Un journaliste coréen me demande qui je suis, quel est mon métier, et si je ne suis pas cuisinier, pourquoi j'ose parler de cuisine.
La question est intéressante, parce que c'est une question de légitimité, de territoire en quelque sorte, et l'on sait combien ces questions-là sont essentielles chez les primates, et d'ailleurs également dans les autres espèces animales.
Qui je suis ? Sans faire de pirouette, j'ai immédiatement envie de répondre que nous sommes ce que nous faisons, de sorte qu'il faudrait maintenant que je livre mon agenda des jours écoulés pour que mon interlocuteur puisse comprendre qui je suis vraiment.
Mais il s'attend plutôt à ce que je lui donne mon nom, et mon nom Hervé This. Souvent, j'écris plutôt Hervé This, vo Kientza, tant je suis malheureux d'être en exil à Paris alors que mon cœur est resté dans cette ville merveilleuse d'Alsace qui a pour nom Kientzheim en français, et Kientza en alsacien.
Aussitôt, j'ajoute que je suis physico-chimiste. En effet, c'est cela qui m'anime, c'est cela qui me fait lever le matin sans traîner au lit, tant je émerveillé, depuis l'âge de six ans, par les sciences de la nature, et notamment la chimie. Chimie, physique, physico-chimie... Peu importe, mais il est essentiel, pour moi, que la chimie soit en premier. Et j'insiste un peu : on ne confondra pas la chimie avec ses applications, et l'on restera avec l'idée juste que la chimie est une science de la nature, nature se disant physis, physique en grec.
Oui, je suis émerveillé que des calculs, ce que d'aucuns nommeraient des mathématiques, puissent s'appliquer si bien aux phénomènes que nous observons. Je suis émerveillé que le monde s'interprète si bien en termes moléculaires et atomiques, mais je suis également épaté que ces connaissances scientifiques aient des applications si extraordinaires en terme de médicaments, cosmétiques, aliments...
Mais je ne suis pas animé par un émerveillement naïf et passif. Non, au contraire, j'ai l'ambition de contribuer activement à explorer le monde, de contribuer à apporter ma pierre à la chimie, à la physique-chimie, à la chimie physique...
Le rapport avec la cuisine ? Depuis le 16 mars 1980, j'ai compris que les phénomènes culinaires sont en réalité des transformations physiques et chimiques, de sorte qu'il y a la possibilité de les considérer en vue de produire des résultats scientifiques. Autrement dit, en étudiant scientifiquement la cuisine, on peut tout à la fois comprendre les transformations que l'on observe et agrandir le domaine scientifique, ce second objectif étant en réalité le premier pour moi.
Autrement dit, je passe mes journées à considérer les phénomènes culinaire, de sorte que je les comprends assez bien et que je crois pouvoir dire sans trop de prétention que je connais bien les théories actuelles qui décrivent les phénomènes culinaires.
Est-ce suffisant pour parler de cuisine avec légitimité ? Ici, je propose de revenir à des analyses que j'avais faites et oubliées dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique pour appeler que l'activité culinaire à en réalité trois composantes : une composante sociale, une composante artistique et une composante technique. Ce que j'ai exposé précédemment me permets de dire que très légitimement, je connais bien la composante technique de l'activité culinaire, au point même que, quand je veux sourire un peu, je dis que mes amis cuisinier sont bien moins bon techniquement que moi qui sait produire un mètre cube de blanc de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf. Évidemment, du point de vue artistique, je suis assez mauvais, même si je crois être le premier à avoir produit un traité d'esthétique culinaire, à avoir théorisé le bon en cuisine, c'est-à-dire le beau à manger.
Enfin, pour ce qui est de la composante sociale, je suis bien en retard, du point de vue théorique comme du point de vue pratique.
Voilà, je crois avoir répondu honnêtement à la question posée, mais je reste à la disposition de mes amis pour donner d'autres éclaircissements.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire? N'hésitez pas!
Et si vous souhaitez une réponse, n'oubliez pas d'indiquer votre adresse de courriel !