Affichage des articles dont le libellé est présentation orale. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est présentation orale. Afficher tous les articles

mercredi 7 octobre 2020

Faire une présentation scientifique orale

Faire une présentation scientifique orale ? Appliquez une à une toutes les règles qui suivent

Hervé This
Octobre 2020



Tout ce qui suit est fondé sur l'analyse des erreurs que mes jeunes collègues commettent presque toujours. Il faut en finir, en vous donnant des conseils très clairs. Le but, ici, est de vous aider à éviter les fautes que vous risquez quasi immanquablement de faire, et c'est simple : vous devrez simplement
- lire lentement ce que j'explique
- suivre les règles une par une.

 

Commençons maintenant :

1. Vous vous préparez à  faire une présentation scientifique orale. Ne plongez pas immédiatement dans la réalisation d'un document powerpoint !

2. Parce qu'il y a une différence essentielle à bien faire entre  :
- le contenu de l'exposé (science, technologie)
- la manière dont le contenu est communiqué.

3. Et vous ne pouvez PAS faire une bonne communication si ce que vous avez à dire n'est pas bien défini, si le contenu scientifique/technologique n'est pas initialement clair.
En d'autres termes, vous ne pouvez pas expliquer ce que vous ne comprenez pas vous-même.

4. L'erreur majeure qui est commise est la suivante : trop d'étudiants se contentent de copier et de coller les informations qu'ils ont trouvées (dans des articles scientifiques, par exemple), et lorsque cela est fait, ils ne se demandent pas ce que cela signifie réellement, de sorte que lorsqu'ils font leur présentation orale, ils décrivent quelque chose qu'ils ne comprennent pas.
Disons-le ainsi : décrire quelque chose vaguement, ce n'est pas le comprendre, et encore moins l'expliquer aux autres.

5. Un deuxième écueil : vouloir trop en dire en trop peu de temps.
Pour faire des comparaisons, n'essayez pas de mettre 1 L d'eau dans 1 cm3, car cela ne tiendra pas ; n'essayez pas de passer à travers le mur, car vous n'y parviendrez pas, et vous vous ferez mal...

6. C'est pourquoi une règle est souvent donnée (je suis sûr que vous l'avez déjà entendue) : pour 20 minutes de présentation, limitez-vous à 20 diapositives comprenant le titre, la table des matières et la liste des références à la fin (voir plus loin).
N'essayez pas d'échapper à cette règle, et ne cherchez  pas des façons de la contourner : c'est toujours très mauvais de mettre trop de choses dans une diapositive (nous verrons plus tard que chaque diapositive ne doit contenir qu'un titre, et un graphique ou une image).

7. Mais quand je dis cela, je vous induit légèrement en erreur, car j'ai déjà versé dans le domaine de la communication, alors que, à ce stade de la discussion, il faut se limiter au contenu.
 L'idée est simplement que, AVANT de le faire, vous devez décider UNE idée que vous allez développer.
D'où un bon conseil : pourquoi ne pas simplement poser UNE question ?  (par exemple : comment augmenter la viscosité de l'huile en utilisant des polyphénols (réponse : faire un gel) ? Ou pourquoi le pain rassis ramollit-il lorsqu'il est chauffé au four (état vitreux, cristallisation, ...).  Et votre exposé s'organiserait autour de la réponse à cette question, qui suscite l'envie d'avoir la réponse (surtout si elle est bien posée : pensez à des polars).

8. Au fait, un bon conseil est de faire la présentation orale en utilisant en PREMIER lieu un fichier  de traitement de texte (.doc, .txt, etc.), de 20 lignes (numérotées de 1 à 20) : vous écrivez dans chacune ce que sera le contenu de la diapositive (et cela fera le titre de la diapositive).
Je montre comment cela doit être fait, en utilisant un tableau, parce que je préfère toujours structurer :



Slide
Content
 1
titre de la présensation, logos, auteurs, date
 2
sommaire : il s'agit de dire comment la question sera étudiée
 3
La question posée (quand ce n'est pas le titre de la présentation), les raisons pour laquelle elle est intéressante (contexte)
 4

 5

 6

 7

 8

 9

 10

 11

 12

13

14

15

16

17

18

19
Conclusions et perspectives :
1. pour les conclusions: peu, mais vigoureuses ; cela peut être la réponse à la question posée en introduction, ou les idées /concepts dont il est utile de se souvenir
2. Préférez de toutes façons des perspectives à des conclusions: il faut ouvrir, pas refermer !
Et surtout, pas de ce conventionnel et un peu idiot "Merci pour votre attention" (n'oubliez pas que beaucoup dorment, ou font autre chose que vous écouter, pendant votre présentation, et vous risqueriez de les vexer)
20
Références : surtout, assurez vous bien de ne donner que de bonnes références, car donner une mauvaise référence, c'est être soi-même mauvais.  
Donnez les dans l'ordre alphabétique, pour faciliter la lecture de vos amis.
Et, bien sûr, toutes dans un même format :
Author I. Year. Title of the paper, Title of the journal, 5(2), 23-29.



9. Dans une présentation scientifique, il ne faut évidemment présenter  des résultats expérimentaux que pour des expériences qui auront été expliquées auparavant. Je me répète un peu : personne ne peut comprendre les résultats d'une expérience qui n'est pas donnée.

10. Essayez toujours de faire des présentations très simples, lisibles, claires  :
- une question (structurante)
- le contexte : pourquoi il est intéressant de considérer cette question ; ici vous devrez probablement expliquer quels sont les objets dont vous parlez (par exemple, si vous parlez de gels, pourquoi ne pas donner la définition de l'IUPAC d'un gel ? ou si vous parlez de tension superficielle, donnez la définition très clairement... aux autres et à vous-même)
- la manière dont la question a été étudiée expérimentalement (la stratégie générale de l'étude)
- les matériaux et les méthodes (le détail des expériences)
- les résultats
- la discussion des résultats

11. Un bon conseil : ne soyez pas général  d'emblée, car votre public ne comprendra rien. Commencez par un bon exemple, et donnez les généralités plus tard.
Par exemple, si vous devez traiter de la viscosité, prenez l'exemple d'une planche (aire A) à la surface d'un liquide (viscosité η) d'épaisseur e, avec une force appliquée F.

12. Soyez quantitatif :  fixez les idées avec des équations, des nombres, et des applications numériques (l'équivalent de petits exercices pour tester les connaissances théoriques après avoir appris une loi générale importante ; par exemple, calculer la force nécessaire pour déplacer une planche de 1 m2 à la surface de l'eau, de 1 m en 1 s).
Et n'oubliez pas qu'en science, les adjectifs et les adverbes sont "interdits" : ils doivent être remplacés par la réponse à la question "combien ?
 
13. Partez du connu avant d'aller vers l'inconnu : souvenez-vous que découvrir un nouveau domaine de connaissance, c'est comme découvrir un nouveau pays : faites parcourir à votre audience un chemin (ou une route, une voie...). Il faudra faire tous les pas, sans sauts : mettre un pied devant l'autre et ainsi de suite.
 
14. Passons maintenant à la partie communication.
N'utilisez PAS les masques de diapositives donnés par le logiciel PowerPoint (ou équivalent), car ils vous poussent à l'erreur, en contenant des objets sans sens, tels que des barres colorées qui vous empêchent de mettre les références en bas, des grandes zones colorées qui prennent l'espace dont vous avez besoin pour votre propre contenu !
Pour chaque diapositive, faites simplement :
- un titre (en haut des diapositives, toujours à la même position, à gauche ou au centre)
- une image (photo, graphe, équation, séquence d'équations...)
- une référence, en petit au bas de la diapositive : soit complète, soit abrégée (dans ce deuxième cas, il suffit d'écrire "Auteur, année", ou "Auteur1 et Auteur2, année", ou "Auteur1 et al., année").

15. A propos des caractères : s'il vous plaît, un seul type de police ! Et seulement deux tailles : une pour le titre de la diapositive, et une pour les commentaires.

16. N'écrivez JAMAIS de phrases que vous auriez à lire (votre public essaiera de le lire, et quand il le lira, il ne pourra pas vous entendre).
Si vous avez vraiment besoin d'un texte qui peut vous aider à présenter oralement, mettez-le dans la partie "commentaires" qui apparaît sous les diapositives (non affichée) ou sur un papier sur le pupitre. Et surtout  pas de phrases complètes ; seulement des mots-clés pour vous guider.

17. Bien sûr, les graphes doivent avoir les axes bien précisés : ce que c'est, les unités, etc.
Sur les images, la taille des objets que vous décrivez doit être indiquée, et, plus généralement, des informations numériques peuvent être données (par exemple, dans une image microscopique).
N'ajoutez pas de légende, car elle doit être le titre de la diapositive (seule la référence du graphique ou de l'image est obligatoire).

18. Si vous prenez une photo ou un schéma dans un document qui n'est pas de vous (et c'est bien ce que vous devez faire), ils  doivent  :
- être tirés d'un bon article (voir "Comment reconnaître les mauvais papiers")
- être accompagnés d'un crédit ("De l'auteur, année", s'il a été modifié, ou simplement "Auteur, année" s'il est inchangé).

19. Afin de faciliter la discussion/les questions, numérotez les diapositives en bas à droite.

20. Car rappelez-vous (et appliquez) cette règle : tout le monde lit de gauche à droite, et de haut en bas.
Cette règle essentielle s'applique non seulement pour la numérotation, mais à tout le contenu des diapositives.

21. N'oubliez pas de toujours montrer les formules chimiques des composés dont vous dites le nom (et de discuter de la réactivité des composés)

22. Pour les définitions, utilisez toujours celles qui sont acceptées au niveau international (ou dites que c'est très particulier de la part de l'auteur d'un article que vous citez).
Connaissez vous le Gold Book de l'IUPAC ? Et le BIPM ?

23. Le conseil suivant semble un peu accessoire, mais il est en réalité très important... car on juge les scientifiques à des détails, au soin qu'ils portent à tout leur travail  : souvenez-vous que les huiles et les graisses ne sont pas faites d'acides gras, mais de triglycérides ; et que les protéines ne sont pas faites d'acides aminés, mais de résidus d'acides aminés ; ne parlez pas de glucose, mais de D-glucose ; et lorsque vous dessinez une formule chimique, utilisez toujours la même représentation.

24. Veillez à ce que votre public connaisse suffisamment les mathématiques que vous utilisez vous-même : le gradient, par exemple. N'hésitez pas à expliquer.

25. Pas de dessin moléculaire vague quand on parle de chimie : il faut l'objet exact, avec tous les atomes (sauf peut-être quelques atomes d'hydrogène H, puisqu'il est conventionnel de les omettre), pour pouvoir voir les électrons en excès).

26. Ne faites référence qu'à de très bons articles. Et provenant de revues scientifiques de bonne qualité (attention aux revues prédatrices !), et pas de sites Internet de vulgarisation, par exemple.

27. Quelques "détails importants" à propos la mise en page :
-  quand la présentation est faite, vérifiez l'orthographe !
- cherchez à aligner les objects graphiques (textes, images, etc.)
- prenez garde à bien faire des blancs tournants (le même espace autour d'un objet tel qu'un logo dans un coin)
- se souvenir de la règle des 2/3-1/3 : deux fois plus d'espace au-dessus d'un titre qu'entre le titre et le texte auquel il correspond
- faites un pdf et pas seulement un ppt, parce que dans le passé, il y a eu des problèmes avec des ppt qui ne s'affichaient pas.

28. Puis, lorsque vous montrerez les diapositives, ne bougez pas vos mains de façon erratique.
Mettez plutôt vos doigts -fixement- sur chaque objet que vous décrivez verbalement. Oui, touchez le tableau, en mettant votre doigt sur chaque objet que vous décrivez (et s'il vous plaît, ne le déplacez pas tant que vous restez sur le même objet.
De même, si vous utilisez un pointeur, évitez absolument de le déplacer, en le faisant tourbillonner, car c'est pénible ! Vous pouvez aussi tenir un stylo, par exemple, pour éviter de faire des gestes insignifiants (règle générale : TOUT doit avoir un sens... Puisqu'il s'agit de communication).

29. Soyez LENT, et mieux encore, soyez MÊME PLUS LENT que lent.
Rien de pire que des gens qui disent  à toute vitesse des expressions très difficiles ( > 3 syllabes) comme "systèmes mobiles interconnectés complexes polydispersés" : vous pouvez dire cela à une vitesse de parole ordinaire... mais il faudra des dizaines de secondes avant que votre public ne comprenne ce que cela signifie, car il devra traduire lentement, dans son esprit, ce que cela signifie... de sorte qu'il sera perdu parce que, entre-temps, vous serez passé à un autre sujet, dont il aura manqué le début.
J'insiste : ne parlez pas trop vite : rappelez-vous que nous sommes tous des esprits lents, et qu'il est inutile de faire des discours rapides que personne ne comprend.
Et j'insiste encore : allez-y LENTEMENT : rappelez-vous que la clarté (c'est-à-dire être capable de comprendre, de l'autre côté) est la politesse de ceux qui parle en public ; soyez poli.

30. Et cela m'amène à ce conseil principal : pendant toute votre présentation, gardez à l'esprit ce "La clarté est la politesse de ceux qui parlent en public".
 
31. J'insiste : vous ne parlez pas à vous-même, mais aux autres. Nous nous moquons que vous parliez ; en revanche, le point essentiel est que votre audience (tous, et pas seulement certains) DOIT comprendre... sinon votre discours est un échec. Tiens, un bon conseil : faites l'hypothèse que le public ne sait rien du sujet.

32. Dans un souci de clarté, expliquez lentement tout ce que vous montrez dans les figures.

33. J'étais prêt à écrire "Ne lisez pas le texte sur les diapositives : commentez, expliquez"... mais si vous appliquez la règle 14, il n'y a rien à lire !

34. Dans les diapositives, mais aussi dans votre discours, chassez les adverbes et les adjectifs parce que ce n'est pas scientifique : répondez plutôt à la question "combien".

35. Enfin, n'oubliez pas que votre devoir est de rendre vos amis heureux, et non pas ennuyeux. Si vous êtes positivement intéressé par ce que vous montrez, c'est mieux.



jeudi 1 octobre 2020

A propos de présentations orales


Passionnante séance, hier, avec la restitution de travaux de jeunes collègues de Master : c'était pour eux l'occasion de se confronter avec une obligation de résultats, et non plus de moyens. Car ils devaient préparer une présentation, et la faire devant leurs amis, comme un cours... ce qui imposait :
- qu'ils cherchent les informations
- qu'ils les comprennent
- qu'ils choisissent ce qu'ils voulaient dire
- qu'ils ordonnent les éléments à présenter
- qu'ils le disent, mais non pas seulement pour le dire, mais avec le souci de se faire comprendre des autres !
Il y avait évidemment du moins bon et du bon, et l'objectif, ici, n'est pas de stigmatiser, mais plutôt d'analyser, de tirer des leçons pour la suite.

Premier exemple :  il y a eu un étudiant qui, dans le fil de la conversation, à toute vitesse, a parlé de « systèmes complexes polydispersés dans le régime d'encombrement ». L'expression était dite rapidement, donc, et il enchaînait allègrement sur des choses qu'il semblait avoir appris par cœur et qu'il récitait rapidement, parce qu'il avait fait trop de diapositives pour le temps qui lui est imparti.
Là, je propose de ne jamais oublier que la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public et que, pour des esprits lents comme le mien (mais j'ai peur de ne pas être seul dans ma catégorie), il faut un long moment avant de digérer des "systèmes complexes polydispersés dans le régime d'encombrement".
Manifestement, notre ami ne s'adressait pas aux autres; il ne prenait aucun soin d'eux,  et il ne cherchait pas à expliquer, mais seulement à dire... et cela est complètement inutile : qu'il aille parler seul devant l'océan !

Autre exemple un étudiant qui montrait un schéma et qui en donnait les conclusions sans l'expliquer. Là,  par malheur pour lui, il y avait ce fait que j'ai reconnu que le schéma était faux ! Oui, on a bien lu : il expliquait quelque chose de faux... et qu'il n'avait donc pas pu comprendre, puisqu'il n'y avait pas de logique !
Et  c'est parce qu'il n'avait pas pris le temps d'expliquer ce schéma qu'il montrait à tous qu'il ne s'était pas aperçu que son schéma était faux. Il avait fait un rapide copier-coller.
Devant tous, j'ai pris le temps de faire au tableau le schéma, lentement, en m'assurant que je comprenne bien moi-même, en surveillant mes propres mots, en m'assurant que tous mes amis comprenaient, à l'aide de questions que je leur posais...  et cela m'a pris au moins deux minutes, qu'il faut comparer au quelques secondes qui avaient suffi à notre jeune ami.

Là encore, il y avait une sorte de mépris pour ceux à qui notre ami parlait.  Mais le pire, c'est quand quelqu'un qui n'a pas assez travaillé, explique avec aplomb quelque chose qu'il ne comprend pas : est-ce de la bêtise ? de la malhonnêteté ?

Allons, soyons positifs : surtout, cette séance a montré à tous combien le métier de professeur est difficile. Elle a montré qu'il y a lieu d'aller d'aller très lentement, de tenir compte des ignorances de tous, et je ne dis pas ici que les étudiants sont ignorants, mais qu'ils ignorent des choses qu'il faut leur expliquer.
Une bonne idée, dans cette affaire, c'est de bien distinguer les questions de contenu et les questions de communication. Dans les exposés qui sont pratiqués dans universités ou même dans les collèges et lycées, il y a cette confusion entre les deux champs, mais je peux garantir à mes amis qu'il n'y a pas de bonne communication s'il n'y a pas d'abord un bon contenu. Une fois la question du contenu déterminée,  alors, et alors seulement, on peut s'interroger sur la maquette du powerpoint, les couleurs, etc.,  mais on peut pas mettre la charrue.
En quelque sorte, les sciences de la nature ne tolèrent pas la rhétorique au sens du Phidias de Platon, cette rhétorique des malhonnêtes qui visent le pouvoir ou l'argent. Non, les sciences de la nature ne marchent pas à l'hypnose, en quelque sorte, mais la pierre de touche qu'est la logique, l'implacable logique, est toujours sous la main, dégainée, employée.

samedi 4 août 2018

Communication orale ?

On m'interroge : comment faire une communication orale ? La question est trop vague. Une communication orale dans un congrès scientifique ? Là encore, manquent des précisions. Une présentation de résultats scientifiques à des collègues pour lesquels on n'a pas à expliquer les bases scientifiques du travail ? En réalité, la réponse reste insuffisante, parce que, par exemple, imaginons que nous ayons fait un travail qui utilise une technique particulière pour une étude d'un système spécifique, alors nous devrons expliquer le système si nous parlons à des spécialistes de la technique utilisée, ou, inversement, nous devrons expliquer la technique si nous nous adressons à des spécialistes du système spécifique.


Bref, il faut d'abord réfléchir.

Oui, il faut analyser le contexte de la présentation : à qui parlons nous ? Ayant cette réponse, nous pouvons alors examiner le contenu du message : que voulons-nous dire ? Bien sûr, on sait que les présentations orales dans les congrès ne sont acceptées que lorsque les examinateurs ont validé le contenu proposé. Il y  donc une sorte de contrat à nous tenir à ce qui a été annoncé... d'autant que ce contenu figure sur le programme, et que ceux qui ont décidé de venir nous écouter seraient légitimement frustrés de ne pas recevoir ce qu'ils attendent.
Cela dit, on peut raconter le même contenu de mille façons différentes : "Belle marquise, vos yeux me font mourir d'amour", "D'amour, vos yeux, belle marquise, mourir me font", "Vos yeux, belle marquise...". Bien sûr, nous ne faisons pas de "littérature", dans ce contexte particulier, mais pourquoi s'escrimer à faire lugubre ?
Je me souviens d'un congrès où j'ai vu 10 intervenants successifs venir dire, plantés à côté du vidéoprojecteur, et d'un ton sérieux qui en devenait risible "Bonjour, je remercie les organisateurs de m'avoir invité à présenter nos travaux sur...", terminant par un "Merci pour votre attention" très "simplet" : une bonne moitié de l'assistance regardait son portable, son téléphone, ou somnolait après le déjeuner.
Mais au-delà de cette "simplicité", il y avait surtout le fait que nos amis étaient "convenus", donc ennuyeux. Ce qui est une forme d'impolitesse : pourquoi barber nos amis, d'une part, et, d'autre part, pourquoi glisser sous de l'ennui des résultats qui sont peut-être extraordinaires  (je suis charitable : les congrès se limitent pas à la communication de résultats merveilleux, dirais-je par litote).


Analysons davantage

Avançons maintenant une nouvelle idée : la communication, qu'elle soit scientifique ou grand public, a toujours trois composantes :
- une composante technique : par exemple, il faut que les données communiquées soient justes, que le contraste du texte projeté sur le fond soit suffisant, que les textes soient assez gros, etc. Ici, nous ne considérerons pas la construction du document projeté, qui fait l'objet d'une autre analyse, mais seulement la présentation  orale elle-même
- une composante artistique : le contenu étant fixé, il faut le dire, et cela peut se faire de mille façons. La façon que l'on retient fait l'objet d'un choix en terme d'efficacité, mais aussi en terme de goût personnel
- une composante sociale : de même que le bâillement est contagieux, l'ennui l'est... mais, a contrario, également l'enthousiasme : "l'enthousiasme est une maladie qui se gagne".
Bref, nous devons être au clair sur ces trois aspects !


A propos de la composante technique

Nous partons donc de ce document qui est projeté, et il faut le "chanter". Le grand Michael Faraday, qui avait dû apprendre à faire des conférences, avait bien analysé qu'il y a plusieurs questions :
- quelle apparence on offre
- comment on se tient et comment on bouge (ou pas)
- comment on parle
- comment on synchronise la parole, la diffusion des images, les mouvements du corps.
Une conférence, c'est un moment de vie, et le conférencier voûté, par exemple, ne donne pas une image dynamique de lui et, partant, de ses résultats ; et ne peut-on pas craindre que la recherche qui est présentée est aussi avachie que notre homme ? Une voix terne, lasse, ce n'est pas beaucoup d'énergie que l'on donne aux autres ; bien sûr, on se souvient du "You know what? I'm happy" de Droopy : par pitié, n'offrez pas à vos interlocuteurs un discours "porte de prison". Un personnage immobile, c'est sans doute élégant... mais il faudra être très bon pour faire quelque chose d'engageant.



Bref, il y a mille façons de mal faire... Mais reprenons : les résultats étant publiés, si nos amis viennent pour nous entendre, c'est soit pour recevoir un peu de bonheur (intelligence, énergie, passion, enthousiasme), soit pour poser des questions techniques sur des points qui ne seraient pas dans les publications... ce qui permet d'anticiper la chose : émaillons notre projection d'amorces de question, afin que s'engage un dialogue scientifique fructueux.


Mais je vois que je ne suis encore que dans l'apparence, et pas dans le contenu. Que dire ?

D'abord, on évitera la faute de dire des choses déjà dites sur les diapositives, et, surtout, on évitera le pire : lire des textes qui sont écrits ! En effet, non seulement on gêne la lecture en parlant, mais, de surcroît, on gêne l'écoute en imposant des textes que l'on ne peut pas s'empêcher de lire. Et puis, une présentation orale, c'est une présentation orale, non ?
Je préconise positivement que chaque diapositive n'ait de texte qu'un titre, et qu'elle ne comporte qu'une "image" : soit une photographie que l'on commente, soit un graphique, un schéma, que sais-je... Et puis je recommande aussi qu'on laisse le temps de regarder tout ce qui figure sur les images : je juge très impoli de passer à toute vitesse sur des diapositives qui méritent un long examen, car l'auditoire décroche nécessairement, perd le fil... Je rappelle que "la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public".
Parfois, il y a de la paresse ou de la négligence à faire de bonnes présentations : certains se disent que "ça ira comme ça".
Parfois, il y a de la prétention à faire des diapositives incompréhensibles : on sait bien qu'il y a des collègues qui pensent qu'ils seront crédités d'une belle compétence s'ils sont les seuls à comprendre ce qu'ils énoncent... mais qu'ils se méfient du "le roi est nu" !
Parfois, il y a de la bêtise, de l'incompétence : je sais des présentations faites par des personnes qui ne comprenaient même pas leur sujet.
Parfois, enfin (j'oublie peut-être des causes), il y a du manque de travail... car on oublie que la préparation d'une communication orale ne se fait pas en claquant des doigts ; on oublie que placer sa voix, réfléchir à chaque résultat pour savoir bien en communiquer la teneur, réfléchir aux mouvements que l'on fait, travailler pour lutter contre les tics de langage ou corporel, tout cela impose un travail important !
Bref, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les présentations orales dans les congrès scientifiques sont si souvent mauvaises.  Mais, surtout, avons-nous assez travaillé pour faire des présentations vraiment présentables ? Labor improbus omnia vincit  : un travail acharné vient à bout de tout.
Positivement, encore : puisqu'il s'agit de décrire ou commenter ce qu'il y a sur les diapositives (leur enchaînement nous porte), il s'agit de produire un discours "signifiant", intelligent, engageant... Et puisque nous nous adressons à des collègues dont je veux supposer qu'ils partagent la passion des sciences de la nature, c'est la beauté du travail scientifique qu'il s'agit de dégager. Ailleurs, j'ai exprimé le bonheur d'une expérience ou d'un calcul bien faits, analogues à des pièces d'orfèvrerie : ne pouvons-nous pas simplement montrer à nos amis comment nous avons essayé de faire dire à la "nature" la  réponse à la question que nous lui avons posée ? Ne pouvons nous pas partager naïvement nos émerveillements ? Bien sûr, cela suppose que nous soyons éblouis nous-mêmes par cette merveilleuse activité qu'est la recherche scientifique... mais comment ne pas l'être : n'est-ce pas l'honneur de l'esprit humain ?


Questions artistique et sociale

La composante artistique de la communication est évidemment essentielle... et mal comprise. Dans un de mes "cours de communication scientifique" (les avez vous visionné ? ils sont sur http://www2.agroparistech.fr/podcast/Scientific-communication.html), je montre, par exemple, comment raconter le même contenu en déroulant un document powerpoint ou en le déroulant à l'envers, de la fin vers le début. Tout est possible, et l'on peut très bien imaginer que l'on fasse une conférence scientifique passionnante sans bouger, sans sourire, sans faire de minables calembours, avec un ton monocorde, en étant voûté... mais il faut être alors très bon, très intelligent ! Tout est possible, puisque, le contenu technique étant réglé, se pose la question du "style".
D'ailleurs, la composante sociale de la communication mérite le même type de commentaires : on peut sourire à l'auditoire, descendre de l'estrade pour être proche de lui, se placer dans le public avec le passeur de diapositives, interpeller l'auditoire pour créer un dialogue, au lieu de l'habituel monologue... Tout est possible... à condition de ne pas oublier que, pour la communication scientifique comme pour les fables "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême", comme le disait justement Jean de la Fontaine : il s'agit de raconter la merveilleuse histoire de notre recherche scientifique.
Faut-il être soi-même émerveillé par les travaux que l'on présente ? Là, celle ou celui qui voudrait manier le paradoxe pourrait utilement relire le Paradoxe sur le Comédien, de Denis Diderot... mais pour ce qui me concerne, je répète -parce que j'en ai l'absolue conviction- que les sciences de la nature sont une activité merveilleuse, sublime, et je ne vois pas d'autre obstacle à vaincre, pour partager ce bonheur avec mes amis, que ma propre timidité ou mes insuffisances en matière de communication.

Mais Labor improbus...