samedi 21 septembre 2019

Je vous présente les celluloses


Aujourd'hui je vous présente les celluloses.  Parmi  les additifs, dans cette liste positive de composés tous testés et  finalement approuvés par les autorités sanitaires des aliments, il y a diverses formes de la cellulose.  Mais des dérivés de la cellulose ne sont pas de la cellulose.
Cellulose ? C'est d'abord un mot, comme "lipide", "protéine", "acide acétique"... Le plus souvent, dans les discussions publiques, les entités qui sont ainsi désignées sont singulièrement absentes de l’esprit de ceux qui en prononcent le nom ! Mais je ne suis pas ici pour dénoncer à nouveau l' "achimisme", mais, au contraire, pour expliquer.

Et rien de mieux que l'expérience pour bien fixer les idées :  mettons des carottes  dans un extracteur à jus, une "centrifugeuse" de cuisine. Les carottes broyées sont transformées en  un jus orange et épais, et il reste dans la machine  un résidu solide, légèrement orange.. que l'on jette le plus souvent (erreur, comme nous le verrons !). Conservons ce résidu et faisons le bouillir à grande eau. Même après un très long moment de "cuisson", il reste une matière solide, blanche que nous allons filtrer : dans le temps, j'aurais été fautif en disant que ce résidu était de la cellulose, mais on se souvient que je cherche à être de plus en plus précis, afin de ne pas laisser de place aux confusions dont le diable (les Tyrans, aurait dit Denis Diderot) s'empare.
Regardons ce résidu solide au microscope : on le voit constitué de fibres. Et avec un microscope qui montrerait les molécules, on verrait des molécules linéaires, plutôt d'ailleurs des chaînes que des fils, puisque l'oeil du chimiste reconnaît que les "maillons"  ressemblent tous à la molécule de glucose. Ces enchaînements sont des molécules de cellulose. Et comme il y a des molécules plus ou moins longues, je propose de parler plutôt de celluloses au pluriel que de cellulose au singulier. 
Or il y a ces molécules dans les  végétaux, auxquels elle assure de la rigidité,  avec ces autres composé que sont la lignine, les hémicelluloses, les pectines, etc. Beaucoup de ces derniers sont lessivés au cours de notre expérience, quand on fait bouillir dans l'eau, mais les molécules de cellulose, elles, sont très résistantes chimiquement, au point que nous puissions laver nos chemises en coton à l'eau bouillante des milliers de fois, sans qu'elle ne disparaissent dans les  eaux de  lavage. Le coton, c'est de la cellulose, en grande majorité, et le coton hydrophile est quasiment exclusivement fait de celluloses.
Comment les celluloses sont-elles fabriquées ? Dans les végétaux, la sève brute, faite essentiellement d'eau et de sels minéraux, monte vers les feuilles ; là, l'énergie de la lumière permet  aux feuilles, à partir de l'eau et du dioxyde de carbone qui est dans l'air,  de synthétiser -j'ai bien dit synthétiser-  des sucres que sont le glucose, le fructose, le saccharose, mais aussi des tas d'autres composés comme les acides aminés. Ces composés fabriqués par la plante dans les feuilles sont alors redescendus  par des canaux vers les autres organes des plantes : tige, racines, tubercules... Et notamment, le sucres sont utilisés  par les plantes pour synthétiser les celluloses.

En cuisine, je crois qu'il faut surtout se souvenir que les celluloses dont des molécules qui donnent de la rigidité aux plantes. Ce qui signifient qu'elles peuvent aussi donner de la rigidité aux plats. Cela ne signifie pas nécessairement dureté, mais changement de consistance, et c'est ainsi que j'ai proposé, il y a plusieurs années, d'ajouter des celluloses dans des gelées ou des confitures, afin de faire plus intéressant que de mornes gelées.
Morne gelée, morne plaine : il nous faut des vallons, des collines, de montagnes, pour ce qui concerne la consistance de nos mets, et les celluloses sont des composés bien utiles pour ces travaux culinaires.

jeudi 19 septembre 2019

La question du risque pour la partie expérimentale de la chimie


Pour la partie expérimentale de la science nommée chimie (ce n'est ni une technique ni une technologie), la question principale me semble être de savoir quelle est la question à laquelle on pense pas. Je m'explique ici.

Lors des travaux de chimie, qui explorent une partie inconnue du monde moléculaire, la mise en œuvre de réactions moléculaires encore jamais pratiquées conduit parfois à synthétiser des produits instables, qui peuvent conduire à des accidents, ou à des produits toxiques. Et c'est ce que nous allons donc d'abord considérer, parce que, dans les deux cas, il y a des risques de catastrophes.

Commençons par les produits instables. Au début d'une réaction effectuée par un chimiste, il y a des composés que l'on désigne sous le nom de "réactifs". La chimie étant la "science du feu", elle chauffe ces réactifs. C'est ainsi que l'alchimie procédait, mais en réalité, c'est encore souvent ainsi que l'on procède aujourd'hui. C'est par une telle méthode, par exemple, que Hennig Brandt découvrit le phosphore en 1669, par calcination d'urine. C'est ainsi que l'on produit de la chaux vive à partir de carbonate de calcium (le calcaire)...
Les produits formés sont un peu comme des masses auxquelles on a donné de l'énergie pour les porter en haut d'une montagne. Pour peu qu'elles puissent retomber, elles peuvent faire des dégâts terribles. Bien sûr, il y a une différence entre puissance et énergie : on sait bien que la même masse ne fera pas les mêmes dégâts si elle tombe verticalement ou si elle roule lentement sur une pente douce, avec des frottements. Et oui, la rapidité d'une décomposition (les produits formés relâchant l'énergie que le feu leur a donnée) est un facteur important d'explosion, parce que des changements de volume peuvent créer une onde de choc, comme le bang d'un avion supersonique.
D'autre part, oui, le "feu" donné à des réactifs réorganise les atomes qui composent ces composés : les atomes sont liés par des forces que l'on peut casser, mais ils se réarrangent alors, et c'est ainsi que partant de bleu de Prusse, on a produit de l'acide cyanhydrique, qui est un produit mortel. Là, les exemples sont innombrables.

Bref, il y a donc du danger en chimie... et cela est inévitable pour qui explore le monde moléculaire. Mais la question est moins le danger que le risque. Un produit toxique est dangereux, donc, mais enfermé dans un coffre, il ne présente pas de risque. Encore un exemple : il y a du danger à traverser certaines routes, et le risque est grand si je ne regarde pas à gauche et à droite. Avec des routes de campagne peu fréquentées, le danger est moindre qu'avec des autoroutes, mais qu'importe : si je passe quand il n'y a pas de voiture, le risque est faible dans les deux cas.
La question, toutefois, c'est de savoir quand il y a du danger, pour minimiser les risques. Dans l'histoire de la chimie, on a rapidement su qu'il y avait du danger,  au point même que, il y a seulement 50 ans, les chimistes se reconnaissaient dans la vie civile au fait qu'il leur manquait un œil ou une main. Aujourd'hui, les chimistes se sont dotés de méthodes pour essayer d'envisager les dangers, et, surtout, ils se fondent sur les expériences du passé... et sur des techniques progressivement mises au point pour éviter les accidents. L'une des plus essentielle est de réduire les quantités que l'on manipule
Mais la question demeure  : pour une nouvelle expérience, quel est le danger ? Et c'est là où je retrouve ma question, posée naguère par le philosophe Alain : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? Sans informations particulières, j'ai bien du mal à imaginer les dangers.

Mais l'ignorance n'est pas notre seul handicap. Nous aurions également intérêt à ne pas oublier que nous sommes nous-mêmes causes de danger : si notre tête est troublée, alors nous risquons de faire mal. Et j'ai de nombreux cas en mémoire, sans qu'il y ait eu -heureusement- d'autres conséquences  que matérielles. Par exemple, je me souviens d'un doctorant qui, troublé par des manifestations sous nos fenêtres, avait cassé de la verrerie, puis avait fait des erreurs dans ses calculs. Un calcul faux, on le refait, mais la vie humaine est précieuse, n'est-ce pas ?

Restons avec cette phrase : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? quel est le danger que je m'imagine pas ?

mercredi 18 septembre 2019

Pommes de terre soufflées

On me demande les liens pour les études de la pomme de terre soufflées, mais connaissez vous cette vidéo  :
https://www.youtube.com/watch?v=gOI8KDk8mOg


A propos des examens : et si nous faisions fausse route ?

À propos des examens, je me dis qu'un étudiant qui a bien travaillé, suffisamment, qui a bien étudié, ne doit avoir aucune difficulté à passer l'examen.
Bien sur, il aura fallu qu'il obtienne les connaissances nécessaires, et qu'ils transforme  ensuite  ses connaissances en compétences, par des exercices ou  par des problèmes , mais cet étudiant qui aura fait ce travail n'aura aucune difficulté à passer  l'examen, et il ne doit donc avoir aucun stress : après tout, il s'est déjà fait à lui-même son propre examen. Pourtant, on voit bien que, dans la très très grande majorité des cas, les étudiants craignent l'examen... et l'on en sait la raison : ils ne sont pas prêts. D'ailleurs, ne soyons pas naïf : il suffit de rester quelques minutes dans  un groupe d'étudiants pour s'apercevoir que, effectivement, les impasses sont nombreuses, les "distractions" n'ayant pas laissé assez de temps pour l'étude.
Nous arrivons finalement  à cette situation constante que le temps d'étude est insuffisant, et que l'examen reste toujours une sanction.

Or ce n'est pas l'objectif des examens : ces derniers sont simplement là pour vérifier un niveau. Il y a une barre à sauter, et le diplôme est accordé à un étudiant quand il parvient à franchir la barre. Mais, en corollaire, on comprend que la question est moins d'imposer des examens que de s'assurer que  le niveau est atteint, ce qui conditionne l'attribution du diplôme (par l'institution de formation, d'ailleurs, et non par le professeur). 
Dans cette perspective, qu'il y ait des examens ou un contrôle continu, peu importe. Il n'y a qu'une chose à vérifier, c'est que le niveau est atteint.
Et une fois de plus, on vérifie bien que c'est l'objectif -et non pas un chemin décidé un peu aléatoirement pour y conduire- qu'il faut considérer tout d'abord. Si l'on veut tester une  compétence (parce qu'elle était affiché -contractuellement- dans un référentiel),  alors cette compétence doit être présente et sa vérification doit se faire localement. Aucune raison que la vérification de cette compétence particulière se fasse en même temps que la vérification d'autres compétences.
Et l'on voit ainsi,  surtout à l'heure du numérique,  que nous aurions raison d'introduire des systèmes qui permettent à chacun le valider des connaissances, ou des compétences, ou des savoir-vivre,  ou des savoir être, à  un rythme qui lui est propre, à un moment où cela  lui convient.
Dit autrement  : si je me sens capable, moi étudiant, de déclarer à l'institution que j'ai une compétence particulière, alors je doit pouvoir "rencontrer" l'institution sur un site, afin de pouvoir montrer que j'ai effectivement cette compétence. 

J'entends immédiatement des collègues  me dire que ces examens à la carte sont difficiles à mettre en oeuvre, que cela demande plus de temps de professeur, que cela coûte  cher, que cela prend du temps, et ainsi de suite.  Je ne suis pas prêt à entendre ces arguments de ceux qui traînent les pieds. Plus exactement, e ne suis jamais prêt à entendre les arguments qui traînent les pieds surtout à l'heure où nous disposons d'un outil nouveau, merveilleux,  le numérique, qui nous donne des possibilités extraordinaires. En réalité, je crains la paresse chez ceux qui ne veulent pas changer leurs pratiques, leurs habitudes... et qui, le plus souvent, se plaignent ensuite de la routine ! 
Ma proposition est de toujours tout changer pour le mieux. Renouvelons, testons, explorons, amusons-nous à faire des choses passionnantes !

mardi 17 septembre 2019

La question des questions : étincelle ou pas ?

Un collègue qui prépare ses enseignements imagine, sur mes conseils, d'attirer ses élèves par des expériences qui leur donneront ensuite l'envie d'aller plus loin dans sa discipline. Les expériences sont déterminées, sur la base de la surprise, de la gourmandise, que sais-je, et la question est donc maintenant, par des questions, de les inciter à aller plus loin, à partir du tremplin expérimental/culinaire initial.
Je le vois qui cherche des séries de questions pour conduire les élèves dans des directions qu'il souhaite,  et l'on comprend que son questionnement vaut pour toutes les sciences de la nature que sont la chimie, la physique, la biologie...

Bref, la question se pose donc de savoir quelles questions poser.

Bien sûr, on peut décrire les phénomènes que l'on observe quand on fait les expériences et s'interroger sur tous les termes qui apparaissent lors de ces description : cela correspond environ  à ce que j'avais proposé dans la "méthode du soliloque".
Mais je me souviens aussi avoir proposé une classification des questions en questions étouffoir et questions étincelle,  les noms de ces deux types de questions étant choisis évidemment pour montrer que certaines questions sont plus fructueuse que d'autres. Des questions étouffoir : on étouffe l'intérêt. Des questions étincelles : on allume un brasier de connaissance !
Et c'est ainsi que j'ai les deux exemples suivants. Si je demande à quelqu'un l'heure qu'il est  et qu'il me répond, la discussion s'arrête ; c'était là une question étouffoir. En revanche, si je fais observer que l'estomac, fait de viande, digère la viande, et si je demande alors pourquoi l'estomac ne se digère pas lui-même, alors j'ai posé une question qui ouvre la discussion, une question étincelle.

La question que je pose maintenant est de savoir comment produire de telles questions fructueuses.

Observons que les paradoxes ont un rapport avec les questions étincelles. D'ailleurs, l'exemple de l'estomac était paradoxal. Tout comme le paradoxe d'Olbers, à propos de l'obscurité du ciel nocturne. Toutefois la vie ne se réduit pas aux paradoxes, et il y a mille questions intéressantes sans être paradoxales : pourquoi le ciel est-il bleu ? Pourquoi les pommes tombent-elles, au lieu de quitter l'arbre vers le haut ?
Mon problème, avec cette question que je me pose sur les questions étincelles, c'est que je vois des questions merveilleuses partout. Par exemple, à la fin de l'été, les feuilles qui étaient vertes jaunissent ; pourquoi ? Je vois le soleil se lever chaque matin du même côté de ma maison ; pourquoi ? Et  pourquoi de ce côté-là ? Je vois des trous dans les feuilles de mes plantes ; pourquoi ?
On a compris que les phénomènes naturels sont une source inépuisable de questions, qui, toutes, peuvent me conduire vers les études scientifiques. Bien sûr, on peut discuter de savoir si la science est dans le pourquoi ou dans le comment, mais c'est là une subtilité qui m'intéresse moins que d'observer l'enfant interagir avec l'adulte, à ce jeu des questions qui s'enchaînent à l'infini: "Et pourquoi... Et pourquoi... Et pourquoi...". Ici, l'art de l'adulte consiste à aider l'enfant à se lancer lui-même dans des explorations...  ce qui est difficile, car précisément, la question n'est pas le pourquoi, mais l'interaction avec l'adulte.
Oui, il y a une difficulté à savoir ne pas tuer la curiosité, mais se préserver un peu, et, si possible, conduire l'enfant à de l'autonomie, à l'apprentissage de l'activité solitaire de l'étude.
Cette analyse peut nous être utiles, pour notre réflexion sur les questions étincelles : et si la question était moins la question, étincelle ou étouffoir, que la question des relations entre le professeur et les élèves ? On l'a vu, toute question est rapidement étincelle... même  jusqu'à la question que je prenais comme exemple pour les questions étouffoir. Car quelle heure est-il ? Midi. Oui, mais midi exactement ? Et puis, un midi légal ou un midi solaire ? Et puis, avec quelle certitude sait-on qu'il serait midi ? Et ainsi de suite. Il n'y a de question étouffoir que si l'un des deux protagonistes refuse la relation, et l'on en arrive à conclure que c'est la relation qui est à construire, avec les questions !

Une fois de plus, je suis heureux de voir un symptôme me conduire à la maladie. Le symptôme n'a pas d'autre intérêt que d'être un symptôme, et c'est à moi de m'en saisir pour arriver à mieux. Au fond, la question des études est celle-là : ne pas étudier avec désinvolture, mais, au contraire, avec l'envie d'étudier. Sans cette envie, les études sont du gaspillage de temps et d'énergie, pris à des relations de qualités.
Chérissons ces dernières.

lundi 16 septembre 2019

A propos de pommes dauphine

A propos de pommes dauphine

Ce matin, je reçois la question suivante :

Mon entreprise produit des pommes dauphines et la mission qui m’a été donnée est en partie de comprendre le rôle de chacun des ingrédients et les mécanismes chimiques de la pâte à choux.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt une partie de vos écrits, notamment sur le soufflé, qui m’ont bien aidé à comprendre le rôle de la vapeur d’eau dans le gonflement des choux. Cependant, j’ai encore du mal à saisir ce qu’il se passe chimiquement lors de la fabrication du roux puis de l’incorporation des œufs dans la pâte : y a-t-il une dextrinisation de l’amidon ? Y a-t-il la formation d’un gel ? D’une émulsion ?


J'ai répondu que soit l'entreprise payait le laboratoire pour disposer spécifiquement d'une expertise, soit je donnais publiquement la réponse à la question... ce que je fais maintenant.

Commençons par les "pommes dauphine" : dans notre Glossaire des métiers du goût (http://www2.agroparistech.fr/Glossaire-Lettre-P.html),  je vois la définition suivante, tirée de ce merveilleux dictionnaire (public, gratuit, en ligne) qu'est le Trésor de la langue française informatisé : "Appareil de pommes duchesse (...) mêlé de pâte à chou et façonné en boules, que l'on cuit à grande friture".
Quant au Guide culinaire, il indique, pour des pommes de terre à la dauphine, que "l'appareil de croquettes de pommes de terre est additionné, au kilo, de 300 grammes de pâte à choux commune et ferme, sans sucre. Forme bouchon du poids de 50 grammes, et panage à l'anglaise".
Les croquettes, elles, sont obtenues ainsi : "Pommes pelées, coupées en quartiers, cuites vivement à l'eau salée, et tenues un peu fermes. Egoutter, sécher à l'entrée du four, et passer au tamis. Dessécher la purée avec 100 grammes de beurre, assaisonner et ajouter, hors du feu, 1 oeuf entier et 4 jaunes au kilo de purée. Forme facultative, soit bouchon, poire, abricot, etc. – Paner à l'anglaise, et plonger à friture chaude au moment."

Cela étant, on sait que je ne fais que très peu confiance au Guide culinaire, qui est plein d'erreurs, et je préfère utiliser plus ancien, tel Urbain Dubois (L'école des cuisinières) :
870. Pommes de terre à la Dauphine. — Préparez une purée de pommes de terre, déposez-la dans une casserole, assaisonnez avec sel, muscade et une pointe de sucre, incorporez-lui peu à peu, le tiers de son volume de pâte à chou finie, mais non sucrée ; prenez alors l'appareil par parties de la grosseur d'un petit œuf; roulez-les sur la table farinée, en leur donnant la forme méplate ou en bouchon, plongez-les dans la friture chaude; quand elles sont de belle couleur, égouttez-les sur un linge, et dressez.

Cette fois-ci, nous y sommes : de la pomme de terre cuite et écrasée, et la pâte à choux, laquelle s'obtient par cuisson d'eau ou de lait, de farine et de beurre, puis ajout d'oeuf entier.

Sans attendre, j'observe que l'on obtient un système "pâteux", ce que les physico-chimistes nomment une "suspension", avec une phase continue aqueuse, dans laquelle sont dispersés des cellules de pommes de terre, de l'amidon empesé, qui laisse d'ailleurs passer une partie de son amylose en solution, et de la matière grasse (qui est émulsionnée si elle est chaude, parce que, alors, elle est liquide).
Trempé dans de l'oeuf battu, puis frite, cette pâte s'entoure d'une croûte croustillante parce que sèche (selon un des "commandements" donnés dans mon livre Mon histoire de cuisine, éditions Belin).

Evidemment, lors de la friture, la chaleur entre dans les pommes à la dauphine, et l'oeuf coagule, contribuant à la fermeté de l'ensemble. Mais, de surcroît, la chaleur évapore de l'eau, et la vapeur formée peut faire souffler la préparation.
Finalement, on obtient donc la croûte, autour d'une pâte prise, avec des bulles de gaz, des gouttelettes de matière grasse, des cellules de pommes de terre dont l'amidon interne est empesé (l'intérieur de chaque cellule est fait d'un "gel" d'amylopectine, avec l'amylose en solution dans l'eau du gel), et une dispersion de gels d'amylopectine, l'amylose provenant de l'amidon de la farine étant dissous dans la phase aqueuse totale.

Au refroidissement, tout cela va durcir pour de nombreuses raisons, notamment parce que la matière grasse va figer (se solidifier), mais aussi parce qu'il y aura le phénomène de "rétrogradation"... mais cela est une autre histoire.

dimanche 15 septembre 2019

Chaleur tombante ?

Il y a quelque temps, j'avais discuté la recette des financiers, et j'ai reçu plusieurs propositions de cuisson, notamment celle-ci :

Ma recette de financiers est à four tombant pendant 15 mn : 5 mn à 240, puis baisser à 200 pdt 5 mn, puis éteindre le four et laisser 5 mn.
Qu’en pensez-vous ? Un avantage scientifique aux différentes températures ?


J'observe que "chaleur tombante" est un terme qui désigne le plus souvent une pratique de  boulangers : on enfourne le pain, puis il cuit quand on a éteint le four et que, en conséquence, la température diminue. L'ennui, c'est que cette façon de cuire est extrêmement imprécise : sauf à disposer d'un four dont on pourrait régler la température pour la ramener de façon connue jusqu'à la température ambiante, on subit l'inertie du four. Un four aux parois épaisses, très inerte thermiquement, se refroidit bien plus lentement qu'un four plus léger.
D'autre part, je sais assez que les fours ne sont pas capables -précisément en raison de leur inertie thermique- de changer de température dès que l'on change la consigne, et, de surcroît, les indications que l'on pourrait donner ne conduisent pas à des pratiques reproductibles par tous.
D'ailleurs, je retrouve ici une question qui se posait naguère à propos des oeufs, quand les recettes stipulaient de les placer dans de l'eau froide que l'on portait  ensuite à ébullition pendant un certain temps :  selon la quantité d'eau présente dans la casserole, selon l'énergie de chauffage, etc., on obtenait des  cuissons très différentes.
Évidemment, je n'ai rien contre les gradients de températures : les variations de température peuvent  effectivement avoir leur intérêt dans certains cas, mais c'est l'indication que je récuse car elle me signifie rien sauf pour celui ou celle qui utilise toujours la même four et toujours la même condition de cuisson. 

samedi 14 septembre 2019

Qui êtes-vous, et si vous n'êtes pas cuisinier, quel est votre métier, et pourquoi osez-vous parler de cuisine ?

Un journaliste coréen me demande qui je suis, quel est mon métier, et si je ne suis pas cuisinier, pourquoi j'ose parler de cuisine.

La question est  intéressante, parce que c'est une question de légitimité,  de territoire en quelque sorte, et l'on sait combien ces questions-là sont essentielles chez les primates, et d'ailleurs également dans les autres espèces animales.

Qui je suis ? Sans faire de pirouette, j'ai immédiatement envie de répondre que nous sommes ce que nous faisons, de sorte qu'il faudrait maintenant que je livre mon agenda des jours écoulés pour que mon interlocuteur puisse comprendre qui je suis vraiment.
Mais il s'attend plutôt à ce que je lui donne mon nom, et mon nom Hervé This. Souvent, j'écris plutôt Hervé This, vo Kientza, tant je suis malheureux d'être en exil à Paris alors que mon cœur est resté dans cette ville merveilleuse d'Alsace qui a pour nom Kientzheim en français, et Kientza en alsacien.
Aussitôt, j'ajoute que je suis physico-chimiste. En effet,  c'est cela qui m'anime, c'est cela qui me fait lever le matin sans traîner au lit, tant je émerveillé, depuis l'âge de six ans, par les sciences de la nature, et notamment la chimie. Chimie, physique, physico-chimie...  Peu importe, mais il est essentiel, pour moi, que la chimie soit en premier. Et j'insiste un peu :  on ne confondra pas la chimie avec ses applications, et l'on restera avec l'idée juste que la chimie est une science de la nature, nature se disant physis, physique en grec.
Oui, je suis émerveillé que des calculs, ce que d'aucuns nommeraient des mathématiques, puissent s'appliquer si bien aux phénomènes que nous observons. Je suis émerveillé que le monde s'interprète si bien en termes moléculaires et atomiques, mais je suis également épaté que ces connaissances scientifiques aient des applications si extraordinaires en terme de médicaments, cosmétiques, aliments...
Mais je ne suis pas animé par un émerveillement naïf et passif. Non, au contraire, j'ai l'ambition de contribuer activement à explorer le monde, de contribuer à apporter ma pierre à  la chimie, à la physique-chimie, à la chimie physique...

Le rapport avec la cuisine ? Depuis le 16 mars 1980, j'ai compris que les phénomènes culinaires sont en réalité des transformations physiques et chimiques, de sorte qu'il y a la possibilité de les considérer en vue de produire des résultats scientifiques. Autrement dit, en étudiant scientifiquement la cuisine, on peut tout à la fois comprendre les transformations que l'on observe et agrandir le domaine scientifique, ce second objectif étant en réalité le premier pour moi.
Autrement dit, je passe mes journées à considérer les phénomènes culinaire, de sorte que je les comprends assez bien et que je crois pouvoir dire sans trop de prétention que je connais bien les théories actuelles qui décrivent les phénomènes culinaires.

Est-ce suffisant pour parler de cuisine avec légitimité ? Ici, je propose de revenir à des analyses que j'avais faites et oubliées dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique pour appeler que l'activité culinaire à en réalité trois composantes :  une composante sociale, une composante artistique et une composante technique. Ce que j'ai exposé précédemment me permets de dire que très légitimement, je connais bien la composante technique de l'activité culinaire, au point même que, quand je veux sourire un peu, je dis que mes amis cuisinier sont bien moins bon techniquement que moi qui sait produire un mètre cube de blanc de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf. Évidemment, du point de vue artistique, je suis assez mauvais, même si je crois être le premier à avoir produit un traité d'esthétique culinaire, à avoir théorisé le bon en cuisine, c'est-à-dire le beau à manger.
Enfin, pour ce qui est de la composante sociale, je suis bien en retard, du point de vue théorique comme du point de vue pratique.

Voilà, je crois avoir répondu honnêtement à la question posée, mais je reste à la disposition de mes amis pour donner d'autres éclaircissements.

vendredi 13 septembre 2019

Answering a question

The 10th of September 2019, thanks to the FIPDES friends, a new "obvious" idea arose abour answering questions and making exercises.
This idea did not come immediately, but after we spent some time discussing the following exercises of  Course #3 :

Exercise  1. Select an "interesting" recipe from your own culture. Tell the group why  it is "interesting" (but of course think of what it can be). Guess why this excercise was proposed. And try to know why this would be useful for your carreer in the "food innovation and product design".

For some years, this exercise was the opportunity to  discuss what "interesting" means, and this is why the word was between quotes. Indeed there are wheels within wheels with this exercise, and the two last questions give only a superficial hint toward some of them. The fact that this exercise was the first meant that in the past years, we  spent a lot of time on it, because it was showing the way for the next exercices.
But this year, because we arrived to the exercise when we had discussed the idea that in science, adjectives and adverbs are forbidden, and have to be replaced by the answer to the question "how much?", it came suddenly to my mind that I did not do what I should: it is useless to try to "define" the word "interesting", as we did, but the only thing to do was to design a quantitative index... or many, because any definition should be associated with one such quantitative information.
And because we are now on the right scientific track, let's remember that science means quantitative + references ! So that the mistake of the past years was double: the quantitative treatment was missing, but as well the references!

And this is why, suddenly, the second exercise improved as well.
This exercise is:
Exercise 2 : please try to write a 1500 characters piece on what is art. Guess why this excercise was proposed. And find out why this would be useful for your carreer in the "food innovation and product design".
Last year, for example, my FIPDES friends wrote pieces about 1500 characters, using what they had found on internet. Of course, going to Wikipedia is not enough, and one can guess that someone like me needs much more. I am not saying that Wikipedia is bad (and I even contribute frequently to improving it), but I say that this is not strict enough in science and technology, with a poor impact in communication. For sure, a treaty of "aesthetics", such as the one by Shitao, is much better. Or the Poetic by Aristoteles. Or some theoretical works by Jorge Luis Borges, or by Umberto Eco. Remember that culture (I mean the right one: the pieces produced by intelligent people) is important for innovation!
And this why this particular piece to be produced should be more than a poor personal feeling being expressed! It has to include references... and if you are smart, why not try to incoroporate quantitative information as well? After all, now that we have these two ideas, quantitative and references, let's apply them always!

Now, a question: how to make it quantitative? Let's look at the next exercise:
Exercise 3: find  a Roman recipe on line, and show how it is similar or different from today's recipes. Guess why this excercise was proposed.
And find out why this would be useful for your carreer in the "food innovation and product design".
It is easy to find the references... and if you go online, you will probably find recipes by "Apicius" (guess why I put quotes here?).
Now, is it "original" to find such a recipe? Let's define quantitatively originality as the contrary to what is frequent.
Let's imagine that 1 recipe is not  from Apicius. Then the ratio of 1 over N (number of friends in our group) would be small, because N is larger than 1. And if two of us have a recipe outside Apicius, the 2/N ratio would increase... in spite that it is less original being 2 rather than 1 outside a group.
But we are looking for an index that increases with originality, not that decreases! Why not deciding for the N/k ratio instead, where k is the number outside Apicius? Or course, now this ratio would be infinite in the particular case when all recipes are from Apicius: this means that being original would be infinite. And on the other side of the scale, we would have 1.
Do you want instead an intervalle between 1 and 0? It is easy to change a scale, using a function.

For the next exercise, it was easy to find something quantitative... apparently:
Exercise 4 : try to find how many people are undernourished in your country?
Guess why this excercise was proposed.
And find out why this would be useful for your carreer in the "food innovation and product design".
Yes, you will probably easily find the number that you are looking for. But the question here is hidden: the idea is not to make this research, because it does not call for much intelligence, and you remember that I praise intelligence (and work), not making simple and silly things.
Here, again, there are many ideas behind the exercise, but in particular the question of "significant" figures. I know that some say that in their country, the figures are manipulated by the government, etc. But anyway, if you look well, you will find estimations.
Now, for all, the question of significant figures is in front of you:
1. do you know WELL what it is (I mean: so well that you can define it precisely, and apply this knowledge)?
2. could you say how much it is for a balance with 1 g precision? for a balance with 0.000001 g precision (beware, there is a trap here)? for the figures that you found here?

And now you know enough for the next exercise:
Exercise 5: identify an "original" culinary practice from your country.
Guess why this excercise was proposed.
And find out why this would be useful for your carreer in the "food innovation and product design".

And for the next one:
Exercise 6:
(a) find something that you  eat  daily and is disgusting for others ;
(b) find something that you consider disgusting in the country of a member of the cohort. Guess why this excercise was proposed.
And find out why this would be useful for your carreer in the "food innovation and product design".

And even for the next one.
Exercise 7: select a recipe and extract the parts of it when the goal is to achieve (1) safety ; (2) flavour. Guess why this exercise was proposed.
And find out why this would be useful for your carreer in the "food innovation and product design".



Finally, please remember :
1. quantitative
2. good references !

Qu'est ce que la cuisine ?


Qu'est-ce que la cuisine, me demande-t-on ? La question mérite une réponse en ces temps d'évolution rapide du paysage culinaire, alors notamment que la cuisine note à note bouscule les mentalités.

Jadis, quand l'espère humaine ne l'était pas encore, qu'il n'y avait pas le feu, on mangeait directement les végétaux ou des animaux, sans apprêt, sans cuisine. Puis il y eut des évolutions : certains primates non humains sont ainsi capables de laver des tubercules avant de les consommer : c'est le début d'une transformation des ingrédients en aliments. Puis le feu et la fermentation se sont introduits, avec des effets importants sur la digestibilité des ingrédients, et du temps laisser pour autre chose que seulement se nourrir. Ce fut un moment essentiel, et le feu fit la cuisine. L'aliment se distingua plus nettement de l'ingrédient.
Et, progressivement, la cuisine s'est emparée des fruits, des légumes, des viande, des poissons et de quelques autres ingrédients pour leur appliquer des  opérations unitaires, telles que la division, le broyage, la cuisson...

Et c'est ainsi que l'on en est arrivé à ce stade où  la cuisine est une activité de préparation des mets à partir des ingrédients culinaires.

Si l'on analyse cette activité, on observe qu'il y a trois composantes : une composante technique, une composante artistique et une composante sociale. La composante sociale, tout d'abord, consiste à établir une relation de confiance avec ceux que l'on nourrit, au point qu'ils acceptent d'absorber les produits que nous avons préparés. La composante artistique consiste à faire bon, c'est-à-dire beau à manger, tout comme le musicien c'est beau à entendre, le peintre fait beau à voir,  l'écrivain fait beau à lire... Enfin, la composante technique est la plus élémentaire, elle est à la base de l'artisanat comme de l'art culinaire. Il s'agit simplement de produire les mets, techniquement, physiquement.

La cuisine note à note vient bouleverser tout cela, au point que  j'ai rencontré des cuisiniers, notamment professionnels, pour qui la cuisine note à note n'est pas de la "vraie cuisine". Pourtant il s'agit bien de préparer des plats, de donner à manger, de faire du beau, avec une activité technique, une activité artistique, une activité sociale.
Avec la cuisine note à note, il ne s'agit pas de changer les ustensiles, mais de changer les ingrédients : il s'agit d'utiliser les composés constitutifs des ingrédients classiques plutôt que les ingrédients classiques eux-mêmes. Au lieu d'utiliser des carottes ou des viandes, on utilisera des protéines, de la cellulose, de l'eau, des lipides.
Et c'est là que la discussion devient intéressante : nos amis apeurés ont-ils le droit de vouloir confisquer le mot "cuisine" pour le réserver à la transformation des ingrédients culinaires classique en aliment ? Après tout, l'utilisation de farine n'est pas l'utilisation de blé, et l'utilisation du beurre n'est pas celle du lait : on a fractionné, et le cuisinier a utilisé des fractions. Pourquoi ne pas prolonger le fractionnement et l'utilisation de fractions ? 
Je pourrais volontiers admettre que c'est moi qui abuse de la terminologie "cuisine", mais la considération de l'histoire de la cuisine montre que, en réalité, la cuisine n'a pas toujours été comme aujourd'hui. Cicéron disait bien qu'un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant. Le fait que la cuisine ait évolué fait penser qu'elle évoluera encore.

Considérons donc que la cuisine note à note est de la vraie cuisine, et cherchons ce qu'il y aura après ;-)


jeudi 12 septembre 2019

Un travail de votre laboratoire ? Quel rapport avec la cuisine ?

On me demande souvent un exemple de travail fait dans mon laboratoire, afin de mieux comprendre les relations entre la gastronomie moléculaire et la cuisine.



Je commence par rappeler la définition : la gastronomie moléculaire est la science (physique chimique, biologie...) qui explore les phénomènes qui ont lieu lors des transformations culinaires.

C'est une activité scientifique, et non pas une activité culinaire, puisque la cuisine est définie comme la préparation des aliments à partir des ingrédients alimentaires.

Mais j'arrive maintenant à l'exemple que l'on me demande : un exemple que je crois avoir soigneusement choisi pour montrer les rapports compliqué entre la science et la cuisine.




Cet exemple, c'est l'étude de la torréfaction du café.


On pourra me faire observer que la torréfaction du café ne se fait guère chez les particuliers, qui, aujourd'hui, achètent le plus souvent du café en poudre, moulu dans des sacs tout préparés. C'est oublier que naguère, on achetait des grains de café torréfiés, et pas de la poudre. Il fallait faire soi-même la poudre... mais, peu avant, on ne se limitait pas à moudre : il fallait torréfier, et l'on trouve d'ailleurs encore des systèmes spéciaux, pour ceux qui ne se contentaient pas d'une poêle.


Mais, de toute façon, même si la torréfaction du café n'est plus une activité culinaire, qu'importe, car on va voir que le cas particulier la torréfaction de café n'est pas ce qui nous intéresse. La torréfaction du café n'est, en effet, qu'un exemple de traitement thermique d'un tissu végétal. Quand on cuit une carotte, que fait-on ? Un traitement thermique de tissu végétal. Quand on fait des frites, que fait-on ? Un traitement thermique de tissu végétal. Et ainsi de suite : on a compris que la cuisine, quand elle fait usage de tissus végétaux, fait en réalité des traitements thermique de ces tissus, à des températures différentes, et avec des résultats différents.

Ces différents traitements s'accompagnent de modifications de la structure physique et de la composition chimique des tissus végétaux. Par exemple, l'amidon à l'intérieur des cellules de pomme de terre s'empèse quand on fait une purée ou des frites ; les carottes s'amollissent quand on les cuit à l'anglaise ; des lamelles de divers végétaux cuits au four se mettent à brunir...

Il y a donc là des phénomènes, et le but de la science est d'explorer les mécanismes de ces phénomènes. Ce que l'on pourrait formuler autrement en disant : qu'est-ce qui a lieu quand on fait ces différentes transformations, qui provoque les différents phénomènes ?

Et c'est ainsi que la torréfaction du café m'intéresse peu en elle-même, mais m'intéresse plutôt pour la généralité des phénomènes que nous allons explorer, et des mécanismes que nous espérons découvrir, des théories que nous espérons produire.

Lors de nos études, il y a bien sûr un volet un peu technologique, quand le doctorant en charge des travaux est en contrat avec une société industrielle qui a besoin de résultats pratiques, mais il y a surtout des explorations purement scientifiques, comme on va le voir.

Analysons que le café est fait d'eau, de celluloses, de pectines, de différent autres polysaccharides, de caféine, de trigonelline... Pour explorer la torréfaction, nos études nous conduisent à traiter thermiquement ces divers composés un à un pour voir comment ils réagissent, afin que la connaissance de toutes les réactions individuelles puisse nous permettre de comprendre la transformation totale de l'ensemble nommé café.

Or le chauffage de beaucoup des composés du café se retrouve lors de nombre de cuisson de légumes ou de fruits, et la connaissance que nous aurons en étudiant le café vaudra donc pour l'ensemble des cuissons de légumes.


Et c'est ainsi que nous arrivons souvent sur des idées utiles pour la cuisine, alors que nous ne les cherchions pas spécifiquement. Je prends l'exemple de ces bouillon de carottes dont la couleur changeait, et à propos desquels nous avons découvert que la cuisson se faisait différemment en présence et en l'absence de lumière.

Si l'on veut un bouillon de carottes orange, on le fait en l'absence de lumière, mais si on le veut ambré, alors il faut éclairer. On voit aussitôt une conséquence utile pour les cuisiniers : il n'est pas nécessaire d'ajouter des oignons brunis pour donner une couleur brune au bouillon, ce qui risquerait d'ailleurs de lui donner de l'âcreté.


Bref, je maintiens absolument, très énergiquement, que ce n'est pas en cherchant les applications qu'on les trouve le mieux, mais en ayant une activité scientifique, sans but apparent... sauf la découverte bien sûr ! Les applications viendront de surcroît, pour peu qu'on cherche à utiliser les connaissances scientifiques produites.



mercredi 11 septembre 2019

Trois fonctions de la cuisine.


Puisque l'on m'interroge sur la "cuisine", il faut que je dise que j'ai analysé, il y a déjà longtemps, que la cuisine avait trois composantes : une composante technique, une composante artistique, et une composante sociale.

La composante sociale, c'est ce qu'on peut appeler l'amour, mais en réalité cela dépasse cette notion d'amour, et je préfère évoquer la confiance que l'on fait au cuisinier ou à la cuisinière quand on introduit dans notre organisme des aliments qu'ils ont préparés.
On sait, dans l'histoire, combien les puissants ont été soucieux de ne pas être empoisonnés, et il y a effectivement ce risque avec l'aliment ; tout ce que nous mangeons doit être parfaitement comestible, et cela à court et à long terme.
À court terme, il s'agit de ne pas être malade juste après avoir mangé, mais à long terme aussi, notre alimentation doit nous garder en bonne santé. Et je prends ici l'exemple de l'aristoloche dont l'agence européenne de sécurité sanitaire des aliments a montré que, si elle était sans danger à court terme, elle causait des cancers quelques années ou décennies plus tard. L'individu, le cuisinier intuitif,  est très mal placé pour savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui devrait nous faire considérer avec prudence les cuisines à base de fleurs ou  plus généralement de plantes. Quelle preuve avons-nous de la sécurité sanitaire de ces ingrédients ? Cela, c'est pour le mauvais côté de la chose, mais il y a le bon côté, qui est celui de faire des efforts pour les autres, de chercher à faire beau, mais non pas bon pour soi, bon pour eux ! Là il y a véritablement une fonction sociale très importante.

La composante artistique en découle : il  s'agit de faire bon, c'est-à-dire en réalité beau à manger.
De même que le musicien doit moins être bien habillé que faire de la jolie musique,  de la belle musique, belle à entendre, de même que l'écrivain doit faire des textes beaux à lire, de même que le peintre doit faire beau à voir, le cuisinier ou la cuisinière doivent faire beau à manger c'est-à-dire bon.
Et c'est pour cette raison que j'avais produit ce traité d'esthétique culinaire intitulé La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique. Par esthétique, il ne s'agissait pas de parler du beau à voir, bien évidemment, mais du bon,  car on se souvient que l'esthétique est une branche de la philosophie qui considère précisément le beau.

La composante technique, enfin, c'est l'activité pratique, au piano, de préparation des ingrédients pour en faire des mets. Je reprends un peu cette formulation : l'objectif est effectivement de partir d'ingrédients (souvent des tissus végétaux ou animaux) pour les transformer en aliments, en mets.
En effet, un ingrédient n'est pas un aliment, car un aliment est ce que l'on mange. Or l'ingrédient ne se mange pas : il doit être lavé, paré, détaillé, transformé, assaini, cuit... C"est la cuisine qui transforme les ingrédients en aliments, et cette cuisine effectue des opérations techniques, qui mettent évidemment en œuvre des phénomènes qui sont explorés par les chimistes, par les physiciens ou par  les (micro)biologistes.

Mais une question se pose aujourd'hui : j'ai annoncé trois composantes, mais y en aurait-il d'autres ?

mardi 10 septembre 2019

À propos de cuisson

Lors de discussions, notamment à propos de la cuisson des financiers, l'un de mes interlocuteurs a évoqué  sa pratique personnelle qui consiste à faire une double cuisson. Pourquoi pas, mais pourquoi  ?

En réalité, cela me rappelle un très ancien souvenir, quand, au cours de mes premiers travaux, dans les années 1980, j'avais exploré la cuisson des frites, et l'intérêt éventuel de bains successifs.
 J'avais commencé par mesurer la température dans les frites au cours d'un ou de plusieurs  bains et j'avais obtenu des courbes correspondant aux échauffements dans ces divers cas, sans voir (hélas) de véritable phénomène nouveau, surprenant : je n'observais que ce que la théorie classique de la chaleur pouvait prédire.
Toutefois la fréquentation des milieux culinaire m'avait fait connaître alors la pratique, réelle ou prétendue, d'un chef réputé, qui cuisait - disait-on- dans 6 bains successifs  et qui aurait reconnu la parfaite cuisson des frites à l'oreille. Pourquoi pas,  mais en tout cas, la mesure des températures ne me montra alors aucun phénomène  particulier. J'ajoute que plus tard, j'ai fini par comprendre que plus on sort les frites de fois de l'huile, plus on les charge d'huile. Si c'est l'objectif que d'emplir  les frites, autant y aller à la seringue, cela sera plus facile.
Car en réalité, une frite est un objet assez simple avec un cœur de pommes de terre en purée, si l'on peut dire, à l'intérieur d'une croûte qui donne le croustillant.  Evidemment, plus la durée de cuisson est longue, plus le croustillant et épais. Et j'ajoute immédiatement qu'il n'y a pas de cuisson idéale puisque le meilleur, c'est ce que j'aime hic et nunc, ici et maintenant ; ce meilleur n'existe qu'à l'instant, car il changera probablement  d'un jour à l'autre, d'une heure à l'autre, et je ne suis pas prêt à entendre que le meilleur d'autrui doive être le mien. J'ai mon meilleur, qui change tout le temps et je me le garde.
Oui, le "bon", le meilleur" sont des questions artistiques, de goût, et non des questions  technique. J'ajoute cette remarque, car la confusion a souvent fait bien du mal aux débats culinaires, avec des notions néfastes comme le point de succulence par exemple.

Mais finalement, cette question des cuissons me fait comprendre  qu'il y a lieu de bien expliquer la théorie de la chaleur, extrêmement classique, car elle permet de mieux se comporter techniquement en cuisine. Une fois l'objectif choisi, on saura alors décider du barème de température que l'on voudra appliquer, en utilisant la classique théorie de la chaleur, née notamment avec le physicien français Jean-Baptiste Fourier. Cette théorie, valide dans les cas culinaires habituels,  permet de comprendre pourquoi des notions comme le choc thermique sont parfois complètement hors sujet et pourquoi les entailles faites dans l'épaisseur de certains produits que l'on cuit ne permet certainement pas de faire entrer à la chaleur plus vite.

Bref, une fois de plus, j'observe qu'il y a lieu de comprendre ce que l'on fait,  et, en cuisine, cette compréhension passe part de la chimie, de la physique, de la biologie.  Finalement, si vous nous voulons être bon cuisinier, ouvrons les oreilles au collège pendant que les cours nous  sont dispensés, sans quoi nous devons nous y recoller plus tard. Et j'ajoute que "s'y recoller" est une expression un peu péjorative,  personnellement, je vois plutôt cela comme du bonheur. Le bonheur d'apprendre, le bonheur de comprendre !

lundi 9 septembre 2019

Une question d'envie


Dans une discussion avec un professeur,  je m'aperçois que nous ne sommes pas sur la même planète : alors qu'il agite devant moi des questions d'évaluation, je ne pense qu'aux moyens de donner envie d'étudier aux jeunes collègues. 

Ne pourrions-nous pas évoquer la beauté des sujets ? En mathématiques, il est vrai qu'il y a quelques démonstrations superbes de subtilité, d'intelligence. En physique, des méthodes comme les variations, ou les calculs ab initio sont vraiment merveilleux, mais la thermodynamique statistique, aussi, est extraordinaire. En chimie ? Il y a des synthèse qui sont d'extraordinaires chemins dans une sorte d'espace de la synthèse organique. En analyse ? La spectroscopie de résonance magnétique est extraordinaire : elle montre les atomes !

Bien sûr, pour d'autres, plus pragmatiques parce que clairement destinés à une carrière d'ingénieur, il y a une question essentielle d'utilité, d'efficacité. Je suis moins bon pour vous en donner des exemples, mais cela court les matières, de même.

Quoi d'autres ? L'actualité est clairement un moteur important, pour une partie de nos collègues. Cela tombe bien, car c'est une partie de notre mission que de montrer des théories modernes. Et là, c'est l'abondance, puisque chaque article récemment publié donne un exemple supplémentaire.

D'autres possibilités ?

dimanche 8 septembre 2019

Un projet professionnel est un projet personnel ; comment se déterminer ?


J'ai l'impression que nous aurions tout intérêt à aider les étudiants à se déterminer quand leur projet professionnel n'est pas fixé. D'ailleurs, je dis "projet professionnel", mais je ferais mieux de dire "projet personnel", car je ne vois pas les possibilités durables de mener une vie professionnelle si elle n'est pas intimement et harmonieusement intégrée à la vie personnelle.
En conséquence, nous aurions intérêt à bien suivre cette question au cours des études : au début, au milieu, plusieurs fois, en fin de parcours. Comment aider nos amis ?  Je crois que nous aurions intérêt à rappeler l'exemple de Francis Crick, qui, physicien, s'aperçut un jour qu'il parlait de biologie à ses amis. Il décida donc de changer de discipline... et c'est ainsi qu'il reçu le prix Nobel quelques années plus tard pour la découverte de la  structure en double hélice de l'ADN. Chercher de quoi l'on parle avec le plus d'intérêt (à ses amis) : c'est ce qu'il a nommé le test du bavardage.
On aura aussi intérêt à donner des outils pour comparer les différentes activités, et notamment les critères d'intérêt intrinsèque, à savoir combien le métier nous intéresse, d'intérêt extrinsèque, à savoir combien on gagne, et d' intérêt concomitant, qui regroupe des tas d'intérêts, comme celui de la place dans la société, par exemple. Pour chaque activité, chaque personne en particulier peut faire une estimation particulière, ce qui conduit à un bilan, surtout si l'on assortit c'est évaluation d'un tableau où il l'on fait apparaître les avantages et les inconvénients que l'on pressent : c'est un tel tableau que l'on peut alors discuter de façon plus raisonnée.
Tout cela étant dit, et sans que mon exemple ne soit exemplaire, je propose de raconter ici que, quand je me suis retrouvée inscrit en faculté de lettres, j'avais des tas de matière qui ne m'intéressaient pas a priori.  C'était là un état d'esprit d'enfant, car les études de ces matières, notamment avec des professeurs aussi merveilleux que Danielle Régnier-Bohler et Claude Gaignebet, m'ont montré que mes a priori étaient complètement idiots. Puis, quand j'ai été embauché par la revue Pour la science, je l'ai été, faute de place,  pour le secteur de la médecine, que, pour des raisons familiales, j'avais toujours voulu éviter. Je ne sais pas comment cela s'est  fait (si, je le sais, comme on le verra plus tard), mais ce secteur est vite devenu passionnant,  au point car qu'un collègue que nous avions embauché peu après a voulu me le reprendre. Il en a été de même pour la rubrique de Critique de livres, que personne ne voulait : je l'ai reprise et transformée, au point que c'est devenu une des rubriques les plus lues du journal.
Ces deux derniers exemples montrent que c'est nous qui éventuellement créons la poussière du monde où, au contraire, qui rendons les choses passionnantes. Dire "j'aime" ou "je n'aime pas" est sans doute une attitude d'enfant, et nos jeunes amis doivent savoir tout cela en tête quand ils discuteront de façon intime ou explicite des possibilités qui s'ouvre à eux.

Et je terminerais en conseillant de rechercher ce qui nous passionnait quand nous étions enfants ou adolescents, car le passé nous rattrape souvent, et nous aurions intérêt à ne pas perdre de temps dans des secteurs qui ne sont pas ceux que nous aimons vraiment. Pour moi, sans que je regrette rien, je dois quand même avouer que mon bonheur est parfait depuis que je suis dans mon laboratoire de recherche scientifique, après ce passage pendant 20 ans dans l'édition scientifique, activité qui me forçait à faire ma recherche scientifique dans mon laboratoire personnel et seulement pendant les vacances.
Aujourd'hui, le poulain est lâché dans le pré... et l'herbe est plus verte dans mon propre pré que dans celui du voisin. C'est ce que je souhaite à tous !


samedi 7 septembre 2019

Pas d'acides gras dans l'huile, mais des triglycérides


Vraiment, je m'étonne : alors que je venais de twitter que l'huile ne contient pas d'acides gras, mais des triglycérides, un collègue m'interroge, parce qu'il ne comprend pas. Certes, ce n'est pas un chimiste... mais qu'importe : je vois surtout qu'il y a lieu d'expliquer (merci de me dire ensuite si j'ai été clair).

Partons donc d'une bouteille d'huile : dans le récipient en verre ou en plastique, on voit un liquide jaune, un peu visqueux, transparent.
Si nous l'observons à l'aide d'une loupe, nous continuons de voir la même chose. Et également avec un microscope classique.
En revanche, si nous regardons avec un microscope bien plus puissant, nous voyons l'huile faite d'objets analogues à des  peignes à trois dents souples. Plein, qui grouillent... Ce sont des molécules, et ces molécules sont toutes comme des peignes à trois dents souples, de la catégorie que les chimistes nomment des triglycérides.
Dans les organismes vivants qui en synthétisent, ces composés sont obtenus par assemblage d'un composé nommé glycérol-3-phosphate et d'acide gras. Mais une fois que les atomes sont assemblés en molécules de triglycérides, il n'y a plus de glycérol ni d'acides gras.

Bien sûr, on sait aussi décomposer les triglycérides, afin de former, à partir d'eux, du glycérol et des acides gras, mais on sait aussi décomposer les molécules de triglycérides de mille autres manières. Et une huile décomposée, parce qu'elle a été exposée à la chaleur, ou à la lumière, ou à l'oxygène, est assez malsaine, rance, et la présence d'acides gras en abondance ne serait vraiment pas bon signe !

Donc voilà : pour ceux qui en avaient besoin, pas d'acides gras dans l'huile !




PS. A propos de ce billet, je reçois un remerciement d'un correspondant, qui me dit "Et concernant les oméga 3 (et autres AGPI) ce sont aussi des triglycérides ?". 
Ici, la question est l'usage généralisé d'un terme galvaudé par les réclames. "Oméga 3" est  une abréviation d'acide gras oméga 3. Et, en vertu de ce que j'ai expliqué plus haut, il n'y a donc pas d'acides gras oméga 3 dans les huiles, puisque les huiles ne sont faites que de triglycérides.
Mais certains triglycérides, surtout dans l'huile d'olive ou dans des graisses de poissons, ont des résidus d'acides gras (j'insiste, comme dit plus haut, sur l'expression résidus d'acides gras) qui sont des résidus d'acides gras oméga 3.

Mais, à ce stade, il faut considérer les résidus d'acides gras plus en détail. On trouvera, dans le Grand livre de notre alimentation, un chapitre bien détaillé sur ce point,  mais disons ici, simplement, que les résidus d'acides gras sont des enchaînements d'atomes de carbone, avec des atomes d'hydrogènes attachés à ces atomes de carbone.
A l'exception de l'atome de carbone de l'extrémité libre de la chaîne (l'autre extrémité est liée à un résidu de glycérol, le manche du peigne), chaque atome de carbone est lié à deux atomes d'hydrogène, dans les résidus d'acides gras saturés. En revanche, pour les résidus d'acides gras insaturés, deux atomes de carbone voisins ne sont liés chacun qu'à un seul atome d'hydrogène, tandis que ces deux atomes de carbone sont doublement liés : c'est ce que l'on nomme une "insaturation", car on peut chimiquement ajouter de l'hydrogène, auquel cas le résidu d'acide gras, d'insaturé, devient saturé.

Finalement, on aura raison de dire : il existe des triglycérides dont un ou plusieurs résidus d'acides gras sont insaturés, et, notamment, avec une insaturation de type oméga 3 (je n'explique pas plus en détail, voir le livre cité plus haut)


Organiser des études

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dans ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.


Les institutions de formation supérieure doivent être réalistes : elles ne peuvent pas emplir les emplois du temps avec de la présence obligatoire de jeunes collègues et leur demander de travailler par eux-mêmes !
Je rappelle que la courbe de l'autonomie est la suivante  :

La solution qui consiste à apprendre lentement, au début, est bonne (on ne peut pas être rapidement autonome). La solution qui consiste à être lâché autonome alors qu'on l'est déjà l'est aussi (ce serait une erreur de nous laisser autonome tout d'un coup. Comme quand on freine, en voiture, toute rupture est mauvaise... de sorte que seule la courbe verte est admissible.

Cela étant dit, quel peut être  le temps de cours et le temps d'études ? Il faut d'abord savoir de quel total l'institution de formation dispose. Et on peut faire l'hypothèse d'un maximum de 10 heures par jour, plus 5 à 10 heures pendant le week-end, soit un raisonnable 55 heures au total (inutile de dire que certains peuvent faire bien plus que ce petit minimum... dont on me dit qu'il est excessif, et que le volume maximum serait plutôt 45).
Si l'on est en Master 2, à combien doit-on limiter  le volume d'heures professées ?

Utilisons une fonction sigmoïdale :
f := t -> 1/(1 + exp(-1/2*t + 5));
 f := proc (t) options operator, arrow; 1/(1+exp(-(1/2)*t+5))

    end proc
plot(f(t), t = -10 .. 25);

On calcule :
55*evalf(f(23));
                          54.91743498
On a bien lu : il faudrait 54,9 heures de travail personnel !
En Master 1, on pourrait calculer :
55*evalf(f(22));
                          54.86400574
Peu différent !
Vous souhaitez une sigmoïde moins plate à l'arrivée, parce que vous pensez qu'il faut plus de cours à ce moment ? Pourquoi pas :
f := t -> 1/(1 + exp(-1/5*t + 2));
 f := proc (t) options operator, arrow; 1/(1+exp(-(1/5)*t+2))

    end proc
plot(f(t), t = -10 .. 25);

55*evalf(f(22));
                          50.42550170

Cette fois, on admet 5 heures d'amphithéâtre avec cours magistral, et le reste doit être passé à étudier.
Ces études peuvent se faire de façon totalement personnelle (cas d'un tutorat, par exemple), ou bien avec des séances de travaux dirigés... ce qui me conduit à observer que j'ai très peu analysé ces derniers. Dans la mesure  où j'en organise, c'est une erreur de ma part, qu'il faut corriger : partir d'"attendus", en tirer les conclusions, me déterminer sur des pratiques.

A moins que les collègues n'aient des propositions ?

vendredi 6 septembre 2019

Pour cadrer ses études


Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dans ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.

De jeunes collègues discutent la formation qu'ils reçoivent, et ils ont raison de le faire : il faut prendre son destin en mains.
Cela étant, on aurait intérêt à se fonder sur des bases claires, et, par exemple, de bien savoir que la formation conduit à :
- des connaissances
- des compétences
-des savoir faire
- des savoir vivre
- des savoir être
Sur les diverses matières étudiées, pour ce qui concerne les connaissances, je crois que l'on peut distinguer
- des informations (on sait que cela existe, on peut toujours le retrouver facilement, notamment en ligne)
- des notions et concepts (ce sont des outils intellectuels essentiels, et il faut en avoir la compétence)
- des méthodes (les connaître ne suffit pas, il faut en avoir la compétence)
- des valeurs (cela correspond à des savoir vivre et des savoir être, mais pas seulement)
- des anecdotes (c'est de la chair autour de l'os, cela donne un peu d'air, entre des segments plus arides, et cela met du sourire dans des parcours qui, autrement, pourraient sembler austères  ; mais il y a aussi une fonction de contribuer à la mémorisation).

Tout cela étant posé, on peut se lancer !

jeudi 5 septembre 2019

Est-ce bien de tout formaliser ?

Est-ce bien de tout formaliser ? Je ne sais pas pourquoi, je ne sais plus pourquoi je pose cette question  ici, mais je crois me souvenir qu'elle est née lors de discussion avec de jeunes collègues, qui s'étonnait que je me livre sans cette à cette activité. Et je vois une parenté avec cette question qui m'avait été posée par Laure Adler dans une émission du France 2,  à propos de la connaissance de la cuisine pour ceux qui mangent. À l'époque, j'avais répondu essentiellement que le but n'était pas de manger en animal, mais en humain, c'est-à-dire en culture, avec des connaissances littéraires, philosophiques, historiques, géographiques... et physico-chimiques. Était venu alors la seconde question, qui était de savoir si la connaissance physico-chimique n'allait pas affaiblir le plaisir de manger en démystifiant la cuisine. J'avais répondu immédiatement que si je vais au clair de lune avec mon amoureuse, l'amour ne perds rien au fait que je comprenne pourquoi la lune brille.
Il s'agit là d'une réponse métaphorique que je crois pouvoir appliquer à tout, dans la vie. Dois-je craindre à quelque chose a vouloir me conduire intelligemment ? Bien sûr, de la naïveté et perdue,  mais, à la réflexion, naïveté n'est-il pas synonyme d'animalité ? Propose-t-on vraiment de rester ignorant, c'est-à-dire animal ?
Oui, il y a des individus détestables capables d'écrire " "Seuls les instants où nos critiques et nos jugements se taisent sont des instants de connaissance",  mais ce sont des démagogues obscurantistes, honteux.
Pour plus de Lumière, au contraire, je propose de l'analyse, de la formalisation, un examen soigneux du monde.




mercredi 4 septembre 2019

L'université délivre la nécessaire théorie


Alors que je propose  (depuis longtemps) de bien séparer technique, technologie et science, avec l'argument que cela aide les jeunes collègues, je reçois le message suivant, suite à la diffusion d'un document où j'expliquais la chose :

I am struck by your separation of science and technology, as that is something that I noticed in coming back to an academic setting after working in the food industry for several years. Research in the university is more about science and discovering new things, while my job in the industry was more about getting to a final product using other people's discoveries. However, sometimes the lines are not so clear and the university goes directly to application or the industry tries to discover new things while applying them, and I think the quality is higher for both if the objectives are clear and separated.

[Je suis frappé par votre différence entre science et technologie, car c'est quelque chose dont je me suis bien rendu compte en revenant dans un milieu universitaire après avoir travaillé dans l'industrie alimentaire pendant plusieurs années. La recherche dans les universités est plus de nature scientifique, avec des découvertes, tandis que, dans l'industrie, je devais arriver à des produits en utilisant les découvertes faites par d'autres. Toutefois les lignes ne sont parfois pas si claires, et l'université peut aller vers les applications, ou l'industrie peut chercher à faire des découvertes pour les appliquer, et je pense que l'on améliorera les activités si les objectifs sont clairs et distincts.]

J'apprécie doublement ce message :
1. mon jeune collègue comprend la différence
2. le fait que mon jeune collègue vienne de l'industrie lui permet de mieux apprécier la différence, mais, de ce fait, permet à ses camarades de mieux la comprendre, aussi.

Cela étant, il faut quand même quelques commentaires :
- il y a l'expression "academic setting", qui semble assimiler l'université à la science ; en réalité, l'université doit aussi se préoccuper de technologie, puisqu'elle cherche à donner un métier aux jeunes collègues, notamment par les instituts universitaires de technologie ou par les "polytechs"
- oui, son travail dans l'industrie consistait effectivement à arriver à des produits nouveaux à partir des découvertes faites par d'autres (et plus précisément par des scientifiques)
- des lignes pas si claires ? Oui, et c'est précisément la raison je propose de toujours bien se situer les projets, les activités
- l'industrie qui fait de la science ? pourquoi pas, mais c'est bien difficile, et, d'autre part, quand on observe l'industrie alimentaire, on s'aperçoit que les programmes ne sont jamais suffisamment longs pour que cela aboutisse ; pourquoi ne pas plutôt établir des relations avec des laboratoires de recherche scientifique, qui font cela bien mieux ?
- l'université qui fait de la technologie ? pourquoi ne pas plutôt le confier à des sociétés, qui seront bien plus efficaces ?

Enfin, ce message montre plus clairement une mission des études supérieures universitaires, à savoir qu'il faut conduire les jeunes collègues à se doter d'outils théoriques. Ils en feront usage, ensuite, dans l'industrie. Bien sûr, on peut difficilement envisager que tous aillent d'abord travailler dans l'industrie pour mesurer, apprécier, la nécessité d'un bon bagage théorique... mais après tout, on a les stages pour cela, non ?

Qui est scientifique ?


Dans la revue Chemistry World, un article paraît sous le titre Am I really a scientist?, et il discute la question de la "science participative", si à la mode aujourd'hui. En substance, on aurait intérêt à n'exclure personne de la dénomination "scientifique", et il ne faudrait pas refuser ce titre à ceux qui ont fait un temps de la science, sans quoi les pauvres chéris seraient ennuyés (on voit que je me moque). Et de nous ajouter ceux qui sont parents d'enfants handicapés et qui ne peuvent pas aller au laboratoire (un argument de type violons et sanglots), ou bien de confondre la technologie et la science, sans parler des femmes des pays intégristes, qui seraient privées de la possibilité d'être scientifiques.
Je trouve cet article très mauvais, donc, parce que je propose de bien conserver à l'idée que nous sommes ce que nous faisons : si nous faisons de la science (recherche scientifique), nous sommes scientifiques, mais si nous ne faisons pas de science, nous ne sommes pas scientifiques.
Faire de la politique ? Faire de la direction ? Faire de la communication ? Cela n'est pas faire de la science, et l'on aura intérêt à bien relire Albert  Einstein :

" Le Temple de la Science se présente comme une construction à mille formes. Les hommes qui le fréquentent ainsi que les motivations morales qui y conduisent se révèlent tous différents. L’un s’adonne à la Science dans le sentiment de bonheur que lui procure cette puissance intellectuelle supérieure. Pour lui la Science se découvre le sport adéquat, la vie débordante d’énergie, la réalisation de toutes les ambitions. Ainsi doit-elle se manifester! Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Temple qui, exclusivement pour une raison utilitaire, n’offrent en contrepartie que leur substance cérébrale! Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Temple tous les hommes qui font partie de ces deux catégories, ce Temple se viderait de façon significative mais on y trouverait encore tout de même des hommes du passé et du présent. Parmi ceux-là nous trouverions notre Planck. C’est pour cela que nous l’aimons.
   Je sais bien que, par notre apparition, nous avons chassé d’un coeur léger beaucoup d’hommes de valeur qui ont édifié le Temple de la Science pour une grande, peut-être pour la plus grande partie. Pour notre ange, la décision à prendre serait bien difficile dans grand nombre de cas. Mais une constatation s’impose à moi. Il n’y aurait eu que des individus comme ceux qui ont été exclus, eh bien le Temple ne se serait pas édifié, tout autant qu’une forêt ne peut se développer si elle n’est constituée que de plantes grimpantes! En réalité ces individus se contentent de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances extérieures décideront de leur carrière d’ingénieur, d’officier, de commerçant ou de scientifique. Mais regardons à nouveau ceux qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils se révèlent singuliers, peu communicatifs, solitaires et malgré ces points communs se ressemblent moins entre eux que ceux qui ont été expulsés. Qu’est-ce qui les a conduits au Temple? La réponse n’est pas facile à fournir et ne peut assurément pas s’appliquer uniformément à tous. Mais d’abord en premier lieu, avec Schopenhauer, je m’imagine qu’une des motivations les plus puissantes qui incitent à une oeuvre artistique ou scientifique, consiste en une volonté d’évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, en un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables. Cela pousse les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives. Cette motivation ressemble à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.
 A cette motivation d’ordre négatif s’en associe une autre plus positive. L’homme cherche à se former de quelque manière que ce soit, mais selon sa propre logique, une image du monde simple et claire. Ainsi surmonte-t-il l’univers du vécu parce qu’il s’efforce dans une certaine mesure de le remplacer par cette image. Chacun à sa façon procède de cette manière, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un poète, d’un philosophe spéculatif ou d’un physicien. A cette image et sa réalisation il consacre l’essentiel de sa vie affective pour acquérir ainsi la paix et la force qu’il ne peut pas obtenir dans les limites trop restreintes de l’expérience tourbillonnante et subjective. »



Cela ne signifie pas que l'on refuse à quelqu'un qui a eu une formation scientifique d'avoir eu une formation scientifique... mais :
1. imaginons un plombier qui ait une formation en science : il est plombier, pas scientifique. Plus généralement, si nous nommons scientifiques tous ceux qui ont eu des cours de physique ou de chimie, ou de biologie, tous les Français seraient scientifique, ce qui montre l'absurdité de l'argument donné par l'auteur de l'article que je discute ici.
2. une formation scientifique ne signifie généralement pas faire de la recherche scientifique, mais connaître quelques notions, données, concepts, méthodes de la science. C'est comme avoir des notions d'histoire, de géographie ou de littérature. Ces rudiments (cela veut dire peu) ne font pas le ou la scientifique pour autant.

Mais venons-en aux "sciences participatives". De quoi s'agit-il ? Par exemple, que des citoyens qui observent une plante particulière à un endroit particulier le signalent aux... scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle. Ou bien que des jeunes d'un club d'astronomie contribuent à la recherche sur les amas ouverts. Ou que des jeunes d'un club de chimie testent des formules d'émaux qui donnent des couleurs intéressantes.
S'agit-il de science ? Sont-ils des scientifiques ?

On gagnera à rappeler, dans cette discussion, la méthode des sciences de la nature :
1.  observation  (identification) d'un phénomène
2. caractérisation quantitative du phénomène
3. réunion des données en lois synthétiques (équations)
4. production d'une théorie par réunion de lois, introductions de nouvelles notions, de nouveaux concepts ; le tout doit être quantitativement (équations) compatible avec les données de mesure obtenues en 2
5. recherche de conséquences théories des hypothèses faites
6. tests expérimentaux de ces conséquences
Et ainsi de suite à l'infini.

Oui, on pourrait avoir la tentation de nommer scientifique toute personne qui contribue activement à certaines de ces étapes... mais est-on scientifique pour autant, ou bien a-t-on seulement contribué  à la recherche scientifique ? Si l'on a posé une des pierres  (une seulement) de la Grande Muraille de Chine, est-on constructeur de la Grande Muraille ?
Dans cette discussion, je propose de bien montrer l'image d'une balance à plateaux. Il y a le travail d'un côté, et la prétention de l'autre. Si l'on travaille plus qu'on n'a de prétention, on est travailleur, mais dans le cas inverse, on est prétentieux.










Bref, la question est de savoir qui veut se dire scientifique et pourquoi ?

mardi 3 septembre 2019

A propos de l'enseignement de la physique et de la chimie



Le moi est haïssable, mais l'analyse des erreurs personnelles permet parfois de mieux comprendre les choses. Pardon, donc, si j'évoque mon cas personnel, mais il est éclairant, dans le débat actuel sur l'enseignement de la physique et de la chimie, dans l'Education nationale (collèges, lycées, voire enseignement supérieur).

A chaque  réforme de l'enseignement de la physique et de la chimie au lycée, il y a de l'émoi. En gros, "on supprime des heures" ; que deviendra le "niveau" ? Comme notre monde ne cesse de s'effaroucher, dans une sorte de cacophonie de revendications contradictoires, il faut être prudent, et attendre un peu de voir les effets, pour corriger si besoin.
Après plusieurs mois de mise en application d'une des dernières réformes, les associations d'enseignants et la Société française de physique se sont effrayés en voyant les résultats du changement : il n'est pas certain que ces changements aient été bénéfiques. Plus exactement, on a vu que la filière S (scientifique), choisie par les meilleurs élèves, ne conduisait plus nécessairement à des élèves destinés à devenir des scientifiques ou des ingénieurs, comme le voulait la logique de cette orientation. Or un pays, au milieu de tous les autres pays, n'est pas une île où l'on peut légiférer comme l'on voudrait, et nos ingénieurs et scientifiques sont en "concurrence" avec ceux des autres pays, car nos entreprises (on rappelle que ce sont elles qui font l'emploi et le commerce extérieur, lequel permet des importations de produits que notre pays n'a pas)  sont elles-mêmes en concurrence avec des entreprises des autres pays.
Bref nos sociétés et associations ont demandé à rencontrer d'urgence le ministre, et j'ai publié leur lettre ouverte au ministre sur un de mes blogs. Simultanément j'ai également écrit aux signataires de cette lettre ouverte :

Chers Collègues
J'ai diffusé  hier votre lettre au ministre, notamment à la presse, mais aussi, très  largement, dans la communauté scientifique.
N'ayant pas participé à vos travaux, je n'en connais pas le détail, mais je sais essentielle votre phrase que vous écrivez "de nombreux étudiants se montrent déçus quand ils constatent la nécessité de mettre en œuvre de véritables outils formels et de pratiquer des démarches scientifiques rigoureuses".
Personnellement, j'ai une passion pour la chimie, la physique et les mathématiques depuis l'âge de six ans, et, malgré un grand amour des mathématiques, j'ai failli  me réfugier dans une chimie technicienne, et non scientifique, parce que je ne "voulais pas faire des maths  en chimie". Quelle naïveté navrante.
Pour aider les  élèves, je propose de distinguer les mathématiques et le calcul... et de bien distinguer aussi la science et la technologie. C'est en tout cas mon combat personnel, depuis des décennies, ce qui a motivé la publication de mon livre "Sciences, technologie, technique (culinaires) : quelles relations?".
Dans un mouvement positif de réforme, je propose de bien situer la technique, la technologie, la science.
Bien à vous, vive l'Etude !

Ma réponse était un peu elliptique, parce que c'était le début d'une correspondance. Elle mérite ici des explications.
Commençons par ma phrase la phrase que vous écrivez "de nombreux étudiants se montrent déçus quand ils constatent la nécessité de mettre en œuvre de véritables outils formels et de pratiquer des démarches scientifiques rigoureuses" est essentielle. 
C'est là que mon cas personnel me semble intéressant, non pas parce qu'il est personnel, mais parce que mon cas particulier est celui de nombreux élèves.
Passionné par les sciences, les mathématiques, la technologie et les techniques chimiques depuis l'âge de six ans, je ne faisais pas de différences entre ces activités. Il y avait à la fois l'émerveillement de phénomènes remarquables (l'électrolyse de l'eau, la précipitation du carbonate de calcium, de l'iodure de plomb...) et un goût pour les nombres et le calcul, voire pour les mathématiques.
Etonnamment, alors que j'étais émerveillé par quelques résultats mathématiques (le crible d'Eratosthène, la démonstration du fait qu'il n'existe pas de plus grand  nombre premier, plus tard le théorème d'Ostrogradsky, le théorème de Guldin, le calcul de l'intégrale de l'exponentielle d'un carré, le wronskien...), je mettais une sorte de barrière entre les mathématiques, d'une part, et l'expérimentation, d'autre part. Comme si l'émerveillement des phénomènes pouvait être dérangé par l'introduction du formalisme.
Bien sûr, c'était enfantin, car les phénomènes sont encore plus beaux quand on les voit suivre des "lois" quantitatives, quand on découvre que non seulement, la matière se transforme, mais, mieux encore, qu'elle se transforme selon des règles qui sont formelles (pour ne pas dire "mathématiques" : je distingue les mathématiques, activité dont le calcul est le coeur et la finalité, et les calculs, sont l'utilisation des outils formels). Galilée disait ainsi "le monde est écrit en langage mathématique", et il est vrai que cet acte de foi, fondé sur l'observation des phénomènes, est un extraordinaire mystère ! Comment se fait-il que le monde soit ainsi si bien décrit par des lois mathématiques simples ? A la réflexion, même si je sais que je fus un élève "absent" (réfugié dans la chimie, le calcul, la littérature), je ne crois pas que quiconque m'ait exposé ce mystère, car j'aurais sans doute été encore plus fasciné que je ne l'étais.

Pour en revenir à la phrase "de nombreux étudiants se montrent déçus quand ils constatent la nécessité de mettre en œuvre de véritables outils formels et de pratiquer des démarches scientifiques rigoureuses", il y a d'abord à dire à nos jeunes amis que les sciences sans les calculs ne sont pas des sciences, de sorte que l'exposition des matières sans les calculs est une tromperie de la part du système de formation et de la vulgarisation, qui délivrent trop souvent des discours sans les   calculs ; la physique "avec les mains", par exemple, c'est merveilleux, à condition de bien être certain que les explications données soient justes, avec une justesse qui n'est assurée que par le calcul. Il est effectivement désastreux d'attirer des élèves vers les sciences en leur montrant seulement les phénomènes, sans l'outil formel, car l'introduction de cet outil ultérieurement n'est pas dans le contrat. Il ne s'agit donc pas de déception, comme le disent nos collègues, mais de tromperie.
Et c'est sans doute la raison -disons une des raisons- pour lesquelles de nombreux élèves des filières dites scientifiques se réfugient dans la chimie ou la biologie, où s'imposent l'expérience et où le calcul est (trop souvent) réduit à sa plus simple expression
En passant, je critique l'usage du mot "véritable" : il n'y a pas des outils formels d'un côté, et des "véritables outils formels" de l'autre. Quant aux démarches scientifiques rigoureuses, c'est un pléonasme si le mot "science" désigne les sciences de la nature. Mais je répète ici que les sciences de la nature ne gagnent rien à confisquer  le mot "science", sous peine de confusion. L'expression "sciences de la nature" est plus longue... mais elle est plus  juste, moins ambiguë, et puisqu'il s'agit de faire un contrat pédagogique clair, soyons clairs !
Surtout, l'idée que je propose, c'est de bien montrer ce que sont la science, la technologie, la technique. Sans les confondre, puisque ce sont des activités séparés. Montrons honnêtement aux élèves de quoi il s'agit, montrons les beautés de chaque champ, et invitons nos jeunes amis à choisir leur voie en connaissance de cause !

lundi 2 septembre 2019

En quoi le numérique change-t-il façon de travailler, en termes de diffusion des savoirs en termes de pratiques pédagogiques

Le numérique et les études ? Cela fait plusieurs billets que je discute l'intérêt des méthodes modernes pour étudier,  mais je ne suis pas rentré dans le détail de cette proposition, et  il faut que j'y vienne maintenant.

D'abord à propos des documents  que l'on utilise pour étudier : on n'est plus obligé d'aller en bibliothèque sauf si on cherche de la tranquillité, et l'on peut trouver des livres que l'on n'aurait jamais obtenu autrement, de sorte que l'on peut étudier de façon parfaitement autonome.
Mais on peut aussi trouver des vidéos ou des podcast audio par des spécialistes parmi les plus grands, qui, souvent, notamment en science, mais pas seulement, sont extrêmement généreux et désireux de partager leur connaissance. Un étudiant à Paris peut ainsi suivre sans difficulté une conférence de Jean-Marie Lehn à Strasbourg, de Feringa à Genève ou de Stoddart à Northwestern University dans l'Illinois.
Mais  la question d'ailleurs est plutôt celle de l'embarras du choix et le professeur retrouve donc là une fonction importante, à savoir de guider les jeunes collègues vers les pépites qu'il ne connaissent pas. Cette exploration des connaissances peut se faire à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, ce qui permet aux jeunes collègues de travailler quand ils en ont envie, mais cela permet aussi à de jeune collègue de pays moins favorisés que le nôtre d'accéder à des connaissances.
À propos de compétences, il en va presque de même,  sauf pour les compétences pratiques,  mais on trouve en ligne également des exercices, des problèmes, et même des exercices et des problèmes corrigés.

Au-delà tout ça, on voit encore mieux à savoir des films incroyables tel que celui que l'on trouvera ici : https://www.youtube.com/watch?v=cThvGD-o_90
Jamais par le passé on aurait imaginé pouvoir montrer ainsi le mouvement des molécules d'eau à des étudiants.

La question des savoir-vivre et des savoir-être ? Au fond, il y a nombre de vidéos qui discutent cela,  de sorte que si on a pas l'exemple physique d'une personne admirable, on a toutefois la possibilité de voir le fonctionnement d'une telle personne et souvent, même, de communiquer avec elle par des forum.

Que manque-t-il alors pour sortir de devant son écran ? La libération d'endorphines dans le cerveau quand nous sommes en groupes ? La possibilité de confronter des idées en direct ? Je connais au moins deux collègues qui m'ont dit qu'ils aiment faire cours et,  sans critiquer aucunement leur goût, je peux toutefois les interroger :  l'un vient de me répondre que la confrontation des idées avec des jeunes collègues était son moteur. Dont acte, mais organise-t-on les études pour les professeurs ou pour les jeunes collègues  ?

dimanche 1 septembre 2019

Passionnantes études

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dans ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.


Dans mes discussions sur l'enseignement et ce que je préfère nommer des études (on peut professer, mais il est bien impossible d'enseigner),  j'ai préservé la fonction des professeurs et je me demande si même celle-ci ne doit pas être discutée.
On parlait jadis de travailler sous la férule du maître : il y avait une baguette pour vous taper sur les doigts et vous remettre dans le droit chemin tel le bâton qui garde les oies... Cela semble évidemment tout à fait contre-productif, car on ne peut passer du temps sur des études que si l'on est dans un état d'esprit extrêmement positif, si l'on  envie d'apprendre. Si le professeur ne parvient pas à donner (en supposant qu'ils ne l'aient pas déjàà aux collègues plus jeunes l'envie d'étudier, alors l'étude sera toujours un pensum, condamnée à l'échec.

A l'analyse, je m'aperçois que nous avons des moyens pour donner aux collègues plus jeunes l'envie d'étudier et notamment la socialité, moteur extraordinairement puissant au point de réunir des milliers de personnes dans les stades. Ne pourrions-nous pas l'utiliser mieux pour aider nos amis à étudier ?
Je suis d'accord pour observer que cet argument serait extrinsèque et non pas intrinsèque, de sorte que je ne répond pas vraiment à la question que je pose. Il y a lieu de trouver dans les études sa propre beauté, et nous avons  j' donc là la tâche prioritaire :  montrer la beauté des études pour la tendre à ceux qui viennent apprendre près de nous. Tout doit y passer  : la beauté, l'élégance, l'efficacité,
D'ailleurs, je suis moins  pour parler moins d'un gai savoir que d'une amusante étude.

samedi 31 août 2019

Des écoles "généralistes"

AgroParisTech est une école dite parfois "généraliste", mais de quoi s'agit-il ?
Si l'on regarde avec un peu de recul, on s'aperçoit que, au contraire, AgroParisTech n'est pas une école de chimie, pas une école de mécanique, pas une école de physique... mais c'est quand même une école où le vivant est omniprésent ! Le vivant ? La biologie, aujourd'hui, c'est du système, de la physique et de la chimie, avec des applications dans l'alimentation, dans l'agriculture ou l'agronomie, dans l'environnement... Et c'est ainsi que le vrai nom complet d'AgroParisTech  est parfaitement choisi :  Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement.
Pour explorer ces champs de science et de technologie, il y a la nécessité de disposer d'outils théoriques fondamentaux, bien maîtrisés. De façon moderne, par exemple, les statistiques "qui ont été découvertes en classe préparatoire" sont utilement épaulées par la chimiométrie, par exemple. Dans le champ de l'alimentation, les connaissances de chimie organique doivent-être maintenant reprises pour ce qui concerne l'alimentation, avec les grandes classes de composés alimentaires, la réactivité de ces composés au cours de la production des aliments...
Et puis, physique, chimie et végétal : voilà un champ extraordinaire qu'il faut développer ! Et les nanoparticules  : voilà un champ extraordinaire pour ceux qui s'intéressent plutôt à la technologie qu'à la science .
Bref, il y a 1000 études passionnantes à faire pour les élèves d'AgroParisTech, qui, je le répète,  ne sont pas dans une école si généraliste que cela.
Du point de vue théorique, à la base, il y a des matières fondamentales, qui ont beaucoup progressé depuis le 19e siècle. De la thermodynamique classique, on est d'abord passé à  la thermodynamique statistique, puis à des thermodynamiques hors d'équilibre, par exemple. Croire que les étudiants ont reçu en classe préparatoire la totalité des outils théoriques indispensables à la recherche scientifique ou la technologie est une grave erreur, car le monde  évolue sans cesse, et l'on ne fera pas croire que les étudiants puissent arriver en deux ans de classe préparatoire à la totalité du savoir moderne. D'ailleurs, il y a des prix Nobel tous les ans, et c'est une tâche merveilleuse que de  mettre en lumière des avancées extraordinaires de la science moderne. 
Bref, je ne suis pas d'accord : AgroParisTech n'est pas une école généraliste.

vendredi 30 août 2019

L'enseignement en école d'ingénieur, continuation des études de classes préparatoires ?

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dasn ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.

Certains étudiants des écoles d'ingénieurs reprochent à certains cours  de faire double emploi avec leurs cours de classes préparatoires, et cela est évidemment gênant, car les professeurs des études supérieures ont la mission de produire un savoir moderne et par conséquent de donner des éclairages nouveaux de ces matières qui sont universelles.
Cela ne me choque pas que l'on étudie la thermodynamique en classe préparatoire et encore en école d'ingénieur, mais évidemment c'est le traitement qui doit changer, car je rappelle ma métaphore de la montagne du savoir : le savoir s'est accumulé depuis le début des sciences de la nature modernes, formant une montagne, et les étudiants doivent arriver au sommet, qu'ils se destinent à la recherche scientifique ou à la technologie.  S'ils deviennent scientifiques, alors ils devront chercher  de faire grandir la montagne, ce qui leur impose de la faire grandir du sommet, et s'ils deviennent  ingénieurs, alors ils auront pour mission de chercher les applications technologiques des connaissances moderne.


Dans cette vision, le rôle des professeurs est d'épargner aux élèves toutes les strates périmés pour les aider à arriver directement  au sommet : inutile, si l'on veut aller vite, de passer par toutes les errances du passé... ce qui ne revient d'ailleurs pas à dire que l'histoire des sciences est inutile, bien au contraire !
Mais bref, cela ne me choque pas que les cours des écoles d'ingénieur prolongent ceux des classes préparatoires : la science est une.