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dimanche 12 janvier 2020

Pourquoi bien mélanger les ingrédients d'une mêlée ?

Quand on fait des quenelles, des boudins blancs, des boulettes, des pâtés, par exemple, on doit d'abord préparer une mêlée, qui contient souvent de la chair (viande, poisson) broyée, parfois des oeufs, des aromates, des épices, des légumes (en dés, par exemple)... Et certains disent qu'il faut bien travailler la mêlée pour que "l'albumine soit libérée".

L'albumine ? Cela fait deux siècles que ce terme n'a plus cours en chimie avec l'acception qui est celle de nos amis, et il serait temps que le monde culinaire fasse sa transition ! C'est comme si on en était resté au "le plus lourd que l'air ne volera jamais" : deux siècles de retard, je vous dis !



 
Expliquons
Au 18e siècle, quand la chimie naquit de l'alchimie, cessant de croire que l'expérience était mal faite quand elle ne collait pas à la théorie et acceptant enfin que la théorie doive plutôt naître des expériences, les chimistes commencèrent à explorer les aliments, et c'est alors qu'apparut le terme d' "albumine", pour dénommer des "substances" qui putréfiaient avec une odeur d'ammoniac, qui "teintaient les sirops de violette", qui faisaient coaguler l'eau...
On trouva ces "albumines" dans les oeufs, les viandes, les poissons, bref, le règne animal.

Mais bientôt, des chimistes (notamment français) identifièrent de telles substances dans les plantes, et,  plus particulièrement, dans les légumineuses.
Rapidement, il apparut que l' "albumine"  au singulier n'existait pas, et l'on dut parler d'albumines, au pluriel.

Mais on n'était pas au bout des découvertes, car il apparut que certaines de ces substances pouvaient coaguler à la chaleur, et d'autres pas. Par exemple, le blanc d'oeuf coagule quand on le chauffe, mais la gélatine fond, au contraire. Ou les protéines du sérum du lait coagulent (formant la peau du lait) tandis que les caséines ne coagulent pas à la chaleur, mais avec de la présure ou en milieu acide.
Bref, il apparut qu'il fallait faire du ménage, et le termes de "protéines" fut introduit pour désigner toutes les protéines.
Le terme d'albumine fut alors réservé à une classe de petites protéines globulaires, solubles : il y a effectivement des albumines dans le blanc d'oeuf (mais pas seulement) et dans le sang (l'albumine sérique), mais les albumines forment une catégorie assez mineure de protéines.
Et c'est ainsi que, depuis environ un siècle, on n'a plus guère de raison de parler d'albumine, au singulier, sauf dans des cas particuliers, sous peine de dire n'importe quoi.


Dans les mêlées

Et dans les mêlées, quelles protéines assurent-elles la coagulation ?
Dans les mêlée sans oeuf, avec seulement de la chair, les protéines sont celles de la viande ou du poisson, à savoir du collagène (qui fait prendre à froid, pas à chaud) et, surtout, les deux sortes principales qui sont libérées lors du hachage des chairs  : les actines et les myosines. Ce sont elles qui font prendre en masse le terrines, les pâtés, etc.
Bien sûr, quand il y a du sang, l'ovalbumine sérique peut  contribuer à la coagulation ; mais si c'est important dans les boudins (noirs),  c'est négligeable dans les terrines ou les pâtés. Et bien sûr, quand il y a de l'oeuf, ses albumines aussi peuvent contribuer à la coagulation.

Les protéines peuvent s'attacher pour former un réseau où un liquide est piégé : c'est la formation d'un "tel", ce que  le monde culinaire nomme "coagulation"



Pourquoi bien mélanger les mêlées, au fait ? 

Parce que , surtout quand il n'y a pas d'oeuf, il faut obtenir un système avec une phase liquide (l'eau libérée de la chair par broyage) où les protéines (actine et myosine, surtout) soient dispersées le mieux possible, afin qu'à la coagulation, la masse se comporte comme du blanc d'oeuf, qu'elle coagule de façon homogène. Et puis, il faut aussi bien disperser la matière grasse : comme lors de la confection d'une mayonnaise, le travail mécanique dissocie les masses de graisse en petites masses qui font une consistance plus agréable. Sans compter que l'on peut vouloir une préparation bien lisse, ce que l'on obtient par le travail.
Bref, le travail se voit à divers signes, que l'on aura toujours la prudence d'interpréter à l'aide d'un microscope et d'une saine théorie chimique, au lieu de penser comme des ancêtres en retard de deux siècles. 
Et, très généralement, le monde culinaire aura raison d'éviter ce terme d'albumine qui fait aussi éculé que s'ils écrivaient à la plume d'oie ou s'éclairaient à la chandelle, et se transportaient à dos d'âne.

mardi 7 janvier 2020

A propos de quenelles



Aujourd'hui, je discute la confection des quenelles... et une façon moderne de les faire.

 Les quenelles, il y en a mille sortes, mais ce sont toutes des dérivés des terrines,  en ce sens qu'il y a initialement de la chair, d'animal terrestre ou aquatique peu importe, qui est broyée, ce qui libère conduit à une pâte, qui est en réalité constituée de protéines dans de l'eau.
À la cuisson, les protéines coagulent comme celle d'un blanc d'oeuf que l'on chaufferait, de sorte qu'une terrine est un cousin d'un blanc d'oeuf cuit. La différence, c'est évidemment qu'une terrine est plus "consistante" : c'est parce que la viande contient moins d'eau que le blanc d'oeuf. Or plus il y a d'eau dans une solution aqueuse de protéines, et plus le gel obtenu par cuisson est  tendre ; inversement moins il y a d'eau, et plus le gel et ferme. Dans une terrine, la proportion d'eau est de 70, pour cent, alors qu'elle est de 90 pour cent pour du blanc d'oeuf.
En corollaire, on comprend que si l'on veut attendrir une terrine, il suffit d'ajouter un liquide : du bouillon, du vin..

Mais revenons donc à nos quenelles. C'est donc de la chair broyée, et la chair broyée coûte cher. En quelque sorte,  elle est précieuse, et c'est pour cette raison  que les cuisiniers ont appris à la "diluer" avec des matières moins coûteuse  : de la farine, de la matière grasse qui, de surcroît, donne de l'onctuosité.
Par le passé, dans ces quenelles nommées godiveau, cette matière grasse a  souvent été de la graisse de bœuf, peu coûteuse,  mais on peut aussi  utiliser de la crème pour les quenelles fines.
D'où la recette de base des quenelles  : broyer de la chair avec de la crème, éventuellement avec une panade ou de la mie de pain trempée dans du lait, ou avec de la farine.
Bien sûr, on peut aussi partir de viande ou de poisson déjà cuits, mais alors les protéines qui ont déjà coagulé ne peuvent plus jouer le rôle de liant, de sorte que, dans de telles recettes, les cuisiniers ont appris à mettre de l' œuf, souvent du blanc d'oeuf pour ne pas colorer et ne pas trop empiéter sur le goût de la chair.


L’écueil, dans toutes les recettes ?

C'est qu'il y ait trop peu de protéine par rapport à la masse à coaguler. Il faut compter un minimum de 5 pour cent en masse, environ. Et c'est pour cette raison que les cuisiniers ont appris à faire des essais des quenelles,  ce qui revient à faire bouillir de l'eau et à déposer de  petites quantités pour voir si la masse prend au lieu de se disperser dans le liquide frémissant.
Que faire si la masse ne prends pas ? Il faut bien sûr ajouter des protéines mais classiquement, ajouter des protéines, cela signifie ajouter de la viande crue, de la chair de poisson cru, ou de l'oeuf non coagulé. Or, par cette méthode, on ajoute aussi aussi de l'eau, de sorte que ce n'est guère pratique. Pourquoi ne pas vivre de façon un peu moderne et se limiter à ajouter des protéines ? On peut utiliser par exemple du blanc d'oeuf en poudre, où des protéines végétales, des protéines de pois, de fèves, de soja, de lentilles, de chanvre...
Là, on ajoute une cuillerée, et l'on obtient à la cuisson la prise de la quenelle sans aucune difficulté. La transformation technique et aussi importante que quand on est passé de l'utilisation du pied de veau à celle de gélatine en feuille. À l'époque (environ 30 ans), il y a eu des cris d'orfraie pour refuser une telle transformation,  mais aujourd'hui, bien rares sont ceux qui font leur gelée au pied de veau ou au pied de porc,  car il faut cuire longuement,  clarifier, et faire cela à petite échelle revient à passer des heures à faire ce que fait  l'industrie alimentaire à grande échelle, souvent de façon bien moins coûteuse et sans doute plus propre.

Bref, quand mes quenelles ne prennent pas, je n'hésite pas à ajouter des protéines à mon appareil !




dimanche 10 novembre 2019

Cuisinons des protéines

Alors que j'organisais un concours de cuisine note à note, des amis se sont inquiétés de l'usage des protéines... J'interprète qu'ils ne comprenaient pas bien ce dont il s'agissait. Oui, quand on n'est pas chimiste, il est légitime de s'interroger : des "protéines", c'est quoi ?

Le recours à l'expérience est quand même la meilleure des explications, et j'en propose plusieurs successives, ici.
La première consiste à cuire une viande, ou bien des pattes de poules, des pieds de veau ou de porc, dans l'eau pendant quelques heures, ce qui procure un bouillon qui gélifie en refroidissant.
Si l on prend cette gelée et qu'on la sèche, alors on obtient une matière transparente et craquante... comme des feuilles de gélatine... Et, d'ailleurs, c'est ainsi que l'on produit la gélatine ;-).
Si l'on regarde cette matière solide avec un microscope extraordinairement puissant, alors on voit un enchevêtrement de "fils" : ce sont des molécules de gélatine. Et la gélatine est une protéine, parce que si l'on y regarde d'encore plus près, on voit que ces fils sont des enchaînements de groupes d'atomes que les chimistes reconnaissent comme des parties de molécules qu'ils connaissent bien et qu'ils ont nommées des acides aminés.
D'ailleurs, si l'on chauffe longtemps de la gélatine en milieu un peu acide (ajoutons du vinaigre blanc dans de l'eau où l'on chauffe la gélatine), alors les molécules de gélatine (les "fils") perdent de leurs morceaux élémentaires, et le liquide s'enrichit d'acides aminés.
Une deuxième expérience, maintenant : prenons un blanc d’œuf, ce liquide jaune et transparent, et laissons-le sécher à l'air libre : il ne pourrira pas parce qu'il est protégé par une... protéine nommée lysozyme, et, après un séchage de plusieurs jours, on obtiendra -à nouveau- une matière transparente et dure, cassante : ce sont les protéines du blanc d’œuf. D'ailleurs, le blanc d’œuf, qui pèse pas loin de 30 grammes, est fait de 90 pour cent d'eau (environ 27 grammes) et 10 % de protéines (3 grammes). Dans ce cas, il y a plusieurs protéines dans le résidu solide.
A noter que, pour la gélatine en feuille ou le blanc d’œuf séché, on peut avoir des feuilles, mais aussi des poudres, ou des liquides. Pensons à des matières comme la farine ou le sucre en poudre, notamment. Et ajoutons que l'on peut retrouver des solutions en leur ajoutant de l'eau.

Le problème de l'apparence étant réglé, considérons maintenant la question de l'usage.
Une première particularité des protéines, c'est qu'elles n'ont pas de goût quand elles sont pures. Et, d'ailleurs, elles n'ont pas de couleur non plus : dans le blanc d’œuf, la couleur est due à de petites quantités d'un composé coloré nommé riboflavine... qui est une vitamine (B2)... utilisée comme colorant alimentaire sous le numéro E101(i).
Comme l'amidon, les protéines sont de longues molécules qui se dispersent dans l'eau et qui peuvent conduire à des gélifications, quand elles se lient. Par exemple quand on chauffe du blanc d’œuf, on obtient le blanc d' œuf cuit, gélifié ce qui signifie que l'eau présente ne coule plus, et c'est bien le cas quand on considère un blanc d’œuf cuit : le durcissement ne résulte pas de l'évaporation de l'eau, mais cette dernière est restée piégée dans une espèce de réseau, d'échafaudage formée par les protéines qui se sont liées.
D'autres gélifications peuvent avoir lieu avec d'autres protéines. Par exemple avec de la gélatine dissoute dans l'eau et que l'on refroidit : cette gélification-là se fait à froid, non pas à chaud.
Ou encore, dans les yaourts : les protéines du lait forment un gel quand des micro-organismes transforment le sucre du lait -le lactose- en acide lactique, qui acidifie le lait.
Ou encore un autre type de gélification se produit lors de la fabrication des fromages, et cette fois ce n'est ni la chaleur ni l'acidification qui agissent mais plutôt des enzymes, c'est-à-dire des protéines qui sont actives même en toute petite quantité : il suffit de quelques gouttes de "présure" pour faire coaguler une grande quantité de lait.


Mais prenons une perspective un peu plus historique à propos des transformations des protéines que l'on fait ou que l'on peut faire en cuisine.

Quand on cuit de la viande, on provoque les protéines de la viande. De même pour le poisson et pour l'œuf. Là, on ne voit pas les protéines, qui ne sont pas extraite des ingrédients initiaux, mais le résultat résulte quand même de leurs modifications chimiques.
Avec des protéines à l'état pur, on reproduit cela de façon bien plus contrôlée, et c'est en quelque sorte ce qu'ont appris les cuisinier quand ils font des flans par exemple, où les protéines de l' œuf provoquent la gélification de l'appareil, ou dans les aspics, quand les protéines extraites classiquement du pied de veau permettent la gélification.
Cela dit, extraire la gélatine du pied de veau, et la purifier, cela s'apparente à extraire le sucre de la canne à sucre ou de la betterave : pourquoi le faire soi-même ? De même que nous n'allons plus arracher les plumes des canards, les tailler en pointe, faire bouillir de l'écorce d'arbre avec du fer rouillé pour faire nous-même notre encre, je vois mal pourquoi nous serions condamnés à revenir des décennies ou des siècles en arrière et pourquoi nous n'utiliserions pas directement des protéines que l'industrie a extraites à beaucoup plus grande échelle, beaucoup plus efficacement que nous, et certainement avec des degré de pureté que nous n'obtiendrions jamais dans nos cuisines.

Une anecdote véridique : il y a environ 20 ans, j'avais invité à diner des professionnels des métiers du goût, des journalistes culinaires et des gastronomes, et j'avais servi un aspic, fait de gélatine en feuilles. Mais l'un des plus grands pâtissiers du monde m'avait dit "Ah, on voit que c'est du pied de veau et pas de la gélatine en feuille, parce qu'il n'y a pas ce goût désagréables des feuilles". Comme quoi...


Bref, cuisinons des protéines !

lundi 23 septembre 2019

"Si je mets trop de protéine, est-ce que je fais une catastrophe alimentaire ?"


Un ami qui veut cuisiner note à note s'interroge : "si je mets trop de protéine, est-ce que je fais une catastrophe alimentaire ?".
Il faut lui répondre rapidement, en expliquant le mieux que je peux.
D'abord, j'observe que le mot "protéine" est au singulier, alors que je l'attendrais plutôt au pluriel. En effet, les tissus végétaux ou animaux contiennent "des protéines", et plus exactement de très nombreuses molécules de très nombreuses sortes de protéines.
Mais tout cela est abstrait, et je préfère toujours dire les choses "expérimentalement". Partons d'un blanc d'oeuf : c'est un liquide transparent et jaune tirant sur le vert. Mettons-le dans un bol, et laissons-le à l'air, pendant une bonne semaine : il ne pourrit (généralement) pas, mais se résume finalement à un résidu solide d'un jaune quasi poussin, transparent. Avec un très gros microscope, on verrait que ce solide est fait d'un enchevêtrement de très nombreux "fils"  : ce sont des molécules de protéines. Et si l'on regarde bien, on voit qu'il y une vingtaine de sortes de "fils" : on dit une vingtaine de protéines particulières (mais on se souvient : des milliards et des milliards de molécules pour chaque sorte de protéines).

Les viandes, les poissons, les oeufs, mais aussi les plantes de la famille des légumineuses, contiennent beaucoup de protéines : environ 20 grammes de protéines pour 100 grammes de viande ou de poisson, environ 25 grammes de protéines pour 100 grammes de lentilles cuites, par exemple.
Est-ce grave de consommer trop de protéines ? L'Agence française de sécurité des aliments, l'Anses, dit ne pas avoir de données suffisantes pour répondre à la  question... Preuve que s'il y a un inconvénient, ce dernier n'est pas particulièrement visible.
Donc, non, ce n'est pas grave, surtout pour un repas, d'avoir beaucoup de protéines dans sa ration. Et j'ajoute que je ne réponds pas en nutritionniste ni en diététicien, puisque je ne suis ni l'un ni l'autre et que je me suis engagé à ne parler ni de nutrition ni de toxicologie.




dimanche 22 septembre 2019

Les réactions les plus importantes en cuisine ? Pourquoi pas la beta élimination des pectines et la coagulation des protéines

Les enfants sont souvent fautifs par manichéisme : "Tu préfères quoi : les fraises ou les framboises ?" ; à quoi je réponds "les cassis". Sans compter que les choix sont changeants, et souvent non transitifs : on peut parfaitement préférer les framboises aux fraises, les cassis aux framboises, mais les fraises aux cassis !
Mais récemment, ce sont des adultes qui m'ont posée une de ces questions pas toujours judicieuses : "Quelles sont les réactions les plus importantes en cuisine ?". Et là, mon petit "radar interne" m'alerte aussitôt, à entendre le mot "important". D'abord, c'est un adjectif, et, d'autre part, il y a ce sens du mot qui veut faire croire qu'il y a quelque chose d'essentiel... mais de quel point de vue ? Important : fréquent ? par ses conséquences ? par son histoire ? Dans mon laboratoire, nous avons l'interdiction d'utiliser les adjectifs, et nous devons répondre à  la question "combien ?".

Mais tout cela étant dit, cela n'est pas inutile de signaler que, puisque nous consommons principalement des tissus animaux ou végétaux, les modifications de ces tissus sont les plus fréquentes. Or, quand on cuit une viande, les protéines de l'intérieur des fibres musculaires coagulent, puis le tissu collagénique se dégrade. Et quand on cuit une carotte, elle s'amollit parce que les pectines sont "hydrolysées", dégradées, ce qui amollit le tissu végétal.  Cette hydrolyse particulière a pour nom "bêta élimination".
Bref, la coagulation des protéines et la dégradation des pectines seraient les réactions les plus "importantes, en cuisine.

Et là, c 'est assez pour aujourd'hui, car à haute dose, comme disait mon ami Jean Jacques, la chimie devient... empoisonnante (pour certains, seulement pour certains).

vendredi 24 mai 2019

La lécithine ?

Dans une discussion relative à la couleur de la mayonnaise,  je vois évoquée la lécithine de soja. 
Je m'en étonne, car il n'y a absolument pas besoin de ce "produit" (on verra plus loin pourquoi j'utilise le mot "produit" que le mot "composé") pour faire une mayonnaise. 

Et je rappelle  : 
1. que la loi impose 8 % de jaune d' œuf dans une mayonnaise ; des sociétés qui prétendaient faire des "mayonnaises sans oeuf" viennent de se faire épingler pour tromperie
2. qu'il y a dans le jaune d'oeuf tous les ingrédients nécessaires à la production de la sauce mayonnaise, sans qu'il soit ni nécessaire ni honnête d'ajouter de la lécithine de soja, laquelle n'a rien à faire dans une telle sauce.

Mais commençons par le commencement, à savoir par dire ce qu'est une mayonnaise
La mayonnaise est une émulsion que l'on obtient en dispersant de l'huile sous forme de gouttelettes microscopiques dans l'eau présente dans le mélange initial que l'on fait à partir de jaune d'œuf et de vinaigre. 
Pour faire une mayonnaise, aucun autre ingrédient que le jaune d'oeuf, le vinaigre et l'huile (plus sel et poivre) n'est nécessaire, et mieux, aucun autre ingrédient ne doit être présent, sans quoi la sauce n'est plus une mayonnaise, mais une autre sauce. 
Et l'on se rappelle que je revendique absolument , pour les produits alimentaires, que ces derniers soit sains, loyaux et marchand. Loyal, cela signifie qu'une mayonnaise est une mayonnaise et non pas une autre sauce qui en aurait l'apparence. 
J'insiste enfin  pour rappeler qu'il n'y a pas de moutarde dans une mayonnaise, sans quoi ce n'est plus une mayonnaise mais une rémoulade. 
À propos de "la lécithine" maintenant.
Partons des bonnes sources, à savoir le Gold Book de l'International Union of Pure and Applied Chemistry: les lécithines sont des esters choliques d'acides phosphatidiques, à savoir que leur formule est du type :
L03494
Source:
PAC, 1995, 67, 1307 (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1347
Ces composés sont des "phospholipides", ce qui signifie qu'ils comportent un groupe phosphate, et une partie lipidique (représentée par la lettre R sur la figure). On aurait donc d'oublier le singulier de parler au pluriel des lécithines. 
Cela dit, les phospholipides composent les membranes de toutes les cellules vivantes, animales ou végétales, et ils sont abondants dans l' œuf, puisque le poussin qui se formera à partir dudit oeuf a besoin de phospholipides pour bâtir les membranes de ses cellules. 
Or,  puisqu'il y a des phospholipides dans le jaune d'œuf, pourquoi en ajouter ? De surcroît, on ajoutera que ce ne sont pas essentiellement les lécithines ou les phospholipides qui assurent la stabilité de l'émulsion, mais les protéines qui sont apportées également par le jaune d' œuf. 
Bref, avec le jaune d' œuf, on a de l'eau et des composés tensioactifs qui sont d'abord les protéines et ensuite les phospholipides, qui viennent tapisser la surface des gouttelettes d'huile que l'on disperse dans l'eau par le travail du fouet, ce qui produit émulsion. 
Dans le passé, on a pensé que les mayonnaise étaient stabilisées par les phospholipides, notamment par des lécithines, mais les progrès des sciences nous permettent aujourd'hui de dire que ce sont surtout les protéines qui sont utiles. 


Et les ollis

Je termine en signalant une de mes très anciennes inventions : les ollis. De même que l'on peut faire de l'aïoli en broyant de l'ail, puis en émulsionnant de l'huile dans l'ail broyé, j'ai montré que l'on pouvait obtenir des émulsion, par ce même procédé, à partir de n'importe quel tissu végétal ou animal : broyé, un tel tissu libère des protéines et des phospholipides, de sorte qu'une émulsion nommée "olli" peut être obtenue. Pas besoin de "lécithine", ni de lécithines, ni d'aucun autre ajout... mais les ollis ne sont pas des mayonnaises. 

Il faut revendiquer haut et fort : la mayonnaise, c'est l'émulsion que l'on obtient en émulsionnant de l'huile dans le mélange de jaune d'oeuf, vinaigre, sel et poivre !

mardi 14 mai 2019

Les terrines

Les terrines ? Cela fait longtemps que je voulais faire ce billet, qui devrait éclairer des pratiques, en montrant comment la généralisation est mère de l'invention.

Commençons par considérer un morceau de viande ou de poisson cru. C'est un assemblage de "fibres musculaires", à savoir des "tuyaux" de diamètre microscopique, assemblés en faisceaux. Chaque tuyau est donc composé d'une enveloppe, et d'un contenu.




L'enveloppe : il s'agit d'un "tissu" (pensons à un mouchoir ou à une feuille de papier) fait de fibres, qui sont du "collagène", à savoir des protéines qui s'arrangent en triples hélices, ces triples hélices se disposant les unes à côté des autres. Ces protéines ne font pas coaguler à la chaleur... mais quand on cuit longtemps, on défait le tissu collagénique, et on libère ces protéines... qui, au refroidissement, peuvent faire gélifier une solution aqueuse (un bouillon, par exemple), puisque le tissu collagénique défait engendre la "gélatine".
L'intérieur : il y a essentiellement de l'eau et des protéines, dont notamment deux sortes, qui sont nommées "actines" et "myosines". Celles-ci peuvent coaguler à la chaleur, comme pour les protéines du blanc d'oeuf. 

Broyons maintenant cette chair : le broyage, quand il est soigneux, libère l'eau et les protéines, formant une "pâte". Puis, si nous chauffons cette pâte, on observe la coagulation, parce qu'il y a des protéines coagulantes. Et la masse coagulée est ce que l'on nomme un "gel", puisque, par définition, un tel système est un liquide piégé dans un solide : n'oublions pas que la viande est faite de 75 pour cent d'eau !
Et si l'on avait ajouté de la matière grasse avant la cuisson ? Tant que la quantité est raisonnable, la matière grasse est piégée dans le gel, tout comme l'eau, mais dispersée sous la forme de gouttelettes.
Et si l'on avait ajouté de la mie de pain trempée dans du lait ? La mie de pain est faite d'amidon et de protéines, de sorte que ces molécules seraient venues dans le gel.
Et si l'on avait ajouté de la crème ? La crème est une émulsion, faite d'eau, de protéines et de matière grasse : tout se serait dispersé dans la pâte initiale, et aurait été piégée dans la masse coagulée. Et de la crème fouettée  ? Des bulles se seraient ajoutées, formant une pâte foisonnée.
Et si l'on avait ajouté un alcool (un bon Armagnac, par exemple) ? Il serait venu se dissoudre dans l'eau de la  pâte. 
Et si l'on avait ajouté un blanc d’œuf battu en neige ? Comme pour la crème fouettée, cela aurait fait foisonner la pâte, en ajoutant des protéines qui auraient contribué à la coagulation.
Et si l'on avait ajouté des morceaux plus durs : noisettes, pistaches, etc. ? Elles se seraient dispersé dans la pâte, donnant du croquant à la masse coagulée.
Et si...

On le voit : les possibilités sont innombrables, et l'on peut régler à volonté la consistance finale.
Mais... au fait, pourquoi le nom de terrine ? Ce nom n'est juste que si l'on cuit dans un récipient en terre, nommé terrine. Si l'on avait cuit dans un linge nommé mousseline, on aurait obtenu une mousseline. Si l'on avait poché de petites masses, on auraient obtenu des quenelles. Si l'on avait cuire de  petites boules, on aurait obtenu des boulettes. Si l'on avait frit, on aurait eu des croquettes. Si l'on avait...

Tout est possible, toutes les formes sont possibles, tous les assaisonnements sont possibles.
Mais l'idée de base est simple : de l'eau avec des protéines appropriées peut coaguler à la chaleur !








PS. J'avais oublié : cela fait partie des "commandements" que j'indique dans "Mon histoire de cuisine"


jeudi 2 mai 2019

Du gluten dans les sauces ? Non, mais les protéines du gluten y sont... si on ne les a pas décomposées lors de la confection du roux (ce sont les protéines qui font brunir)

Ah, ce fameux gluten ! A propos d’un roux, je lis sous la plume d'un cuisinier français étoilé (et qui, on va le voir, dépasse sa compétence):

« Mélanger rapidement avec un fouet, pour obtenir, grâce à l’élasticité du gluten contenu dans la farine, une pommade lisse et homogène ».


 Commençons par cette "pommade", qui m'a choquée. Vite, je suis allé consulter le dictionnaire, et j'ai trouvé : "Cosmétique composé d'une base grasse et d'une ou plusieurs essences parfumées, servant aux soins de la peau ou des cheveux.". Un autre sens ? "Préparation médicamenteuse de consistance molle, destinée à être appliquée sur la peau ou sur les muqueuses, composée d'un excipient gras et d'un ou plusieurs principes actifs qui y sont dissous ou émulsionnés.".
Bref, une pommade est grasse, tandis que, ici, il n'y a que de l'amidon et de l'eau. On obtient effectivement une préparation de consistance molle en mêlant de la farine et de l'eau, mais ce n'est pas une pommade. Quel nom donner ? Dans la mesure où l'on disperse des grains d'amidon dans un liquide, c'est une "suspension" que l'on obtient, une pâte délayée...

Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on a un système différent de celui qui se forme quand on travaille de la farine avec peu d'eau : c'est dans ce cas que le gluten se forme, réseau (filet) tridimensionnel où les grains d'amidon sont piégés. Et oui, ce gluten est "viscoélastique" : la pâte formée est visqueuse et élastique à la fois.

Mais quand on met plus d'eau, ce réseau est défait, et la suspension liquide n'est plus une suspension solide.

J'y pense : pour en savoir plus sur le gluten, je vous invite à consulter l'histoire de sa découverte dans ce  texte :
https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2018-3-research-note-who-discovered-gluten-and-who-discovered-0

Et finalement, une chose est certaine : il y a tant de liquide dans un roux délayé qu'il n'y a certainement pas de réseau de gluten ! Les protéines sont là (gliadines et gluténines pour le "gluten"), mais elles ne servent à rien, du point de vue du roux. D'autre part, peu importe que l'on mélange rapidement ou pas. Et, pis, le gluten serait plutôt en défaveur de la consistance lisse.


Bref, notre ami cuisinier a largement dépassé les limites de sa compétence. Que n'est-il resté à des phénomènes visibles, bien décrits !

mardi 16 avril 2019

On me demande d'expliquer ce que sont les "protéines"

 Je vous présente les protéines, donc.  Et je commence en m'apercevant qu'il y a des abus de langage qui conduisent à des incompréhensions. Par exemple, alors que je demande à des personnes qui s'occupent d'une tante âgée de lui faire manger des protéines, je vois que ces personnes ne comprennent pas que je veux dire par là qu'il faut préparer des viandes, des poissons, etc. Et c'est le "etc." qui est ambigu, parce que, en réalité, les protéines se trouvent effectivement dans des viandes, des poissons, les oeufs, du lait, des fromages, mais aussi dans des produits dérivés de ces ingrédients ; on en trouve aussi dans les légumineuses, mais également dans la farine... En revanche,  il y en a très peu dans les fruits les légumes.
Avec la cuisine note à note, le problème de bien comprendre ce que sont les protéines se pose à nouveau,  car, quand on parle d'un dirac exemple, qui est fait de protéines et d'eau,  nos amis n'imaginent pas ce que sont les protéines qu'il faut mêler à l'eau.

 Commençons donc par présenter expérimentalement ces composé,  par exemple en partant d'un blanc d'oeuf que l'on sèche (dans un bol, à four très doux) : on récupère un solide jaune, qui, divisé, forme une poudre blanche.
Avec les viandes ou les poissons, une deuxième expérience permet d'extraire des protéines d'une autre sorte : la gélatine. Ainsi, si l'on cuit longuement des tissus animaux (muscles, tendons, peau, os...),  alors on récupère un bouillon qui   gélifie quand il refroidit. C'est d'ailleurs ainsi que l'on obtenait la gélatine jadis, à partir du pied de veau. La gelée très ferme qui est obtenue, peut être séchée, formant une poudre ou des feuilles selon la manière dont on s'y prend pour les préparer. La gélatine est également une protéine, mais d'un type différent des protéines musculaires.
Plus généralement, il y a de nombreux procédés pour extraire les protéines des tissus animaux ou des tissus végétaux comme ceux des légumineuses, plantes qui produisent plus que d'autres des protéines. Dans tous les cas, après extraction, on récupère le plus souvent des poudres blanche quand elles sont raffinées, et c'est ainsi que l'on peut obtenir aujourd'hui -cela s'achète à la tonne-  des protéines de viande, de poisson, de lait,  de pois, d'oeuf, de soja, de chanvre, etc.

A l'emploi, maintenant

Si l'on ajoute de l'eau à ces poudres, on obtient des solides mous.Par exemple, si on met 10 pour cent de protéines de blanc d'oeuf avec 90 pour cent d'eau que l'on chauffe, alors on obtient ce solide mou qu'est le blanc d' œuf cuit sur le plat. Si l'on mêle jusqu'à 20 ou 30 pour cent de protéines avec de l'eau, alors on obtient en cuisant la consistance d'un steak,  et si l'on augmente encore la proportion de protéines, alors on peut avoir quelque chose de vraiment très dur.
Il faut quand même ajouter que toutes les protéines ne coagulent pas. Ou du moins pas comme les protéines du blanc d'oeuf que nous venons d'évoquer. Par exemple, si l'on met de la gélatine dans l'eau et que l'on chauffe, on obtient alors un liquide, et pas un solide mou. En revanche, au refroidissement, alors ce liquide prend en gelée, formant un solide mou comme le blanc œuf cuit sur le plat. Autre exemple :  celui du lait, dont toutes les protéines ne coagule pas comme celles du blanc d'oeuf. Il y a d'une part les protéines sériques qui forment la peau coagulées que l'on voit sur du lait cru que l'on cuit, mais les autres protéines, les "caséines", ne coagulent que dans les circonstances différentes  : par l'ajout d'un acide ou de présure, et, cette fois, la coagulation se nomme caillage, et ce sont les fromages que l'on obtient, lesquels sont également des solides mous. 


 Et d'un point de vue moléculaire

Les chimistes, ceux qui pratiquent cette science qu'est la chimie, se sont demandés depuis longtemps quelle était la constitution de cette matière qu'est celle des protéines. Et c'est ainsi que, au terme d'une longue histoire, on a découvert que les protéines sont des "polymères", c'est-à-dire de très grosses (par rapport à la molécule d'eau, par exemple) molécules, comme des fils, ou plus précisément des chaînes d'arpenteur dont les maillons sont des "résidus d'acides aminés".
Certaines protéines ont des molécules repliées sur elles-mêmes comme des pelotes (protéines dites globulaires), tandis que d'autres sont étendues, par exemple les molécules de collagène, qui fait le tissu collagénique des cellules musculaires.
Et là, il y a des phénomènes merveilleux, mais je ne peux pas entrer dans les détails : vive la chimie !



J'oubliais : notre organisme, fait de divers tissus musculaires, est principalement composé d'eau et de protéines, dont la proportion atteint environ 25 pour cent.

samedi 26 janvier 2019

La dénaturation des aliments ? Non, la dénaturation des protéines

La dénaturation ? Le mot recouvre un vaste ensemble de phénomènes, mais, notamment, il s'applique aux protéines, ces composés dont les molécules sont des enchaînements de résidus d'acides aminés. Les acides aminés ? Des composés dont les molécules comportent au moins un groupe amine, avec un atome d'azote lié  à deux atomes d'hydrogène (-NH2) et un groupe acide carboxylique, avec un atome de carbone lié, d'une part doublement à un atome d'oxygène, et, d'autre part à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène. On représente la molécule ainsi :




Les protéines, pour y revenir, sont faites de dizaines à milliers de résidus d'acides aminés, et, quand on les représente, on ne peut évidemment pas montrer tous les atomes, de sorte qu'il faut plutôt penser à une sorte de pelote:



Et nous sommes maintenant prêts pour savoir ce qu'est la dénaturation des protéines : c'est un changement de conformation plus ou moins grand (pour des définitions de ce type, voir le Gold Book de l'International Union of Pure and Applied Chemistry, en l'occurrence https://goldbook.iupac.org/html/D/D01586.html).


Et nous pouvons maintenant examiner une question que je reçois ce matin:

Dans le cadre d'un travail portant sur la consommation sans utilisation de chaleur, c'est à dire le moyen d'obtenir des effets similaires à la chaleur sans pourtant l'utiliser, nous sommes ammenés à travailler sur la dénaturation.
Cependant, la dénaturation avec un effet mécanique nous pertube beaucoup car nous ne savons pas si elle est reproductible sur d'autres aliments que l'oeuf (lorsque qu'ils sont montés en neige).
Pourriez-vous, s'il vous plait, nous éclairés sur le sujet et si possible nous indiqués d'autres aliments sur lesquels cette effet est possible ?

Observons tout d'abord que la première phrase est étrange : une  étude de "la consommation sans utilisation de chaleur"... Mais une consommation de quoi ?  Le "c'est-à-dire" s'impose... mais là encore, je tique : "obtenir des effets similaires à la chaleur sans l'utiliser".
Bon, je suppose que mes interlocuteurs veulent savoir si d'autres moyens que la chaleur permettent d'obtenir des moyens que permet la chaleur. Et là, il y en a beaucoup... notamment depuis que Rumford et Joule ont établi une équivalence entre chaleur et travail mécanique, ou que l'on a compris que la lumière était une forme d'énergie, par exemple. En réalité, les formes d'énergie sont interconvertibles, jusqu'à la matière, qui correspond à de l'énergie (on se souvient de la fameuse équation dite d'Einstein E = m c²).

Bon, mais cela, c'est presque toute l'histoire de la physique, et je ne vais pas résumer cela dans un billet de blog ! J'arrive donc à la suite de la question, à savoir la dénaturation. Mes interlocuteurs parlent de la dénaturation des aliments... mais à part pour l'acception "changer la nature de", il n'y a pas, en cuisine, de dénaturation des aliments, mais seulement de dénaturation des protéines ou des autres macromolécules, comme dit dans la définition du Gold Book de l'IUPAC.

J'explique : un blanc d'oeuf, c'est 90  pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines (une vingtaine de sortes). Quand on le chauffe, les molécules  de protéines sont heurtées par les molécules d'eau qui sont alors plus rapides, et la structure repliée des protéines se déroule : les molécules de protéines sont dénaturées. Il se trouve que certaines de ces molécules dénaturées peuvent établir des liaisons assez fortes, et cela correspond à la coagulation  (on observera que l'interface eau-air semble important :  C. R. Thomas, D. Geer. Effects of shear on proteins in solution Biotechnology Letters, Springer Verlag, 2010, 33 (3), pp.443-456).
Mais il y a d'autres protéines pour lesquelles la dénaturation ne s'accompagne pas de coagulation : par exemple, quand on chauffe du tissu collagénique, il est dissocié, le collagène est dénaturé, mais il n'y a pas de coagulation.


Sans chaleur, maintenant

Il est exact que quand on cisaille un blanc d'oeuf, les protéines subissent les mêmes types de déformation, et peuvent également coaguler : c'est peut-être là l'explication du grainage des blancs d'oeufs trop battus.
Et cela vaut pour n'importe quelle protéine... mais pas pour des aliments ! Ainsi, les protéines globulaires se trouvent aussi bien dans l'oeuf que dans les viandes, les poissons, mais aussi les légumineuses... et tous les tissus vivants, végétaux ou animaux : les êtres vivants utilisent des protéines comme "briques" (par exemple, le collagène) ou comme "ouvriers", qui sont nommés enzymes.


Mais, je le répète, ce sont les protéines qui sont dénaturées, pas les aliments.


vendredi 18 janvier 2019

Je vous présente l'actine et la myosine

Cela fait longtemps que j'aurais dû évoquer ces protéines que sont l'actine et la myosine ; d'ailleurs, je devrais dire "les actines et les  myosines", ce qui serait plus juste.


Examinons tout cela dans une perspective historique. 

Il y a environ trois siècles, les chimistes ont identifié l'albumine, principe coagulant du blanc d'oeuf, ou albumen. Cette "matière", cette "substance",  avait des particularités, par rapport aux composés végétaux, à savoir que, comme elle contenait de l'azote (on l'ignorait à l'époque), sa putréfaction engendrait de l'ammoniac, composé basique qui fait virer la couleur d'indicateurs colorés, à savoir, à l'époque, les sirops de violette (on broie des fleurs dans l'eau et l'on filtre).
Puis, progressivement, les chimistes comprirent que les viandes, aussi, avaient cette même propriété, et l'on se mit à parler d'albumine pour l'oeuf, la viande, les poissons.
Soudain, vers 1800, les chimistes découvrirent, dans des plantes des composés qui avaient les mêmes propriétés : des "albumines végétales" ! Ce fut un bouleversement, car la division établie par la religion entre le règne animal et le règne végétal tombait !
Mais, bientôt, les progrès de l'analyse chimique révélèrent l'existence d'entités plus précises que l'albumine, et plus diverses aussi, et l'on identifia les "protéines", mais aussi les acides aminés.
Aujourd'hui, on nomme "albumines" une catégorie très particulière de protéines : de petites protéines solubles dans l'eau et capables de coaguler à la chaleur, notamment.
Et c'est ainsi que, dans le blanc d'oeuf, il y a une vingtaine de sortes de protéines différentes, dont seulement certaines sont des albumines. Pour les viandes ou poissons, il y a aussi des albumines, telle l'albumine sérique, dans le sang.


Aujourd'hui, parlons de protéines

Il y a donc des protéines très différentes, et, notamment, certaines coagulent et d'autres non. Ainsi les viandes sont des assemblages de "fibres musculaires" (des sortes de tuyaux très fins), en faisceaux regroupés eux-mêmes en super-faisceaux. Les fibres musculaires sont comme de tuyaux,  comme dit précédemment, qui contiennent une matière qui a des ressemblances avec le blanc d'oeuf. La "peau" de ces fibres, c'est du "tissu collagénique", une matière faite d'une protéine qui est nommée collagène. Et cette protéine ne coagule pas, mais elle peut former des gels : ce sont les gels de gélatine, qui se forment d'ailleurs spontanément quand on laisse refroidir le bouillon formé par la cuisson d'une viande dans une petite quantité d'eau (ou de vin).
L'intérieur des fibres musculaires, ce sont de l'eau et deux sortes de protéines, qui sont nommées actines et myosines. Ces protéines permettent aux fibres de se raccourcir quand elles reçoivent un ordre du cerveau (un signal électrique transmis par les "nerfs"), et c'est cela qui conduit à la contraction entière du muscle. Et ces protéines, contrairement au collagène, peuvent coaguler : la preuve, c'est que quand on broie une viande, puis que l'on chauffe, on obtient... des terrines, où les protéines que sont actines ou myosines ont coagulé.


mercredi 9 mai 2018

Il y a les protéines thermocoagulantes, et les autres

Les protéines sont variées. Toutes ont des molécules faites par des successions de résidus d'acides aminés, mais leurs "activités biologiques" sont variées.
Ainsi, il y a les enzymes,  qui sont comme des "ouvriers moléculaires", capables de modifier d'autres composés ; pensons aux enzymes polyphénoloxydases qui, libérées en présence polyphénols quand on coupe un végétal, conduisent à l'apparition de produits brun foncés.  Mais il y a aussi des "canaux membranaires" : dans les membranes des cellules vivantes, des protéines s'associent pour ne laisser entrer ou sortir que certains composés. Récemment, par exemple,  des chimistes ont exploré les aquaporines qui permettent aux molécules d'eau d'entrer ou de sortir des cellules vivantes. Et puis il y a aussi des protéines de stockage, des protéines antibactériennes, tel le lysozyme du blanc d'oeuf, ou encore des protéines "constitutives", tel le collagène, qui fait les tissus conjonctifs, ce ciment des cellules animales des tissus musculaire.

Mais ces différentes catégories sont  fonctionnelles au sens de la biologie, pas de la cuisine. En cuisine, c'est en quelque sorte plus simple : il y a des protéines capables de coaguler à la chaleur, et d'autres qui ne coagulent pas.
Par exemple, l'ovalbumine, dans le blanc d'oeuf, est "thermocoagulante", alors que la gélatine, qui est la forme un peu dégradée du collagène, ne coagule pas à la chaleur... mais peut s'associer en un réseau de gel, à froid.
D'ailleurs on doit ajouter que certaines protéines qui ne coagulent pas à la chaleur (pensons à des caséines, par exemple) peuvent néanmoins "cailler", par exemple, en milieu acide, ou bien en présence d'enzymes telles que la chymiosine de la présure (pour la confection des fromages).

Pour la cuisine note à note, ces dernières distinctions sont celles dont on aura besoin, par exemple pour faire des "diracs" (voir les billets qui leur sont consacrés).
Pour les émulsions ou les mousses, en revanche, la question  est plus facile, comme le montre l'exemple des "würtz", ces mousses que l'on obtient en fouettant un liquide où l'on a ajouté de la gélatine. Certes, toutes les protéines n'ont pas les mêmes propriétés de moussabilitié, mais je répète que la question se pose moins.

Vive la cuisine note à note !

lundi 26 mars 2018

Mousses...

Ce matin, un groupe d'étudiants m'interroge, à propos d'un travail qu'ils font dans le cadre des TIPE (Travaux d’Initiatives Pratique Encadrés), à propos de mousses en cuisine.
Leur travail est louable : ils se préoccupent d'alimentation des personnes âgées, et veulent faire -je schématise- une mousse à paratir de viande et de d'une mousse de blanc en neige.
Amusant que cela m'arrive précisément alors que je viens de finir un texte (pour la revue Charcuterie et gastronomie) où je discute précisément le fait que les quenelles peuvent être des systèmes foisonnés comme les soufflés, comme je l'ai compris après notre avant dernier séminaire.

Bref, nos jeunes amis me disent  :

 
Après avoir réalisé de nombreux tests afin de trouver la composition idéale de la mousse, nous avons pu déterminer qu'il fallait 6 blancs d’œufs (pour un œuf d'un poids moyen de 60 grammes) et 30 g de blancs de poulets cuits préalablement afin d’avoir une mousse consistante.
Cependant, cette composition est très riche en œuf, et la tenue de notre mousse n'est pas idéale. C'est pourquoi nous voudrions vous poser les questions suivantes :
-  Quels nutriments artificiels seraient-ils judicieux d'ajouter à la composition de notre mousse afin de diminuer la teneur importante en blanc d’œuf ?
-  Est-il possible de diminuer la teneur en blanc d’œuf sans altérer l'aspect et le maintien de la mousse ?

-  Existe-il des agents stabilisants ou des techniques permettant de garder une tenue suffisante de la mousse afin de la conserver ?






Quarante litre de blancs en neige à partir d'un oeuf

Dès le début de leur message, je butte sur le mot "idéale", parce que c'est un adjectif, et que l'objectif qui permettrait de mesurer cette idéalité n'est pas donné.
Bref, nos amis ont produit une préparation de 30 grammes de poulet broyé (je suppose) et de six blancs d'oeufs, sans doute battus en neige. J'imagine donc  une mousse très volumineuse (environ deux litres de mousse), dont nos amis me disent qu'elle est riche en oeuf... ce qui est une évidence, puisque l'oeuf, c'est de l'oeuf.
Mais pourquoi ne parlent-ils pas plutôt de protéines et d'eau ? La viande, c'est environ 25 pour cent de protéines et 75 pour cent d'eau, tandis que le blanc, c'est 10 pour cent de protéines et 90 pour cent d'eau.
D'autre part, veulent-il  réduire la proportion de protéines d'oeuf ? C'est alors facile, quand on prépare un "geoffroy", c'est-à-dire un oeuf très foisonné... et je rappelle que nous avons obtenu plus de 40 litres de mousse à partir d'un seul blanc d'oeuf, soit environ 3 grammes de protéines.
Comment ? En réfléchissant que de l'oeuf en neige, c'est une solution aqueuse de protéines que l'on a foisonné. Combien de mousse peut-on obtenir avec un blanc ? Puisque le blanc d'oeuf est fait de protéines et d'eau, et que, classiquement, l'ajout d'air ne procure qu'un petit tiers de litre de mousse, c'est que manquent soit l'eau, soit les protéines, soit l'air.
Or l'air ne manque pas... et l'expérience qui consiste à ajouter de l'eau montre que c'est l'eau qui manque... ce qui a constitué la base d'un "atelier" des "Ateliers expérimentaux du goût", à l'attention de l'Education nationale (école, collèges, lycées, lycées professionnels, centres de formation des apprentis) :
http://www2.agroparistech.fr/Les-Ateliers-experimentaux-du-gout.html
Bref, il est facile de réduire la quantité de protéines dans une mousse !

Mais il y a d'autres solutions à... foison ;-)

Cette question des oeufs n'est pas le fin mot de l'histoire, car nos amis pourraient faire foisonner le poulet sans ajouter des oeufs, mais ils pourraient également produire une de mes inventions que j'avis nommé "würtz" : l'idée est de dissoudre un peu de gélatine dans un liquide, puis de fouetter pour faire foisonner. Ensuite, on statilise la mousse en la mettant au froid. Evidemment, le liquide mérite d'avoir du goût, comme je le dis ici, notamment :
http://hervethis.blogspot.fr/2017/12/les-wurtz.html
Ou encore ici :
http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/48

Bref, plein de solution pour des mousses de protéines.
Mais, au fait, savez-vous qu'il y d'autres agents foisonnants que les protéines ? C'est une autre histoire, qui sera contée une autre fois.






mercredi 21 mars 2018

Demain, les diracs... à toutes les sauces

Décidément, il y a lieu d'aider mes amis qui se lancent dans la cuisine note à note, et qui s'interrogent : comment remplacer la viande et le poisson ? La réponse est : avec des "diracs".

Pour commencer simplement, expliquons qu'une viande ou un poisson, c'est un matériau fait de 25 pour cent de protéines et de 75 pour cent d'eau.
Autrement dit, on obtient une matière de la même fermeté qu'une viande en mêlant une cuillerée de protéines et trois cuillerées d'eau, puis en cuisant. D'autre part, on obtient une matière de la même fermeté qu'un blanc d'oeuf cuit sur le plat en cuisant un mélange fait de 10 pour cent de protéines et de 90 pour cent d'eau : une cuillerée de protéines pour neuf cuillerées d'eau.
Et on obtient quelque chose d'encore plus dur que la viande si l'on augmente la teneur en protéines.
On n'obtient ni de la viande, ni du blanc d'oeuf, mais une matière que j'ai proposé de nommer un "dirac".

Et il y a donc des diracs durs, des diracs mous... mais bien d'autres diracs. Certains peuvent être "mousseux", foisonnés... et ce sont donc des "berthollets". Certains peuvent être striés, et ce sont des surimis; Mais on peut imaginer bien d'autres possibilités : des systèmes feuilletés, des systèmes émulsionnés.


Pour un dirac foisonné ? On part d'eau et de protéines, on fouette, on ajoute les couleurs, odeurs, saveurs, puis on cuit (par exemple, à la poêle, ou bien dans un four à micro-ondes, mais on pourrait égale ment verser des cuillerées dans de la friture, par exemple. Et je nomme cela un "berthollet".

Pour un dirac émulsionné ? Puisque les protéines stabilisent merveilleusement des émulsions, on comprend que l'on puisse ajouter de la matière grasse au mélange eau+protéines. Combien ? Jusqu'à environ 19 fois plus que d'eau. Et l'on a évidemment quelque chose d'alors très gras... et de très moelleux.
D'ailleurs, j'y pense : pourquoi ne pas faire comme avec le chocolat, à savoir classer par proportion de matière grasse ? 

Pour un dirac haché : c'est comme pour un steak haché, à savoir que l'on prépare un dirac, puis que l'on hache, dans le même hachoir que d'habitude. 

Pour un surimi de dirac : on part d'un mélange de protéines et d'eau, on ajoute un empois d'amidon, puis on coule sur une plaque plate, et l'on strie (à l'aide d'une fourchette ou d'un peigne) avant de cuire (vapeur, micro-ondes, etc.)

vendredi 22 décembre 2017

On ne doit plus parler d'albumine, mais éventuellement d'albumineS

Albumine ? On entend des cuisiniers dire qu' « elle coagule », dans diverses circonstances, telles que pâtés, terrine, quenelles, viandes cuites à basse température, poisson braisé… (je donne une liste de ce que j'ai très rapidement trouvé sur internet).

Pourtant, il faut dire, redire, enseigner que l'albumine n'existe pas ; qu'elle n'existe pas plus que n'existe « la chlorophylle ».


Pour comprendre, il faut reprendre les choses historiquement.

Tout a commencé avec les pharmaciens (qui ont développé les sciences chimiques, avec les chimistes) : au dix-huitième siècle, ils avaient observé que les viandes, les poissons ou les oeufs se distinguaient des végétaux, parce qu'ils putréfiaient, avec une odeur ammoniaquée, bien différente de celle des végétaux qui pourrissent.
Plus précisément, ils observèrent la formation d'ammoniaque, qui faisait changer de couleur le « sirop de violette », cet ancêtre des « papiers pH » que l'on utilise pour mesurer l'acidité, et qui ne sont en réalité que des bandes de papier imbibées de composés tels ceux qui donnent la couleur aux fruits et aux fleurs.

Bref, nos chimistes se mirent à tester des tas de produits, et ils découvrirent que le blanc d'oeuf était le prototype de ces matières animales coagulantes, d'où le nom d'albumen, pour le blanc d'oeuf, et d' « albumine », pour la partie du blanc d'oeuf qui était responsable à la fois de la coagulation et du changement de couleur.


Puis, au tout début du dix-neuvième siècle, le pharmacien Antoine François de Fourcroy découvrit de l' « albumine » dans les végétaux : dans les lentilles et d'autres légumineuses riches en ce que nous nommons aujourd'hui des protéines, il y a des « substances » qui coagulent à la chaleur, qui putréfient en libérant de l'ammoniac, et qui teintent le sirop de violette.

Puis vint l'analyse chimique et la chimie moderne, qui permirent notamment de reconnaître dans la gélatine la même composition chimique que dans l'albumine… alors que la gélatine ne coagule pas à la chaleur.
Et, d'autre part, on découvrit des « substances » qui contenaient aussi de l'azote, putréfiaient en teintant le sirop de violette, mais qui ne coagulaient pas.


Bref, progressivement, les sciences de la chimie comprirent que certains composés seulement entraient dans une catégorie qui fut nommée « protéines » au début du vingtième siècle.

 Les molécules de toutes les protéines sont principalement faites de chaînes dont les maillons sont des résidus d'acides aminés.
La gélatine, par exemple, est une forme dégradée (par la cuisson) de la protéine nommée « collagène », qui se trouve dans les tissus animaux ; comme on le sait bien, elle ne coagule pas.
Le lait contient des « caséines », à côté d'autres protéines ; certaines caséines coagulent… quand on acidifie ou qu'on ajoute de la présure.
Les viandes sont des tissus musculaires, dont la contraction est assurée par deux sortes de protéines, nommées « actines » et « myosines », qui coagulent, et le sang contient une protéine qui coagule également (d'où le boudin).
L'oeuf, enfin, contient une vingtaine de sortes de protéines différentes, et l'ovalbumine, dans le blanc, n'est que l'une d'entre elles (qui coagule, comme on le sait). Elle est l'homologue, bien que différente, de la protéine du sang nommée albumine sérique.


Très généralement, la catégorie est albumines est très vaste, puisqu'elle désigne aujourd'hui des protéines solubles dans l'eau, qui coagulent à la chaleur. Cela n'a plus aucun sens de parler de « l'albumine », et il faut, selon les cas, parler soit des protéines, soit des albumines… mais je doute que la seconde dénomination soit très utile, en cuisine. Parlons donc plutôt des protéines, et laissons l'albumine aux historiens ou aux scientifiques.











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 11 décembre 2017

Les farines : de quel type ?


Farine 45 ou 55 ?


Hélas, les fabricants de farine ne nous aident guère avec l'indication du « type » : les plus courants sont T45 et T55.
Ces indications, en effet, se rapportent au « taux de cendres », c'est-à-dire la quantité de cendres qui résultent de la calcination (on chauffe la farine dans un petit creuset en terre réfractaire, et elle se dégrade, ne laissant que des cendres). Et il est vrai que moins la farine est blanche, plus le taux de cendres est élevé…
Mais je m'aperçois que j'ai pris les choses à l'envers. Partons du grain de blé, qui fera la farine. Il y a, de l'extérieur vers l'intérieur, le « son » (les enveloppes, qui sont composées de beaucoup de cellulose), des parties externes qui contiennent des protéines (notamment le gluten), et, plus on va vers l'intérieur, plus c'est « pur » en amidon.
Autrement dit, une farine complète contient beaucoup de celluloses (ces fameuses « fibres ») et de protéines, et plus de l'amidon, alors que la farine blanche, faite surtout avec l'intérieur (on parle d'  « amande ») est moins riche en protéines.
Si l'on en restait à cela, il est vrai que la farine la plus blanche, de type 45 par exemple, contiendrait moins de protéines, ce qui serait bon pour des gâteaux (où l'on ne veut pas trop de « force », afin qu'ils puissent lever, par exemple), et la farine de type 55 serait meilleure pour du pain (pour lequel on a besoin des protéines du gluten). Mais le diable est caché dans les détails. Il se trouve que, certaines années, ou parce que le blé provient d'une région différente, des farines de type 45 peuvent contenir plus de protéines que des farines 55 d'une autre année, d'une autre provenance… si bien que le type est une indication insuffisante.

Evidemment, pour certaines préparations, on n'a pas besoin de tout cela. Par exemple, pour une pâte à choux, les protéines viendront de l'oeuf, et la préparation reste assez liquide : le gluten n'a guère d'utilité. Prenons y garde : il y a des cas où le gluten est important (brioche), et d'autres où il est sans intérêt.

Un mot enfin : les producteurs ne donnent pas d'explication sur les paquets, se contentant de donner le type (ce qui est réglementaire), plus des tas de baratins qui font joli et permettent de mieux vendre. Mais enfin, au 21e siècle, pourquoi ne pas chercher plutôt l'information en ligne ? 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 6 avril 2017

Pourquoi la cuisine note à note

Aujourd'hui, on m'interroge sur la cuisine note à note : pourquoi permettrait-elle de nourrir l'humanité ?

Le raisonnement est simple :
- nous sommes 7 milliards, et 1 milliard meurt de faim
- les principales institutions ont identifié que l'on ferait mieux si on luttait contre le gaspillage
- pourquoi gaspille-t-on ?
- parce que les produits végétaux (notamment) sont transportés des champs aux villes
- lors du transport, les produits végétaux s'abiment (et l'on transporte de l'eau ! )
- donc il faut enlever l'eau à la ferme
- ce qui permettra de gagner de l'énergie, au total (calcul en cours)... mais surtout d'éviter le gaspillage
- si l'on suppose 30 % de gaspillage, et si l'on suppose tout ce gaspillage évité (peu probable), alors l'agriculture d'aujourd'hui permettrait de nourrir 9 milliards... ce qui est le nombre prévu par la FAO en 2050. 

A noter que la vraie question ce sera celle des protéines. Et il vaut sans doute mieux des plantes que des insectes. D'où le choix de la FAO de faire de 2016 l'année des légumineuses (des plantes qui contiennent des protéines végétales).




PS. J'ai calculé environ 1000 camions qui apportent des aliments (jusqu'à 99 % d'eau pour une laitue) à Paris chaque jour : cela fait beaucoup d'énergie gaspillée, en plus des aliments qui s'abiment lors du transport, sans compter le froid nécessaire, qui consomme de l'énergie et -pour l'instant- utilise des fluides qui sont mauvais pour l'ozone
 

dimanche 28 février 2016

Les diracs

Les diracs sont des préparations qui ont la composition des viandes, au premier ordre : comme elles, ils sont composés de 25 pour cent de protéines et de 75  pour cent d'eau. A cette pâte initiale, on peut  évidemment ajouter de la matière grasse (2 à 10 pour cent), des colorants, des composés qui donnent de la saveur et de l'odeur. Puis on cuit cette pâte soit directement à la poêle, soit après foisonnement, soit après filage... Et l'on obtient des systèmes ayant la fermeté des viandes... ou une consistance différente : il ne tient qu'à nous de faire quelque chose d'intéressant.

Pourquoi ces systèmes ont-ils été nommés des diracs ? Parce que le physicien britannique Paul Adrien Maurice Dirac est à l'origine de ce que physiciens et mathématiciens connaissent sous le nom de « pics de Dirac » : des distributions, vues comme des limites de fonction.

Pensons à une courbe gaussienne (f(x) = K exp(-x^2))  d'aire égale à 1.
Nous décidons de rétrécir la fonction en prenant toujours l'équation de la gaussienne, mais en faisant K2 exp(-k x^2), de sorte que l'aire reste égale à 1. A la limite, quand la largeur tend vers 0, l'aire restant toujours égale à 1, la hauteur devient infinie... et l'on obtient ce que l'on nomme un "pic de Dirac".

C'est un point isolé et merveilleux, tout comme l'est la proposition faite ici, dans l'ensemble des possibles reproductions de viande. On peut faire une copie de viande du  point de vue de la consistance, de la saveur, de la couleur, etc... mais cette proposition est très particulière. Et aucune copie de viande n'est de la viande. Il fallait donc donner un nom. Et comme cette copie était initialement isolée, comme un pic, j'ai choisi dirac (toutes les innovations que je fais, ou du moins la plupart, ont un nom de chimiste ou de physicien. Voir le Cours de gastronomie moléculaire N°1 (ed quae belin).

mercredi 20 février 2013

Une question et une réponse, à propos de cuisine note à note



Un email reçu ce matin :

    Bonjour. J'espere que vous me pardonnerez de vous contacter de façon si cavalière. Ma question peut sembler naïve ou farfelue je pense cependant que vous êtes une des personnes les mieux placées pour y répondre. Je suis vos travaux avec intérêt, et j'aime beaucoup le principe de la cuisine note à note qui permettra peut être de répondre à un grand défi de notre époque.
     Comme vous le savez, il est difficile de répondre à la crise alimentaire actuelle, nous connaissons l'impact énorme de la consommation de viande sur l'environnement et il parait difficilement envisageable de nourrir une population de 7 milliards d'individus avec de la viande rouge.
     Je ne vous apprend rien en vous disant que l'entomophagie est pour beaucoup, moi y compris, une solution d'avenir. Des protéines de qualités en grand nombre et qui necessitent peu d'eau, de nourriture et d'energie, insensibles à la douleur (sans système nerveux) faciles à stocker et presentant peu de risques sanitaires. A ma grande surprise, si beaucoup d'associations se créent pour promouvoir l'entomophagie, je n'ai pas vu de travaux visant à transformer ces proteines. je ne pense pas que les gens soient pret à abandonner leurs habitudes alimentaires pour manger des insectes sous leurs formes originales.
     Ma question est donc : La cuisine note à note peut elle nous permettre d'utiliser des protéines provenant d'insectes, de leur donner différents gout et textures (si possible le plus proche possible de la viande) à moindre cout et avec un impact environnemental faible.

Je comprend que votre temps est précieux, veuillez m'excuser d'en abuser.

Avec toutes mes salutations,

Bien cordialement,

Et ma réponse :
Cher Monsieur
merci de votre message amical. Il arrive alors que je suis en train de programmer une séance publique de l'Académie d'agriculture de France sur les insectes dans l'alimentation humaine. Oui, il n'est absolument pas difficile d'utiliser des protéines de ces bestioles pour de la cuisine note à note. Pour la cuisine, une protéine qui coagule (ovalbumine, sérum albumine, etc.), c'est une protéine qui coagule, et une protéine qui ne coagule pas (collagène, par exemple) est souvent un agent gélifiant, quelle que soit l'origine.
Cela étant, il y a la question de savoir s'il vaut mieux cultiver des plantes qui apporteront des protéines végétales, ou d'élever des insectes pour le même but.
La solution : le nerf de la guerre!

bien à vous