Reçu un message, ce matin. Je le divise en petites bouchées, et j'y réponds :
Pour l'anecdote : il y a deux ans, j'étais portier dans un établissement étoilé. Je discutais alors avec le chef au sujet des émulsions, évoquant évidemment la mayonnaise, la vinaigrette... Ce dernier me répond avec beaucoup trop d'assurance : "une mayonnaise c'est une mayonnaise, rien à voir avec une émulsion ! Pour une émulsion, il faut un syphon et de la lécithine de soja, c'est pour faire des espuma", le coup classique... Malgré mon insistance, un commis m'a remis à ma place : "écoute, lui c'est le chef, il sait de quoi il parle". Enfin bref. C'était pour l'anecdote, et après tout, peut-être qu'un chef n'a pas forcément à connaître la logique chimique de sa cuisine... Si elle est bonne après tout !
Oui, il est bien évident qu'un portier ne peux pas savoir ce que c'est ce que sait un chef (faut-il préciser que j'ironise ?) ! Comment un portier serait-il reconnaître une émulsion alors que le mot a plusieurs syllabes, qu'il se rapporte à un objet technique que le chef maîtrise !
Pour expliquer bien et calmement, maintenant, sans (trop) sourire : depuis 1560, le mot "émulsion" désigne un système qui s'apparente au lait, avec un liquide (par exemple de l'huile) dispersé dans un autre liquide avec lequel il n'est pas miscible, avec lequel il ne se mélange pas (de l'eau, ou une solution aqueuse : thé, café, bouillon, vin, jus de fruit).
Et oui, la mayonnaise est une émulsion, puisque l'huile est dispersée dans un mélange de jaune d'oeuf (pour moitié de l'eau) et de vinaigre (90 pour cent d'eau). C'est même une sorte de "prototype" d'émulsion !
La vinaigrette ? Ce n'est une émulsion que si elle est bien émulsionnée... et souvent, la moutarde le permet... parce que la moutarde contient des composés "tensioactifs" : protéines, lécithines, etc.
En revanche, avec un siphon, ce n'est pas une émulsion que l'on obtient, le plus souvent, mais des mousses : pousser un gaz dans un liquide, "foisonner", c'est faire mousser. Et une mousse... c'est une mousse, avec du gaz dispersé dans l'eau. Le chef et le commis confondent tout !
L'anecdote me navre, parce qu'elle montre que la rénovation de la technique culinaire est loin d'être achevée ! Pourtant, j'ai commencé en... 1980, et je vois que je suis loin d'avoir fini.
Certes, nous avons avancé, en rénovant (en 2000) les référentiels de l'Education nationale, référentiels qui se fondaient sur le Guide culinaire qui est un mauvais livre, plein d'erreurs techniques, terminologiques, historiques... mais ceux qui ont été formés avant la réforme restent dans l'erreur. Allons, ils finiront par mourir et par faire place à des professionnels plus éclairés.
Oui la cuisine doit être bonne mais je ne parviens pas à penser qu'elle ne puisse être meilleure si les idées théoriques étaient justes.
Mon correspondant continue :
"Enfin, voici ce que je voulais vous demander : je découvre vos "ollis" avec beaucoup d'admiration, et je repense à la rouille de Marseille, qui aujourd'hui se trouve être dans la tête de beaucoup de monde, une mayonnaise épicée et légèrement aillée... parfois agrémentée d'une pomme de terre ou d'une tranche de pain. Je me rappelle cependant de restaurateurs ajoutant dans leur rouille des foies de rouget voire même des gonades d'oursin... alors peut-être est-il possible d'abandonner l'oeuf, la pomme de terre, la tranche de pain, et de démarrer l'émulsion avec simplement une purée d'ail, des foies légèrement pochés, du paprika voire du safran (si on se le permet), et d'allonger tout cela à l'huile d'olive ? Je vois que vous avez fait une émulsion d'anchois, alors peut-être que cela pourrait marcher, d'autant plus que j'ai cru comprendre que la lécithine est grandement présente dans les foies (humain ou non...), à tenter également avec des foies de volaille...
Aussi, le tensioactif utilisé dans le cadre de la cosmétique est souvent la caséine, je me demande alors s'il serait possible de monter une émulsion à l'huile, avec une base de lait en poudre, ou quelque chose comme cela."
Là, il faut expliquer que les "ollis" sont des inventions que j'ai faites dans les années 1980 : j'avais observé que l'on pouvait monter des émulsions avec de l'ail broyé avec de l'huile : ce sont les aïollis. Et j'ai réussi alors à faire des échalottolis, des oignollis... et des émulsions à partir de n'importe quel tissu animal ou végétal : ce sont les ollis, présentés dans mon livre "Révélations gastronomiques".
Et mon interlocuteur a raison de le souligner : il n'y a pas de jaune d' œuf dans un aïoli, sans quoi c'est une mayonnaise à l'ail !
Oui, aucun besoin d'œuf pour monter une émulsion, ni de pommes de terre ni de tranche de pain ! L'aïolli, le vrai, se fait seulement à partir d'ail que l'on broye avec de l'huile sans qu'il soit nécessaire d'ajouter quoi que ce soit.
Et oui, n'importe quelle protéine permet de monter une émulsion ; celles du lait, la gélatine, et cetera
Enfin :
"Je terminerai sur une dernière chose (après, j'arrête de vous embêter), aujourd'hui ce que l'on appelle "rémoulade" ressemble à cette sauce de Louisiane, pleine de condiments. Si elle est surement très bonne, confirmez-moi qu'à l'origine, la rémoulade excluait l'oeuf, se résumant à la moutarde et à l'huile ? Le céleri rémoulade serait alors une sorte de julienne de céleri à la vinaigrette émulsionnée (si on veut le dire grossièrement) ?"
Pour la rémoulade, enfin, c'est bien de tout le temps (disons : au moins depuis le Viandier) une sauce qui est à base de moutarde et d'huile... mais il n'est pas interdit d'y ajouter de l' œuf pour faire un goût plus flatteur... et c'est d'ailleurs ainsi qu'est sans doute née la mayonnaise : un jour, par mégarde, quelqu'un a dû oublier la moutarde... et faire une mayonnaise.
De sorte qu'une mayonnaise à moutarde est une rémoulade, pas une mayonnaise !
Et, pour mon correspondant, j'ai ajouté :
PS. Si vous le souhaitez je peux ajouter votre email sur la liste de distribution des "séminaires de gastronomie moléculaire" (cf pj). Il suffit de le demander à icmg@agroparistech.fr