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dimanche 22 juin 2025

L'investissement ?

Combien de temps passer à son travail ? Dans un billet précédent, j'avais indiqué que l'on ne faisait de la bonne science qu'en y pensant beaucoup, mais mon analyse m'avait conduit à conclure que, pour être un bon ingénieur, il y avait lieu de faire de même. Et j'ai reçu un commentaire d'un étudiant : "Je suis complètement d’accord sur le fait qu’il faut être intéressé, investi et engagé dans son travail et c’est encore mieux si cela est un métier-passion. Là où je ne te rejoins pas est dans l’extrait suivant : "l'ingénieur passionné de son métier passera tous ses moments, vacances ou week ends à exercer son métier, sa passion”. J’ai des passions en dehors de mes études et je compte bien utiliser mon temps libre pour les poursuivre. L’équilibre travail/vie personnelle est donc important pour moi. C’est d'ailleurs le cas de la majorité des jeunes aujourd’hui (cf cet article IPSOS https://www.ipsos.com/fr-fr/observatoire-societal-des-entreprises-le-rapport-au-travail-de-la-generation-z) notamment car on ne sait pas si notre génération bénéficiera d’un régime des retraites. En réalité, mon jeune ami répond "à côté" : j'avais parlé d'un ingénieur passionné par son métier, et pas quelqu'un qui aime raisonnablement ce dernier. J'insiste : les mots ont un sens, et une passion n'est pas un simple amour. Quant à la question de la retraite, c'est une contingence dont la passion n'a que faire. Je reprends cette formule : le talent fait ce qu'il peut, mais le génie fait ce qu'il doit. Le génie ? C'est la passion. * Moi, je n'ai pas parlé d'investissement, mais de temps passé à faire que l'on aime passionnément.

samedi 21 juin 2025

Des échanges avec un élève ingénieur qui cherche sa voie

J'avais écrit "dans une école d'ingénieurs, les étudiants qui ont fait le choix d'y aller visent quand même le métier d’ingénieur.” Et un élève ingénieur me répond : "Alors que j’arrive à la fin du cursus ingénieur, être ingénieur n’est encore pas clair pour moi et cela l’était encore moins quand j'ai commenc mes études d'ingénieur. De ce fait, oui, je visais le métier d’ingénieur mais j’ai surtout fait ce choix car je savais que je voulais travailler dans l’industrie agroalimentaire et développer des produits ou ingrédients en comprenant ce qu’il se passe "à l’intérieur" d’un produit. Ce métier et ce secteur m’intéressent toujours mais lors de ma formation d’ingénieur, j’ai découvert des disciplines de recherche que j’ignorais avant. En exagérant un peu, la recherche se limitait pour moi dans les grandes lignes soit à un mathématicien qui cherche à démontrer toute sa vie durant un théorème, soit aux médecins chercheurs qui espèrent trouver des traitements pouvant soigner le plus grand nombre. Je ne pensais pas que la recherche pouvait être appliquée aux aliments et dont qu’une carrière pouvait se construire là-dessus. Celui que j'étais il y a 3 ans me rirait au nez si je lui disais que je recherche une thèse actuellement… Ainsi, je me tourne vers une carrière scientifique parce que je ne savais pas que cela était possible dans le domaine de l’alimentaire." Commençons par le commencement : savoir ce qu'est un ingénieur. Le TLFi donne d'abord un sens ancien : "elui qui construisait ou inventait des machines de guerre ou qui assurait la conception et l'exécution des ouvrages de fortification ou de siège des places fortes. " mais aussi un sens moderne : "Personne qui assure à un très haut niveau de technique un travail de création, d'organisation, de direction dans le domaine industriel." Cela étant établi, je repère une incohérence dans la réponse de mon jeune ami Cela étant établi, je repère une incohérence dans la réponse de mon jeune ami, parce qu'il vise une carrière scientifique, alors qu'il envisage une "recherche appliquée aux aliments"... c'est-à-dire un travail technologique. Bref, notre ami veux faire de la technologie... et où faire cela mieux que dans l'industrie (alimentaire dans son cas) ? D'autre part, les thèses ne sont plus aujourd'hui des travaux seulement scientifiques. Depuis que la thèse d'état et la technique de docteur ingénieur ont fusionné, on peut très bien faire une thèse de technologie... pour travailler ensuite dans l'industrie. On dispose d'une formation qui prolonge les études en école d'ingénieur ou en mastère, et l'on peut alors mieux exercer son métier. Bref, notre jeune ami confond science et technologie, preuve que son école d'ingénieur n'a pas suffisamment expliqué la différence, ou qu'il n'a pas bien écouté ou compris.

samedi 14 juin 2025

L'évaluation des manuscrits scientifiques soumis aux revues doit être mieux prise en compte dans l'évaluation des scientifiques !

Dans nos organisations d'enseignement supérieur, nos partenaires industriels nous réclament aujourd'hui que nous formions bien les "collègues plus jeunes" (ma terminologie pour désigner les étudiants qui bénéficient d'une carte d'étudiant) à l'évaluation des articles scientifiques. J'ai bien dit l'évaluation, et non pas seulement la lecture. Pour la lecture, c'est fait, mais ce qui est en jeu, c'est de reconnaître si un article scientifique est fiable ou non... nouvelle preuve que je ne suis pas complètement insensé de dire que les revues scientifiques font trop souvent mal leur travail, et publient bien trop d'articles médiocres. Dans notre groupe de recherche, nous en sommes réduits, quand nous nous échangeons des textes, après une étude bibliographique, à les assortir d'un mmm (exécrable), mm (très mauvais), m (mauvais), b (bon), bb (très bon), bbb (excellent)... et nos statistiques montrent, hélas, que la balance penche puissamment du mauvais côté. Je ne compte pas ces textes qui commencent par "la couleur des aliments est le paramètre le plus important de l'appréciation gustative" ; ces textes dont la description des matériels et des méthodes est insuffisante pour reproduire l'expérience ces textes où fleurissent les adjectifs et adverbes, qui auraient dû être remplacés par la réponse à la question "Combien ?" ; ces textes où les interprétations se résument à "nos résultats sont conformes à ceux de XXXX"... Il y a du ménage à faire, et cela de façon urgente ! Nous sommes bien d'accord : les scientifiques doivent faire de la recherche scientifique, et chercher les mécanismes des phénomènes, en mettant en oeuvre cette si belle méthode scientifique que j'ai décrite bien des fois dans ce blog. Toutefois, dans la mesure où nous publions les résultats en les soumettant à des pairs (les "rapporteurs" sollicités par les revues scientifiques), n'avons-nous pas une obligation morale d'accepter à notre tour d'évaluer des manuscrits ? D'ailleurs, il s'agit moins d'évaluer, à savoir déterminer la valeur, que de discuter des manuscrits afin que les auteurs puissent les améliorer, jusqu'à ce que ces textes soient acceptables (et acceptés) pour publication. Bref, je me demande si nous ne devrions pas expertiser autant que nous sommes expertisés, voire davantage à mesure que nous devenons plus capables de mieux conseiller nos amis, de mieux dépister des erreurs ou des imprécisions qu'ils font, toujours avec l'idée de mieux élaborer ce qu'Albert Einstein nommait le Temple de la science. Être rapporteur demande du temps, du soin. Il faut tout autant être vigilant quant aux interprétations que s'intéresser aux références, qu'il faut connaître ou lire. Il faut traquer les erreurs méthodologiques, mais aussi identifier des ambiguïtés de simple rédaction... Bref, ce sont des heures de travail pour chaque manuscrit expertisé. Et l'on doit bien dire, en ces temps de publication à outrance, avec un nombre de scientifiques qui a explosé, un nombre de manuscrit qui a démesurément augmenté, notamment avec l'ouverture de la Chine ou de l'Inde, que les rapporteurs ne suffisent plus à la tâche. Alors que, déjà, nous avions le sentiment qu'expertiser des articles n'était pas "notre métier", lequel était de produire des connaissances. Mais le présent est un appel : nos systèmes d'évaluation, qu'il s'agisse des HCERES ou des systèmes particuliers à chaque organisme de recherche, font la part très faible à l'évaluation des manuscrits scientifiques, et cela n'est pas bon. Déjà, les facteurs H, d'impact ou autres sont des indices bibliométriques que je déteste pour mille raisons qu'il serait trop long de donner, mais rien n'est dit, dans ces indices de cette activité essentielle qu'est l'évaluation scientifique. Il faut changer cela rapidement ! Mais ai-je bien raison d'évoquer l'absence de prise en compte de l'activité de rapporteurs ? Allons, regardons, par exemple, les critères d'évaluation de la section 13 du CNRS : SECTION 13 Chimie physique, théorique et analytique Ces critères sont ouverts, non exclusifs, non hiérarchisés et non strictement cumulatifs. Evaluation périodique des chercheurs Critères communs à tous les chercheurs : Les chercheurs seront avant tout évalués sur la qualité et l'originalité de leurs contributions scientifiques sans se contenter d’un simple examen de critères quantitatifs ou bibliométriques. Ces derniers seront pris en considération en intégrant les spécificités des différentes sous-disciplines qui composent la section et en considérant le contexte local, national et international. L'évaluation périodique prend également en compte les autres dimensions de l'activité de recherche comme la diffusion de la culture scientifique, la valorisation ou le transfert des connaissances, les responsabilités collectives ou de management de la recherche, etc. L’évaluation d’un chercheur est par essence «multicritères». Contributions scientifiques: La section examinera l’ensemble des productions (publications, conférences invitées, ...) en cherchant à faire apparaître le poids relatif des différentes contributions (travail de thèse, travail de post-doc, nouveau(x) sujet(s), ...). L’originalité et l’impact des travaux dans la communauté scientifique seront au cœur de l'évaluation, ainsi que les interactions avec les chercheurs d’autres disciplines ou sous disciplines. L’implication dans des programmes de recherche nationaux et internationaux sera évidemment considérée. Enseignement, formation, encadrement et diffusion de l’information scientifique: La section examinera attentivement tout type de participation à des actions de formation, de dissémination de savoir-faire, de vulgarisation scientifique, d’encadrement, d’organisation de réunions scientifiques ... Mobilité: Il s’agit de la mobilité thématique aussi bien que géographique. Elle ne constitue pas une valeur ajoutée par elle-même, mais par la nouveauté et la dynamique scientifique qu’elle permet. Transfert technologique, valorisation, relations industrielles: La section prendra en compte toute action de valorisation ou de transfert technologique dont les brevets, les procédés brevetés effectivement exploités ayant un poids particulier. Par ailleurs, ces critères seront examinés suivant les spécificités de la sous-discipline du chercheur, celles-ci pouvant se présenter sous différentes formes et chacune ayant son bénéfice, direct ou indirect. Objectifs et dynamisme de la recherche: Ce dernier critère est éminemment qualitatif. Il s’agit d’évaluer en quoi le projet de recherche, à court et moyen terme, s’inscrit dans une dynamique et dans un contexte national et international porteur. Le rôle moteur, le travail en équipe et la prise de risque seront ici, autant que possible, évalués. Remarques importantes pour la rédaction du dossier: La section conseille vivement de présenter la liste des publications en faisant clairement la distinction entre les articles parus dans des revues internationales à comité de lecture, les actes de congrès, les revues sans comité de lecture et les articles de vulgarisation. Il est également conseillé de faire apparaître l’auteur correspondant. De même pour les présentations orales, il conviendra de préciser la nature de celles-ci (communication orale, invitée, séminaire, etc.) et le rôle du chercheur (orateur ou co-auteur). Il est important qu’un résumé signalétique puisse être communiqué aux membres de la section, que les relations entre l’information scientifique et les données quantifiables apparaissent de manière claire et que les rapports d’activité «à vague» et «mi-vague» soient concis. Donc, je n'avais pas tort : pas une ligne -explicite- sur l'activité d'évaluation des manuscrits. Cela n'est pas bon, et doit être changé rapidement, vu la qualité médiocre de bien trop d'articles publiés actuellement !

dimanche 8 juin 2025

Encore, à propos de "recherche"

 
Le mot recherche est une plaie, en quelque sorte,  parce que tout le monde le met à sa sauce : 

- les artistes font de la recherche, mais de la recherche artistique, 

-  les scientifiques font de la recherche mais de la recherche scientifique ; 

- et  dans l'industrie, les techniciens et les ingénieurs sont également de la recherche, en général technologique 

-  les enseignants, s'ils font bien leur métier sont sans cesse en position de recherche didactique

- etc. 

Bien sûr, je vois la différence entre la pratique et la conceptualisation. Un médecin qui soigne bien ses patients a une bonne pratique et, s'il fait bien cette pratique, c'est qu'il se fonde sur des concepts qu'il manie clairement.
Inversement, l'activité de conceptualisation qu'il peut faire serait en quelque sorte gâchée s'il ne publiait pas des textes où il décrirait cette conceptualisation. Bien sûr, il peut la garder pour lui-même, pour améliorer sa pratique. En tout cas, il est en position de recherche technologique puisque la médecine est une pratique,  donc une technique ,ainsi que l'avait  très bien observé le grand physiologiste Claude Bernard.

Mais je reviens au mot recherche en restant maintenant dans ce domaine de la médecine : ce même Claude Bernard, qui expliquait que la médecine était une technique, a bien observé que la recherche clinique était une recherche technologique, et que la science, la recherche scientifique correspondant à la médecine avait pour nom la physiologie. 

Dans le champ voisin de la pharmacie, il y a des recherches de médicaments : c'est de la recherche appliquée donc, et cela correspond à la recherche technologique. La recherche scientifique, pour la pharmacie, correspond manifestement à des études de biochimie ou de chimie fondamentale.
Et, en passant, on observera que s'il y a de la recherche appliquée, il ne peut y avoir de science appliquée !

Et l'ingénierie dans tout cela ? Il y a également là une technique et une technologie c'est-à-dire une pratique et une recherche. Mais pas une recherche scientifique.

samedi 31 mai 2025

Je suis partagé

Rencontrant des étudiants brillants, je suis partagé quant au conseil à leur donner sur le choix de leur carrière : science, ou technologie ?

Hier, un de mes collègues s'est avancé à pousser un de ces étudiants à faire une carrière scientifique, et je crois que l'intention n'était pas mauvaise :  il s'agissait de recruter parmi les meilleurs pour nos laboratoires.
Mais inversement, je me dit aussi que, dans une école d'ingénieurs, les étudiants qui ont fait le choix d'y aller visent quand même le métier d'ingénieur, l'industrie, la technologie,  et c'est à ce titre, et également en considération de l'intérêt national,  que j'aurais tendance à inviter les étudiants à se diriger vers l'industrie : il faut à notre pays une industrie forte, qui résulte d'une industrie bien pensée, bien dirigée. Pensons à des Eiffel, des Jean Muller, des Armand Peugeot... 

A la réflexion, je crois qu'il n'y a pas lieu de pousser nos jeunes amis dans une direction plutôt que dans une autre ; il vaut bien mieux, plutôt,  leur exposer aussi justement que possible les attendus sur lesquels ils pourront fonder leur choix. 

Il nous faut démonter les fantasmes, montrer la réalité des travaux, inviter à connaître les aspects individuels ou les aspects collectifs,  envisager les intérêts intrinsèques, extrinsèques et concommitants associés à leur personnalité particulière. 

Pendant quelques instants, j'ai eu la tentation de dire ici qu'il fallait un engagement absolu pour faire de la bonne science, y penser sans cesse, et que cela aurait été la caractéristique de la vie scientifique, mais ne faut-il pas se retrousser également les manches pour être un bon ingénieur, y passer beaucoup de temps également ? 

Oui, on ne fait rien de bon sans engagement, et cet engagement ne doit pas nous coûter : le psychanalyste Jacques Lacan avait cette formule "Là où Ca est, je dois advenir", et elle se rapproche du  "le talent fait ce qu'il peut et le génie fait ce qu'il doit".
Et cela quelle que soit l'activité : le musiciens passionné de musique aimera faire des gammes : le chimiste passionné de chimie sera passionné de formules, d'expériences et de calcul, l'ingénieur passionné de son métier passera tous ses moments, vacances ou week ends à exercer son métier, sa passion ; le peintre fou de peinture pendra sans relâche, le médecin passionné de médecine soignera inlassablement ; le plombier passionné de plomberie fera des chefs d'oeuvre, l'administrateur cherchera sans cesse les moyens les plus intelligents d'administrer...


samedi 17 mai 2025

Apprendre la "chimie culinaire" ? Ou bien apprendre de la chimie pour faire la cuisine ?

A un jeune pâtissier qui veut apprendre, je réponds : 

 


1. Le Glossaire des métiers du goût est un dictionnaire en ligne des termes des métiers de cuisine, pâtisserie, charcuterie etc.
La différence avec d'autres dictionnaires, c'est que c'est un dictionnaire en constante progression, et, surtout, REFERENCE, et fondé sur des recherches historiques sérieuses, dans les livres de cuisine française du passé.
Je pense surtout aux jeunes qui veulent apprendre, et, aussi, je cherche à faire grandir le métier, sans les confusions habituelles de mousses/émulsions, mayonnaise/rémoulade etc.

2. Pour les Séminaires de gastronomie moléculaire, qui sont ici :
Il s'agit de réunions publiques pour les professionnels : nous testons des idées techniques, souvent classiques... et nous avons presque autant de surprises que de séminaires. Ces travaux devraient être suivis par tous les enseignants (et ils le sont déjà beaucoup).

J'ajoute que TOUT est gratuit, puisque je suis un agent au service de l'état, et engagé au service de la profession depuis des décennies. Et c'est ainsi que j'ai des chroniques gratuites dans les journaux des charcutiers, des TBI, etc.

3. Pour des livres pas entièrement idiots :
La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, Editions Odile Jacob
Mon histoire de cuisine (Ed Belin) : un peu ce que vous cherchiez initialement

 

mardi 29 avril 2025

J'ai des amis merveilleux... mais qui croient à l'homéopathie. Comment est-ce possible ?

 
J'ai des amis qui croient à l'homéopathie, et cela me peine :  ne comprennent-ils pas qu'ils font le jeu de malhonnêtes ?</b> Ce matin, m'est venue une hypothèse, afin comprendre pourquoi certains de mes amis, bien qu'intelligents, tombent dans le piège de l'homéopathie : je crois qu'il y a notamment une question de <b>culture scientifique insuffisante</b>. Je m'explique, en partant de faits. Donc, j'ai des amis qui sont intelligents, honnêtes, droits, travailleurs (dans leur métier ; permettez-moi de ne pas dire lequel, afin qu'ils ne se reconnaissent pas)... Bref, beaucoup de qualités. Mais, un "défaut" : ils croient à l'homéopathie, au point même d'être prosélytes. Bien sûr, je suppose que le débat sur l'inefficacité de l'homéopathie ne leur a pas échappé, mais je pense que : 1. voyant qu'il y avait des "pour" et des "contre" 2. observant que les deux camps reconnaissent un effet (les "contre" ont l'honnêteté de dire qu'il y a le même effet que tout placébo) ils concluent en faveur de cette "médecine". D'ailleurs, après tout, ne voit-on pas ces produits exposés dans des pharmacies (qui sont donc complices des producteurs) ? Pour certains, comme moi, la cause est entendue, et <b>l'homéopathie n'est que du placébo</b>, car  un produit ne peut pas agir s'il n'est pas présent ; or certaines dilutions homéopathiques sont telles qu'il y a  (bien) moins d'une molécule dans ces produits, de sorte qu'aucune action n'est possible. La  prétendue "dynamisation" ? Jamais établie, d'autant que le fouillis moléculaire l'éliminerait immédiatement. Mais ce raisonnement n'est que ceux qui, comme moi, savent ce qu'est une molécule ! Or je suis heureux d'indiquer que le podcast d'AgroParisTech où j'explique ce qu'est un composé (<a href="http://www2.agroparistech.fr/podcast/Qu-est-ce-qu-un-compose.html">http://www2.agroparistech.fr/podcast/Qu-est-ce-qu-un-compose.html</a>) est un des plus regardé du site, et qu'il m'a valu des remerciements de nombreux amis du monde des métiers du goût. Lesquels ignoraient tout de cela, et découvraient des idées utiles pour interpréter les phénomènes qu'ils observent chaque jour dans leur cuisine. <b>Oui, je crois que c'est cela, l'origine de certaines croyances dans l'homéopathie : l'ignorance de la structure moléculaire et atomique de la matière, l'ignorance des règles de comportement des atomes et des molécules. </b> Et c'est donc pour mes amis que je prends un (précieux) moment, à expliquer maintenant toute cette affaire.  Partons de l'eau, pour commencer. D'un verre d'eau. C'est un liquide transparent, qui semble bien immobile si on ne le bouge pas. <div class="separator"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-WPfrmZqOlJ0/XL290m_ZgSI/AAAAAAAABQI/9AYBl5MGoYU4IQyO0-Ksvsvge87YZ-JEACLcBGAs/s1600/verre%2Bd%2Beau.jpg"><img src="https://3.bp.blogspot.com/-WPfrmZqOlJ0/XL290m_ZgSI/AAAAAAAABQI/9AYBl5MGoYU4IQyO0-Ksvsvge87YZ-JEACLcBGAs/s1600/verre%2Bd%2Beau.jpg" border="0" /></a></div> Regardons-le avec une loupe : on ne voit rien de particulier. <div class="separator"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-ZMwJk-pBm1o/XL2-YfNQWQI/AAAAAAAABQQ/cV1-7RpiwCAhvj0eNWEBXXF5GiHXvUZFgCLcBGAs/s1600/loupe.jpeg"><img src="https://1.bp.blogspot.com/-ZMwJk-pBm1o/XL2-YfNQWQI/AAAAAAAABQQ/cV1-7RpiwCAhvj0eNWEBXXF5GiHXvUZFgCLcBGAs/s1600/loupe.jpeg" border="0" /></a></div> Puis regardons avec un microscope : rien n'apparaît non plus. <div class="separator"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/kfah1SUBnzEq3i3DqLinQeLrPMAXktCuQCLcBGAs/s1600/microscope.jpg"><img src="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/kfah1SUBnzEq3i3DqLinQeLrPMAXktCuQCLcBGAs/s320/microscope.jpg" width="247" height="320" border="0" /></a></div> Et regardons avec un super-microscope : toujours rien ! <div class="separator"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/BMvjbmbeRkoJVqfdVRLoAPzUwbCMba0jwCEwYBhgL/s1600/microscope.jpg"><img src="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/BMvjbmbeRkoJVqfdVRLoAPzUwbCMba0jwCEwYBhgL/s320/microscope.jpg" width="247" height="320" border="0" /></a></div> Pourtant, si nous déposons très délicatement une goutte d'encre ou un cristal violet de permanganate de potassium au fond du verre, nous voyons un halo coloré se répartir dans le verre. Mystère !  Oui, mystère quasiment au sens étymologique du terme : comment est-il possible que le permanganate ou l'encre soient ainsi mis en mouvement, alors que tout semblait immobile ? C'est là la merveilleuse découverte de la chimie de la fin du 19e siècle : l'eau est faite d'objets tous identiques, nommés "molécules" : <div class="separator"><a href="https://4.bp.blogspot.com/--1hrt1JqgdQ/XL2_uS6aBJI/AAAAAAAABQk/zqm4hWyARnErY_BBzaPoAUL8Yj3PQtPugCLcBGAs/s1600/molecules%2Bd%2Beau.png"><img src="https://4.bp.blogspot.com/--1hrt1JqgdQ/XL2_uS6aBJI/AAAAAAAABQk/zqm4hWyARnErY_BBzaPoAUL8Yj3PQtPugCLcBGAs/s320/molecules%2Bd%2Beau.png" width="320" height="265" border="0" /></a></div> Et, contrairement à l'image précédente, contrairement à l'image suivante, les molécules sont des objets tous en mouvement, avec une vitesse moyenne de 400 mètres par seconde ! Oui, l'eau grouille, et l'on a une meilleure idée avec une vidéo : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=x8Atqz5YvzQ">https://www.youtube.com/watch?v=x8Atqz5YvzQ</a> où les mouvements sont considérablement ralentis ! Avec cette image, on comprend l'expérience de la goutte d'encre et du permanganate de potassium : initialement, les molécules de l'encre, ou les ions potassium et permanganate respectivement, sont groupés. Mais les molécules d'eau qui viennent les heurter, d'innombrables fois, les dispersent progressivement. Ah, j'oubliais, et le "d'innombrables" m'y fait penser  : je n'ai pas dis que, dans un verre d'eau, il y a environ un million de milliards de milliards  de molécules d'eau ! <b>Mais revenons à l'homéopathie, munis de ces connaissances</b> Les médicaments n'agissent évidemment que s'ils sont présents : en général, ils ont des "récepteurs" dans l'organisme, c'est-à-dire qu'ils viennent se lier à des protéines (le plus souvent), comme des clés viennent se loger dans des serrures. Et quand la bonne clé vient dans la bonne serrure, alors il y a une action dans l'organisme. De sorte que l'on comprend que, <b>quand il n'y a pas de clé, il n'y a pas d'action : quand il n'y a pas de molécule d'un composé, il ne peut pas y avoir d'action. </b> Et c'est là où le bât blesse, à propos de l'homéopathie : les dilutions sont si grandes qu'il n'y a pas de molécules actives, mais seulement des molécules de l'excipient : de l'eau ou du  sucre, par exemple. Oui, comment un produit pourrait-il agir s'il n'est pas présent ? Certains partisans de l'homéopathie répondent en invoquant une prétendue "dynamisation", tout comme on l'entend à propos de la méthode de culture nommée "biodynamie", où l'on est replongé au Moyen Âge, avec des effets qui résulteraient du mouvement d'un fer dans de la bouse, à condition d'être fait sept fois dans le sens des aiguilles d'une montre. Et puis quoi, encore ? Pourquoi pas l'imposition des mains, la divination, les tables tournantes, les fantômes, les feux follets, les soucoupes volantes, et j'en passe et des meilleures ? Le bon Cyrano de Bergerac, déjà, disait : <b>"On ne m'a quasi jamais relaté aucune histoire de Sorciers, que je n'aye pris garde qu'estoit ordinairement arrivée, à trois ou quatre cent liëues delà"</b>. Et cela reste vrai aujourd'hui : on m'a parlé de rebouteux, et, le jour où je me suis foulé le pied dans le Tarn, il y en avait un a un diner, qui a voulu me rétablir ; je me suis laissé faire sans y croire, et le lendemain, j'étais quand même à l'hôpital. Tout comme les baguettes de sourcier : les expériences que nous avons faites à la revue <i>Pour la Science</i> ont montré... qu'il n'y avait aucune action. Les tables tournantes ? Le chimiste Michel Eugène Chevreul, par exemple, les a réfutées, tout comme le chimiste Michael Faraday. Et ainsi de suite, mais l'hydre repousse ses têtes, et il vaut donc mieux s'interroger pour comprendre comment des gens "intelligents" peuvent tomber dans le panneau. D'autant que, souvent, ce sont les mêmes qui croient à l'homéopathie ou aux tables tournantes, et autres prétendus effets ! La prétendue dynamisation, pour y revenir ? Au moment de l'affaire de la mémoire de l'eau, j'ai rencontré un illuminé qui me prétendait que si l'on mettait, dans un circuit électrique, de l'eau et de l'acide cyanhydrique dans une ampoule fermée, alors le poisson passerait dans une autre ampoule ne contenait que de l'eau. J'ai fait l'expérience et j'ai bu l'eau de l'autre ampoule... mais je suis bien vivant ! Alors la prétendue dynamisation ? J'espère que la vidéo des molécules d'eau fera comprendre que toute action locale (qui ne peut être qu'un mouvement des molécules) sera perdu immédiatement. Surtout  : ces "effets prétendus", de quelle nature seraient-ils ? Évidemment, il y a le nombre sept, qui est un nombre premier... mais ce n'est au fond qu'un nombre premier. Et les nombres premiers n'ont jamais tué personne... ni dynamisé quoi que ce soit. <b>Tout cela pour dire que nous nous essoufflons à vouloir réfuter nos amis qui ont des prétentions exorbitantes. Au fond, ne devons-nous pas seulement leur demander la preuve de ce qu'ils avancent ? De vraies preuves, et pas des "on dit que" comme ils nous l'assènent ? Laissons-les passer leur temps à chercher des "preuves", si cela les tente, mais quelle folie ! </b> Alors qu'il y tellement mieux à faire, à découvrir les véritables beautés de ce monde. Oui, utilisons notre temps à l'école, à faire comprendre que les sciences de la nature sont merveilleuses, à faire comprendre que Jean-Sébastien Bach fut un génie, pour des raisons techniques et artistiques qu'il faut prendre le temps d'admirer, que Léonard de Vinci fut un personnage vraiment extraordinaire, que Friedrich Gauss fut un génie, que Rabelais fut un homme d'un art accompli... PS. J'ajoute que la religion est un facteur qui peut contribuer à croire à des effets "miraculeux" : les textes religieux ne font-ils pas états de "miracles" ?

jeudi 13 mars 2025

Chez les Compagnons

Alors que les Compagnons de la Cayenne de Paris (Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis)  viennent de m'inviter pour que leur parle de cuisine, je sors rafraîchi de les avoir rencontrés parce que, leur parlant après la présentation, j'ai vu des personnes assez jeunes, très enthousiastes de leur métier et du travail qu'ils font. 

Il y avait des cuisiniers, des pâtissiers, des graveurs sur pierre, et cetera et tous étaient intéressés d'apprendre, non seulement d'apprendre des points précis, mais aussi de la méthode. Et en tout cas, deux d'entre eux m'ont bien dit que c'est aussi bien l'état d'esprit que je proposais que les résultats particuliers que je montrais qu'ils retiraient de ma présentation. 

C'est beaucoup plus que ce que j'espérais, notamment quand je me souviens d'une présentation analogue que j'avais faite dans le même endroit, il y a de cela 30 ans. À cette époque, dans le groupe, il y avait certes des gens également intéressés par leur métier mais il y avait aussi des cuisiniers tout à fait réfractaires à la manière nouvelle d'aborder la cuisine, de l'explorer, d'en proposer des modifications... 

En un mot, j'ai trouvé les compagnons d'aujourd'hui plus éclairés que les compagnons de jadis et d'ailleurs, durant ma présentation, il y a eu nombre de questions très intéressantes par des personnes très intéressées. 

Et cela est rafraîchissant  ! J'aime beaucoup cette idée de se retrouver le soir pour travailler, pour apprendre, découvrir, échanger. 

D'ailleurs, la présentation a été suivie d'une sorte de buffet où plusieurs d'entre eux avaient apporté le résultat de leur travail, une terrine, un potage, et cetera,  et les discussions ont continué autour de la table, debout. Souvent des discussions un peu "profondes" et pas ce vernis mondain et ennuyeux que l'on rencontre trop souvent lors de cocktail. Oui, des discussions passionnantes, parce qu'il s'agissait du métier !

mercredi 2 octobre 2024

Je me fais des nœuds alors que je ne devrais pas.

Viennent me voir des professionnels du sel que je ne dois ni surestimer ni sous-estimer. 

 

Je ne dois pas les sous-estimer parce que je suis bien certain que ces artisans ont une belle connaissance de leur métier, qu'ils savent voir le temps qu'il fait et l'influence sur la formation des cristaux dans les marais salants, qu'ils savent jauger l'influence des marées, et cetera.
En revanche, je sais -parce qu'ils me l'ont dit d'avance- qu'ils n'ont pas de connaissance du monde microscopique qui préside à l'organisation de leur cristaux et c'est cela qu'il sera nécessaire de présenter. 


J'ai bien sûr le sentiment que c'est tout simple, puisque je le fais depuis ma plus petite enfance. Mais, au fond, leur dossier de chimie est vide et c'est plus généralement cela qu'il faudra combler.
Par exemple faire la différence entre la cristallisation du sucre et la cristallisation du sel, essayer de comprendre pourquoi on peut dissoudre plus de sucre que de sel dans l'eau, et ainsi de suite. 

Bien sûr, sa question de la saturation est importante, mais après tout il y a aussi celle de la sursaturation, et la question de la germination, qui nécessite donc des germes... 

Bref il y a beaucoup à dire,  et un peu lentement,  pour arriver à leur faire bien comprendre les bases de leur métier. 

Pour autant, je sais qu'il faudra un peu de spectacle sans quoi un exposé lent, didactique, même bien fait, ennuiera. Il faudra recourir à des expériences parce que c'est là la clé de la bonne compréhension, l'expérience focalisant l'attention de tous, mobilisant les sens... 

Bref, ce n'est pas parce qu'il y a lieu d'expliquer quelque chose de simple qu'il y ait lieu de faire ennuyeux et il s'agit de retrouver tout l'enthousiasme que j'avais quand j'étais enfant à propos de ces phénomènes que je connais maintenant si bie. 

vendredi 6 septembre 2024

Cherchons toujours les mécanismes !

Lors de la dernière année universitaire, j'ai eu l'occasion d'observer que nos élèves ingénieurs n'avaient pas suffisamment le réflexe d'aller chercher les mécanismes des phénomènes qu'ils considéraient.
De sorte que, cette année, au moins pour ce qui me concerne, je serai très insistant à ce propos car je crois que c'est là la clé du bon exercice du métier d'ingénieur. 

Je ne méconnais pas que ce métier a une composante strictement technologique au sens de l'amélioration des techniques, de la résolution de problèmes techniques, de la mise au point des produits, et une composante d'encadrement d'équipe, de gestion de projet. Ici, c'est bien la question technologique qui m'intéresse et l'expérience montre amplement que des maniments superficiels des questions ne mènent à rien, font perdre du temps... 

La clé du succès, c'est la compréhension des phénomènes et la mise en œuvre de solutions guidées par cette compréhension.
Il faut chercher le mécanisme en terme de chimie, de physique, de biologie et c'est ensuite, quand on a une description des phénomènes, une analyse des questions en ces termes scientifiques, que l'on peut résoudre les problèmes de façon efficace. 

Je prends la précaution d'ajouter que je ne cherche pas à transformer nos ingénieurs en scientifiques, en personnes qui cherchent les mécanismes des phénomènes. Non, il s'agit plutôt que nos élèves ingénieurs aillent chercher la connaissance des mécanismes produites par les scientifiques et mettent en œuvre cette connaissance pour les questions qu'ils traitent. 

D'ailleurs, celles et ceux qui ont concocté les programmes de préparation aux écoles d'ingénieurs ont bien compris tout cela puisqu'ils ont mis au programme des matières fondamentales telles que mathématiques, chimie, physique, biologie.
Nos élèves ingénieurs bénéficient de ce socle très ferme , et nous avons la mission de les faire avancer plus loin. Ils auraient tort s'ils pensaient pouvoir ne plus traiter ces questions, et d'ailleurs, beaucoup aiment ces matières. Poursuivons donc sur la lancée, incitons-les à ne pas oublier les connaissances qu'ils ont acquises et, au contraire invitons les à développer leur connaissance dans tous ces champs car c'est ainsi qu'ils feront d'excellents ingénieurs. 

Cela a été bien compris notamment par l'Ecole de physique et de chimie de Paris, où  l'enseignement « scientifique » est très poussé, sans négliger  pour autant les questions pratiques : il y a des séances expérimentales tous les après-midi pendant 4 ans. 

 

Aidons nos amis à devenir d'excellents ingénieurs ! 

mardi 16 juillet 2024

La question de la critique et de l'esprit critique

 
Nous demandons souvent aux étudiants de faire preuve d'esprit critique... mais nous ne leur disons pas ce que c'est, ni comment faire. Cet enseignement ne nous revient-ils pas ? J'entends déjà des collègues me répondre que les étudiants sont grands, et qu'ils peuvent chercher cela par eux-mêmes, mais, alors, ne devons-nous pas donner des sources fiables ? Après tout, enseigner, c'est faire un signe... pour désigner des sources, par exemple.

Là, je trouve dans quelques sources que le terme critique dériverait du terme grec kritikē (κριτική), signifiant « (l'art de) discerner », c'est-à-dire le fait de discerner la valeur des personnes ou des choses.  Sans référence ?
Le Trésor de la langue française informatisé indique que "la critique" serait la "Capacité de l'esprit à juger un être, une chose à sa juste valeur, après avoir discerné ses mérites et défauts, ses qualités et imperfections." Et notamment "Esprit de libre examen qui, dans ses jugements, écarte, rejette l'autorité des dogmes, des conventions, des préjugés."
Mieux, cette définition : "Méthode d'examen mettant en jeu des critères variables selon les domaines, d'après lesquels il est possible de discerner les parts respectives des mérites et des défauts d'une entreprise, d'une œuvre, d'un système de pensée. Critique biblique, expérimentale, sociale, théologique. La critique, cet art précieux d'apprécier les productions scientifiques (MARAT, Pamphlets, Les Charlatans mod., 1791, p. 271).
Il y aurait aussi "Jugement de valeur qui constitue la seconde phase de la capacité de l'esprit à juger un être, une chose à sa juste valeur."

Et, surtout, il y a l'étymogie :
Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. 1580 subst. fém. « art de juger les œuvres de l'esprit » et « jugement porté sur ces œuvres » (J. SCALINGER, Lettres, 109 ds R. Hist. litt. Fr., t. 8, p. 502); d'où 1810 « ensemble de ceux qui font métier de cette critique » (CHATEAUBR., Martyrs, préf., p. 27); 2. 1663 « action d'émettre des jugements défavorables » (MOLIÈRE, École des femmes, I, 1). II. 1. 1637 subst. masc. « celui qui juge » (J. CRESPIN, Thresor des trois langues); 2. spéc. 1674 « celui qui juge des ouvrages de l'esprit » (BOILEAU, Ep., I ds LITTRÉ). III. 1667 adj. « qui est porté à émettre des jugements (œuvre littér.; idées) » esprit critique (BOILEAU, Sat., IX ds LITTRÉ); 1694 péj. « qui trouve à redire à tout » (Ac.); 1678 (RICHARD SIMON, Histoire critique du vieux Testament ds CIOR. 17e). Empr. au lat. class. criticus subst. masc. (empr. au gr. « qui juge les ouvrages de l'esprit », dér. de « juger, estimer »).

Dans le domaine de la philosophie, Kant a utilisé le terme pour désigner un examen de réflexion de la validité et les limites de la capacité de l'homme ou d'un ensemble de revendications philosophiques.
En philosophie moderne, le terme "critique" désigne une enquête systématique sur les conditions et conséquences d'un concept, la théorie, la discipline, ou une approche et une tentative de comprendre ses limites et la validité.
Un point de vue critique, en ce sens, est le contraire d'un dogmatique.

Je vois dans un texte non référencé que les capacités propres à la pensée critique seraient :
    La concentration sur une question.
    L’analyse des arguments.
    La formulation et la résolution de questions de clarification ou de contestation.
    L’évaluation de la crédibilité d’une source.
    L’observation et l’appréciation de rapports d’observation.
    L’élaboration et l’appréciation de déductions.
    L’élaboration et l’appréciation d’inductions.
    La formulation et l’appréciation de jugements de valeur.
    La définition de termes et l’évaluation de définitions.
    La reconnaissance de présupposés.
    Le respect des étapes du processus de décision d’une action.
    L’interaction avec les autres personnes (par exemple, la présentation d’une position à l’aide d’une argumentation orale ou écrite).

Mieux, un autre texte cite Boisvert, qui inclut sous le nom d'"esprit critique", les attitudes suivantes  :
    Le souci d’énoncer clairement le problème ou la position.
    La tendance à rechercher les raisons des phénomènes.
    La propension à fournir un effort constant pour être bien informé.
    L’utilisation de sources crédibles et la mention de celles-ci.
    La prise en compte de la situation globale.
    Le maintien de l’attention sur le sujet principal.
    Le souci de garder à l’esprit la préoccupation initiale.
    L’examen des différentes perspectives offertes.
    L’expression d’une ouverture d’esprit.
    La tendance à adopter une position (et à la modifier) quand les faits le justifient ou qu’on a des raisons suffisantes de le faire.
    La recherche de précisions dans la mesure où le sujet le permet.
    L’adoption d’une démarche ordonnée lorsqu’on traite des parties d’un ensemble complexe.
    La tendance à mettre en application des capacités de la pensée critique.
    La prise en considération des sentiments des autres, de leur niveau de connaissance et de leur degré de maturité intellectuelle.

Dans cette hypothèse, moi enfant, pour avoir de l'esprit critique, dans une circonstance particulière, j'appliquerais les lignes systématiquement, les unes après les autres.
Mieux, je ne manquerais pas de considérer tout ce qui précède... de manière critique.

mardi 9 juillet 2024

Les six conseils de Michael Faraday

 
Vérifier ce que l'on nous dit. 

Ne pas généraliser activement. 

Avoir des collaborations. 

Entretenir des correspondances. 

Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées.

Ne pas participer à des controverses. 

 

Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune. 

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence... 

Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la différence entre la technique et la technologie, entre le technicien et le technologue. À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. 

L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

 

1. Ne pas généraliser hâtivement : c'est bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions, des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions, qui permettront de bâtir des théories. 

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées : cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ? Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation. De surcroît, écrire les idées impose de les formuler, et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui. On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots, puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard. 

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre, proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes. Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase. 

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop. Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher, vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus. Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même. 

5. Vérifier ce que l'on nous dit : là, Faraday donne encore une règle générale de vie, mais je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances, d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles, était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste. 

6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux. Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

mercredi 8 mai 2024

Une expérience, c'est un chemin, avec des pas qui s'enchaînent

Pour préparer une expérience, nous avons dû élaborer un document qui décrivait la préparation de 125 tubes, leur pesée, leur numérotation, la pesée et la numérotation des bouchons, la préparation de 125 échantillons que nous mettrons dans ces tubes, la pesée des 125 tubes emplis.... Sachant que nous pesons trois fois chaque objet, il y aura plusieurs milliers de pesées à  effectuer pour parvenir au bout de l'expérience, et, pour prévoir chaque masse pesée, il faudra évidemment consigner par avance un numéro, une masse, répéter des indications : "pesée de", "pesée de", "pesée de"... en indiquant chaque fois ce que nous allions peser.
Pour cette tâche extraordinairement répétitive, il y a  le risque que l'on se trompe si l'on se lasse. D'ailleurs, quand nous  ferons l'expérience, il y aura donc ces milliers de pesées à effectuer, et le risque d'erreur est encore supérieur.
Car on risque de se lasser, de de bâcler, d'aller trop vite, de mal recopier des chiffres indiqués par la balance... ce qui compromettrait la totalité de l'édifice.

D'où la question :  comment éviter de se lasser à la millième pesée  ? 

J'ajoute que ce cas que je décris ici n'est en rien exceptionnel en science : le métier scientifique est tout entier dans ce genre de procédures, car c'est seulement avec de nombreuses mesures qu'on a quelques chances d'en tirer des équations, de sorte que les progrès théoriques dépendent de l'exactitude d'un travail répétitif.

Viser cet objectif final quand nous ferons les pesées ? Ce serait s'accrocher à un intérêt extrinsèque, et non à un intérêt intrinsèque, bien plus motivant. Oui, je crois qu'il y a lieu de ne pas oublier cela : c'est l'intérêt intrinsèque des travaux qui prime.

Pour la préparation de l'expérience, le simple fait qu'il y ait répétition dans un travail d'écriture doit nous conduire à utiliser l'ordinateur pour produire une écriture juste : la mise au point du (petit) programme nécessaire pour arriver à rédiger la chose peut être intéressante en elle-même.

Puis, quand nous pèserons, quand nous serons en présence de la balance, il faudra sans doute chercher à nous améliorer à chaque pesée, de sorte que toutes puissent être passionnantes.

Dans un billet précédent, j'ai bien expliqué qu'il ne faudra surtout pas penser à autre chose, mais, au contraire, être parfaitement concentré sur la tâche que nous ferons : déposer l'objet bien au centre du plateau de la balance, mesurer nos gestes, poser l'objet sans heurt, recopier les valeurs mesurées en calligraphiant, afin de ne pas confondre un 7 avec un 4 ou un 9 avec un g, par exemple.

À la réflexion, je crois que  nous gagnerions à comparer ce travail des milliers de pesées à une promenade de 1000 pas : à raison d'un mètre par pas, cela fait un kilomètre. Bien sûr, quand nous marchons en terrain plat, notre tête peut penser à autre chose, pendant que nos pieds nous meuvent,  mais pour peu que notre promenade nous emmène sur un sentier qui jouxte un précipice, alors tous nos pas devront être mesurés.
De même, pour notre expérience, nous devons garder en tête cette métaphore du chemin bordant un précipice :  chaque pesée doit être bien faite.
Et la volonté de nous améliorer est peut-être la clé du succès : si, pour chaque pesée, nous nous  demandons comment bouger les doigts, les main, comment poser l'objet sans faire le moindre bruit, comment le saisir, comment ne pas le lâcher, comment lire et consigner les chiffres donnés par la balance, et cetera, alors nous ne pourrons jamais nous nous ennuyer

A chaque instant, nous devons nous souvenir que tout ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait. Dans cette perspective, chaque geste, répétitif ou pas, doit être fait avec intelligence  : en nous demandant comme le faire mieux, en y mettant de l'intelligence, non seulement nous ne nous lasserons pas, mais, de surcroît, chaque geste deviendra si passionnant qu'il sera très bien fait.  

dimanche 28 avril 2024

Il n'est pas vrai que la tête guide la main : la tête et la main sont indissociables.


Derrière toutes ces discussions, il y a évidemment la question des métiers dits manuels et des métiers dits intellectuels, comme si l'on pouvait réduire un métier à l'emploi de ses mains ou de sa tête ! 

La tête guide la main ? Cette phrase est écrite sur une poutre du Musée du compagnonnage, à Tours, et je l'avais affichée sur mon mur. Elle est aujourd'hui barrée. 

Pourquoi évoquer la tête et la main, dans un laboratoire de chimie ? Parce que, dans un tel lieu, il est de la plus haute importance que les expériences soient faites avec le plus grand soin : le bris de récipients qui contiendraient des acides ou des solvants toxiques exposerait le personnel du laboratoire à des dangers parfois terribles. Il faut absolument que nous fassions nos expériences avec calme, précision, concentration. Voilà pourquoi il ne doit y avoir aucun bruit dans un laboratoire de chimie. Aucun bruit de verre, notamment, car un verre heurté peut se briser, et conduire à des catastrophes. 

Toutefois, un jour, alors que des Compagnons du Tour de France sont venus me rendre visite au laboratoire, ils ont vu cette phrase sur mon mur, m'ont interrogé sur sa présence, et, à leur stupéfaction, le commentaire de la phrase que j'ai fait devant eux m'a conduit, devant eux, à barrer la phrase, car j'ai compris qu'elle était fausse. 

Commençons par à analyser pourquoi il n'est pas vrai que la tête guide la main. Imaginons que nous voulions prendre un verre posé devant nous. Il faut d'abord que la tête donne l'ordre au bras de s'étendre et à la main de se diriger vers le verre : la tête guide la main. Toutefois il faut sans cesse corriger le mouvement du bras, ce qui impose à l'oeil de déterminer la position de la main et du verre. Les informations de l'oeil vont à la tête. Évidemment, on pourrait considérer que l'oeil fait partie de la tête, mais à ce moment-là, la main aussi, et ce serait le corps qui guide le corps, ce qui serait une tautologie. 

Mais continuons l'analyse. Les doigts approchent du verre, et la tête leur dit de se refermer. Si les doigts qui se referment ne disent pas à la tête la pression exercée, alors la tête ne pourra pas modifier cette pression et éviter le bris du verre. C'est d'ailleurs quelque chose qu'ont bien compris les constructeurs de robots : il faut sans cesse un échange entre la tête, la main, l'oeil, le pied, que sais-je ? 

Avec sa Lettre sur les aveugles, Diderot avait très bien analysé que nous ne pouvons penser sans les sens, et que, de ce fait, la question de la tête et de la main est mal posée. Il n'y a pas la tête d'un côté et la main de l'autre ; il y a l'être, avec tête et mains… et voilà pourquoi j'ai barré cette phrase, que je ne crois pas juste.

dimanche 21 avril 2024

La question des questions scientifique


Lors d'évaluations des travaux scientifiques, qu'il s'agisse de juger des rapports écrits ou des présentations orales, il y a souvent la question des questions scientifiques : lesquelles ont-elles été retenues pour les travaux effectués ? 

Les évaluateurs, s'ils font bien leur métier, doivent distinguer les questions scientifiques des questions technologiques. Les unes ne sont pas mieux que les autres, ou les autres que les unes, mais il y a des différences de nature : dans un cas (les sciences de la nature), on cherche à repousser les frontières de l'inconnu, mais, dans l'autre, on veut perfectionner des techniques, introduire des méthodes nouvelles, inventer et non pas découvrir. 

Ici, je m'interroge sur les questions scientifiques, et non pas sur les questions technologiques, faisant l'hypothèse (bien exagérée, hélas) que nos évaluateurs sauront faire la différence. Comment sélectionner nos questions (scientifiques, donc) ? 

Pourquoi avons- nous choisi les questions que nous explorons ? Cette... question est évidemment très difficile, et si l'on se reporte à d'autre billets, on verra que je propose moins d'y répondre que de s'être interrogé, en vue de pouvoir y répondre un jour de façon claire. Oui, je propose que nous sachions répondre clairement à : 

1. quelles questions scientifiques explorons-nous ? 

2. pourquoi avons-nous choisi ces questions plutôt que d'autres ? 

Etre capable de dire quelle est la question que nous explorons, c'est la clé de voûte de l'ensemble du travail, car la réponse à cette question conditionne le choix des méthodes que nous mettons en œuvre. Si l'objectif est connu, alors le chemin qui y mène pourra être choisi, mais l'inverse est plus hasardeux. Certes, il se peut fort bien qu'une question soit inaccessible et moins intéressante que le chemin que l'on empruntera, chemin au cours duquel nous ferons mille découvertes, et peut-être même des découvertes importantes, si l'esprit est préparé, mais on conviendra que la méthode est quand même hasardeuse, et manque de réflexion. Pour ce qui concerne les raisons pour lesquelles nous choisissons une question plutôt qu'une autre, c'est là, à nouveau, un sujet de discussion que je propose d'avoir, car les scientifiques savent bien que certaines questions sont plus "porteuses" que d'autres, en termes de frontières de l'inconnu repoussées. 

Certaines études trouvent une réponse à une question, et font faire des progrès très locaux, ce qui n'est pas mal, mais sans plus. En revanche, dans d'autres cas, les études ouvrent des champs, et l'on ne peut s'empêcher de penser que le travail est alors bien supérieur. On aura compris que, évaluateur (des autres ou de moi-même), je préfère les questions qui ouvrent des champs aux questions qui se limitent à apporter des réponses ponctuelles. Bien sûr, il y a toujours le risque qu'une ambition démesurée conduise à des travaux stériles, et il est sans doute de bonne stratégie d'avoir des travaux à des échelles de temps différentes : petites questions, moyennes questions, grandes questions. 

Pour autant, peut-on faire une carrière sur de petites questions ? C'est peut-être dommage, sauf si l'accumulation de petites questions finit par faire un champ de grande ampleur, une belle construction. Mais on se souvient surtout que, pour les question aussi difficile que celle qui est traitée par ce billet, je n'ai aucune certitude… et surtout des questions. Je demande essentiellement que nos communautés aient des discussions claires à ce propos, afin d'aider les jeunes scientifiques à forger leurs stratégie.

samedi 6 avril 2024

Et si l’on considérait que la vulgarisation s’arrête à la connaissance, et l’enseignement à la compétence ?

 Dans un autre billet, je mettais la limite entre vulgarisation scientifique et technologique, d'une part, et enseignement scientifique et technologique, d'autre part, à l'utilisation du calcul. 

A la vulgarisation, le discours explicatif, de l'extérieur de l'objet, si l'on peut dire ; à l'enseignement le maniement d'équations, de l'intérieur. Ici, je propose une ligne de démarcation qui semble différente, mais qui ne l'est pas, en réalité : la vulgarisation viserait à transmettre des connaissances, mais l'enseignement veut transmettre des compétences. 

Dans les deux cas, vulgarisation et "enseignement", n'y a-t-il pas les questions suivantes, dans le désordre : 

- pourquoi veut-on apprendre ? 

 - que veut-on apprendre ? 

 - comment apprendre ? 

- surtout, qu'est-ce qu'apprendre ? 

Selon le bon dictionnaire qu'est le Trésor de la langue française informatisé (gratuit, en ligne, fait par le CNRS), le mot "apprendre" signifie seulement étudier, acquérir une connaissance, de sorte que ma distinction entre vulgarisation/connaissances et enseignement/compétences est sans doute abusive, mais à quoi bon passer du temps pour avoir une connaissance qui s'évaporera aussitôt obtenue ? Et puis, tant qu'à faire, pourquoi ne pas aller jusqu'au point où la connaissance devient opérationnelle, où elle devient une compétence ? 

Reprenons, en répondant aux questions précédentes, pour la vulgarisation, d'une part, et pour l'apprentissage des étudiants, d'autre part.

 

La question de la vulgarisation

 Pour la vulgarisation, il y a la volonté de mieux comprendre le monde, mais "en plus", si l'on peut dire. Pour beaucoup, il s'agit d'un délassement, un peu passif, à la façon du Dr Watson qui observe Sherlock Holmes. Il s'agit donc de s'émerveiller, sans prétendre avoir les compétences de produire de la connaissance scientifique (parce que cela prend du temps, et que nos amis qui ont des professions prenantes n'ont pas le temps de se consacrer à la recherche scientifique). 

Que veut-on alors apprendre ? A chacun ses goûts, ses envies, puisqu'il s'agit de "loisirs". Comment apprendre ? Le plus simplement possible. Qu'est-ce qu'apprendre, alors ? Obtenir la connaissances des découvertes récentes. 

Apprendre en vue d'exercer un métier  

 Pour l'apprentissage des étudiants (je ne me résous pas à nommer cela de l'enseignement, depuis que j'ai compris que la question est moins d'enseigner que d'apprendre), il y a deux points de vue à réconcilier : celui de la diffusion de connaissances produites, et celui de la formation professionnelle. Dans le temps, l'université n'était pas faite pour donner un métier, et les professeurs faisaient en réalité oeuvre de vulgarisation. Sont apparues les écoles d'ingénieurs, qui ont formé les ingénieurs ; sont apparus les instituts de technologie, pour former ingénieurs et techniciens. Et, dans le même mouvement, l'université s'est mise à donner de la formation professionnelle, pour ceux qui voulaient se donner le temps de choisir, ou qui ne voulaient pas passer des concours, ou pour diverses autres raisons : il y a eu les BTS, les licences professionnelles, etc. 

Mais ne nous laissons pas égarer sur la voie de la description des formations et restons à nos questions. Pour la formation professionnelle, l'objectif est de contribuer à la formation des professionnels, c'est-à-dire des personnes qui savent exercer un métier, et qui n'ont pas seulement des connaissances, mais des compétences ! Cette analyse devrait éclairer les étudiants sur les objectifs qu'ils doivent se fixer : qu'importe qu'ils sachent ce qu'est une équation ; il faut surtout qu'ils sachent la résoudre, qu'ils sachent utiliser les techniques (éventuellement des programmes et des ordinateurs) de résolution. Idem pour les notions de physico-chimie : c'est évidemment très bien de savoir ce qu'est la force de Laplace, ou la viscosité, ou l'énergie libre... mais l'objectif n'est pas là ; les étudiants doivent savoir utiliser ces notions. 

D'où la nécessité d'exercices et de problèmes, qui sont des moyens de tester des compétences. Les "questions de cours" n'ont pas d'intérêt, dans cette perspective. Il s'agit de mettre en oeuvre les connaissances ! Et comme, en science et en technologie, les notions sont toujours quantitatives, c'est bien le calcul que les étudiants doivent maîtriser !

lundi 1 avril 2024

Professeur : quel beau métier !

 Professeur, quel beau métier ! 

Quand on en vient à admirer assez naïvement des choses admirables, on s'expose à la moquerie... mais devons-nous vraiment nous préoccuper des pisse vinaigre ? Cette question a deux objectifs : d'une part, me donner l'occasion de promouvoir cette devise merveilleuse : « le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture » ; d'autre part, faire état -sans naïveté : le terme "naïvement" trouvait une place rhétorique- d'une évidence... oubliée, à savoir que, oui, le métier de professeur est admirable. 

Ce billet, lui, veut surtout rappeler ce qui est en réalité une évidence, à savoir que les professeurs se préoccupent de les étudiants. Une certaine lutte des classes idiote oppose les deux camps : les étudiants qui rechigneraient à faire leurs devoirs, à passer du temps sur les matières « arides » ; les professeurs qui considéreraient que les étudiants sont paresseux. 

Cette vision du monde ne me va pas, tout comme ne me va pas l'opposition encore prétendue mais soutenue par certains selon laquelle, pour les industriels, les chercheurs seraient des êtres abscons, enfermés dans leur tour d'ivoire et quasi inutiles, tandis que, pour les scientifiques, les industriels seraient des individus cupides, terre à terre et pas toujours honnêtes. 

D'ailleurs, on comprend qu'avec l'évocation de la lutte des classes, je déteste la prétendue opposition entre travailleurs et patrons. Je suppose que je n'ai pas besoin d'expliquer beaucoup ce qu'est cette prétendue lutte. 

En revanche, je veux dire ici que les faits sont bien différents : s'il y a effectivement des patrons détestables, il y en a aussi d'honnêtes, qui se charge de la responsabilité d'une entreprise parce qu'ils se soucient d'emploi, du bien être de leurs collègues. 

D'ailleurs, de l'autre côté, il faut dire que s'il y a des travailleurs honnêtes, courageux, travailleurs, il y en a aussi de paresseux, profiteurs... Mais on me connaît : je ne veux voir que le meilleur, et, pour les deux groupes, ce sont ceux qui se soucient du bien d'autre qui m'intéressent : les patrons qui visent l'emploi, le bien être des autres, et les travailleurs travailleurs, ceux qui font bien leur travail, honnêtement, selon les termes du contrat qu'ils n'ont pas manqué de signer avec l'entreprise qui les emploie. 

De même, en remontant la chaîne que nous avions descendue, il y a des scientifiques enfermés dans leur tour d'ivoire... mais il y a aussi les autres, qui sont nombreux. Et s'il y a des industriels obtus, il y en a aussi qui sont merveilleux, et qui savent qu'il faut associer la recherche scientifique et la technologie pour aboutir l'innovation, laquelle profite aux deux parties. 

Enfin, pour remonter au véritable sujet de ce blog, ce qui m'intéresse, c'est de constater qu'il y a des étudiants intéressés par les sujets qui leur sont proposés, sujets qui sont d'ailleurs tout à fait merveilleux : les sciences chimiques, en particulier, sont inouïes, remarquables, admirables, merveilleuse… 

Je n'ai pas assez d'adjectifs pour dire tout le bien je pense de ces matières. Et parmi les professeurs, il y en a effectivement qui se contentent d'avoir un métier, pour qui les étudiants sont sans importance, mais il y a aussi tous ceux qui se décarcassent pour les étudiants dont ils ont la responsabilité. Observons que je n'ai pas dit « la charge ». Oui, il faut dire aux étudiants que certains professeurs sont admirables, et que, par vision politique, ils acceptent des salaires bas, car ils considèrent que la mission d'enseigner vaut des sacrifies : ne s'agit-il pas, en effet, de prévoir le monde de demain ? Ne s'agit-il pas de favoriser des compétences et des comportements qui mettront un peu d'harmonie dans notre monde ? 

 

A partir du moment où on cesse de voir le monde par le prisme idiot de la lutte des classes, tout devient plus simple, les rapports sont apaisés, les objectifs sont plus clairs pour chacun, les intentions aussi. C'est pour cette raison que j'en reviens maintenant à ce que j'avais nommé le contrat d'enseignement. Quand il est rédigé, il ne faut pas le laisser moisir sans le considérer, au contraire. 

Je propose qu'il fasse l'objet d'une discussion préliminaire, voire d'une rédaction commune par les professeurs et les étudiants. Il ne s'agit pas d'une espèce de formalité, mais du socle sur lequel doivent s'ériger les activités conjointes des étudiants et des professeurs. Récemment encore, alors que nous avions pris soin de préparer un document soigneux, je sais qu'il a été lu trop vite, et que certains étudiants n'ont pas pu profiter pleinement du système d'apprentissage que nous avions prévu pour eux. Nous aurions dû y passer plus de temps, et peut-être même interroger les étudiants (sans évaluation, bien sûr) pour nous assurer qu'ils avaient bien capté les informations essentielles que nous voulions transmettre. Il en va de la réussite du projet d'enseignement que nous avons en commun. 

Certes, cela prendra un peu de temps d'enseignement, mais l'expérience prouve que nous ne pouvons pas en faire l'économie. 

Finalement on aura observé que, dans ce billet, j'utilise le mot de "professeur", et non pas d'"enseignant". On se reportera à un autre billet pour voir pourquoi le mot d'"enseignant" me déplaît. En substance, quand même, il y a le fait que je répète que l'enseignement est moins important que l'apprentissage, et qu'il ne s'agit pas pour les enseignants d'enseigner, mais il s'agit pour les étudiants d'apprendre. 

A quoi bon le changement de mots ? Professer, c'est soutenir des thèses, « dire devant » : le professeur a un discours, et ce discours ne se réduit pas à des informations techniques, mais à un mode de vie, et l'on voit d'ailleurs, dans l'histoire des sciences, que les grands professeurs ont toujours été des individus qui se préoccupaient d'un cadre qui conduisait les étudiants à mieux apprendre, à apprendre en connaissance de cause, à apprendre par un apprentissage qui avait du sens, qui dépassait les simples connaissances, à apprendre en comprenant pourquoi ils apprenaient, de sorte que, motivés d'eux-mêmes, ils se dirigeaient plus facilement vers l'objectif qu'ils s'étaient eux-mêmes donné. 

 

Il y a donc tout un état d'esprit à organiser, et le contrat d'enseignement n'est qu'une partie infime de ce cadre que nous devons créer avant de commencer à discuter techniquement des diverses matières. Mais c'est un bon début... et c'est notamment avec un tel début que le métier de professeur est merveilleux !

mardi 13 février 2024

Du travail acharné pour venir à bout de tout

 Un groupe d'étudiants d'AgroParisTech a organisé la visite de l'école par des classes venues de lycée en zone prioritaire, et ils m'ont demandé si j'accepterais de parler à ces élèves. Comment refuser de prendre 20 minutes pour expliquer mon passionnant métier ? 

Plus précisément, ces 20 minutes étaient divisées en deux fois dix minutes, pour des groupes successifs, et il s'agissait donc de donner de l'espoir. 

Mais il s'agissait aussi d'expliquer mon métier et, suivant l'exemple du merveilleux Michael Faraday, j'ai décidé de faire une expérience, en l'occurrence de chercher à savoir si la vitamine C a effectivement des propriétés antioxydantes, ce qui se met facilement en évidence à l'aide de permanganate de potassium : il suffit d'observer la décoloration. 

Cette expérience étant faite, il fallait quand même expliquer ce qu'est mon métier et à cette fin, il y avait lieu d'expliquer ce qu'est la science et quelle est sa méthode. 

Or il n'y a pas de science sans calcul, sans équation, sans théorie, et là, le temps était trop court pour bien le montrer, de sorte qu'il était logique de se limiter à le dire, mais  le dire de façon positive, en disant  aussi qu'il s'agit de quelque chose de très simple... pour ceux qui apprennent. 

Dans mon discours d'hier, il y avait ce "quelqu'un qui sait (connaissances), c'est quelqu'un qui a appris", qui a travaillé pour apprendre, et quelqu'un qui sait faire (compétences), c'est quelqu'un qui a appris à faire, qui a passé du temps à apprendre.

 

Mais le temps était écoulé de sorte que dans les 30 secondes qui restaient, j'ai pu seulement leur donner deux cadeaux  : 

1.  le premier, qui faisait suite à l'idée précédente, était la devise de mon père : labor improbus omnia vincit, à savoir qu'un travail acharné vient à bout de tout. Nos compétences, nous nous les forgeons... Si nous décidons de le faire. 

2. Et le deuxième cadeau, était ma propre devise,  à savoir que nous sommes ce que nous faisons. 

 

J'invitais ainsi nos jeunes amis à faire quelque chose dont il seraient fiers.

samedi 20 janvier 2024

Faisons confiance aux experts


Croire naïvement et douter de tout sont deux positions également fautives.

 Effectivement il y a lieu de s'interroger sur les idées qui nous sont proposées, car on sait combien nos sociétés humaines mettent de rhétorique, voire de mensonges, dans les échanges. Inversement une méfiance excessive conduit à se priver des faits justes sur lesquels notre esprit d'analyse pourrait s'exercer justement. 

Pour pallier la première difficulté, il y a donc lieu de s'interroger sur les émetteurs des messages, leur fiabilité, en gardant dans un coin de la tête l'idée que même des messages émis par des sources fiables pourraient être erronés. Il y a lieu de faire toujours une sorte d'analyse de risques, d'assortir la confiance d'une sorte de degré de confiance. 

Pour pallier la deuxième difficulté, il y a sans doute lieu d'utiliser la même stratégie, c'est-à-dire identifier des sources plus dignes de confiance que les autres. 

 

Par les temps qui courent, à propos de matières compliquées, comme les questions de santé et d'alimentation (pensons, par exemple, à l'effet à long terme de très petites doses de composés toxiques sur la santé, ou des résidus de pesticides, ou de la possible qualité des aliments bio, ou encore de la possible toxicité des édulcorants), je crois qu'il est utile de reconnaître et de faire savoir que les experts de l'Etat sont la meilleure de nos sources. 

Ils sont la meilleure de nos sources, parce que ces personnes ont souvent choisi le métier qu'ils exercent par souci de rendre un service à la collectivité. Pour accepter d'être moins bien payé que dans l'industrie, de travailler dans des conditions matériellement plus rudimentaire, il faut en quelque sorte avoir l'âme chevillée au corps. 

Je sais qu'une partie de la population pense que les fonctionnaires sont des sortes de privilégiés, à l'abri du chômage, ou avec des avantages particuliers, mais cela n'est pas juste : je peux témoigner qu'un très grand nombre de mes collègues s'engagent, sans compter leurs heures, dans le métier qui est le leur, pour de véritables raisons politiques, au sens le plus nombre du mot politique, se préoccuper de la collectivité. 

Ajoutons également que ces personnes sont compétentes : elles sont payées pour avoir la compétence qui est la leur, inégalable parce qu'elles y passent tout leur temps, ce que toute personne engagée dans une autre activité professionnelle n'est pas à même de faire. 

Et, là encore, l'argument que le temps libre d'un citoyen pourrait être utilisé pour faire le travail de recueil des données ne vaut rien : je sais que mes collègues ne s'arrêtent pas de fonder leur compétence lorsque vient le week end ; ils poursuivent leurs travaux, leurs études, pendant ces deux jours, pendant leurs vacances. Pas tous, mais beaucoup ! 

Ajoutons également qu'il n'est pas vrai que les experts soient vendus. D'une part, cette idée générale est... générale, donc fausse ; d'autre part, c'est une calomnie qui mériterait d'être punie par la loi. En effet, c'est une calomnie, une diffamation. 

Ensuite, c'est une déclaration toxique pour le bon fonctionnement de notre collectivité tout entière, jetant le doute sur la source la plus fiable d'informations que notre collectivité se donne les moyens de constituer, qu'elle paye pour avoir. Il y a donc un dol financier, supporté par l'ensemble des contribuables. 

Un mot, en passant, sur cette prétendue "expertise citoyenne". En matière de toxicologie, il n'y a pas d'expertise citoyenne. Cela se démontre, car jamais l'observation des maladies individuelles, surtout quand elles sont personnelles, n'a permis d'identifier des phénomènes que seule l'épidémiologie permet de repérer. 

L'épidémiologie, ce n'est pas un vain mot, ce n'est pas une activité d'amateur. C'est un véritable travail, fondé sur la réunion de très nombreuses observations, et qui permet de voir ce que la vision individuelle ne voit pas. En matière de santé, la maladie individuelle peut survenir pour de multiples causes, car la santé est une condition propre à l'organisme, lequel est un système complexe. Quand nous buvons du café, mangeons de la choucroute, du fromage, du saucisson, quand nous vivons en ville, ou encore à la campagne, quand nous peignons un appartement, utilisons du savon pour nous laver, quand nous marchons ou que nous nous exposons à l'atmosphère d'une forêt, etc., notre organisme réagit à notre insu, et c'est l'ensemble de toutes les conditions, cumulées sur la succession des jours que nous vivons, qui conduit à notre état de santé. Attribuer une maladie, ou la santé, à une cause unique est d'une naïveté navrante, et seule l'épidémiologie permet d'y voir plus clair. 

L'épidémiologie n'est pas à la porté de l'individu, du citoyen isolé, de sorte qu'il ne peut pas exister d'expertise citoyenne, dans ce domaine. D'autre part, un citoyen qui s'informe ne pourra jamais réunir l'ensemble des informations qu'un véritable praticien, un expert, aura. 

C'est ainsi que je me suis toujours étonné de voir des journalistes (on comprend que je ne tombe pas dans la généralité: je ne dit pas "les journalistes") croire qu'une enquête de quelques semaines, voire quelques mois, pourra leur donner les capacités, les compétences d'un médecin dont l'enquête tombe dans le champ de spécialité. La pratique quotidienne, jour après jour et heure après heure, fondée sur des années d'étude, donne une compétence et une expertise qu'aucun journaliste n'aura jamais. 

Ce qui est vrai pour la médecine vaut pour la chimie, la nutrition (observez que je ne la confonds pas avec la diététique), la toxicologie, etc. Ce serait de la dernière présomption que de croire que l'information glanée puisse être de l'expertise. Le savoir naïf n'est rien, et notre seul recours raisonnable est le choix d'expert bien sélectionnés. Bien sûr, l'expert parfait n'existe pas, non pas que les experts soient malhonnêtes, non pas qu'ils soient soumis à des influences, mais simplement parce que même l'expert qui compulse des dossiers énormes n'est pas omniscient, et doit élaborer son expertise sur un ensemble de données limité (vita brevis, ars longa). Ne nous trompons pas de combat pour autant ! 

 

 Pour terminer, je veux revenir à la question de la sélection des experts... et réclamer du courage. Tout d'abord, je veux faire état d'une anecdote terrible : je connais un expert qui fut récusé par une agence de santé parce qu'il avait touché une somme de... 150 euros pour un article qui avait été publié dans une revue où l'industrie pharmaceutique avait placé des publicités. Cent cinquante euros ? 

C'est risible ! Et c'est scandaleux, idiot, de récuser un expert pour une telle somme, d'autant -je gardais le meilleur pour la fin- que cet expert est le seul de sa discipline et que l'agence de santé a recouru à des personnalités qui n'étaient pas expertes. Je récuse ces dernières ! 

Un autre exemple: : dans le même type de configuration, un expert a été récusé parce que sa belle soeur travaillait dans l'industrie pharmaceutique. Et alors ? Pouvons nous être responsable de nos proches ? Et d'ailleurs, le fait de travailler dans l'industrie pharmaceutique est-il condamnable ? 

Je rappelle que l'industrie, c'est le "vrai monde", l'essentiel de la nation ; les services de l'Etat que sont que des appuis. Et, de surcroît, je condamne l'idée selon laquelle l'industrie (pharmaceutique, par exemple) serait un repère de brigand. Nous y avons des amis, des proches... L'industrie pharmaceutique est plein de personnes, honnêtes, remarquables, et, au fond, c'est une imbécilité coupable que de se priver de la compétence de ces personnes compétentes. Dans nos petits milieux, on sait bien qui est digne de confiance ou pas, et il vaudrait mieux, plutôt que d'appliquer des règles de sélection simpliste, y aller voir de plus près et faire un choix intelligent. 

A cette fin, il faudra avoir du courage : la sélection d'un expert industriel par une agence de santé impose d'être capable de résister ensuite à une certaine presse, à une certaine partie de la population, à un certain monde politique, qui critiqueront les choix. La stratégie de l'autruche et du parapluie ne vaut rien, et il faut avoir du courage. Je suis très confiant que les temps actuels ne sont qu'éphémères, et je suis optimiste : nous saurons dépasser la crise actuelle de l'expertise !

lundi 15 janvier 2024

La cuisine est-elle de la chimie ? Non, vraiment non.

Pardon à tous mes amis : j'ai beaucoup hésité, à propos de cette question, parce que j'avais une idée fausse de la chimie, et, d'ailleurs aussi, de la cuisine. 

Commençons par la cuisine : il s'agit certainement d'une activité technique, mais qui se double d'une composante artistique et d'une composante sociale. Mais c'est quand même l'activité -technique- de préparation des mets à partir d'ingrédients. 

Pour la chimie, c'est plus compliqué, non pas que la chimie soit plus compliquée que la cuisine, mais parce que son statut est plus... hésitant. Plus exactement, il y a une hésitation entre l'activité technique de production de composés, et l'activité scientifique d'exploration des réactions mises en oeuvre par les chimistes, ou pouvant être mises en oeuvre... avec, au milieu, entre technique et science, la technologie, le métier des ingénieurs. 

La chimie est-elle une technique ? Non, parce que la technique ne se confond pas avec la science. Le mot de "chimie" est apparu vers le 18e siècle, notamment avec Antoine Laurent de Lavoisier, et n'importe qu'elle préparation ne se confond pas avec une activité scientifique ! 

Donc partons de bases saines : la cuisine est une technique, qui prépare des aliments ; la chimie est une science, qui explore des phénomènes. Quelles sont les relations entre les deux champs ? On commencera par observer qu'ils n'ont rien en commun. 

Certes le cuisinier qui cuisine chauffe, de sorte que de nouveaux composés sont formés : quand la viande brunit, quand le sucre caramélise, par exemple. Il y a donc des transformations moléculaires en cuisine, mais il n'y a pas de "science de la nature".