petits sacs, qui sont tenus par les molécules de pectines. Les cellules sont solidaires de cellulose (pensez à de gros piliers inaltérables), et les pectines sont comme des cordes enroulées entre les divers piliers, ce qui lient les cellules entre elles, et fait les matériaux durs.
 Quand on cuit en milieu basique (le bicarbonate, la soude), les pectines sont chargées électriquement, et elles se détachent les unes des autres, notamment, d'où l'amollissement.
 En revanche, en milieu acide, on a un effet inverse.
 
 Et avec des viandes ? Avec des viandes, vous pouvez également faire l'expérience, et vous verriez un effet bien différent... mais il est vrai que toute l'explication précédente ne tient alors plus : pas de pectine dans les viandes ! Là les fibres musculaires, qui sont les cellules des viandes, sont jointoyées par du tissu conjonctif, lequel est fait de protéines. Or les protéines sont hydrolysées en milieu acide. Michael Faraday, le grand physico-chimiste, avait donc raison : ne pas généraliser hâtivement !

dimanche 18 juin 2023

Des travaux en cours

Chers Amis

Le monde ne se résume certainement pas à mon petit environnement, 2023 n'est pas été si mal :

- nous avons continué ces "séminaires de gastronomie moléculaire" mensuels, commencés il y a 23 ans... et reçu beaucoup de messages reconnaissants du monde culinaire

- la cuisine note à note s'est développée explosivement, et c'est un mouvement qui s'amplifie

- nous avons réfléchi (activement) à lutter contre les marchands de peur, notamment dans le cadre de l'Académie d'agriculture de France

- nous avons largement expliqué que la science (quantitative) ne se réduit pas à la technologie ou à la technique, que les "technosciences" n'existent pas

- nous avons testé des méthodes pédagogiques adaptées à ce monde moderne où la connexion est possible, et eu l'occasion de proposer des rénovations de l'enseignement scientifique

- nous avons vu les "Pôles régionaux "science & culture alimentaire" poursuivre leur action socialement utile

- nous avons poursuivi la promotion de l'Etude, de la Connaissance, de la Gourmandise raisonnée

- nous avons cherché plus de Lumière par des blogs, des sites....

- nous avons poursuivi nos études scientifiques, avec de nombreux collègues du monde entier, et des étudiants qui avaient envie d'apprendre (quel bonheur 

- nous avons poursuivi le développement de la gastronomie moléculaire, dans des pays variés du monde

- nous avons reçu la nouvelle promotion de l'Institut des Hautes Etudes de la Gastronomie

- nous avons poursuivi ces publications mensuelles de la revue Pour la Science, avec de bons échos de lecteurs-amis

 

Beaucoup de ces actions ont bénéficié de votre aide, de votre soutien, et je vous adresse un grand merci.

lundi 12 juin 2023

A propos de crème fouettée

Et là, une question à propos de crème fouettée:

 

Ma femme n'arrête pas de dire qu'avec l'ancien batteur, la crème fouettée se faisait en un clin d'oeil.
La seule différence avec le nouveau, c'est que les 2 fouets ont des tiges plates alors que l'ancien avait des tiges rondes comme des fils de fer.
J'utilise la même crème UHT Valflora de 250 mL à 25 % de matière grasse qui sort du frigo à 7°. Après environ 7 minutes de battage et en essayant toutes les vitesses, j'obtiens des fragments de beurre sans passer par la crème fouettée, avec au fond 0,5 dL de liquide blanc qui ressemble à du petit lait.
La Migros la vend comme demi-crème. Composition : demi-crème, protéines du lait, babeurre, épaississant E 407, avec la mention : à fouetter et "conserver à max. +5° ".
Est-ce que la crème n'est pas assez froide à 7° ou est-ce simplement le fait que, à 25% de gras, une crème fouettée a de la peine à prendre et qu'il faut prendre celle à 40% pour réussir ? Car l'épaississant E 407 n'est pas là pour rien et ne réussit peut-être pas à compenser le manque de gras.

 

Et ma réponse :

 

Pour obtenir de la crème fouettée,  la première chose à faire, c'est de bien pousser de l'air dans la crème et non pas de la cisailler.

De sorte que j'identifie immédiatement que le changement des pales du batteur peut avoir une influence déterminante.

 En effet, avec des fils un peu ronds, on cisaille moins qu'avec des fils plats.
 

D'ailleurs, il y a aussi la façon de tenir le batteur car on ne doit pas oublier que l'objectif, j'y reviens, c'est bien de mettre des bulles d'air dans la crème et c'est c'est seulement ensuite, quand la crème est bien foisonnée, que les gouttelettes de matière grasse doivent fusionner pour faire une sorte de réseau qui piège l'air introduit.

 

Bien sûr il y a des questions de quantité de matière grasse, mais dans le cas considéré, rien n'a changé de ce point de vue là.
Bien sûr, il est important que la crème soit froide et personnellement, je mets toujours le récipient où je prépare ma crème fouettée au congélateur avant de procéder à l'opération, tout comme je mets d'ailleurs la crème au froid.

Et je peux témoigner qu'il y a des crèmes de plus ou moins bonne qualité pour la crème fouettée :  j'ai été stupéfait, par exemple, de voir la crème alsacienne d'Alsace Lait   prendre en crème fouettée en 22 secondes !

Inversement, en été, dans le Tarn, je sais qu'il y a lieu de mettre des glaçons dans la crème, sans quoi la température ambiante ne permet pas d'obtenir correctement de la crème fouettée.

 

Mais concluons : pour ce qui concerne la question de notre interlocuteur, c'est manifestement la forme des pales et aussi la manière d'utiliser le batteur qui fait la différence.

 

Centrer le jaune d'oeuf dans un oeuf dur ? C'est expliqué dans le livre "Mon histoire de cuisine"

Comment cuire correctement des œufs durs ? 

Il y a des livres entiers à écrire à ce sujet, mais heureusement l'interlocuteur qui me pose la question se focalise sur le centrage du jaune dans l'œuf. 

 

Comme l'œuf n'est pas sphérique, il y a deux centrages à considérer  : selon la longueur et selon la largeur. Mais j'ai découvert dans les années 80 comment centrer les jaunes dans les œufs dans les deux directions à la fois. 

J'ai fait cette découverte parce que  je cherchais à savoir s'il était vrai que, comme on le disait depuis longtemps, le jaune était en bas de l'œuf quand on tient ce dernier verticalement. 

Personnellement, ma prévision était que le jaune d'œuf serait plutôt en haut en bas car il est composé de 50 % d'eau, de 15 % de matière grasse et de 35 % de lipides, de graisse donc, moins dense que l'eau.
Alors que le blanc lui est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.
Autrement dit,  le jaune est moins dense que le blanc. 

 

J'ai donc fait l'expérience de coincer un œuf dans une casserole avec des fourchettes, de faire une croix sur la partie supérieure, et de cuire l'œuf dur. En coupant l'œuf par le travers après la cuisson j'ai vu clairement le jaune en haut de l'œuf. 

D'ailleurs, j'ai publié dans Mon histoire de cuisine une image qui montre bien le phénomène et en conférence, j'ai montré cela des centaines de fois. 

 


Donc oui, pour avoir le jaune d'œuf bien centré, il faut faire rouler l'œuf avec une cuillère pendant la cuisson de sorte qu'il n'y ait plus ni haut ni bas. Une de mes découvertes... qui ne me vaudra hélas pas le prix Nobel ! 

samedi 10 juin 2023

Les protéines ? Les acides aminés ?



Protéines, acides aminés :  de quoi s'agit-il ?  Commençons par des protéines. Je propose d'en voir, soit en regardant un tas de gélatine en poudre, soit en regardant une feuille de gélatine, soit en considérant de la poudre de blanc d'oeuf, soit en faisant sécher du blanc d'oeuf.
Dans tous ces cas, il y a un solide, souvent vitreux, qui peut être divisé en grains, lesquels apparaissent blancs parce que la lumière blanche se réfléchit sur leurs faces.
Nous aurions pu en voir de vertes, pour des protéines extraites du chanvre... mais la couleur n'aurait pas été celles des protéines, mais d'impuretés dans la matière extraite du végétal.

D'ailleurs, dans quelles matières trouve-t-on des protéines ? Dans tous les tissus végétaux ou animaux... mais il est vrai que les muscles des animaux en contiennent beaucoup. Et, pour les plantes, c'est du côté des légumineuses que l'on ira chercher : pois, lentilles, soja...

Reste que l'extraction la plus simple est à partir du blanc d'oeuf, puisque celui-ci est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Quand on laisse sécher un blanc d'oeuf à l'air, l'eau s'évapore et l'on récupère un solide jaune vert, comme une résine : il est fait quasi exclusivement de molécules de protéines.

Des molécules de protéine ? Si nous regardons le blanc d'oeuf avec un supermicroscope supergrossissant, on voit de petits objets qui bougent rapidement en tous sens : ce sont les molécules d'eau ; et, parmi elles, il y a des sortes de pelotes, qui sont les molécules de protéines.  Dans les deux cas, il s'agit de  molécules mais ces molécules ne sont pas les mêmes. D'ailleurs dans le blanc d'oeuf, les pelotes sont de plusieurs sortes : en chimie, on dit qu'il y a plusieurs sortes de molécules de protéines, ou plusieurs protéines différentes

lundi 22 mai 2023

Nous avons donc tenu notre séminaire de gastronomie moléculaire du mois de mai sur le thème du coup de buée et de l'eau dans le beurre des feuilletages.

 

Nous avons donc tenu notre séminaire de gastronomie moléculaire du mois de mai sur le thème du coup de buée et de l'eau dans le beurre des feuilletages. 
Commençons par le coup de buée : il s'agit de l'injection de vapeur que les boulangers font soit en début soit en fin de cuisson du pain. Pour le début de cuisson, ils disent que cela donne de la couleur, du brillant, et que cela favorise le gonflement parce que le coup de buée ralentirait le croûtage et permettrait donc que le pain gonfle mieux. 
En fin de cuisson, il y aurait une question de couleur et de brillant. 
Nous avons donc comparé différentes pâtes, pâte à pain, feuilletage, pâte à foncer, avec ou sans un coup de buée, en fin de cuisson, et nous avons comparé la couleur des produits obtenus : elle n'était pas différente. 
Évidemment, nous n'avons pas terminé la question et nous devrons poursuivre les travaux.
 
Pour ce qui concerne la question de l'eau dans le beurre du feuilletage, l'hypothèse était que plus il y a d'eau dans le beurre, plus le feuilletage gonfle. 
Habituellement, il y a un maximum de 18 % d'eau dans le beurre, mais rien ne nous empêche de malaxer du beurre avec de l'eau pour en faire entrer davantage. 
Et c'est ce que nous avons fait, pour comparer ensuite un feuilletage avec un beurre normal et un feuilletage avec un beurre additionné d'eau, les deux feuilletages étant ensuite cuits ensemble dans le même four.
Cette fois, nous avons observé que le feuilletage où le beurre avait été additionné d'eau avait plus gonflé que l'autre. 
 
En réalité, je ne tire pas de conclusion définitive de ces expérimentations, parce qu'il est bien difficile de faire des feuilletages tout à fait identiques, à un ingrédient prêt. D'autre part, nous avons comparé des feuilletages à  quantité de matière grasse égale, mais cela ne correspondait évidemment pas un volume de beurre égal. 
Bref, il y a lieu de poursuivre les explorations sur ces deux questions. 
 
À quoi bon, alors, avoir expérimenté ainsi ? Comme souvent, ces séminaires sont l'occasion de focaliser le questionnement, de le rendre public, de donner des résultats expérimentaux préliminaires et d'inviter chacun à poursuivre les expériences. 
J'espère toujours que nos amis seront ensuite obtenir d'autres résultats que nous pourrons partager.

samedi 20 mai 2023

Du n'importe quoi

Décidément, le talent artistique ne donne pas de compétences en physico-chimie. Ainsi, ce matin, je retrouve dans Paul Bocuse, La cuisine du marché, p. 104 :

« Comme dans la sauce hollandaise, l’huile, corps gras et fluide, se fixe aux jaunes d’oeufs qui servent de liaison et de support, mais à la condition que cette association s’effectue lentement sous l’action d’un brassage vigoureux qui développe la température de la masse et l’aère ». 

Et non : dans une mayonnaise ou dans une hollandaise, l'huile ne se "fixe" pas aux jaunes d'oeufs, et ces derniers ne servent pas de liaison ni de support. Ils se limitent à apporter des composés tensioactifs, pour la mayonnaise, et des protéines qui coagulent dans la béarnaise. 

Le "brassage" n'a pas de sens : il faut surtout diviser l'huile en gouttelettes, et il n'est pas question ni de température ni de foisonnement. 


lundi 8 mai 2023

Pourquoi l'eau dans un verre disparaît-elle ?

Des  amis s'interrogent : si on laisse de l'eau dans un verre, dans une pièce à la température de 20 degrés, l'eau s'évaporera-t-elle ? 

Mes amis me rassurent en me disant qu'ils savent que oui, l'eau s'évaporera, mais ils sont confondus par le fait que la température d'ébullition soit de 100 degrés, alors que, dans la pièce, il n'en fait que 20 environ.


Je ne suis donc pas dans je ne suis donc pas fou quand je dis que les notions élémentaires de physique ne sont pas bien fixées ! 

 

D'ailleurs, dans la discussion qui précède mes explications, j'entends de mes amis des mots de trois syllabes... que mes amis ne différencient pas bien   : vaporisation, évaporation, ébullition...

D'ailleurs, dans un autre billet, j'avais également discuté le fait que certains de mes  amis avaient imaginé que les routes sèchent après la pluie était que l'eau parce que l'eau se serait infiltrée dans le sol... ce que j'avais réfuté en expliquant que le bitume est une émulsion et qu'il ne laisse pas passer l'eau.
Raison pour laquelle des torrents s'écoulent sans pouvoir s'infiltrer en cas de grosse pluie. 

 

Finalement, comment expliquer l'ensemble des phénomènes ? 

 

À la réflexion, je crois je crois que, vu l'incompréhension qui résulte des cours de thermodynamique classique, où l'on fait des bilans avec des mots de plus trop trois syllabes et où l'on cherche à faire écrire des formes différentielles... sans y arriver, il vaut bien mieux discuter les phénomènes en termes moléculaires, et d'abord sans calculer. 

L'eau, ce n'est pas "H2O" ;  c'est d'abord une substance matérielle qui  se trouve à l'état liquide dans certaines conditions de température et de pression. D'ailleurs, il y a lieu de s'étonner que l'eau puisse être solide (glace) basse température, liquide aux températures ambiantes, et sous la forme de vapeur à température supérieure. Cela se comprend si l'on se représente les molécules d'eau comme des boules de billard animées de vitesses différentes, dans toutes les directions. 

Pourquoi ces molécules ne quittent-elles pas le liquide pour aller dans l'air ? En réalité, certaines -les plus rapides- le quittent, et cela conduit à la lente évaporation de l'eau à température ambiante.
Il faut imaginer un caillou, une fusée : dans les deux cas, on les lance vers le haut, mais le caillou retombe, car sa vitesse n'est pas suffisante, alors que la fusée, dont la vitesse est supérieure à la vitesse de "libération", parvient à quitter la Terre pour l'espace. 

Pour l'eau, il en va de même : les molécules d'eau les plus lentes sont retenues par les forces d'attraction exercées par les molécules du liquide (ces forces sont notamment les "liaisons hydrogène"), mais certaines molécules plus rapides parviennent à s'échapper. 

C'est d'ailleurs un exercice de physique élémentaire amusant que de que de calculer cette vitesse de libération: il suffit de connaître la notion de travail d'une force, d'une part,  et la notion dénergie cinétique, d'autre part. 

 

Donc oui, dans un bol qui contient de l'eau, il y a des molécules plus ou moins rapides et les molécules les plus rapides, celles qui ont une vitesse supérieure à la vitesse de libération, peuvent quitter le bol pour partir dans l'atmosphère. En revanche, si le bol est fermé, par exemple par un film de cuisine transparent,  alors s'établira un équilibre entre l'eau liquide et l'air qui la surmonte, chargé de vapeur d'eau. D'ailleurs, on voit des gouttes d'eau sous le film  : n'est-ce pas une belle indication que la vapeur d'eau s'est alors recondensée. 

 

A tout cela, il faut ajouter la notion de "pression de vapeur saturante" : sous le film, la pression partielle de vapeur d'eau dépend de la température, augmentant avec la température jusqu'à atteindre pression atmosphérique quand la température atteint la température d'ébullition. 

D'ailleurs, dans une casserole d'eau que l'on chauffe, on voit bien les phénomènes : si on plonge un thermomètre dans l'eau, on voit la température augmenter, puis une fumée bleutée, puis blanche : c'est de la vapeur qui se recondense : la "fumée", ce n'est pas de la vapeur mais des gouttelettes d'eau recondensée, parce que la vapeur avait atteint l'air plus froid. 

Puis on voit des bulles au fond de la casserole, alors que la température n'est pas de 100 °C : ce sont les gaz dissous qui dégazent. 

 

Et l'on atteint la température de 100 °C : là, les bulles qui se forment au fond de la casserole sont des bulles de vapeur, et, ce qui est merveilleusement intéressant, c'est que, malgré l'énergie apportée, la température n'augmente plus. En effet, il faut beaucoup d'énergie pour permettre aux molécules d'eau de quitter l'eau, de vaincre les forces qui les retenaient. Et cette énergie a pour nom la "chaleur latente de vaporisation"

 

Tout cela me fait penser que l'on aurait dû commencer par expliquer avec les mains les phénomènes avant de calculer à l'aide de la thermodynamique classique. Sans quoi nos amis non seulement échouent à décrire les phénomènes mais en plus à les comprendre. Oui, comprenons le monde en termes moléculaires : vive la chimie !

lundi 10 avril 2023

Le lundi, il s'agit d'annoncer les événements à venir au cours de la semaine.

Évidemment, il ne s'agit pas de donner une fastidieuse liste détaillée de mes faits et gestes. D'une part, le moi est haïssable, et, d'autre part,  cela n'aurait pas beaucoup d'intérêt. 

Non, ils s'agit plutôt d'envisager  les actions à venir. Pas toutes, mais seulement celles qui sont porteuses de sens, celles qui ont un enjeu. 

Cette semaine, je dois m'occuper des publications par des  étudiants du mastère européen FIPDes, et je profite de l'occasion pour expliquer ce qu'est de ce merveilleux mastère. 

C'est un mastère européen, un mastère « Erasmus Mundus », soutenu par la Communauté européenne, construit avec des collègues des universités de Dublin, en Irlande, de Lund, en Suède, de Naples, en Italie... plus des collègues isolés qui acceptent de venir enseigner. 

Dans ce mastère, en deuxième année, il y a un module transversal de gastronomie moléculaire, qui trouve parfaitement sa place dans cet enseignement dont l'acronyme FIPDes signifie « food innovation and product design ». Innovations alimentaires et conceptions de produits.  

J'ai assez répété que la gastronomie moléculaire n'était pas de la technologie, mais de la science, pour que l'on comprenne que  la gastronomie moléculaire  est bien éloignée de l'innovation alimentaire et de la conception de produits. 

Toutefois, ces deux  types d'activités technologiques gagnent absolument à se fonder sur de la science quantitative, et, là,  la gastronomie moléculaire est véritablement à sa place, puisque,  explorant  les mécanismes des transformations culinaires, elle permet ensuite d'utiliser ces résultats. 

Je crois que l'on ne répétera jamais assez  qu'il faut faire la différence entre la science quantitative et la technologie, entre les sciences de la nature et la technique, et même entre la technologie et la technique. 

Les enseignements qui seront dispensés seront l'occasion de le répéter, pour ce qui me concerne, et de l'entendre (sans doute pour la première fois) pour ce qui concerne les étudiants de  notre merveilleux mastère FIPDes. 

Au fait : rendez vous le 8 septembre pour une matinée, où nous montreront des résultats scientifiques et technologiques obtenus par les étudiants.

samedi 8 avril 2023

Qu'est-ce qu'un bon produit ?

En cuisine, qu'est-ce q'un "bon produit" ? 

 

Ce n'est pas une question rhétorique,  et je suis même allé jusqu'à organiser un débat public  entre des cuisiniers étoilés, des journalistes, des gastronomes... Nous étions des centaines dans la salle, preuve que cette question est essentielle. 

Oui, qu'est-ce qu'un bon produit ? 

Le débat fut l'occasion de comprendre qu'une viande à griller peut se manger crue ou grillée : dans les deux cas, elle est très tendre, au point que certains cuisiniers reconnaissent cette qualité en pinçant la viande entre les doigts  ; si les doigts s'enfoncent comme dans du beurre, alors la viande est tendre. 

Pourquoi les doigts pourraient-ils enfoncer ? Parce que la viande est composée de très fins tuyaux nommés fibres musculaires, lesquels contiennent de l'eau et des protéines, comme du blanc d'œuf, très tendres donc. Ces tuyaux  sont groupés en faisceaux par ce que l'on nomme le tissu collagénique, et qui est ferme, puisque ce même tissu sert à retendre la peau des visages âgés qui ne se supportent pas avec des rides. 

Dans les viandes très tendres, il y a très peu de tissu collagénique, de sorte qu'il n'est pas difficile de séparer les fibres. Quand on cuit  une telle viande, il est inutile de chauffer beaucoup : il suffit de faire une légère croûte en surface, de faire brunir la viande pour lui donner du goût. 

 

Au contraire, une viande de l'avant, par exemple du collier de bœuf en est une viande en plutôt dure, à braiser plutôt qu'à griller. 

 

Si l'on se place du point de vue de la grillade, une telle viande n'est pas un bon produit. 

Inversement, ces viandes à braiser  qui contiennent  beaucoup de tissu collagénique peuvent aussi libérer beaucoup  d'acides aminés sapides lors d'un braisage, ce qui conduit à des  bouillons d'un goût extraordinaire. 

Autrement dit,  une viande à griller n'est pas un bon produit pour le braisage et, inversement une viande à braiser n'est pas un bon produit pour la grillade. 

 

Il n'y aurait donc pas de bons produits dans l'absolu, mais relativement à un usage que l'on en fait. 

 

Cela semble être une idée saine, applicable dans d'autres champs : un marteau n'est pas le bon outil pour le vissage, et un tournevis n'est pas un bon produit pour planter des clous. 

Mais ces tomates extraordinaires que nous avons mangées sur les marchés durant l'été ? Mais ces premiers petits pois ? Mais ces haricots verts  de début de saison ? Et ces mûres bien mûres de fin de saison cette fois ? Mais ces raisins qui  poussent dans une parcelle bien déterminée, avec une exposition spécifique, un sol spécifique, une ouverture de paysage particulière ? 

 

Un minimum d'honnêteté intellectuelle doit nous conduire à reconnaître qu'il existe bien de « beaux ingrédients ». Ces ingrédients  nous plaisent alors qu'ils ne nécessitent qu'un minimum de travail. Les tomates parfaites peuvent être mangées à la croque-au-sel, les petits pois tendres ne nécessitent quelques moments de cuisson, les mûres bien mûres ne se suffisent à elles-mêmes et, lors d'une transformation culinaire de tous ces produits, on en conserve les qualités... si l'on n'est pas l'Attila de la cuisine. 

 

Je propose l'image suivante : l'ingrédient sera représenté par un carré ; la transformation culinaire sera représentée par une déformation. Et l'on aboutira donc à une forme différente, plus ou moins, de la forme initiale. Le « bon » correspondra à un jugement esthétique sur cette forme. Parfois, la physiologie guidera notre jugement  : un mets trop salé n'est pas admissible, pas plus qu'une viande trop dure. 

 

Tout semble donc réglé : c'est l'usage que nous faisons des produits qui détermine si nous les jugeons bons. À cela près que, parfois, quand  nous mangeons une crème venue  d'une de ces fermes auberges des Vosges, sans rien savoir initialement du produit, nous fermons tous  les yeux de bonheur et nous nous exclamons « Ah, c'est bon... »

vendredi 7 avril 2023

La beauté est dans l'oeil

 Hier soir, j'ai grillé des cubes d'agneau qui avaient été trempés dans une sauce tandoori. Une sauce tandoori ?  C'est un mélange d'épices avec  paprika, cannelle, sel, cumin, piment, coriandre … La liste est longue, je m'arrête là. Les morceaux de viande avaient donc été trempés dans du yaourt où  l'on avait dispersé cette poudre ; ils étaient enrobés de cette préparation, posés sur une plaque et mis directement sous le gril. Après  quelques minutes,  une odeur agréable a empli la cuisine, alors que les morceaux de viande avaient bruni... et qu'ils avaient les pieds dans du liquide. Pourquoi ce liquide ? 

 

Bien sûr, le yaourt, c'est essentiellement de l'eau, puisque c'est du lait qui a été gélifié, et que le lait est principalement composé d'eau. Le yaourt peut être dégradé par la chaleur, relâchant son eau. 

Est-ce la vraie raison ? Pour le savoir, il faudrait faire l'expérience avec des morceaux d'agneau, sans yaourt, et...  l'expérience n'a plus rien de comparable, puisque  les morceaux de viande  ne sont alors plus cuits dans les même conditions  ! 

Nous avons là un exemple typique de la difficulté de concevoir des expériences qui puissent être identiques en tous points, à l'exception d'un seul paramètre. Passons, et supposons que nous trouvions une expérience convenable ;  il est vraisemblable que nous verrons à nouveau ce liquide, parce que l'on sait par ailleurs que les viandes chauffées se contractent. Pourquoi les viandes chauffées se contractent-elles ? Les viandes sont des faisceaux de fibres nommées fibres musculaires, reliées entre elles par du tissu collagénique. Les viandes qui contiennent beaucoup de ce tissu collagénique se contractent plus à la cuisson et celles qui en contiennent moins, et la pesée d'eau où l'on a chauffé une viande très collagénique montre bien que cette viande se contracte et expulse du jus : la viande pèse moins après cuisson, et le "bouillon" pèse plus. 

Mais pourquoi cette contraction tissu collagénique ? Le tissu collagénique est un assemblage en de petites fibrilles, du collagène, lequel est un assemblage de brins polypeptidiques, un mot à rallonge pour dire que la molécule est un enchaînement de résidus d'acides aminés. Comment, lors du chauffage, ces arrangements sont-ils perturbés ? Je m'arrête là, parce que la discussion serait très longue, dépassant de beaucoup le cadre d'un petit billet de blog. 

C'est à cela que je voulais arriver  : partant d'une observation quasi insignifiante, l'esprit curieux se lance immédiatement  dans une immense promenade au royaume des mécanismes, de la science quantitative. Tout tient dans « l'esprit curieux » : la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde, et la curiosité est dans l'esprit de celui qui contemple les phénomènes du monde, également. Et si l'on n'est pas curieux ? Alors je propose de s'entraîner à simplement décrire les phénomènes, comme le stipule la méthode des sciences quantitatives. On observe une transformation, on la décrit, avec des mots, et l'on discute ensuite ces mots. Ce « travail nous conduira immanquablement à nous interroger sur  le fonctionnement du monde. 

 

NB : des revues scientifiques viennent de publier que l'exercice de la science était corrélé à de la moralité supérieure à la moyenne. Voilà qui devrait répondre aux reproches que certains ont fait, lors des débats éthiques, et voici ce qui devrait satisfaire Faraday, qui disait que l'exercice de la science quantitative améliorait l'esprit.

jeudi 30 mars 2023

La gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets. De la préparation, ou bien de la préparation et de la consommation ?

 La gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets. 

 

De la préparation, ou bien de la préparation et de la consommation ? La question est souvent discutée, et il y lieu de bien s'interroger, avant de trancher définitivement. 

 

Souvent, l'histoire des sciences donne des clés, et c'est un fait que, en 1786, Benjamin Thompson, devenu plus tard comte Rumford, identifia (« découvrit ») le phénomène de convection en se brûlant avec une soupe de pois. 

L'histoire est plus ou moins la suivante. Rumford dînait souvent de bouillon, et il était habitué à ce que ce dernier refroidisse rapidement. Un jour, alors qu'il avait dans son assiette une préparation épaisse, il se brûla la bouche et s’interrogea. 

C'est ainsi qu'il en vint à reconnaître, qualitativement, que les liquides peu visqueux, quand ils sont chauds et placés dans un environnement plus froid, sont animés de mouvements de convection qui accélèrent les échanges de chaleur. Les couches les plus chaudes montent vers la surface, s'y refroidissent par échange d'énergie avec l'air, et, devenues plus denses, redescendent vers le fond, tandis que des couches plus chaudes, montent, et ainsi de suite.
Au contraire, quand la viscosité est importante, les mouvements sont ralentis, voire interdits. 

 

Il s'agissait là non pas de cuisine proprement dite (la préparation des mets), mais de consommation, et l'on a été tenté de suivre l'exemple de ce grand ancien, parce qu'il est tentant d'imaginer que l'on puisse faire des découvertes scientifiques en examinant non seulement les phénomènes qui surviennent lors de la production des mets, mais aussi de phénomènes qui ont lieu lors de la consommation. D'où la question évidente : devons nous limiter la gastronomie moléculaire aux phénomènes survenant lors des transformations culinaires, ou devons-nous étendre le champ à cette chimie physique des phénomènes de la consommation ? 

 

A cette question, il y a deux réponses : l'une de contenu, et l'autre de communication. 

 

Pour la question du contenu, il n'y pas de réelle difficulté à étendre le champ de la discipline, même s'il y a une difficulté à définir précisément ce champ.
Du point de vue de la communication, c'est plus épineux, car on voit bien les sciences de la consommation des aliments rejeter cette incursion sur leur territoire, de sorte qu'il ne serait guère habile de vouloir étendre à la consommation le champ disciplinaire de la gastronomie moléculaire. Nos sociétés étant humaines, nécessairement humaines, la question de la communication ne peut pas être balayée d'un revers de main, et il faut donc, en l'absence de meilleure solution, se résoudre sans doute à limiter le champ de la discipline à la préparation des mets... sans s'interdire d'aller y voir plus loin : après tout, les hommes et les femmes ne se confondent pas avec les disciplines !

mercredi 8 mars 2023

A propos d'Edouard de Pomiane

 
Un historien m'interroge, voire m'interpelle, à propos d'Edouard Pojersky de Pomiane, dont j'ai dit qu'il avait écrit beaucoup d'erreurs.

Je l'ai renvoyé vers un article où j'ai présenté le personnage, mais il faut que j'insiste : que j'explique que Pomiane fut un grand vulgarisateur, un remarquable écrivain gastronomique, mais pas un grand scientifique, du point de vue de la connaissance scientifique de la cuisine (au sens des sciences de la nature). Ce qui n'est pas une critique, mais une observation factuelle que j'explique ici.

Pomiane était microbiologiste à l'Institut Pasteur et il s'est beaucoup intéressé à la cuisine,  avec un esprit rationnel.

Il dit dans ses textes avoir expérimenté, mais on ne trouve pas de publications scientifiques à ce sujet. Il a eu un immense  succès populaire, avec des livres et avec une émission de cuisine, car il était fin, intelligent, enthousiate, plein d'énergie et d'humour.

Dont acte. Mais cela ne suffit pas pour faire de la science : ne pas confondre science, vulgarisation, cuisine, littérature, journalisme !

En réalité, beaucoup de ce qu'il a écrit à propos de la physique et de la chimie des phénomènes culinaires est faux (je n'y peux rien, désolé), notamment parce qu'il n'était pas physicien ni  chimiste, et que la cuisine n'est pas une affaire de microbiologie (sauf pour les questions de conservation ou d'hygiène).

Bien sûr, un microbiologiste a une formation scientifique, mais cela ne suffit pas toujours pour faire des travaux de physico-chimie.

De surcroît, la science, et notamment la gastronomie moléculaire, n'est pas dans le dogme, comme la vulgarisation scientifique, qui, elle, explique des théories, mais dans la réfutation.

Considérons un exemple : celui de la mayonnaise. Pomiane a des phrases extraordinairement ambiguës où il dit qu'il y a de l'eau et de l'huile mélangées intimement l'un dans l'autre en une émulsion. Certes, il y a de l'eau et de l'huile, et certes, la mayonnaise est une émulsion mais la description est mauvaise : il faut dire que des gouttelettes d'huile sont dispersées dans l'eau (une "solution aqueuse", plus exactement).

Disons-le encore plus simplement :  on prend de l'eau, on y met une gouttelette d'huile, puis une autre, puis encore une autre, et l'on obtient de l'eau chargée de gouttelettes d'huile, si tassées qu'elles ne peuvent plus bouger : la sauce tout entière ne coule plus. Et ce système physico-chimique est nommé "émulsions".

Ce que je viens de dire, c'est de la vulgarisation, un peu du dogme, et je m'empresse d'ajouter que la science précisément, cherche plutôt à réfuter cela. La science n'est pas intéressés a asséner  des propositions théoriques , mais, au contraire, elle cherche  en quoi ces descriptions sont fautives.

Par exemple pour la mayonnaise, dans les années 1980, certains disaient encore que les gouttelettes d'huile dans l'eau étaient stabilisées (en réalité, c'est une métastabilité) par des phospholipides, cette fameuse "lécithine" dont beaucoup parlent sans savoir ce que c'est. En réalité, pour les mayonnaises, les protéines présentes dans le jaune sont beaucoup plus importantes que les lécithine et si l'on ne veut pas se perdre dans les détails, on commencera par dire que la mayonnaise est stabilisée par les protéines.
Certes, les deux composés agissent, mais le principal, ce sont les protéines.

Pour en revenir à Pomiane, sa confusion ne lui a pas permis de véritablement fonder la gastronomie moléculaire parce qu'il confondait aussi la technique, la technologie, la science et l'art.
Il  introduisit sur le tard la "gastro-technie", mais si on le lit précisément, on voit que cette dernière est une espèce de chimère dont on ne sait pas exactement ce que c'est ;  en tout cas, ce n'est pas de la science à lire ses définitions, ce n'est pas de la technique non plus et ce n'est pas de l'art. Serait de la technologie ? Je n'en suis pas non plus sûr si l'on lit les mots qu'il écrit;

Bien sûr, si l'on est excessivement charitable ou enthousiaste, on peut dire que l'on va passer sur les mots, mais alors, autant autant confondre tout de suite le tournevis et le marteau, la casserole et la fourchette, le poivre et le sel, la molécule et l'atome !
Non, les mots ont une signification et celui qui n'utilise pas le sens des mots dans un but de clarté est soit confus, soit volontairement poète. On a le droit d'être enthousiaste, on a le droit d'avoir de l'humour, on a le droit de tout ce qu'on veut dans les limites de la légalité bien sûr,  mais on ne fera jamais de la science en confondant les émulsions avec les mousses, les gels avec les suspensions, les protéines avec les phospholipides, et cetera.

Déjà Jean-Anthelme Brillat-Savarin s'était posé en scientifique, alors qu'il était juriste (et se posait en "physiologiste, qu'il n'était pas), et il faut -on le sait- un exceptionnel "gastronome", au sens de la gastronomie littéraire. Scientifique de métier, Pomiane fut également un excellent gastronome littéraire, mais il faut prendre ses écrits en les interprétant, sans oublier son oeil souriant au-dessus de sa moustache.

lundi 16 janvier 2023

Etre un bon convive ? 

 Le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin préconisait de parler sans prétention et d'écouter avec complaisance. Est-ce suffisant  pour être un bon convive ?
La question est difficile, et cela vaut la peine d'analyser la question.

Pensons que, dans les dîners, il y a notre personne, et nous dans la collectivité. Pour être heureux, nous devons être heureux personnellement, et nous devons être heureux ensemble.

Être heureux personnellement ? Il y a cette phrase merveilleuse, terrible mais juste, selon laquelle un égoïste est quelqu'un qui ne pense pas à moi. 

Oui, celui qui prend le sot-l'y-laisse de la volaille sans me l'offrir, celui qui prend la cerise sur le gâteau au mépris des autres, dont moi-même, n'est pas un bon convive...


A contrario, il faut donc que je comprenne que, si je tiens à un repas réussi, où les autres soient aussi heureux que moi, je ne dois pas prendre le sot-l'y-laisse, ni la cerise sur le gâteau. D'ailleurs, si chacun est comme moi, on offrira les belles parties à chacun, qui le refusera, tour à tour, de sorte  que chacun aura été "honoré", en sera heureux individuellement.
 

Mieux, ainsi, on aura donné au groupe l'occasion de choisir, pour une raison particulière qui pourra être discutée, et mettra en valeur un membre du groupe, qui en aura reconnaissance à tout le groupe, donc à chacun.

Ce qui vaut pour la nourriture vaut pour la conversation, et l'on sait combien les autres sont heureux que l'on s'intéresse à eux, qu'on les questionne sur eux, sur leur santé, leur bien-être... ce qui conduit à penser que, comme pour le sot-l'y-laisse, on en arrive à une situation où chacun renvoie vers l'autre la question de parler de lui. 

Si d'aventure un convive ne la renvoyait pas, il nous serait reconnaissant de nous être enquis de lui, et nous aurions le bonheur de l'avoir rendu heureux. Et si nous sommes en mesure ou en devoir de répondre, ne pourrions-nous penser que se plaindre, être négatif, c'est poser du repoussant sur la table ? 

A contrario, proposer un sujet positif, c'est illuminer le coeur des autres. Oui, l'optimisme n'est pas une tournure d'esprit, mais une politesse, et le pessimisme est une impolitesse. 


Et si tous repoussent la possibilité de parler d'eux ? Alors on parlera d'autre chose que de soi, et ce sera encore mieux. Ne pourrait-on parler de ce qui est beau, de ce qui est émouvant, de ce qui est bon, de ce qui contribue à la bonne marche du monde ? Ne gagnerions-nous pas à partager avec nos commensaux nos émerveillements ?
 

Ce qui est clair, c'est que la commensalité est une attention de toutes les secondes. Elle se prépare, elle se déguste, elle se savoure. Récemment, j'ai croisé dans la rue un de mes amis, Etienne Guyon, qui marchait en lisant. Que lisait-il ? Un poême. Pourquoi ? Parce qu'il prévoyait une marche avec des amis, et qu'il voulait apporter à la discussion un objet précieux, tout comme on apporte un mets quand on va retrouver des amis pour un pique-nique. Quelle belle idée !

mercredi 22 juin 2022

Vous vous destinez à quoi, au juste ?

Là, c'est une question récurrente, qui mérite donc une réponse circonstanciée. 

 

Je m'appelle xxxxx, une étudiante internationale en L3 Biologie-santé dans l'Université xxxx et je vise à travailler dans le domaine de la cuisine moléculaire au futur. J'ai bien consulté la page de votre centre international de la cuisine moléculaire et je me permets de vous contacter pour savoir les informations concernant votre prochaine conférence ou activité, ce que j'espère d'avoir l'honneur de participer.
Merci par avance pour votre réponse.

 


Ma réponse 
 
Merci pour votre message.

Celui ci compote une ambiguité, qui résulte sans doute d'une question de langue :
- la gastronomie moléculaire et physique (en abrégé, gastronomie moléculaire) est une activité scientifique
- une de ses applications est la "cuisine moléculaire" (terme que vous utilisez), et qui est donc de la cuisine, et pas de la science ; plus exactement, c'est une cuisine que l'on fait à l'aide de matériels modernes
- et cela ne se confond pas avec la "cuisine de synthèse", ou "cuisine note à note", qui est encore de la cuisine, mais d'une autre manière : on n'utilise plus fruits, légumes, viandes ou poissons, mais seulement des composés que l'on assemble.
Vous parlez de "conférence" ou "activité" : là, nous venons de tenir le dernier "séminaire de gastronomie moléculaire" (je dis bien "gastronomie moléculaire", et pas "cuisine moléculaire"), dont en pj figure le dernier compte rendu.
Puis les prochaines activités notables seront en septembre, avec les cours des Masters FIPDES et IPP.
Une question, enfin : si vous voulez travailler dans le domaine de la cuisine moléculaire, c'est que vous voulez être cuisinière  ?
En réalité, vu votre formation, je crois que vous visez plutôt une carrière scientifique ou technologique. Si c'est une carrière scientifique, cela peut effectivement être de la gastronomie moléculaire. Si c'est technologique, c'est alors une carrière de "technologie culinaire".

Enfin, pour mieux comprendre tout cela, je vous recommande :
- le blog Hervé This sur le site d'AgroParisTech
- le blog Vive la connaissance : https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/
- le blog "Hervé This" https://hervethis.blogspot.com/

N'hésitez pas à me donner des questions supplémentaires. En tout cas, j'ajoute votre email sur la liste de distribution qui est utilisée pour diffuser des informations relatives à la gastronomie moléculaire et ses applications.

Ah, j'oubliais : nous venons de publier le Handbook of Molecular Gastronomy (CRC Press), et sortira bientôt le livre Calculating and problem solving through culinary experiments, CRC Press.


 

lundi 7 mars 2022

Les chimistes sont des empoisonneurs, mais ils font courir des risques bien moindre que ceux dus aux inconscient, c'est-à-dire à tous les autres... puisque eux, au moins, savent quel est le danger éventuel.

 Les chimistes sont des empoisonneurs, mais ils font courir des risques bien moindre que ceux dus aux inconscient, c'est-à-dire à tous les autres... puisque eux, au moins, savent quel est le danger éventuel. 

C'est évidemment une boutade, mais quand même, j'invite mes amis à y réfléchir.

Au début, il y a la chimie, cette science des réorganisations d'atomes, des "transformations moléculaires", et plus, mais c'est un détail. C'est une science, une connaissance.
Et les chimistes ne sont donc pas des empoisonneurs, mais des producteurs de connaissances.

Et il y a une dénomination abusive de "chimiste" pour des personnes qui se livrent à des applications de la chimie : des technologues ou des techniciens qui produisent des composés, en quantités variables, faibles pour les principes actifs des médicaments et à la tonne pour des engrais, peintures, etc.

En cuisine, les cuisiniers qui font des caramels, qui réduisent des vins, qui brunissent des viandes, qui rôtissent, sautent, font frire, etc. mettent en oeuvre des réactions "chimiques" que les chimistes connaissent bien... et dont ils connaissent les dangers.

Mais on est bien d'accord, c'est moins le danger que le risque qu'il faut considérer : à ne pas traverser une route, il n'y a aucun risque, même ci cette route est très dangereuse. Et il en va de l'action éventuelle sur la santé des composés des aliments, initialement présents ou finalement produits.

De ces risques, les cuisiniers (sauf exceptions, bien sûr) ne savent rien, sauf à dire -très péremptoirement et sans en avoir aucune certitude- que la tradition n'a empoisonné personne... ce qui est inexact, car j'ai des recettes terribles de pissala où les cuisiniers provençaux utilisaient du cinabre  (un terrible sulfure de mercure) : pas étonnant que les micro-organismes ne se soient pas développés en présence d'un tel composé. Et il y a aussi des plantes assez nombreuses que l'on consommait naguère et qui figurent maintenant sur la liste des plantes toxiques établie par l'Agence européenne de sécurité des aliments.

Bien sûr, des cuisiniers peuvent se renseigner, apprendre les travaux consacrés aux risques alimentaires, mais ce sont surtout les toxicologues ou les chimistes qui savent tout cela.

Et, en tout cas, les chimistes peuvent bien envisager les risques chimiques, puisque c'est là leur métier. Le hic, c'est qu'ils ne savent pas toujours bien cuisiner (avec bien sûr des exceptions).

Mais, au fait, et si, au lieu d'opposer les groupes, on proposait une belle coopération, utile à tous ?