Pour la rédaction les rapports, des articles, etc., j'ai proposé à mes jeunes amis la méthode que j'ai nommée "1/3/9/27". J'en ai fait une présentation détaillée, où je dis notamment que cette méthode consiste à ne surtout pas se lancer dans la rédaction de l'introduction, d'en faire des pages des pages pour s'apercevoir ensuie que, alors qu'on n'est encore qu'au début, on a atteint la taille maximale du document que l'on doit rendre.
J'ai proposé, au contraire, de partir d'un état que je nomme "1", et qui se réduit à un titre. Puis on divise ce premier "document" en un document avec un seul niveau de détails, pour faire un nouveau document que je nomme "3", comme quand on fait une pâte feuilletée. Puis on développe chaque partie en quelques sous parties (que l'on ne rédige surtout pas !), afin d'obtenir un troisième document que l'on nomme "9". Et ainsi de suite : on divise les sous parties en sous sous parties, et l'on s'arrête quand le document a la taille voulue, méthode qui permet d'avoir quelque chose de structuré, d'une part, de la bonne longueur, d'autre part, avec un niveau de détail homogène.
Bien sûr, le nom 1-3-9-27 est impropre, parce que, parfois, il y a lieu de développer non pas en trois, mais en deux, ou en quatre, ou en cinq, selon les cas, mais je prend la peinde de l'expliquer dans le document de présentation de la méthode.
Or j'observe que je suis bien souvent mal compris, et de jeunes amis font tout à travers, en m'assurant avoir essayé de suivre mes conseils, ma méthode.
Pourquoi n'ont-ils pas compris ? Sont-ils idiots ? Suis-je obscur ?
À la relecture, je vois mal comment être plus clair que je viens de l'être, d'autant que je donne des exemples, dans mon document explicatif.
Serait-ce le nom de la méthode qui les induit en erreur ? Il est vrai que j'en ai vu qui venaient me demander comment faire pour diviser en 3 alors qu'ils avaient 4 parties. Je me suis relu et j'ai bien vu qu'il y avait marqué que quand il y avait 4 parties nécessaires, on faisait 4 parties.
Décidément, je ne comprends pas où est l'obscurité dans les explications, sauf peut-être avec ce nom qui effectivement est impropre.
Comment faudrait-il donc dire ? Méthode d'écriture par développements successifs ? Ou plutôt méthode d'écriture par développements en parallèle ? Surtout, le changement de nom sera-t-il suffisant pour me faire bien comprendre ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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mercredi 22 septembre 2021
J'ai peur de ne pas être toujours assez clair
dimanche 27 août 2017
En science, il y a lieu de comprendre… mais c'est cela le bonheur de notre activité scientifique !
Analysant rétrospectivement une série d'expériences que je viens de terminer, je m’aperçois que ma supériorité scientifique (ne craignez rien : les chevilles n'enflent pas) par rapport à des étudiants venus récemment en stage tient notamment au fait que je ne me résous jamais à faire quelque chose que je ne comprends pas.
Par exemple, considérons les protocoles d'analyse par des méthodes du type de la chromatographie en phase gazeuse. Dans le principe, c'est tout simple : on prend un échantillon liquide à l'aide d'une seringue, et on l'injecte dans une « colonne » chauffée (un très long et fin tuyau, de plusieurs mètres de long, du diamètre d'un cheveu, enroulé sur lui même afin de ne pas occuper trop de place) où souffle un courant régulier d'un gaz. Le liquide est évaporé et la vapeur est emportée par le gaz. Quand l'échantillon contient des molécules de plusieurs types, c'est-à-dire quand l'échantillon injecté est constitué de plusieurs composés, ces derniers migrent à des vitesses différentes, de sorte qu'ils arrivent séparés à la sortir du tuyau, ce qui permet de les analyser.
Quand on fait une telle analyse, on commence par chercher un protocole, dans une publication scientifique. En supposant que les molécules qui nous intéressent ont déjà été analysées par la méthode que l'on a retenue, on en vient à reconnaître que, puisque la méthode a été publiée, elle a été évaluée par les pairs, de sorte qu'elle est validée, et utilisable. Comme nous faisons tous de même, les mêmes méthodes se répètent généralement de publication en publication, chacun se citant légitimement.
Pourtant, quand on analyse l'historique d'une telle méthode, on observe que, bien souvent, l'esprit des méthodes est progressivement transformé, et je dirais même perverti, au point que l'on se retrouve finalement avec des usines à gaz : une méthode simple, qui avait été mise au point pour un cas particulier, est ensuite compliquée pour un cas un peu différent, puis cette méthode est encore compliquée pour un autre cas analogue, jusqu'à ce que l'on arrive à l'usine à gaz.
Il y a alors lieu, face à des méthodes compliquées que nous lisons dans des publications, de se poser la question de la légitimité des détails expérimentaux, et il arrive fréquemment que, face à une usine à gaz, on puisse simplifier le protocole en revenant à des principes simples tels que « l'huile n'est pas soluble dans l'eau ». Je sais d'ailleurs un camarade de promotion de l'Ecole supérieure de physique et de chimie de Paris (ESPCI) qui a fait faire des économies immenses à une très grosse société dont il a remis à plat les formules.
Il y a donc toujours lieu de bien comprendre ce que l'on fait. Cela vaut pour les méthodes, pour les protocoles, pour tout ! Par exemple, on lit que pour préparer une solution d'amidon, il faut chauffer de l'amidon dans l'eau et ajouter du sel. Pourquoi chauffer ? Pourquoi du sel ? En l'occurrence il faut chauffer parce que l'amidon est présent sous la forme de petits grains insolubles de deux composés, amylose et amylopectine ; pour certains dosages, l'amylose doit être libéré en solution. Mais l'amylose est sous la forme cristallisée dans les grains d'amidon, et il faut chauffer pour que l'amylose passe en solution. Le sel ? Quand l'eau qui contient l'amylose en solution refroidit, les molécules d'amylose ont tendance à recristalliser, et le sel évite cette recristallisation. Pourquoi le sel évite-t-il la recristallisation ? Voilà le type de questions qu'il serait erroné de croire allant à l'infini : ce serait un relativisme idiot, car, en réalité, un peu de jugeotte permet de s'arrêter judicieusement. Mais, surtout, ce sont des questions importantes, qu'il faut considérer soigneusement pour éviter de faire n'importe quoi : par exemple omettre le sel, ou en mettre des quantités inappropriées, etc.
Pour tous nos actes scientifiques, qu'il s'agisse de calcul ou d'expérimentations, nous devons absolument comprendre ce que nous faisons, sans quoi nous ferons environ n'importe quoi et nos travaux scientifiques seront inutiles.
dimanche 12 juin 2016
Faire n'est pas comprendre
Commençons par un avertissement : ce que je dis ici est factuel. Ce n'est pas une critique des étudiants ou des collègues, mais une nécessaire observation, en vue d'améliorer l'enseignement. Et, pour sous-tendre toute la discussion qui suit, merci de garder en tête les mots "indulgence", "bonté", "réalisme", "pragmatisme", "idéal", "amélioration"... Je ne donne pas de leçons, mais j'essaie d'oeuvrer pour le bien commun ; oui, je ne donne pas de leçons, car je n'oublie pas que je suis personnellement insuffisant, en tant qu'étudiant, en tant qu'enseignant, en tant que chercheur (mais j'essaie de me soigner par le travail).
Ca y est ? On est dans état d'esprit indulgent ? Alors allons-y.
D'abord, c'est un fait que certains collègues ne me croient pas quand je leur dis que certains étudiants de mastère ont des capacités de calcul extrèmement réduites. C'est pourtant un fait, notamment pour les matières qui s'éloignent de la physique : quand j'évoque le potentiel chimique, ou l'enthalpie libre, ou l'ensemble micro-canonique, ou encore l'équation de Schrödinger, les éudiants de chimie, de biochimie, de biologie, de nutrition sont souvent ignorants de ces notions. Quand ils sont en confiance, ils admettent se souvenir que ces mots ont été prononcés dans le premier cycle universitaire (ouf !)... et qu'ils ont tout oublié de ce dont il s'agit. Il leur reste les mots, mais, en tout cas, ils ne sont certainement plus (pas ?)capables de mettre en oeuvre les concepts en question.
Là, il faut que je remette une couche de précautions liminaires. Avec deux remarques : la première est que je ne condamne évidemment pas les disciplines éloignées de la physique, et qui ont une autre spécificité. La deuxième est que je ne condamne pas non plus les étudiants ; j'observe seulement que les notions précédentes leur manquent, de sorte qu'il devient difficile de construire un enseignement "par dessus", disons un enseignement qui utilise ces idées pour aller plus loin, vers du savoir de notre vingt-et-unième siècle.
Mais nous n'en sommes qu'au début de la discussion. Le cas le plus intéressant est celui de la règle de trois, qui, je le maintiens, n'est pas maîtrisée.
Là, mes collègues me disent généralement que j'exagère, mais j'ai dans mon bureau, accrochée au mur, une feuille où deux étudiants de mastère ont eu la même règle de trois à faire et ont produit deux résultats différents. Un des deux résultats est faux, donc, et l'autre est juste, mais l'étudiant qui l'a produit n'était pas prêt à parier une bouteille de champagne que son calcul était bon. D'ailleurs, je ne conserve cette feuille que comme une preuve de ce que j'avance, pour les autres, car, pour moi, je sais parfaitement que la très grande majorité des étudiants venus en stage ont perdu environ une semaine de travail en raison de calculs de concentrations qui étaient faux, ce qui revient à l'usage de la règle de trois.
Prenons la question simplement.
D'abord, un exemple. Supposons que pour 2,03 euros on ait 0,57 kg de banane, combien aurait-on pour 7,51 euros ?
Quand je pose la question, j'ai deux types de réponses : il y a les étudiants qui mettent correctement en oeuvre le "produit en croix", et qui, de ce fait, obtiennent un résultat juste, et ceux qui ne mettent pas correctement en oeuvre la technique -mécanique, il faut le répéter- et qui ont un résultat aléatoire, ce qui est une façon pudique de dire que le résultat est faux (dans la majorité des cas).
Pour ces derniers, on peut trouver des explications (ils sont intimidés, par exemple), mais quand même : ne doit-on pas s'interroger sur les mécanismes qui ont permis de faire arriver jusqu'en mastère de science des étudiants qui ne savent pas faire une règle de trois ? Je suis moins de ceux qui passent leur temps à analyser des questions difficiles, que de ceux qui, bien plus positivement, cherchent à rendre tous les étudiants autonomes : à les rendre tous capables de produire un résultat juste tout en étant assurés que ce résultat est juste puisque, un jour, plus personne ne sera derrière eux pour le valider.
Et c'est pour cette raison que je les questionne en leur demandant s'ils seraient prêts à parier une caisse de champagne sur le résultat qu'ils produisent. Je n'ai jamais eu personne prêt à faire ce pari, et encore moins quand j'évoque que leur vie puisse en dépendre.
La vraie question est là, la question honnête : comment être certain que notre calcul est juste?
La mise en oeuvre du produit en croix n'est pas une garantie de l'exactitude du résultat. C'est une opération mécanique, comme une espèce de petite boîte noire munie d'une manivelle que l'on tournerait : on produit un résultat, mais la question est de savoir si ce résultat est juste Il y a lieu de s'interroger puisque deux étudiants qui utilisent cette machine ont produit deux résultats différents.
Quand, finalement, les étudiants ont compris mon interrogation, ils en viennent à demander une méthode pour être certains de leurs résultats, et il n'est pas difficile de se mettre alors devant un ordinateur et de taper lentement :
- pour 2,23 euros, on a 0,57 kg de banane
- pour 2,23 fois moins d'argent, on a 2,23 fois moins de bananes
- donc pour 2,23 euros divisé par 2,23, on a 0,57 divisé par 2.23 kg de bananes
- c'est-à-dire que pour 1 euros on a cette quantité : 0,57 divisé par 2,23
- mais si on a 7,51 euros, c'est 7,51 fois plus que 1 euro
- de sorte que pour 7,51 euros, on a 7,51 fois 0,57 divisé par 2,23
Cette fois il n'y a plus de raison de se tromper ; il n'y a plus de possibilité de se tromper, et il ne reste qu'à s'émerveiller de la remarquable idée de proportionnalité. Cette notion apparaît quand nous faisons l'hypothèse que pour 2,23 fois moins d'argent, nous avons 2,23 fois moins de banane, et je maintiens que c'est là une des plus grandes difficultés des mathématiques élémentaires, avec peut-être la possibilité de remplacer des valeurs par des lettres. Bien sûr, pour m'expliquer la proportionnalité, on pourra me faire des schémas, me tracer des droites, etc., mais je maintiens qu'il y a une difficulté conceptuelle essentielle, qui n'est pas toujours perçue à sa vraie valeur, tout comme, et j'en tiens pour preuve les innombrables petits cours que je donnais, la difficulté de manier des équations, où des lettres représentent des quantités.
Plus tard, dans l'enseignement universitaire, le même type de difficultés demeure, par exemple quand il est question de potentiel chimique. Les étudiants habitués à faire marcher la mécanique arrivent à manipuler les équations et, notamment, à calculer des potentiels chimiques, mais combien ont-ils vraiment compris que le potentiel chimique d'une solution est comme l'énergie potentielle d'une bille, en bas ou en haut d'une montagne ? Combien ont-ils vraiment compris que l'ajout d'un soluté change l'énergie (chimique) de la solution ? Là est l'origine de l'osmose, où des solutions de concentrations différentes d'un même soluté évoluent quand elles sont séparées par une membrane semi-perméable. Qu'il y ait évolution du système est bien la preuve que l'énergie était initalement différente dans les deux compartiments, de sorte que progressivement, les échanges de matière à travers la membrane (le plus souvent, de l'eau) égalent les énergies entre les deux compartiments, ce qui est l'équilibre thermodynamique. Et c'est ainsi, finalement, que la pression osmotique peut être calculée.
Dans le cas de la règle de trois, comme dans ce cas plus compliqué du potentiel chimique, il y a utilité à ne pas s'arrêter au maniement des équations, mais à aller plus loin, vers la compréhension des phénomènes. Oui, il y en a quelques uns qui calculent comme les oiseaux chantent, et je suis de ceux-là. Le calcul se fait presque à notre insu, et, pour peu que nous ayons des règles sufisamment strictes, que nous connaissions les conditions dans lesquelles la mécanique calculatoire est possible, alors tout se passe bien, et le calcul est juste. Mais il y a aussi la possibilité de comprendre, et, alors, le calcul devient une expression de notre pensée des phénomènes, et non le socle sur lequel ccette pensée s'érigera.
On a compris, bien sûr, que mon questionnement est relatif à l'enseignement des sciences de la nature, et que je ne prends là que des exemples. La vraie question est de bien dire à nos jeunes amis que la question essentielle est la conservation de l'énergie, la conservation de la masse (laquelle est la "quantité de matière", plus que le nombre de moles, comme le disent certains chimistes), la conservation de la charg électrique. Voilà des notions universelles, à utiliser sans cesse, pour obotenir des calculs bien pensés et justes.
Ca y est ? On est dans état d'esprit indulgent ? Alors allons-y.
D'abord, c'est un fait que certains collègues ne me croient pas quand je leur dis que certains étudiants de mastère ont des capacités de calcul extrèmement réduites. C'est pourtant un fait, notamment pour les matières qui s'éloignent de la physique : quand j'évoque le potentiel chimique, ou l'enthalpie libre, ou l'ensemble micro-canonique, ou encore l'équation de Schrödinger, les éudiants de chimie, de biochimie, de biologie, de nutrition sont souvent ignorants de ces notions. Quand ils sont en confiance, ils admettent se souvenir que ces mots ont été prononcés dans le premier cycle universitaire (ouf !)... et qu'ils ont tout oublié de ce dont il s'agit. Il leur reste les mots, mais, en tout cas, ils ne sont certainement plus (pas ?)capables de mettre en oeuvre les concepts en question.
Là, il faut que je remette une couche de précautions liminaires. Avec deux remarques : la première est que je ne condamne évidemment pas les disciplines éloignées de la physique, et qui ont une autre spécificité. La deuxième est que je ne condamne pas non plus les étudiants ; j'observe seulement que les notions précédentes leur manquent, de sorte qu'il devient difficile de construire un enseignement "par dessus", disons un enseignement qui utilise ces idées pour aller plus loin, vers du savoir de notre vingt-et-unième siècle.
Mais nous n'en sommes qu'au début de la discussion. Le cas le plus intéressant est celui de la règle de trois, qui, je le maintiens, n'est pas maîtrisée.
Là, mes collègues me disent généralement que j'exagère, mais j'ai dans mon bureau, accrochée au mur, une feuille où deux étudiants de mastère ont eu la même règle de trois à faire et ont produit deux résultats différents. Un des deux résultats est faux, donc, et l'autre est juste, mais l'étudiant qui l'a produit n'était pas prêt à parier une bouteille de champagne que son calcul était bon. D'ailleurs, je ne conserve cette feuille que comme une preuve de ce que j'avance, pour les autres, car, pour moi, je sais parfaitement que la très grande majorité des étudiants venus en stage ont perdu environ une semaine de travail en raison de calculs de concentrations qui étaient faux, ce qui revient à l'usage de la règle de trois.
Prenons la question simplement.
D'abord, un exemple. Supposons que pour 2,03 euros on ait 0,57 kg de banane, combien aurait-on pour 7,51 euros ?
Quand je pose la question, j'ai deux types de réponses : il y a les étudiants qui mettent correctement en oeuvre le "produit en croix", et qui, de ce fait, obtiennent un résultat juste, et ceux qui ne mettent pas correctement en oeuvre la technique -mécanique, il faut le répéter- et qui ont un résultat aléatoire, ce qui est une façon pudique de dire que le résultat est faux (dans la majorité des cas).
Pour ces derniers, on peut trouver des explications (ils sont intimidés, par exemple), mais quand même : ne doit-on pas s'interroger sur les mécanismes qui ont permis de faire arriver jusqu'en mastère de science des étudiants qui ne savent pas faire une règle de trois ? Je suis moins de ceux qui passent leur temps à analyser des questions difficiles, que de ceux qui, bien plus positivement, cherchent à rendre tous les étudiants autonomes : à les rendre tous capables de produire un résultat juste tout en étant assurés que ce résultat est juste puisque, un jour, plus personne ne sera derrière eux pour le valider.
Et c'est pour cette raison que je les questionne en leur demandant s'ils seraient prêts à parier une caisse de champagne sur le résultat qu'ils produisent. Je n'ai jamais eu personne prêt à faire ce pari, et encore moins quand j'évoque que leur vie puisse en dépendre.
La vraie question est là, la question honnête : comment être certain que notre calcul est juste?
La mise en oeuvre du produit en croix n'est pas une garantie de l'exactitude du résultat. C'est une opération mécanique, comme une espèce de petite boîte noire munie d'une manivelle que l'on tournerait : on produit un résultat, mais la question est de savoir si ce résultat est juste Il y a lieu de s'interroger puisque deux étudiants qui utilisent cette machine ont produit deux résultats différents.
Quand, finalement, les étudiants ont compris mon interrogation, ils en viennent à demander une méthode pour être certains de leurs résultats, et il n'est pas difficile de se mettre alors devant un ordinateur et de taper lentement :
- pour 2,23 euros, on a 0,57 kg de banane
- pour 2,23 fois moins d'argent, on a 2,23 fois moins de bananes
- donc pour 2,23 euros divisé par 2,23, on a 0,57 divisé par 2.23 kg de bananes
- c'est-à-dire que pour 1 euros on a cette quantité : 0,57 divisé par 2,23
- mais si on a 7,51 euros, c'est 7,51 fois plus que 1 euro
- de sorte que pour 7,51 euros, on a 7,51 fois 0,57 divisé par 2,23
Cette fois il n'y a plus de raison de se tromper ; il n'y a plus de possibilité de se tromper, et il ne reste qu'à s'émerveiller de la remarquable idée de proportionnalité. Cette notion apparaît quand nous faisons l'hypothèse que pour 2,23 fois moins d'argent, nous avons 2,23 fois moins de banane, et je maintiens que c'est là une des plus grandes difficultés des mathématiques élémentaires, avec peut-être la possibilité de remplacer des valeurs par des lettres. Bien sûr, pour m'expliquer la proportionnalité, on pourra me faire des schémas, me tracer des droites, etc., mais je maintiens qu'il y a une difficulté conceptuelle essentielle, qui n'est pas toujours perçue à sa vraie valeur, tout comme, et j'en tiens pour preuve les innombrables petits cours que je donnais, la difficulté de manier des équations, où des lettres représentent des quantités.
Plus tard, dans l'enseignement universitaire, le même type de difficultés demeure, par exemple quand il est question de potentiel chimique. Les étudiants habitués à faire marcher la mécanique arrivent à manipuler les équations et, notamment, à calculer des potentiels chimiques, mais combien ont-ils vraiment compris que le potentiel chimique d'une solution est comme l'énergie potentielle d'une bille, en bas ou en haut d'une montagne ? Combien ont-ils vraiment compris que l'ajout d'un soluté change l'énergie (chimique) de la solution ? Là est l'origine de l'osmose, où des solutions de concentrations différentes d'un même soluté évoluent quand elles sont séparées par une membrane semi-perméable. Qu'il y ait évolution du système est bien la preuve que l'énergie était initalement différente dans les deux compartiments, de sorte que progressivement, les échanges de matière à travers la membrane (le plus souvent, de l'eau) égalent les énergies entre les deux compartiments, ce qui est l'équilibre thermodynamique. Et c'est ainsi, finalement, que la pression osmotique peut être calculée.
Dans le cas de la règle de trois, comme dans ce cas plus compliqué du potentiel chimique, il y a utilité à ne pas s'arrêter au maniement des équations, mais à aller plus loin, vers la compréhension des phénomènes. Oui, il y en a quelques uns qui calculent comme les oiseaux chantent, et je suis de ceux-là. Le calcul se fait presque à notre insu, et, pour peu que nous ayons des règles sufisamment strictes, que nous connaissions les conditions dans lesquelles la mécanique calculatoire est possible, alors tout se passe bien, et le calcul est juste. Mais il y a aussi la possibilité de comprendre, et, alors, le calcul devient une expression de notre pensée des phénomènes, et non le socle sur lequel ccette pensée s'érigera.
On a compris, bien sûr, que mon questionnement est relatif à l'enseignement des sciences de la nature, et que je ne prends là que des exemples. La vraie question est de bien dire à nos jeunes amis que la question essentielle est la conservation de l'énergie, la conservation de la masse (laquelle est la "quantité de matière", plus que le nombre de moles, comme le disent certains chimistes), la conservation de la charg électrique. Voilà des notions universelles, à utiliser sans cesse, pour obotenir des calculs bien pensés et justes.
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