samedi 23 juillet 2016

Une passionnante discussion, à propos de cuisine note à note



 Hier, j'ai reçu un courriel si passionnant que je n'ai pas perdu une seconde : une réponse détaillée s'imposait. 
Mon correspondant (que je ne connais pas) a accepté que je publie son texte, qui figure dans la colonne de gauche. Ma réponse est dans la colonne de droite. Et, comme en cuisine, on se sépare difficilement des amis (et ce n'est pas une rhétorique convenue), j'ai ajouté un petit message, qui donne des indications supplémentaires, qui auraient trouvé leur place dans la réponse. Il y a de la redondance, une perte de structure, mais tant pis : le formalisme est mortifère, comme l'observait Nietzsche. 
Et l'art, au contraire, est plein de vie... tout comme la science, qu'on ne confondra pas avec ses applications. 
Ici, il n'est donc en aucune façon question de gastronomie moléculaire (de la science), mais seulement de cuisine note à note


J'ai découvert vos travaux en 2001, alors que par provocation et curiosité je proposais en sujet de TIPE pour les concours d'entrée aux grandes écoles, sur le thème "Composition et décomposition" le sujet de la sauce salade. Curiosité : merveilleux.
Provocation : j'en connais qui ont du mal à s'empêcher d'en faire... mais pour ce qui me concerne, la cuisine note à note n'en est pas.
Ce fut une année enrichie par la découverte de l'extraordinaire complexité des émulsions, par de franches rigolades en laboratoire avec simplement des ingrédients de la cuisine de tous les jours, mais également par l'excellent sujet des Mines 2000 sur le soufflé dont vous étiez si mes souvenirs sont bons co-auteur. Oui, il y a eu une épreuve de physique, au Concours des Mines, consacrée aux transferts thermiques dans les soufflés. Je n'y étais pour rien... d'autant que la question, intéressante en elle-même, n'avait pas de pertinence culinaire. Personnellement, j'aurais fait calculer autre chose, mais peu importe : je remercie les collègues auteurs de ce sujet d'avoir popularisé la question.
Avance rapide à cette année ou un ami aussi mordu de cuisine que moi me parle de votre conférence sur la cuisine note à note publiée par AgroParisTech sur DailyMotion. Je ne crois pas qu'il y ait eu une « conférence », mais il y a eu des Cours de gastronomie moléculaire consacrés à la cuisine note à note en 2012 : http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/706a3/Cours_de_Gastronomie_Moleculaire_2012.html
Et me voila immédiatement malgré moi en train de vouloir brandir "Soylent Green" (Soleil Vert) vis à vis de vos propos comme d'autres ont pu par le passé brandir "Brave new world" vis à vis du clonage humain. Je n'ai pas vu Soleil Vert, mais j'ai compris qu'il était question de « nourriture de synthèse » (produite à partir de cadavres humains) produite par une multinationale Soylent, et de résistance. La « nourriture naturelle », dans cette histoire, est réservée aux nantis.
Oui, on m'a signalé plusieurs fois ce film... mais la proposition de la cuisine note à note n'a pas vocation d'aboutir à cette chose terrible !
Si vous me lisez bien, je propose d'abord de penser que la méthode la plus efficace de produire des nutriments est de cultiver des végétaux : d'une part, l'énergie solaire, l'humidité de l'atmosphère, le CO2, les sols... sont disponibles ; d'autre part, il a fallu des centaines de chimistes-ans pour synthétiser rien que la vitamine B12 !
C'est pourquoi je préconise fractionnement et craquage des produits végétaux : n'oublions pas le « magasin du bon dieu » qu'évoquait mon défunt ami Pierre Potier.
D'autre part, dans le livre La cuisine note à note, j'explique que le projet politique de cette cuisine est d'enrichir les agriculteurs.
En revanche, je discute aussi les mots « naturels » et « de synthèse », ou « artificiels ».
J'invite tous ceux qui ne l'ont pas fait à lire « De la nature », par John Stuart Mills... par ces temps de sentiments pro-nature souvent insuffisamment raisonnés.
Suis-je donc bien reactionnaire, me dis-je en mon fors intérieur. Une réaction à la cuisine note à note ? Si l'on oublie la question de Soleil vert, et le fantasme qui est né de ce film, il demeure que j'ai été moi-même hésitant à penser l'idée. Mais mon livre explique que la cuisine note à note est une « évidence a posteriori », concept amusant, quand on y pense !
En vérité, je dois l'avouer, si cette conférence m'ulcère de prime abord, l'individu de pure raison qui cohabite tant bien que mal avec le concupiscent ne peut que gamberger tout azimut sur la portée et l'intelligence de vos propos. Oui, nous tenons « viscéralement » à nos coqs au vin, poulets rôtis, choucroute...
Et c'est sans doute du conditionnement d'enfance : pour des raisons biologiques profondes, nous ne mangeons que ce que nous connaissons (néophobie alimentaire).
Et oui, je souhaite surtout susciter des réflexions : c'est la raison pour laquelle la Séance publique de l'Académie d'agriculture de France, le 19 décembre, sera une séance de questionnement !
Car oui, j'ose souvent défendre des propos proches du malthusianisme, souvent plus par envie de susciter la reflexion que par réelle conviction, et peut être ai-je décelé (à tort ?) une démarche similaire dans la part de votre conférence qui traite de la conservation de l'énergie et de l'entretien de notre environnement. Je vous rejoins : avons-nous d'une démographie galopante, un peu bestiale, ou devons-nous apprendre la raison nataliste ?
Pour ce qui concerne l'énergie, je n'ai pas d'états d'âme, parce que je serai sans doute mort en 2050, quand le pétrole sera épuisé. Mais une crise s'annonce.
Pour l'environnement, la sensibilisation n'est plus à faire !
J'admire dans votre discours également le pragmatisme stratégique, fondé sur une expérience historique probante, et dont vous avez su faire l'eclatante démonstration de réussite à travers la gastronomie moléculaire. Comptez sur moi : j'ai 365 jours par an, et 24 heures par jour. L'histoire de la cuisine note à note commence seulement !
Je me prends à rêver du jour où votre serviteur, bedonnant car incapable de maintenir son poids même en mangeant de la soupe et du jambon, cuisinant en fuyant la graisse (sauf quand il faut faire plaisir, auquel cas tous les moyens sont bons), pourra via un pianocktail se composer un repas savoureux, sain et équilibré. De la haute diététique gastronomique sur mesure, n'est-ce pas un rêve ?


Le pianocktail existe, mais je crois que la question est « un repas savoureux, sain, équilibré ».
A ce jour, il semble que la seule diététique qui tienne soit de manger de tout en quantités modérées, et en faisant de l'exercice.
Ce qui est passionnant, notamment, dans la cuisine note à note, c'est qu'elle pose des questions nutritionnelles auxquelles on ne sait pas répondre. Comment se nourrir note à note au quotidien ? Voilà la question posée à nos nutritionnistes et diététiciens. A noter qu'elle s'apparente à « comment nourrir des hommes et des femmes qui iraient faire des voyages au long cours dans l'espace » (à noter que je ne suis pas certain de l'utilité de tels voyages... mais si cela amuse certains).
Quant à la haute cuisine note à note, c'est ce qui se fera en premier, puisque la stratégie de développement de cette cuisine vise à l'introduire d'abord chez les chefs étoilés.
J'ai un vertige en imaginant le nombre de possibilités culinaires envisageables avec ce genre de techniques. Oui, c'est infini. Et c'est donc merveilleux, car il va falloir trouver des critères de choix, autre que la paresseuse stratégie qui consiste à faire ce que l'on a toujours fait (steak ou poulet grillé, pâtes ou frites...)
Et puis vient la première question profondément humaine. Ai-je envie ? En tant que gourmand, je réponds « oui » sans aucune hésitation.
En tant que citoyen qui voit les 45 % de gaspillage alimentaire, entre le champ et l'assiette, je réponds également que transporter « de l'eau qui pourrit », c'est honteux... de sorte qu'il faut fractionner à la ferme, et ne transporter que des fractions dont les cuisiniers (domestiques : ce sont surtout eux que je vise, disons que j'espère) feront une « cuisine note à note pratique », à défaut d'être une « cuisine note à note pure » (n'utilisant que des composés)
La cuisine est envie pour moi. L'imagination me vient lorsque j'ai un beau produit sous les yeux, sous la main, sur les papilles. Cette réaction résulte d'une méconnaissance des composés et des fractions proposés.
Je me souviens de mon ami Pierre Gagnaire, à qui j'avais soumis de la poudre de betteraves (une jolie poudre d'un rose framboise, avec un goût superbe), qui en a fait un remarquable plat, présenté lors d'une conférence commune à l'Académie culinaire de France.
Et pour ce qui me concerne, j'adore les sotolons, 1-octène-3-ol, citral, etc.
Mais évidemment, le rêve ne peut s'élaborer que sur la connaissance !
Lorsque je passe devant les produits de cuisine moléculaire grand public dans leurs emballages aseptisés, je ne vois que l'ennui, pas le merveilleux champ de pommes de terres de Parmentier gardé contre les faméliques. Merveilleux champ de pommes de terre ? Bof... J'ai peur qu'il y ait du fantasme !
Hier, par exemple, je pataugeais dans la boue d'un champ... de pommes de terre. Désolé, mais ça manquait de charme.
Quant aux pommes de terre, pourquoi pas de temps en temps, mais ce n'est pas ce qui me fait le plus rêver.
Ai-je envie que ma cuisine, avec ses épices, ses bons produits riches en textures et en saveurs, qui me font saliver, qui me font rêver, soit demain remplie de boites de plastique blanches et hermétiques ? Les épices font saliver ? Amusant : nombre de composés note à note s'apparentent absolument à des épices.
Et puis, pourquoi n'aurions-nous pas de jolis flacons, au lieu de boites plastiques blanches et hermétiques ? Personne ne vous empêche de mettre de la gélatine dans un petit pot de grès alsacien, par exemple.
Je vous pose la question : est-ce le scientifique en vous qui s'émerveille de cette cuisine, ou bien est-ce le créateur du canard à la Brillat Savarin ? Là, c'est très clair : de même qu'un amateur de musique veut découvrir des tas de nouvelles et belles musiques, de même qu'un amateur de peinture veut découvrir Zao Wu Ki, quand il en est resté à Rembrandt, moi, Gourmand, je veux absolument découvrir de nouveaux goûts, de nouvelles consistances, de nouvelles saveurs, des piquants et des frais originaux, des couleurs jamais mangées.
Et vient ensuite la question de la richesse. Je vais prendre le parallèle avec d'autres arts, si vous le voulez bien. On sait aujourd'hui produire de la peinture avec des composés de pigmentation et de stabilisation, des claviers electroniques et logiciels qui imitent formidablement de vrais instruments.
Malgré tout... Retrouve-t-on le charme des pigments anciens, même si ceux ci peuvent passer avec le temps ou contenir des poisons comme l'arsenic ?
Retrouve-t-on le charme des pigments anciens ? Laissons aux anciens les pigments anciens, et essayons de voir les couleurs encore jamais vues.
Par exemple, en faïence, Théodore Deck avait « tiré le bleu du ciel ». Plus près de nous, Klein a réitéré, et il y a de quoi s'émerveiller. Pourquoi n'y aurait-il pas une suite à cette image ? Et puis, pourquoi avoir le charme de l'ancien et le merveilleux du nouveau SANS l'arsenic ? Pardonnez moi, mais je préfère une vie longue pleine d'art, que la même vie écourtée par les poisons, avec le seul art des siècles passés.
Une remarque : en matière d'art, le nouveau s'ajoute à l'ancien, et ne le remplace pas. Imaginez le calvaire d'écouter du Bach toute la journée, ou de regarder du Durer, et seulement du Durer
Peut-on reproduire sur un synthétiseur Yamaha la richesse du son d'une flute traversière en ébène du même fabriquant, née du sacrifice d'arbres de plus en plus rares ? Je suis flutiste, précisément... et j'ai une flute Yamaha... laquelle a fait hurler les puristes il y a 30 ans : amusant, donc, que vous preniez cet exemple.
Oui, on peut reproduire sur un synthétiseur Yamaha, ou même sur n'importe quel ordinateur la richesse du son d'une flute en ébène (d'ailleurs, désolé de vous dire qu'une flute Yamaha, c'est quand même bien mieux que de l'ébène ! Et puis, abattre des essences rares ?
... Combien d'efforts et de composés pour arriver à la richesse gustative équivalente (sans pour autant imiter) d'un pata negra ou d'une tomate de petite ferme ? En réalité, pas beaucoup d'efforts. D'abord, évacuons le fantasme de « pata negra », ou de tomate de petite ferme. Oui, il y a parfois des produits remarquables... mais parfois seulement !
D'ailleurs, nous avons eu un débat passionnant, à AgroParisTech, à propos des « beaux produits » (je crois que c'est filmé, en podcast). En gros, la conclusion, c'est qu'un beau produit est un produit adapté à l'usage culinaire que l'on veut en faire. Une viande à braiser ne vaut rien pour une grillade, mais s'impose largement devant le plus beau des filets quand il s'agit de braisage.
Ensuite, les acousticiens ont montré que, au delà de sept harmoniques, on ne les entend plus. Et nos sens sont bien imparfaits. D'ailleurs... le cinéma, malgré les images successives, ne paraît pas saccadé. Et ainsi de suite : les pixels ne gagnent rien à être trop petits.
Regardez les recettes servies par les chefs des Toques blanches le 20 septembre 2012, lors de la conférence de presse pour la sortie du livre La cuisine note à note. Ce n'est pas difficile... et c'était très intéressant. En tout cas, bien supérieur au buffet minable d'un très grand traiteur du 6e arrondissement.
Plus généralement, il y aura d'extraordinaires oeuvres note à note comme il y a eu d'extraordinaires mets classiques. J'ai confiance... dans les artistes, puisque c'est une question artistique !
Peut-on seulement ? Peut-on ? Oui. L'histoire des techniques est pleine de questions, à propos du plus lourd que l'air, à propos des sous-marins, à propos du gaz à tous les étages, à propos de l'électricité dans les rues, à propos...
La vraie question, c'est Prométhée ! Et là, utilisez vous par exemple un ordinateur ? Avec quelle bonne confiance ? Et l'électricité ?
Décidément, je suis bien content d'apprendre un minimum de clairvoyance en préparant mon livre sur la mauvaise foi. Non que je vous en accuse personnellement, mais je NOUS en accuse tous. Le partage humain/animal qui fait de nous des êtres humains me semble être une des causes de la chose.
De tels aliments ne valent-ils pas qu'on s'empoisonne un peu pour un moment de merveille ? Pas sûr. S'il y a d'autres merveilles, pourquoi voudrais je celles qui empoisonnent ? Carricaturons : imaginons un champignon toxique au goût délicieux, mais qui ne nous laisserait que 10 ans à vivre. Le prendriez vous ?
D'ailleurs, ce fut le cas avec les sels de plomb dont les Romains édulcoraient leurs vins. L'Empire est tombé.
Donc, non, l'alternative n'est pas alimentation triste et note à note contre merveilles empoisonnées. Depuis que mes enfants m'y ont poussé, je réponds toujours que je préfère les framboises quand on me donne le choix entre des fraises et des pommes.
Je vous rassure, la question est ouverte, je suis dans le flou moi même, mais votre éclairage là dessus m'intéresserait. D'autant que je ne suis sans doute pas le premier à aborder le sujet avec vous :) Et moi, je suis de moins en moins dans le flou, mais il est vrai que je m'interroge, car je me souviens de cette phrase : « Comment serais je insensé à croire à mes propres certitudes ? ».
Oui, vous n'êtes pas le premier, mais je vous remercie très vivement de ce baptème du feu, car il est amical, contrairement à ce que j'attends de certains journalistes réacs, qui attaqueront bientôt avec virulence (notamment pour que je réponde, et qu'ils soient mis en lumière).
Tant d'autres questions :
- Ethique : je ne reviens pas sur le problème Soylent Green
Moi non plus. Pas de fantasme
- Pédagogique : vous parlez "d'imposer" le note à note pour les moins de 20 ans histoire de régler le problème sur cette génération, Là, vous avez entièrement raison : j'ai tort de vouloir imposer la cuisine note à note. Disons que j'y crois tant, d'un point de vue citoyen, que j'ai une grande envie de voir la cuisine note à note se développer rapidement.
Mais je dis aussi, souvent, que mes efforts ne sont que peu utiles. J'attends la prochaine crise de l'énergie, car elle imposera la cuisine note à note, tout comme la crise de la vache folle a imposé les gélifiants autres que la gélatine, que je proposais depuis 1980 en vain, les cuisiniers me rétorquant que j'allais empoisonner tout le monde : en 15 jours, ils ont tourné leur veste !
Donc j'attends avec patience et dynamisme, je fais de la pédagogie, je prépare le terrain, je suscite des réflexions dans des cercles variés : agronomiques, culinaires, etc.
mais ce genre d'éducation "forcée" en gastronomie a déjà mené à une pseudo-catastrophe aujourd'hui, une dégénérescence du gout vers une culture fast food, loin du réel plaisir gustatif. N'est-ce pas risqué ? Je me méfie des « dégénérescences du goût » : après la Seconde Guerre mondiale, quand le jazz est arrivé, les classiques (les « Anciens ») en disaient que ce n'était pas de la musique. Puis, dans les années 1980, les amateurs de jazz ont dit que le hard rock n'était pas de la musique... Et cette querelle des Anciens et des Modernes dure depuis toujours. Et les Modernes gagnent toujours, par disparition des Anciens.
Et puis, quelle dégénérescence du goût ? Et qui sommes nous pour critiquer le goût des autres ?
La catastrophe dont vous parlez me semble double : 1) pandémie d'obésité (due à l'inactivité, principalement) ; 2) le vrai scandale alimentaire actuel, ce sont les « marchands de peur », ceux qui font croire que des résidus de pesticides (à peine dosables) sont un complot de la grande industrie/capital, et j'en passe et des OGM.
C'est là l'immense scandale du XXI e siècle ! Avec un « ilchimisme » qui livre à leur griffes un public trop naïf (et je me mets dans le public, sans supériorité, sachant trop combien je suis ignorant dans les domaines techniques qui ne sont pas les miens)
- Ne suis-je pas prêt à vivre moins longtemps en m'empoisonnant à petit feu pour vivre plus intensément ? (peut-on rire de cette question ?) Déjà discuté, je n'y reviens pas
- et j'en passe. Dommage (franchement) : cela m'aurait donné la possibilité d'exposer des réponses.
Plus généralement, je déclare sur l'honneur que je n'ai aucun intérêt financier au développement de la cuisine note à note. Je n'y ai même pas d'intérêt d'égo, et je crois seulement pouvoir m'attendre à des ennuis. N'ai je pas déjà reçu des menaces de mort lorsque j'avais proposé de supprimer les notions fausses de « cuisson par concentration » et de « cuisson par expansion », il y a une vingtaine d'années ? Cette fois, cela risque d'être pire !
Est-ce que je me trompe en imaginant que vous n'agissez pas en moteur universel sur ce sujet ? Outre l'engouement de chefs à expérimenter vos propositions, j'imagine que vous avez tout un entourage intellectuel modérateur n'est-ce pas ? Gastronomes traditionnalistes, diététiciens, sociologues, psychologues, philosophes ? Je n'ai personne, mais je m'active pour avoir beaucoup de monde. C'est notamment le but de la séance du 19 décembre 2012 à l'Académie d'agriculture de France. C'est notamment la raison pour laquelle j'ai publié mon manifeste+manuel : en espérant qu'un très vaste dialogue se créera. C'est notamment la raison pour laquelle j'ai fait le Cours 2012, podcasté de surcroît : il s'agissait de poser des questions. C'est le but de mes conférences actuelles : créer un débat collectif, qui fasse intervenir des compétences variées... mais il est vrai aussi que je ne crois pas que les questions soient vraiment difficiles, en général.
Vraiment j'aimerais connaitre la nature du groupe de réflexion sur ce sujet. Il n'y en a pas de constitué, mais vous me donnez une idée !
Et savoir d'ailleurs s'il existe des espaces d'échange publics en réalité, pour suivre et participer à la reflexion dans la mesure de mes maigres moyens (que n'ai-je pas pris cette décision de suivre un cursus dans cette voie...) Cette fois, oui : il y a mon blog, où chaque internaute peut répondre à mes provocations, et aussi un Forum Note à Note sur le site d'AgroParisTech.
Hélas, peu d'interventions à part les miennes, pour l'instant.
Dans l'immédiat, je pense que je vais prendre la position d'un curieux. Cela ne m'étonne pas de vous, que je ne connais pas mais que je découvre en vous lisant.
Il y a matière à ce que je travaille a partir de composés, et pourquoi pas que je conçoive quelques plats à l'occasion. N'hésitez pas à me donner vos recettes, que je publierai immédiatement, en vous les attribuant bien sûr.
N'oubliez pas que le glucose et le gras font toujours recette !
Que je goute aussi ce que d'autres plus talentueux ont fait (d'ailleurs, travaillant à deux pas du renaissance de la défense, savez vous s'ils ont mis des plats à la carte ?). C'est fait depuis une semaine
Mais sur le propos global, le temps me le dira. Oui.
Je vous remercie si vous avez pris le temps de lire ma diatribe jusque ici. Et je vous serai encore plus reconnaissant si vous prenez le temps de me répondre ne serait-ce que pour m'indiquer des publications ou des endroits où je pourrais trouver des réponses à ces nombreuses questions. C'est moi qui vous remercie, à nouveau
Et pour des discussions :
http://www.agroparistech.fr/forums/categories/la-cuisine-note-%C3%A0-note



Cher Monsieur
Voici ma réponse. Je suis désolé d'être si peu hésitant, parce que je me souviens encore quand j'ai pensé la cuisine note à note pour la première fois, et cela me faisait drôle, indépendamment de toute provocation, puisque c'était dans le silence de mon cabinet, comme on dit.
Et plus le temps passe, moins j'ai de doutes et d'hésitations.
Surtout, avec le temps, je vois de mieux en mieux l'incohérence de nos comportements alimentaires, souvent au nom de la "tradition". Mais, la tradition n'est-elle pas, aussi, l'esclavage, la circoncision des petits garçons et l'excision des petites filles, et tant d'autres comportements que nous devrions rapidement éradiquer ? A propos d'empoisonnement, serions-nous prêts à manger des pissala traditionnelles, avec jusqu'à 15 g de cinabre par kilo de sel et par kilo d'anchois ? serions-nous prêts à boire des vins édulcorés aux sels de plomb ? La carricature a cela de bien qu'elle montre mieux le principe des choses.

Très cordialment, avec des remerciements appuyés pour votre message.







Surtout ne pas manquer le moindre symptôme

Surtout ne pas manquer le moindre symptôme

Parmi les phrases qui figurent  sur les murs de notre laboratoire, il y a celle-ci : "Surtout ne pas manquer le moindre symptôme".
Le symptôme ? C'est un terme médical, et certains ne le comprennent pas, dans le contexte des sciences de la nature, de sorte qu'il faut commencer par l'expliquer. Un symptôme, en médecine, c'est une manifestation pathologique qui permet au  médecin de remonter aux causes de la maladie, parfois à partir d'un signe limité. Par exemple, dans le temps, les médecins goûtaient les urines, et une saveur sucrée leur indiquait un diabète. La médecine cherche les causes des maladies à partir des symptômes. Les diagnostics se font à partir des symptômes.

En sciences de la nature ? Commençons par quelque chose de simple :
La suite sur  :

http://www.agroparistech.fr/Surtout-ne-pas-manquer-le-moindre-symptome.html

vendredi 22 juillet 2016

Certaines idées très fausses ne cessent de courir, polluant nos discussions, contaminant notre vie en collectivité, faussant les décisions de nos communautés. Il y a des fantasmes, des croyances, des opinions, des lubies…, mais les plus fausses de ces idées fausses sont celles sur lesquelles on érige des raisonnements.

Par exemple, les « carrés ronds » : sont-ils rouges ? Bleus ? Graves ? Aigus ? Sucrés ? Salés ? Bien sûr, on a le droit de s'amuser à imaginer des choses, mais il semble essentiel de bien se rappeler alors que ce sont des imaginations, des fictions. La question, d'ailleurs, n'est pas neuve, puisque l'on se moque depuis le Moyen Âge de théologiens qui discutaient à l'infini pour savoir combien d'anges pouvaient tenir sur la pointe d'une épingle. Si les anges n'existent pas, ce n'est pas la peine de faire de tels calculs idiots, d'y passer tant de temps.
En sciences de la nature, l'une de ces idées fausses est celle des « technosciences », selon laquelle il n'y aurait pas de différence entre les sciences de la nature et… on ne sais pas très bien (ça dépend des auteurs, qui agitent parfois leur plume de façon bien inconsidérée) si « techno » se rapporte à la technique ou à la technologie.
En gros, l'idée est essentiellement politique (au mauvais sens du terme, celui de la politique politicienne, le pouvoir avant le bien collectif), et elle tend à faire croire (ce qui n'est pas juste, ni vrai) que les sciences de la nature se sont alliées à l'industrie, se détournant de leur objet qui est la découverte de connaissances « pures »,  pour se mettre à la solde de ladite industrie. Évidemment, dans un tel discours, l'industrie est toujours quelque chose d'affreux par principe, et la notion (je le redis : c'est un fantasme, pas un objet qui existe) de  technoscience est une notion qui relève d'une pensée politicienne… mais je me reprends, car je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une pensée, mais plutôt  d'une compulsion insuffisamment questionnée.

Tout cela étant dit, cette idée fausse de la prétendue technoscience (rien qu'écrire le mot m'arrache la plume) a des avatars, qui sont parfois portés par des amis qui n'y voient pas grand mal, puisque le déguisement qui habille alors ces erreurs (pour ne pas dire « des fautes ») ne permet plus de les reconnaître aussi facilement.
Un de ces avatars est le suivant : « la science est politique : on trouve ce que l'on cherche ».
Il y a là deux phrases qui méritent d'être discutées, avant que nous fassions la synthèse.


La science serait politique ? Bien sûr !

La science est politique ? Il y a deux mots essentiels : « science »,  « politique ». Précisons tout d'abord que nous ne considérerons ici que les sciences de la nature, et je renvoie vers de nombreux billets précédents pour voir ce que c'est, car l'expérience me prouve que beaucoup de ceux qui prononcent le mot « science », même dans l'acception sciences de la nature, ne savent souvent pas de quoi ils parlent. Pour faire simple, rappelons seulement que les sciences  de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes à l'aide d'une méthode très codifiée, que nous nommerons, pour faire court, méthode scientifique, ou méthode quantitative.
Les sciences de la nature seraient politiques ? Il y a le mot « politique », qui est ambigu, puisqu'il s'applique aussi bien aux activités au sein de la cité, du grec polis, la communauté humaine, ou s'il s'agit  de diriger ladite cité. On comprend que, dans la critique faite à la technoscience, une notion de pouvoir est considérée… ou plutôt déconsidérée, car il est supposé que la moindre tête qui dépasse soit à couper, idée bien naïve pour mille raisons, et qui conduit à des utopies idiotes, et surtout réfutées par les faits : dans un groupe d'êtres humains, mêmes éclairés, il est plus efficace que quelques uns d'entre eux puissent orchestrer. Il y a de la place pour tous, on doit le respect à tous, mais il est bon d'éviter les cacophonies, et d'instituer des règles (oui, des règles!) pour que le fonctionnement collectif soit harmonieux.
Oui, la science est politique, au sens de son inscription dans la cité : les scientifiques n'oublient pas qu'ils sont payés par les citoyens pour aller agrandir le royaume du connu. C'est à ce titre qu'ils ne font pas n'importe quoi, et qu'ils ont l'obligation d'être très « efficaces », au point que certains sont même malheureux quand ils ne font pas de découverte. J'ai discuté la chose mille fois et je n'y reviens pas : oui, les scientifiques sont des gens responsables, dont l'activité est parfaitement politique, au sens de sa place dans la communauté humaine. On observera, pour terminer sur ce point, que je fais une  différence entre la science et les scientifiques. La science est une activité que font les scientifique, de sorte que ce n'est pas la science qui est politique, mais les scientifiques eux-mêmes, et je crois que toute discussion qui partirait de mots fautifs serait condamnée, minée, sapée. Faisons donc bien la différence, soyons un peu précis, même si l'exposition semble compliquer un peu : en réalité, c'est de la clarté pour tous.


La science trouverait ce qu'elle cherche ? Ce ne serait pas de la science !


Mais passons à la deuxième moitié de la phrase : on ne trouverait que ce que l'on cherche ? Cette fois, l'erreur est flagrante.
Il y a tout d'abord cet a priori qu'il suffit de chercher pour trouver. Un exemple s'impose, outré, avant d'arriver à une exemple moins évident. L'exemple outré, donc : si un  ou une scientifique cherche une clé sous un lampadaire où il n'y a pas de clé, il aura beau chercher, mais il ne trouvera pas. Autrement dit, ce n'est pas parce que la science cherche qu'elle trouve... ce qu'elle cherche.
L'exemple plus élaboré, maintenant, m'a été donné par un ami, dans une discussion récente, et l'on ne peut donc pas le repousser d'un revers de main aussi rapidement que le premier. C'est celui de la « recherche de gènes de l'homosexualité ». Il y aurait des individus qui chercheraient les gènes de l'homosexualité ? Pourquoi pas. D'une part, pourquoi n'y aurait-il pas de tels individus, et, d'autre part, pourquoi n'y aurait-il pas de tels gènes ? Pour la première question, on trouve de  tout dans le monde des êtres humains. Pour la seconde question, c'est plus épineux, car, même sans que je prenne parti,  je sais que le simple fait d'envisager la possibilité de l'existence de gènes de l'homosexualité est quelque chose de terrible, que certains reprocheront. J'insiste : je n'ai pas dit, pourtant, que je crois à cette existence, mais surtout, il y a deux réponses à donner à cette critique.
La première, c'est que la science n'est pas la morale. Bien sûr, les scientifiques doivent, eux, se livrer à une activité moralement digne, mais il n'est pas indigne de poser des questions, et, d'ailleurs, les scientifiques ne font que cela... ce qui a toujours gêné beaucoup de nos concitoyens. Que l'on pense au système copernicien, qui s'opposait à la Bible en mettant la Terre autour du Soleil plutôt que l'inverse : à l'époque, c'était considéré comme terrible, alors que nous le supportons facilement aujourd'hui. Que l'on pense à la mécanique quantique,  dont une interprétation entièrement probabiliste suscitait la fureur de certains,  qui auraient voulu plus de déterminisme. Que l'on pense à la possibilité du clonage humain (je n'ai pas dit que j'y étais favorable), qui fait trembler aujourd'hui. 
Je maintiens qu'une activité scientifique de bon aloi doit pouvoir poser des questions, discuter ! Je ne dis pas que nous pouvons faire n'importe quelle recherche, mais je dis que la discussion est possible, sans quoi on tombe dans le dogmatisme le plus étriqué.
Bref, continuons la discussion sur ces gènes prétendus de l'homosexualité, en supposant pour les besoins de la discussion que l'homosexualité existe, soit un "phénomène" suffisamment circonscrit pour pouvoir être étudié ; je ne sais pas s'il y  a de tels gènes, je ne sais pas s'il n'y en a pas, mais, de toute façon, la science n'est pas là pour espérer les trouver ou espérer ne pas les trouver (on a compris que le mot "espérer" ne s'applique pas à la science, mais aux scientifiques).
Surtout, pour bien comprendre pourquoi, sur cet exemple, il y a une confusion entre science et technologie, ou une méconnaissance de la science, c'est maintenant le moment de rappeler la méthode des sciences de la nature. On identifie d'abord un phénomène, puis on le quantifie ; on réunit les mesures en lois quantitatives, c'est-à-dire en équations, puis on cherche des mécanismes nouveaux, assortis de notions nouvelles, quantitativement compatibles avec les équations, et l'on cherche ensuite à réfuter ce groupe de mécanismes et de notions, cette "théorie", par des expériences toujours quantitatives.
Revenons donc aux différentes étapes à propos de ces prétendus gènes de l'homosexualité. La première étape consiste donc à identifier un phénomène. Comme dit précédemment, ce phénomène doit exister, sans quoi on tombe la mauvaise scolastiques des anges sur les épingles. Les gènes ? Ce sont des objets biologiques apparus anciennement (il y a plusieurs décennies), et la connaissance de la biologie moléculaire montre que les choses se sont considérablement compliqué depuis, de sorte que le mot « gènes » semble déjà un peu hâtif. L'homosexualité, d'autre  part ? De quoi s'agit-il ? Entre l'effleurement et la pénétration, il y a une  gamme de comportements sexuels considérables, et, sans être spécialiste de la chose, je vois que la notion est bien trop large pour être explorée simplement, et je sais aussi que les comportements humains ont une relation extraordinairement compliquée avec les gènes. De sorte qu'un bon scientifique ne posera pas la question initiale, mais une question bien plus réduite.. au point que l'on a critiqué la science pour son réductionnisme  (mais les critiques contre "la science" sont comme les aboiements des chiens : la caravane passe).
Passons rapidement sur la mesure quantitative du phénomène exploré, dans ce cas particulier, et arrivons à la modélisation. Supposons que les mesures effectuées aient conduit à un groupe d'équations. La vraie science ne se limite pas à une telle caractérisation (sinon, ce n'est que de la mesure, pas de la science), et elle cherche des notions nouvelles. Il ne s'agit pas de rester sur le phénomène initial, mais de trouver des mécanismes nouveaux, des notions nouvelles, et cela est quelque chose d'imprévu.
Je le répète : la science n'est pas la vérification ! Elle est la découverte de « montagnes » complètement imprévues… Oui, imprévues, sans quoi il n'y aurait pas  de "découverte", et l'on n'aurait pas agrandi le royaume du savoir ! Autrement dit, si l'on part de l'exploration d'un phénomène, on ne sait absolument pas ce que l'on va découvrir, et, à la limite, on pourrait dire que le phénomène initial n'est qu'une excuse pour arriver à quelque chose de nouveau.

Dans nombre de discussions à propos de la science, et notamment dans les discussions à propos de cette prétendue technoscience (qui n'existe pas, je le répète de façon lancinante), il y a  cette confusion néfaste, qu'il faut dénoncer entre la science et la technologie. Quand je dis "confusion", je ne dis pas que la science se confond avec la technologie, mais bien plutôt que des individus ne sont pas capables de voir la  différence. C'est une confusion terrible, pour nos choix collectifs, parce qu'elle mine également bien des discussions à propos des sciences de la nature.
On sait qu'il y a une volonté industrielle, politique, etc., que la science « serve à quelque chose », mais Louis Pasteur, qui fut pourtant l'un des plus remarquables scientifiques capables de trouver des applications,  avait bien dit que l'arbre n'est pas le fruit.  La science n'est pas la technologie, et il n'y a pas ce que certains "science appliquée" en raison d'une réflexion insuffisante : il y a la science, et les applications de la science. "Science appliquée" est aussi chimérique que "carré rond", et l'on ne doit pas s'étonner de retrouver ce type  d'erreur dans cette discussion, car, une fois de plus, elle est fondée sur une méconnaissance de ce qu'est la science. Oui, la science  n'est pas la recherche de solutions, d'applications, et il faut dire avec beaucoup de force que c'est seulement la recherche de découvertes : il s'agit d'agrandir le royaume du connu.
Et voilà pourquoi je peux maintenant conclure à propos de la seconde idée énoncée, selon laquelle on trouverait ce que l'on cherche : non, mille fois non ! Les scientifiques "ne trouvent jamais ce qu'ils cherchent", parce qu'ils n'ont pas cet espoir ce "trouver ce qu'ils cherchent". Au contraire, ils ne cherchent que ce dont ils n'ont pas idée ! Leur espoir, c'est de faire des découvertes, c'est-à-dire de trouver des choses dont ils n'ont pas idée a priori, et qui bouleverseront nos connaissances.
Un bon exemple est la découverte de la théorie de la relativité, où l'on s'interrogeait simplement sur la notion d'inertie : comment l'état de mouvement d'un objet peut-il changer ? Qu'est-ce que le "mouvement" ? Il n'y avait absolument aucune idée d'application, et il a fallu des décennies avant que l'on ne trouve ces applications…  qui sont partout maintenant : par exemple, la géolocalisation par satellites ! Autrement dit, c'est une grande ignorance de la nature de la science que cette phrase dont  nous sommes partis.
J'ajoute, pour bien faire comprendre ce  qu'est la science, que cette dernière veut "réfuter" les théories : il s'agit principalement de montrer en quoi les  théories que l'on a sont fausses (disons "insuffisantes"), afin de les améliorer. Autrement dit, une "vérification", au sens d'une confirmation, serait exactement l'inverse du travail scientifique !


Vive la connaissance !


Concluons, en discutant  sur les explications que l'on peut  donner de la science. Pendant longtemps, j'ai eu la stratégie de donner les arguments précédents (et d'autres) en les assortissant d'hésitations (feintes), de questionnements, afin que mes amis ne reçoivent pas ces arguments de façon péremptoire, ce qui les aurait conduit à les rejeter. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que ça suffit, et je crois qu'il est temps de dénoncer très  vigoureusement, sans ménagement, les fantasmes, les lubies qui pénalisent notre bon fonctionnement collectif. Il faut combattre les idées fausses.
Toutefois il ne faut pas être "défensif", mais bien plutôt très positif, enthousiastes, et c'est pourquoi je maintiens très énergétiquement  l'idée suivante :  les scientifiques sont politiquement très responsables ; il sont politiquement engagés, non  pas dans la gestion des groupes humains, mais dans leur activité de recherche scientifique, et les découvertes, les vraies, sont toujours imprévues.

Vive la connaissance !

mercredi 20 juillet 2016

Comment être simple sans être simpliste : question de démocratie

 J'ai déjà largement discuté la question du simple et du simpliste. Mon ami qui m'a mis sur cette piste me pousse aujourd'hui à examiner la question, dans le cadre d'une communication particulière, à savoir la communication "publique" (prise de parole devant des individus, réponse à des journalistes, par exemple).

Des contraintes particulières : un atout pour être entendu

Cette fois, les   contraintes particulières imposent  la réponse que je crois pouvoir donner, et pour laquelle -que l'on me pardonne- je suis obligé de rappeler des faits passés qui m'ont concerné.
La première observation est la suivante : en trente secondes, on n'a de temps que pour faire passer une idée... dont on espère qu'elle sera entendue ; ou plutôt, non, dont on souhaite, dont on veut qu'elle soit entendue. Le discours qui doit être tenu, doit être tout entier tendu vers cet objectif, sans quoi, au lieu d'obtenir un peu, on n'a rien, ou l'inverse de ce que l'on souhaitait. Bref, il s'agit d'être très clair.
Commençons par observer qu'en trente secondes, on a juste le temps de dire environ une phrase  : je compte dans cette dernière le sujet, le verbe, le complément d'objet direct, mais je suis obligé de donner des  compléments circonstanciels. De toute façon, nous nous comprenons : une phrase, deux phrases... Qu'importe : ce que je crois que nous devons admettre, c'est que le nombre de phrases est très petit.
Cette solution de limiter le nombre de phrases que l'on dit, et de focaliser sur une seule idée, à plusieurs avantages. Si l'on jargonne, on dira que l'on "pitche", et que cela est efficace, mais qu'importe la langue anglaise, alors que nous avons le français, qui est une langue bien plus belle, subtile... Plus sérieusement, la limitation du nombre de phrases que l'on énonce  a  aussi l'avantage que, quand on doit répondre à des questions, il est plus facile de peser quelques mots que d'en peser beaucoup. Et puis, une phrase simple se comprend simplement, n'est-ce pas ?
On peut d'ailleurs parfaitement s'arrêter à cette phrase, avec le sentiment du devoir accompli, laissant l'interlocuteur assez désemparé quand il verra que, ayant répondu, nous sommes silencieux (son métier, c'est de nous faire parler).
 Il y a  lieu de considérer que nos interlocuteurs qui nous donnent trente secondes veulent trente secondes, et que la phrase est peut-être trop courte quand même, volontairement ou pas. Pour envisager les secondes disponibles, je propose maintenant de tenir  compte de conditions supplémentaires : parfois, la question n'est pas seulement la durée trop courte qui nous est accordée, mais il y a aussi le risque que nos interlocuteurs ne fassent ensuite de la manipulation du texte, avec des couper, des coller, des rabouter, etc.
 J'ai le devoir de témoigner qu'il m'est arrivé de me voir à la télévision, sur une grande chaîne nationale, répondre à un  journaliste que je n'avais jamais rencontré : on voyait le journaliste poser des question, on me voyait répondre, et l' "interview" durait ainsi cinq bonnes minutes. Tout cet interview avait été composé, questions et réponses, à partir d'archives audiovisuelles que des monteurs habiles avaient triturées.
Dans cette circonstance particulière, mes propos n'ont pas été déformés, et mes réponses étaient prises en totalité, sans doute parce que cela aurait été trop de travail, et donc trop d'argent, de faire de la dentelle, mais j'ai eu bien d'autres occasions, toujours pour des chaînes de télévision nationales (ce qui est d'autant plus scandaleux), de voir mes réponses manipulées dans un sens qui était entièrement déterminé a priori par le rédacteur en chef ; les journalistes n'étaient là que pour me faire délivrer suffisamment de message pour qu'ils puissent ensuite faire leur  bidouillages malhonnêtes.
Dans de longs tournages, qui auraient pu se conclure en quelques minutes, sous prétexte d'avoir assez d'images, les journalistes me répétaient inlassablement les mêmes questions, espérant que je donnerais des réponses différentes. Il y a bien longtemps, je répondais naïvement en variant mes réponses, mais quelle erreur ! Aujourd'hui, je suis fixé : premièrement, je commence par m'assurer par contrat du message qui sera finalement donné à l'isue de l'entretien, puis je répète inlassablement le même message :  un message pensé, et, mieux, un message pensé pour ne pas être découpable, pas être manipulable, sauf à faire bien pire que ce que certains se donnent le droit de faire. Je résiste au questionnement, et je reste sur une ligne absolue. Surtout, je fais très atttention que les messages soient justes, simples... et pas simplistes.
A contrario, je me souviens d'un individu qui se parait du titre de journaliste (dans un grand hebdomadaire français), et qui, face à moi dans un entretien radio, disait des choses fausses avec un aplomb incroyable (Marie Curie aurait découvert la mécanique quantique, Faraday aurait découvert le magnétisme...). Quand je lui faisais remarquer, toujours à la radio en direct, que ce qu'il disait était faux, il continuait, sur la même ligne, imperturbable, sans doute conforme à l'hypothèse de Lewis Carroll, ce Charles Dodgson qui écrivit notamment Alice au pays des merveilles, selon qui "Ce que je dis trois fois est vrai".
Oui, il y a une force dans ce qui est dit, juste ou faux, et la répétition permet d'augmenter cette force. Avec les exemples qui précèdent, on voit que cette idée permet de dire des choses justes, simples et pas simplistes, pour le bien de ceux à qui l'on s'adresse, mais il y a aussi une possibilité pour des malhonnêtes de faire passer des idées fausses.
Dans toute cette affaire, je vois qu'il faut absolument résister à nos réflexes, notamment notre volonté de répondre à des questions que l'on nous pose. Et là, je dois prendre l'exemple d'une expérience que je fais parfois avec les étudiants : je me dirige vers l'un d'entre eux, et lui tends un stylo ; le résultat ne manque jamais, à savoir que l'étudiant prend le stylo. Pourquoi le fait-il ? Il n'a en réalité aucune raison de le faire, et même quand on le fait remarquer, on constate que les individus ont le plus grand mal à résister à ce stylo tendu.
De même, dans une discussion, on a parfois le plus grand mal à ne pas répondre à cette nouvelle question que l'on nous tend et qui voudrait nous faire dire autre chose que ce que nous avons décidé de dire. On observera aussi que se limiter à une phrase permet d'y penser un peu et de la délivrer rapidement. Il y a mille façons rhétoriques de meubler le silence qui precède et de ne pas paraître hésitant.

Communication non verbale

Car il y a lieu de considérer par avance non seulement l'effet du message délivré sur nos interlocuteurs, mais aussi l'effet de notre façon d'être. Il y  a ainsi des individus qui ont une autorité, un charisme, et, un message qui est porté par celui qui l'énonce a plus de chances de se faire entendre qu'un message qui n'est pas "habité".  Bien sûr,  il convient sans doute d'apprendre à construire les messages avant d'apprendre à les porter, et de faire la synthèse ensuite, tout comme, au piano, il est plus facile de mettre en place la main gauche, puis la main droite, puis les deux ensemble. D'autres conseils (qui doivent donc donner lieu à des apprentissages) s'imposent, comme regarder les gens dans les yeux : l'effet est immanquable. Se tenir droit : là encore, il y a une force qui est donnée aux mots. Savoir bouger les mains : je me souviens de conférences merveilleuses de Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991, qui avait un usage tout à fait extraordinaire de ses gestes, impérieux, professoraux...

Mais ne compliquons pas tout quand il s'agit d'apprendre, et revenons à la question de la phrase ou des phrases énoncées. Pour le langage, il y a l'orthographe, puis la grammaire, puis la rhétorique, et enfin l'éloquence. J'ai dit les choses dans l'ordre inverse de leur importance, et, dans la conception d'un discours qui ne se limite pas à une phrase, la construction semble devoir se faire à l'inverse : le gros d'abord, puis le détail.
 Je passe sur l'intonation, que je range du côté du langage corporel, et je vois que, pour un entraînement, il est sans doute plus facile de le faire par écrit, puisqu'il y a une lenteur qui permet mieux l'analyse. J'ajoute que je suis de ceux qui préfèrent toujours des idées justes, des phrases bien construites, des mots judicieusement choisis.
Par exemple, pour les idées justes, je crois qu'il est plus facile d'en montrer d'injustes, tels que "carré rond" ou "Père Noël"... , afin de mieux comprendre les possibilités de faute. Pour les constructions justes, il y a trop à dire... mais il faut s'interroger, car je ne suis pas sûr que  les constructions "justes"  soient les plus efficaces. Personnellement  je suis hélas affligé de cette faiblesse qui consiste à  vouloir proposer à mes amis un habillage un peu propre, et non des haillons négligés. Les mots justes, enfin : quand un individu prononce devant moi "rutilant" pour dire "brillant", je ne peux m'empêcher de penser qu'il ignore que ce mot signifie "rouge" (la couleur de ce mineral qu'est le rutile: un dioxyde de titane avec des traces de fer, de tantale, de niobium, de chrome, de vanadium et d'étain) et, comme je ne suis pas entièrement charitable, il m'arrive hélas fréquemment de faire remarquer à mon interlocuteur qu'il ne sait pas le sens des mots et que sa pensée est en conséquence pourrie. Évidemment, cela m'oblige à travailler dur pour être exempt de ce défaut  que je reproche aux autres, mais, en contrepartie, j'espère bénéficier d'une précision de langage qui, d'après Condillac et au moins Lavoisier, permet une pensée plus fine. Mais je renvoie à des discussions nombreuses sur les rapports entre la pensée et les mots, évoquées dans nombre de billets précédents.

Intéresser ? 

Mon ami qui me pousse sur la voie de ces discussions signale que les phrases énoncées dans un court laps de temps doivent "intéresser".
Evidemment, si l'on doit tenir la distance, il ne faut pas perdre  en route ceux qui nous entendent... mais si  le temps imparti est très court, a-t-on ce risque ? Pas toujours. De ce fait, faut-il intéresser ou dire les choses de façon solide ? Et "intéresser"... A vouloir jouer à ce jeu, on en arrive vite à manier le paradoxe... et l'on devient incompréhensible.
 J'en prends pour indication que ceux qui n'ont jamais rencontré le paradoxe du menteur (si je dis "je mens", suis-je en  train de mentir, auquel cas je dis la vérité ?) sont toujours bien lents avant de le comprendre : avec notre contrainte du temps court, de la nécessaire "répartie", nous sommes dans les choux, si je puis dire. Je me demande -mais c'est peut-être une idiosyncrasie que je ferais mieux de questionner-  si des questionnements ne sont pas plus efficaces ? Une question simple n'évite-t-elle pas d'asséner une vérité qui serait refusée ? Ne permet-elle pas de conduire à la réflexion (on voit que je joue ici au jeu que je suis en train de décrire ;-)) ?
Une question simple se dit en quelques mots, et, la question étant posée, elle manque rarement d'être considérée par nos interlocuteurs, de sorte que nous pouvons alors leur donner des éléments afin qu'ils se forgent une réponse. Appâtés par la question, comme le stylo tendu évoqué précédemment, ils accepteront les arguments que nous leur donnerons, sans en discuter trop la validité, de sorte que nous les conduirons peut-être à la conclusion que nous souhaitions.
C'est une méthode dont je ne dis pas qu'elle est la bonne, mais j'attends de mes amis qu'ils m'en donnent d'autres. Discutons, afin de choisir notre... argumentation. A ce dernier mot, je ne saurais trop répéter la phrase de Cicéron selon laquelle tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant. De même, l'argumentation a été considérée par de beaux esprits depuis des siècles, des millénaires, et il y a donc lieu de se reporter à leurs  productions, au lieu de réinventer la poudre comme je le fais ici... pour les besoins de la réponse à mon ami.
Après tout, je sais qu'il ne me pousse pas à répondre à la question de la simplicité et du simplisme pour en faire des montages malhonnêtes, mais, bien au contraire, parce que nous avons en commun le souci de la saine transmission. Merci !

Simplisme et soliloque

A propos de simplicité, mon ami qui me pousse à discuter la question m'a en réalité permis de comprendre que la question n'est pas simple :  plus je l'évoque, plus j'y vois des complications.
Aujourd'hui, c'est la question du simplisme que je discute surtout.

 J'ai dit que j'y voyais une sorte de faute, ou d'ignorance. Quelque chose de simpliste est faux, soit par décision (par "volonté"), soit par absence de décision (inadvertance, ignorance...). Dire quelque chose de faux par volonté, c'est quand même malhonnête (il y a donc une "faute")... ou de l'humour, puisque l'on se reportera à un autre billet où j'évoquais la question de l'ironie. Dire quelque chose de faux sans le vouloir, ce n'est plus une  faute, mais en tout cas au  moins une erreur.

 A ces mots, je ne peux m'empêcher de penser à cette phrase de l'écrivain français Paul Valéry, selon qui tout ce qui est simple est faux, et tout ce qui n'est pas simple est inutilisable. Mouais... Je me méfie des formules, qui ont l'air d'établir de façon définitive des idées que l'on gagne quand même à discuter  en détail.
C'est un fait qu'il y a des mélodies simples, et qu'elles sont belles dans leur simplicité : pas trop de note, un mouvement mélodique. C'est un fait qu'il y a, en sciences de la nature, des idées remarquables de simplicité. Par exemple le calcul du volume d'une cloche, ou ce que l'on nomme le "changement de variable", trouvé par ce génie qu'était le physicien allemand Ludwig Boltzmann, pour résoudre l'équation de diffusion (pensons à une goutte de colorant déposée dans un verre d'eau, et qui finit par disparaître, au hasard des chocs entre les molécules), ou encore cette idée merveilleuse selon laquelle une différence de produits en croix peut correspondre à  un objet nommé déterminant, lequel peut s'interpréter de façon géométrique... Les exemples sont innombrables, et ils fascinent certains, au point qu'ils se lèvent le matin pour aller parcourir ce monde du calcul.
Donc la formule de Valéry n'est pas juste, et je ne vois pas d'excuse à ne pas chercher la simplicité, à défaut de la trouver. Bien sûr, je ne suis pas certain d'être moi-même sans tâche, puisque je suis "baroque", comme dit précédemment, mais l'intention compte aussi. Et puis, il y a la simplicité "locale", et la simplicité "globale" : dans un discours, un cours, une explication, les phrases peuvent être individuellement simples, mais la construction finale, globale, peut être compliquée, parce que le chemin est long, avec beaucoup de phrases qui s'enchaînent, ou parce qu'il faut expliquer beaucoup de notions, afin que le raisonnement puisse s'ériger jusqu'au point voulu. Mais quand même, déjà si chaque étape élémentaire est simple, on pressent l'effort.
Mais, là, je commence à verser dans une théorisation de l'explication simple, et je me sais bien incapable d'aller plus loin. C'est une piste qui risque de nous conduire... vers des contrées compliquées parce que mal connues.

 Je termine donc en considérant cette enfilade de trois billets sur la simplicité : ce que je vois en action, c'est cette méthode du "soliloque", exposée dans des billets précédents, et qui secrète des idées par l'examen des mots. Pardonnez-moi d'en venir à penser (il faut se comporter en scientifique, et non pas en tant que scientifique) que, pour les sciences de la nature, la question des mots est moins intéressante que celle des calculs, des équations... de sorte que, au détour de ces discussions sur la simplicité, j'entrevois la possibilité de "soliloques de calcul". Cette idée m'éblouit tant que je ne peux plus fixer mon esprit sur la simplicité. Je m'arrête donc... pour me mettre à penser à cette nouvelle idée que je sens merveilleuse.

mardi 19 juillet 2016

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée...

On a évidemment compris ce dont il s'agit. Bien sûr, une idée, c'est une idée, mais ce que cette phrase signifie, c'est qu'une idée doit être partagée.
Pourquoi ? Pour de nombreuses raisons, mais tout d'abord parce que la  présentation de nos idées à nos amis nous oblige à des formulations plus claires… pour nous mêmes et pour les autres. Cela force à satisfaire des conditions particulières de communication, à éviter les coqs à l'âne, à préparer l'exposition,  à utiliser des mots parfaitement clairs... Mais tout cela est en réalité un atout et une garantie. Une garantie que l'idée est  parfaitement valide, car il arrive que l'examen soigneux des idées vagues que nous avons conduit finalement à leur réfutation. Un atout, parce que, alors, les idées sont affinées, prennent plus de force.

 En sciences de la nature,  cette phrase « une idée dans un tiroir n'est pas une idée » fait écho à cette règle que le physico-chimiste  britannique Michael Faraday s'était donnée : travailler, publier. Nous  devons effectivement publier les résultats que nous obtenons, qu'ils soient d'ailleurs négatifs  ou positifs. Faire une expérience et obtenir un résultat négatif, c'est d'ailleurs en réalité très positif,  puisque cela nous conduit observer que notre théorie est contredite par les faits. Ainsi, nous pouvons progresser, chercher en quoi notre théorie est fautive, proposer une théorie améliorée :  tel est  précisément l'objectif des sciences de la nature.
# Bien sûr, cette réfutation nous conduit à d'autres travaux, et  il faut savoir où s'arrêter pour la  publication, mais quand même, il y a quelque chose de sain dans l'affaire. Et, finalement, ce sera une question de travail que d'arriver à un manuscrit publiable.

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée : cela signifie aussi que, dans notre monde, nombre de personnes prétendent avoir beaucoup d'idées, mais ils les montrent peu. Je propose de considérer que ces idées cachées n'existent pas.
 Il y a notamment, avec l'industrie et son secret industriel, cette incertitude constante à propos de ce qui est su et de ce qui  est ignoré : je déteste cette prétention qui consiste à dire que l'on aurait des idées qu'on n'a pas publiées.  Disons que ces idées n'existent pas.
Je me souviens ainsi d'un épisode amusant : alors que j'avais réussi à « décuire » des œufs, en 1997, un capitaine d'industrie à qui je racontais la chose m'avait dit que cela était connu depuis longtemps de ses services… mais qui, deux semaines après, alors que je faisais une conférence où je présentais le résultat, il avait envoyé des ingénieurs pour apprendre comment j'avais fait ! 
Ce cas n'est pas isolé : je l'ai rencontré souvent, et ma religion est maintenant faite : sauf à voir le fruit d'idées que ces gens prétendent avoir,  je considère qu'ils n'ont pas les idées dont ils ont la prétention.

A l'inverse, on voit parfois des résultats extraordinaires, qui correspondent à des idées qui n'ont pas été présentées. Par exemple,  je me souviens de biscuit d'apéritifs apparemment anodins… qui étaient comme de petits ballons creux. Des petits ballons ? On peut obtenir de tels soufflement par « cuisson extrusion », avec la brusque détente d'une pâte (farine et eau) que l'on pousse dans un cylindre, à l'aide d'une vis d'Archimède. Mais des ballons percés ? Essayez donc de souffler dans un ballon de baudruche, et vous verrez que c'est très difficile ! Je ne sais absolument pas comment ces biscuits ont été produits, mais je propose d'admirer le tour ce force.



Il y a de nombreuses façons de sortir une idée d'un tiroir, de la publication à la matérialisation, en passant par l'évocation orale, et, tout cela permet  que nos idées ne restent pas dans les tiroirs.

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

On a évidemment compris ce dont il s'agit. Bien sûr, une idée, c'est une idée, mais ce que cette phrase signifie, c'est qu'une idée doit être partagée.
Pourquoi ? Pour de nombreuses raisons, mais tout d'abord parce que la  présentation de nos idées à nos amis nous oblige à des formulations plus claires… pour nous mêmes et pour les autres. Cela force à satisfaire des conditions particulières de communication, à éviter les coqs à l'âne, à préparer l'exposition,  à utiliser des mots parfaitement clairs... Mais tout cela est en réalité un atout et une garantie. Une garantie que l'idée est  parfaitement valide, car il arrive que l'examen soigneux des idées vagues que nous avons conduit finalement à leur réfutation. Un atout, parce que, alors, les idées sont affinées, prennent plus de force.

 En sciences de la nature,  cette phrase « une idée dans un tiroir n'est pas une idée » fait écho à cette règle que le physico-chimiste  britannique Michael Faraday s'était donnée : travailler, publier. Nous  devons effectivement publier les résultats que nous obtenons, qu'ils soient d'ailleurs négatifs  ou positifs. Faire une expérience et obtenir un résultat négatif, c'est d'ailleurs en réalité très positif,  puisque cela nous conduit observer que notre théorie est contredite par les faits. Ainsi, nous pouvons progresser, chercher en quoi notre théorie est fautive, proposer une théorie améliorée :  tel est  précisément l'objectif des sciences de la nature.
# Bien sûr, cette réfutation nous conduit à d'autres travaux, et  il faut savoir où s'arrêter pour la  publication, mais quand même, il y a quelque chose de sain dans l'affaire. Et, finalement, ce sera une question de travail que d'arriver à un manuscrit publiable.

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée : cela signifie aussi que, dans notre monde, nombre de personnes prétendent avoir beaucoup d'idées, mais ils les montrent peu. Je propose de considérer que ces idées cachées n'existent pas.
 Il y a notamment, avec l'industrie et son secret industriel, cette incertitude constante à propos de ce qui est su et de ce qui  est ignoré : je déteste cette prétention qui consiste à dire que l'on aurait des idées qu'on n'a pas publiées.  Disons que ces idées n'existent pas.
Je me souviens ainsi d'un épisode amusant : alors que j'avais réussi à « décuire » des œufs, en 1997, un capitaine d'industrie à qui je racontais la chose m'avait dit que cela était connu depuis longtemps de ses services… mais qui, deux semaines après, alors que je faisais une conférence où je présentais le résultat, il avait envoyé des ingénieurs pour apprendre comment j'avais fait ! 
Ce cas n'est pas isolé : je l'ai rencontré souvent, et ma religion est maintenant faite : sauf à voir le fruit d'idées que ces gens prétendent avoir,  je considère qu'ils n'ont pas les idées dont ils ont la prétention.

A l'inverse, on voit parfois des résultats extraordinaires, qui correspondent à des idées qui n'ont pas été présentées. Par exemple,  je me souviens de biscuit d'apéritifs apparemment anodins… qui étaient comme de petits ballons creux. Des petits ballons ? On peut obtenir de tels soufflement par « cuisson extrusion », avec la brusque détente d'une pâte (farine et eau) que l'on pousse dans un cylindre, à l'aide d'une vis d'Archimède. Mais des ballons percés ? Essayez donc de souffler dans un ballon de baudruche, et vous verrez que c'est très difficile ! Je ne sais absolument pas comment ces biscuits ont été produits, mais je propose d'admirer le tour ce force.



Il y a de nombreuses façons de sortir une idée d'un tiroir, de la publication à la matérialisation, en passant par l'évocation orale, et, tout cela permet  que nos idées ne restent pas dans les tiroirs.

lundi 18 juillet 2016

La vie est trop courte pour mettre les bouillons au net : faisons des brouillons nets

 « La vie est trop courte pour  mettre les  brouillons au net : faisons des brouillons nets » : cette phrase m'a été confiée par le musicien/acousticien/musicologue français Jean-Claude Risset, un des pionniers de la musique électroacoustique, à  qui l'on doit, avec James Shepard,  un escalier d'Esher musical.

La suite sur : http://www.agroparistech.fr/La-vie-est-trop-courte-pour-mettre-les-bouillons-au-net-faisons-des-brouillons.html

dimanche 17 juillet 2016

Amusons nous à faire des choses passionnantes.

 Il faut s'amuser à faire des choses passionnantes. Cette phrase a déjà heurté, parce que je proposais de la retenir pour décrire le travail des fonctionnaires. Les fonctionnaires, m'a-t-on fait observer,  ne doivent-ils pas, d'abord, être au service du public qui les paye, par leurs impôts ?
En réalité, mes interlocuteurs avaient insuffisamment réfléchi, et ils n'avaient pas pensé au fait que les fonctionnaires ont le droit d'avoir choisi leur métier pour faire quelque chose qui les "amuse". De même qu'il y en a qui considèrent les épinards comme bons, et d'autres comme mauvais, il y a des métiers que certains aiment et d'autres pas. Par exemple, les scientifiques calculent toute la journée, et j'ai des amis (pas scientifiques) qui considèrent que le calcul serait un bagne, pour eux, alors que c'est une « récréation », un « jeu » pour moi.
Autrement dit, je maintiens qu'il n'est pas honteux de conseiller à chacun d’exercer un métier qu'il aime,  car cela aura comme conséquence que l'on aura des individus qui font ce qu'ils aiment, qui le feront mieux, beaucoup. De sorte que le contribuable français a tout à gagner à avoir des fonctionnaires qui s'amusent à faire leur métier, parce que cela signifie que lesdits fonctionnaires feront beaucoup et mieux, au service des citoyens. Ayons donc un peu de grandeur d'esprit, au lieu d'être crispé sur des attitudes politiques négatives.
Il faut également ajouter, d'ailleurs, que s’amuser à faire des choses passionnantes est une sorte de pléonasme. Si c'est passionnant, alors on s'amuse à le faire. Mais là il y aurait lieu de faire une discussion terminologique sur le « s'amuser », parce qu'il y a peut être une différence entre le jeu et l'exercice d'un travail passionnant. C'est la question du jeu  qui est posée, à moins que ce ne soit la question du mot par lequel il faut décrire l’activité passionnante. Dans les deux cas, il y a lieu de réfléchir, et cela est… passionnant.

Amusons-nous donc... à réfléchir.

samedi 16 juillet 2016

Nous sommes ce que nous faisons ; quel est ton agenda ?


Cette remarque m'est venue le jour où un journaliste est venu dîner à la maison. Nous étions assis l'un à coté de l'autre, pendant l'apéritif, et il m'a dit : «Hervé This, qui êtes-vous ? ».  Qui  étais-je ? Qui suis-je ?  Moi-même, bien sûr.  Mais il est sans doute symptomatique, caractéristique, que je lui ai aussi répondu, sans avoir aucunement connaissance des théories compagnonniques ou maçonniques, que j'étais ce que je faisais et que, en conséquence, j'allais lui  chercher mon agenda pour répondre à sa question.
Il me dit alors de ne rien en faire, mais comme je trouvais la chose amusante, j'allais effectivement chercher mon agenda, et je lui en lut le contenu en le commentant. Depuis ce jour, je suis convaincu que ma réponse était bonne.
Quelques mois plus tard, avec quelque mauvaise foi, j'ai trouvé une justification de ma réponse en la retrouvant dans un dicton alsacien (mir isch was mir macht), mais, plus récemment, alors que j'explorais sur Internet des idées qui m'étaient venues lors de la lecture des Etoiles de Compostelle, de Henri Vincenot, je tombais sur cette phrase compagnonnique et maçonnique : « Ce que tu fais te fais ». Elle dit environ la même chose… mais pas exactement. Or si  le libellé est différent, c'est que le contenu l'est aussi. Dans un cas, il y a  une interpellation, alors que dans ma version, plus proche du dicton alsacien, il y a ce collectif qui reconnaît que l'être humain est social. Il est bien rare que nous ayons nos activités dans l'isolement le plus complet.Quand nous faisons quelque chose, c'est en relation avec notre environnement.
Et même si nous comparions « Ce que je fais me fait » et « Ce que tu fais te fais », il y aurait encore des nuances, la première étant que le « tu » compagnonnique/maçonnique met l'individu face un autre individu, et un seul, alors que le « Ce que je fais me fait » est plus proche de mon idée, à savoir que j'ai une responsabilité vis-à-vis de moi-même et des autres.

En tout cas, le conseil initial de consulter l'agenda était bon : alors, sans aucune mauvaise foi, nous sommes mis face à notre propre activité, et nous voyons mieux qui nous sommes vraiment. Celui  qui aura passé du temps à chercher le pouvoir  sera un être de pouvoir ;  celui qui aura passé du temps à chercher de l'argent sera un être d'argent ; celui qui aura passé son temps à gagner sa vie sans chercher d'argent sera en survie, en quelque sorte ; celui qui aura rêvé sera un rêveur ; celui qui aura joué sera un joueur… Évidemment, dans les activités de tous, il y a des composantes d’administration, de communication et de travail, de sorte que nous serons une sorte de barycentre de ces composantes, mais le temps passé nous dit quand même qui nous sommes vraiment.

vendredi 15 juillet 2016

Combien ?


Combien ? Cette simple question s'impose quotidiennement, mieux, chaque minute, dans une équipe de recherche, parce que nous si parlons avec le langage naturel, utilisant quasi nécessairement des adjectifs et des adverbes, les sciences de la nature ne supportent pas ces mots-la, devant être parfaitement quantitatives.
De ce fait, nous nous sommes donnés une règle qui est de traquer les adjectifs et les adverbes, et de répondre toujours à la question « Combien ? », laquelle nous met, comme le dit bien Roger Bacon,  sur la piste des nombres, des équations, qui conduisent ensuite aux mécanismes.
 Un signal dans un spectre est « large » : combien ? Un effet est « petit » : combien ? Un haricot est vert : combien ? Avec ce dernier exemple, on voit bien que la réponse n'est pas toujours un simple nombre, car la couleur peut être mesurée par un colorimètre, lequel donne  un groupe de trois nombres., ou par un spectrophotomètre, auquel cas on obtient un spectre tout entier pour chaque point de l'objet, et l'on peut imaginer où les « mesures » sont des ensembles de nombres encore plus vastes (vastes : adjectif ! Combien ?;-) ).

J'ai été trop rapide à propos de Bacon, et je propose d'y revenir. Les trois piliers de la science moderne, pour ce qui concerne les sciences de la nature sont : (1) selon Galilée, de préférer l'expérience à n'importe quel raisonnement, (2) selon Bacon, de tout « nombrer », mesurer ; et (3) selon Galilée encore, d'accepter l'idée selon laquelle le monde est écrit en langage mathématique. Avec ces trois idées,  on a un bon viatique  pour nos explorations scientifiques,  une bonne base, que nous aurons tout intérêt à suivre. Et, au coeur de ce système, il y a la question « Combien ? ».

jeudi 14 juillet 2016

Un billet macaronique... puisqu'il est question de perfection

Puisque tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer aujourd'hui ? Puisque tout est toujours perfectible (d'accord, c'est un postulat), que vais-je perfectionner aujourd'hui ? La phrase est... perfectible ;-), non, disons améliorable : si n'est de parfait ne peut exister dans ce monde, on ne peut  pas perfectionner, mais seulement améliorer.

Bref, si tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer ?  Ici, il y a  une résonance avec une autre maxime qui est « Tout ce qui est humain est imparfait, de sorte que si nous ne sommes pas paresseux, nous devons chercher des améliorations ». Un écho se trouve également dans cette phrase du chimiste Michel Eugène Chevreul, qui découvrit la constitution chimique des graisses et la loi du contraste simultané des couleurs, notamment : « Il faut tendre avec efforts à la perfection sans  y prétendre ».

A la base de tout cela, il y a l’hypothèse selon laquelle  tout ce qui est humain est imparfait. Je ne veux pas chercher à discuter cette hypothèse, que je préfère prendre comme un postulat, car ce dernier me conduit presque automatiquement à chercher des améliorations.
Dans cette discussion, qu'il y ait perfection ou pas,  il y a un critère de valeur. Or, au minimum, la recherche de l'amélioration   conduira, si l'on est un peu attentif, à une analyse des critères retenus pour juger de la perfection ou de l'amélioration, de sorte que l'on pourra légitimer notre hypothèse ou, au contraire, affiner les critères pour ensuite obtenir de nouvelles idées.

Car c'est bien là l’objectif : trouver de nouvelles idées  méthodes, concepts, notions… Il y a une dynamique extraordinairement positive dans cette phrase, qui, au minimum, induit la possibilité de validation.
Validation : le mot est insuffisamment dit aux étudiants en sciences de la nature, qui confondent souvent une vérification avec une validation. La validation, cela consiste à trouver une autre méthode, un autre calcul, différent d'un premier qui nous a donné un résultat, pour obtenir le même résultat, pour valider le premier résultat. Souvent, dans un calcul un peu difficile, on est déjà bien content d'avoir trouvé une solution, et l'on s'arrête à ce contentement, mais, en sciences de la nature,  le contentement n'est pas suffisant, et il faut y revenir, et y revenir encore, afin de trouver des validations, d'autres manières d'obtenir le résultat.

Plus généralement, dans la phrase « Puisque tout ce qui est humain est imparfait, il ne faut pas être paresseux et chercher à améliorer ; que vais-je améliorer aujourd'hui ? », il y a  cette dynamique très positive du « aujourd'hui ». Il nous faut de bonnes raisons de nous lever le matin ; il nous faut chaque jour un objectif bien particulier, et cette phrase propose effectivement un tel objectif : chaque jour, je me lève afin, au minimum, d'aller améliorer le travail que j'ai déjà fait. Nul doute que, ce faisant, je serai conduit à des résultats nouveaux.

Enfin, nous n'avons pas épuisé la question d’améliorer ou de perfectionner. Perfectionner, cela signifierait rendre plus parfait. Je ne crois pas que ce soit un objectif bien tenable, de   sorte que je préfère parler d'améliorer, qui signifie rendre meilleur. Plus généralement je m’interroge vraiment sur ce mot de « perfectionner',  et j'ai  peur qu'il fasse partie de ces termes qui n'ont pas grand sens comme « carré rond », par exemple. Peut-on vraiment perfectionner ? On est ramené à la discussion sur les critères, et je m'arrête là en me promettant de faire bien attention à l'emploi de ce mot pour le remplacer plus modestement par un « améliorer », qui sera à la hauteur de mes compétences… et de mes efforts.

mercredi 13 juillet 2016

D'r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht


Cette phrase en alsacien n'est pas un proverbe classique, mais elle y ressemble, car il y a effectivement  un proverbe alsacien qui dit « D'r Schaffe het bittri Wurzel awer sussi Frucht », ce qui signifie « Le travail a des racines amères, mais des fruits délicieux ».
Analysons, et voyons finalement pourquoi je propose de modifier le dicton classique.

Scier du bois ? Il faut y mettre de l'énergie, mais on a ensuite le tas de bois scié. Résoudre une équation ? Il faut ce creuser la tête, mais on a ensuite l'équation résolue. Le proverbe alsacien semble donc juste, à cela près que cette idée d'un travail « amer » ne me plaît pas, car j'ai tout intérêt à exercer un métier que j'aime, auquel cas le travail n'est pas amer, mais délicieux. Au fond, si j'ai la chance d'aimer la résolution d’équations, alors ce n'est pas un travail amer que de chercher à résoudre des équations, et je déteste même l'idée qu'on puisse le dire amer, car ce n'est pas vrai.
D'ailleurs, scier du bois serait-il « amer » ? Par les temps qui courent, on voit des foules s'entasser dans des salles de sport. S'ils veulent se dépenser, quoi de mieux  que couper du bois ? J'ai  l'impression que, dans cette discussion sur l'amertume des travaux, il y a surtout la question de l'obligation, ou, du choix. Si nous décidons de couper du bois parce que nous en avons envie, et non parce que parce que nous sommes forcés de le faire, alors couper du bois est intéressant, agréable. En revanche, il y a de l'amertume à couper du bois quand on y est obligé, à casser des cailloux quand le bagne nous y condamne.

Je propose de nous efforcer d'abord de choisir nos activités, car ainsi l'amertume disparaît, s'évanouit… Auquel cas le travail a des racines douces et des fruits délicieux, ce qui est la signification de la phrase initiale, laquelle est inscrite sur le mur de mon bureau : je ne dois jamais oublier que je dois faire des travaux délicieux, par le travail lui-même avant d'avoir le résultat.

jeudi 7 juillet 2016

Ne pas oublier de donner du bonheur

Sur les murs de notre laboratoire, il y a notamment cette phrase : "Ne pas oublier de donner du bonheur "

Ici, on voit mal le lien avec les sciences de la nature, n'est-ce pas ? Et puis,  le bonheur…  Pourtant, dans une équipe de recherche scientifique, les chercheurs malheureux, crispés sur leur malheur, n'ont pas l'esprit suffisamment libre pour se consacrer pleinement à leur recherche ; ils ne sont pas  à l'aise, ne sont pas sereins, dans leurs rapport avec la matière qu'ils traitent ou avec leurs collègues, et ne peuvent donc mettre en œuvre des collaborations efficaces… Sans compter que la vie est quand même moins agréable quand  on n'est pas heureux !

Voilà notamment pourquoi cette affaire de bonheur n'est pas déplacée dans un laboratoire. Si nous cherchons collectivement des moyens d'aider ceux qui en ont besoin, nous ferons un groupe solidaire, qui épaulera les plus faibles, et nous donnerons à tous cet objetjetif merveilleux qui est le bonheur chacun et de tous.

 Autrement dit cette espèce de règle morale est en réalité la base d'un fonctionnement scientifique épanoui, efficace, qui ait quelque chances de conduire à repousser les limites de l'inconnu.

mercredi 6 juillet 2016

En doutant, nous nous mettons en recherche, et en cherchant nous trouvons la vérité.


Cette phrase est d'Abélard, ce philosophe du Moyen Âge qui eut bien des ennuis pour avoir trop aimé une jeune fille nommée Héloïse. On trouve ici une idée  qui se rapproche de celle que j'ai discutée ailleurs, à savoir « Devons-nous croire au probable ? ».
La discussion est sur http://www.agroparistech.fr/En-doutant-nous-nous-mettons-en-recherche-et-en-cherchant-nous-trouvons-la.html

mardi 5 juillet 2016

Espiègle ou taquin ?

 Espièglerie ? Taquinerie ? Ironie ? Il faut vraiment faire la différence, et, comme souvent, le dictionnaire, et l'étymologie, sont des recours indispensables.

Par exemple, pour l'ironie, il s'agissait initialement d'une figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu'on veut faire comprendre. C'est ensuite, par extension, qu'est venue l'acception d'une moquerie sarcastique qui utilise, le ton ou l'attitude aidant, cette figure de style. Dire le contraire de ce que l'on veut faire comprendre, ce n'est pas "malin", pas agressif, comme on le prétend souvent aujourd'hui. Revenons au vrai sens des mots, au lieu d'y mettres nos lubies.

Taquinerie ? Cela semble anodin... mais est  taquin celui qui lésine sur la dépense ! C'est seulement plus tard qu'on a désigné par taquin celui qui prend plaisir à chicaner, querelles les autres ; qui s'amuse par jeu et malice à contrarier les autres en paroles ou en actes sur de petites choses pour les agacer, à les provoquer pour leur faire perdre leur calme. Revenons au vrai sens des mots.

Espièglerie, enfin ? Là, les sens convergent :  qui est vif et malicieux mais sans méchanceté ; ou qui est malicieu avec gentillesse.


Décidément, l'espiéglerie est une belle chose. Usons-en... avec modération, comme toujours.

Je ne sais pas, mais je cherche

Encore une phrase écrite sur le mur de mon bureau  : je discute la chose ici :


http://www.agroparistech.fr/Je-ne-sais-pas-mais-je-cherche.html

lundi 4 juillet 2016

Pourquoi nous ne sommes pas un laboratoire d'analyses... même si nous faisons des analyses.

Sans doute parce que je fais environ une invention "culinaire" par mois depuis plus  de 16 ans, certains confondent mon activité scientifique (nommée "gastronomie moléculaire") et la cuisine. Et quand j'essaie d'expliquer, notamment en expliquant que nous faisons des analyses, d'autres (ou les mêmes) confondent notre activité scientifique avec des activités d'analyses telles que les pratiques des laboratoires privés.

Il faut donc clarifier  : voir http://www.agroparistech.fr/Nous-ne-sommes-pas-un-laboratoire-d-analyses.html

De quoi s'agit il ?

 "De quoi s'agit-il ?"

Cette question remonte au minimum au photographe français Henri Cartier-Bresson, qui, avant de prendre une photographie, posait la question « De quoi s'agit il ? ». On retrouve ici la question de l'objectif (sans jeu de mot) : que veut-on voir ? Que veut-on montrer ? Que veut-on représenter ? De quoi s'agit-il ?   Imaginons par exemple que l'on veuille faire une photographie de fleur de pissenlit. Pourquoi ? De quoi s'agit-il ? Bien sûr, il s'agit de prendre une photographie de la fleur de pissenlit, mais là n'est pas la question posée. Pour une photographie, il ne s'agit pas seulement de représenter, mais de choisir la représentation. Veut-on montrer que la fleur est vide, quelle est fait de mille parties qui peuvent se détacher pour aller ensemencer alentour ? Qu'il y a une blancheur laiteuse ? Qu'elle est un symbole de la connaissance que l'on dissémine ? Une fleur de pissenlit n'a aucun intérêt en soi, et il faut une intention qui détermine la représentation que l'on doit retenir finalement.

Cette question du « De quoi s'agit-il ? » n'est pas propre à Cartier-Besson, et il semblerait qu'elle ait été posée, avant lui par le maréchal Foch, par exemple, mais il y a lieu sans doute de considérer que Foch a emprunté cette question à d'autres, car on comprend bien qu'elle se pose à propos des représentations, mais aussi chaque fois qu'il y a une interrogation, sur un objectif, par exemple. En sciences, cette question se pose avec acuité, car nous devons explorer des phénomènes. Prenons par exemple la question du bleu du  ciel. Bleu ? De quoi s'agit-il ? Le ciel ? De quoi s'agit-il ? Et pourquoi le bleu du ciel pourrait-il légitimement nous intéresser ?  Il y a lieu de s'interroger sur les objets que nous considérons, et la question permet de ne pas se lancer tête baissée dans des travaux qui se révéreraient finalement inutiles, ou dans des explorations qui seraient mal définies. Décidément, je crois que cela que vaut le coup d'un peu de réflexion, soutenue par cette question « De quoi s'agit-il ? ».

dimanche 3 juillet 2016

Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui nous dispensent de réfléchir.

Cette phrase est de Henri Poincaré, remarquable mathématicien français, venu de Nancy et qui eut un cousin qui devint président de la république. Mais un président de la république n'est rien : il y en a tous les cinq ans ; ils passent. Alors que le Poincaré mathématicien restera dans l'histoire de la pensée humaine pour toujours, tant il était extraordinaire, tant il fit progresser la connaissance, et les mathématiques en particulier. Un président de la république est un administrateur, remplaçable. Un mathématicien de génie comme Henri Poincaré est un individu irremplaçable, notamment parce que les mathématiques sont œuvres de création. Etre un des plus grands mathématiciens de tous les temps, cela est vraiment beaucoup.

D'ailleurs, Henri Poincaré ne se contentait pas d'être un extraordinaire mathématicien ; il était aussi...

La suite sur http://www.agroparistech.fr/Douter-de-tout-ou-tout-croire-sont-deux-solutions-egalement-commodes-qui-nous.html

samedi 2 juillet 2016

Les calculs nous sauvent toujours

Un billet à lire sur http://www.agroparistech.fr/Les-calculs-nous-sauvent-toujours-que-nul-n-entre-ici-s-il-n-est-geometre.html

jeudi 30 juin 2016

La beauté des sciences de la nature

Pourquoi les scientifiques se lèvent-ils le matin ?

On pressent des réponses variées, mais c'est un fait que, pour beaucoup, il y a cette extraordinaire "beauté", qui a fait dire à certains, tel le mathématicien français Henri Poincaré, qu'il faut faire de la science en artiste.

La suite sur
http://www.agroparistech.fr/La-beaute-des-sciences-de-la-nature.html

mardi 28 juin 2016

On nous prend vraiment pour des imbéciles ; est-ce de la malhonnêté ou de la bêtise ?

Sur twitter, un correspondant avait posté l'image suivante :

Cela semble anodin : du sel... Mais chaque mot de l'étiquette est idiot ou mensonger, ou tendancieux...

Allons-y lentement :

"ingrédients" : je vois un "s", ce qui laisse penser qu'il y en a plusieurs ; or il n'y a que du sel. Donc le "s" était mensonger.

"Cristaux de sel de mer ramassés à la main" : c'est probablement mensonger, car il est peu probable que les ramasseurs se soient baissés pour prendre le sel dans leurs mains ; ils ont probablement pris des racloirs et des pelles.

"Sans OGM" : là, c'est à hurler de rire ! Les OGM, ce sont des "organismes génétiquement modifiés". Or le sel est minéral, pas vivant. Ne contenant pas de génome, de gènes, d'ADN ou d'ARN, il ne peut donc pas être modifié génétiquement. On nage donc dans le pléonasme (une évidence voulue) ou la périssologie (une évidence non voulue, donc une faute de pensée). Et puis, c'est quand même du marketing minable, non ?
Surtout, on prend tout ceux  qui savent que le sel, les cailloux, le sable, etc. sont des minéraux pour des imbéciles. Je propose que les indications du type "sans xxx" soient bien plus sévèrement réglementées qu'elles ne le sont ajourd'hui.

"Sans additifs artificiels" : stricto sensu, ce sel est artificiel, puisqu'il a été produit (c'est la définition du dictionnaire". Additif ? Il est vrai que le sucre glace, par exemple, est additionné de silice ou d'amidon, pour éviter qu'il ne fasse de blocs. Mais, là encore, pourquoi ajouterait-on des "conservateurs" à du sel... puisqu'il est lui-même un conservateur. Et puis, en quoi le statut du sel diffère-t-il réellement des additifs ?

"Produit en Afrique du Sud" : pas bien précis ; est-le pays  ?

"Ne pas moudre au dessus de la vapeur" : de quelle vapeur ? et pourquoi ?

"Bien refermer le couvercle après utilisation" : nos vendeurs ont-ils le sentiment idiot que le sel va s'évaporer (impossible) ?

Bref, soit nos vendeurs de sels sont idiots, soit ils sont tendancieux, soit ils nous prennent  pour des imbéciles. N'achetons pas leur sel !

samedi 25 juin 2016

Les molécules et les composés

Qu'est-ce qu'un composé ? Qu'est-ce qu'une molécule ? J'ai déjà donné la réponse (qui est donnée dans tous les cours de chimie), mais il faut  que j'y revienne, parce que je m'aperçois que cela peut rendre service à tous ceux qui parlent du monde matériel, qu'il s'agisse de cuisine ou d'écologie, ou de droit, ou d'environnement.
Evidemment, ceux qui ont suivi leurs cours de chimie, au collège et qui s'en souviennent, ne vont pas trouver du nouveau ici ; je m'adresse surtout à tous ceux pour qui la chimie est insuffisamment familière, et qui ont besoin ou envie d'avoir des idées claires. J'ajoute :
1. que je n'ai aucun mépris pour ceux qui ont besoin de ces explications : nous sommes tous ignorants d'idées, de notions que d'autres jugent "élémentaires"
2. que cette explication a fait l'objet d'un podcast sur le site AgroParisTech... et qu'elle a été largement plébiscitée, preuve que les scientifiques doivent ne pas croire que les connaissances scientifiques qu'ils ont sont connues, et que l'intérêt collectif est qu'ils fassent des efforts pour communiquer leurs connaissances à l'ensemble de la communauté.

Avant deux anecdotes, des choses simples

Je veux commencer par deux anecdotes, pour bien montrer combien le sujet est important... mais comme beaucoup de mes amis ignorent ce qu'est une molécule, je commence par un exemple.


La suite sur http://www.agroparistech.fr/Les-molecules-et-les-composes.html

mercredi 15 juin 2016

Le végétal, un nouveau pétrole ?



 Mon ami Jean-François Maurot Gaudry publie un livre intitulé "Le végétal, nouveau pétrole ?". De quoi s'agit-il ?

L’Académie d’Agriculture de France s’intéresse depuis plusieurs années à la valorisation de la matière biologique végétale notamment pour des applications autres qu’alimentaires.

 En effet, suite à l’« oubli » qu’a amené l’arrivée des produits carbonés fossiles, charbon, gaz et pétrole, dans les pays industrialisés, nous redécouvrons depuis peu que beaucoup de produits chimiques carbonés (lubrifiants, solvants, tensioactifs, etc.), matières énergétiques et matériaux (matières plastiques, par exemple) peuvent aussi être fabriqués à partir de la matière biologique, la biomasse, à des coûts énergétiques relativement bas tout en rejetant peu de gaz à effet de serre et de produits toxiques dans l’environnement.

Cette prise de conscience nous a amenés à revoir notre façon de penser et notre manière de vivre et à nous orienter vers une nouvelle économie dite bioéconomie, qui préconise de réduire ou de remplacer le plus possible l’utilisation de ces hydrocarbures fossiles par des ressources végétales renouvelables produites par la photosynthèse.


Cet ouvrage rappelle tout d’abord les problèmes posés par l’utilisation massive, voire exclusive dans certains cas, des produits fossiles pour la chimie et la fabrication des matériaux à base de carbone. Il décrit ensuite les principaux composés rencontrés dans les végétaux et leurs transformations en biomolécules et bioproduits, à la base de la chimie organique.

 Il évoque les avantages et les problèmes posés par cette approche durable de la chimie, aux racines finalement ancestrales. Une liste des principales plantes d’intérêt est donnée pour montrer combien de nombreux végétaux sont encore détenteurs de molécules originales pour la chimie, parfumerie et cosmétologie incluses. Une discussion conclusive sur les retombées économiques, sociétales et environnementales de cette approche « chimie biosourcée » montre que cette économie « verte » n’est pas une utopie mais une réalité qui prend forme dans un monde conscient des limites de l’utilisation excessive des produits fossiles.

Dans un esprit de synthèse, sans être exhaustifs, il a essayé d’être le plus objectif possible dans les débats qu’engendre cette nouvelle approche de la chimie issue essentiellement de produits biologiques végétaux. Ces réflexions essaient de croiser, sans a priori ni exclusive, les connaissances les plus récentes avec les attentes technologiques nécessaires à une chimie et agriculture durables.

Jean-François Morot-Gaudry, directeur de recherche honoraire de l’INRA, a animé à l’Académie d’agriculture de France un groupe de travail intéressé par la valorisation non alimentaire des produits agricoles en chimie et biomatériaux.

Les résultats des recherches et réflexions de ce groupe ont fait l’objet de la publication de cet ouvrage paru aux éditions Quae.





dimanche 12 juin 2016

Faire n'est pas comprendre

Commençons par un avertissement : ce que je dis ici est factuel. Ce n'est pas une critique des étudiants ou des collègues, mais une nécessaire observation, en vue d'améliorer l'enseignement. Et, pour sous-tendre toute la discussion qui suit, merci de garder en tête les mots "indulgence", "bonté", "réalisme", "pragmatisme", "idéal", "amélioration"... Je ne donne pas de leçons, mais j'essaie d'oeuvrer pour le bien commun ; oui, je ne donne pas de leçons, car je n'oublie pas que je suis personnellement insuffisant, en tant qu'étudiant, en tant qu'enseignant, en tant que chercheur  (mais j'essaie de me soigner par le travail).

Ca y est ? On est dans état d'esprit indulgent ? Alors allons-y.

D'abord, c'est un fait que certains collègues ne me croient pas quand je leur dis que certains étudiants de mastère ont des capacités de calcul extrèmement réduites. C'est pourtant un fait, notamment pour les matières qui s'éloignent de la physique :  quand j'évoque le potentiel chimique, ou l'enthalpie libre, ou l'ensemble micro-canonique, ou encore l'équation de Schrödinger, les éudiants de chimie, de biochimie, de biologie, de nutrition sont souvent ignorants de ces notions. Quand ils sont en confiance, ils admettent se souvenir que ces mots ont été prononcés dans le premier cycle universitaire (ouf !)... et qu'ils ont tout oublié de ce dont il s'agit. Il leur reste les mots, mais, en tout cas, ils ne sont certainement plus (pas ?)capables de mettre en oeuvre les concepts en question.  
Là, il faut que je remette une couche de précautions liminaires. Avec deux remarques :  la première est que je ne condamne évidemment pas les disciplines éloignées de la physique, et qui ont une autre spécificité. La deuxième est que je ne condamne pas non plus les étudiants ;  j'observe seulement que les notions précédentes leur manquent, de sorte qu'il devient difficile de construire un enseignement "par dessus", disons un enseignement qui utilise ces idées pour aller plus loin, vers du savoir de notre vingt-et-unième siècle. 

Mais nous n'en sommes qu'au début de la discussion. Le cas le plus intéressant est celui de la règle de trois, qui, je le maintiens, n'est pas maîtrisée.
Là, mes collègues me disent généralement que j'exagère, mais j'ai dans mon bureau, accrochée au mur, une feuille où deux étudiants de mastère ont eu la même règle de trois à faire et ont produit deux résultats différents. Un des deux résultats est faux, donc, et l'autre est juste, mais l'étudiant qui l'a produit n'était pas prêt à parier une bouteille de champagne que son calcul était bon.  D'ailleurs, je ne conserve cette feuille que comme une preuve de ce que j'avance, pour les autres, car, pour moi, je sais parfaitement que la très  grande majorité des étudiants venus en stage ont perdu environ une semaine de travail en raison de calculs de concentrations qui étaient faux, ce qui revient à l'usage de la règle de trois.

Prenons la question simplement.
D'abord, un exemple. Supposons que pour 2,03 euros on ait 0,57 kg de banane, combien aurait-on pour 7,51 euros ?
Quand je pose la question, j'ai deux types de réponses : il y a les étudiants qui mettent correctement en oeuvre le "produit en croix", et qui, de ce fait, obtiennent un résultat juste, et ceux qui ne mettent pas correctement en oeuvre la technique -mécanique, il faut le répéter- et qui ont un résultat aléatoire, ce qui est une façon pudique de dire que le résultat est faux (dans la majorité des cas).
Pour ces derniers, on peut trouver des explications (ils sont intimidés, par exemple), mais quand même : ne doit-on pas s'interroger sur les mécanismes qui ont permis de faire arriver jusqu'en mastère de science des étudiants qui ne savent pas faire une règle de trois ? Je suis moins de ceux qui passent leur temps à analyser des questions difficiles, que de ceux qui, bien plus positivement, cherchent à rendre tous les étudiants autonomes  :  à les rendre tous capables de produire un résultat juste tout en étant assurés que ce résultat est juste puisque, un jour, plus personne ne sera derrière eux pour le valider.
Et c'est pour cette raison que je les questionne en leur demandant s'ils seraient prêts à parier une caisse de champagne sur le résultat qu'ils produisent. Je n'ai jamais eu personne prêt à faire ce pari, et encore moins quand j'évoque que leur vie puisse en dépendre. 
La vraie question est là, la question honnête : comment être certain que notre calcul est  juste?
La mise en oeuvre du produit en croix n'est pas une garantie de l'exactitude du résultat. C'est une opération mécanique,  comme une espèce de petite boîte noire munie d'une manivelle que l'on tournerait : on produit un résultat, mais la question est de savoir si ce résultat est juste  Il y a lieu de s'interroger puisque deux étudiants qui utilisent cette machine ont produit deux résultats différents.
Quand, finalement, les étudiants ont compris mon interrogation, ils en viennent à  demander une méthode pour être certains de leurs résultats, et il n'est pas difficile de se mettre alors devant un ordinateur et de taper lentement :
 - pour 2,23 euros, on a 0,57 kg de banane
 - pour 2,23 fois moins d'argent, on a  2,23 fois moins de bananes
 - donc pour 2,23 euros divisé par 2,23, on a 0,57 divisé par 2.23 kg de bananes
 - c'est-à-dire que pour 1 euros on a cette quantité  : 0,57 divisé par 2,23
 - mais si on a 7,51 euros, c'est 7,51 fois plus que 1 euro
 - de sorte que pour  7,51 euros, on a   7,51 fois 0,57 divisé par 2,23
Cette fois il n'y a plus de raison de se tromper ; il n'y a plus de possibilité de se tromper, et il ne reste qu'à s'émerveiller de la remarquable idée de proportionnalité. Cette notion apparaît quand nous faisons l'hypothèse que pour 2,23 fois moins d'argent, nous avons 2,23 fois moins de banane, et je maintiens que c'est là une des plus grandes difficultés des mathématiques élémentaires, avec peut-être la possibilité de remplacer des valeurs par des lettres. Bien sûr, pour m'expliquer la proportionnalité, on pourra me faire des schémas, me tracer des droites, etc., mais je maintiens qu'il y a une difficulté conceptuelle essentielle, qui n'est pas toujours perçue à sa vraie valeur, tout comme, et j'en tiens pour preuve les innombrables petits cours que je donnais, la difficulté de manier des équations, où des lettres représentent des quantités.

Plus tard, dans l'enseignement universitaire, le même type de difficultés demeure, par exemple quand il est question de potentiel chimique. Les étudiants habitués à faire marcher la mécanique arrivent à  manipuler les équations et,  notamment, à  calculer des potentiels chimiques, mais combien ont-ils vraiment compris que le potentiel chimique d'une solution est comme l'énergie potentielle d'une bille, en bas ou en haut d'une montagne ? Combien ont-ils vraiment compris que l'ajout d'un soluté change l'énergie (chimique) de la solution ? Là est l'origine de l'osmose, où des solutions de concentrations différentes d'un même soluté évoluent quand elles sont séparées par une membrane semi-perméable. Qu'il y ait évolution du système est bien la preuve que l'énergie était initalement différente dans les deux compartiments, de sorte que progressivement, les échanges de matière à travers la membrane (le plus souvent, de l'eau) égalent les énergies entre les deux compartiments, ce qui  est l'équilibre thermodynamique.  Et c'est ainsi, finalement, que la pression osmotique peut être calculée.

Dans le cas de la règle de trois, comme dans ce cas plus compliqué du potentiel chimique, il y a utilité à ne pas s'arrêter au maniement des équations, mais à aller plus loin, vers la compréhension des phénomènes. Oui, il y  en a quelques uns qui calculent comme les oiseaux chantent, et je suis de ceux-là. Le calcul se fait presque à notre insu, et, pour peu que nous ayons des règles sufisamment strictes, que nous connaissions les conditions dans lesquelles la mécanique calculatoire est possible,  alors tout se passe bien, et le calcul est juste. Mais il y a aussi la possibilité de comprendre, et, alors, le calcul devient une expression de notre pensée des phénomènes, et non le socle sur lequel ccette pensée s'érigera.

On a compris, bien sûr, que mon questionnement est relatif à  l'enseignement des sciences de la nature, et que je ne prends là  que des exemples. La vraie question est de bien dire à nos jeunes amis que la question essentielle est la conservation de l'énergie, la  conservation de la masse (laquelle est la "quantité de matière", plus que le nombre de moles, comme le disent certains chimistes), la conservation de la charg électrique. Voilà des notions universelles, à utiliser sans cesse, pour obotenir des calculs bien pensés et justes.