Ce matin, des questions auxquelles je réponds sans attendre, puisqu'elles concernent les enfants, donc la construction du monde de demain, qui DOIT être meilleur que celui d'aujourd'hui :
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Ce matin, des questions auxquelles je réponds sans attendre, puisqu'elles concernent les enfants, donc la construction du monde de demain, qui DOIT être meilleur que celui d'aujourd'hui :
(suite)
Il se place d'ailleurs résolument en dehors du cadre légaliste, et un paragraphe, moraliste, de sa conclusion, me paraît mériter d'être souligné : « Notre principale erreur a été d'attendre, passivement, qu'une loi nous tombe du ciel. Elle est tombée de l'extérieur. Cela limite singulièrement sa portée, pour le meilleur ou pour le pire. Si elle avait été parfaite, sa réussite aurait dépendu de nous. Dans la mesure où elle ne l'est pas, la suite dépend tout autant de nous. » J'y reviendrai : Laurent Schwartz, je crois que c'est effectivement notre arme principale pour « sauver l'université ».
La thèse de Laurent Schwartz peut-être résumée très simplement, bien que ce soit faire injure à ce livre que d'en présenter seulement le squelette, alors que son importance vient aussi de son ton et de son style, et surtout de sa profondeur, de la richesse et de la densité de son argumentation. Sa thèse et schématiquement la suivante :
Un pays n'est grand que s'il peut compter, pour former ses élites et développer sa recherche, sur des universités (et, en France, des grandes écoles) de qualité. Pour que des universités puisse fonctionner bien et maintenir leur qualité, il faut qu'elles puissent sélectionner leurs étudiants. Cette sélection doit être synonyme, non d'élimination, mais d'orientation, et démocratisation puisque elle doit faciliter la préparation à un métier et le développement d'une culture. Il doit être possible de créer, à côté des « grandes universités », un réseau dense de « collèges universitaires », aux objectifs voisin de ceux des IUT actuels, et d'assurer à chaque élève qu'il aura « le droit d'entrer dans au moins une des universités de son académie. » La sélection des étudiants implique leur mobilité, et doit s'accompagner d'une concurrence entre les universités, conduisant à une « hiérarchisation ». La sélection, qui touche déjà environ 45 % des bénéficiaires des enseignements supérieurs, permettra un rapprochement des universités et des grandes écoles qui, malgré leur haut niveau dû au fait qu'elles recrutent « les meilleurs étudiants de chaque génération », doivent évoluer pour former davantage de cadres scientifiques et techniques, plutôt que des cadres administratifs. Les grandes écoles et les "grandes universités" doivent être des lieux privilégiés d'exercice de la recherche - plus technologique dans les premières, plus scientifique dans les secondes, mais partout au plus haut niveau. La politique de recherche d'un établissement ne peut être établie que par les personnes compétentes, qui doivent pouvoir choisir elles-mêmes leur représentants : il faut donc que les conseils scientifiques comprennent une proportion importante de professeurs, élus par eux-mêmes, ce qui condamne le "collège unique" prévu entre professeurs et maîtres-assistants (alias maîtres de conférences). Par contre, il faut, à tous les niveaux, des instances d'évaluation. Tout ceci, pour assurer "qualité, diversité, responsabilité", les trois conditions du salut.
à suivre...
On m'interroge aujourd'hui sur les "sels minéraux" dans l'eau de boisson. Et mon interlocuteur est perdu, entre les minéraux, les sels minéraux, les ions...
Tout cela n'est guère difficile à condition de bien expliquer, en commençant par un exemple. Partons de l'eau de mer, qui est salée, et évaporons-la : nous récupérons un solide gris, qui est "minéral", parce qu'il n'est ni animal, ni végétal, ni vivant en général. Ce sel marin est un mélange de cristaux de différentes tailles et couleurs, mais il est principalement composé de cristaux de "sel", un terme un peu abusivement pour désigner du chlorure de sodium (je n'explique pas pourquoi on le nomme "un sel", et non pas "le sel").
Ce sel gris peut être raffiné, à savoir qu'on le redissout dans l'eau avant de le recristalliser. Et le sel blanc que l'on obtient alors est fait de petits cristaux individuellement transparents (ce sont les reflets de la lumière du jour sur les faces planes de ces cristaux qui les font apparaître blancs). Et ces cristaux de sel de table sont du "chlorure de sodium" presque pur, avec un empilement régulier, comme des cubes empilés, de deux sortes d'atomes : des atomes de sodium, et des atomes de chlore.
En réalité, ces atomes sont fermement tenus - jusqu'à faire un solide dur-, parce que les atomes de sodium libèrent une petite partie d'eux-mêmes (des "électrons"), tandis que les atomes de chlore les captent. Ainsi, les deux sortes d'atomes deviennent ce que l'on nomme des "ions", et ces ions sont électriquement chargés, de sorte qu'ils s'attirent, un peu comme des aimants peuvent s'attirer.
Si nous mettons ce sel dans de l'eau, les ions sodium et chlore (on dit plutôt "chlorure") se dispersent, en s'entourant de molécules d'eau, et nous obtenons de l'eau salée. Il y a deux parties dans cette eau salée :
- l'eau
- le contenu "minéral", à savoir les ions sodium et chlorure.
Oui, minéral, parce que cela n'est pas vivant, quoi qu'en disent des illuminés (au sens péjoratif du terme), qui évoquent de l'"énergie", de la "dynamique", de la "mémoire", bref, une foule de choses pas avérées, et qui ne sont que le fruit de leur délire. Il faut le redire : le minéral n'est pas le vivant ! Et leurs élucubrations ne sont pas observables expérimentalement (d'ailleurs, avez-vous observé que ces gens-là sont le plus souvent des commerçants (en réalité des charlatans)... qui profitent de l'ignorance pour asseoir leur lucre ?).
Mais revenons à la dissolution du sel de table dans de l'eau : les cristaux de sel, qui sont de petits solides se dissolvent, ce qui signifie que les ions sodium et chlorure se détachent des cristaux et vont se répartir dans l'eau.
Ce faisant, ils s'entourent de molécules d'eau, mais avec des forces (électriques, à nouveau) plus faibles qu'entre les ions eux-mêmes dans les cristaux. Et les "couches d'hydratation" autour des ions sodium ou chlorure sont changeantes : des molécules d'eau de ces couches repartent dans l'eau tandis que d'autres molécules d'eau viennent autour des ions.
Revenons à notre question terminologique : les ions sodium et chlorure sont donc des ions minéraux, et l'eau salée contient de l'eau et une partie minérale, un contenu minéral... mais pas de "sels minéraux".
Et une eau de table ordinaire contient de même des ions minéraux : regardons l'étiquette et nous verrons des ions sodium, potassium, magnésium, chlorures, nitrates, sulfates, phosphates...
Les eaux de table contiennent-elles des ions minéraux ? Oui. Un contenu minéral ? Oui. Des sels minéraux ? Non !
Et c'est là qu'un autre exemple simple s'impose : dans de l'eau pure (seulement des molécules d'eau), dissolvant un premier sel, le chlorure de sodium, et un second sel, par exemple le nitrate de potassium. Après la dissolution, il y a dans l'eau des ions chlorure, des ions sodium, des ions nitrate et des ions potassium. Mais il n'y a plus de chlorure de sodium ni de nitrate de potassium, et, d'ailleurs, on aurait exactement le même résultat si l'on était parti de nitrate de sodium et de chlorure de potassium. Il y a donc pas de "sels minéraux" dans l'eau mais seulement des ions minéraux, un contenu minéral.
Une question, aussi, à propos de la sécurité sanitaire, puisque l'on m'interroge sur la toxicité éventuelle de ces ions. Même si j'ai promis de ne plus parler de nutrition et de toxicologie, je ne peux pas m'empêcher de mettre mes amis en garde contre la consommation d'eau parfaitement pure, sans contenu minéral ! D'ailleurs les montagnards savent bien qu'il ne faut boire que très modérément la neige fondue, laquelle ne contient pas d'ions minéraux !
Pour en savoir plus : Rosborg I., Kozisek F., Selinus O., Ferrante M., Jovanovic D. (2019) Background. In: Rosborg I., Kozisek F. (eds) Drinking Water Minerals and Mineral Balance. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-030-18034-8_1
Et donc, oui, il nous faut des ions minéraux dans nos boissons et nos aliments.
Mais concluons : maintenant que nous avons compris tout ce qui précède, nous ne parlerons plus de "sels minéraux" des boissons ou des aliments, mais seulement de leur contenu minéral, ou bien des ions minéraux qu'ils contiennent.
Nous n'oublions pas ce merveilleux Guy Ourisson, chimiste de talent, professeur extraordinaire, Alsacien remarquable...
Je retrouve un de ses textes, d'une parfaite intelligence, et je ne résiste pas au plaisir de vous le livre par morceaux. Un peu chaque jour.
Et voici le début :
Pour sauver l'universitéC'est un grand privilège que d'avoir à présenter ici le dernier livre de Laurent Schwartz : « Pour sauver l'université ». Quel titre courageux ! Et quel livre important, utile, irritant et enthousiasmant, étriqué dans son provincialisme parisien et grand ouvert sur le monde - mais qui va permettre toutes les interprétations partisanes et contradictoires, toutes les déformations, toutes les citations tronquées, toutes les attaques, toutes les utilisations abusives.
Il y a plus d'un an que j'ai quitté la Direction générale des enseignements supérieurs et de la recherche, et mon titre actuel de « conseiller scientifique" du ministre, s'il marque que mon départ n'a pas été dû à des désaccords, ne me le lie ni au cabinet, ni à l'administration. Je me sens donc libre de mes propos, et je sais qu'ils engagent que moi.
« Pourquoi ce livre, et pourquoi aujourd'hui ? », telle est la première phrase de Laurent Schwartz. J'y ai d'abord répondu comme vous : « parce que le débat sur la loi Savary va bientôt reprendre ». Comme vous, je me suis trompé. J'ai lu ces 120 pages comme une réplique au 68 articles du projet de loi en discussion, et rédigé d'un jet 10 pages manuscrites dans cette perspective. Mais, peu à un peu, il s'est dégagé trop d'incohérences : trop de critiques de Laurent Schwartz s'appliquent visiblement mal à ce projet de loi et il semblait impossible que cet auteur fasse de telles confusions -bref, j'avais fait une mauvaise interprétation : ce livre sort maintenant parce que son auteur pense qu'il y a urgence, mais pas seulement pour amender la la loi. Il est vrai que Laurent Schwartz, par ses très fréquentes références à une loi qu'il ne peut lui-même « absolument pas soutenir », entretient une confusion que d'autre que moi feront certainement. J'ai refait mon texte, mais j'ai tenu à commencer par cette mise en garde.
Une critique de gauche
Ce petit livre n'est donc pas un appel aux sénateurs et aux députés pour qu'ils apporte au projet de loi des améliorations ultimes, ou plutôt il n'est pas que cela : c'est une analyse plus permanente, et qui cherche à nous aider à utiliser, au mieux des intérêts du service public, tout texte de loi ou de décret sur les enseignements supérieurs.
Laurent Schwartz précise à plusieurs reprises son attitude : « je suis de gauche et je souhaite le succès de l'expérience socialiste actuelle. Je veux aider le gouvernement, et c'est pour cela que je le critique. »
La suite demain...
Merci à mon correspondant de ce matin qui m'écrit :
Je vois sur ma moutarde : arôme naturel de poivre : c'est de la pipérine extraite ?
Car cette question permet d'éclairer mes amis.
1. On voit tout d'abord que je retranscris sa question, pour ne pas parler d' "arôme", comme il le fait sans doute parce que l'étiquette porte cette mention.
En effet, j'invite tous mes amis à lutter contre ce gauchissement trompeur du mot "arôme".
L'arôme, en bon français (la langue qui sert aux échanges, notamment aux échanges commerciaux, et qu'il est honteux de tordre) est l'odeur d'un produit aromatique. Or ce qui est ajouté dans la moutarde, ici, ce n'est pas l'arôme, mais un produit qui donne l'odeur/la saveur/le piquant de moutarde. C'est un aromatisant, et pas un arôme !
2. J'invite aussi mes amis à lutter cet usage malhonnête du mot "naturel", car l'aromatisant qui a été ajouté est parfaitement "artificiel" : je rappelle que, en français, est naturel ce qui n'a pas fait l'objet de l'intervention d'un être humain !
Ici, il faut donc parler d'aromatisant extrait d'un végétal. Un point c'est tout. Comment voulons-nous que les citoyens aient confiance dans l'industrie alimentaire si celle-ci leur ment dès l'étiquetage !
3. Mais pour répondre à notre ami, il faut maintenant expliquer qu'il existe des aromatisants extraits de diverses façons :
On peut, par exemple, récupérer des "huiles essentielles" par expression ou par entraînement à la vapeur.
Cette dernière technique est utilisée dans la fabrication des essences d'agrumes dont l’écorce contient d’importantes quantités d'huiles essentielles stockées à l'intérieur de sacs oléifères. Le principe de l'extraction par expression consiste à rompre ces poches à huiles essentielles pression, incision ou abrasion à froid. L'huile essentielle entraînée par un courant d'eau est ensuite séparée par décantation ou centrifugation.
En général, seules certaines parties de la plante sont extraites : racines, rhizomes, bois, écorces, feuilles, fleurs, boutons floraux, fruits, graines, jus de fruit, ou excrétions de la plante (gommes ou exsudats).
Pour qu'il soit intéressant d'extraire l'huile essentielle d'une plante par entraînement à la vapeur d'eau, il faut que cette huile soit en quantité notable, généralement supérieure à 0,5%, dans la plante fraîche ou séchée. Par exemple, le poivre contient 1 à 2,5 % d'huile essentielle en volume par rapport à 100 grammes de poivre.
Mais on peut aussi produire des oléorésines : concrètes et résinoïdes.
Cette fois, les extraits sont obtenus à l'aide de solvants organiques : éther de pétrole, hexane, éther éthylique, alcool éthylique, acétone, dioxyde de carbone, etc.
Les oléorésines sont plus complexes que les huiles essentielles, car elles contiennent non seulement les composés volatils, mais aussi d'autres constituants non entraînables par la vapeur d'eau (triglycérides, cires, colorants de nature lipidique et composés sapides). Notons que le solvant est évidemment éliminé : la plupart des solvants utilisés font d’ailleurs l'objet d'une réglementation stricte dictée par des considérations de santé. Au cours de l’élimination du solvant par distillation sous pression réduite, on s’attache également à limiter la perte des composés les plus volatiles.
Par cette méthode, on fabrique deux types de produits :
- les concrètes, à partir de substances végétales fraîches
- les résinoïdes, à partir de substances végétales sèches.
Le terme "oléorésine" désigne l'un ou l'autre de ces deux types d’extraits. Mais, surtout, il faut bien insister : ces divers extraits sont tous de compositions différentes, donc de goûts différents !
Il y a encore d'autres techniques, pour préparer des extraits:
- la macération à froid,
- la digestion à chaud,
- la percolation à froid ou sous pression,
- l’infusion à chaud ou à froid.
Notons que les extraits bruts peuvent être "fractionnés" par diverses techniques, telles que cryoconcentration, distillation sous pression réduite, ultrafiltration, osmose inverse, etc...). On obtient alors des produits variés
- des absolues, par lavage à l'alcool suivi de l'élimination de l'alcool,
- des essences solubles,
- des essences fractionnées
- etc.
4. La pipérine, maintenant ? C'est un composé présent dans le poivre, et qui contribue à son piquant. Ce n'est pas le seul, mais il est prépondérant. Et il est peu soluble dans l'eau, mis soluble dans l'alcool, le chloroforme, l'éther ou l'isopropanol, par exemple. C'est un "alcaloïde", car sa molécule contient des "cycles", notamment avec d'autres atomes que du carbone (notamment de l'azote).
5. De sorte que la conclusion s'impose : les données qui me sont fournies (et qui sont celles que notre ami a récupérées sur l'étiquette de sa moutarde) ne me permettent pas de répondre à sa question. Car quelle extrait est-il utilisé ?
Risk
assessment of nitrate and nitrite in feed
EFSA - GROUPE CONTAM -- EFSA J 2020 18(11) : 6290
Par manque de données disponibles, le groupe CONTAM n'a pas pu caractériser le risque pour la santé des espèces (sauf ruminants et porcs) exposé aux nitrates via leur alimentation et de tous les animaux de rente et de compagnie exposé aux nitrites via leur alimentation.
Sur la base de données limitées, le groupe CONTAM estime que le transfert de nitrate et de nitrite des aliments pour animaux aux produits alimentaires d'origine animale ainsi que la formation de N-nitrosamines à partir des nitrates et des nitrites et leur transfert dans ces produits seront probablement négligeables.
TECHNICAL REPORT
APPROVED: 1 October 2020doi:10.2903/sp.efsa.2020.EN-1941www.efsa.europa.eu/publicationsEFSA
Supporting publication 2020:EN-1941Outcome of a public consultation on the draft risk assessment of nitrate and nitrite in feedEuropean Food Safety Authority (EFSA)
Abstract
The European Food Safety Authority (EFSA) carried out a public consultation to receive input from interested parties on a draft Scientific Opinion on the risk assessment of nitrate and nitrite in feed. This draft Scientific Opinion was prepared by the EFSA Panel on Contaminants in the Food Chain (CONTAM Panel), supported by the Working Group on nitrate and nitrite in feed. The draft opinion was endorsed by the CONTAM Panel for public consultation on 27 May 2020. The written public consultation was open from 16 June until 27 July 2020. EFSA received comments from four different interested parties. EFSA and its CONTAM Panel wish to thank all stakeholders for their contributions. The present report contains the comments received and explains the way they have been considered for finalisation of the opinion. The opinion was adopted at the CONTAM Plenary meeting on 24 September 2020 and published in the EFSA Journal.
© European Food Safety Authority, 2020Key words: nitrate, nitrite, methaemoglobin, occurrence, exposure, feed, animals
Requestor: European CommissionQuestion number: EFSA-Q-2020-00347
Correspondence: biocontam@efsa.europa.eu
Tout a commencé avec la préparation d'une conférence que je dois faire en mars, pour une communauté internationale de cuisiniers. L'organisateur me demande :
Pourriez-vous nous indiquer brièvement comment votre présentation va discuter la question de l'innovation ?
Et j'avais répondu :
Les inventions mensuelles que je présente depuis 20 ans, d'abord pour mon ami Pierre Gagnaire (en français, car -même si je suis alsacien- c'est une langue très intéressante : voir https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux/2) sont une démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'elles rendent cela possible. Si ce n'est pas de l'innovation, qu'est-ce que c'est ?
Mais avec la "cuisine note par note", le pouvoir d'innovation est encore plus grand, parce que c'est un nouveau continent, comme lorsque l'Amérique a été découverte. Et la question est maintenant : allez-vous traverser l'Atlantique pour le découvrir ?
Gardez à l'esprit que dans mes cours de Master sur l'innovation, en particulier (mais pas seulement dans le cadre du programme Erasmus Mundus Plus "Innovation alimentaire et conception de produits ; voir par exemple https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/Cours_2019-2020 et https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS/7_applications_of_mg), je démontre que l'introduction de nouveaux plats n'est rien de vraiment... car j'ai introduit trois infinités de nouveaux systèmes. Non, la question c'est l'art et l'amour, et là la question est beaucoup plus intéressante.
Manifestement, je n'ai pas été assez clair, parce que je reçois ensuite la réponse suivant :
J'apprécie votre réponse rapide. Si je vous comprends bien, votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela. À bien des égards, le processus de création de vos plats n'a pas pour but d'innover, mais plutôt d'exprimer l'art et l'amour ? Ai-je bien compris ?
Questions complémentaires :
1. Pourquoi la cuisine "note par note" est-elle comme la découverte de l'Amérique ? Pouvez-vous en dire plus ?
2. Qu'est-ce qui stimule ou inspire votre créativité ?
3. Lorsque vous décomposez les aliments en leurs composés élémentaires, vous pouvez obtenir des milliards de nouvelles combinaisons de plats. Toutes ces possibilités vous dépassent-elles parfois ? Comment choisissez-vous les combinaisons qui fonctionnent ensemble et assurez-vous qu'elles mènent à un beau produit final ?
Là, il faut vraiment que je m'explique mieux, ce que je fais maintenant
1. À propos de "votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela", ma réponse est : c'est sûr, la gastronomie moléculaire n'a rien à voir avec l'innovation car c'est une science de la nature, et le but ici est de "chercher les mécanismes des phénomènes, en utilisant la "méthode scientifique", qui passe :
1. identification d'un phénomène
2. la caractérisation quantitative du phénomène
3. le regroupement des données de mesure (à partir de 2) en "lois" (c'est-à-dire en équations)
4. introduire de nouveaux concepts afin de faire des "théories" (c'est-à-dire des groupes d'équations + des concepts proposant une description quantitative du phénomène)
5. la recherche de prédictions testables de la théorie
6. tests expérimentaux des prévisions théoriques (à partir de 5)
Et ainsi de suite, pour toujours.
Vous voyez que le but des sciences de la nature n'a rien à voir avec l'innovation.
L'innovation est le but de la technologie, et ici, oui, la cuisine moléculaire et la cuisine note par note sont intéressées.
Au fait :
1. avec Nicholas Kurti, nous avons introduit la "gastronomie moléculaire" (ou plus précisément la "gastronomie moléculaire et physique"
2. mais nous promouvions également la cuisine moléculaire (et s'il est vrai que nous avons montré comment la faire, nous ne l'avons pas "pratiquée", car elle est destinée aux chefs, pas aux scientifiques
3. J'ai introduit la cuisine note par note en 1994, et je la fais connaître dans le monde entier ; je la pratique quotidiennement dans ma cuisine, mais je n'oublie pas que je ne suis pas un chef.
Et enfin, n'oubliez pas que ma vie quotidienne est une science, pas une cuisine. J'attache une de mes productions, et vous verrez que cela n'a rien à voir avec la cuisine (l'article sur les statgels et les dynagels)
2. A propos de votre " le processus créatif derrière vos plats n'a pas pour but l'innovation, mais plutôt l'expression de l'art et de l'amour ? "
Pas exactement. Les plats que j'invente sont sans aucun doute la démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'il est facile d'innover techniquement. Mais je recommande aux chefs cuisiniers : parce que l'innovation technique est si facile (du moins pour moi), concentrez-vous sur l'amour et soyez.
Questions complémentaires :
1. La cuisine note par note montre en effet un immense continent de nouvelles possibilités culinaires : nouvelles consistances, nouvelles saveurs, nouveaux goûts, nouvelles odeurs, nouvelles couleurs.
2. N'oubliez pas que ma "créativité" est une question de science. Et ici, c'est une question très difficile, mais vous trouverez la réponse dans mon article sur la "stratégie scientifique" (voir document ci-joint)
3. Me submerger ? Pourquoi en effet ? Mais oui, pour les chefs, la question est maintenant de choisir ce qu'ils veulent faire. Et c'est pourquoi je dis que vous avez une autre question que celle de l'"innovation" (technique).
Disons-le autrement :
- avec mes "formalismes", je vous montre une infinité de nouveautés (imaginez que je les mette sur une table, devant nous)
- Lequel choisissez-vous ? Il est évident qu'il vous faut un autre critère que la technique
D'ailleurs, toutes les combinaisons "fonctionnent ensemble", il n'y a pas de problème ici.
Mais finalement, vous avez dit le bon mot "beau produit final" : beau, et c'est pourquoi j'ai fait mon livre "La cuisine, un art quintessenciel" (The University Press of California), dont le titre en français était "La cuisine : c'est l'amour, l'art, la technique". Vous voyez : l'art ! Parce que "bon" signifie "beau à manger", et cela n'a rien à voir avec la technique.
Cette fois, le billet se trouve ici : https://nouvellesgastronomiques.com/dans-les-boudins-blancs-feculent-ou-pas-par-herve-this/
Alors que je prévois une discussion en visio avec des "jeunes collègues" qui font des travaux sur la gastronomie moléculaire, on me demande si je peux également répondre à des questions "personnelles.
Et ma réponse :
Pour les questions personnelles, avez vous vu les pages spécifiques ? C'est là : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/et-plus-encore/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses/questions-personnelles
Cela étant, oui, tout peut être évoqué le 4 : les gens honnêtes n'ont rien à cacher, et, au contraire, ils ont des valeurs à diffuser. Dans mon cas, la principale tient dans ces dictons alsaciens :
1. Mir sin was mir macht
2. Dr Schaffe het sussi Frucht un Wurscht
Mais il y a toute la liste complète des "valeurs" inscrites sur la porte de mon bureau.
D'autre part, on me demande si j'ai des "rituels". Et l'on ne sera pas étonné que je réponde avec le (1). Et j'ajoute le (2) :
Des rituels ?
1. Le mot est contestable, puisqu'il renvoie au rite :
Ensemble de prescriptions qui règlent la célébration du culte en usage dans une communauté religieuse.
2. Je me suis donné, en revanche, des habitudes : dès que je me lève, je me mets à travailler avec un café. Ou encore : quand je vais de Montparnasse au laboratoire, chaque jour, à pied, et quand je rentre du laboratoire à Monptparnasse, je dicte des billets de blog (sauf quand j'en profite pour des évaluations personnelles ou des recherches de concepts).
Et encore : tous les soirs, je fais mon "email du soir", structuré (voir le modèle).
On me demande également des "conseils".
Des conseils : décidez de tout ce que vous faites par vous-mêmes, rationnellement. Et n'écoutez pas les conseils.
Mais surtout n'oubliez pas que : Mir sin was mir macht (nous sommes ce que nous faisons).
Bien sur, dans le détail il y a mille choses, qui vont de la maîtrise du calcul (les "maths", comme disent certains) à la précision du langage, mais cela ferait trop (une chape de plomb : voir les documents que je remets aux jeunes amis en stage)
Puis des livres ou des films qui auraient changé ma vie ?
Et pourquoi pas des tableaux, des musiques, etc.? Mais bon :
Les livres ou films qui ont changé ma vie ? Un seul : un livret de vulgarisation de la chimie qui accompagnait ma boite de chimie, à l'âge de six ans... et ce livre est d'ailleurs très mal fait et très mauvais.
Cela dit : je ne suis pas du genre à lire des livres et encore moins voir des films, car je m'ennuie ; personnellement, j'ai tant à produire, et cela m'amuse tellement plus !
Enfin, on me demande si j'ai des modèles ou des mentors.
Des modèles ou des mentors ? Plutôt crever ! Je suis grand : je tiens sur mes deux jambes. Je ne veux pas prendre les habits que l'on me tend, mais me faire mon propre cadre... qui devra être changé sans cesse, pour le mieux. Rien de pire que l'immobilisme (pour moi). D'ailleurs, il y a dans mon bureau un panneau : "je suis insuffisant, mais je me soigne : puisque tout ce qui est humain est imparfait, ne nous arrêtons pas de chercher des améliorations".
Chevreul, lui, disait : il faut tendre avec efforts vers l'infaillibilité sans y prétendre.
Parfois (mais rassurez-vous, très rarement), mes billets de blogs et des twitts me valent des critiques... de personnes qui ne signent leur message que d'un pseudonyme. Cela a de quoi surprendre, car, en contrepartie, mes "amis" qui "aiment" billets ou twitts signent le plus souvent de leur vrai nom.
Mais au-delà de ces constatations, je me dis qu'il y a quelque chose d'étrange à utiliser un pseudonyme pour participer à des débats publics. A-t-on honte de ce que l'on dit ? Et, quand on critique, n'y a-t-il pas une certaine lâcheté à dénoncer ou à critiquer masqué ? D'autant que les messages négatifs sont parfois à la limite de la diffamation. Personnellement, je n'ai pas de temps à répondre à des roquets, mais quand même, même les chiens qui aboient le font sans se cacher.
Et pour les éloges : pourquoi les faire cachés, au fond ?
Oui, plus généralement, pourquoi ne pas signer de son vrai nom, quand on est parfaitement honnête ?
Oui, je me suis publiquement engagé à ne parler ni de toxicologie ni de nutrition, mais des amis me demandent si l'on peut boire de la neige fondue... et la réponse est non.
Mais comme je me suis engagé, je me limite à donner ici un "abstract" d'un livre scientifique sur ce thème, et à en livrer ensuite la traduction en français :
D'abord, ce qui a été publié par Rosborg et al., Drinking Water Minerals and Mineral Balance pp 1-24 :
Minerals and drinking water play an important role in the body. There are around 20 essential minerals for humans. Their origin is mostly the bedrock, and they can all be present to high or low concentrations in ground as well as surface water. Normal weight adults need 2.0–2.5 L/day of water for proper hydration, and it is known for centuries that water can be a source of minerals, where they are present as ions, in general readily absorbable. In the eighteenth and nineteenth century well off people in Europe went to health resorts to drink specific mineral waters containing sufficient levels of one or more essential minerals, water chosen for a specific health disorders. On the other hand, case histories from alpine climbing or polar expeditions which used melted snow as the only source of drinking water, with no minerals at all in it, appeared in scientific literature in mid twentieth century. The symptoms were derived from acute water and mineral imbalance and water intoxication, and include weakness, fatigue, convulsions, unconsciousness, and even death. Such water is comparable to RO (Reverse Osmosis) treated, desalinated water of today. Low levels of specific mineral elements have been proven to cause some diseases and symptoms. Thus, districts of Norway had high frequencies of softening of bone tissue among domestic animals (later identified as P deficient soils and water), and parts of China had increased levels of heart failure (low Se in soils and water). Dental remains of Native Americans from parts of Kentucky indicate Mn and Zn deficient soils and water, as cultivated maize had extremely low levels. During the twentieth century, hard water, with elevated levels of especially Ca, Mg and HCO3, presently with focus on Mg, is proven protective against diseases, especially cardiovascular diseases, but also diabetes, osteoporosis and even cancer.
Et en voici la traduction :
Les minéraux et l'eau potable jouent un rôle important dans l'organisme. Il existe environ 20 ions minéraux essentiels pour l'espèce humaine. Ils proviennent principalement des roches terrestres et peuvent tous être présents à des concentrations élevées ou faibles dans les eaux souterraines et de surface. Les adultes de poids normal ont besoin de 2,0 à 2,5 L/jour d'eau pour s'hydrater correctement, et l'on sait depuis des siècles que l'eau peut être une source de minéraux, où ils sont présents sous forme d'ions, en général facilement absorbables. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les Européens aisés en Europe se rendaient dans des stations thermales pour boire des eaux minérales spécifiques, contenant des niveaux suffisants d'un ou plusieurs minéraux essentiels, choisie pour des troubles de santé spécifique. D'autre part, des troubles ont été signalés au milieu du XXe siècle chez des alpinistes ou des membres d'expéditions polaires dont la neige fondue était la seule source d'eau potable, sans aucun minéral. Les symptômes étaient dus à un déséquilibre aigu de l'eau et des minéraux et à un déséquilibre ionique de l'eau ; il s'agissait de faiblesse, fatigue, convulsions, inconscience, et même la mort. Cette eau est comparable à l'eau traitée par osmose inverse (RO) et dessalée d'aujourd'hui. Il a été prouvé que de faibles niveaux d'éléments minéraux spécifiques sont à l'origine de certaines maladies et symptômes. Ainsi, dans certains districts de Norvège, les animaux domestiques présentaient des fréquences élevées de ramollissement du tissu osseux (on a identifié que les sols et les eaux étaient déficients en phosphore), et, dans certaines régions de Chine, l'incidence augmentée des insuffisances cardiaques était due à de faibles teneurs en sélénium dans les sols et dans les eaux. Les restes dentaires d'Amérindiens de certaines régions du Kentucky révèlent des déficiences en manganèse et en zinc, dans les sols, les eaux, le maïs cultivé. Au cours du XXe siècle, l'eau dure, avec des niveaux élevés de calcium, magnésium et hydrogénocarbonate (un effort est fait aujourd'hui pour le magnésium) s'est avérée protectrice contre les maladies, en particulier les maladies cardiovasculaires, mais aussi le diabète, l'ostéoporose et même le cancer.
Voilà : ne buvons pas trop de neige fondue !
De l'information ? Ne soyons pas naïf : il y a ceux qui donnent, et ceux qui reçoivent.
Ceux qui émettent : pourquoi le font-ils ? quelle est leur intention ? pourquoi ont-ils choisi d'émettre un message plutôt qu'un autre ?
Ces questions doivent être posées avant que nous n'acceptions de recevoir des messages... et cela serait bon qu'elles soient présentées dès l'école.
Car on ne doit pas oublier que les émetteurs ont souvent bien décidé, s'ils ont quelques compétences, non seulement ce qu'ils voulaient délivrer, mais aussi la façon d'émettre ce qu'ils ont décidé d'émettre, et qu'ils ont anticipé l'effet de leur message sur leurs interlocuteurs.
Bien sûr, il y a des émetteurs moins compétents que d'autres, plus simplets, mais quand même, nous aurions lieu de nous méfier de ce que nous recevons.
Oui, qu'il s'agisse d'articles de journal, d'émissions de radio, d'émissions de télévision, nous devons apprendre à nous interroger sur les objectifs de ceux qui prétendent de donner des "informations". Et il y a lieu d'être particulièrement circonspect quand ceux qui émettent prétendent que les informations délivrées sont "neutres", "factuelles".
Mais on m'a compris, et je n'insiste pas. Je conclus rapidement en recommandant le visionnage, encore et encore, de cet épisode du merveilleux film "Le président", ou Jean Gabin, qui joue le président du Conseil, fait un beau discours... auquel assistent deux journalistes ; après le discours, il y a un échange, et la décision est prise non pas de relater le beau discours du président du Conseil... mais l'intervention réactionnaire du minable auquel le président du Conseil avait répondu.
Bien sûr, c'est une fiction... mais, vraiment ?
Dans une revue scientifique "reculée", je trouve un article qui dit des choses fausses à propos des "chiffres significatifs", à savoir ceux que l'on DOIT afficher quand on fait des sciences de la nature ou de la technologie. Il faut dénoncer ces mauvais textes... et donner l'information juste.
Commençons par le mauvais texte, dont je donne d'abord la version originale, puis une traduction en français :
"Depending on the accuracy of the tools we employ in our research, each variable is measured within a certain degree of precision. For example, in most clinical studies on adults, age is measured in years. Generally, measuring the age with more accuracy in such studies is neither necessary nor of any particular importance. However, we might measure blood pH in the same study with two or even three digits after the decimal point because minute changes in blood pH are associated with serious clinical implications.
Statistical software programs commonly used in the analysis of research data, however, calculate the results with a predefined precision, say, three digits after the decimal point, no matter how accurately the raw data were measured. Therefore, the software would report the mean of both of the mentioned variables, age and pH, with three digits after the decimal point.
The question arises: how should we report these statistics in scientific articles? Apparently, there is no consensus on this issue. For example, some references suggest that in reporting statistics (eg, means and standard deviations [SDs]) not to use precisions higher than the accuracy of the measured data (1); many researchers recommend to use only one decimal place more than the precision used to measure the variable (2,3); and, some mention that although means should not be reported to no more than one decimal place more than that of the raw data, SDs may need to be reported with an extra decimal place (4)."
Et la traduction :
"Selon la précision des outils de mesure que nous employons dans nos recherches, chaque variable est mesurée avec une certaine précision. Par exemple, dans la plupart des études cliniques des adultes, l'âge est mesuré en années. Généralement, il n'est ni nécessaire ni important de donner plus de précisions. En revanche, dans les mêmes études, on peut mesurer le pH du sang avec deux ou même trois chiffres après la virgule, parce que de minimes changements du pH sanguin peuvent être associés à d'importants changements physiologiques. Les programmes de statistiques communément dans l'analyse scientifique calculent toutefois les résultats avec une précision prédéfinie, par exemple trois chiffres après la virgule, quels que soient les variables traitées. Aussi les logiciels afficheraient tant l'âge que le pH avec ces trois chiffres décimaux.
La question se pose : comment afficher ces données statistiques dans les articles scientifiques ? Apparemment, il n'y a pas de consensus à ce propos. Par exemple, certaines références proposent que, pour donner des informations statistiques (par exemple la moyenne et l'écart-type), on ne doit pas utiliser une précision plus grande que la précision des données mesurées ; de nombreux chercheurs recommandent de n'utiliser d'un chiffre décimal de plus que la précision des résultats ; et certains mentionnent que les moyennes doivent être affichées avec seulement une décimal de plus que les données brutes, alors que l'écart-type ne doit pas être affichés avec cette décimale supplémentaire".
Tout cela est faux !
1. tout d'abord, il n'est pas question de "variables", mais de grandeur
2. d'autre part, utiliser des logiciels tout faits est le signe d'une médiocre pratique scientifique... car on ne maîtrise rien
3. il n'est pas vrai qu'il n'y a pas de consensus : l'affichage des données est parfaitement codifié par le Bureau international des poids et mesures, qui a produit le "GUM"
4. on ne doit afficher que des "chiffres significatifs", et j'ai déjà souvent discuté la question
5. il ne s'agit pas d'aller voir qui fait quoi, idiosyncratiquement, quand on fait de la science, mais d'examiner les consensus
6. parler de "statistiques" pour évoquer des moyennes et des écarts-types, cela fait chic, mais pas bien nécessaire.
7. un pH avec trois décimales ? je doute vraiment du travail de nos auteurs, surtout quand les solutions considérées (le sang) contiennent des protéines !
Et je vous épargne la suite de l'article
Décidément, il y a des articles qui peuvent faire perdre beaucoup de temps à ceux qui ont le désir de faire de la bonne science !
Hommage national à M. Samuel Paty par M. Emmanuel Macron, Président de la République
…/…
Ce
soir, je veux parler de votre fils, je veux parler de votre frère, de
votre oncle, de
celui que vous avez aimé, de ton père. Ce soir, je veux parler de votre
collègue, de votre professeur tombé parce qu’il avait fait le choix
d’enseigner, assassiné parce qu’il avait décidé d’apprendre à ses élèves
à devenir citoyens.
Apprendre les devoirs pour les remplir. Apprendre les libertés pour les
exercer. Ce soir, je veux vous parler de Samuel PATY.
Samuel
PATY aimait les livres, le savoir, plus que tout. Son appartement était
une bibliothèque. Ses plus beaux
cadeaux, des livres pour apprendre. Il aimait les livres pour
transmettre, à ses élèves comme à ses proches, la passion de la
connaissance, le goût de la liberté. Après avoir étudié l’Histoire à
Lyon et avoir envisagé de devenir chercheur,
il avait emprunté la voie tracée par vous, ses parents, instituteur et
directeur d’école à Moulins, en devenant « chercheur en pédagogie »
comme il aimait à se définir, en devenant professeur. Aussi ne
pouvait-on trouver meilleur endroit que
la Sorbonne, notre lieu de savoir universel depuis plus de huit siècles,
le lieu de l’humanisme, pour que la nation puisse lui rendre cet
hommage.
Samuel PATY aimait passionnément
enseigner et il le fit si bien dans plusieurs collèges et
lycées jusqu’à celui de Conflans-Saint-Honorine. Nous avons tous ancré
dans nos cœurs, dans nos mémoires le souvenir d’un professeur qui a
changé le cours de notre existence. Vous savez, cet instituteur qui nous
a appris à lire, à compter,
à nous faire confiance. Cet enseignant qui ne nous a pas seulement
appris un savoir mais nous a ouvert un chemin par un livre, un regard,
par sa considération.
…/…
Nous défendrons la
liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons
haut la laïcité. Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins,
même si d’autres reculent. Nous offrirons toutes les chances que la
République doit à toute sa jeunesse sans discrimination aucune.
Nous
continuerons, professeur. Avec
tous les instituteurs et professeurs de France, nous enseignerons
l’Histoire, ses gloires comme ses vicissitudes. Nous ferons découvrir la
littérature, la musique, toutes les œuvres de l’âme et de l’esprit.
Nous aimerons de toutes nos forces
le débat, les arguments raisonnables, les persuasions aimables. Nous
aimerons la science et ses controverses. Comme vous, nous cultiverons la
tolérance. Comme vous, nous chercherons à comprendre, sans relâche, et à
comprendre encore davantage cela
qu’on voudrait éloigner de nous. Nous apprendrons l’humour, la distance.
Nous rappellerons que nos libertés ne tiennent que par la fin de la
haine et de la violence, par le respect de l’autre.
Nous continuerons, professeur. Et tout au
long de leur vie, les centaines de jeunes gens que vous avez formés exerceront cet esprit critique que vous leur avez appris.
Peut-être
certains d’entre-eux deviendront-ils enseignants à leur tour. Alors,
ils formeront des jeunes citoyens.
À leur tour, ils feront aimer la République. Ils feront comprendre notre
nation, nos valeurs, notre Europe dans une chaîne des temps qui ne
s’arrêtera pas.
Nous continuerons, oui, ce
combat pour la liberté et pour la raison dont vous
êtes désormais le visage parce que nous vous le devons, parce que nous
nous le devons, parce qu’en France, professeur, les Lumières ne
s’éteignent jamais. Vive la République. Vive la France.
Voir elysee.fr
Lettre d'Albert Camus à son ancien instituteur Louis Germain,
datée du 19 novemmbre 1957, quelques jours après sa réception du prix Nobel de littérature
Cher Monsieur Germain,
J’ai
laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci
avant de venir vous parler un
peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur,
que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la
nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous,
sans cette main affectueuse que
vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre
enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je
ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du
moins une occasion pour vous dire ce que
vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos
efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont
toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a
pas cessé d’être votre
reconnaissant élève.
Je vous embrasse, de toutes mes forces.
Albert Camus
"Conseils"
de Jean Jaurès aux instituteurs et institutrices, lus par Christophe
Capuano, ami et collègue de Samuel Paty à la cérémonie en hommage à ce
dernier
Vous tenez en vos mains
l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la
patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à
écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin
d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont français
et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son
corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est
une démocratie libre, quels
droits elle leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de
la nation. Enfin, ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de
l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de nos misères :
l’égoïsme aux formes
multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fermeté unie à
la tendresse
Reçu un message, ce matin. Je le divise en petites bouchées, et j'y réponds :
Pour l'anecdote : il y a deux ans, j'étais portier dans un établissement étoilé. Je discutais alors avec le chef au sujet des émulsions, évoquant évidemment la mayonnaise, la vinaigrette... Ce dernier me répond avec beaucoup trop d'assurance : "une mayonnaise c'est une mayonnaise, rien à voir avec une émulsion ! Pour une émulsion, il faut un syphon et de la lécithine de soja, c'est pour faire des espuma", le coup classique... Malgré mon insistance, un commis m'a remis à ma place : "écoute, lui c'est le chef, il sait de quoi il parle". Enfin bref. C'était pour l'anecdote, et après tout, peut-être qu'un chef n'a pas forcément à connaître la logique chimique de sa cuisine... Si elle est bonne après tout !
Oui, il est bien évident qu'un portier ne peux pas savoir ce que c'est ce que sait un chef (faut-il préciser que j'ironise ?) ! Comment un portier serait-il reconnaître une émulsion alors que le mot a plusieurs syllabes, qu'il se rapporte à un objet technique que le chef maîtrise !
Pour expliquer bien et calmement, maintenant, sans (trop) sourire : depuis 1560, le mot "émulsion" désigne un système qui s'apparente au lait, avec un liquide (par exemple de l'huile) dispersé dans un autre liquide avec lequel il n'est pas miscible, avec lequel il ne se mélange pas (de l'eau, ou une solution aqueuse : thé, café, bouillon, vin, jus de fruit).
Et oui, la mayonnaise est une émulsion, puisque l'huile est dispersée dans un mélange de jaune d'oeuf (pour moitié de l'eau) et de vinaigre (90 pour cent d'eau). C'est même une sorte de "prototype" d'émulsion !
La vinaigrette ? Ce n'est une émulsion que si elle est bien émulsionnée... et souvent, la moutarde le permet... parce que la moutarde contient des composés "tensioactifs" : protéines, lécithines, etc.
En revanche, avec un siphon, ce n'est pas une émulsion que l'on obtient, le plus souvent, mais des mousses : pousser un gaz dans un liquide, "foisonner", c'est faire mousser. Et une mousse... c'est une mousse, avec du gaz dispersé dans l'eau. Le chef et le commis confondent tout !
L'anecdote me navre, parce qu'elle montre que la rénovation de la technique culinaire est loin d'être achevée ! Pourtant, j'ai commencé en... 1980, et je vois que je suis loin d'avoir fini.
Certes, nous avons avancé, en rénovant (en 2000) les référentiels de l'Education nationale, référentiels qui se fondaient sur le Guide culinaire qui est un mauvais livre, plein d'erreurs techniques, terminologiques, historiques... mais ceux qui ont été formés avant la réforme restent dans l'erreur. Allons, ils finiront par mourir et par faire place à des professionnels plus éclairés.
Oui la cuisine doit être bonne mais je ne parviens pas à penser qu'elle ne puisse être meilleure si les idées théoriques étaient justes.
Mon correspondant continue :
"Enfin, voici ce que je voulais vous demander : je découvre vos "ollis" avec beaucoup d'admiration, et je repense à la rouille de Marseille, qui aujourd'hui se trouve être dans la tête de beaucoup de monde, une mayonnaise épicée et légèrement aillée... parfois agrémentée d'une pomme de terre ou d'une tranche de pain. Je me rappelle cependant de restaurateurs ajoutant dans leur rouille des foies de rouget voire même des gonades d'oursin... alors peut-être est-il possible d'abandonner l'oeuf, la pomme de terre, la tranche de pain, et de démarrer l'émulsion avec simplement une purée d'ail, des foies légèrement pochés, du paprika voire du safran (si on se le permet), et d'allonger tout cela à l'huile d'olive ? Je vois que vous avez fait une émulsion d'anchois, alors peut-être que cela pourrait marcher, d'autant plus que j'ai cru comprendre que la lécithine est grandement présente dans les foies (humain ou non...), à tenter également avec des foies de volaille...
Aussi, le tensioactif utilisé dans le cadre de la cosmétique est souvent la caséine, je me demande alors s'il serait possible de monter une émulsion à l'huile, avec une base de lait en poudre, ou quelque chose comme cela."
Là, il faut expliquer que les "ollis" sont des inventions que j'ai faites dans les années 1980 : j'avais observé que l'on pouvait monter des émulsions avec de l'ail broyé avec de l'huile : ce sont les aïollis. Et j'ai réussi alors à faire des échalottolis, des oignollis... et des émulsions à partir de n'importe quel tissu animal ou végétal : ce sont les ollis, présentés dans mon livre "Révélations gastronomiques".
Et mon interlocuteur a raison de le souligner : il n'y a pas de jaune d' œuf dans un aïoli, sans quoi c'est une mayonnaise à l'ail !
Oui, aucun besoin d'œuf pour monter une émulsion, ni de pommes de terre ni de tranche de pain ! L'aïolli, le vrai, se fait seulement à partir d'ail que l'on broye avec de l'huile sans qu'il soit nécessaire d'ajouter quoi que ce soit.
Et oui, n'importe quelle protéine permet de monter une émulsion ; celles du lait, la gélatine, et cetera
Enfin :
"Je terminerai sur une dernière chose (après, j'arrête de vous embêter), aujourd'hui ce que l'on appelle "rémoulade" ressemble à cette sauce de Louisiane, pleine de condiments. Si elle est surement très bonne, confirmez-moi qu'à l'origine, la rémoulade excluait l'oeuf, se résumant à la moutarde et à l'huile ? Le céleri rémoulade serait alors une sorte de julienne de céleri à la vinaigrette émulsionnée (si on veut le dire grossièrement) ?"
Pour la rémoulade, enfin, c'est bien de tout le temps (disons : au moins depuis le Viandier) une sauce qui est à base de moutarde et d'huile... mais il n'est pas interdit d'y ajouter de l' œuf pour faire un goût plus flatteur... et c'est d'ailleurs ainsi qu'est sans doute née la mayonnaise : un jour, par mégarde, quelqu'un a dû oublier la moutarde... et faire une mayonnaise.
De sorte qu'une mayonnaise à moutarde est une rémoulade, pas une mayonnaise !
Et, pour mon correspondant, j'ai ajouté :
PS. Si vous le souhaitez je peux ajouter votre email sur la liste de distribution des "séminaires de gastronomie moléculaire" (cf pj). Il suffit de le demander à icmg@agroparistech.fr
1. Je trouve dans un texte sur la significativité des valeurs communiquées dans les articles cette phrase "It concerns me that numbers are often reported to excessive precision, because too many digits can swamp the reader, overcomplicate the story and obscure the message." Je traduis : "Cela me gêne que les nombres soient souvent donnés avec une précision excessive, parce que trop de chiffres peuvent submerger le lecteur, compliquer inutilement le récit et obscurcis le message".
2. Notre auteur a raison de critiquer l'emploi de précisions excessives, mais les raisons qu'il donne sont mauvaises. La raison essentielle, la seule, au fond, c'est que les mesures sont connues avec une précision qui doit être déterminée par ceux qui communiquent les mesures, et les chiffres indiqués doivent être être "significatifs". Il ne s'agit pas d'en mettre plus ou moins, mais de donner exactement ce qu'il faut.
3. Un exemple : si l'on utilise une balance, alors le nombre de chiffres que l'on indique est soit déterminé par la précision de la balance, soit par l'écart-type des répétitions des mesures.
4. Un exemple dans l'exemple : supposons que la balance que nous utilisions soit de grande précision, disons 0,0001 g, et que trois pesée d'un objet soient égales, disons à 5,2341 g. On comprend facilement que l'on doit afficher ce 5,2341, et pas 5,23410000 : non seulement ces 0 ne peuvent être donnés par la balance, mais, de surcroît, la précision de nos mesures n'est au cent millionième de gramme ! Le dernier chiffre significatif nous donne la précision du résultat, et ce serait soit idiot, soit ignorant, soit malhonnête d'afficher le nombre avec ces quatre 0 intempestifs.
5. Supposons maintenant que des répétitions de la pesée d'un objet, donnent trois valeurs différentes, évidemment différentes de plus que 0,0001 g, soit parce que la pièce est balayée par le vent, soit que l'objet pesé n'ait pas été toujours placé exactement au centre du plateau, par exemple. Alors l'écart-type des trois mesures serait supérieur à 0,0001 g, et c'est lui qui détermine le nombre de chiffres significatifs.
6. Et si l'on fait une longue série d'expériences, qui conduisent à la détermination d'une grandeur, alors il faut "propager les incertitudes d'étape en étape, du début de l'expérience jusqu'à la fin...
7. Et c'est là où je vois souvent des fautes (je dis bien "des fautes", et pas "des erreurs"), le plus souvent parce que nos amis sont un peu faibles mathématiquement, et qu'ils ont peur de ces objets mathématiques pourtant simples que sont les dérivées partielles, ou parce que les calculs d'incertitudes, souvent bien compliqués, les rebutent.
8. Mais, finalement, on comprend -j'espère- pourquoi l'auteur cité initialement était dans l'erreur. Les sciences de la nature ne sont pas un "récit" (ou tout autre mot que l'on préférerait pour "story) comme les autres, et l'on n'a pas le droit de décider de le rendre clair ou pas. Les mesures sont ce qu'elles sont, les expériences sont ce qu'elles sont, et il n'y a pas lieu de simplifier ou de compliquer la lecture du compte rendu de ces dernières et de leurs résultats !
Dans les discussions sur la toxicité des aliments, sujets que je ne discuterai pas ici, on nous parle de "HAP" ou "benzopyrène". De quoi s'agit-il ?
Les benzopyrènes sont une famille de composés, de sorte que l'on ne doit pas parler "du" benzopyrènes", mais "des" benzopyrènes.
Et les benzopyrènes sont un sous-groupe de la famille chimique des "HAP", acronyme d'hydrocarbures aromatiques polycycliques. En anglais, on dit PAH.
Le fait que ces composés soient d'abords des "hydrocarbure" signifie que leurs molécules ne sont faites que d'atomes de carbone et d'atomes d'hydrogène. Là, a priori, pas de difficulté particulière, car il y a des hydrocarbures qu'ils sont complètement inertes chimiquement, telles les paraffines qui sont des chaînes d'atomes de carbone, chaque atome de carbone étant lié à des atomes d'hydrogène de sorte qu'il ait quatre liaisons.
Mais les HAP sont aussi "aromatiques", et c'est là que commencent les ennuis toxicologiques. Le fait que ces composés soient aromatiques signifie que les atomes de carbone sont groupés en cycles hexagonaux et que surtout, les liaisons entre les atomes de carbone sont particulières, avec des électrons (ces objets qui assurent la cohésion des molécules, "collant" les atomes entre eux) disponibles pour d'autres ou molécules extérieurs : nous verrons plus loin que cela est gênant, dans l'organisme.
Enfin, les HAP sont polycycliques, ce qui signifie que les atomes de carbone ne sont pas groupées en un seul cycle, mais en plusieurs. Pensons à une molécule de benzène (avec 6 atomes de carbone groupés en un cycle hexagonal, un atome d'hydrogène étant lié à chaque atome de carbone), et juxtaposons en une autre : nous obtenons la molécule de naphtalène. Avec trois, en rang, nous avons l'anthracène, et ainsi de suite. Dans tous les cas, il y a des électrons qui viennent au-dessus ou en dessous du plan de la molécule, et sorte que ces composés sont cancérogènes.
Pourquoi sont-ils cancérogènes ? Parce qu'ils peuvent venir entre les plans des paires de bases de l'ADN, et perturber son fonctionnement.
Là il faut expliquer que le fonctionnement des cellules vivantes, notamment celles qui font notre organisme, est commandé par une molécule nommé ADN (pour acide désoxyribonucléique), une molécule qui est une double hélice, comme une échelle que l'on aurait tordu, mais avec la différence que les barreaux sont des plaquettes. Des plaquettes d'atomes, évidemment, avec de l'espace entre les plaquettes... où viennent se loger les molécules plates comme précisément les benzène et bien d'autres HAP.
De ce fait, les deux brins de l'ADN ne peuvent plus se séparer, et la molécule d'ADN ne fonctionne plus comme elle le devrait. D'où des cancers.
Les benzopyèrenes ? Ce sont des HAP, mais avec cinq cycles aromatiques, le pyrène n'en ayant que quatre. Et ces composés se forment notamment lors des combustions, d'où la cancérogénicité du tabac que l'on fume (la nicotine, elle, est un poison à manger) ou du fumage, qui est responsable des cancers digestifs des populations du nord de l'Europe, qui mangent beaucoup de produits fumés.
La nature contient de tout : des ingrédients alimentaires comestibles, et aussi des poisons. Et l'empirisme a permis à l'espèce humaine de survivre dans un monde globalement hostile. D'ailleurs, on peut dire que toutes les espèces vivant aujourd'hui ont réussi ce tour de force de s'adapter, de survivre et de se reproduire. Il y a du y en avoir des morts, parmi ceux qui mangeait des plantes toxiques ! Combien de vies humaines la reconnaissance de la toxicité de la ciguë a-t-elle coûté ?
Aujourd'hui, on est bien plus prudent que par le passé... quoiqu'il y ait des modes naïvement naturophiles, excessivement contestables, qui proposent de consommer des huiles essentielles ou des ingrédients crus ; on nous parle de "détox", alors que l'on nous propose en réalité de nous empoisonner.
Bien sûr on ne risque rien à manger une carotte crue, et, pour certains végétaux, il y a heureusement le fait que c'est la dose qui fait le poison. Mais, au-delà tout ça, il y a quand même des cas terribles, telles les amandes des noyaux d'abricot... ou les lectines des haricots blancs.
Les lectines ? Ce sont des composés naturellement présents dans les haricots blancs, qui ont la particularité d'être hémato-agglutinants, dont à ne pas consommer... à moins que la cuisson ne les ait modifiés chimiquement, faisant disparaître la toxicité ! J'ajoute qu'il ne faut pas beaucoup de haricots blancs pour finir au centre anti-poison, et que la cuisson doit être suffisante.
Et c'est donc bien la cuisine qui est une avancée humaine, alors que la tradition, le retour au naturel, nous expose a des risques inconsidérés.
N'écoutons donc pas les gourous autoproclamés diététiciens et suivons correctement, avec prudence, les avancées scientifiques qui identifient précisément les composés toxiques, ainsi que les doses auxquelles notre vie est en danger.
Laissez-moi vous présenter les chlorophylles. Mais faisons-le dans une perspective historique.
Il y a bien longtemps, les cuisiniers qui cuisaient des légumes verts savaient bien que, parfois, le vert tendre des végétaux frais virait au brun. Ils ne savaient pas pourquoi.
Pour autant, ils avaient extraire le "vert d'épinard", par exemple en broyant des es épinards et en chauffant le liquide obtenu doucement : se séparent un liquide brun transparent, qui décante, et, par dessus, une mousse d'un verre très frais... quand les légumes le sont, bien évidemment. Cette mousse verte, très colorante fut nommée vert d'épinard, et elle fut utilisé rapidement pour colorer des sauces, par exemple notamment des mayonnaise.
Il y a un peu plus d'un siècle, des chimistes se sont intéressés à cette matière colorante est le terme de "chlorophylle" fut introduit. Là, les chimistes qui avait donné ce nom ont bien stipulé que ce n'était qu'un nom, pour désigner une matière qui avait déjà été observée par les cuisiniers.
Il fallut encore quelques décennies pour arriver à ce que d'autres chimiste puissent identifier que la matière nommée chlorophylle (au singulier) était composée de pigment variés : verts, bleus, jaunes, orange, rouges... Se dégagèrent ainsi, progressivement, des catégories de pigments que l'on nomma des chlorophylles et des caroténoïdes. Les chlorophylles étaient vertes ou bleues, et les caroténoïdes étaient jaunes orangés ou rouges.
Puis on découvrit qu'il y avait de grandes différences moléculaires entre ces deux catégories, avant que l'on finisse par identifier la structure moléculaire exacte, faite d'atomes de carbone, d'oxygène, d'hydrogène, d'azote et même de magnésium.
Puis on découvrit que le brunissement correspondait à une réaction que l'on a nommé phéophytinisation, avec la disparition d'un atome de magnésium des chlorophylles, notamment en milieu acide.
La suite sur https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/presentation-encyclopedie
J'ai discuté dans un autre billet cette théorie simpliste selon laquelle les choses seraient bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont.
Ici, je veux discuter d'une idée voisine, selon laquelle les cuisiniers devraient utiliser des "bons produits".
Dans le monde culinaire professionnel, il y a cette tendance qui n'est pas nouvelle d'avoir ce que les cuisiniers nomme des "beaux produits". Et rien que cette expression est symptomatique, parce qu'elle montre que les cuisiniers considèrent les produits comme... des produits. En réalité, ces "produit" sont plutôt des ingrédients, car certes, ce sont les produits de l'élevage, de l'agriculture, de la chasse, de la pêche, mais certainement pas les produits de la cuisine.
Et, d'ailleurs, je dénonce ici une espèce de travail culinaire simpliste qui consiste à chercher ses ingrédients particuliers, ce qui conduit tous les cuisiniers à identifier les mêmes fournisseurs ; et nous, de l'autre côté, à retrouver toujours les mêmes d'huîtres, toujours le même beurre, toujours les mêmes légumes... dans tous les restaurants !
Je n'ai pas besoin de donner les noms de ces fournisseurs, car ils sont connus de tous
Mais, surtout, s'il est vrai que ces fournisseurs font des ingrédients de belle qualité, ce n'est pas là le nec plus ultra culinaire ! Car la cuisine ne consiste pas à aller chercher des ingrédients et à les traiter de façon minimale, ce que certains disent "respecter le produit", expression idiote : nous devons respecter des hommes et des femmes, pas des carottes ou des navets !
Bien sûr, il faut faire attention aux productions des bons producteurs, et ce serait du gâchis que de secouer des fruits, entre la ferme et la cuisine ; ou de mal stocker des poissons et des viandes, par exemple.
Mais c'est en cuisine que le travail de cuisine commence, et c'est là que le cuisinier doit montrer son savoir ou son art.
Je répète que je peux, tout aussi bien qu'eux, me fournir chez de bons fournisseurs d'ingrédients, mais je réclame à des artistes culinaires... qu'ils fassent de l'art culinaire, qu'ils fassent du bon, à partir de ces ingrédients qui s'apparentent aux touches du piano pour le pianiste.
D'ailleurs, la comparaison est juste : oui, le piano doit être accordé, ce qui signifie que les ingrédients culinaires doivent être justes, frais, de belle qualité.
Mais, ensuite, c'est le musicien qui fait surgir la musique, et c'est sa manière particulière de jouer du piano qui fait exister une musique ! La touche seule est bête !
J'entends et je lis des mots dont l'acception est... "originale" (oui, je veux bien dire très idiosyncratique). Arôme, flaveur, saveur, goût ? Alors que je critique l'étrange usage qui est fait de ces mots, on me rétorque que c'est bien difficile d'écrire de façon que l'enthousiasme transpire.
Écrire avec enthousiasme ? Un correspondant me dit que, parfois, l'enthousiasme et la littérature le conduisent à des confusions entre ces termes. Ces confusions sont-elles vraiment indispensables, inévitables, lui demandé-je ? Je suis certain que non et, au contraire, je crois qu'il n'y a aucune raison de ne pas avoir, pour ces termes la même précision que pour les autres mots, car au fond, si la pensée, ce sont les mots, ce ne sont pas avec des mots imprécis, approximatifs, gaucis, biaisés, tordus que l'on fera la moindre des littératures (aucun des adjectifs précédents n'est utilisé dans une acception approximative).
Viens maintenant la question de l'enthousiasme et là, je reviens de loin, car je suis le premier à être - jadis - tombé dans l'épithétisme : l'accumulation d'adjectif, d'adverbes, de superlatifs... au lieu d'avoir la force par le verbe juste, le mot juste, et surtout l'idée juste !
Oui, l'idée juste : car c'est cela la force de discours ! Il nous faut des idées étonnantes, surprenantes, remarquables, intelligentes en un mot... et précises. Ce qui fait style, c'est bien de proposer des idées qui ont une originalité si grande qu'elles s'imposeront à tous, sans ces effets de manche un peu vulgaires que sont les accumulations d'adjectifs, d'adverbes, sans les imprécisions, les gauchissements.
L'enthousiasme ? C'est comme dans tous les arts, un souci du détail, une précision incommensurable qui s'apparente à être capable de peindre des mouches sur un tableau de façon si réaliste que l'on s'y trompe.
Bien sûr, il y eut des grands auteurs de l'accumulation, et l'on pense immédiatement à François Rabelais, surtout si l'on est gourmand. Oui, mais son accumulation est en termes d'objets, car quand il évoque les boudins, les jambons, les saucisses, les andouilles, etc., c'est une image qu'il nous donne, une image extraordinairement précise.
Bref, je crois que la maîtrise littéraire résulte de la précision, d'une précision parfaite, d'une maîtrise parfaite des mots, de leur sens, de leurs connotations, de leurs sonorités...
Et c'est ainsi que nous lisons de beaux textes, qui s'apparentent à des dessins où l'encre n'a pas coulé, à des peintures où rien n'est laissé au hasard, à des musiques où tout est réglé pour faire passer un exact sentiment.
Le bon ?
Encore rencontré quelqu'un pour qui "les choses sont bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont". C'est trop facile !
Qu'est-ce qui est bon ? La question vaut pour tous les arts : pour la cuisine, le bon, c'est ce qui est beau à manger ; pour la musique, le beau, c'est ce qui est beau entendre ; pour la littérature, il y a le beau à lire ; pour la peinture, le beau est à voir, et ainsi de suite.
Le beau ? La question est évidemment difficile, et la théorie du beau se nomme esthétique. Car l'esthétique, ce n'est pas la beauté à voir seulement ; et, en tout cas en cuisine, le beau à voir n'est pas la question, même si on ne doit certainement pas négliger l'apparence des plats.
Mais, surtout, en cuisine, la question du bon, c'est la question du goût.
Et sont bien faibles, ceux qui appliquent des formules toutes faites comme la trilogie (trois éléments dans l'assiette), le nombre d'or, ou nombre d'idées simplistes telles que "dans une sauce à l'estragon, on doit chercher l'estragon".
Pour discuter la question du "bon", j'ai fait un livre entier qui s'intitule La cuisine, c'est de l'amour, de l'art de la technique. A ma connaissance, c'est le premier traité d'esthétique culinaire de l'histoire, et j'y discute notamment cette théorie que je crois très fausse selon laquelle les choses seraient bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont.
À ce compte, le poulet serait-il bon quand il est cru et qu'il a le goût de poulet cru ? Supposons que l'on me dise que non, puisque l'on annonce un poulet rôti, et que c'est le goût de poulet rôti qu'il faut donner. Mais "le" goût de poulet rôti : lequel ? Il y a mille goûts de poulet rôti, et tous seraient légitimes, donc !
D'ailleurs, je ferais observer que le poulet rôti, c'est un peu comme une représentation en peinture de la Vierge à l'Enfant : il y a mille peintres, et mille représentations, qu'elles soit réalistes ou non. Une Vierge à l'Enfant par Picasso n'a rien à voir avec une Vierge à l'Enfant par Rembrandt. Et, même, pourquoi voudrait-on voir même la Vierge et l'Enfant dans un tel tableau ? Car un tableau où la Vierge et l'Enfant seraient évoqués, à défaut d'être représentés, pourrait être même supérieur... s'il est beau !
Mais revenons à la cuisine : j'ai donc le poulet rôti... Mais ai-je besoin d'un cuisinier pour me faire un bon poulet rôti ? Qu'apporte ce professionnel, s'il se limite à rôtir un poulet ?
Au fond je m'ennuie terriblement avec ces cuisiniers professionnels qui me font des poulets rôtis qui ne sont autres que des poulets rôtis, conformément à la théorie très faible que je discute ici ; je n'ai pas besoin d'un professionnel pour me le donner.
Non, je demande aux cuisiniers de dépasser cette théorie simpliste selon laquelle les choses auraient le goût de ce qu'elles sont. Je leur demande d'interpréter le poulet rôti, de créer des goûts qui soient bien différents. Je veux que le poulet rôti soit une partition dans l'orchestre des goûts ; pourquoi pas un soliste, mais dans l'orchestre, se fondant avec lui, répondant. Et pourquoi pas, aussi, un instrumentiste qui ne serait pas un soliste ?
De sorte que se reprennent en pleine figure ceux qui soutiennent la théorie simpliste que je discute ici.
Qu'est-ce qui est bon ?
Et, pour répondre, il y faut de la culture, de l'intelligence, du talent... mais pas du simplisme, en tout cas.
On rencontre décidément parfois des personnes étranges : là, des scientifiques (pas chimistes) ne veulent pas admettre, sans avoir à m'opposer d'arguments autres que des usages anciens (et fautifs), que les protéines ne sont pas faites d'acides aminés, ou que les triglycérides ne sont pas faits d'acides gras.
Expliquons, aussi simplement que possible, et en prenant des exemples.
Si l'on regardait de l'huile à l'aide d'une sorte de super-microscope, on verrait un grouillement d'objets ressemblant à des pieuvres à trois tentacules. Ces objets ont pour nom "triglycérides", et ils sont faits d'atomes de carbone, d'oxygène et d'hydrogène.
La "tête des pieuvres" est faite de trois atomes de carbone, d'où partent les trois "tentacules". Or il y a un composé à trois atomes de carbone qui a pour nom glycérol, et les "tentacules" ressemblent beaucoup à des composés que l'on nomme des acides gras. De plus, on peut effectivement partir de glycérol et d'acides gras pour produire des triglycérides, mais au prix d'une réaction chimique, avec l'élimination de certains atomes d'oxygène et d'hydrogène. Bref, une fois que le triglycéride est fait, il n'y a plus de glycérol ni d'acides gras, même si un chimiste en retrouve la marque.
D'où ma conclusion : il n'y a pas d'acides gras dans l'huile, puisqu'il n'y a que des triglycérides. Et, d'autre part, il n'y a pas d'acides gras dans les triglycérides, mais seulement des résidus d'acides gras.
Ce que je viens d'expliquer se retrouve avec les protéines, qui ne "contiennent" pas d'acides aminés, mais sont des enchaînements de résidus d'acides aminés". Là encore, le mot "résidu" permet de bien comprendre que des atomes ont été éliminés des acides aminés.
Tout cela me semble simple et clair, mais je compte sur vous pour me signaler des obscurités.
En tout cas, je ne comprends pas pourquoi des collègues d'autres disciplines rechignent à utiliser des terminologies correctes... à moins qu'ils n'aient d'idées que de simples mots, comme des manteaux sans personne dedans ?
Entendu dans la bouche d'un bon professionnel "Le sel attaque la molécule de matière grasse".
Je sais bien qu'un ministre a déclaré, ces dernières années, que la molécule d'éthanol n'était pas la même dans le vin et dans les alcools (une ineptie), et je sais aussi que notre homme parlait à une télévision, et qu'il devait paraître savant, mais je vois deux possibilités :
- soit notre homme a dans l'idée ce qu'il dit
- soit il dit cela pour faire bien.
Dans le second cas, c'est quelqu'un de prétentieux, ou de fragile. Mais, dans le premier cas, cela m'intrigue beaucoup, car quelle idée a-t-il d'une "molécule" ?
Décrivons lentement le système que notre homme considérait : le beurre. C'est une matière qui, comme on le voit en le clarifiant, est composés du petit lait et du beurre clarifié, avec parfois un peu d'écume. Pour le petit lait, c'est principalement de l'eau et des protéines, mais avec un sucre nommé lactose en solution, ainsi que des sels minéraux. Pour la matière grasse, elle est faite de molécules nommées triglycérides, avec, dissous, des colorants (naturels), des composés odorant.
Dans le beurre, à la température ambiante, il y a une partie de la matière grasse qui est sous forme solide, formant une sorte d'armature, d'échaffaudage, avec, dans le "réseau", des gouttes de la solution aqueuse et de la matière grasse à l'état liquide.
La "molécule de matière grasse" ? Cette expression n'a aucun sens, parce que la matière grasse d'une motte de beurre est faite de centaines de milliers de milliards de milliards de molécules de triglycérides. Et le sel n'a aucune action sur ces molécules.
Que notre homme veut-il dire, alors ?
Je m'évertue, depuis des années, à expliquer que les sciences de la nature moderne marchent par quantification des phénomènes, expériences et théorisations... mais pas n'importe comment.
D'abord, l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, ce qui va de pair avec l'exploration du monde, la découverte d'objets, de concepts...
Cette recherche se fait de façon très coordonnée, de la façon suivante :
1. identification du phénomène que l'on va étudier
2. caractérisation quantitatives (des mesures, des mesures, des mesures) des divers aspects des phénomènes retenus
3. réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
4. recherche de "théories", par l'intégration de plusieurs lois et l'introduction de concepts nouveaux (l'électron, le neutrino, la tétravalence du carbone, l'aromaticité...)
5. recherche de conséquences testables des théories
6. tests expérimentaux de ces "prévisions"
7. et ainsi de suite à l'infini, parce que toute théorie, étant un modèle réduit de la réalité, est nécessairement insuffisante, et doit être améliorée.
Tout cela étant dit, on arrive, à une époque donnée, à un "récit", du type "L'eau liquide est faite d'objets identiques, les molécules d'eau, entre lesquelles il n'y a rien (du vide)".
Et quelqu'un qui étudie les sciences doit évidemment apprendre un tel "récit", au lieu de "L'eau est une substance élastique", comme au Moyen Âge. D'ailleurs, j'ajoute immédiatement que cela ne suffit pas d'apprendre la phrase "L'eau liquide est faite d'objets identiques, les molécules d'eau, entre lesquelles il n'y a rien (du vide)" : cela est un récit de vulgarisation, mais, quand on apprend les sciences de la nature, on doit apprendre les quantifications qui vont avec cette idée, à savoir que une mole d'eau (18 g) contient 600000000000000000000000 molécules d'eau, que ces molécules contiennent un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène, et ainsi de suite. Sinon, on n'apprend pas les sciences ; on reste à de la vulgarisation qui ne donne pas une compétence, pas un métier.
D'où un twitt que j'avais fait, et où je m'étonnais d'avoir rencontré des étudiants de sciences des aliments qui croyaient qu'il y avait de l'air entre les molécules d'eau.
Après ce twitt, un correspondant a pris la "défense" des étudiants ignorants :
" Je viens de lire votre tweet sur votre étudiant de master qui pense qu'il y a de l'air entre les molécules d'eau liquide. D'une certaine manière je le comprends : je me pose moi-même beaucoup de questions depuis que j'ai regardé les vidéos (donnant une modélisation visuelle de l'eau) que vous aviez un jour mises en lien."
Ici, pour ceux qui ne sont pas au courant, il faut expliquer que j'avais donc déjà présenté la constitution de l'eau, et j'avais expliqué (récit de vulgarisation) que l'eau était fait de d'objets tous identiques que l'on nomme des molécules d'eau. Il est d'usage, dans l'enseignement, de "représenter" ces molécules et il y a plusieurs représentation :
- soit simplement des lettres pour dénommer la nature des atomes qu'on relie par des bâtons pour figurer les liaisons chimiques (qui sont en réalité en réalité des nuages d'électrons),
- soit des boules qui sont censées correspondre à des parties de l'espace où les électrons se répartissent autour des atomes
- soit des surfaces où les molécules voisines n'entrent pas (dans des conditions physiques particulières)
- etc.
Oui, "etc.", car on pourrait tout aussi bien représenter les molécules par des tableaux de nombres, ce qui est fait d'ailleurs en modélisation moléculaire. Ou encore par des fonctions d'onde, quand on fait de la mécanique quantique...
Dans tous les cas, il s'agit de représentation, c'est-à-dire de donner à voir mais on aurait bien tort de croire que les objets que l'on représente sont effectivement les objets tels qu'ils sont. Et je prends souvent comme exemple, pour expliquer cela, celui d'un cylindre : quand on le regarde selon son axe, on voit un disque, mais quand on le regarde par le côté, on voit un rectangle. Pour autant, le cylindre n'est ni un disque ni un rectangle, mais bien un cylindre, et d'ailleurs, on peut tout aussi bien ne pas le voir avec les yeux mais avec une équation, celle du cylindre.
Oui, j'avais donc moi-même fourni à mes amis des vidéos qui montraient des modélisations moléculaire de molécules d'eau. Il y avait donc quelque chose à voir... sur un fond noir. On aurait pu le faire blanc, mais il était plus juste de le faire noir, car il n'y a rien entre les molécules d'eau : du vide.
Et cela m'amène à une autre réponse fausse que font les étudiants, quand on dessine des molécules d'eau dans de l'eau liquide : interrogé sur ce qu'il y a entre les molécules d'eau, certains disent "des liaisons hydrogène".
Sur les modélisations moléculaires que j'avais données, on voit effectivement des pointillés, sur certaines, et il est vrai que les molécules d'eau s'attirent, raison d'ailleurs pour laquelle l'eau liquide reste liquide, au lieu que les molécules se dispersent partout. Oui, les molécules (qui bougent) sont déviées d'une trajectoire initiale par les "interactions" entre les molécules, tout comme la Terre ne part pas en ligne droite dans l'espace, mais est attirée par le Soleil.
Dire qu'il y a des liaisons hydrogène entre les molécules d'eau, ce serait comme dire qu'il y a des forces de gravitation entre la Terre et le Soleil, ou comme dire qu'il y a des forces magnétiques entre deux aimants séparés de quelques centimètres.
Ces forces ? Nous en avons les expressions quantitatives, les équations, et c'est précisément cela, l'apport des sciences de la nature : au lieu de tenir un discours vague, nous avons des équations qui s'appliquent avec une précision parfois extraordinaire. Et c'est d'ailleurs une raison pour laquelle je me lève le matin : quelle extraordinaire correspondance entre les équations et ce que nous mesurons !
Mais, hélas, ces équations sont bien difficiles à communiquer à un public qui n'a pas de compétences mathématiques... de sorte que nous faisons des récits, qui n'ont, par rapport à des récits mythiques (les dieux grecs, les feux follets, les fées, etc.) que le bénéfice d'être réfutables... et de correspondre à des équations, des calculs, qui correspondent très précisément aux faits expérimentaux.
Mon interlocuteurs continue :
Je me pose des questions en particulier sur les interactions entre molécules, interactions qui expliquent leurs mouvements. J'ai bien compris qu'il y avait des liens hydrogènes (donc des forces électrostatiques si je ne m'abuse). Ces forces-là sont les plus faciles à comprendre. Elles sont marquées par des traits dans les vidéos. Je me doute qu'il y a des forces de gravitation. Mais j'imagine également qu'il y a des chocs. Et ces chocs ne sont absolument pas notés dans les vidéos. On a l'impression que les molécules ne se touchent pas. Or avant de voir ces vidéos, pour moi c'étaient ces interactions qui expliquaient le mouvement des molécules.
Des "chocs" ? La question à se poser est "qu'est-ce qu'un choc, pour des molécules" ? De même, la "surface de l'eau" n'est pas une ligne que l'on trace, puisqu'il y a des molécules qui partent, d'autres qui reviennent, et tout cela est en mouvement. La ligne que l'on peut dessiner est notre perception à l'oeil nu... mais n'oublions pas que la physique sonde jusqu'aux quarks qui constituent les particules qui constituent les noyaux des atomes qui eux même entrent dans la constitution des molécules. Et tout cela avec des caractéristiques quantitativement décrites par des équations. J'insiste : des équations qui sont ce que les étudiants en sciences doivent apprendre !
D'ailleurs, j'ajoute que les forces de gravitation dont parle notre ami sont TRES faibles par rapport aux liaisons hydrogène. Et cette extrême faiblesse relative est une composante essentielle de la description... sans quoi on devrait voir les molécules "tomber".
Oui, comme dit notre ami : "Comme quoi réussir à donner un modèle suffisamment parlant et en même temps suffisamment précis pour avoir une idée juste d'un phénomène physique ou chimique est bien compliqué.". Oui, absolument, cela est bien compliqué, et voilà pourquoi j'ai la plus grande admiration pour mes prédécesseurs et pour les meilleurs de mes collègues : la science ne s'apprend pas, et ne se fait pas en claquant des doigts à la terrasse d'un bistrot, mais, au contraire, par de l'étude ! Seul dans un cabinet de travail, à apprendre, apprendre et apprendre encore !
On me dit ensuite "L'erreur commise par votre élève n'est pas une erreur totalement déraisonnable. Pourquoi n'y aurait-il pas de l'air entre les molécules d'eau liquide. Il y en a bien entre les molécules d'eau gazeuse dans l'atmosphère. Bien sûr les physiciens et les chimistes savent qu'il n'y en a pas. Mais a priori rien n'empêcherait qu'il en fût autrement. Comment savent-ils qu'il n'y a pas d'air d'ailleurs ? Il y a eu des expériences faites en ce sens dans l'histoire des sciences ? Le modèle de l'eau liquide qu'ils ont en tête ne le permet pas ?"
En réalité, oui, il peut y avoir de l'air "dissous" dans l'eau, mais c'est trompeur et un peu fautif de le dire ainsi : il y a des molécules de diazote ou de dioxygène dissoutes dans l'eau, dispersées au milieu des molécules d'eau, et on connaît même depuis plus d'un siècle une "loi" qui décrit la relation entre la pression du gaz au dessus du liquide et la quantité de molécules de ce gaz en solution.
Mais je vous assure que, en Master, soit après 5 années d'études supérieures avec de la chimie, de la physique, des mathématiques, ce n'est vraiment pas merveilleux de ne pas avoir de bon "modèle" de l'eau !
Et notre correspondant de conclure "Cela montre en tout cas que dans la conscience que nous avons de la physique comme dans celle des autres sciences rien n'est inné tout est acquis."
Mais oui, mille fois oui ! Les sciences de la nature sont une conquête extraordinaire, l'honneur de l'esprit humain. Oui, sans connaissance scientifique, nous serions comme au Moyen Âge, et nos ordinateurs, aliments, vaccins, médicaments, peintures, fusées, électricité dans les foyers, eau potable, etc. sont des résultats d'applications techniques des sciences. De ces sciences qu'il faut apprendre, longuement, patiemment, avant de pouvoir contribuer à leur avancement.
Et, je le répète, cela ne se fait pas en claquant des doigts. Je rappelle d'ailleurs ma métaphore de la balance, avec le travail d'un côté et les prétentions de l'autre : s'il y a plus de prétentions que de travail, on est prétentieux, mais si l'on a plus de travail que de prétentions, on est travailleur... et l'on n'a d'ailleurs pas de temps pour être prétentieux. Ajoutez à cela que quelqu'un qui sait quelque chose est quelqu'un qui l'a appris, et vous verrez pourquoi je préfère voir, en Master, des étudiants qui savent qu'il y a du vide entre les molécules d'eau.
Oui, les connaissances scientifiques s'apprennent ! Et ce ne sont pas des récits comme on en fait aux enfants le soir à la veillée : tout est équations !