lundi 28 janvier 2019

Là, je réponds immédiatement !

Aristophane disait qu'enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer des brasiers. Quoi de mieux, donc, qu'un tel message, reçu à l'instant même :


Bonjour Monsieur,

Il y a environ deux ans vous avez donné une conférence exposant la gastronomie moléculaire et la cuisine note à note à des classes de lycée à Paris, cette dernière m'a laissé une forte impression.


Aujourd'hui je suis en Terminale S et vos recherches, alliant sciences et gastronomie, m'ont grandement intéressé, j'aimerais pouvoir étudier la cuisine note à note.
 

Je me retrouve alors cette année à devoir choisir des études supérieures mais vos recherches étant récentes, il n'a pas à ma connaissance de master spécialisé dans cette matière.
 

Sans trop vouloir vous déranger, pourrais-je vous demander quel serait le chemin universitaire à suivre afin de déboucher sur vos recherches, serait il possible que vous me recommandiez une ou plusieurs universités dans lesquelles je pourrais formuler mes vœux?


Je réponds donc sans tarder, même si notre jeune ami a un peu de temps devant lui.
Mais, pour répondre, j'analyse :

1. Oui, je fais souvent des conférences devant des collégiens ou des lycéens, et l'objectif est faire valoir les beautés de la science, de la technologie (le métier d'ingénieur) et de la technique, mais il est vrai que, également, je cherche à montrer les beautés de l'art (culinaire).
Plus généralement, mes conférences pourraient être résumées par un vigoureux "Vive la connaissance produite et partagée", même s'il y a en écho un puissant "Vive la chimie, plus hier et bien moins que demain".

2. Le but de mes conférences n'est pas de transmettre des connaissances, mais de faire une forte impression, qui permettra à nos amis d'avoir un élan.

3. Notre ami est en classe de Terminale S et il est intéressé par la gastronomie moléculaire et la cuisine note à note ? Il est donc bien parti plutôt pour les sciences et technologies, de sorte que, s'il travaille, je ne doute pas qu'il puisse passer des concours des grandes écoles, et viser l'ESPCI Paris, ou l'Ecole normale supérieure, ou l'Ecole Polytechnique, par exemple.
En effet, notre ami a face à lui des universités, au niveau très hétérogène, et des grandes écoles, où il s'agira de faire ses preuves initialement, une sélection dont il pourra se prévaloir toute sa vie. J'ajoute que, pour moi, les classes de Mathématiques supérieures et de Mathématiques spéciales furent un grand bonheur, puisque j'ai pu, enfin !, me consacrer à ce que j'aimais : les mathématiques, la chimie, la physique.  Et, d'autre part, il n'est pas vrai que l'on y travaille beaucoup : je travaille bien plus aujourd'hui !
Enfin, certains critiquent l'esprit "concours"... mais pour quelqu'un qui se contente de travailler, cela n'existe pas : seul compte le bonheur d'apprendre !

4. A l'issue d'études de type Grandes Ecoles, ou Universités scientifiques (chimie, ou physique, ou physico-chimie, par exemple, pour notre ami), il y aura le choix entre la recherche scientifique (la gastronomie moléculaire, par exemple), ou la "cuisine note à note"... Mais il faut observer que notre ami, s'il est scientifique ou ingénieur, ne fera pas de cuisine note à note, car il ne sera pas cuisinier, donc artiste. En revanche, je le vois bien ingénieur et capable d'orchestrer des développements technologiques autour de la cuisine note à note, par exemple.
D'ailleurs, soucieux de l'orienter plutôt vers une carrière industrielle, je le vois bien aussi avec de la gastronomie moléculaire pendant ses études pour une formation d'ingénieur dans l'industrie alimentaire, par exemple.

5. Mais la cuisine note à note, ou l'aliment en général, peut s' "étudier" de mille façons : chimique, physique, biologique, rhéologique, microbiologique, nutritionnelle, économique, réglementaire, analytique, symbolique, sociale, historique... De sorte que l'on voit une foule de métiers se dessiner devant notre ami... qui devra plutôt s'interroger sur son quotidien. Et je renvoie vers des  billets plus anciens : https://hervethis.blogspot.com/search?q=m%C3%A9tier
Dans l'un d'entre eux, je parle du travail pratique que l'on fait, minute par minute.

6. Des masters spécialisés en gastronomie moléculaire ? Pour les études supérieures, il y a plusieurs choses :
- un module de gastronomie moléculaire dans le Master Erasmus Mundus Plus "Food innovation and Product Design" (http://www.fipdes.eu/)
- des cours de gastronomie moléculaire dans le Master IPP d'AgroParisTech
- des cours de Licence "Biochimie alimentaire et gastronomie moléculaire" de l'Université Paris 6.

Mais mon conseil : toujours viser haut, et se donner les moyens de réussir en travaillant avec bonheur !

dimanche 27 janvier 2019

Je vous présente l'acide citrique

Nous sommes bien d'accord : l'acide citrique n'est pas du jus de citron ! 

Mais j'explique aussitôt cette phrase introductive. Le jus de citron, chacun sait ce que c'est : c'est le jus que l'on obtient quand on presse un citron.



Il est très majoritairement composé d'eau, mais, en solution dans cette eau, il y a notamment de l'acide citrique, de l'acide malique et d'autres composés, tels des composés odorants comme ceux que l'on trouve dans la pulpe. Il y a aussi des sucres, plein de sels minéraux, etc. ... en petites quantités. La couleur ? Souvent elle résulte de la présence de pulpe, mais pas seulement : il y a divers pigments naturels.

Reste que le jus de citron et l'acide citrique dilué dans de l'eau se ressemblent beaucoup, au point que, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons eu beaucoup de difficultés, lors de tests sensoriels, à distinguer les deux produits !


En cuisine ! 

Et puisqu'il y a une grande ressemblance, pourquoi ne pas utiliser de l'acide citrique en cuisine ? C'est ce que je fais : près de mon "fourneau", à côté du gros sel, du sucre, il y a de l'acide citrique, poudre blanche cristallisée, qui fait un goût citronné dès qu'on l'utilise.
Car, en y pensant, pourquoi faire venir des citrons de l'autre côté de la terre quand on a de l'acide citrique ? Parce qu'il serait "chimique" ? Pas plus que le sel  de cuisine ou que le sucre. En l'occurrence, l'acide citrique est produit à la tonne par l'industrie, par fermentation de saccharose (le sucre de table) ou de glucose (obtenu par traitement du maïs).

Bref, je vous recommande l'acide citrique !





Les bonnes pratiques du professorat : une question tabou ?

Je vois une question amusante, mais qui risque de faire du bruit :  nous parlons ici de bonnes pratiques scientifiques, mais au fond, les "enseignants-chercheurs" ont ce que l'on nomme des "charges d'enseignements" et même les chercheurs aujourd'hui sont sollicités pour une activité  d'"enseignement".
Sans tarder, je vous renvoie à mes billets du chapitre consacré aux études (http://www2.agroparistech.fr/-A-propos-d-etudes-superieures-mais-pas-seulement-.html) pour voir pourquoi je me refuse à parler d'enseignements et je propose de parler d'études : en substance, je dis que l'essentiel n'est as que des enseignants enseignent, mais que les étudiants étudient !  D'autre part, il y a le fait que le mot "enseignant" se rapporte, par un affreux néologisme, à une activité impossible, et que nous devons parler de professeurs.
Mais, au delà de la parole prononcée devant un ou plusieurs étudiants, il y a le fait qu'il faut orchestrer les études, les coordonner. De sorte que la phrase précédente appelle deux questions :
1. comment bien professer ?
2. comment bien orchestrer les études ?

La question est difficile, ou, du moins,   jusqu'à présent, on s'en est débarrassé en disant que le professeur est maître dans sa classe.
 Mais sa formation ? Alors qu'il y a des instituts de formation des professeurs pour l'Education nationale, il faut bien reconnaître que la formation des professeurs d'université  est extrêmement réduite. Lors de la thèse, la soutenance doit être la preuve que le professeur est capable de faire cours. Puis l'habilitation à diriger des recherches et une autre façon de sanctionner une compétence. Mais où sont les informations nécessaires pour bien professer ? Où où tout cela est-il écrit ? Quelles sont les règles pour bien faire ? En existe-t-il ?
En 2017, un décret a imposé une formation, mais on en est environ à un état des lieux ! Et en mars 2018, on n'en était qu'à une réunion de concertation : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid128659/lancement-de-la-concertation-sur-la-reconnaissance-de-la-mission-de-formation-des-enseignants-chercheurs.html !

J'observe aussi que le mot "pédagogie" revient souvent, alors que son étymologie fait référence à des enfants... alors que les étudiants de l'université sont majoritairement des adultes qui ont le droit de vote. C'est indique.
Le mot "didactique" serait-il meilleur ? Il se rapporte à ce qui vise à "instruire". Instruire ? Il s'agit de "Former l'esprit, la personnalité de quelqu'un par une somme de connaissances liées à l'expérience, à la vie, aux événements." Pourquoi pas, mais, au risque de me répéter, je préfère que les étudiants se forment eux-même l'esprit, et j'aime pas l'idée du bétail que l'on nourrit !

Bref, je me demande s'il n'est pas possible de produire des billets de bonnes pratiques pour l'encadrement des études comme je l'ai fait pour la pratique scientifique ? Question tabou ?

samedi 26 janvier 2019

La dénaturation des aliments ? Non, la dénaturation des protéines

La dénaturation ? Le mot recouvre un vaste ensemble de phénomènes, mais, notamment, il s'applique aux protéines, ces composés dont les molécules sont des enchaînements de résidus d'acides aminés. Les acides aminés ? Des composés dont les molécules comportent au moins un groupe amine, avec un atome d'azote lié  à deux atomes d'hydrogène (-NH2) et un groupe acide carboxylique, avec un atome de carbone lié, d'une part doublement à un atome d'oxygène, et, d'autre part à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène. On représente la molécule ainsi :




Les protéines, pour y revenir, sont faites de dizaines à milliers de résidus d'acides aminés, et, quand on les représente, on ne peut évidemment pas montrer tous les atomes, de sorte qu'il faut plutôt penser à une sorte de pelote:



Et nous sommes maintenant prêts pour savoir ce qu'est la dénaturation des protéines : c'est un changement de conformation plus ou moins grand (pour des définitions de ce type, voir le Gold Book de l'International Union of Pure and Applied Chemistry, en l'occurrence https://goldbook.iupac.org/html/D/D01586.html).


Et nous pouvons maintenant examiner une question que je reçois ce matin:

Dans le cadre d'un travail portant sur la consommation sans utilisation de chaleur, c'est à dire le moyen d'obtenir des effets similaires à la chaleur sans pourtant l'utiliser, nous sommes ammenés à travailler sur la dénaturation.
Cependant, la dénaturation avec un effet mécanique nous pertube beaucoup car nous ne savons pas si elle est reproductible sur d'autres aliments que l'oeuf (lorsque qu'ils sont montés en neige).
Pourriez-vous, s'il vous plait, nous éclairés sur le sujet et si possible nous indiqués d'autres aliments sur lesquels cette effet est possible ?

Observons tout d'abord que la première phrase est étrange : une  étude de "la consommation sans utilisation de chaleur"... Mais une consommation de quoi ?  Le "c'est-à-dire" s'impose... mais là encore, je tique : "obtenir des effets similaires à la chaleur sans l'utiliser".
Bon, je suppose que mes interlocuteurs veulent savoir si d'autres moyens que la chaleur permettent d'obtenir des moyens que permet la chaleur. Et là, il y en a beaucoup... notamment depuis que Rumford et Joule ont établi une équivalence entre chaleur et travail mécanique, ou que l'on a compris que la lumière était une forme d'énergie, par exemple. En réalité, les formes d'énergie sont interconvertibles, jusqu'à la matière, qui correspond à de l'énergie (on se souvient de la fameuse équation dite d'Einstein E = m c²).

Bon, mais cela, c'est presque toute l'histoire de la physique, et je ne vais pas résumer cela dans un billet de blog ! J'arrive donc à la suite de la question, à savoir la dénaturation. Mes interlocuteurs parlent de la dénaturation des aliments... mais à part pour l'acception "changer la nature de", il n'y a pas, en cuisine, de dénaturation des aliments, mais seulement de dénaturation des protéines ou des autres macromolécules, comme dit dans la définition du Gold Book de l'IUPAC.

J'explique : un blanc d'oeuf, c'est 90  pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines (une vingtaine de sortes). Quand on le chauffe, les molécules  de protéines sont heurtées par les molécules d'eau qui sont alors plus rapides, et la structure repliée des protéines se déroule : les molécules de protéines sont dénaturées. Il se trouve que certaines de ces molécules dénaturées peuvent établir des liaisons assez fortes, et cela correspond à la coagulation  (on observera que l'interface eau-air semble important :  C. R. Thomas, D. Geer. Effects of shear on proteins in solution Biotechnology Letters, Springer Verlag, 2010, 33 (3), pp.443-456).
Mais il y a d'autres protéines pour lesquelles la dénaturation ne s'accompagne pas de coagulation : par exemple, quand on chauffe du tissu collagénique, il est dissocié, le collagène est dénaturé, mais il n'y a pas de coagulation.


Sans chaleur, maintenant

Il est exact que quand on cisaille un blanc d'oeuf, les protéines subissent les mêmes types de déformation, et peuvent également coaguler : c'est peut-être là l'explication du grainage des blancs d'oeufs trop battus.
Et cela vaut pour n'importe quelle protéine... mais pas pour des aliments ! Ainsi, les protéines globulaires se trouvent aussi bien dans l'oeuf que dans les viandes, les poissons, mais aussi les légumineuses... et tous les tissus vivants, végétaux ou animaux : les êtres vivants utilisent des protéines comme "briques" (par exemple, le collagène) ou comme "ouvriers", qui sont nommés enzymes.


Mais, je le répète, ce sont les protéines qui sont dénaturées, pas les aliments.