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lundi 19 octobre 2020

Ce n'est pas gagné, mais on y arrivera si l'on y met de la bonne volonté



Reçu un message, ce matin. Je le divise en petites bouchées, et j'y réponds :  

 Pour l'anecdote : il y a deux ans, j'étais portier dans un établissement étoilé. Je discutais alors avec le chef au sujet des émulsions, évoquant évidemment la mayonnaise, la vinaigrette... Ce dernier me répond avec beaucoup trop d'assurance : "une mayonnaise c'est une mayonnaise, rien à voir avec une émulsion ! Pour une émulsion, il faut un syphon et de la lécithine de soja, c'est pour faire des espuma", le coup classique... Malgré mon insistance, un commis m'a remis à ma place : "écoute, lui c'est le chef, il sait de quoi il parle".  Enfin bref. C'était pour l'anecdote, et après tout, peut-être qu'un chef n'a pas forcément à connaître la logique chimique de sa cuisine... Si elle est bonne après tout !

Oui, il est bien évident qu'un portier ne peux pas savoir ce que c'est ce que sait un chef (faut-il préciser que j'ironise ?) ! Comment un portier serait-il reconnaître une émulsion alors que le mot a plusieurs syllabes, qu'il se rapporte à un objet technique que le chef maîtrise !
Pour expliquer bien et calmement, maintenant, sans (trop) sourire : depuis 1560, le mot "émulsion" désigne un système qui s'apparente au lait, avec un liquide (par exemple de l'huile) dispersé dans un autre liquide avec lequel il n'est pas miscible, avec lequel il ne se mélange pas (de l'eau, ou une solution aqueuse : thé, café, bouillon, vin, jus de fruit).
Et oui, la mayonnaise est une émulsion, puisque l'huile est dispersée dans un mélange de jaune d'oeuf (pour moitié de l'eau) et de vinaigre (90 pour cent d'eau). C'est même une sorte de "prototype" d'émulsion !
La vinaigrette ? Ce n'est une émulsion que si elle est bien émulsionnée... et souvent, la moutarde le permet... parce que la moutarde contient des composés "tensioactifs" : protéines, lécithines, etc.
En revanche, avec un siphon, ce n'est pas une émulsion que l'on obtient, le plus souvent, mais des mousses : pousser un gaz dans un liquide, "foisonner", c'est faire mousser. Et une mousse... c'est une mousse, avec du gaz dispersé dans l'eau. Le chef et le commis confondent tout !
L'anecdote me navre, parce qu'elle montre que la rénovation de la technique culinaire est loin d'être achevée ! Pourtant, j'ai commencé en... 1980, et je vois que  je suis loin d'avoir fini.
Certes, nous avons avancé, en rénovant (en 2000) les référentiels de  l'Education nationale, référentiels qui se fondaient sur le Guide culinaire qui est un mauvais livre, plein d'erreurs techniques, terminologiques, historiques... mais ceux qui ont été formés avant la réforme restent dans l'erreur. Allons, ils finiront par mourir et par faire place à des professionnels plus éclairés.
Oui la cuisine doit être bonne mais je ne parviens pas à penser qu'elle ne puisse être meilleure si les idées théoriques étaient justes.

Mon correspondant continue :
"Enfin, voici ce que je voulais vous demander : je découvre vos "ollis" avec beaucoup d'admiration, et je repense à la rouille de Marseille, qui aujourd'hui se trouve être dans la tête de beaucoup de monde, une mayonnaise épicée et légèrement aillée... parfois agrémentée d'une pomme de terre ou d'une tranche de pain. Je me rappelle cependant de restaurateurs ajoutant dans leur rouille des foies de rouget voire même des gonades d'oursin... alors peut-être est-il possible d'abandonner l'oeuf, la pomme de terre, la tranche de pain, et de démarrer l'émulsion avec simplement une purée d'ail, des foies légèrement pochés, du paprika voire du safran (si on se le permet), et d'allonger tout cela à l'huile d'olive ? Je vois que vous avez fait une émulsion d'anchois, alors peut-être que cela pourrait marcher, d'autant plus que j'ai cru comprendre que la lécithine est grandement présente dans les foies (humain ou non...), à tenter également avec des foies de volaille...
Aussi, le tensioactif utilisé dans le cadre de la cosmétique est souvent la caséine, je me demande alors s'il serait possible de monter une émulsion à l'huile, avec une base de lait en poudre, ou quelque chose comme cela."


Là, il faut expliquer que les "ollis" sont des inventions que j'ai faites dans les années 1980 : j'avais observé que l'on pouvait monter des émulsions avec de l'ail broyé avec de l'huile : ce sont les aïollis. Et j'ai réussi alors à faire des échalottolis, des oignollis... et des émulsions à partir de n'importe quel tissu animal ou végétal : ce sont les ollis, présentés dans mon livre "Révélations gastronomiques". 



Et mon interlocuteur a raison de le souligner :  il n'y a pas de jaune d' œuf dans un aïoli, sans quoi c'est une mayonnaise à l'ail !
Oui, aucun besoin d'œuf pour monter une émulsion, ni de pommes de terre ni de tranche de pain ! L'aïolli, le vrai,  se fait seulement à partir d'ail que l'on broye avec de l'huile sans qu'il soit nécessaire d'ajouter quoi que ce soit.
Et oui, n'importe quelle protéine permet de monter une émulsion ; celles du lait,  la gélatine, et cetera

Enfin :
"Je terminerai sur une dernière chose (après, j'arrête de vous embêter), aujourd'hui ce que l'on appelle "rémoulade" ressemble à cette sauce de Louisiane, pleine de condiments. Si elle est surement très bonne, confirmez-moi qu'à l'origine, la rémoulade excluait l'oeuf, se résumant à la moutarde et à l'huile ? Le céleri rémoulade serait alors une sorte de julienne de céleri à la vinaigrette émulsionnée (si on veut le dire grossièrement) ?"

Pour la rémoulade, enfin, c'est bien de tout le temps (disons : au moins depuis le Viandier) une sauce qui est à base de moutarde et d'huile... mais il n'est pas interdit d'y ajouter de l' œuf pour faire un goût plus flatteur... et c'est d'ailleurs ainsi qu'est sans doute née la mayonnaise : un jour, par mégarde, quelqu'un a dû oublier la moutarde... et faire une mayonnaise.
De sorte qu'une mayonnaise à moutarde est une rémoulade, pas une mayonnaise !

Et, pour mon correspondant, j'ai ajouté :
PS. Si vous le souhaitez je peux ajouter votre email sur la liste de distribution des "séminaires de gastronomie moléculaire" (cf pj). Il suffit de le demander à icmg@agroparistech.fr

samedi 19 janvier 2019

A propos de mousses et de cuisson

Aujourd'hui, deux questions que je n'avais jamais eues, de sorte que je réponds sans attendre :

1. J'ai lu que vous aviez fait l’expérience des blancs en neige avec la pompe à vélo, mais pourquoi ? Le batteur est plus pratique


Oui, il y a environ 40 ans (déjà !), je m'étais interrogé sur la production des blancs en neige, et j'avais compris qu'il s'agissait de simples mousses, avec des bulles d'air dans un liquide fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Pour montrer que le fouet n'était rien qu'une des milles possibilités d'obtenir une telle mousse, j'avais utilisé une pompe à vélo... mais n'oubliez quand même pas que j'ai une forte tendance à la "rigolade sérieuse".

Bref, dans la foulée, j'avais montré qu'une pompe d'aquarium soufflant de l'air dans les blancs faisait des mousses aux bulles bien plus grosse que pour du blanc d'oeuf. Et, surtout, j'avais proposé de faire mousser des mélanges variés : pensons par exemple à du jus de framboise additionné de protéines.

Là, c'était plus pratique que la pompe à vélo, parce que l'on appuie sur un bouton, et tout se fait automatiquement. Mais il ne s'agissait que de deux exemples, et j'avais montré également l'utilisation de siphons... qui sont aujourd'hui partout en vente dans les grandes surfaces, et là, c'est bien plus pratique de fouetter au fouet !

J'ajoute que l'histoire n'est pas finie : je n'aime pas beaucoup les siphons actuels, parce que les recharges sont un peu du gaspillage... et aussi que des jeunes se droguent au protoxyde d'azote qui est dedans. Je préfère des compresseurs qui font le même travail, avec de l'air.


2. Je ne doute pas que la cuisson au lave vaisselle soit intéressante, mais pourquoi pas à la vapeur directement ?

Je vois que mon interlocutrice ne connait pas la "cuisson à basse température", qui est un progrès considérable pour l'économie familiale ! Transformer des viandes dures, qui coûtent 4 euros le kilogramme, en viandes fondantes, telles qu'on les paierait plus de 20 euros, c'est quand même quelque chose d'essentiel !
Sans compter que le résultat est constant, que le bouillon a beaucoup de goût... et que l'on perd moins de masse à la cuisson. Imaginez un rôti de un kilogramme : si vous le cuisez à 180 degrés ou même à 100 degrés, il perd entre 20 et 30 pour cent de sa masse : en pratique, on achète un kilogramme, et l'on ne sert que 700 grammes ! En revanche, à basse température, la perte est très faible.  Mais, surtout, avec oeufs, poissons, volaille, le résultat est absolument merveilleux. Et c'est plus facile à régler qu'à la vapeur (laquelle, d'ailleurs ?).
Mais, ayant expliqué l'intérêt de la cuisson à basse température, il faut en venir au lave-vaisselle : cette fois, c'est de l'économie sur l'énergie dépensée pour la cuisson, puisque les aliments (protégés dans des plastiques de qualité "alimentaire") cuisent sans utiliser d'autre énergie que celle qui serait déjà dépensée pour faire la vaisselle !
Cela dit, il y a mille façons de faire, mais, j'y repense, pourquoi un attachement particulier à la vapeur ? Et nous pourrions-nous pas penser à encore d'autres méthodes encore plus modernes ? D'ailleurs, pour la "cuisine note à note", comment cuire au mieux ?

A noter que les questions technologiques et techniques sont notamment abordées dans

samedi 17 novembre 2018

Il y a vraiment besoin de donner des réponses... à lire lentement, mot à mot

 Allons, il faut rendre service. Je réponds donc ci dessous à : :

 J’ai récemment découvert la cuisine moléculaire et cela m’a passionné. J’ai donc acheté un kit de cuisine moléculaire pour faire des expériences.
 Cependant, j’ai rencontré quelques problèmes.  Pour la sphérification, je n’arrive pas à extraire les spaghettis du tube même en suivant à la lettre la recette ; je pense donc qu’il y a un problème avec le tube ou avec la seringue. Qu’en pensez-vous ?
Pour l’émultion, j’ai réalisé une mousse mais lorsque je me suis renseigné, j’ai découvert que la réalisation d’une mousse n’est pas vraiment une émultion mais elle reprend le même principe. Donc d’après vous, est il possible de réaliser une émulsion type eau/huile avec du jus et existe-t-il un additif pour lier les deux ?
Également, selon-vous la caramélisation est-elle une technique de la cuisine moléculaire ? Si oui avec quelle viande pourrait-elle être réalisée ?


1. Dommage que notre interlocutrice soit intéressée par la "cuisine moléculaire", alors que la cuisine note à note est plus de son temps... mais je me console en pensant qu'avec ce kit qu'elle a acheté, elle pourra aussi faire de la cuisine note à note !

2. Des problèmes ? Il peut y avoir mille causes : je me souviens même d'une personne, rencontrée lors d'une conférence, qui me disait ne jamais réussir ses mayonnaises... mais quand j'ai interrogé en détail, je me suis aperçu qu'elle n'utilisait pas d'huile !
# Ici,  sans être en position de voir  comment mon interlocutrice expérimente, je suis incapable de donner une réponse censée. Oui, il peut y avoir un problème avec le tube, ou avec la seringue... mais il peut aussi y avoir des problèmes pour mille autres raisons.

3. Une "émultion" ? Non, une émulsion.

4. Je ne comprends pas la phrase : "Pour l’émultion, j’ai réalisé une mousse". En effet, une émulsion, c'est une dispersion d'huile dans de l'eau, comme on en obtient une en partant d'eau, en ajoutant de la poudre de blanc d'oeuf (10 % par exemple), puis en ajoutant de l'huile tout en fouettant. Pour une mousse, c'est encore de l'eau et de la poudre de blanc d'oeuf, mais il n'y a pas d'huile !

5. Faire une émulsion eau dans huile ? C'est souvent bien plus difficile que de faire une émulsion huile dans eau, et je crois donc que mon interlocutrice se trompe.
Le faire avec un jus ? Puisque le jus, c'est de l'eau, il faut d'abord voir s'il y a un tensioactif dedans. Par exemple, en commençant par fouetter le jus sans rien ajouter : si ça mousse, c'est très probablement qu'il y a tout ce qu'il faut, de sorte qu'il suffira de fouetter en ajoutant de l'huile. Je recommande à mon interlocutrice mon invention nommée "ollis". C'est décrit dans :





6. La caramélisation est-elle de la cuisine moléculaire ? La cuisine moléculaire est définie comme une forme de cuisine qui utilise des ustensiles nouveaux. Donc non.
Avec quelle viande pourrait-on faire une caramélisation ? Avec aucune : la caramélisation est la réaction qui résulte du traitement thermique (chauffage) du saccharose (le sucre de table). Je ne comprends donc pas la question.


 En espérant avoir été utile.





vendredi 23 février 2018

Les mousses? Les mousselines ?


Pourquoi la cuisine moderne, en France surtout, confond-elle les mousses avec les émulsions ? Je dénonce la confusion depuis des années, mais, aujourd'hui, j'ai voulu essayer d'en comprendre l'origine.


Ce que je sais, c'est que, pour le mot "mousse",  l'acception « amas serré de bulles » date d'au moins 1680, alors que les plus anciennes « mousses  de poisson » que je connais en cuisine datent seulement de 1742.
Pour la mousse dans la première acception, les enfants connaissent le mot, puisque ce sont bien ces mousses-là qu'ils font dans leur  bain, en agitant de l'eau et du savon. Pour les mousses de poisson, on les obtient en mêlant de la chair de  poisson broyée avec éventuellement de la panade, de l'oeuf, parfois du blanc d'oeuf battu en neige, souvent de la crème fouettée. Il est exact que cette préparation culinaire est foisonnée, ce qui signifie qu'elle contient de nombreuses bulles d'air, ce qui contribue à sa texture légère.
Quand ces mousses (de poisson) sont cuites dans ces linges nommés mousseline,  on produit ce que l'on nomme des... mousselines.
Quand l'appareil est poché sous la forme de quenelles, alors on obtient des... quenelles de poisson. Et si l'on cuisait en terrine, on obtiendrait des terrines, ou des pains pour des préparations qui contiendraient plus de farine (je passe sur les détails de composition, puisqu'il n'y a pas de standard).

Certes, il y a un risque de confusion entre les mousses et les mousses.
Est-ce la raison pour laquelle certains cuisiniers nomment fautivement "émulsion" les liquides foisonnés ? Ce n'est certainement pas une bonne solution, car le mot « émulsion » existe depuis 1560, pour  désigner la dispersion de gouttes de matière  grasse dans un liquide aqueux notamment. Dans un cas, on a de l'air, et dans l'autre, on a de la matière  grasse : rien à voir !
D'autres utilisent le mot « écume » pour désigner les mousses au sens du liquide avec des bulles, car il est vrai que ces préparations s’apparentent à des écumes telles qu'on les voit sur les rivières. Pourquoi pas « écume »… mais le mot est connoté, car les écumes sont des mousses produites en raison d'impuretés : cela n'est pas appétissant. Il y a aussi ceux  qui utilisent le mot "espuma", car il est vrai que certains de mes amis espagnols ont beaucoup joué avec des siphons et produit des mousses… mais pourquoi aller chercher un mot espagnol, alors que j'avais proposé bien avant, en France, de produire ces mousses à l'aide d'une pompe d'aquarium ?
Ce qui est clair, c'est qu'il y a une possibilité de confusion, et l'on serait embarrassé de servir une mousse (de tomate, par exemple) avec une mousse (de poisson).  Que faire ?


Un choix à faire

Il y a donc une alternative : soit on change le nom des mousses de poisson, soit on introduit un nouveau mot pour désigner les mousses que l'on produit en fouettant un liquide. Comme une mousse est une mousse, au sens du liquide fouetté, je crois qu'il serait plus  avisé de changer le nom des mousses de poisson.
Bien sûr, j'entends mes amis  cuisiniers les plus traditionalistes dire que le Guide culinaire, ayant utilisé le mot « mousse » pour les mousses de poisson, est une autorité telle qu'on ne peut pas y toucher.
Mais je ferais observer, d'abord, que le Guide culinaire est un livre très imparfait... notamment en ceci qu'il confond les mousses (de poisson) avec les mousselines (de poisson), donnant la même recette sans indiquer que les mousselines sont cuites dans des mousselines ! Et ce n'est pas la seule critique que je fasse à ce livre, loin s'en faut !
D'autre part, n'oublions pas que la science a toujours progressé quand on a changé le langage, et vice versa, comme le disait le grand chimiste français Antoine-Laurent de Lavoisier. D'ailleurs, le chimistes qui avaient introduit les mots « chlorophylle » et « albumine »  ont progressivement appris à changer leurs termes pour parler de chlorophylles, au pluriel, et de protéines, catégories au sein de laquelle les albumines sont une petite sous-catégorie très spécifique.

Oui, j'aurais tendance à préférer un nouveau nom pour les préparations faites de chair de poisson foisonnée.

Chair foisonnée ? C'est un peu pesant… Dans un tel cas, j'aurais tendance à chercher dans l'histoire de la cuisine la plus  ancienne mention d'une mousse de poisson, afin de prendre le nom de l'auteur de cette mention pour le donner à cette préparation que nous devons renommer. Pour l'instant, c'est chez Menon que j'ai vu cette première mention. Faut-il alors parler de « menon de poisson » ?







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)