Affichage des articles dont le libellé est sciences de la nature. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est sciences de la nature. Afficher tous les articles

dimanche 18 octobre 2020

A propos de chiffres significatifs

 1. Je trouve dans un texte sur la significativité des valeurs communiquées dans les articles cette phrase "It concerns me that numbers are often reported to excessive precision, because too many digits can swamp the reader, overcomplicate the story and obscure the message." Je traduis  : "Cela me gêne que les nombres soient souvent donnés avec une précision excessive, parce que trop de chiffres peuvent submerger le lecteur, compliquer inutilement le récit et obscurcis le message".

2. Notre auteur a raison de critiquer l'emploi de précisions excessives, mais les raisons qu'il donne sont mauvaises. La raison essentielle, la seule, au fond, c'est que les mesures sont connues avec une précision qui doit être déterminée par ceux qui communiquent les mesures, et les chiffres indiqués doivent être être "significatifs". Il ne s'agit pas d'en mettre plus ou moins, mais de donner exactement ce qu'il faut.

3. Un exemple : si l'on utilise une balance, alors le nombre de chiffres que l'on indique est soit déterminé par la précision de la balance, soit par l'écart-type des répétitions des mesures.

4. Un exemple dans l'exemple : supposons que la balance que nous utilisions soit de grande précision, disons 0,0001 g, et que trois pesée d'un objet soient égales, disons à 5,2341 g. On comprend facilement que l'on doit afficher ce 5,2341, et pas 5,23410000  : non seulement ces 0 ne peuvent être donnés par la balance, mais, de surcroît, la précision de nos mesures n'est au cent millionième de gramme ! Le dernier chiffre significatif nous donne la précision du résultat, et ce serait soit idiot, soit ignorant, soit malhonnête d'afficher le nombre avec ces quatre 0 intempestifs.

5. Supposons maintenant que des répétitions de la pesée d'un objet, donnent trois valeurs différentes, évidemment différentes de plus que 0,0001 g, soit parce que la pièce est balayée par le vent, soit que l'objet pesé n'ait pas été toujours placé exactement au centre du plateau, par exemple. Alors l'écart-type  des trois mesures serait supérieur à 0,0001 g, et c'est lui qui détermine le nombre de chiffres significatifs.

6. Et si l'on fait une longue série d'expériences, qui conduisent à la détermination d'une grandeur, alors il faut "propager les incertitudes d'étape en étape, du début de l'expérience jusqu'à la fin...

7. Et c'est là où je vois souvent des fautes (je dis bien "des fautes", et pas "des erreurs"), le plus souvent parce que nos amis sont un peu faibles mathématiquement, et qu'ils ont peur de ces objets mathématiques pourtant simples que sont les dérivées partielles, ou parce que les calculs d'incertitudes, souvent bien compliqués, les rebutent.

8. Mais, finalement, on comprend -j'espère- pourquoi l'auteur cité initialement était  dans l'erreur. Les sciences de la nature ne sont pas un "récit" (ou tout autre mot que l'on préférerait pour "story) comme les autres, et l'on n'a pas le droit de décider de le rendre clair ou pas. Les mesures sont ce qu'elles sont, les expériences sont ce qu'elles sont, et il n'y a pas lieu de simplifier ou de compliquer la lecture du compte rendu de ces dernières et de leurs résultats !

jeudi 1 octobre 2020

A propos de présentations orales


Passionnante séance, hier, avec la restitution de travaux de jeunes collègues de Master : c'était pour eux l'occasion de se confronter avec une obligation de résultats, et non plus de moyens. Car ils devaient préparer une présentation, et la faire devant leurs amis, comme un cours... ce qui imposait :
- qu'ils cherchent les informations
- qu'ils les comprennent
- qu'ils choisissent ce qu'ils voulaient dire
- qu'ils ordonnent les éléments à présenter
- qu'ils le disent, mais non pas seulement pour le dire, mais avec le souci de se faire comprendre des autres !
Il y avait évidemment du moins bon et du bon, et l'objectif, ici, n'est pas de stigmatiser, mais plutôt d'analyser, de tirer des leçons pour la suite.

Premier exemple :  il y a eu un étudiant qui, dans le fil de la conversation, à toute vitesse, a parlé de « systèmes complexes polydispersés dans le régime d'encombrement ». L'expression était dite rapidement, donc, et il enchaînait allègrement sur des choses qu'il semblait avoir appris par cœur et qu'il récitait rapidement, parce qu'il avait fait trop de diapositives pour le temps qui lui est imparti.
Là, je propose de ne jamais oublier que la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public et que, pour des esprits lents comme le mien (mais j'ai peur de ne pas être seul dans ma catégorie), il faut un long moment avant de digérer des "systèmes complexes polydispersés dans le régime d'encombrement".
Manifestement, notre ami ne s'adressait pas aux autres; il ne prenait aucun soin d'eux,  et il ne cherchait pas à expliquer, mais seulement à dire... et cela est complètement inutile : qu'il aille parler seul devant l'océan !

Autre exemple un étudiant qui montrait un schéma et qui en donnait les conclusions sans l'expliquer. Là,  par malheur pour lui, il y avait ce fait que j'ai reconnu que le schéma était faux ! Oui, on a bien lu : il expliquait quelque chose de faux... et qu'il n'avait donc pas pu comprendre, puisqu'il n'y avait pas de logique !
Et  c'est parce qu'il n'avait pas pris le temps d'expliquer ce schéma qu'il montrait à tous qu'il ne s'était pas aperçu que son schéma était faux. Il avait fait un rapide copier-coller.
Devant tous, j'ai pris le temps de faire au tableau le schéma, lentement, en m'assurant que je comprenne bien moi-même, en surveillant mes propres mots, en m'assurant que tous mes amis comprenaient, à l'aide de questions que je leur posais...  et cela m'a pris au moins deux minutes, qu'il faut comparer au quelques secondes qui avaient suffi à notre jeune ami.

Là encore, il y avait une sorte de mépris pour ceux à qui notre ami parlait.  Mais le pire, c'est quand quelqu'un qui n'a pas assez travaillé, explique avec aplomb quelque chose qu'il ne comprend pas : est-ce de la bêtise ? de la malhonnêteté ?

Allons, soyons positifs : surtout, cette séance a montré à tous combien le métier de professeur est difficile. Elle a montré qu'il y a lieu d'aller d'aller très lentement, de tenir compte des ignorances de tous, et je ne dis pas ici que les étudiants sont ignorants, mais qu'ils ignorent des choses qu'il faut leur expliquer.
Une bonne idée, dans cette affaire, c'est de bien distinguer les questions de contenu et les questions de communication. Dans les exposés qui sont pratiqués dans universités ou même dans les collèges et lycées, il y a cette confusion entre les deux champs, mais je peux garantir à mes amis qu'il n'y a pas de bonne communication s'il n'y a pas d'abord un bon contenu. Une fois la question du contenu déterminée,  alors, et alors seulement, on peut s'interroger sur la maquette du powerpoint, les couleurs, etc.,  mais on peut pas mettre la charrue.
En quelque sorte, les sciences de la nature ne tolèrent pas la rhétorique au sens du Phidias de Platon, cette rhétorique des malhonnêtes qui visent le pouvoir ou l'argent. Non, les sciences de la nature ne marchent pas à l'hypnose, en quelque sorte, mais la pierre de touche qu'est la logique, l'implacable logique, est toujours sous la main, dégainée, employée.

mardi 7 avril 2020

Quelles relations entre 'activité nommée "cuisine" et l'activité nommée "chimie" ?



1. Commençons par observer que la cuisine est une activité "technique" : le mot "technique" vient du grec techne, qui signifie "faire". Et, de ...fait, on "fait" quand on produit un mets.
Naguère, il y  également eu une activité de fabrication de métaux, de bougies, de médicaments, de couleurs, de cosmétiques... et cela fut, comme la cuisine, du technique qui engendra des réflexions sur le pourquoi des phénomènes observés, et, à partir de la Renaissance, des sciences de la nature.
Oui, la cuisine est une base à partir de laquelle la chimie est née, mais la métaphore de l'engendrement n'est pas juste, car la chimie n'est pas "fille" des arts techniques, mais d'une autre nature.

2. Observons que, en français, il n'y a pas d'autre mot que "cuisine" pour désigner la production d'aliments à partir d'ingrédients. Certes, certains me diront qu'il vaudrait mieux parler de "mets" que d'aliments ; pourquoi pas, puisque la définition des aliments n'impose pas qu'ils soient préparés, en langue française (je maintiens que le Trésor de la langue française informatisé, du CNRS, est le seul dictionnaire officiel, puisqu'il n'est pas produit par un organisme commercial).
D'autre part, je maintiens aussi (puisque c'est ce que montre parfaitement l'histoire des techniques et des sciences) que la "chimie" n'est pas la production de composés, à partir de  composés différents, mais bien la science de la nature qui  explore ces transformations. Le mot "chimie" a toujours désigné cette activité, et il continue de le faire, de sorte qu'il faut un autre nom pour désigner la techique qui met en oeuvre les phénomènes.

3. Donc la cuisine, d'un côté, et la chimie, de l'autre. Deux activité qui sont préparées dans des pièces respectivement nommées "cuisine" et "laboratoire"... à cela près que les charcutiers, les pâtissiers, et d'autres professionnels travaillent aussi dans un lieu nommé "laboratoire". Le mot vient de labeur, travail. Mais on aurait tort de penser que le chimiste se limite à son laboratoire, car l'activité des sciences de la nature a en réalité deux composantes indissociables : l'expérience et le calcul. Pas de science sans les deux activités. Et c'est la raison pour laquelle j'ai naguère proposé de parler plutôt de sciences de la nature que de sciences expérimentales.

4. Oui, en cuisine, il  y a des gestes qui ressemblent à ceux de certains chimistes, quand ils en sont à faire la partie expérimentale de la chimie : broyer, découper, chauffer, refroidir... Cela ressemble,  et alors ? Le cuisinier et le chimiste respirent, marchent, aiment, mangent, boivent... mais ces activités communes ne font pas que tout soit commun !

5. Tout cela étant dit, observons la chimie, à la lumière des nombreux documents d'histoire des sciences et des techniques.
Au début, des chimistes (on disait aussi des alchimistes, le mot n'ayant pas, en réalité, la connotation ésotérique qu'on lui prête trop souvent aujourd'hui, à tort) chauffaient des matières et observaient des modifications de leurs propriétés. La matière était donc littéralement transformée, et cela était cause de trouble, mais avait aussi des applications pratiques évidentes : produire de la chaux à partir de carbonate était essentiel, tout comme fabriquer des métaux à partir des minerais, ou du savon, qui lave, à partir de graisse et de cendres...
Ce premier temps, qui consistait à pratiquer des "recettes", s'accompagnait de "spéculations", d'interrogations sur les transformations, bien mystérieuses qui se manifestaient lors des expériences. Il y  eut des "théories", celle des quatre éléments (air, terre, feu, eau) ou celle du phlogistique (on croyait que le chauffage enlevait des matières aux "substances"), celle du "calorique" (qui aurait été un fluide transmis par chauffage), etc.
Puis progressivement se dégagèrent les notions de molécule, d'atome... L'(al)chimie (en anglais chymistry) céda la place à la chimie (chemistry), cette merveilleuse science de la nature que j'aime passionnément. Rien à voir avec l'activité culinaire, qui n'a pas changé et ne changera pas dans ses objectifs : préparer des aliments.

6. Bien sûr, les sciences de la nature ont des conséquences technologiques. Et c'est ainsi, par exemple, que le chimiste Michel-Eugène Chevreul améliora la confection des bougies après avoir découvert la constitution moléculaire des graisses. Dans les premières recettes de savon, on mettait de la cendre avec de la graisse, mais il apparut que, dans la cendre, la composante essentielle était la potasse qui y est présente (c'est ce que l'on nommait un alcali, aujourd'hui nommé base). De ce fait, il y eut cette proposition de remplacer la potasse par d'autres bases, et il y eut d'autres savons, mieux que les premiers.
Progressivement, la science de la chimie  permit de déterminer par avance les résultats des opérations techniques que l'on se proposait de faire. Au lieu d'observer des résultats, de les orienter empiriquement, on devenait capable de prévoir des résultats.
Trois temps, donc : la recette, la recette épurée à ses seuls composés actifs, la recette prévue théoriquement.

7. Et pour la cuisine, quelle évolution est-elle possible ? L'objectif, je l'ai dit, ne changera pas, mais la technique, elle, peut encore progresser. D'abord, il y a eu cette rénovation technique de la cuisine moléculaire, qui voulait rénover les ustensiles. Puis, depuis moins longtemps, la "cuisine note à note", où l'on change les ingrédients.
Mais l'usage que l'on fait des ingrédients reste le même : produire des aliments. Bien sûr, les progrès de la gastronomie moléculaire permettent de prévoir par avance le résultat des transformations que l'on met en oeuvre, mais la technique restera la technique.

8. Pour conclure, deux champs séparés :
- la cuisine, activité technique, avec une composante artistique et une composante sociale
- la chimie, science de la nature, qui cherche les mécanismes des phénomènes.


jeudi 19 mars 2020

Expliquer ou interpréter ?


Un ami me dit qu'il cherche à "expliquer" un phénomène, alors que vient aussi, dans la conversation, le terme "interpréter".

Quel objectif, pour une recherche scientifique  : interpréter  ? expliquer ?

Admettons que l'objectif de la science soit de produire des théories réfutables qui rendent compte des phénomènes, par un mouvement que j'ai trop décrit dans ce blog pour que j'y revienne aujourd'hui. Que fait-on alors : on explique, ou on interprète ?

On se souvient quand même que les sciences de la nature cherchent des équation qui décrivent les phénomènes, en rassemblant les données de mesure. Là, il n'y a ni explication ni interprétation.
Puis on induit des théories en introduisant des notions compatibles quantitativement avec les équations trouvées : ces notions n'expliquent rien, mais ce sont des objets qui sont compatibles avec le jeux d'équation établies, des objets qui permettent de rendre compte des phénomènes. Explication ? Pourquoi pas. Interprétation ? Certainement.
Mais on n'oublie pas que ces théories sont insuffisantes, de sorte que si explication il y a, elle est fautive. L'interprétation, elle, ne l'est pas.


Tout cela est bien général, et il nous faut des exemples.

Considérons celui de la structure "hexagonale" de la molécule de benzène. Ce composé fut d'abord  découvert lors de l'analyse du gaz de houille par le merveilleux physico-chimiste britannique Michael Faraday.
Puis les "analyses élémentaires" montrèrent qu'il y avait autant de carbone que d'hydrogène, , mais la tétravalence du carbone (chaque atome de carbone a quatre liaisons avec des voisins) posaient un problème, et  August Kékulé qui proposa une alternance de simples et de doubles liaisons sur une molécule cyclique, hexagonale.






Ce timbre de la Poste allemande célèbre la découverte de Kékulé

Nous avons là un "modèle" de la molécule de benzène, mais cette image n'est pas juste : c'est une explication fausse, et une assez bonne interprétation des propriétés du benzène. On voit, à nouveau, que la terminologie "interprétation" est plus prudente que celle d'explication.



Certes, la question "comment ça marche ?"  demeure, mais c'est la réponse qui est plus complexe que certains ne l'espèrent. Oui, la réponse déçoit ceux qui veulent du simple, mais elle ravit ceux qui sont prêts à s'émerveiller des mécanismes du monde.

samedi 22 février 2020

Les beautés de l'expérimentation

Une expérimentation lamentable et ennuyeuse ? C'est que l'on n'a pas compris l'enjeu ni l'intérêt !

Hier j'ai vu un étudiant qui faisait une expérience de façon lamentable : les gestes étaient imprécis, les résultats étaient mauvais, il souillait la paillasse...   et il m'a même avoué qu'il s'ennuyait.

Le fait que notre ami s'ennuie démontre qu'il n'est pas à sa place : comment peut-on s'ennuyer quand on apprend ? Notre ami n'a pas compris que la question n'est pas de faire des gestes, mais d'apprendre à les faire, et, mieux même, à les faire bien ! On pourrait discuter le fait que seuls des gestes bien faits conduisent à de bons résultats expérimentaux, socle de théorisation saine ("données mal acquises ne profitent à personne"), mais il vaut sans doute mieux revenir à cette phrase merveilleuse et terrible : "la vertu est sa propre récompense".
Ici, si l'on ne veut pas être dans l'attente d'un résultat qui ne viendra peut-être pas, il faut absolument prendre plaisir au moindre geste expérimental, raison pour laquelle, personnellement, je cherche à faire que toute expérimentation s'apparente au ciselage d'un joyau. Tout geste doit être minutieux, intelligent, précis, associé à la tête et non limité aux doigts !

Oui, un bon geste expérimental mobilise toute notre intelligence, de la tête et des mains

J'ajoute qu'observer mon jeune ami faire si mal  me tire vers la boue du sol, et je m'empresse de lever le nez vers le ciel bleu. Car oui  :  le ciel est bleu  ! Je n'oublie pas de penser qu'une expérimentation bien faite et un plaisir inouï... pour ceux pour qui c'est un plaisir inouï... de sorte que ceux pour qui ce n'est pas un plaisir doivent quitter le laboratoire pour aller trouver du plaisir ailleurs. Je n'oublie pas le bonheur de faire des gestes précis pour obtenir des résultats tout à fait conformes à l'intention qui était la nôtre. Je pense avec bonheur au plaisir immense que j'ai quand je "cisèle" une expérimentation, que la moindre goutte de solution que je transvase est déposé conformément à ma volonté, qu'aucun grain d'une poudre que je manipule n'échappe à la pesée...
Oui, c'est grâce à cette minutie parfaite que je peux obtenir des résultats merveilleux, que je peux réduire les bruits dans les analyses, que je peux  chasser le diable qui est caché derrière chaque détail. Et dans ce travail soigné, bien pensé et bien exécuté, il y a le début d'une beauté qui ne demande qu'à grandir. Bien pensé et bien exécuté : tout est là ! Il y a pas de place à l'avachissement ; nos gestes, notre pensée doivent au contraire être tout entiers tournés vers la perfection... ou, plus exactement vers l'infaillibilité, puisque on se souvient que l'expression est en réalité "il faut tendre avec effort vers l'infaillibilité sans  y prétendre".
D'ailleurs, comment prétendre à la perfection, quand nous nous observons de bonne foi ? Faire un beau geste conformément à notre intention initiale est quelque chose de si difficile que le peintre Shitao en a fait un livre intitulé L'unique trait de pinceau.
Je ne partage plus nombre d'idées présente dans ce livre, mais je conserve l'idée que les gestes bien faits sont un plaisir immense, fruit d'une concentration parfaite, d'une pensée claire.


mardi 18 février 2020

La nature se dévoile devant la science ?


Un ami m'envoie une image de cette statue : "la nature se dévoile devant la science".





Amusant de voir qu'un scultpeur -Ernest Barrias- donne de la nature l'image d'une femme, mais, surtout, que cette femme se dévoile, comme si la "Science" suffisait à apparaître pour que tout soit joué.
Je crois qu'il faut rectifier : ce sont les scientifiques, et certains d'entre eux seulement, les plus actifs, les plus ingénieurs qui, par une activité incessante, démultipliée, parviennent à lever un coin du grand voile. La nature, elle, n'est pas une personne, et, en tout cas, certainement pas la personne active qui est ici dépeinte.
D'ailleurs, l'expression "lever un coin du grand voile", qu'utilisait Albert Einstein, doit être discutée : si certains objets sont bien découverts (le graphène, par exemple), les théories, elles, sont certainement inventées. Et insuffisantes, toujours insuffisantes.

Cela doit être dit à tous !

vendredi 26 juillet 2019

Cherchons les Lumières

Dans l'une de ses master class, le chef d'orchestre Benjamin Zender, à Boston, demande intelligemment à un élève "Quel est votre prochain palier ? " La question s'apparente à celle que posait le philosophe Alain "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? " Elles sont très belles, mais, dans les deux cas,  il y a sans doute lieu de ne pas confondre une question très locale et une question générale  : il s'agit moins de savoir quel est le prochain palier - c'est bien sûr important ! - que de se poser cette question générale, d'avoir cet état d'esprit de toujours viser l'amélioration,  et non pas seulement pour notre activité professionnelle professionnelle, mais pour l'ensemble de nos activités.
On peut dire tout cela autrement en parlant d'émancipation, terme qui renvoie évidemment vers les Lumières, lesquelles se proposaient d'abattre les "tyrans", la "tyrannie" :   là encore, il s'agissait moins de supprimer la royauté ou le poids excessif de l'Eglise, dont on rappelle que son Inquisition brûlait encore des invidividus, que de mettre en œuvre un véritable humanisme,  de libérer l'individu de ses chaînes.
Parmi ces dernières, il y a la tradition,  et l'attachement que nous avons pour elle,  parce que nous l'avons reçue alors que nous étions enfants. Il nous faut donc grandir,  et grandir est un acte révolutionnaire, parce que cela signifie refuser l'autorité, la contester, la discuter, et n'accepter pour juste que ce qui est apparu ainsi après un examen rationnel.
On comprend que Galilée ait eu des ennuis, moins pour avoir soutenu que la Terre tournait autour du Soleil que pour avoir écrit : "Un bon moyen pour atteindre la vérité, c'est de préférer l'expérience à n'importe quel raisonnement, puisque nous sommes sûrs que lorsqu'un raisonnement est en désaccord avec l'expérience il contient une erreur, au moins sous une forme dissimulée. Il n'est pas possible, en effet, qu'une expérience sensible soit contraire à la vérité. Et c'est vraiment là un précepte qu'Aristote plaçait très haut et dont la force et la valeur dépassent de beaucoup celles qu'il faut accorder à l'autorité de n'importe quel homme au monde ".
Ces mots sont en réalité exactement ceux de Denis Diderot,  ou, plutôt, les mots de Diderot sont exactement ceux de Galilée. Mais Diderot ajoutait une analyse des métiers techniques. D'une part, on n'oublie pas que Diderot naquit d'un père coutelier et, d'autre part, que l'Encyclopédie - cela est démontré par les planches inédites qui ont été gravées pour l'occasion, notamment à propos des techniques-  rapprochait les matières opératives et les matières spéculatives. Cette façon d'entremêler la technique et la philosophie, ce "tissage", est  bien au cœur du projet des Lumières :  il n'y a pas de différence de niveau entre un mathématicien et un horloger,  on ne compare pas les cassis et les framboises, et d'ailleurs, pourquoi les comparerait-on ? N'est-il pas préférable d'admirer ce qui doit l'être, d'apprendre à repérer dans telle ou telle œuvre des beautés particulières que la tête et la main de l'homme y, ont placées ?
S'agit-il pour tout cela d'émancipation ? Le mot a un peu trop de syllabes pour être complètement admissible et, d'autre part, son étymologie qui n'est pas apparente immédiatement (et ambiguë : la main, bon) ne permet pas des connotations parfaitement assurées. Je crains, comme souvent, les interprétations idiosyncratique, mais si le mot est essentiel, s'il mérite une bonne discussion, s'il mérite une comparaison avec "palier", par exemple, nous ne devons pas oublier que nous avons à traquer l'Autorité dans ses manifestations les plus cachées et les plus handicapantes.
Oui, il y a des chaînes à faire tomber et c'est bien l'examen rationnel, les exercices spirituels, qui peuvent conduire à cela. Oui, il faut de la philosophie, et, notamment, de la "philosophie naturelle". Oui, il faut développer les sciences de la nature pour espérer les  Lumières !

lundi 22 juillet 2019

Méditation et expérimentation

La méditation est si douce et l'expérience si fatigante que je ne suis point étonné que celui qui pense soit rarement celui qui expérimente.
Je retrouve cette citation : "La méditation est si douce et l'expérience si fatigante que je ne suis point étonné que celui qui pense soit rarement celui qui expérimente." Elle est due à Denis Diderot (Réfutation de l’ouvrage d’Helvétius intitulé De l’Homme, 1774, in Oeuvres complètes, t2, p. 349, Garnier, Paris, 1875) et, au fond, même sous la plume de cet homme que j'aime beaucoup, elle est bien contestable : pourquoi ne pourrait-on penser et agir ? La chimie n'est-elle pas précisément cela, à savoir de l'expérimentation et du calcul ? D'ailleurs, je dis la chimie, mais n'est-ce pas vrai pour toutes les sciences de la nature. Et puis, il y a "méditation", mais penser n'est-il pas parfois aussi épuisant que lever des poids ?
Allons, il n'y a pas lieu d'accorder aux formules plus qu'elles n'apportent, tout comme les mythologies ne valent pas plus que ce qu'elles délivrent (souvent, indiquer que l'origine d'un roi est divine).

samedi 19 janvier 2019

Les notes, les mesures, les phrases, les carrures

On se souvient que les jésuites recommandent de se comporter en chrétien plutôt qu'en tant que chrétien : il ne s'agit pas de paraître, mais d'être.
# De même, en science, Louis Pasteur recommandait d'y penser toujours... mais peut-on se forcer à y penser toujours ? En réalité, un ou une scientifique véritable se comporte évidemment en scientifique, et il n'a pas besoin du conseil : il y  pense toujours !

Toute cette introduction pour observer que le "complémentaire de la science dans le monde", à savoir tout ce qui n'est pas la science (de la nature, bien sûr), est pour les véritables scientifiques une occasion de penser à la science.
# La musique, par exemple, dont des naïfs amateurs de musique diront sans doute qu'il y a une relation "évidente" entre musique et science (tandis que des amateurs de peinture diraient qu'il y a une relation évidente entre science et peinture, etc.). Observons que la musique est faite de notes, organisées en mesures, ces dernières étant groupées en phrases musicales.  Une notion importante, de surcroît, pour un tendance musicale particulière, classique (pour l'Occident), est celle des "carrures" : les phrases musicales sont très souvent organisées de la manière suivante : de durées équivalentes, elles sont en nombre divisible par deux, ou mieux, par quatre. Ce mode de répartition périodique est appelé carrure, par référence aux quatre côtés égaux d'un carré, s'opposant deux par deux.

La question est : l'on voit une belle organisation des travaux des musiciens (classiques occidentaux, je le répète), mais quelle serait l'analogue, en science ? 



 

dimanche 9 décembre 2018

On me parle de ma force de travail ?

La question de la force de travail ? En réalité, je n'ai aucun mérite : je fais un métier si merveilleux qu'il faut que ma famille et mes amis m'empêchent parfois de m'y livrer, car quand on me force à m'arrêter, je suis obligé de faire quelque que j'aime moins. Il faudrait donc que je sois masochiste pour cela.
Plus le temps passe, plus je suis émerveillé par la méthode scientifique, que je ne cesse de présenter, avec ces six étapes :
# 1. identifier un phénomène
# 2. le caractériser quantitativement
# 3. réunir les données en lois, c'est-à-dire en équations
# 4. induire des théories, en introduisant notions et concepts quantitativement compatibles avec l'ensemble des équations
# 5. déduire des conséquences testables de la théorie
# 6. tester quantitativement les conséquances théoriques
# Et ainsi de suite


Et puis, quand même : l'adéquation du monde aux équations, au point que, dans certains cas, on est à des dizaines décimales justes, c'est quand même fascinant, non ? Un Mystère auquel on n'a pas fini de penser, et que j'essaie de partager avec ceux qui me rejoignent au laboratoire.



jeudi 1 novembre 2018

Il faut le dire à tous les étudiants !

Il faut absolument dire à tous les étudiants que

(1) l'objectif des sciences de la nature est de chercher les mécanismes des phénomènes,

et que

(2) la méthode de ces sciences est donnée sur l'image, à savoir





(1) l'identification d'un phénomène ;
(2) la caractérisation quantitative de ce phénomène (on en mesure des caractéristiques judicieusement choisies)
(3) le regroupement des résultats de mesure en "lois" synthétiques, c'est-à-dire essentiellement en équations ;
(4) la recherche -par induction, c'est là un point central- de concepts, notions, théories, mécanismes quantitativement compatibles avec les équations dégagées ;
(5) la recherche de conséquences des théories ainsi "induites" ;
(6) les tests expérimentaux de ces conséquences, en vue de réfutations qui permettent de boucler, afin d'améliorer des théories toujours insuffisantes.

jeudi 23 août 2018

Quelle chance ! Quelle responsabilité !

A la réflexion, il est très enthousiasmant de travailler dans une école comme AgroParisTech et cela pour deux raisons principales. Premièrement il y a une responsabilité essentielle à y faire de la recherche, et, deuxièmement, il y a tous les étudiants, et la possibilité de contribuer à les aider à développer des compétences utiles pour nos collectivités.
J'ai énoncé les deux activités dans l'ordre précédent parce que je suis payé par l'Inra pour être chercheur, et non d'abord professeur-chercheur (on observe que je m'interdis de parler d' "enseignant-chercheur", comme je le dirai dans un billet suivant), ce qui serait le cas si j'étais payé par AgroParisTech. Toutefois je ne mets pas une activité au dessus de l'autre, et c'est seulement l'énonciation qui m'impose un ordre.
Faire une recherche dans ce cadre particulier ? On pourrait observer que ma recherche scientifique n'a pas dévié depuis le temps où je la faisais dans mon laboratoire à la maison, pas plus qu'elle n'avait changé quand mon laboratoire était venu au Collège de France. Je fais ce que je dois, c'est-à-dire de la recherche scientifique de qualité dans ce champ de la gastronomie moléculaire qui est très essentiel pour nos collectivités. Mais il y a une logique certaine à ce que ma recherche soit précisément dans le cadre d'AgroParisTech, et rétrospectivement je remercie ceux qui m'ont conduit ici, puisque c'est sans doute l'endroit où je suis le plus à ma place.
En effet, AgroParisTech étant un institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement, l'alimentation est un des trois champs essentiels de l'école (comme pour l'Académie d'agriculture de France), de sorte que je ne pense pas avoir à gauchir ma recherche pour mieux l'inscrire dans le cadre général des recherches de l'école, et, au contraire, je crois tout à fait bon qu'AgroParisTech affiche des travaux de gastronomie moléculaire.
Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que la recherche à AgroParisTech doive se résumer à la gastronomie moléculaire, car nous devons former aussi des ingénieurs pour l'industrie alimentaire, ce qui passe notamment par une connaissance des procédés industriels, de la nutrition, etc. Toutefois je maintiens que la science est un socle indispensable au développement de la technologie, et la gastronomie moléculaire, à ce titre, trouve absolument sa place, comme elle trouve sa place dans le master européen «Food innovation and product design » (FIPDES), où nos étudiants ont des cours de théorie de la chaleur, de génie génétique, de sciences de la consommation, d'emballage, de statistiques et de mathématiques…
Tout cela concerne l'alimentation, alors qu'AgroParisTech a un intérêt plus large, avec de l'agronomie, des préoccupations d'environnement… Je fais confiance à mes collègues de ces champs-là pour bien identifier les recherches particulières qui permettent d'élaborer des enseignements modernes, lesquels feront un socle pour les développements scientifiques et technologiques de nos étudiants.
Car je rappelle quand même ma métaphore de la montagne du savoir. Quand la science moderne a été créée, disons pour simplifier par Galilée à la fin du 16e siècle, le savoir scientifique s'est enrichi d'une couche : l'inertie, la mécanique… Puis Newton a contribué à déposer une couche supplémentaire, avec la gravitation universelle, et la mécanique s'est développée davantage, tandis que la chimie commençait à se constituer, avec la chimie pneumatique, la découverte d'éléments tels que le phosphore... Puis, au siècle suivant, des couches supplémentaires se sont ajoutées, et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui.
Pour faire progresser les sciences, d'une part, nos étudiants doivent connaître les idées et concepts anciens quand ils sont justes, pour en trouver des prolongements. Ils ont donc à gravir cette montagne pour atteindre le sommet, afin, de là, de faire croître la montagne. Et les professeurs ont le devoir de les aider à ne pas perdre de temps avec toutes les idées erronées du passé. Mais le fait reste : c'est à partir des idées actuelles, les plus modernes, que nos étudiants pourront trouver ds prolongements, ce qui impose que les études que nous leurs proposons fassent état des théories les plus actuelles.
D'autre part, en matière de technologie, j'ai l'impression qu'il n'est pas faux de proposer que l'innovation se fonde sur les résultats les plus modernes des sciences, car les innovateurs du passé ont déjà largement utilisé les idées plus anciennes. De sorte que, là encore, nos étudiants doivent recevoir le savoir le plus moderne. Et cela justifie que les professeurs-chercheurs fassent de la recherche, afin de bien connaître, en profondeur, ce savoir moderne, en vue d'en faciliter la transmission. On observe que je n'ai pas écrit « en vue de l'enseigner », et je renvoie vers des billets précédents pour expliquer pourquoi je partage les avis d'Albert Einstein et de Feynman, qui n'étaient pas les premiers imbéciles venus.
Du premier, je retiens notamment : "Je n’enseigne rien à mes élèves, j’essaie seulement de créer des conditions dans lesquelles ils peuvent apprendre ".
Et du second : " The question, of course, is how well this experiment has succeeded. My own point of view which however does not seem to be shared by most of the people who worked with the students- is pessimistic. I don't think I did very well by the students. When I look at the way the majority of the students handled the problems on the examinations, I think that the system is a failure. Of course, my friends point out to me that there were one or two dozens of students who -very surprisingly- understood almost everything in all of the lectures, and who were very active in working with the material and worrying about the many points in an excited and interested way. These people have now, I believe, a first-rate background in physics and they are, after all, the ones that I was trying to get at. But then, "The power of instruction is seldom of much efficacy except in those happy dispositions where it is almost superfluous." (Gibbons).".
Je reviens donc maintenant sur la question de la responsabilité que j'ai évoquée initialement : on voit que cette responsabilité s'accompagne du devoir très clair de produire et d'aider à transmettre les connaissances scientifiques les plus modernes, les plus avancées.
Il y a d'autres responsabilités aussi, et la première est que nous devons être des inspirateurs, et non des étouffoirs. L'enthousiasme étant exemplaire, nous avons l'obligation de faire nos travaux de recherche et d'organiser les études dans le plus grand des enthousiasmes. On aurait pu ajouter : « que nous soyons nous-mêmes enthousiastes ou pas », mais cela n'est pas nécessaire, car comment ne pas s'enthousiasmer des résultats scientifiques modernes ? Comment ne pas être enthousiaste à l'idée que les étudiants puissent découvrir des idées superbes ? Des idées scientifiques modernes : j'en prends une, à savoir la découverte du graphène, cette couche monoatomique d'atomes de carbone organisés en nid d'abeille et que l'on produit en tirant sur un morceau de scotch qui a été initialement posé sur du graphite. Rien que le procédé est extraordinaire, mais, de surcroît, on obtient ainsi un matériau supraconducteur, c'est-à-dire où le courant électrique circule sans atténuation ! Quant aux études, j'aime l’exemple du calcul tout simple d'une expression comme x1 y2 - x2 y1, dont un peu de culture scientifique permet de voir qu'il s'agit du déterminant d'une matrice, donc d'une caractérisation d'une transformation géométrique, par exemple : les études qui permettent ainsi de voir derrière la banalité d'une expression mathématique sont quelque chose de merveilleux, d'enthousiasmant !
Quel belle école nous avons !

samedi 4 août 2018

Communication orale ?

On m'interroge : comment faire une communication orale ? La question est trop vague. Une communication orale dans un congrès scientifique ? Là encore, manquent des précisions. Une présentation de résultats scientifiques à des collègues pour lesquels on n'a pas à expliquer les bases scientifiques du travail ? En réalité, la réponse reste insuffisante, parce que, par exemple, imaginons que nous ayons fait un travail qui utilise une technique particulière pour une étude d'un système spécifique, alors nous devrons expliquer le système si nous parlons à des spécialistes de la technique utilisée, ou, inversement, nous devrons expliquer la technique si nous nous adressons à des spécialistes du système spécifique.


Bref, il faut d'abord réfléchir.

Oui, il faut analyser le contexte de la présentation : à qui parlons nous ? Ayant cette réponse, nous pouvons alors examiner le contenu du message : que voulons-nous dire ? Bien sûr, on sait que les présentations orales dans les congrès ne sont acceptées que lorsque les examinateurs ont validé le contenu proposé. Il y  donc une sorte de contrat à nous tenir à ce qui a été annoncé... d'autant que ce contenu figure sur le programme, et que ceux qui ont décidé de venir nous écouter seraient légitimement frustrés de ne pas recevoir ce qu'ils attendent.
Cela dit, on peut raconter le même contenu de mille façons différentes : "Belle marquise, vos yeux me font mourir d'amour", "D'amour, vos yeux, belle marquise, mourir me font", "Vos yeux, belle marquise...". Bien sûr, nous ne faisons pas de "littérature", dans ce contexte particulier, mais pourquoi s'escrimer à faire lugubre ?
Je me souviens d'un congrès où j'ai vu 10 intervenants successifs venir dire, plantés à côté du vidéoprojecteur, et d'un ton sérieux qui en devenait risible "Bonjour, je remercie les organisateurs de m'avoir invité à présenter nos travaux sur...", terminant par un "Merci pour votre attention" très "simplet" : une bonne moitié de l'assistance regardait son portable, son téléphone, ou somnolait après le déjeuner.
Mais au-delà de cette "simplicité", il y avait surtout le fait que nos amis étaient "convenus", donc ennuyeux. Ce qui est une forme d'impolitesse : pourquoi barber nos amis, d'une part, et, d'autre part, pourquoi glisser sous de l'ennui des résultats qui sont peut-être extraordinaires  (je suis charitable : les congrès se limitent pas à la communication de résultats merveilleux, dirais-je par litote).


Analysons davantage

Avançons maintenant une nouvelle idée : la communication, qu'elle soit scientifique ou grand public, a toujours trois composantes :
- une composante technique : par exemple, il faut que les données communiquées soient justes, que le contraste du texte projeté sur le fond soit suffisant, que les textes soient assez gros, etc. Ici, nous ne considérerons pas la construction du document projeté, qui fait l'objet d'une autre analyse, mais seulement la présentation  orale elle-même
- une composante artistique : le contenu étant fixé, il faut le dire, et cela peut se faire de mille façons. La façon que l'on retient fait l'objet d'un choix en terme d'efficacité, mais aussi en terme de goût personnel
- une composante sociale : de même que le bâillement est contagieux, l'ennui l'est... mais, a contrario, également l'enthousiasme : "l'enthousiasme est une maladie qui se gagne".
Bref, nous devons être au clair sur ces trois aspects !


A propos de la composante technique

Nous partons donc de ce document qui est projeté, et il faut le "chanter". Le grand Michael Faraday, qui avait dû apprendre à faire des conférences, avait bien analysé qu'il y a plusieurs questions :
- quelle apparence on offre
- comment on se tient et comment on bouge (ou pas)
- comment on parle
- comment on synchronise la parole, la diffusion des images, les mouvements du corps.
Une conférence, c'est un moment de vie, et le conférencier voûté, par exemple, ne donne pas une image dynamique de lui et, partant, de ses résultats ; et ne peut-on pas craindre que la recherche qui est présentée est aussi avachie que notre homme ? Une voix terne, lasse, ce n'est pas beaucoup d'énergie que l'on donne aux autres ; bien sûr, on se souvient du "You know what? I'm happy" de Droopy : par pitié, n'offrez pas à vos interlocuteurs un discours "porte de prison". Un personnage immobile, c'est sans doute élégant... mais il faudra être très bon pour faire quelque chose d'engageant.



Bref, il y a mille façons de mal faire... Mais reprenons : les résultats étant publiés, si nos amis viennent pour nous entendre, c'est soit pour recevoir un peu de bonheur (intelligence, énergie, passion, enthousiasme), soit pour poser des questions techniques sur des points qui ne seraient pas dans les publications... ce qui permet d'anticiper la chose : émaillons notre projection d'amorces de question, afin que s'engage un dialogue scientifique fructueux.


Mais je vois que je ne suis encore que dans l'apparence, et pas dans le contenu. Que dire ?

D'abord, on évitera la faute de dire des choses déjà dites sur les diapositives, et, surtout, on évitera le pire : lire des textes qui sont écrits ! En effet, non seulement on gêne la lecture en parlant, mais, de surcroît, on gêne l'écoute en imposant des textes que l'on ne peut pas s'empêcher de lire. Et puis, une présentation orale, c'est une présentation orale, non ?
Je préconise positivement que chaque diapositive n'ait de texte qu'un titre, et qu'elle ne comporte qu'une "image" : soit une photographie que l'on commente, soit un graphique, un schéma, que sais-je... Et puis je recommande aussi qu'on laisse le temps de regarder tout ce qui figure sur les images : je juge très impoli de passer à toute vitesse sur des diapositives qui méritent un long examen, car l'auditoire décroche nécessairement, perd le fil... Je rappelle que "la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public".
Parfois, il y a de la paresse ou de la négligence à faire de bonnes présentations : certains se disent que "ça ira comme ça".
Parfois, il y a de la prétention à faire des diapositives incompréhensibles : on sait bien qu'il y a des collègues qui pensent qu'ils seront crédités d'une belle compétence s'ils sont les seuls à comprendre ce qu'ils énoncent... mais qu'ils se méfient du "le roi est nu" !
Parfois, il y a de la bêtise, de l'incompétence : je sais des présentations faites par des personnes qui ne comprenaient même pas leur sujet.
Parfois, enfin (j'oublie peut-être des causes), il y a du manque de travail... car on oublie que la préparation d'une communication orale ne se fait pas en claquant des doigts ; on oublie que placer sa voix, réfléchir à chaque résultat pour savoir bien en communiquer la teneur, réfléchir aux mouvements que l'on fait, travailler pour lutter contre les tics de langage ou corporel, tout cela impose un travail important !
Bref, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les présentations orales dans les congrès scientifiques sont si souvent mauvaises.  Mais, surtout, avons-nous assez travaillé pour faire des présentations vraiment présentables ? Labor improbus omnia vincit  : un travail acharné vient à bout de tout.
Positivement, encore : puisqu'il s'agit de décrire ou commenter ce qu'il y a sur les diapositives (leur enchaînement nous porte), il s'agit de produire un discours "signifiant", intelligent, engageant... Et puisque nous nous adressons à des collègues dont je veux supposer qu'ils partagent la passion des sciences de la nature, c'est la beauté du travail scientifique qu'il s'agit de dégager. Ailleurs, j'ai exprimé le bonheur d'une expérience ou d'un calcul bien faits, analogues à des pièces d'orfèvrerie : ne pouvons-nous pas simplement montrer à nos amis comment nous avons essayé de faire dire à la "nature" la  réponse à la question que nous lui avons posée ? Ne pouvons nous pas partager naïvement nos émerveillements ? Bien sûr, cela suppose que nous soyons éblouis nous-mêmes par cette merveilleuse activité qu'est la recherche scientifique... mais comment ne pas l'être : n'est-ce pas l'honneur de l'esprit humain ?


Questions artistique et sociale

La composante artistique de la communication est évidemment essentielle... et mal comprise. Dans un de mes "cours de communication scientifique" (les avez vous visionné ? ils sont sur http://www2.agroparistech.fr/podcast/Scientific-communication.html), je montre, par exemple, comment raconter le même contenu en déroulant un document powerpoint ou en le déroulant à l'envers, de la fin vers le début. Tout est possible, et l'on peut très bien imaginer que l'on fasse une conférence scientifique passionnante sans bouger, sans sourire, sans faire de minables calembours, avec un ton monocorde, en étant voûté... mais il faut être alors très bon, très intelligent ! Tout est possible, puisque, le contenu technique étant réglé, se pose la question du "style".
D'ailleurs, la composante sociale de la communication mérite le même type de commentaires : on peut sourire à l'auditoire, descendre de l'estrade pour être proche de lui, se placer dans le public avec le passeur de diapositives, interpeller l'auditoire pour créer un dialogue, au lieu de l'habituel monologue... Tout est possible... à condition de ne pas oublier que, pour la communication scientifique comme pour les fables "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême", comme le disait justement Jean de la Fontaine : il s'agit de raconter la merveilleuse histoire de notre recherche scientifique.
Faut-il être soi-même émerveillé par les travaux que l'on présente ? Là, celle ou celui qui voudrait manier le paradoxe pourrait utilement relire le Paradoxe sur le Comédien, de Denis Diderot... mais pour ce qui me concerne, je répète -parce que j'en ai l'absolue conviction- que les sciences de la nature sont une activité merveilleuse, sublime, et je ne vois pas d'autre obstacle à vaincre, pour partager ce bonheur avec mes amis, que ma propre timidité ou mes insuffisances en matière de communication.

Mais Labor improbus...

samedi 14 juillet 2018

La science ? Moi, je considère les sciences de la nature.




Ce matin, j'ai souri en voyant des commentaires sur mon billet consacré à la « vérité en science » : un « ami qui me lit » me fait observer que la question est différente pour les différentes sciences, telles que sciences de la nature, sciences de l'humain et de la société, sciences spirituelles, etc.



Tout d'abord, j'ai souri, donc, en voyant ces sciences spirituelles évoquées alors que je ne parle que de sciences de la nature, parce que, clairement, il ne s'agit pas d'activités du même type que celles que je considérais. Mon correspondant aurait d'ailleurs pu tout aussi bien parler de la science du cordonnier ou du maître d'hôtel, puisque ce sont là les titres de deux ouvrages que je possède.

Mais, à l'analyse, c'est moi qui suis fautif, et pas seulement moi, mais aussi tous mes collègues chimistes, physiciens, biologistes, etc. Pour nous, le mot « science » désigne exclusivement les sciences de la nature, et j'avais observé par le passé que cette appropriation du mot « science » pour nos sciences était indue, et que, en réalité, mon interlocuteur a raison.

C'est donc mon erreur personnelle qui a engendré sa réponse inappropriée, car je ne sais rien de la science du cordonnier, de la science du maître d'hôtel ou des sciences spirituelles ! Je ne peux donc absolument pas discuter la question de la vérité pour ces différentes sciences, et, même, je ne veux en aucun cas aller sur ce terrain où je suis incompétent. Surtout que, depuis deux jours, j'ai décidé de me focaliser sur mon terrain de compétence et de laisser aux autres la charge de faire leur propre exploration analytique. Je ne peux donc malheureusement pas répondre à mon interlocuteur, puisque je suis incompétent, mais je peux faire une chose : à savoir désormais ne plus utiliser le mot « science » tout seul, mais me corriger et exclusivement employer l'expression « science de la nature » quand il s'agit de cela. C'est un peu encombrant, mais je crois qu'il y a lieu de se perfectionner de ce point de vue, car je vois bien combien la confusion entre les diverses sciences engendre la confusion dans les dialogues avec nos amis.

Dont acte.


lundi 9 juillet 2018

Quel peut être le rôle d'un directeur scientifique ?

Nos systèmes de recherche comportent de nombreux échelons, avec les doctorants, les post-docteurs, les chargés de recherche, les directeurs de recherche, les directeurs d'unité,  les directeurs de départements, les directeurs scientifiques… On comprend que les directeurs d'unité ou de département ont une fonction d'organisation, et l'on comprend, avec la distinction de chargés de recherche et de directeurs de recherche, qu'il y a des chercheurs de maturités différentes.
Mais un directeur scientifique, de quoi s'agit-il vraiment ? Bien sûr, il y a pour certaines institutions des orientations générales qu'il s'agit de définir, des priorités quand l'institution veut répondre à des questions de société. On peut aussi imaginer qu'il y a des arbitrages à faire quand les moyens sont limités : arbitrages en termes de postes, en termes de soutien à l'achat de matériel… Sans compter la gestion des conflits humains, inévitables.
Mais diriger des recherches ? Plus j'y pense, moins je me sens compétent dans les champs qui ne sont pas ceux de ma propre recherche. Qu'aurais-je à apporter à propos de travaux qui ne sont pas les miens ? Certainement de la méthode. Et peut être précisément cette idée que je ne suis pas compétent dans les travaux qui ne sont pas les miens.
Je m'étonne d'ailleurs que certains collègues puissent me donner des conseils à propos de mon travail. Je me souviens d'un très grand physicien (ce n'est pas Pierre Gilles de Gennes) qui m'écrivait chaque année, quand nous échangions des voeux, que je devrais me tourner plus vers l'étude physique de la gastronomie moléculaire que vers son exploration chimique. Mais cet homme éminemment respectable était physicien, et il ne connaissait rien à la chimie. Comment pouvait-il en juger ainsi, si péremptoirement ? D'autant que, de surcroît, il ne connaissait de la gastronomie moléculaire que ce que je lui en montrais, et s'il est vrai que les méthodes physiques ont beaucoup d'intérêt, il n'en reste pas moins que les méthodes chimiques ont un intérêt non moins grand.
Suivre les conseils d'un tel homme ? Ce ne serait pas raisonnable. Et comme je sais résister, je n'ai gardé de ses propositions qu'une interrogation : que dois-je faire pour faire au mieux ? Oui, j'ai toujours intérêt à m'interroger sur la direction à emprunter pour mener mes travaux.

Ce que je dis à mon propos vaut évidemment pour tous, et si je suis un exemple à analyser, je ne suis pas un exemple à suivre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne cesse de m'interroger et d'interroger mes amis : à propos de méthodes scientifique, à propos de stratégie scientifique, à propos…
Oui, à propos de quoi ? Dans ma pratique scientifique il y a effectivement la direction et le chemin. Les questions sont innombrables et je ne crois pas que quiconque puisse m'indiquer avec certitude celles qui me conduiront à une grande découverte. Bien sûr, on peut me conseiller plus « localement », mais comment savoir si l'exploration de  l'acidification des abricots au cours de leur  cuisson sera plus ou moins intéressante que l'étude de la convection des bouillons de viande ? D 'autant que c'est peut-être la façon de parcourir le chemin plutôt que le chemin lui même qui conduira à la découverte...
A lire des Lavoisier, Dumas ou Chevreul, on comprend qu'une activité soutenue doit produire des faits, et que, de ceux-ci, la recherche d'analogies peut conduire à des interprétations. Mais c'est là quelque chose de si simple qu'il n'est pas nécessaire de me le conseiller, ni de le conseiller à la plupart des scientifiques.

Finalement, quelles compétences des scientifiques ont-ils en termes de direction scientifique ? Si ce sont de bons scientifiques, ils ont manifestement bien intégré la méthode scientifique, qui, notamment, ne généralise pas hâtivement, procède de façon coordonnée, mettant en œuvre des travaux bien identifiés, ne confondant pas les sciences de la nature et leurs applications, ne suppléant pas au silence des faits, posant des questions plutôt qu'apportant des réponses.
Et cette dernière observation me fait souvenir de ma position à propos des rapporteurs ou des évaluateurs : j'ai dit ailleurs et je répète  ici qu'il s'agit surtout d'avoir un regard bienveillant, mais rigoureux ; il s'agit de poser des questions sur les divers aspects des travaux afin de s'assurer que nos amis ont un regard parfaitement lucide, clair, rationnel, sur les divers choix qu'il font, de la plus petite étape tactique jusqu'à la plus grande idée stratégique.
Oui, le directeur scientifique peut être un tel évaluateur, ou, au moins, l'organisateur d'évaluations ainsi menées, mais, dans ce second cas, il n'est plus un directeur scientifique, mais un administrateur de la science, ce qui est quelque chose de bien différent. C'est donc là une conclusion : au-delà du terme « directeur scientifique, de quoi s’agit-il ? De science, ou d'administration ?

vendredi 27 avril 2018

Les prétendues "démonstrations scientifiques"

Je reçois d'un ami cette déclaration terrible : "Pour moi, démonstration scientifique est plus un pléonasme qu'un oxymoron".

Or je crois savoir qu'il fait référence à l'un de mes textes... où j'aurais dit que "démonstration scientifique" est un oxymore ? Je tremble, car, aujourd'hui en tout cas, je ne suis certainement pas d'accord avec l'idée que "démonstration scientifique" soit un oxymore. En outre, je ne considère certainement pas que "démonstration scientifique" soit un pléonasme ; cela aurait pu être une périssologie, mais non : c'est simplement une faute !


Pour commencer, un peu de ménage terminologique. 

Tout d'abord, l'oxymore, ou oxymoron, c'est quand deux termes s'opposent : nuit blanche, par exemple, ou encore, mieux, le "soleil noir de la mélancolie", que l 'on doit à Gérard de Nerval. C'est de la rhétorique, donc jamais fautif, car voulu. Puis il y a le pléonasme, qui est une évidence : "Je l'ai vu, de mes propres yeux vu". Ce pléonasme a encore une fonction rhétorique, d'insistance, par exemple, ou d'humour... de sorte que l'on ne confondra pas ce pléonasme avec la périssologie, ces évidences dues à nos négligences de pensée et de langage, comme "je monte en haut". Enfin, il y a la faute, que je distinue bien de l'erreur.

Puis, pour comprendre la discussion, il faut examiner les sciences de la nature, et le statut particulier des mathématiques. 

Les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes à l'aide d'une méthode qui passe par : (1) identification des phénomènes que l'on explore ; (2) caractérisation quantitative des phénomènes ; (3) réunions des données quantitatives obtenues en 2 sous la forme de "lois" synthétiques, c'est-à-dire d'équations ; (4) recherche de concepts, de théories regroupant les lois ; (5) recherche de conséquences théoriques testables ; (6) tests expérimentaux des prévisions théoriques de 5.
Dans ce mouvement infini parce que cyclique, il n'y a pas de "démonstration", parce que toute "loi" est insuffisante, fausse en réalité parce qu'approchée ; et la science réfute la loi répétitivement, afin de trouver des descriptions de plus en plus proches des faits. Donc pas de "démonstration scientifique", puisque la démonstration, c'est l'enchaînement logique, inéluctable, booléen : vrai ou faux, mais pas approché. Les démonstrations sont l'apanage des mathématiques, pas des sciences de la nature.
Mais je viens d'anticiper, parce que j'ai sorti les mathématiques des sciences de la nature, ce qui se discute ! Disons que tout est affaire de parti pris : certains considèrent que les mathématiques sont découvertes, et ils proposent de regrouper les mathématiques avec les sciences de la nature, alors que d'autres observent que les mathématiques sont inventées, et que ce sont donc une activité bien à part.
Ce qui est clair, c'est que la méthode des mathématiques n'est pas celle qui est décrite plus haut, raison pour laquelle je suis de ceux qui voient les mathématiques comme une activité tout à fait à part, les outils forgés par les mathématiciens étant utilisés par les scientifiques des sciences de la nature, sous le nom de "calcul" et non de mathématiques.
Dans la première hypothèse, des mathématiques inventées et différentes des sciences de la nature, il n'y a pas de "démonstration scientifique", puisque la démonstration reste aux mathématiques, qui sont à part des sciences. Dans la seconde hypothèse, il reste le fait que les sciences ne fonctionnent pas par démonstration.

Donc en aucun cas, nous ne devons -semble-t-il- parler de démonstrations scientifiques... surtout quand, le plus souvent, on veut simplement dire "indication" ou "élément corroboratif", ou encore "données à l'appui d'une idée", ou "exploration rigoureuse".

samedi 16 décembre 2017

Il faut le dire et le redire : la recherche scientifique n'est pas réduite à l'expérimentation ; il faut du calcul. Quel bonheur !

Une discussion, aujourd'hui, à propos  des méthodes de la science, avec des amis venus du monde de la chimie et de la biochimie et qui, en confiance, m'avouaient avoir des difficultés avec les calculs (c'est un fait que de nombreux étudiants attirés par les "sciences, technologie, technique", mais qui n'aiment pas calculer vont plutôt en biologie ou en chimie qu'en physique). 

La discussion a tourné autour de cette phrase de l'un d'entre eux :

"Est-on vraiment obligé de passer par les équations ?".
En d'autres termes, peut-on faire de la recherche scientifique sans calcul ? 



On se rappelle que, jusqu'à plus ample informé, la science produit des connaissances par le mouvement suivant : 

1. identification d'un phénomène, centrage sur ce dernier

2. caractérisation quantitative du phénomène

3. réunion des innombrables données de mesure en lois "synthétique"

4. recherche de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois

5. recherche d'une prévision théorique testable

6. expérience pour tester la prévision

J'ai souvent réclamé publiquement que l'on me contredise, à propos de cette méthode, mais la seule chose que l'on m'ait objectée, c'est que les sciences de l'humain et de la société ne fonctionnent pas ainsi... ce que je sais parfaitement, puisque ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent de façon professionnelle et pour lesquelles je propage la méthode ci-dessus. Sans contradiction, je dois donc continuer d'avoir l'idée présentée plus haut... en reconnaissant que le chemin tout entier n'est pas obligatoire : une personne qui ferait une partie du chemin est déjà sur la voie de la science de la nature. 

Finalement, peut-on donc se passer d'équations ? 

Pour l'identification d'un phénomène, sans doute... bien que, souvent, et surtout dans notre XXIe siècle qui a déjà bénéficié de beaucoup  d'avancées, les phénomènes soient souvent décrits par des équations. 

Pour la caractérisation quantitative des phénomènes ? Souvent il s'agit d'utiliser un instrument de mesure, dont le fonctionnement repose souvent sur des équations. Par exemple, imaginons que nous fassions des études rhéologiques, à l'aide d'un viscosimètre qui mesure les deux paramètres G' et G'' : on peut évidemment se limiter à enregistrer les valeurs et à les afficher, pour montrer des variations... mais on aura fait un simple travail technique, et l'on n'aura pas "compris" les variations. De même pour de l'analyse chimique, où l'on aurait utilisé un appareil de résonance magnétique nucléaire pour produire des spectres, avec des signaux que l'on aura éventuellement attribué à des protons particuliers de molécules  particulières. De même pour de l'analyse thermique différentielle, de même pour de la spectroscopie infrarouge, de même pour... Oui, pour un travail technique, on peut éviter des équations et se focaliser sur les signaux recueillis, que l'on captera par des logiciels où les équations sont mises en oeuvre, masquées à l'utilisateur tout comme les engrenages d'une boîte de vitesse d'automobile sont invisibles au conducteur. 

Pour la réunion des données en lois ? En science des aliments, il y a souvent l'affichage des valeurs de mesure sous la forme de graphiques, où des variations apparaissent. Dans une dizaine d'articles  que je viens de regarder (les dernières publications que notre groupe avait recueillies, sur des thèmes variés : la créatine dosée dans l'urine par RMN, la peronatine dans des champignons, les composés odorants du chocolat...), il n'y avait pas d'équations, et les courbes étaient interprétées par des propositions non quantitatives. Autrement dit, c'est un fait qu'une large partie de la communauté se passe des équations, dans cette tâche particulière. 

La recherche de mécanismes fondés quantitativement sur les lois dégagées ? Là, on rejoint ce qui vient d'être dit, à savoir que de nombreux articles de science des aliments ne font pas ce travail... où les équations s'introduiraient. 

Enfin les tests des prévisions expérimentales : souvent, on part d'équations que l'on teste, puisque les équations sont les modèles quantitatifs. 



Finalement, l'équation est partout, et, sans doute non, on ne "peut pas éviter les équations"... mais quelle formulation !
Ne devrions-nous pas plutôt dire : peut-on faire de la science (de la nature) en se privant du bonheur du calcul ? 









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Dans un débat avec des amis des sciences de l'humain et de la société, j'ai été confronté à l'expression "sciences exactes" : la terminologie est de mes amis, et pas de moi, qui ait décidé de ne parler que de sciences de la nature, dont j'exclus les mathématiques, puisqu'elles sont d'une autre nature, même si demeure ce grand débat entre mathématiques découvertes et mathématiques inventées.


Sciences exactes ? Je propose de ne pas confondre le savoir (ou prétendu tel, surtout en matière de sciences) et la recherche du savoir, à laquelle je propose de réserve le nom de science. La science, dans cette définition, est donc la recherche de savoir.

Sciences exactes ? Il me semble qu'il y a là une difficulté de même nature que dans "sciences humaines", à savoir un emploi ambigu de l'adjectif.
Commençons par  "sciences humaines"  : c'est un pléonasme, car la science est une activité de l'être humain, et de nul autre espèce. Généralement, ce pléonasme est une périssologie. Sciences de l'homme ? C'est mieux, mais la femme ?
Sciences exactes ? Cela voudrait indiquer que certaines activités de recherche du savoir sont "exactes" ? Que serait donc une activité exacte ? Selon le TLF (le seul qui vaille), le terme "exact" signifie "Conforme aux règles prescrites, aux normes, à la convenance, aux usages, qui s'y conforme".

Nos amis des SHS qui parlent de sciences exactes pour les sciences de la nature voudraient-ils alors dire que leur propre activité n'est pas conforme à leurs propres règles ? Qu'elles ne suivent aucune norme ?
Je croyais pourtant -on me l'a assez répété- que les historiens avaient leur méthode, tout comme les sociologues, ou les géographes ? Les philosophes ?

Laissons-les de côté, afin de ne pas compliquer un débat qui n'est déjà pas parfaitement clair (quelle méthode commune entre Héraclite, Platon, Nietzsche ou Meyerson ?).
Pour les sciences de la nature, oui, il y a des canons, lentement élaborés, et qui se retrouvent aujourd'hui dans la structure des publications scientifiques, qui collent à la description que je propose (et qui n'a toujours pas été réfutée ou critiquée), à savoir :
- observation d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données quantitatives en lois synthétiques
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois
- recherche de prévisions expérimentales testables
- test expérimental en vue d'une réfutation de la théorie proposée
- et ainsi de suite.

Toutefois, cette conformité des sciences de nature ne peut conduire les scientifiques de la nature (on voit que je distingue la science et ceux qui la font, sans quoi on tombe souvent dans des erreurs terribles) à prétendre à l'exactitude de leurs descriptions du monde, pas plus que les sciences de la nature ne prétendent à la description exacte du monde, et encore moins à la "Vérité" !
Il faut user d'une rhétorique vraiment nauséeuse, détestable -celle de l'homme de paille- pour le faire penser.



Bref, je propose que nous abandonnions tous l'expression "sciences exactes".
Pour les sciences de la nature, je propose que nous utilisions l'expression "sciences de la nature" ou "sciences quantitatives", à moins qu'une nouvelle expression reste à inventer ? 


















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

vendredi 8 décembre 2017

Les sciences de la nature méritent leur nom

Dans un précédent billet, je faisais état de la difficulté de nommer la méthode de ces sciences parmi lesquelles figurent la chimie et la physique, ces sciences qui ne sont pas un savoir purement verbal, mais qui cherchent les mécanismes des phénomènes par l'emploi de la méthode... expérimentale.

Sciences expérimentale? Le nom est trompeur, parce que ces sciences ne se résument pas à des expériences.
Sciences hypothético-déductives? Là encore, le nom est insuffisant, pour mille raisons bien (ou mal) discutées par les épistémologues.

Méthode "scientifique" ? Ce serait une affreuse tautologie, et ne résoudrait pas le problème de la "confiscation" du mot "science" par les sciences dites dures.

En réalité, il s'agit de faire des expériences, certes, et aussi de faire des calculs, d'utiliser les calculs comme pierre de touche des hypothèses, propositions de mécanismes...


Et si l'on utilisait "méthode expérimento-quantitative"? Ou "science de la nature" ? Après tout, la nature, ce ne sont pas seulement les arbres, les plantes,  mais l' "ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l'activité et de l'histoire humaines".







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 9 juin 2017

Paradoxes

Des paradoxes, il y en à foison, depuis la Grèce antique et certainement avant. Zénon d'Elée, par exemple, faisait observer que le mouvement était impossible « puisque », pour qu'une flèche atteigne son but, il fallait qu'elle parcourt d'abord la moitié de la distance, puis la moitié de la moitié restante, et ensuite la moitié de la moitié de la moitié restante, et ainsi à l'infini. De sorte que, puisqu'il restait toujours une moitié à parcourir, l'objectif n'était jamais atteint.
Un autre paradoxe célèbre par le même Zénon est celui et Achille et de la tortue, qui s'apparente au premier. Mais évidemment, on prouve le mouvement en marchant.
Il y a des paradoxes de nombreux types, et celui de Zénon diffère du célèbre « Je mens ». Cette fois, il ne s'agit plus de mouvement, mais de logique, car si je mens, alors je dis la vérité quand je dis « je mens » ; mais si je dis la vérité, alors je mens, dont ce que je dis est faux, et ainsi de suite à l'infini.

Ici il ne s'agit pas de faire une typologie des paradoxes, mais plutôt d'en évoquer un célèbre, associé à un remarquable texte de Denis Diderot. Ce texte, et ce paradoxe, c'est le  Paradoxe sur le comédien. Diderot était très intéressé par le théâtre (je m'aperçois que je ne sais pas pourquoi), pour lequel il écrivit plusieurs pièces, et il n'avait pas manqué de s'interroger sur le jeu des comédiens.
La question était de savoir si l'on est un bon comédien quand on ressent des passions l'on exprime, ou, au contraire, s'il est préférable de rester de marbre, intérieurement, afin d'avoir toute sa tête pour mieux en exprimer les passions. Comme dans tous les textes de Diderot, Le Paradoxe sur le Comédien est vivant, coloré, chatoyant, et l'on imagine bien comment un tel esprit parlant des paradoxes ait pu faire un texte remarquable. Pas un texte très long, mais simplement de longueur appropriée à la question qui était discutée. Un long article, en quelque sorte, parce que cela suffisait.
Évidemment, dans ce texte de Diderot, il y a bien plus que la description succincte que je viens de donner, mais c'est en tout cas la substance qui motive le présent document, à savoir surtout qu'un raisonnement sain ne parvient pas véritablement à trancher certaines questions épineuses. Je connais mal le théâtre, mieux la musique, pour laquelle la question de Diderot se pose de la même façon : j'ai vu des musiciens qui ressentaient les passions et cherchaient à les exprimer, et d'autres, qui, de marbre, s'efforçaient de faire sentir les passions inscrites dans la musique.

Tout ce long préambule évoque des questions artistiques, et non des questions scientifiques, qui m'intéressent davantage. Je prends la précaution de dire que je ne vois pas de véritable lien entre les sciences de la nature et l'art, sauf à reconnaître trivialement qu'il s'agit de deux activités de culture. Je ne propose pas que l'on transpose le Paradoxe du comédien aux sciences de la nature (quoique...).
Ce Paradoxe du comédien est seulement un texte dont il m'a semblé que le paradoxe de la stratégie scientifique se rapprochait d'un point de vue littéraire, une sorte de type intellectuel, qu'il convenait d'évoquer, d'une part pour des raisons de fond, mais, aussi, pour des raisons de forme, sans compter que c'était l'occasion de signaler à des amis plus jeunes l'existence du merveilleux texte de Diderot.