Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 15 octobre 2019
A propos d'oignons qui brunissent
À propos d'oignons qui brunissent, je vois évoquée une "caramélisation", ce matin. D'autres fois, je vois évoquées des "réactions de Maillard"... par des personnes qui ne savent pas ce que cela signifie.
Finalement, pourquoi les oignons brunissent-ils ? que peut-on en dire ?
Je donne déjà la réponse : il suffit de parler de brunissement, car c'est la seule façon vraiment juste de le faire, même si elle est d'une simplicité qui prévient la prétention d'utiliser des mots de plus de trois syllabes pour paraître savant.
Partons des faits : nous mettons des oignons dans un récipient et nous chauffons. C'est un fait qu'il brunissent, et c'est également un fait (que j'avais vérifié il y a plus de 20 ans) que l'ajout de sel peut changer considérablement la vitesse de brunissement et peut-être le brunissement lui-même. Mais oublions ce détail du sel pour l'instant, et posons la question : pourquoi ce brunissement ?
Commençons simplement en observant que les oignons contiennent des composés variés et que, manifestement, des transformations moléculaires engendrent des composés nouveaux, qui donnent la couleur brune.
Quels sont les composés initiaux ? Comme tous les tissus végétaux, les oignons sont faits majoritairement d'eau, puis de polysaccharides (pensons à la cellulose, chimiquement inerte, aux pectines et aux autres composés de la même famille), mais aussi de ces "petits" sucres que sont le glucose, le fructose ou le saccharose (ce dernier étant le sucre de table), des acides aminés, et mille autres composés.
Quand on chauffe, ces composés réagissent, par les mêmes réactions que celles que des chimistes pourraient faire dans des éprouvettes.
Par exemple, les sucres peuvent caraméliser... mais on gagnera à se souvenir de la température de 140 degrés, à partir de laquelle le brunissement commence de façon manifeste. Or, tant qu'il y a de l'eau dans les oignons, la température est limitée à 100 degrés, et la caramélisation ne peut pas avoir lieu. En revanche, en surface, là où l'eau est évaporée, alors le brunissement par caramélisation peut se produire... mais je dis bien "peut" se produire, car personne ne l'a encore montré correctement.
Avec des acides aminés et des sucres, un brunissement d'une autre sorte peut résulter de réactions... mais pas par des réactions de Maillard, car les réactions de Maillard ne sont pas entre sucres et acides aminés, mais plutôt entre sucres et protéines. Si le brunissement découlait de réactions entre les sucres et les acides aminés, ce seraient des "réactions de Fischer", et non des réactions de Maillard. Certes, dans les deux cas, les températures nécessaires sont plus basses que celles de la caramélisation, de sorte qu'elles pourraient expliquer le brunissement des oignons... mais il reste quand même à établir qu'elles ont lieu lors de la cuisson des oignons !
Surtout, il peut y avoir également bien d'autres réactions, et j'en prends pour preuve le fait que des protéines chauffées à sec brunissent très vite, je vous invite à mettre au four de la farine (avec amidon et protéines), de la fécule (avec seulement de l'amidon), des protéines, du sucre. Chauffez, par exemple, à 200 degrés, et vous verrez rapidement les protéines brunir, puis les sucres. Le brunissement des protéines seules ? Il a lieu, donc, mais je ne sais pas par quelles réactions.
Pour en revenir aux oignons, on doit donc conclure que le brunissement résulte probablement de plusieurs réactions simultanées et j'insiste pour dire que je n'en ai cité jusque ici que quelques-unes d'envisageables... car il y en a bien d'autres : des thermolyses, des pyrolyses, des oxydations, des déshydratations intramoléculaires des hexoses...
Finalement, laquelle de ces réactions est prépondérante ? Personne n'en sais rien, de sorte qu'il est totalement abusif de parler de "réactions de Maillard", ou même de "réactions de Fischer" ou encore de réactions de caramélisation.
A ce jour, la seule position intellectuellement soutenable est de parler ... de brunissement.
Ah, j'oubliais l'affaire du sel : non seulement j'ignore pourquoi cet effet, mais je ne connais pas de publication scientifique qui en ait établi le mécanisme. C'est un message optimiste que j'adresse aux jeunes scientifiques : ne croyez pas que le vieux aient déjà tout découvert, au contraire ! Tout reste à faire, pour comprendre les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires.
Les couverts ? A la française !
Pour nos amis, rien n'est trop bien, n'est-ce pas ? Quand nous les recevons, si nous les voulons heureux, nous sortons la plus belle des nappes, les plus beaux couverts, les plus beaux plats, les plus belles assiettes... Nous mettons littéralement les petits plats dans les grands, car c'est une façon de leur montrer combien nous nous soucions d'eux. Nous cherchons dans des livres ou en ligne les règles conventionnelles pour disposer les verres, afin de leur montrer que nous ne laissons rien au hasard.
Et il y a finalement la question des couverts, qui se mettent - toujours conventionnellement - de chaque côté de l'assiette, la fourchette à gauche et le couteau à droite, par exemple. Mais il y a façon et façon. Et, en particulier, on distingue les couverts à l'anglaise et les couverts à la française.
Que faire ?
À l'anglaise, la fourchette a ses pointes vers le haut, la lame la partie coupante vers l'assiette, et la cuillère montre sa concavité. Pour les couverts à la française, le couteau est toujours avec le bord coupant vers l'assiette, mais la fourchette est posée sur la pointe des dents et la cuillère montre son bombé.
Je préfère de loin la façon à la française, parce qu'elle se préoccupe mieux du bonheur de nos amis que les couverts à l'anglaire : de même que nous mettons le côté tranchant du couteau vers nous afin de protéger notre voisin de droite, nous mettons les pointes vers le bas, pour la fourchette, afin de ne pas offrir à nos vis-à-vis l'agressivité de ses pointes. De ce fait, la cuillère montre son bombé pour des raisons de symétrie.
Cette façon de faire à la française a comme conséquence que les initiales les propriétaires sont du côté visible, mais ce n'est qu'une conséquence.
L'essentiel, c'est la politesse, le bonheur que nous voulons donner.
Il faut donc absolument des couverts à la française.
lundi 14 octobre 2019
Ni nutrition, ni toxicologie
J'en ai pris l'engagement, mais je le confirme ici : je ne veux plus parler de nutrition (encore moins de diététique), ni de toxicologie, et cela pour des raisons simples :
1. Je ne suis pas nutritionniste !
J'observe toutefois qu'il y a une différence essentielle entre la nutrition, qui est une science biologique, et la diététique, qui en est l'utilisation pratique, et qui s'apparente à une sorte de morale.
J'observe aussi que l'être humain est de parfaite mauvaise foi : il veut manger sain... et il n'hésite pas à "craquer" sur le chocolat, qui est quand même fait de sucre et de matière grasse ! Plus plus loin à ce sujet, mais pour le moment, je signale que mon livre Le terroir à toutes les sauces est précisément un traité de la mauvaise foi (notamment à table), transformé en livre de cuisine et en roman d'amour, avec des recettes alsaciennes (délicieuses) traditionnelles.... mais modernisées : la mauvaise foi, vous dis-je.
Je ne dis pas que la nutrition n'est pas une activité scientifique passionnante, mais seulement que cela ne m'intéresse pas, et que ce n'est pas ma compétence. Je critique l'épidémiologie nutritionnelle mal faite, quand elle est biaisée ou quand elle conduit à de l'idéologie malsaine.
Et je reconnais l'importance de la diététique pour des cas particuliers, mais je refuse absolument un knockisme alimentaire, qui vise à considérer tout bien mangeant comme un malade qui s'ignore, et qui doit passer sous les fourches caudines de nutritionnistes ou de diététiciens.
2. Je ne suis pas toxicologue !
Certes, je suis de près les publications sur ce sujet, mais je m'étonne de voir les mêmes qui veulent manger sainement se bourrer de barbecues tout l'été (ah, les benzopyrènes cancérogènes), ou ne pas peler les pommes de terre (ah, ces délicieux glycoalcaloïdes toxiques). Bref, je dénonce des comportements incohérents.
Mais, surtout, je dénonce les discours idéologiques qui, fondés sur l'ignorance, risquent de conduire à de l'hygiénisme déplacé ! Nous devons prendre des décisions rationnelles, considérer que notre alimentation n'a jamais été si saine. Nous ne devons pas confondre le danger et le risque. Nous ne devons accepter de réglementations que sur le risque. Et nous devons dénoncer à la vindicte publique ces salauds que sont les marchands de peur ou, pire, de cauchemars.
Répétons-le : jamais notre alimentation n'a été aussi saine !
3. Non seulement je ne suis ni toxicologue ni nutritionniste, mais en réalité, ces disciplines qui relèvent de la biologie sont très éloignées de ma "compétence", qui est la gastronomie moléculaire, science positive que j'aime beaucoup, et à laquelle je veux me consacrer.
Donc ne comptez pas sur moi pour vous parler d'autre chose que ce que je sais ! Certes, je fais précisément ma bibliographie, sur d'autres sujets que les miens, mais je veux me consacrer entièrement à la gastronomie moléculaire : cette discipline scientifique qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires !
Allez, c'est dit, et redit. Et j'utiliserai à l'avenir ce billet pour ceux qui m'interrogent hors de mon champ de compétence !
A propos de rigueur !
J'ai beaucoup hésité à faire ce billet, parce que le sujet est miné : il s'agit de discuter de la rigueur.
Pour les plus avachis, la rigueur est un défaut terrible, mais pour les plus stricts, c'est une grande qualité. Bien sûr, il y a des rigueurs rigoristes, un peu idiotes quand elles sont si conventionnelles quelle ne permettent pas l'ouverture à l'autre, la compréhension d'autrui, avec sa culture différente. Mais il y a quand même, aussi, la rigueur intellectuelle, et celle-là, je vois mal comment on pourrait la critiquer.
Cela étant, pour les gens comme moi, la rigueur, c'est immédiatement le suivi exact des règles de pensée, la logique ; et là, je vois mal comment, au moins pour les sciences de la nature, nous pourrions nous en dispenser. Certes, je sais bien que même la rigueur mathématique a évolué au cours des siècles, et que Legendre n'a pas toujours eu la rigueur de Carl Friedrich Gauss ; je sais que nombre de mathématiciens ont eu des pensées intuitives, à commencer par Henri Poincaré, mais peut-être aussi Gauss lui-même, qui se refusait à publier ses démonstration avant qu'elles ne soient dans un état d'aboutissement aussi parfait que possible.
Je n'oublie pas non plus que la méthode scientifique n'est pas entièrement déductive, ce qui serait mortifère, mais bien inductive pour l'étape qui consiste à faire la théorisation à partir des lois, des équations, des ajustements : il y a lieu parfois d'introduire, dans la théorie, des idées que l'on cherche va ensuite à réfuter. Sans compter que la théorisation va parfois de pair avec l'introduction de nouveaux concepts, de nouvelles notions...
Mais il ne faut pas toujours tout relativiser, et ce moment particulier, intuitif, créatif, spontané dont je parle est un petit moment par rapport à l'ensemble des temps de travail nécessaires à la création des théories. Tout le reste se fait avec la plus grande rigueur.
Ceux qui parlent trop vite confondent parfois la méthode scientifique avec une méthode rigoureuse. Pour les sciences de la nature, la rigueur, le nombre, l'équation s'imposent absolument, mais pour une partie des sciences de l'humain et de la société, la rigueur, si elle n'est pas de même nature, est tout aussi nécessaire, et mes amis de ces sciences-à sont parfaitement rigoureux.
En art, c'est bien autre chose... apparemment. On nous bassine avec ces fulgurances créatrices... mais peut-on croire que Rembrandt eut pu peindre ses toiles s'il n'avait pas été capable de maîtriser absolument la peinture ? Et Mozart aurait-il pu composer ses musiques s'il n'avait pas pensé avec une rigueur absolue, jusqu'aux tours musicaux qui, précisément, doivent échapper à raideur (je ne dis pas rigueur) de l'écriture musicale ? Croyez-vous que Flaubert ou Rabelais auraient pu laisser "glisser" un seul mot de leur œuvre ?
Je vous invite à combattre cette idée veule, avachie, d'un art qui naîtrait d'un claquement de doigts sans une préparation immense, et cette fameuse intuition artistique me semble être au contraire le résultat d'un travail considérable, de hasards parfaitement maîtrisés... Bref de la plus grande des rigueurs.
Au fond, je me demande si l'avachissement n'est pas en réalité de la plus immense mauvaise foi quand il critique la rigueur, d'une grande malhonnêteté intellectuelle puisque, si la mauvaise foi est parfois tout empreinte d'humour, elle peut-être aussi parfaitement malhonnête.
Mais à ce stade, il nous faut vite relever les yeux de la boue, de la fange, pour aller considérer le bleu du ciel. Et voir que, pour les sciences de la nature, la rigueur n'est qu'un petit début. Pour l'identification des phénomènes, nous avons intérêt à bien les cerner, rigoureusement. Puis, dans la deuxième étape de la méthode scientifique, nous devons tout mesurer, caractériser quantitativement, et l'on sait toutes les discussions à propos des erreurs, des incertitudes, des dispersions des mesures... Avec la réunion des données en lois, en équations, aucune place pour le flou, et la rigueur devient mathématique. Tout comme pour la théorisation, qui conduit parfaitement logiquement à des théories. Et viennent ensuite les tentatives de réfutation, qui imposent encore la plus grande rigueur.
C'est là un des bonheurs des sciences de la nature : on fait les choses rigoureusement !
dimanche 13 octobre 2019
La science n'est pas la technologie (ni la technique), la découverte n'est pas l'invention
Les sciences ne sont pas les technologies, et l'existence des deux mots montre qu'il y a des différences, fussent-elles de connotations. Mais, en réalité, ces différences sont considérables, et un esprit analytique s'évertuera à les chercher.
Pourtant, dans des discussions à propos de ces différences, certains se laissent aller à dire que prétendre à l'existence même d'une différence est rétrograde...
D'une part, c'est là un argument ad hominem, donc minable, et, d'autre part, nous feraient-ils l'injure de croire que j'ignore ce qui a été dit de toute cette affaire ? Au point d'en avoir fait un livre !
Ces personnes sont donc soit naïves, soit méprisables parce que méprisantes, soit malhonnêtes... et elles tombent dans l'hubris le plus détestable... bien que là j'ai un doute sur le genre de ce dernier terme.
samedi 12 octobre 2019
Nous devons apprendre à discuter !
Mais je m'aperçois, ce matin, que jamais on ne m'a enseigné, autrement, que par l'exemple, qu'il fallait éviter de parler de soi dans une conversation.
Certes j'ai appris par hasard cette formule "Le moi est haïssable", dans les Pensées de Blaise Pascal, mais à propos de discussion, j'en étais réduit à deux idées explicites : d'une part, ne jamais parler de politique, de religion ou d'armée ; et, d'autre part, j'ai appris l'existence de ces manuels de conversation où figuraient des espèce de clichés pour être à l'aise en toutes circonstances.
Jamais on m'a dit explicitement comment contribuer à une discussion. Et je viens de vérifier auprès de jeunes amis qu'il en avait été de même pour eux.
Car il ne s'agit pas seulement éviter de parler de soi, mais aussi de savoir quoi dire.
Et c'est là où il y a une difficulté : le "quoi dire" se fonde sur tout le travail qu'on aura fait avant la discussion : dans les heures, jours, mois, années...
Et je retrouve ici mon concept des "belles personnes", celles que nous connaissons parfaitement mais qui nous surprennent, à chaque discussion, avec de nouvelles idées. Celles qui savent apporter sur la table du festin intellectuel les mets les plus délicats, les mieux choisis. Autre chose que des sandwichs vite faits. Non, des produits leur travail, de leur réflexion, de leurs soins, de leur intelligence. Ces personnes ne se laissent pas aller à délivrer des pensées immédiates, médiocres, qui montreraient leur médiocrité, mais elles veulent au contraire délivrer des objets bien finis, fignolés...
Oui, décidément, je crois que tous les parents et l'école devraient enseigner aux enfants comment participer à une discussion.
vendredi 11 octobre 2019
Des automatismes à avoir pour bien écrire en science
Oui, il y a quelques jours, j'avais produit une liste d'automatismes à avoir quand on écrit, et il y a eu de nombreux témoignages d'amitié après leur publiciation.
J'ai donc décidé de faire mieux, et voici :
jeudi 10 octobre 2019
Des questions... à reformuler
Ce matin, alors que je sors d'une rencontre avec des collégiens très enthousiastes de cuisine moléculaire (le passé : car le futur, c'est la cuisine note à note), je reçois ces questions (en gras), auxquelles je réponds :
Pourquoi la cuisine moléculaire a-t-elle "disparu" est qu’est-ce qui reste de ce type de cuisine ?
La cuisine moléculaire n'a pas disparu, bien au contraire : elle est partout, au point que cela n'a pas de sens de la distinguer.
Je vous rappelle, en effet, que la cuisine moléculaire, c'est la cuisine que l'on fait à l'aide d'appareils (d'ustensiles) qui viennent des laboratoires.
Par exemple, les bonnes régulations de température... avec lesquelles on fait aujourd'hui des "oeufs parfaits" (mon invention de 1995) ; initialement, on utilisait des thermocirculateurs... mais les fabricants de four s'y sont mis. Ou bien encore des siphons (en vente dans les supermarchés les plus populaires). Ou l'azote liquide pour faire des sorbets (bien meilleurs). Ou encore bien d'autres objets : alginate de sodium, agar agar, etc.
Bref, nous faisons maintenant (presque) tous de la cuisine moléculaire, dans tous les pays (qui ont les moyens) : vous voyez que j'ai gagné !
PS. Je ne touche pas un centime pour tout cela.
Pourquoi les grands restaurants uniquement gastronomiques ont-ils fermé ?
Cette question m'étonne... mais elle est mal formulée. D'abord, je conteste l'expression "restaurant gastronomique". La gastronomie, ce n'est pas la haute cuisine, mais la "connaissance raisonnée de ce qui se rapporte à l'alimentation". L'histoire des recettes, c'est de la gastronomie historique. Et la physico-chimie qui explore les transformations culinaires, c'est de la gastronomie moléculaire (à ne pas confondre avec la cuisine moléculaire !).
Bref, on ne va pas dans des restaurants pour avoir de la connaissance, mais de la cuisine.
Cherchons donc à répondre à la question modifiée : pourquoi les grands restaurants de haute cuisne auraient-ils fermé ? Mais là, incompréhensible encore, car les restaurants étoilés n'ont pas fermé !
A moins que l'erreur de mon interlocuteur soit encore plus grande, et qu'il demande pourquoi les restaurants de cuisine moléculaire auraient fermé ? Mais ils n'ont pas fermé, au contraire : Heston Blumenthal, René Redzepi... et tous les plus grands continuent exactement comme le passé. Le seul qui ait un peu fermé, c'est celui de Ferran Adria... parce que Ferran est maintenant si riche qu'il s'est mis en retraite (le pauvre !).
La cuisine moléculaire peut-elle avoir un avenir par exemple comme vous l’avez expliqué dans une interview peut-être nous aider contre le gaspillage ?
Moi, je cherche à tuer la cuisine moléculaire, mais à développer la gastronomie moléculaire (de la science, dans les universités du monde entier).
Et la cuisine que je cherche à développer, c'est la "cuisine note à note", une cuisine de synthèse, qui vise effectivement, parmi mille autres objectifs, à lutter contre le gaspillage. Et comme la population mondiale continue d'augmenter, je suis quasiment certain que cette cuisine note à note se développera.
PS. Encore une fois, je ne touche pas un centime !
Est-ce que, d’après vous, elle a une importance quand on voit que en 2050 1 personne/2 vas mourir de faim?
Est-ce que la cuisine note à note a une importance ? Bien sûr, et pour mille raisons !
Cela dit, j'espère que nous arriverons à faire qu'il n'y ait pas une personne sur deux qui mourra de faim en 2050.
Au fait, et vous, qu'allez vous faire pour que l'humanité ait assez à manger en 2050 ? Après tout, vous êtes plus concernés que moi, qui serai mort à ce moment-là.
dimanche 6 octobre 2019
Le choc thermique
Une fois de plus, j'entends l'expression "choc thermique" dans un contexte où elle n'a rien à faire, et où la personne qui la prononce n'a manifestement rien compris à sa signification. J'espère ici bien expliquer que cette expression peut signifier quelque chose dans certains cas, et ne doit pas être employée dans d'autres.
Au départ, il y a effectivement le choc thermique
Commençons par une expérience où le choc thermique existe véritablement : nous prenons un vieux verre, pas trop épais, qui pourra aller à la poubelle : nous le ceinturons d'une ficelle trempée dans de l'alcool à brûler, et nous mettons le feu à l'alcool. Dès que la combustion est terminée, nous plongeons le verre dans de l'eau glacée... et le verre se divise en deux parties, de part et d'autre de l'endroit où se trouvait la ficelle.
C'est cela, le véritable choc thermique physique : la chaleur avait dilaté le matériau, mais le refroidissement l'a contacté, et cela a créé des contraintes qui ont été supérieures aux forces qui assuraient la cohésion du matériau.
Un autre "choc thermique", qui a malheureusement le même nom alors que c'est un phénomène différent, a lieu quand nous passons du chaud au froid. En effet, notre organisme est thermorégulé, à savoir que, quand nous sommes au chaud, par exemple, le cerveau commande des mécanismes qui favorisent l'évacuation de la chaleur, à savoir notamment la sudation, mais également la vasodilatation périphérique, c'est-à-dire l'ouverture des vaisseaux sous cutanés pour augmenter l'échange de chaleur avec l'environnement ; le débit cardiaque est aussi augmenté de manière à acheminer le plus de sang à la périphérie. Si l'on plonge alors dans de l'eau froide, la peau est rapidement refroidie, de sorte que les vaisseaux sanguins se compriment immédiatement ; en conséquence, le sang reflue rapidement vers l'intérieur, et le cœur réduit considérablement son rythme pour diminuer l'afflux sanguin ; mais si le cerveau est alors d'un coup rationné en oxygène, le baigneur fait une syncope dans l'eau et peut se noyer.
On le voit : rien à voir dans les deux cas, mais un véritable effet.
Avec des haricots verts ? Non !
Récemment, un cuisinier m'a dit que jeter des haricots verts dans de l'eau glacée, au sortir de la cuisson, conservait les haricots plus verts, parce que cela faisait "un choc thermique sur la chlorophylle". Que penser de cette idée ? Il faut dire qu'elle est fautive pour deux raisons.
Tout d'abord, oui, les haricots qui passe du chaud au froid subissent un choc thermique, mais ils ne se brisent pas, et ne font pas de syncope.
D'autre part, il faut répéter que cette pratique de jeter les haricots verts dans de l'eau glacée ne rend pas les haricots plus ou moins verts.
Enfin, "la" chlorophylle n'existe pas. Ce sont deux chimistes du siècle passé qui ont introduit "la chlorophylle", mais seulement pour décrire ce que l'on devrait nommer "vert d'épinard", ou "vert de haricot", par exemple. Depuis, la chimie a progressé, et l'on a bien compris qu'il n'y a pas "la" chlorophylle, mais des pigments variés -bleus, verts, jaunes, orangés, rouges- qui font des mélanges paraissant verts, dans les végétaux verts. Et l'on a conservé le mot "chlorophylle", mais celui-ci ne s'emploie seul qu'au pluriel ("les chlorophylles"), ou bien il est précisé d'une lettre : chlorophylle a, chlorophylle a', chlorophylle b, et ainsi de suite. De ce fait, quelqu'un qui parle de "la chlorophylle", ce serait comme quelqu'un qui croirait que le Soleil tourne autour de la Terre, ou qui croirait que ce sont des dieux sur l'Olympe qui envoient la foudre.
Enfin, les chocs thermiques n'ont aucun effet sur des molécules !
Et dans mille autres cas
On le voit, pour parler de choc thermique, ou, du moins, pour lui attribuer des effets, il faut au minimum que ces effets soient avérés : quoi de plus ridicule que d'expliquer ce qui n'existe pas ! Et quand des effets sont avérés, ce serait quand même mieux qu'il y ait une relation de cause à effet avec un choc thermique, si on invoque celui-ci, non ? Sans quoi, on se trompe d'explication.
Mes amis -et moi-même-, soyons prudents avec les chocs thermiques !
vendredi 4 octobre 2019
Connaissez-vous les "ollis" ?
Je m'explique. Il y a plusieurs siècles (au 15e), il y avait la sauce rémoulade, où l'on partait de moutarde, et l'on allongeait avec du liquide, gras ou non, un peu comme dans une vinaigrette. Puis les cuisiniers les plus riches ajoutèrent du jaune d'oeuf, pour faire un goût plus flatteur.
Vers le 17e siècle, apparut le "beurre de Provence", ce qui est en réalité l'aïolli, une émulsion que l'on obtient en broyant de l'huile (d'olive !) avec de l'ail.
Vers 1800, quelqu'un eut ensuite l'idée de supprimer la moutarde de la sauce rémoulade... et il découvrit alors cette émulsion qu'est la sauce mayonnaise. Grande découverte, parce que le goût est alors bien plus fin.
Mais quand fut publié le Guide culinaire que je crois être un mauvais livre, furent entérinées à la fois la confusion entre rémoulade et mayonnaise, et entre aïolli et mayonnaise à l'ail. Il faut absolument combattre de telles confusions : quel travail pourrait faire un ébéniste qui confondrait le marteau et le tournevis ? quelle musique ferait un musicien qui confondrait le do avec le sol? quelle littérature ferait un écrivain qui ignorerait la grammaire ?
Bref, à cette époque ancienne d'avant 1992, je faisais un aïolli... dans les règles de l'art, en broyant de l'ail, au mortier et au pilon, puis en ajoutant de l'huile d'olive goutte à goutte, toujours en pilant.
Mais comme ce genre de travail m'ennuie, je réfléchissais... et j'eus l'idée suivante : et si l'on remplaçait l'ail par l'échalote ?
Aussitôt pensé, aussitôt réalisé : j'obtenais encore une émulsion, à laquelle je décidais de donner le nom d' "échalottoli". Puis je testais l'oignon, pour obtenir l'oignollii, la carotte (cuite) pour le carottolli, mais aussi la viande, le poisson... En réalité, tout peut y passer, puisque les tissus végétaux et animaux contiennent de l'eau, certainement (dans les cellules de ces tissus), mais aussi des protéines et des phospholipides, notamment dans les membranes cellulaires.
Bien sûr, certains m'ont dit que quelques uns de mes ollis existaient déjà : le caviar d'aubergine est effectivement un auberginolli, par exemple. Mais qu'importe, il reste tous les autres, et je fus invité à ouvrir le Congrès Mondial des Emulsions avec la présentation de ces inventions : je fis alors, je m'en souviens, un cépolli, à partir de cèpes (nous étions à Bordeaux !).
C'est donc une vieille invention, mais je vous invite à tester notamment au poivron rouge, le poivronolli. Ou au poisson, avec une belle d'huile d'olive vierge : pensez à du rouget, par exemple, et n'oubliez pas la goutte de jus de citron.
Car la règles des émulsions est : de l'eau, des composés "tensioactifs", de l'huile.
Et c'est ainsi que la cuisine est de plus en plus gourmande !
PS. La recette figure dans mon livre Révélations gastronomiques
jeudi 3 octobre 2019
Les moyens de la preuve
De façon très élémentaire, je réclame absolument que toute mesure soit assortie d'une évaluation de l'incertitude. Soit on indique la précision de l'appareil de mesure, soit on donne l'écart-type, c'est-à-dire une estimation de la dispersion de plusieurs mesures successives du même objet avec le même appareil et dans les mêmes conditions.
Prenons un exemple : si un thermomètre plongé dans de l'eau chaude affiche une température de 50,2463 degré Celsius, il faut quand même que je m'interroge sur la pertinence de tous ces chiffres après la virgule, car leur affichage est peut-être abusif (de même, il n'est pas légitime de se demander combien d'anges tiennent sur la tête d'une épingle si on n'a pas d'abord montré sur les anges existent). Bref, les chiffres doivent être "significatifs". En l'occurrence, avec un thermomètre à mercure des familles, ces chiffres après la virgule ne le seraient pas, et même le 0 devant la virgule n'est sans doute pas juste.
Cette question d'assortir les mesures d'une incertitude est un tout petit minimum, en science, mais ce billet veut dire que, ce cap élémentaire étant passé, il y a lieu de ne pas accepter une mesure dont on ne nous dit pas comment elle a été obtenue, ce que les publications scientifiques nomment les "matériels et méthodes", mais que l'on pourrait aussi nommer "les moyens de la preuve", sans que les deux objets ne soient strictement identiques (mais commençons par faire simple).
Par exemple, un appareil de mesure peut afficher des valeurs précises... mais fausses, et, pire, on peut n'avoir pas mesuré ce qu'il fallait. Je prends volontairement un exemple bien excessif : si on pose sur une balance un verre qui contient un liquide, la balance affiche une valeur qui est celle de la somme de la masse du liquide et de la somme de la masse du verre : il serait faux de penser que la masse affichée est seulement celle du liquide. Comme dit, cet exemple semble montrer une évidence, mais, en réalité, des erreurs s'introduisent pour une raison cachée du même type. Et c'est d'ailleurs une des raisons de la pratique des "validations" : on multiplie les mesures faites de façons différentes afin de s'assurer que l'on trouve bien le même résultat.
Evidemment, pour être compétent en science, il faut s'être entraîné à cela : regarder, en détails, comment les résultats qu'on nous propose ont été obtenus, ne pas accepter des valeurs sans examen critique, réclamer sans cesse le détail des matériels utilisés pour faire les expérimentations, ainsi que des méthodes mises en oeuvre.
Insistons un peu : nous regardons les détails, les circonstances expérimentales non pas parce que nous nous défions de nos collègues, mais parce que, en science au moins, le diable est caché partout.
Des chausses-trappes?
Des chausse-trappes ? Il n'y a que cela. Par exemple, je me souviens d'un thermomètre, dans un lycée hôtelier, qui marquait 110 degrés Celsius dans l'eau bouillante. Impossible : le thermomètre était faux... ainsi que toutes les mesures qui avaient été faites par d'autres, avant que je ne contrôle, en le plaçant d'abord dans de la glace fondante (0 degrés Celsius) et dans l'eau bouillante (100 degrés Celsius).
Plus subtil : avec une nouvelle méthode d'analyse par résonance magnétique nucléaire, nous avons découvert que nous dosions plus de sucre, dans des carottes, qu'il n'en était trouvé par les méthodes qui imposaient d'extraire d'abord les sucres, avant de les doser. Mais il est notoire que les méthodes d'extraction sont incomplètes !
Tiens, une idée : même si l'expérience est intransmissible, pourquoi ne ferions-nous pas une liste d'exemples d'erreurs dont nous avons connaissance, afin que nos successeurs puissent en avoir connaissance. Bien sûr, ils ne seront pas complètement immunisés, mais, au moins, ils seront mieux avertis que par une mise en garde générale, abstraite. Je commence :
Je me souviens d'une amie qui dosait les protéines dans des échantillons d'un matériaux qu'on lui avait dit être des "protéines" et qui trouvait très peu de protéines... et pour cause : cette matière n'était pas essentiellement constituée de protéines, mais de matière grasse.
Je me souviens d'un ami qui cherchait à doser les "lipides" dans de l'eau, oubliant que le mot "lipides" s'applique à des composés très variés ; il pensait en réalité aux triglycérides, qui sont parfaitement insolubles, de sorte que ses expériences étaient vouées à l'échec, sauf à considérer que ces composés étaient dispersés dans la solution aqueuse (émulsion)... auquel cas, le protocole devait être très particulier.
Je me souviens d'un ami qui voulait doser des acides aminés, alors que ses échantillons ne contenaient que des protéines : il avait omis ce fait que les protéines ne sont pas des assemblages d'acides aminés, mais des composés dont les molécules sont faites de "résidus" d'acides aminés, de sorte que les acides aminés n'existent pas en tant que tel, dans les protéines, et seuls leurs atomes restent organisés de façon identifiable par un chimiste.
J'attends vos exemples pour les ajouter à cette liste.
mercredi 2 octobre 2019
Pour un bon scientifique
L'histoire est exacte : un jour, il y a longtemps, discutant avec un "directeur de recherche", ce dernier m'a dit "Il faut faire de la bonne science". Et je lui ai répondu : "C'est quoi ?". A l'époque, il n'avait pas su me répondre, et j'avais évidemment été narquois... mais c c'est sans doute parce que j'ai un assez mauvais fond, n'est-ce pas ? Toutefois le pêcheur peut se rachter, et c'est ce que je propose de faire ici, en livrant quelques "Règles pour un bon scientifique".
J'en donne aujourd'hui trois : (1) dire combien, (2) citer de (bonnes références), (3) réclamer les moyens de la preuve pour chercher à comprendre.
Dire combien, combien, combien ?
La première règle se fonde sur la méthode des sciences de la nature, que j'ai discutée dans nombre de billets. Cette quantification intervient dans le deuxième étape de la démarche, à savoir que le phénomène identifié dans la première étape doit être quantifié, de tous les points de vue utiles. Ce seront ces données qui seront réunies en "lois", c'est-à-dire en équations, lesquelles permettront l'établissement d'une théorie, ou ensemble d'équations assorties de concepts quantitatifs, avant les tests de réfutation (quantitative) des conséquences de la théorie.
Bref, du nombre, du nombre, du nombre... Et voici pourquoi nous devons nous interdire d'utiliser des adjectifs ou des adverbes : la question, l'unique question, c'est "Combien ?".
Les références
En science, rien ne doit être donné ou fait sans justification ! Et c'est là que s'impose la bibliographie, et, de ce fait, la donnée de références.
Les mauvais scientifiques se contentent de trouver des références et de les donner sans justification, sans analyse critique. En revanche, les bons scientifiques savent évaluer les publications, et ne donner de références qu'avec une appréciation critique. Par exemple, on comprend facilement qu'on n'établit pas un fait si l'on cite une publication dont les méthodes sont défaillantes ! Et l'on comprend que l'on n'ira jamais donner des sources non scientifiques.
Mais la question est donc de savoir bien juger un travail publié, car il serait naïf de croire que toutes les publications sont bonnes, et je peux l'attester, moi qui ai vu mille fois publier des articles que j'avais refusé (pour cause de graves insuffisances méthodologiques), en tant que rapporteur !
Reste qu'il faut citer ses sources.
Les "moyens de la preuve"
Si l'on met dit qu'une fusée a décollé, je reste aussi bête qu'avant. Si l'on met dit qu'il y a une bataille en 1515, l'information est vide de sens, sans informations complémentaires. Si l'on me donne un dosage d'un produit dans une matrice, je doute, car je sais que les dosages imposent souvent des extractions, lesquelles sont bien souvent incomplètes. Et ainsi de suite.
C'est la raison pour laquelle, pour chaque donnée qui m'est délivrée, j'ai besoin des "besoins de la preuve", des détails de la procédure. Comment la fusée a-t-elle décollé ? Quels étaient les combustibles ? Et s'est-elle élevé de deux mètres ou a-t-elle atteint l'altitude de libération du champ gravitationnel terrestre ? Et à Marignan : étaient-ils une poignée, ou des milliers ? Et combien de temps cela a-t-il duré ? Combien de morts ? Et pour le dosage : quelle précision ? Comment s'est-on assuré que l'on a fait un bon dosage ? Et ainsi de suite.
Bref, avant d'admettre une information, il me faut mille détails, mille circonstances. L'énoncé précis des matériels et des méthodes employés par les personnes qui ont été à l'origine des résultats donnés.
Avec cela, on a un (tout) petit début, mais au moins, on sait ce qu'il y a à faire.
samedi 28 septembre 2019
Je vous présente le saccharose
Le saccharose ? Il faut d'abord et surtout dire qu'il est produit par les plantes et que son extraction, sa purification, par l’industrie du sucre conduit à ... du sucre de table. Car le sucre de table, ce produit blanc cristallisé à la saveur sucrée, c'est effectivement du saccharose à plus de 99 pour cent. C'est un produit inévitable dans l'alimentation, car il est présent dans tous les végétaux que nous consommons. Quand la sève brute monte vers les feuilles, elle permet, avec le dioxyde de carbone de l'air et l'énergie lumineuse du soleil, la synthèse du saccharose, parmi d'autres sucres tels que le fructose et le glucose. Puis ces sucres, ainsi formés dans ces usines naturelles que sont les feuilles, redescendent dans la plante, où ils servent d'énergie à la fois d'énergie à cette dernière, comme l'essence pour une voiture, mais aussi de briques pour la constitution des plantes, et de réserves pour les embryons.
Il y a donc du saccharose dans toutes les plantes, et c'est parce que les sucres, notamment le saccharose, sont dans les tiges, les racines, les tubercules ou les fruits, que nos aïeux lointains ont consommé des tissus végétaux : le sucre, c'est l'énergie dont ils avaient besoin pour vivre. Et c'est ainsi que les grands singes continuent aujourd'hui de mâcher des tiges, ou que les enfants aiment le sucre, comme les animaux.
Le sucre dans les plantes ? Il suffit de cuire doucement des oignons ou des carottes avec très peu d'eau, pour s'apercevoir que le jus récupéré est très sucre : il contient effectivement tant de sucre que l 'on peut même faire des confitures d'oignons.
Faut-il alors ajouter du sucre aux plats ? L'idée un peu bobo de lutter contre les "sucres ajoutés" revient en quelque sorte de faire un bond un siècle en arrière, pour extraire les sucres au lieu d'utiliser celui, très pur, de l'industrie du sucre.
Ici je m'arrête pour signaler que l'industrie du sucre n'est pas une industrie chimique... car il est bien impossible pour une industrie d'être chimique : la chimie est une science, et l'industrie une technique.
Donc l'industrie du sucre produit du sucre, et ses efforts consistent à extraire le sucre de végétaux, le plus souvent des betteraves ou des cannes à sucre, par des méthodes qui s'apparentent absolument à la cuisson de carottes ou d'oignons dans un bouillon ; puis il faut concentrer les liquides, évaporer l'eau. Lors de cette opération, on obtient des jus très impurs, et l'industrie utilise une technique de cristallisation pour avoir plus de pureté : quand des molécules d'une sorte s'empilent régulièrement en cristaux, les autres molécules, qui ne sont pas de la même sorte, ne sont pas acceptées dans l'édifice cristallin. C'est comme quand on empile des petits cubes : l'édifice ne se forme pas s'il y a des cubes d'une autre taille. De fait, quand on cristallise le saccharose, et que l'on obtient des grains de sucre blanc, est rejeté un liquide qui contient tous les composés qui ne sont pas du saccharose... et c'est un fait que le sucre blanc est l'une des matières les plus pures - moléculairement parlant- que l'on trouve en cuite
Evidemment, par les temps qui courent, il y aura toujours les marchands de cauchemars ou ou des trouilladds pour dire que quelque chose de très pur peut être dangereux. Et il est vrai que les huiles essentielles de basilic ou d'estragon sont à éviter. Pour le sucre aussi : si l'on en mange trop, on devient obèse et l'on a des caries. Mais, au fait, qui nous force à en manger trop ?
vendredi 27 septembre 2019
Que faire quand nos amis n'en sont pas ?
On a vu dans un autre billet que j'ai décidé de nommer "amis" ce que le reste du monde nomme "étudiants", et cela pour de bonnes raisons : à savoir que je suis moi-même étudiant, par exemple, mais aussi que nos... amis méritent notre amitié quand nous la leur donnons.
Mais arrive la dureté du monde et, par exemple, quand je vois l'étudiant le plus faible d'un groupe déclarer au dernier moment qu'il est malade, alors que l'examen arrive, ou quand je vois des étudiants répondre à côté de la question parce qu'ils ne savent pas la réponse, comme je ne suis pas fou : je m'aperçois que ces personnes cachent malhonnêtement leurs insuffisances, ce qui est la rupture d'un contrat amicale.
Puis-je encore appeler amis ces personnes-là ? Je me souviens de plusieurs personnages de Marcel Pagnol qui donnent leur confiance à d'autres afin que ces derniers en deviennent capables, je me souviens d'être devenus capables d'être rédacteur en chef d'une revue, il y a très longtemps, le jour où j'ai été nommé à cette position...
C'est bien l'état d'esprit que je veux faire régner. Je veux que les étudiants autres que moi-même soient vraiment des amis, des gens avec qui l'on discute librement, franchement, loyalement. Mais une fois la confiance brisée, que faire ? Pour des gens intransigeant comme moi, la question est d'autant plus terrible que je sais que l es associations avec des malhonnêtes nous conduisent généralement à des déboires terribles. Je veux absolument fuir ces personnes (ou les rejeter, ce qui est bien pareil).
Une seconde chance ? Regardons bien quand même l'ardoise de ces personnes, et l'on s'apercevra parfois que ces personnes l'ont déjà eue : ils n'ont pas eu une seconde, mais une deuxième chance, une troisième... Il y a un moment où il est de notre responsabilité de ne pas être complètement dupe, où il faut dire quand le roi est nu, quand des amis cessent de l'être.
Le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture.
Les projets : quel intérêt dans les études ?
Dans un autre billet, j'ai évoqué la question des stages, mais pas celle des projets, dont on dit que les étudiants les préfèrent aux cours (c'est à vérifier ; et puis, tous les étudiants ?).
Par exemple, dans une école de chimie, on donne aux étudiants la formule topologique d'un composé et on leur demande de faire tout le travail nécessaire pour arriver à proposer une synthèse industrielle, après avoir rempli un certain nombre de critères, à propos de rendement, de sécurité, etc.
Est-ce un bon système ?
Le mot "bon" est un adjectif, qui, selon nos... bons principes, doit être remplacé par la réponse à la question "Combien ?". Il y aurait lieu de faire une évaluation de la chose... à condition que cela soit possible.
Mais en attendant, j'observe que cette question des projets me fait penser à celle des stages, qui semblaient si appréciés de mes amis plus jeunes avec lesquels j'ai correspondu tout l'été, à propos des études supérieures.
Dans mon analyse, j'observais tout d'abord que les études devaient conduire à obtenir des informations, des connaissances, des notions, des concepts, des méthodes, des valeurs, des expériences, des compétences, des savoir être, des savoir vivre... Ici, avec les projets, on voit bien des connaissances transformées en compétences, mais on doit aussi observer que cette transformation ne peut s'opérer que si les connaissances ont été données. Il est hors de question de penser, comme cela a été fait, que les connaissances données par la préparation des concours aux écoles d'ingénieurs soient suffisantes, comme indiqué dans un autre billet !
Ce que je crains, c'est le temps considérable capté par un tel projet, au détriment de connaissances théoriques qui doivent emplir la valise intellectuelle de nos amis. C'est la même question qu'avec les stages : oui, ces travaux sont passionnants, et nos amis trouvent souvent grisants de voir qu'ils sont "capables", mais on ne doit pas sacrifier la théorie, que les institutions de formation doivent donner, avant que nos amis ne soient absorbés par la production.
Bref, il faut que ces projets soient parfaitement conçus pour ne pas s'arrêter à des applications, mais qu'ils conduisent nos amis à chercher des connaissances théoriques supplémentaires, et, mieux encore, qu'ils conduisent nos amis à apprendre, en situation de production, à chercher les connaissances théoriques supplémentaires. Car on n'oublie pas que les institutions de formation doivent conduire à l'autonomie.
Car, au fond, c'est cela la différence entre les études et la vie professionnelle, notamment : dans un cas, on est tout orienté vers l'obtention de nouvelles connaissances, de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-vivre, etc., alors que dans la vie professionnelle, si cette recherche de capacités supplémentaires est importante, elle doit quand même passer après la production.
jeudi 26 septembre 2019
Pour rendre service à nos amis qui écrivent
C'est très encourageant : il suffit de les corriger pour écrire mieux que la très grande majorité de deux qui doivent prendre la plume !
Des questions de correction intellectuelle
Pas d'adjectif : c'est du baratin (remplacer par la réponse à la question "Combien?"
Idem pour les adverbes.
D'ailleurs, éviter les adverbes, c’est le commencement du style : recherche systématique de "ment", et suppression des adverbes inutiles.
Attention à la différence entre « technologie » et « technique » (et « science »).
Les chiffres sont-ils tous bien significatifs?
Les métaphores compliquent parfois plus qu'elles n'expliquent.
A-t-on annoncé la couleur : dans chaque début de paragraphe, a-t-on dit ce que l'on allait trouver dans le paragraphe ?
Avant tous les intertitres, y a-t-il une phrase disant pourquoi on passe au passage suivant ?
Ne pas craindre les répétitions naïvement
Un point suivi de "en effet" peut être avantageusement remplacé par deux points.
Des questions de grammaire qui pourrissent la lecture :
Un infinitif ou un participe présent doivent avoir le même sujet que celui de la principale. Chercher (fonction recherche) systématiquement les "ant" et les "er".
"Après que" est suivi de l'indicatif.
Des questions de mots qui sont gênants ou fautifs :
Chercher les "rendre" plus adjectif : "rendre possible" = "permettre" : recherche systématique de "rend".
Remplacer "semble probable" par "est probable" (pléonasme).
De même, « faire obstacle », c’est « gêner » ; etc.
Les "ils" impersonnels poussent à la faute : "il semble qu'il fasse" = "il semble faire" : recherche systématique de "il semble", etc.
Pas de "mais" ni de conjonction de coordination (et, ou , car ...) en début de phrase : rechercher les ".Mais", " .Car", ".Et", ".Ou" et remplacer par des ", mais", ", car", ", et", ", ou".
Attention à l’inflation des "très" ; on peut généralement les éliminer.
Rechercher le verbe pouvoir et chercher à l'éliminer. Remplacer systématiquement (ou presque) les "a pu" montrer, observer, etc. par « a montré, observé, etc » ; "pour pouvoir comparer" : pour comparer.
Attention à "impliquer" (contamination de « to imply »).
« Sophistiqué » signifie « frelaté », mais pas « complexe » ni « évolué ».
« Brutalement » n'est pas « brusquement ».
Attention à "véritable" (« véritable révolution » !).
Attention à « influer » sur et « influencer ».
Attention aux anglicismes ; les plus fréquents sont : « se baser sur », « des douzaines », « réaliser » n'est pas « comprendre » ; remplacer « contrôler » par « commander » ou « déterminer » (contrôler, c’est faire une vérification), « compléter » n'est pas « achever » ; rechercher « développer » au sens de « mettre au point » ; idem pour « développement ».
Remplacer « par contre » par « en revanche ».
Attention aux usages exagérés de « permettre ».
Rechercher « suggérer » : normalement, la suggestion, c’est l’hypnose.
Rechercher « affecter ».
Rechercher « processus » : un processus n’est une réaction, ni une série de réactions.
Rechercher " induire" parce qu'il est souvent utilisé fautivement.
Rechercher emmener/emporter.
Ne pas chercher la rallonge : "dans lequel" peut souvent devenir "où".
On ne dit pas "débute" mais "commence" (sauf au théâtre).
On ne dit pas "en dessous de ", mais "au-dessous de.
On dit plutôt "chaque fois" que "à chaque fois".
Éviter "au niveau de" et, très généralement, faire attention au mot « niveau » (recherche automatique).
Quand on rencontre "entre eux", "entre elles", vérifier que c'est utile ; de même, « les uns des autres », « les uns aux autres », etc. sont souvent inutiles.
« ceci » annonce alors que « cela » se rapporte à ce qui a déjà été énoncé (le plus souvent, on peut se débarrasser de ces mots faibles).
Des chevilles comme "en fait", "en réalité", "effectivement", "du coup" sont rarement utiles.
« plus petit » est « inférieur », « plus grand » ou "plus élevé" est « supérieur »
« très inférieur » est fautif (« bien inférieur ») ; de même pour « très supérieur".
« être différent » donne « différer » ;
Utiliser "second" (pour deux possibilités seulement) et "deuxième" pour plus de deux.
Examiner si les "simples", "compliqués", "facile" sont indispensables.
Souvent remplacer « appelé » par « nommé ».
Les verbes présenter et constituer peuvent souvent être remplacés par être ou avoir.
Attention : "plus important" doit signifier qu'il y a une importance plus grande ; souvent on doit le remplacer par supérieur.
Attention à la signification des mots (pas impact mais effet / répartition et distribution; méthode/technique).
Le mot "significatif" ne signifie pas notable (et vice versa).
La "littérature", c'est la littérature, pas des publications.
Le mot "important" est un mot assez pourri.
étalonnage n'est pas calibration, et référence n'est pas standard.
une matière séchée n'est pas une matière sèche.
Remplacer les mots "faibles" ou "convenus" par du contenu réel (le mot "introduction" est moins bien que la question posée).
Des questions de typographie :
Ne pas sauter de ligne, sauf 2 avant un intertitre, et 1 après celui-ci (pour faire simple).
Les quantités sont en italiques, ainsi que de très rares mots ou expressions (noms de bateau, titre de livre...).
Pas de souligné : c'était quand on n'avait pas d'italiques.
Quand on cite des gens, on doit citer le premier et le plus récent, pas arbitrairement au milieu.
Partout des virgules décimales, pas des points.
Cf s'écrit "cf.", pas Cf
Pas de maquette quand on écrit (ça vient après).
Dans un nom propre, seul le premier substantif est en majuscule, sauf si adjectif avant : "Seconde Guerre mondiale"
Ce ne sont là que des fautes statistiquement courantes. Bien d'autre sont signalées dans les Difficultés de la langue française, qu'il n'est pas inutile de (re)lire.
Plus généralement, celui qui écrit devrait avoir quatre outils : un ordinateur équipé d’un traitement de texte avec correction orthographique, un dictionnaire (pour le vocabulaire, les Difficultés de la langue française (pour la grammaire), le Gradus (pour la rhétorique).
Et je termine en signalant que je suis certainement imparfait. Je me soigne, mais c'est long ! Et, ici, je ne fais le censeur, mais j'essaie de rendre service à mes amis.
mercredi 25 septembre 2019
L'effet pastis
Lors d'une récente discussion avec des collègues, ils m'ennuyaient à me parler d'institution, de programmes, d'administration, d'organisation... de sorte que je leur ai répondu que là n'était pas la question ! La question, c'est l'émerveillement pour des phénomènes extraordinaires, pour des questions posées, pour des mesures, pour des calculs, pour des concepts, pour des théories...
Par exemple, partons d'un simple verre d'eau, et, d'autre part, d'une goutte d'huile. Si nous la déposons sur l'eau, elle flotte à la surface, mais si nous la diluons dans de l'alcool, alors la solution d'huile dans l'éthanol, versée sur l'eau, forme un trouble blanc, parce que l'éthanol va sans doute se diluer dans l'eau, laissant des myriades de gouttelettes de taille à peine supérieure à la longueur d'onde de la lumière visible.
De l'éthanol reste-t-il dans les gouttelettes ? Comment est l'interface eau-huile ? De l'éthanol s'y trouve-t-il ?
Et mieux encore : quand on attend un peu, le trouble blanc descend... alors que la densité de l'huile est inférieure à celle de l'eau, et que la densité de l'éthanol est encore inférieure à celle de l'huile.
Quel merveilleux phénomène, qui mérite bien que nous nous y interessions... plus qu'aux questions administratives, n'est-ce pas ?
mardi 24 septembre 2019
Des amis !
Dans des billets de ces dernières semaines, j'utilisais le mot "collègue" pour désigner cette partie des étudiants qui est inscrite dans les institutions qui délivrent de la formation. Cette dénomination me semblait s'imposer, parce que le mot "étudiant" ne convient pas pour les désigner : moi aussi, puisque j'étudie, je suis, comme de nombreux "professeurs" ou "professionnels", un étudiant. Et surtout, je maintiens qu'une personne qui a les mêmes intérêts que moi est un collègue (mon intérêt n'est pas de professer, mais de réfléchir, et, plus spécifiquement, de réfléchir à des questions de sciences de la nature).
Mais le mot "collègue" est bien froid, et cette froideur ne tient pas compte du fait que c'est par amitié (je ne suis pas payé pour le faire) pour nos jeunes "collègues" que je consens à prendre du temps pour partager des enthousiasmes que j'ai. Des enthousiasmes pour des informations, pour des concepts, pour des méthodes, pour des valeurs, pour des anecdotes... Bref, pour professer.
Par amitié ? Alors les jeunes "collègues" sont d'abord des amis. Et voici le mot que je vais désormais utiliser : "amis" !
lundi 23 septembre 2019
"Si je mets trop de protéine, est-ce que je fais une catastrophe alimentaire ?"
Un ami qui veut cuisiner note à note s'interroge : "si je mets trop de protéine, est-ce que je fais une catastrophe alimentaire ?".
Il faut lui répondre rapidement, en expliquant le mieux que je peux.
D'abord, j'observe que le mot "protéine" est au singulier, alors que je l'attendrais plutôt au pluriel. En effet, les tissus végétaux ou animaux contiennent "des protéines", et plus exactement de très nombreuses molécules de très nombreuses sortes de protéines.
Mais tout cela est abstrait, et je préfère toujours dire les choses "expérimentalement". Partons d'un blanc d'oeuf : c'est un liquide transparent et jaune tirant sur le vert. Mettons-le dans un bol, et laissons-le à l'air, pendant une bonne semaine : il ne pourrit (généralement) pas, mais se résume finalement à un résidu solide d'un jaune quasi poussin, transparent. Avec un très gros microscope, on verrait que ce solide est fait d'un enchevêtrement de très nombreux "fils" : ce sont des molécules de protéines. Et si l'on regarde bien, on voit qu'il y une vingtaine de sortes de "fils" : on dit une vingtaine de protéines particulières (mais on se souvient : des milliards et des milliards de molécules pour chaque sorte de protéines).
Les viandes, les poissons, les oeufs, mais aussi les plantes de la famille des légumineuses, contiennent beaucoup de protéines : environ 20 grammes de protéines pour 100 grammes de viande ou de poisson, environ 25 grammes de protéines pour 100 grammes de lentilles cuites, par exemple.
Est-ce grave de consommer trop de protéines ? L'Agence française de sécurité des aliments, l'Anses, dit ne pas avoir de données suffisantes pour répondre à la question... Preuve que s'il y a un inconvénient, ce dernier n'est pas particulièrement visible.
Donc, non, ce n'est pas grave, surtout pour un repas, d'avoir beaucoup de protéines dans sa ration. Et j'ajoute que je ne réponds pas en nutritionniste ni en diététicien, puisque je ne suis ni l'un ni l'autre et que je me suis engagé à ne parler ni de nutrition ni de toxicologie.
Apprenons à discuter !
Hier, j'ai discuté les manières de se comporter aimablement dans une discussion, et j'avais notamment stigmatisé l'ego, la prétention.
Mais je m'aperçois ce matin que jamais on ne m'a renseigné autrement que par l'exemple qu'il fallait éviter de parler de soi dans une conversation.
Certes, j'ai appris par hasard cette formule "Le moi est haïssable", dans les Pensées de Blaise Pascal, mais à propos de discussion, j'en étais réduit à deux idées explicites : d'une part, ne jamais parler de politique, de religion ou d'armée ; et, d'autre part, j'ai appris l'existence de ces manuels de conversation où figuraient des espèce de clichés pour être à l'aise en toutes circonstances.
Mais jamais on m'a dit explicitement comment contribuer à une discussion. Et je viens de vérifier auprès de jeunes amis qu'il en avait été de même pour eux.
Car il ne s'agit pas seulement éviter de parler de soi, mais aussi de savoir quoi dire. Et c'est là où il y a une difficulté : le "quoi dire" se fonde sur tout le travail qu'on aura fait avant la discussion, dans les heures, jours, mois, années... Et je retrouve ici mon concept des belles personnes, celles que nous connaissons parfaitement mais qui nous surprennent à chaque discussion, avec de nouvelles idées. Celles qui savent apporter sur la table du festin intellectuel les mets les plus délicats, les mieux choisis. Autre chose que des sandwichs vite faits. Non, des produits leur travail, de leur réflexion, de leurs soins, de leur intelligence. Ces personnes ne se laissent pas aller à délivrer des pensées immédiates, médiocres, qui montreraient leur médiocrité, mais elles veulent au contraire délivrer des objets bien finis, fignolés...
Oui, décidément, je crois que tous les parents et l'école devraient enseigner aux enfants comment participer à une discussion.
dimanche 22 septembre 2019
Des discussions passionnantes, parce que sans ego
Je sors d'une discussion pénible : mes interlocuteurs ne cessaient de parler d'eux, de ce qu'ils avaient fait, de qui ils connaissaient de connu, de la taille de leur voiture, de leurs maisons, de leur succès...
Bien sûr, on sait qu' "un égoïste, c'est quelqu'un qui ne pense pas à moi", mais, quand même, si l'on dépasse cela, il n'en reste pas moins que la discussion était sans intérêt, parce que mes interlocuteurs ne cherchaient pas à faire grandir notre petite communauté, mais à s'établir prétentieusement, comme des coqs.
Plus positivement, cette discussion pénible permet de mieux comprendre comment nous devons nous comporter dans une discussion : éviter le moi, qui est haïssable, éviter le moi qui est haïssable, etc. et, surtout, apporter sur la table du festin intellectuel les plus beaux mets. Ces émerveillements qui nous illuminent le coeur et l'esprit, ces idées puissantes qui ont été glanées auprès des plus grands esprits. C'est dans cet esprit que je partageais, il y a peu, ces idées de Marcel Mule, à propos de l'apprentissage de la musique, en renvoyant vers une merveilleuse vidéo où ce monsieur âgé était si dérangé qu'on lui parle de lui qu'il bottait en touche, minimisait modestement ses apports.
Tiens, cela me fait penser que, un jour, j'ai retrouvé dans la rue un de mes amis qui lisait : interrogé, il me dit qu'il apprenait une poésie qu'il apporterait à ses amis avec lesquels il avait prévu une marche en forêt. Voilà ce que j'aime !
Oui, évertuons-nous, efforçons-nous de contribuer à l'éclairement de nos amis !
Les réactions les plus importantes en cuisine ? Pourquoi pas la beta élimination des pectines et la coagulation des protéines
Mais récemment, ce sont des adultes qui m'ont posée une de ces questions pas toujours judicieuses : "Quelles sont les réactions les plus importantes en cuisine ?". Et là, mon petit "radar interne" m'alerte aussitôt, à entendre le mot "important". D'abord, c'est un adjectif, et, d'autre part, il y a ce sens du mot qui veut faire croire qu'il y a quelque chose d'essentiel... mais de quel point de vue ? Important : fréquent ? par ses conséquences ? par son histoire ? Dans mon laboratoire, nous avons l'interdiction d'utiliser les adjectifs, et nous devons répondre à la question "combien ?".
Mais tout cela étant dit, cela n'est pas inutile de signaler que, puisque nous consommons principalement des tissus animaux ou végétaux, les modifications de ces tissus sont les plus fréquentes. Or, quand on cuit une viande, les protéines de l'intérieur des fibres musculaires coagulent, puis le tissu collagénique se dégrade. Et quand on cuit une carotte, elle s'amollit parce que les pectines sont "hydrolysées", dégradées, ce qui amollit le tissu végétal. Cette hydrolyse particulière a pour nom "bêta élimination".
Bref, la coagulation des protéines et la dégradation des pectines seraient les réactions les plus "importantes, en cuisine.
Et là, c 'est assez pour aujourd'hui, car à haute dose, comme disait mon ami Jean Jacques, la chimie devient... empoisonnante (pour certains, seulement pour certains).
samedi 21 septembre 2019
Pourquoi ne peut-on plus parler de réactions de Maillard ?
Mais si, bien sûr, on a le droit de parler de réactions de Maillard, mais quand même, il vaudrait mieux savoir de quoi on parle, non ? Et ne pas dire n'importe quoi !
Je suis un peu responsable - et fautif- du fait que le monde culinaire parle à tort et à travers de ces réactions, parce que, naguère, dans mon enthousiasme communicatif, avec ma volonté contagieuse de faire comprendre que la cuisine met en œuvre des réactions intermoléculaires (plutôt que "chimiques"), j'ai largement milité pour faire connaître la réaction de Maillard, que l'on devrait d'ailleurs nommer "les" réactions de Maillard.
De quoi s'agit-il ? De réactions qui ont lieu entre certains sucres et des protéines. Elles conduisent à des composés qui donnent de la couleur et du goût aux aliments, et il est exact qu'elles sont fréquentes en cuisine. Cela étant, dire que les réactions de Maillard font la croûte brune et savoureuse des viandes grillées est faux, et je crois avoir plutôt dit que les réactions de Maillard contribuent à la couleur et au goût des viandes grillées. Disons que j'espère avoir été ainsi prudent, car en réalité, mille réactions différentes se conjuguent pour faire la couleur brune et le goût des viandes.
D'ailleurs, dans les sciences et technologies des aliments, on parle de "brunissement non enzymatique", et les réactions de Maillard ne sont qu'une sorte de réactions parmi mille. D'ailleurs, tout composé "organique" (disons : provenant des êtres vivants, animaux ou végétaux) que l'on chauffe brunit !
Plus sur les réactions de Maillard : le chimiste français (né à Pont-à-Mousson) Louis Camille Maillard a découvert en 1912 que des sucres "réducteurs" (les plus fréquents, en cuisine, sont le glucose et le fructose) réagissent avec des protéines, pour faire des composés bruns, qui avaient d'ailleurs été nommés "mélanoïdines" avant qu'il fasse sa découverte. D'ailleurs, sa découverte est venue bien après que le chimiste allemand Emil Fischer avait découvert que ces sucres réducteurs réagissent avec les acides aminés, ces composés dont l'enchaînement fait les protéines : si l'on devait parler d'une réaction essentielle en cuisine, on devrait parler de réaction de Fischer !
Mais en réalité, j'y reviens : il y a mille réactions différentes qui font du brunissement en cuisine. Maintenant que Maillard est connu, passons à autre chose !