samedi 27 janvier 2018

La crème fouettée et égouttée ?

La crème fouettée ? On l'obtient en fouettant de la crème.




La crème ? Sa structure dépend de la température, parce qu'elle renferme de l'eau et de la matière grasse.
Aux températures inférieures à - 10 degrés, toute l'eau est solidifiée (en glace), et toute la matière grasse aussi.
Aux températures comprises entre - 10 degrés et 0 degrés, une partie (petite) de la matière grasse est fondue, mais l'eau est sous forme de glace.
Aux température comprises entre 0 degrés et 50 degrés, l'eau est liquide, et la proportion de matière grasse sous la forme solide diminue... de sorte que le système est une supension de gouttelettes de matière grasse, avec une partie  de graisse liquide et une partie de graisse solide. Ce n'est pas une émulsion pure.
Enfin, aux températures supérieures à  55 degrés, toute la matière grasse est sous la forme liquide, et l'on a enfin une véritable émulsion, dispersion de gouttelettes de matière grasse liquide dans une phase aqueuse.

Quand on fouette de la crème, surout de la crème refroidie, la graisse fusionne en un réseau de graisse solide qui stabilise l'ensemble, comprenant notamment  des bulles d'air que l'on a introduit. Mais, dans ce système instable, l'eau peut drainer. A quelle vitesse ?
Dans le temps, on avait l'habitude de placer la crème fraichement fouettée sur un linge, afin que l'eau s'écoule. Avez vous déjà fait l'expérience de goûter cette crème fouettée et égouttée ?



Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 26 janvier 2018

Peut-on manger du beurre cuit ? oui !

Oui, on dit que le beurre cuit est malsain… mais il  a même été dit qu'il valait mieux manger de l'huile (d'olive) que du beurre. Pour le beurre cuit, évidemment il y a cuit et cuit… mais le beurre noisette, par exemple, est-il malsain ?


Des études effectuées à l'université de Lille ont montré que la consommation de beurre, et celle de beurre cuit,  n'ont pas sur notre organisme les effets néfastes qu'on lui prêtait (voir http://www.cerin.org/publication/chole-doc/beurre-ne-compte-plus-pour-du-beurre.html).
Aujourd'hui, les choses changent : après quelques décennies pendant lesquelles on a crié haro sur le beurre, la crème, le lard, etc., on a vu l'obésité augmenter quand on a cessé de consommer ces produits, augmentant la consommation de sucres. De sorte que l'industrie alimentaire revient à ces produits délicieux que sont le beurre, la crème, le lard… quand ils sont bons (Toni Tarver, A big fat dispute, Food Technology, 08.16, 27-35, www.ift.org).
Car, évidemment, un beurre sans goût est sans intérêt. « Bon », cela ne veut pas nécessairement dire « artisanalement produit », car on voit des artisans empoisonner leurs clients (récemment avec des tapenades) ;  cela signifie « produit à partir de pratiques rationnelles et saines ». En l’occurrence, le beurre est bon quand l'alimentation des vaches est judicieusement choisie.

















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 25 janvier 2018

A propos de maquereaux, qui fera l'expérience ?

On dit que les maquereaux "tournent" par temps d'orage.

Oui, on le dit, et, un jour d'été en Bretagne, au large de Fouesnant,  j'ai effectivement observé des maquereaux, que j'avais moi-même péchés en début d'après-midi, qui s'étaient partiellement décomposés, en fin d'après midi, après un orage, alors qu'ils avaient été laissés dans le cockpit. C'était spectaculaire, car la chair était devenue toute molle, presque liquide.

En revanche, le phénomène n'a pas eu lieu pour des maquereaux péchés un autre jour, sans orage. Faisait-il moins chaud ? Moins humide ?

On pourrait essayer de reproduire les conditions et de voir le développement de micro-organismes.

Qui fera les expériences ?












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 24 janvier 2018

L'émulsion, c'est quoi ?

L'émulsion, c'est quoi ?



Une question, une réponse.

 La question, tout d'abord :

Bonjour, 
Je suis en classe de première. Avec mon groupe nous travaillons sur la cuisine moléculaire pour nos TPE et notamment sur ses différentes techniques. 
Cependant il y a certaines techniques dont nous ne comprenons que très vaguement leur processus. C'est pour cela qui j'aimerai vous nous éclaireriez un peu plus sur certains sujets comme  l'émulsion.

Et la réponse :


Pour répondre à une question, il faut faire les choses "stratégiquement". Notamment, pour ne pas égarer nos amis, il faut commencer par une réponse simple, et compliquer progressivement.
D'autre part, toujours d'un point de vue stratégique, je crois que les expériences sont plus parlantes que les théories.

 Je propose donc de commencer par mettre de l'eau dans un verre. Puis de verser de l'huile : cette dernière tombe de la bouteille, formant des gouttes qui s'enfoncent dans l'eau, puis remontent vers la surface supérieure, où elles se fondent, formant une couche d'huile qui flotte sur l'eau. On dit (mais c'est juste une dénomination, par une explication !) que l'huile est "hydrophobe".
Si l'on prend maintenant un petit fouet de cuisine et que l'on fouette l'ensemble des deux "phases", on voit l'huile être divisée en petites gouttelettes qui sont dispersées dans l'eau, laquelle prend un aspect laiteux tant que l'on agite. Cette dispersion de gouttes d'huile, éventuellement très petites, dans l'eau est un exemple d'émulsion. Et le fait d'agiter pour disperser les gouttes d'huile est une émulsification.
Evidemment, dans un tel cas, il faut dépenser beaucoup d'énergie pour avoir de petites gouttelettes, et l'émulsion est très instable : elle ne subsiste généralement (ça dépend des huiles) que quelques dixièmes de secondes. En revanche, quand on ajoute une goutte de liquide à vaisselle, ou une goutte de jaune d'oeuf, alors l'émulsion se fait bien plus facilement (on peut le calculer), et elle est bien plus stable : après plus de vingt jours, l'émulsion qu'est une sauce mayonnaise subsiste presque dans déstabilisation.
Les composés qui, dans le liquide vaisselle ou dans le jaune d'oeuf, viennent enrober les gouttelettes d'huile, faciliter leur dispersion dans l'eau, éviter leur "fusion" (on parle de "coalescence") sont dites "tensioactives". Dans le liquide vaisselle, ce sont des composés  qui sont souvent des "sels d'acides gras" ; dans le jaune d'oeuf, ce sont principalement les protéines, et aussi des "lécithines".

Voilà pour la description la plus élémentaire.
Plus en détail ? Ce sera pour une autre fois, mais nos jeunes amis peuvent aussi se reporter à des traités de physico-chimie, ou à mes "cours en ligne" sur le site d'AgroParisTech, et dont voici le sommaire :



# FIPDES molecular gastronomy (in English)
# The link is https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR
#
# In the courses given by H. This, you will find :
# - the full course
# - a How to work within this module (audio)
# -  a group of methods, including
#               - the method 1 3 9 27
#              - a course on creativity
#              - a course on reading documents
#              - another "applied" course on innovation and creativity (Let's have an egg)
#              - a document explaining why you would be wise to use Maple (or R)
#              - another document on creativity, applied on pastry products
# - a ppt on molecular gastronomy
# - a group of particular courses, including :
#               - a course on "coagulation"
#               - a course on dimension analysis, applied to the duration of cooking, for a roast
#               - an easy calculation of the distance between molecules
#               - a course on dry matter determination
#               - a group of courses on the formalism for the description of disperse (colloidal) systems, including :
#                                     -  a first comprehensive course
#                                     - a course focusing on operators
#                                     - a course explaining how to find the possible disperse systems
#              -  a course on formulation
#              - an example intended to explain calculation, based on the maximum volume of whipped egg white from one egg (more than one cubic meter)
#             - a course on the Laplace force
#             - an introduction to the nano world
#             - a group of courses on note by note cooking including
#                                       - a lecture for the European customs (2012)
#             - a course on sedimentation and creaming
#             - a course on surfactants
#
# Gastronomie moléculaire (in French)
# This is a very large group, with many documents in French. Intended for all publics.
# It is here : https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/GM/?id_session=0
#
#
# Physico-chimie pour la formulation, structuration des aliments (both French and English)
#
# The link is : https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/PHYSICOCHIMIEPOURLAF/?id_session=0
# This group of documents is initially for the Master IPP, the common module with the FIPDES Master. As such, it includes documents in French, and documents in English. 
#
# First, there is a groupe of courses on particular points :
# - a text on the Laplace force in French
# - a text on formulation in French
# - a course on the Laplace force in English
# - a course on surfactants in French
#
# Then there are courses giving methods
# In English :
# - backbone calculation : this document is the one that one is invited to use when calculating, as explained in...
# - how to calculate
# - how to read: it was recognized that students are not always as efficient as they could be
# - what you learn
# In French:
# - ce que tu pourras apprendre : in this particular environment
# - comment lire
# - enseignement scientifique et technologique : there is a difference between science and technology!
# - methode du soliloque: very important when you have a problem
# - penser en termes de chemin
# - squelette de calcul.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Je ne suis pas cuisinier !

Une question, ce matin, mais qui, en réalité, aborde deux points :
- mon statut
- la cuisson dans les fours à micro-ondes.

La voici: 

Pour notre TPE, nous avons décidé d'étudier l’action du four à micro-ondes sur les aliments. Cependant nous avons beaucoup de mal à trouver des informations pertinentes, alors nous avons pensé à nous adresser à vous étant donné que vous êtes physico-chimiste et en plus cuisiner.
En tant que cuisinier conseilleriez-vous ou non la cuisson au four à micro-onde, et pourquoi? Et en tant que physico-chimiste votre avis changerait-il? Pourriez vous également nous expliquez pourquoi nous ne pouvons obtenir une cuisson saignante après avoir cuit un rôti au four à micro-ondes? D’après nos recherches cela est dû au fait que la propagation de la chaleur se fait de l'intérieur vers l’extérieur mais certains parlent de la réaction de Maillard, cependant nous n’arrivons pas à comprendre cette réaction.


A propos de mon statut

Avant d'évoquer les micro-ondes, je prends la précaution d'indiquer que je ne suis pas cuisinier ! Bien sûr, je cuisine chaque jour, pour nourrir ma famille, et je prétends bien connaître les techniques culinaires, puisque je suis capable de battre le record mondial du plus gros volume de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf (plus de 40 litres), mais c'est comme si je disais que je suis musicien parce que je joue en amateur d'un instrument : non, je ne suis pas "musicien" de mon état.
Surtout,  on trouvera dans mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique" (Editions Odile Jacob, Paris) l'explication : comme le dit le titre de ce livre, être cuisinier (professionnel), c'est maîtriser la technique, l'art  (le "bon", c'est le beau à manger),  et lien social qui sous tend l'acte de cuisiner (pour des clients).



Personnellement, je ne suis pas un artiste, et je ne suis pas certain d'être très bon pour ce qui est de l'amour, disons le lien social, moi qui ai le plaisir d'être seul devant mes équations, au laboratoire.
J'insiste un peu : mon métier n'est pas la cuisine, mais l'exploration physique et chimique des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires... et à ce titre la cuisson par les micro-ondes est intéressantes, car comment les ondes se propagent-elles ? Quelles réactions physiques ou chimiques engendrent-elles ? Et, surtout, des mécanismes inédits sont-ils à découvrir ? Voilà la gastronomie moléculaire posée. 




Puis à propos de cuisson par les micro-ondes

Donc conseiller de cuisiner au four à micro-ondes ? La question me semble mal posée, et je propose de toujours demander d'abord  : quel est l'objectif  ?
Et puis, ce n'est pas vrai que l'on ne peut pas obtenir une viande saignante au four à micro-ondes, surtout depuis que ces fours sont équipés de résistances qui peuvent griller : il suffit de chauffer suffisamment peu.
Mais nous sommes allés trop vite, et cela vaut la peine de se demander pourquoi on cuit  : pour l'assainir microbiologiquement, en tuant les micro-organismes de surface et les éventuels parasites intérieurs (porc, cheval...) ; pour changer la consistance (attendrir des carottes) ; pour donner du goût.
Pour les micro-ondes, il n'est pas vrai que la propagation de la chaleur se fait de l'intérieur vers l'extérieur : les micro-ondes sont des ondes qui traversent les tissus végétaux et animaux, et sont absorbées par l'eau qui constitue ces tissus, notamment. L'énergie est déposée partout.

Quant à la réaction de Maillard, on trouvera un texte de synthèse sur https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2016-3-actes-de-colloques-maillard-products-and-maillard. On y verra que le nom "réactions de Maillard" est utilisé très abusivement, et qu'il doit être réservé à des réactions de brunissement non enzymatique entre des protéines et des sucres réducteurs (glucose, fructose, par exemple). Ce n'est qu'un exemple des réactions de brunissement des aliments, à côté d'oxydations, de déshydratations, de pyrolyse, de thermolyse, etc. Et il y en a, lors des cuissons au four à micro-ondes, même s'il y en a moins que dans des grillades.


Mais toute cette réponse ne vaut rien pour un TPE : il faudra que nos amis aillent en ligne, sans doute sur Google Scholar ou dans des manuels, pour avoir des réponses "attestées" par des références.















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 23 janvier 2018

L'épaississement dû à l'emploi d'amidon

Une question, une réponse.

La question s'apparente à celle que j'ai traitée hier, à propos d'émulsification :

Bonjour, 
Je suis en classe de première. Avec mon groupe nous travaillons sur la cuisine moléculaire pour nos TPE et notamment sur ses différentes techniques. 
Cependant il y a certaines techniques dont nous ne comprenons que très vaguement leur processus. C'est pour cela qui j'aimerai vous nous éclaireriez un peu plus sur certains sujets comme  l'épaississement.

La réponse :

L’épaississement ? En cuisine, la question se pose surtout pour des liquides que l'on veut transformer en sauces, et j'ai indiqué dans mes livres plusieurs façon d'y parvenir : par des protéines qui coagulent, par des polymères qui se dissolvent, par de la gélification localisée... par de l'émulsification...
Dans tous les cas, il s'agit de donner de la viscosité à un liquide. Les structures en charge de cette augmentation de viscosité peuvent être de diverses tailles, de la molécule au grain d'amidon gonflé, comme sur l'image suivante, qui montre l'intérieur de cellules de pommes de terre cuites (les grains d'amidon de l'intérieur des cellules se sont empesés.



Mais, je le répète, tout cela est dans mes livres (notamment Les Secrets de la Casserole et Mon histoire de cuisine), de sorte que je perdrais mon temps à redire ce qui a été dit très bien ailleurs.





























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 22 janvier 2018

En cuisine, des cuillers en bois

Pourquoi des cuillers en bois, en cuisine ? Parce que l'on se brûle quand on laisse des cuillers métalliques dans les casseroles où un liquide est chauffé !

La question renvoie à cet étonnement que l'on a en été, quand on entre, à l'ombre, s'asseoir sur une chaise, alors qu'on est en short ou en maillot de bain : on sent du froid quand la chaise est en métal.

Analysons : supposons qu'il fasse une température de 30 degrés, à l'intérieur de la maison ou de l'appartement.
La chaise, qu'elle soit en bois ou en métal, est à cette température, parce que, si elle était plus chaude, elle rayonnerait, et ne cesserait de le faire qu'en étant à 30 degrés; et si elle était plus froide, elle se réchaufferait. Nous nous asseyons donc sur une chaise dont la température est de 30 degrés... mais notre corps est plus chaud : par exemple 37 degrés.

De ce fait, sur une chaise en bois, notre corps communique rapidement sa chaleur au bois... mais le bois est mauvais conducteur de la chaleur, ce qui signifie qu'il est chauffé localement, et que la chaleur déposée à cet endroit y reste.
Bref, le bois vient vite à la température du corps, de sorte que nous ne percevons bientôt plus de différence.
Pour du métal, au contraire, notre corps chauffe le métal à l'endroit où nous sommes assis... mais le métal évacue la chaleur vers le reste de la chaise, de sorte qu'il faut que le corps redonne de la chaleur, et ainsi de suite.


Pour les cuillers en bois, c'est le même phénomène de conduction de la chaleur : la cuiller en métal conduit la chaleur du contenu de la casserole, de sorte que nous nous brûlons quand nous touchons le manche. Alors qu'avec une cuiller en bois, seule la partie de cuiller dans la casserole est chauffée.



Tout cela étant dit, le bois a d'autres avantages, à savoir qu'il ne raye pas le métal ou les couches anti-adhésives. Inversement, il est difficile à nettoyer et à débarrasser de ses bactéries, qui peuvent venir entre les fibres.

Enfin, il a été dit que l'on pouvait éviter de pleurer en épluchant des oignons si l'on mord dans une cuiller en bois... mais j'ai fait l'expérience, et cela n'a pas marché. Je rappelle qu'il suffit d'un seul contre exemple pour abattre une règle générale. L'idée est donc abattue.





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

La question de la toxicité des ingrédients culinaires est posée... par tous ceux qui veulent éviter d'empoisonner ceux et celles pour qui ils cuisinent. Et ils ont raison : d'abord parce que cela ne se fait pas d'empoisonner autrui, mais aussi, plus sérieusement, parce que le monde "naturel" regorge de dangers, et les plantes de poisons.
Comme la plupart des végétaux, les plantes-racines contiennent de petites quantités de toxines et de facteurs antinutritifs potentiels, tels les inhibiteurs de trypsine (une enzyme du pancréas), mais le manioc est particulier, parce qu'il  contient des glucosides cyanogène (et pas "cyanogénétiques", comme le disent hélas des pages de la Food and Agriculture Organization de l'Organisation des nations unies).

Expliquons.

Si les variétés cultivées de la majorité des tubercules et des racines comestibles ont été sélectionnées par nos ancêtres, depuis les premiers temps de l'humanité, pour être dépourvues de toxines dans les conditions de leur emploi culinaire (on évitera par exemple de consommer la peau des pommes de terre), les espèces sauvages renferment parfois des doses létales de principes toxiques, et  il faut donc les traiter correctement avant de les consommer. Pourquoi consommer de tels végétaux, dira-t-on ? Parce que certaines populations souffrent de la faim et que, conscientes des risques potentiels que comporte leur utilisation, elles ont mis au point des techniques appropriées pour détoxifier les racines avant de les consommer.


Par exemple, pour le manioc, le principe toxique essentiel qui se trouve en quantités variables dans toutes les parties de la plante est un composé nommé linamarine, qui coexiste souvent avec son homologue méthylique nommé méthyllinamarine ou lotaustraline. La linamarine est un glucoside cyanogène, ce qui signifie qu'il libère de l'acide cyanhydrique  lorsqu'il entre en contact avec la linamarase, une enzyme qui est libérée quand les cellules des racines de manioc sont ouvertes.

L'acide cyanhydrique ? On le connait aussi sous le nom d'acide prussique, ou cyanure d'hydrogène, et c'est un composé formé d'un atome d'hydrogène, d'un atome de carbone et d'un atome d'azote. Pas de génétique dans l'affaire, pas d'ADN dans l'affaire : pas de "cyanogénétique", mais du "cyanogène", de "gène", qui libère, et "cyano", du cyanure. Evitons les terminologies fautives en comprenant ce que nous disons.

En réalité, la linamarine elle-même n'est pas toxique, et c'est même un composés assez stable, qui n'est pas modifié lors de la cuisson. En revanche, couper le manioc ouvre les cellules, ce qui met la linamarine en contact avec  l'enzyme lynamarase  : c'est là que le risque apparaît, parce que l'enzyme détache l'acide cyanhydrique de la linamarine.
Mais revenons à l'acide cyanhydrique  : c'est un composé volatil, qui s'évapore rapidement dans l'air à des températures supérieures à 28 °C et se dissout facilement dans l'eau.  La teneur normale en acide cyanhydrique des tubercules de manioc est comprise entre 15 et 400 milligrammes   par kilogramme de poids de végétal frais (Coursey,1973), augmentant du centre vers la périphérie du tubercule (Bruijn, 1973).
Les méthodes traditionnelles de transformation et de cuisson du manioc, si elles sont appliquées avec soin, peuvent réduire la teneur en acide cyanhydrique  jusqu'à des niveaux non toxiques. Il s'agit de broyer soigneusement la racine, afin de  libérer la linamarase et de la mettre en contact avec la linamarine. L'acide cyanhydrique libéré volontairement se dissout dans l'eau quand la fermentation est provoquée par un trempage prolongé, et il s'évapore quand le manioc fermenté est séché.

A propos de découverte

Retrouvé cette note dans un cahier :

When a new discovery is announced to the world, there are people who immediately say "It is impossible", or "That is not true", and when the truch and possibility of the discovery are both proved to them, they console themselves by saying "it is not new". Objections of this sort were made against the discoveries of Lavoisier.
Dumas, Philosophie de la chimie, 173.  Cité par The Monthly Magazine, vol VI, juillet 1841, N°31, p. 193, A critical introduction to Fourier's theory of the attractive industry and moral harmony, Hugh DOherty.

dimanche 21 janvier 2018

Il y a une infinité de saveurs !



Le mot « saveur » est employé à toutes les sauces, mais son étymologie est conforme à son sens juste, bien reconnu par les spécialistes de la physiologie sensorielle, à savoir que le mot désigne les sensations comme les sucrés, les salés, les amers, les acides… et toutes les autres.


Expliquons, d'abord, pourquoi on utilise le pluriel pour la quatre sensations classiques, avant d'expliquer pourquoi ces quatre ne sensations ne sont ni les seules, ni élémentaires.

 Ce sont sont pas les seules : par exemple, la réglisse n'est ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amère. L'ion glutamate, que l'on trouve notamment (mais pas seulement!) dans le monoglutamate de sodium d'une certaine cuisine asiatique, a une saveur originale, qui fait penser à certains à du bouillon de volaille. Le bicarbonate de soude a une saveur particulière, et ainsi de suite. Il n'y a pas quatre saveurs, ou cinq, ou six, mais sans doute une infinité.

Les quatre saveurs les plus connues ne sont d'ailleurs pas « élémentaires » : d'une part, parce qu'il est erroné de dire « le » sucré, ou « l' » amer, ou « l' » acide, et, d'autre part, parce que rien ne les distingue. Oui, il n'y a pas un amer, par exemple, mais un très grand nombre : à preuve, l'amer de l'oignon roussi n'a rien à voir avec l'amer de la quinine, qui n'est pas combattu par le sucre de table, ou saccharose. L'acide acétique n'a pas la même acidité que l'acide citrique, ou l'acide tartrique.


Enfin, il faut ajouter que des composés peuvent avoir à la fois une odeur, une saveur, et même des effets différents, par exemple « trigéminaux » (les piquants, les frais…). Par exemple, l'éthanol pur (ou en solution dans l'eau, comme pour la vodka) a une odeur, une saveur, une sensation trigéminale. Idem pour le menthol de la menthe, par exemple.



Finalement, parler de la saveur d'un mets est une faute courante : il faut parler de son goût… car il est bien difficile de faire la part des saveurs dans les seules sensations que nous ayons : les sensations synthétiques qui sont celles du goût.









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Les sauces "émulsionnées chaudes"

Une question :

Hollandaise, béarnaise...sauces émulsionnée chaudes. Bonjour M. THIS
Professeur de cuisine, je cherche un moyen de stabiliser davantage ces sauces émulsionnées quitte à augmenter leurs viscosités. En effet, les jeunes ont bien compris les causes d'échec (quantité d'eau/quantité d'"huile", émulsifiant/jaune d’œuf). 

Mais la difficulté demeure lorsqu'il s'agit de maintenir ces sauces au chaud: trop chaud le jaune coagule au dessus de 68°C; durant le service l'eau s'évapore, la quantité des 5% d'eau minimum nécessaire
au maintien de l'émulsion est franchie: et ils ne mesurent pas le moment où il faut en ajouter; trop froide, le beurre commence à se solidifier. Nous n'avons pas forcément de matériel permettant de maintenir ces sauces à la température idéale!
Un peu de xanthane pour épaissir l'eau, la gélifier légèrement??? un peu de lécithine servirait-elle à augmenter sa capacité d'émulsion et la stabiliserait -elle en cas de surchauffe????

Autre question:
Pourquoi clarifier le beurre et supprimer son émulsifiant si l'on diminue la quantité d'eau incorporée aux jaunes du sabayon?

D'avance merci M. THIS
Vive la gastronomie 



 Beaucoup de questions d'un coup, de la part de ce correspondant amical. 

1. Tout d'abord, il faut savoir que les hollandaises et béarnaises ne sont pas des "sauces émulsionnées chaudes", comme on l'a souvent dit. Ou, du moins, ce n'est pas leur première caractéristique, et l'on devrait plutôt les nommer des "suspensions émulsionnées chaudes". 
En effet, l'épaississement que l'on observe quand on cuit avec le jaune d'oeuf résulte de la formation de microscopiques grumeaux : on obtient une dispersions de particules solides dans un liquide, et cela est une suspension. Quand on ajoute du beurre, il s'émulsionne, effectivement, et cela transforme une suspension en suspension émulsionnée. Chaude si c'est chaud. 
Mais le système est bien différent d'une sauce mayonnaise... qui, elle, est une véritable émulsion. 
A noter la "sauce kientzheim", que j'ai introduite il y a quelques décennies, et qui est, elle, une véritable émulsion chaude, puisque l'on fait l'émulsion sans jamais dépasser 60 degrés, de sorte que l'on ne coagule pas le jaune. 

2. Tout changement dans la recette des hollandaises ou béarnaises en fait d'autres sauces, qui doivent recevoir d'autres noms ! Sans quoi on verse dans la déloyauté. Dit autrement, une sauce hollandais est une sauce hollandaise. Mais une autre recette conduit à une autre sauce, qui doit avoir un autre nom. Car c'est précisément cette viscosité particulière de la hollandaise qui fait son mérite. 

3. Un problème de maintenir au chaud ? En réalité, quand les sauces tournent, on les rattrape très facilement, comme nous l'avons montré dans notre séminaire de gastronomie moléculaire   de novembre 2012 : rattraper les sauces hollandaises.
Cette fois, spectaculaire résultat ! Nous avons fait tourner exprès des sauces hollandaises, et avons ajouté de l’eau froide pour les rattraper. Les sauces se rétablissent parfaitement ! Mieux encore, nous avons battu le record mondial de sauce hollandaise ratée exprès et rattrapée le plus grand nombre de fois (pour la même sauce) : après quatre rattrapages (le record, à ma connaissance), nous avons décidé de « détruire » la sauce, en allant jusqu’au stade du beurre noisette... et l’ajout d’eau a rétabli la sauce ! C’est un facteur de grand progrès, parce que le goût était alors très différent. La sauce hollandaise ? Inratable, donc !
Voir aussi : 
http://hervethis.blogspot.fr/2017/12/mardi-la-connaissance-par-lalorgnette.html

4. Pour la question du beurre clarifié, il faut savoir que c'est une pratique nouvelle... et que les hollandaises ou béarnaises se font très bien au beurre ordinaire... avec des résultats qui sont décrits dans http://www.agroparistech.fr/Les-seminaires-2012-2013.html


Enfin, je signale que l'on peut recevoir chaque mois les comptes rendus des séminaires en s'inscrivant sur icmg@agroparistech.fr (gratuit)

samedi 20 janvier 2018

Je viens de passer devant un restaurant asiatique, où il était écrit « Gastronomie d'Asie »… et c'était une faute.
Je viens de lire une critique dite « gastronomique », alors qu'il s'agit de la critique de restaurant, et c'est encore fautif.

Le mot « gastronomie » est employé à tort et à travers, dans le monde culinaire, et dans le monde en général. Expliquons pourquoi.


Le mot « gastronomie » est un de ces mots récemment apparus, puisqu'il est forgé du grec par un poète, Joseph Berchoux, en 1801. Le poète n'est pas très connu, de sorte que c'est le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin qui en sera vraiment à l'origine, avec une définition parfaitement explicite et claire : « la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit » (Brillat-Savarin parle d' « homme », et non pas d'être humain, mais comme la meilleure moitié de l'humanité n'est pas masculine, autant adapter un peu la définition).

Ainsi, la gastronomie, c'est de la connaissance. Pas de la cuisine !
Dans le restaurant asiatique évoqué précédemment, il n'est aucunement question de connaissance, mais seulement de cuisine. Dans les restaurants, le client ne vient pas chercher de la connaissance, quel que soit le nombre d'étoiles Michelin, mais de la cuisine.


Comment nommer la cuisine des étoilés, alors, s'il est illégitime de la nommer « cuisine gastronomique » ?
 Il s'agit de cuisine de luxe, de cuisine d'apparat, de haute cuisine, de cuisine artistique, de tout ce que l'on veut, mais pas de cuisine gastronomique. Inversement, nous avions parfaitement nommé l'Institut des hautes études de la gastronomie la structure de formation avancée que nous avions créée en 2004, et la terminologie « gastronomie moléculaire » est parfaitement juste, pour désigner la science de la nature qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent en cuisine : il s'agit bien de connaissance.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)





Monsieur Paul lâche la casserole

Cet après midi, je reçois l'annonce du décès de Paul Bocuse, avec ce commentaire :

Je ne suis pas certain que cette nouvelle attriste la cuisine note à note

 
 
 
Quelle erreur  de croire que cette annonce ne m'attriste pas. Je réponds sans attendre : 
 
 Détrompe toi : il n'est pas nécessaire de mépriser l'art ancien pour apprécier l'art nouveau ! 

Oui, car Debussy n'a pas remplacé Mozart, pas plus que Mozart n'a remplacé Bach. Flaubert n'a pas remplacé Rabelais, et Picasso n'a pas remplacé Durer. En art, il y a des ajouts, et c'est merveilleux d'arriver si tard dans l'histoire de l'humanité, parce que nous avons beaucoup de bon et de beau avant nous ! 

D'autre part, Paul Bocuse était un cuisinier honnête, qui n'a pas été une de ces marionnettes médiatiques à propos desquelle la "performance" est parfois confondue avec la compétence.
Bien sûr, il maîtrisait parfaitement l'outil de communication, mais c'était d'abord un excellent professionnel. J'invite à relire sa Cuisine du Marché, dont les moindres recettes font état de soins très spéciaux. Qu'il s'agisse d'une salade de betteraves ou d'un lièvre à la royale, il était techniquement parmi les meilleurs.
Son art semble aujourd'hui classique, mais son potage VGE fut extraordinaire, son loup en croûte inoubliable. 

Et puis, Paul Bocuse, Monsieur Paul, a formé beaucoup des cuisiniers de la génération suivante. Il a fait rayonner la France culinaire pour de justes raisons, par son art comme par la transmission. C'est à juste titre que s'est créé l'Institut Paul Bocuse, à Lyon. 

Oui, c'est un grand artiste culinaire qui disparaît.

Une nouvelle question, pratique



Petite question pratique : j’épluche mes légumes et je les mets dans une marmite remplie d’eau bouillante. Après 20 mn, je mixe le tout : ma soupe est prête.
Quelle différence entre cette méthode et celle où je mixe en premier (eau+légumes), puis la cuisson ensuite ?


J'observe d'abord que mon interlocuteur confond soupe et potage. Une "soupe", c'est une tranche de pain, et le potage est le liquide avec lequel on peut tremper la soupe.  Et c'est pour cette raison qu'il y a ce tableau célèbre intitulé "La trancheuse de soupe", ou encore le code des sauces et potages.

Mais la question est différente, et je me réjouis d'être capable, face à une alternative, de choisir toujours une autre solution que l'une des deux qui me sont proposées. Quand mes enfants me demandaient "pile ou face ?", je répondais "la tranche".
Car c'est bien cela qu'il faut faire ainsi. On trouvera, dans un compte rendu d'un ancien séminaire les résultats d'expérimentations à ce propos, avec des carottes, où nous avons bien montré qu'il était essentiel de commencer par "suer" les légumes, c'est-à-dire les faire revenir à feux doux dans un corps gras. Et nous avons même exploré la chose au laboratoire. Le résultat est bien supérieur, sans doute parce que les composés odorants sont dissous dans les graisses, lesquelles sont ensuite émulsionnées.

Mixer ? Disons simplement qu'il faut bien moins d'énergie quand on mixe des légumes cuits, pour lesquels le ciment intercellulaire est dégradé par la cuisson.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

Métiers de bouche ? Gastronomie ?

Ce matin, je suis en copie d'un message (amical), à propos d'une annonce que je viens de faire à tous mes correspondants d'une liste de distribution que j'ai nommée "Annuaire français des métiers de bouche", à propos du premier repas entièrement note à note, qui se fera en Alsace le 21 février.
L'un de mes amis écrit à un de ses collègues :

 Je connais bien Hervé This depuis sa prestation à la journée de l'Académie du chocolat et entre Alsaciens surtout pour le vin , bien que je sois Mosellan ;
Mais je trouve l'expression péjorative de "métiers de la bouche " et ...les prothésistes ...les dentistes !!!
Nous sommes les métiers de la gastronomie




Je récuse absolument la fin du message... qui confond d'ailleurs les "métiers de bouche" et les "métiers de la bouche". Voici ma réponse : 



Chers Amis
Merci de vos échanges, mais je m'inscris en faux contre l'acception que vous retenez, qui n'est pas conforme au dictionnaire (pardonnez moi, mais j'ai même fait valoir cela dans le dictionnaire... de l'Académie du chocolat.

Les faits : le mot "gastronomie", introduit en 1801 par Joseph Berchoux, a été défini en 1825 par Jean-Anthelme Brillat-Savarin comme "la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit".
Oui, la gastronomie est une connaissance, et pas une pratique technique ou artistique.

D'autre part, l'expression "métiers de bouche" -et pas "métiers de la bouche-  est officielle : https://www.pole-emploi.fr/actualites/panorama-du-secteur-des-metiers-de-bouche-@/article.jspz?id=61104. Elle n'est pas péjorative.

Et, pour finir, je vous adresse mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année 2018, puisqu'il n'est pas trop tard : bonheur, prospérité, succès, joie...







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

vendredi 19 janvier 2018

Du blanc dans la mayonnaise

Ce matin, une question par email :

Permettez-moi de vous importer avec une question/remarque. Je suis en train de lire, avec énormément d’intérêt et presqu’avec passion, votre livre « révélations gastronomiques ». Le chapitre sur la mayonnaise est bien explicite. Mais un collègue m'a soufflé une méthode pour la mayonnaise : mettre tous les ingrédients, l’œuf en entier avec son blanc, dans un bol et passer tous ces ingrédients aux mixer pour faire de la purée ou des soupes. Cette mayonnaise a toujours pris. Est-ce que c’est compatible avec vos explications en relation avec la production d’une mayonnaise ?
 


Notre ami cite un cas très particulier, mais il aurait pu citer nombre de livres de cuisine qui stipulent qu'il ne faut jamais la moindre "goutte de blanc d'oeuf", sans quoi la mayonnaise ne prend pas. C'est complètement faux, et, au contraire, le blanc d'oeuf facilite la réalisation de la sauce mayonnaise. J'explique.



Partons de la recette de la mayonnaise : c'est un jaune d'oeuf, une cuillerée de vinaigre, puis on ajoute de l'huile par petites quantités, en fouettant vigoureusement, et, surtout, en s'assurant que toute l'huile ajoutée est, à chaque ajout, bien intégrée à la sauce, bien "émulsionnée".

Ce que l'oeil ne voit pas, mais que révèle le microscope, c'est que l'huile, qui n'est pas miscible à l'eau (on dit "hydrophobe"), se disperse sous la forme de microscopiques gouttelettes. L'eau ? Oui, l'eau, parce que du jaune d'oeuf, c'est 50 pour cent d'eau. Et le vinaigre, c'est plus de 90 pour cent. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi le vinaigre se mêle bien au jaune d'oeuf : l'eau se mélange à l'eau.
Quand on ajoute à ce mélange de jaune et de vinaigre un peu d'huile, celle-ci surnage. Mais le fouet divise la goutte d'huile, formant ces gouttelettes microscopiques dont je parlais. Puis, on ajoute à nouveau de l'huile, qui est donc dispersée également, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il y ait tant de gouttelettes qu'elles sont tassées les unes contre les autres, ce qui affermit la sauce : si les gouttelettes sont coincées les unes contre les autres, elles ne peuvent plus bouger, de sorte que la sauce tout entière ne peut pas couler.

Mais le rôle du vinaigre ? C'est surtout d'apporter de l'eau. Et du jaune d'oeuf ? Là, pour le comprendre, je propose de comparer la mayonnaise à de l'huile pure ajoutée à de l'eau pure : quand on fouette, l'huile est bien divisée, mais ces gouttes sont plus grosses, et elles remontent rapidement à la surface, où elles fusionnent, reformant une flaque d'huile qui flotte sur l'eau. Le jaune d'oeuf, lui, apporte des molécules qui viennent tapisser les gouttelettes d'huile divisées, ce qui empêche ces fusions, et stabilise donc relativement l'émulsion. Ah, j'oubliais : on nomme "émulsion" une dispersion de gouttelettes d'un liquide dans un autre liquide avec lequel le premier ne se mélange pas. La mayonnaise est une émulsion.

Quelles sont les molécules en question ? On a longtemps cru qu'il s'agissait des "phospholipides", notamment les lécithines, mais on sait aujourd'hui que les protéines sont bien plus efficaces, dans cette affaire.
Or le jaune d'oeuf contient 15 pour cent de protéines... et le blanc d'oeuf  10 pour cent. La présence de protéines dans le blanc d'oeuf permet d'ailleurs de faire une sauce que j'avais inventée il y a très longtemps et que j'ai nommée un "geoffroy" : on fouette de l'huile dans du blanc d'oeuf, et l'on obtient une émulsion.

Et voilà pourquoi il est complètement faux de penser que la moindre goutte de blanc d'oeuf empêche la prise des mayonnaises. Au contraire !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 





Comment faire de la pâte à tartiner

Un groupe d'élèves me demande comment utiliser la gastronomie moléculaire pour faire de la pâte à tartiner. 

Je vais faire l'hypothèse qu'ils ne confondent pas la gastronomie moléculaire et la cuisine moléculaire, mais comme ils liront ce message, je répète à leur attention :
 - la gastronomie moléculaire est l'exploration scientifique des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des opérations culinaires, non pas en vue de produire des applications (il y en a quand même mille), mais en vue de trouver des phénomènes ou des mécanismes nouveaux
 - la cuisine moléculaire est cette technique culinaire moderne, qui se fond sur les résultats de la gastronomie moléculaire ; c'en est donc une application.

Cela étant dit, j'analyse maintenant leur question. 

D'abord, qu'est-ce que de la "pâte à tartiner" ? C'est une pate, et, mieux, une pâte qui peut être tartinée. Il n'est pas dit que le chocolat doive être présent, mais pourquoi pas ? Ou la noisette, ou n'importe quel ingrédient que l'on saura y mettre.
Mais revenons donc à la "pâte". Le terme est flou, du point de vue scientifique, parce qu'il ne désigne que des systèmes "mous", que l'on peut faire changer de forme. Mais une bonne façon d'obtenir de tels systèmes consiste à considérer les possibilités de "dispersion" : quand on disperse un liquide dans un autre liquide non miscible, on obtient une émulsion ; quand on disperse des bulles de gaz dans un liquide, on a une mousse. Et, ce qui nous intéresse ici, quand on disperse des solides dans un liquide, on a une suspension liquide.
Ainsi, le simple chocolat fondu est une suspension liquide, puisque de microscopiques cristaux de sucre sont dispersés dans la matière grasse fondue (il y a aussi des particules végétales, mais c'est secondaire).
Autrement dit, du chocolat fondu, c'est de la pâte à tartiner.

Mais j'entends bien nos amis, qui voudraient une pâte toute faite, que l'on ne doive pas chauffer.
Avec le chocolat, le problème est que la matière grasse du chocolat, le beurre de cacao, solidifie aux températures inférieures à 30 degrés. Comment "assouplir" cette matière ? Très simplement : fondez le chocolat, et ajoutez lui de l'huile ! En effet, les triglycérides de l'huile se mêleront à ceux du beurre de cacaco, changeant le comportement "rhéologique" (d'écoulement) de ce dernier. Et vous réglerez la consistance en dosant à votre goût la quantité d'huile. Evidemment, vous aurez raison de choisir l'huile la plus neutre possible, à moins que vous ne vouliez qu'elle participe au goût : une huile de noisette peut faire merveille !

Vous trouverez plus dans ma chronique "Science & Gastronomie" de la livraison de février 2018 de la revue Pour la Science : j'y donne un nombre infini d'autres possibilités !










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)












jeudi 18 janvier 2018

La vérité de l'aïolli



L'aïoli ?

Comme pour la mayonnaise, il y a beaucoup de confusion, avec tous ceux qui croient qu'il s'agit d'une mayonnaise à l'ail. 
 Erreur ! L'aïoli est une sauce ancienne, qui s'est toujours faite à partir d'ail et d'huile seulement. 

Historiquement, l'aïoli est très ancien, puisqu'on le trouve déjà sous le nom de « beurre de Provence », dans la Suite des Dons de Comus, paru au 18e siècle.

De l'ail dans un mortier, de l'huile ajoutée goutte à goutte que l'on incorpore au pilon. Parfois, il est dit de caler le mortier dans un linge, entre les genoux (on est assis). Parfois, il est dit que la préparation de la sauce prend un bon quart d'heure. Parfois il est dit que le pilon doit tenir debout dans la sauce, qui, donc, doit être très ferme.
Plus récemment, la sauce se dévoie avec du pain trempé dans du lait, ou avec de la pomme de terre, et, tout récemment à l'aune de l'histoire de la cuisine, on voit apparaître du jaune d'oeuf.
Mais sa présence est en quelque sorte scandaleuse, car elle change le goût de la sauce.
Bien sûr, l'aïoli peut se faire à partir d'ail blanchi, mais ne devrions-nous pas donner des noms différents à des objets différents ?

En tout cas, l'aïolli n'est certainement pas une mayonnaise à l'ail… sans quoi ce ne serait pas un aïoli… mais une mayonnaise aillée.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)


mardi 16 janvier 2018

Des soufflés aux fruits rouges ? Pas difficile !

Peut-on faire des soufflés aux fruits rouges ? Oui : on peut faire des soufflés au goût que l'on veut, car un soufflé n'est que... un soufflé.

Partons du classique soufflé au fromage : il est composé d'une sauce blanche que l'on additionne de fromage ; puis, quand on l'a laissée un peu refroidir, on y met des jaunes d'oeufs, et les blancs battus en neige ferme. On met dans un moule beurré au four, et si l'on applique les "trois règles de Hervé" (voir http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/01/faut-il-demarrer-les-souffles-au-bain.html), le soufflé gonfle merveilleusement.

Ce soufflé particulier se généralise parfaitement : il suffit d'une préparation un peu épaisse, d'une mousse faite de protéines susceptibles de coaguler à la chaleur.
Par exemple, une crème anglaise ou une crème pâtissière, avec de la vanille, fera un soufflé à la vanille.
Par exemple, des viandes finement hachées, pour un soufflé au canard, au gibier...
Par exemple de la chair de poisson passée au tamis, avec une panade faite à l'aide d'un fumets de poisson, pour un soufflé au poisson.
Par exemple...


On voit que l'on peut faire le goût que l'on veut  : il suffit de savoir s'y prendre. Et, tiens, cerise sur le gâteau, si l'on peut dire : si vous faites un soufflé au cassis (une crème pâtissière mêlée à un coulis de cassis) dans des assiettes creuses servies individuellement, pourquoi ne pas introduire dans le soufflé, lorsque l'assiette est chaude devant les convives, une cuillerée de confiture de cassis ?












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Mousseline


Dans un billet précédent, j'ai expliqué l'incohérence du Guide culinaire, en ce qui concerne les mousses et les mousselines de poisson.

Après ce livre, des usages du mot "mousseline" se sont introduits en cuisine française.
Par exemple, la pâtisserie désigne ainsi diverses préparations qui contiennent de la crème fouettée.
Ou bien des préparations "fines", telle la "brioche mousseline".
En cuisine, on trouve aussi les "pommes mousseline" (le mot "mousseline" est invariable), faites d'une purée de pomme de terre additionnée de jaunes d’œufs et de crème fouettée : l'usage semble dater des années 1940.
Tout comme la sauce mousseline, qui est une sauce hollandaise épaisse à laquelle on incorpore au dernier moment de la crème fouettée.

Pourquoi ces dénominations ? On observera que l'emploi de crème fouetté était déjà dans les mousselines initiales, ces sortes de quenelles que l'on cuisait dans une mousseline. Il y a eu contamination linguistique... sans compter que le mot "mousse" fait penser à quelque chose de léger, et "mousseline" incite à penser à quelque chose de délicat.

Mais je m'aperçois que je n'ai pas discuté le mot "mousseline"  !
Il désigne une toile de coton claire, peu serrée, fine et légère.
Au figuré ou par métaphore, il s'applique à une chose ou à une matière légère, transparente et vaporeuse :  "Le demi-jour qui y régnait venait de la mousseline de poussière entassée sur les carreaux" (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 53). En verrerie, le mot a été utilisé pour désigner du verre très fin : "Il eut pour boire son bordeaux, un des premiers verres mousseline que le commerce ait fabriqués (E. de Goncourt, Mais. artiste, t. 1, 1881, p. 355).
Le mot est connu depuis 1694, et il viendrait de mosulin,  « drap d'or et de soie fabriqué à Mossoul » (Marco Polo, éd. L. F. Benedetto, p. 18).



Pour terminer, je trouve assez malhonnête cette industrie alimentaire qui nomme "mousline" des flocons de pomme de terre, créant la confusion avec la préparation de pomme de terre que les cuisiniers font avec œufs et crème fouettée. Vite, invitons-les à se réformer, sous peine de contribuer à ce mouvement anti-industrie alimentaire,  dont la faute leur incombe aussi.





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 15 janvier 2018

La recette des gibbs

Ce soir, un correspondant m'interroge : comment faire un gibbs ?


La recette est montrée en vidéo sur http://www.agroparistech.fr/podcast/Un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-gibbs.html, mais elle est  toute simple.



Soit on le fait en "note à note", soit on le fait plus classique.
Commençons par la recette la plus classique :

- dans un saladier, un blanc d'oeuf
- on ajoute de l'huile en petit filet pendant que l'on fouette vigoureusement (à la main, au batteur)
- quand on a obtenu une émulsion blanche, épaisse comme une crème, on ajoute du sucre (mettons 50 à 100 grammes)
- puis on parfume à la vanille, à l'eau de fleur d'oranger, à ce que l'on veut
- on met à mi hauteur dans une jolie tasse
- puis on met à pleine puissance au four à micro-ondes pendant quelques dizaines de secondes seulement ; plus exactement, quand le volume augmente d'un tiers ou plus, on arrête aussitôt la cuisson.
C'est terminé : on sert chaud. Tous simple, non ?

Pour une recette de gibbs note à note :
- dans un saladier, une cuillerée à soupe rase de protéines susceptibles de coaguler à la chaleur (par exemple, de blanc d'oeuf)
- on ajoute deux ou trois cuillerées à soupe d'eau
- puis on ajoute l'huile en fouettant
- dans l'émulsion, on ajoute acide citrique, sucre, glucose, colorant, composé odorant
- on cuit
- on sert

Tout simple, non ? 




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 14 janvier 2018

Fermentation, cuisson, coction

Ce matin, une question :

"En tant que dénaturation des fibres et/ou protéines, la fermentation, à l'instar de la choucroute, est-elle une coction ?"

D'abord un point sur le mot "coction", que nous avons proposé à l'Académie française au tout début de ce séminaire, dans les années 2000. Il s'agissait de nommer des techniques culinaires analogues à la cuisson, mais où l'apport n'est pas thermique, comme dans les poissons à la tahitienne, où la chair de poisson est placée dans du jus de citron.

Cela concernait les tissus animaux, mais sur les tissus végétaux ? La cuisson, dans ce cas, a pour principal effet de dégrader les pectines par une réaction d' "élimination bêta", qui est en réalité une "hydrolyse" : les pectines sont des polysaccharides, c'est-à-dire de longs enchaînements de petits "sucres", et l'élimination bêta correspond au fait de détacher progressivement ces sucres de la chaîne. Comme les pectines sont comme des cables entre les "piliers" que sont les molécules de cellulose, entre des cellules voisines, l'élimination bêta a pour effet de d'affaiblir le "ciment" entre les cellules, de sorte qu'elles peuvent se séparer. D'où la possibilité d'écraser à la fourchette un légume cuit, pour faire une purée.




De ce fait, la question posée par mon correspondant peut s'interpréter comme suit : peut-on trouver des procédés qui vont faire la même action que la cuisson ?
Clairement des enzymes qui couperaient les pectines (des pectinases) pourraient avoir un effet. L'acidité ? L'exemple des cornichons au vinaigre montre que ce n'est pas le cas, puisque les cornichons longuement conservés ainsi ne s'amollissent guère.
La fermentation ? Il y en a de très nombreuses, et l'on connaît ces attaques par des moisissures où des carottes (par exemple) finissent quasi liquéfiées... mais ce n'est guère appétissant.

 Un mot, enfin, à propos de protéines et de "fibres". Les protéines, ce sont des polymères, des sortes de chaînes microscopiques avec de nombreux maillons, ces derniers étant des résidus d'acides aminés.
Dans les viandes et dans les poissons, le tissu musculaire est composé d'eau et de protéines, ces dernières étant dans des sacs allongés nommés "fibres musculaires". L'enveloppe de ces sacs (j'aurais pu écrire "tuyaux" ou "tubes") est ce que l'on nomme le tissu collagénique, et il est fait de protéines particulière de la famille des collagènes.
D'autre part, les molécules de cellulose évoquées précédemment sont aussi nommées des "fibres", mais elles n'ont rien à voir avec les premières. Ce sont des molécules très résistantes, intouchées par la chaleur, comme le prouve le lavage d'une chemise en coton (le coton est fait quasi exclusivement de cellulose), même quand on fait bouillir : la chemise n'est pas dégradée. Dans les aliments, il y a des "fibres", comme le montre l'expérience qui consiste à faire un jus de carottes à l'extracteur de jus : le résidu solide est de la cellulose. Et cette dernière n'est pas digestible, sauf à fermenter... ce qui engendre des flatulences.


Bref, la question de notre ami a été discutée, et je suis prêt à repartir sur des bases saines, s'il le souhaite.











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 13 janvier 2018

La génoise : mousse ou émulsion ?

On m'interroge  : la génoise est-elle une mousse ? une émulsion ?

Je rappelle que la recette est : on bat des oeufs entiers et du sucre, puis on ajoute de la farine et du beurre, et l'on cuit.

Du sucre et de l'oeuf entier que l'on bat  pendant environ un quart d'heure ? Il suffit de regarder pour voir que des bulles d'air sont introduites  dans le liquide, tandis que les cristaux solides de sucre disparaissent, le sucre se dissolvant dans le liquide : je rappelle que le blanc d'oeuf est fait de 90 pour cent d'eau, et le jaune de 50 pour cent d'eau, ce qui fait une moyenne de 70 pour cent.
Bref, il y a des bulles de gaz dans un liquide : c'est ce que l'on nomme une mousse.

Bien sûr, il y a de la matière grasse dans cette première étape : si le blanc d'oeuf en est exempt, le jaune d'oeuf est fait de 35 pour cent de lipides. Il y a donc des lipides dispersés dans la préparation, mais, avant qu'on ait ajouté farine et beurre, le système est clairement une mousse, et pas une émulsion.
Vient alors le moment où l'on ajoute farine et beurre, mais en proportions faibles. Le beurre s'émulsionne, et la farine se disperse, dans l'ensemble, de sorte que l'on aurait une formule du type :

 [D0(G) + D0(O)+D0(S)]/D3(W)

Cela signifie que la phase liquide de solution aqueuse (W), tridimensionnelle, contient, sous forme dispersée, des bulles d'air (G), des gouttes d'huile (O) et des particules solides (S).


 Mais ne finassons pas : un appareil à génoise, c'est d'abord une mousse.
 

 On cuit ? Les protéines de l'oeuf coagulent, et les bulles sont alors piégées dans la préparation : on passe d'une "mousse liquide" à une "mousse solide".










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 12 janvier 2018

Pour faire un bon laquage


Comment faire un bon canard laqué ? Comment faire du laquage ?

 J'ai répondu dans une proposition que j'ai faite il y a plusieurs années à mon ami Pierre Gagnaire : pour avoir un aspect laqué, il faut des couches successives de polymères à l'état vitreux. Voir la rubrique "Pierre et Hervé" de son site.

Tiens, je vous invite à laisser un oeuf, entier, dans sa coquille, pendant plusieurs mois dans la cuisine. Ou bien à mettre un oeuf à l'étuve, pendant quelques jours. Parfois, l'intérieur de l'oeuf se rétrécit, et fait une bille dure dans la coquille : on entend cela en secouant. Si l'on ouvre, on voit que le jaune s'est rétréci en une sphère environ moitié plus petite qu'un jaune d'oeuf ordinaire, liquide, et qu'il est recouvert par une "résine" brune, transparente : ce sont les protéines qui se sont agrégées en une phase amorphe solide, quand l'eau du blanc a été évaporée. Et l'ensemble est très lisse : n'est-ce pas le résultat que nous voulions ?
D'où la proposition qui consiste à déposer des couches successives d'une solution de polymères (par exemple des protéines) dont on évapore l'eau. Comment s'y prendre ? Prenons un fond de volaille, qui contient beaucoup de gélatine en solution, ou bien du blanc d'oeuf, par exemple, et peignons des couches successives en séchant (air chaud, four...).

Toutefois, dans un canard laqué, il faut aussi que la chair soit cuite. Cela tombe bien, car pour avoir le canard tendre, il vaut mieux cuire à basse température : si on fait le laquage dans un four ventilé à 70 degrés, par exemple, alors la chair cuira sans sécher, tandis que l'on pourra éliminer l'eau de la solution de laquage.

Le goût de la peau ? Il y a mille façons d'en donner, mais on peut évidemment utiliser un chalumeau ou un pistolet décape peinture. On peut aussi promouvoir les réactions de brunissement en changeant l'acidité... mais le goût est alors changé. Plus généralement, selon les composés présents dans la solution de laquage, on peut obtenir le goût que l'on veut. Dans le canard, la matière grasse de la peau peut réagir avec les acides aminés et les protéines présentes, par des réactions qui s'ajoutent aux réactions de Maillard, qui, je le rappelle, ne sont qu'un cas très particulier de réactions de brunissement des aliments.

Bref, il y a de quoi s'amuser... et s'entraîner pour le prochain concours de cuisine note à note










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Crèmes et mousses au citron

La crème au citron ? La mousse au citron ? On peut les faire comme une crème anglaise ou comme un sabayon.

Partons d'un oeuf que l'on fouette avec du sucre  (par exemple autant de sucre que d'oeuf) : bientôt, la préparation blanchit, parce que - le microscope le montre- d'innombrables bulles d'air viennent se disperser dans le liquide épais qui se forme quand le sucre se dissout dans l'eau apportée par l'oeuf.
Puis, quand on ajoute un peu de liquide (dans une crème anglaise, on compte 16 jaunes d'oeufs par litre de lait)  et que l'on cuit, l'oeuf coagule, formant des agrégats microscopiques qui donnent de l'"épaisseur" à la préparation. On obtient une "crème", telle la crème anglaise quand le liquide est le lait parfumé par la vanille.

En revanche, si l'on ajoute plus de liquide et que l'on fouette énergiquement pendant que l'on cuit, le fouet introduit des bulles d'air dans le liquide, dont l'épaississement  stabilise la présence, et c'est une préparation de type sabayon qui se forme.


Pour de la crème au citron ? C'est manifestement la première préparation, si l'on veut une crème. Mais on n'oublie pas que l'on peut aussi faire un sabayon, plus "mousseux", si l'on désire.

Et l'on pourra se reporter à mon livre Révélations gastronomiques (Belin, Paris) pour voir une foule de recettes différentes à partir de ces deux bases et d'autres.

















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)