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mercredi 27 décembre 2017

Tuer la cuisine moléculaire pour faire naître la cuisine note à note ?

Retour de discussion avec des amis.

Je leur  disais que je cherche  à faire "mourir" la cuisine moléculaire (pas la gastronomie moléculaire, en revanche), afin de faire grandir la "cuisine note à note", bien plus intéressante.
Mes amis me disent : "Non, la cuisine moléculaire ne meurt pas ; elle est en plein essor... et c'est tant mieux".

A la réflexion, oui, la cuisine moléculaire est en plein essor... et la preuve en est que les chefs -même ceux  qui sont "réfractaires"- ont tous des siphons. Tous utilisent maintenant les divers gélifiants, et si tous n'ont pas encore de l'azote liquide, si tous n'ont pas des évaporateurs rotatifs, de plus en plus cuisent à basse température.
Bref, même les chefs qui ne "font pas de cuisine moléculaire" en font, en réalité.

Je rappelle des faits : la définition de la "cuisine moléculaire", c'est "cuisiner avec des matériels modernes", c'est-à-dire des matériels que n'avait pas Paul Bocuse en 1976, quand il écrivit la cuisine du marché.

Il faut donc être soit ignorant (cela n'est pas grave : on peut sortir de son ignorance), soit malhonnête (là, c'est plus grave : et je ne sais pas s'il y a une issue), soit idiot (je ne fais jamais à mes interlocuteurs l'injure de penser qu'ils sont bêtes)  pour penser ou dire que la cuisine moléculaire puisse être une nuisance : à nouveau, je le redis, il s'agit de faciliter le travail des cuisiniers.
Bien sûr, il y a beaucoup de désinformation, à propos de la cuisine moléculaire, mais ne doit-on pas conserver la définition de celui qui l'a donnée (moi) ?

Enfin, oui, je voudrais que la cuisine note à note se développe encore plus qu'elle ne le fait, et je suis impatient, raison pour laquelle je voudrais faire mourir la cuisine moléculaire... mais je suppose que ceux qui sont réfractaires à la cuisine moléculaire ne seront pas vraiment enchantés de la suite, la cuisine note à note.

Enfin, oui, comme le dit mon ami Pierre Gagnaire, pas besoin de tuer la cuisine moléculaire pour faire advenir la cuisine note à note. Laissons la première vivre, avec des artistes produisant de belles oeuvres, pendant que d'autres développeront la secondes.


















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 14 décembre 2017

Le constructivisme culinaire

Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note... Voilà des tendances, plus ou moins durables, des courants qui animent ou animeront la cuisine. Ces dernières décennies, j'en ai proposé plusieurs qui n'ont pas eu de succès, sans doute parce que les temps n'étaient pas mûrs, que la difficulté était trop grande.

Par exemple, le constructivisme culinaire : cette affaire repose sur l'observation selon laquelle une gelée d'agrumes posée sur du saumon fumé fait un plat moins frais, en fin de dégustation que du saumon fumé posé sur une gelée d'agrumes.
Observons  d'ailleurs que les nappage des gâteaux sont souvent ainsi construits, avec la gelée par-dessus. Et si c'était une erreur ? Évidemment, dans le cas des gâteaux, ce que l'on veut, c'est faire une couche brillante en surface, le nappage s'impose par-dessus, mais le goût ?
Autre exemple, la présence de quelques brins d'un aromate tel que la ciboulette, le persil, le cerfeuil, le basilic, au-dessus d'un plat. Ces brins n'ont pas seulement une fonction décorative, et il suffit de faire l'expérience de goûter pour s'apercevoir qu'ils forcent à mastiquer longuement, et, donc, qu'ils augmentent goût.

En substance, c'est cela le constructivisme culinaire : construire le plat, en vue d'effets gustatifs particuliers.

On dira que toute la cuisine est ainsi conçue ? Non ! Le plus souvent, la cuisine n'est que l'exécution de recettes,  et l'on aurait bien intérêt à réviser toutes ces dernières selon l'idée du constructivisme culinaire.
Une choucroute ? Ce n'est  généralement qu'une accumulation. Un cassoulet ? Idem. Pourquoi ne pas faire mieux, pourquoi ne pas conserver les éléments et construire ?
Car derrière l'idée du constructivisme culinaire, il y a cette idée essentielle selon laquelle  le construit est « bon », parce qu'il signale aux mangeurs qu'on s'est préoccupé d'eux. On leur dit « je t'aime » : n'est ce pas suffisant pour qu'il pense qu'il y a de la beauté ?

Et c'est ainsi que je propose cette  hypothèse : le beau  serait-il le construit ? Regardons maintenant autour de nous : les arbres, les rues, les moindres éléments de notre environnement... Sont-ils beaux ? En voyons nous la construction ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 11 décembre 2017

Des éloges, des éloges !

Des éloges, des éloges !


Il n'y a pas de mal à dire du bien de ceux qui le méritent, n'est-ce pas?

Alors, aujourd'hui, j'ai le plaisir de raconter un événement tout à fait merveilleux, qui dit beaucoup de l'art culinair.

Cela s'est passé lors d'un "dîner moléculaire" qui a été servi il y a plusieurs années aux auditeurs de l'Institut des hautes études du goût, de la gastronomie et des arts de la table (c'était avant que soient servis des dîners note à note).
Pour ce repas, le pâtissier Nicolas Bernardé (il était alors chef-enseignant de l'Ecole du Cordon bleu) m'avait demandé quoi préparer, et je lui avais répondu que la technique devait venir en soutien de l'idée artistique, pas avant elle.
Pour l'aider à composer une oeuvre, je lui avais demandé ce qu'il aimait, et il me répondait en termes gourmands.
Pourquoi pas, mais j'avais poussé le questionnement, en lui demandait ce qui l'émouvait lui-même dans un ordre non gourmand, et il m'avait répondu qu'il se souvenait avec émotion de son grand-père qui l'emmenait en forêt ; il y avait ce moment essentiel où l'on entre dans la forêt, et où se dressent les troncs sombres, avec la lumière qui filtre encore entre eux, éclairant une mousse verte, sur le sol.
C'est cela dont il fallait donner l'émotion !

Le diner eut lieu, le dessert fit pleurer les convives. Vive l'art culinaire  







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)






samedi 9 décembre 2017

Faut-il deux voies différentes d'enseignement culinaire ?

Faut-il deux voies différentes d'enseignement culinaire ?
La réponse est un « oui » vigoureux !



Apprendre la cuisine en vue de devenir cuisinier, restaurateur... ou autre chose ? Il y a là une question qui devrait intéresser nombre de collégiens ou de lycéens, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la cuisine est une activité merveilleuse, puisque, quand c'est de l'artisanat, son objectif est de produire des oeuvres qui disent en réalité « je t'aime ».
Oui, pour l'artisan, le soin est essentiel, et l'on comprend mieux pourquoi en considérant un escalier bancal qui aurait été construit par un menuisier (un artisan, donc) peu soigneux : si celui qui l'emprunte de casse une jambe, c'est grave ; c'est tout comme si l'on avait dit « je me moque de toi, au point que je me désintéresse de ta santé, de ton intégrité physique, et ta mort éventuelle m'est indifférente ». En cuisine, c'est tout à fait analogue, et l'on sait combien la question de la santé est importante, pour l'activité culinaire : produire une mauvaise nourriture, cela peut aller jusqu'à l'empoisonnement ! A contrario, produire avec soin de la nourriture de qualité, c'est bien dire, en quelque sorte : « je t'aime, et je me préoccupe de ta santé, en plus de ton bonheur de manger ce que j'ai préparé pour toi ». Cela suppose des connaissances à propos de la nutrition, et de la santé humaine !
Pour peu que le cuisinier ne soit pas un artisan, mais un artiste, la question de l'intérêt de la cuisine diffère, mais l'activité culinaire reste passionnante, différemment passionnante, puisque, cette fois, l'objectif est de dire à son prochain : « Je t'aime, puisque je m'efforce de te donner des sensations, de produire chez toi des émotions ».
Restaurateur ? La question est peu différente, même si le travail ne se fait plus aux fourneaux. Cette fois, il faut faire vivre différemment une entreprise, ce qui signifie payer un personnel de cuisine, de salle, et les faire vivre ! Sans oublier, bien sûr, les personnes qui ont quitté leur foyer pour venir, souvent, passer un moment festif. Quelle responsabilité ! Ne faut-il pas beaucoup de connaissances théoriques, pour cela ?
Et puis, il y a tous ceux que les formations en hôtellerie-restauration intéressent, parce que ces formations... débouchent sur un taux de chômage nul, en raison de la qualité des enseignements ! La cuisine, c'est aussi un savoir vivre, un savoir être, une rigueur du travail, et des qualités commerciales, au sens le plus nombre du terme. On ne doit pas oublier que le « chevalier tranchant », du temps des rois de France, était le premier des gentilhommes ! Les maîtres d'hôtel sont des individus qui doivent exercer leur métier en finesse, en intelligence, puisque la politesse est exactement cette façon subtile, intelligente, de se comporter vis à vis d'autrui.

Cela étant, en cuisine comment en science, et comme sans doute dans d'autres secteurs que je n'ai pas le temps d'analyser, il y a des « conducteurs de voiture » et des « mécaniciens »: les deux « attitudes » sont différentes, et nécessitent des connaissances différentes, pratiques et théoriques. Le conducteur de voiture, surtout aujourd'hui que les systèmes électroniques ne donnent plus un accès facile à des travaux mécaniques qui allaient jusqu'à forger des pièces métalliques, est un conducteur : il veut prendre la voiture telle qu'elle est, et, sans chercher à comprendre dans le détail son fonctionnement, la conduire. En cuisine, ce serait la voie professionnelle : il faut ici exercer un métier, et nombre des jeunes qui s'engagent dans cette voie doivent connaître des gestes professionnels.
Ce qui ne signifie pas que ces personnes n'ont pas le droit de comprendre la raison de leurs gestes ! Un conducteur de voiture n'est pas plus bête de savoir que son moteur a quatre temps, pourquoi il faut y mettre de l'huile, etc. Toutefois, le conducteur doit d'abord conduire, sans quoi il n'est plus un conduteur.

La seconde voie est la voie technologique, insuffisamment comprise, sans doute parce qu'elle est nouvelle. Elle tient bien dans la définition du mot « technologie », lequel désigne l'étude de la technique, en vue de son perfectionnement. Le technologue n'est pas un technicien, même s'il peut faire des gestes techniques. Le technologue comprend d'abord, et fait ensuite. Bien sûr, la compréhension conduisant à l'innovation, le technologue est un être de nouveauté technique. En l'occurrence, le mécanicien qui monte et démonte une voiture sait faire plus que la conduire.
En cuisine ? Produire des aliments se fonde sur une compréhension très large de leur nature. D'où viennent-ils ? Il faut de la culture, des connaissances qui dépassent l'acte culinaire. Pourquoi mange-t-on certains aliments plutôt que d'autres ? Là encore, de la connaissance « théorique », très large. Quel est leur circuit social ? Là encore... Quels phénomènes sont à l'origine de leur productions, quand les gestes techniques sont à l'oeuvre ? Pourquoi les aime-t-on ou ne les aime-t-on pas ? En matière d'art, par exemple, l'école du Bauhaus, au début du XXe siècle, s'était donnée comme feuille de route de former des artistes en liant l'art à la science, et, plus généralement, à la culture. C'était là une démarche parfaitement dans le sens de la voie technologique de l'hôtellerie-restauration. Oui, pour la voie technologique, il faut des sciences, des humanités, de la gestion, de la pratique des langues française et étrangères, et le niveau de responsabilité ira en conséquence. D'ailleurs, on voit la proximité entre cette voie technologique et l'université.
Bien sûr, on comprend que la voie technologique soit plus longue, que les études doivent durer davantage. Il faut non seulement conduire, mais être capable de réparer le véhicule, mais n'y a-t-il pas là un bel objectif, aussi ?






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 31 août 2017

Transformer les règles en postulats

Une règle, c'est une règle, c'est-à-dire une contrainte. Et le nombre des règles, des lois est si grand que l'on ploie sous le faix, sous le joug. D'ailleurs, j'ai assez dit combien il importait de supprimer des règles anciennes quand on en introduisait de nouvelles, en soulignant aussi qu'il était inutile de faire "des lois qui punissent les bons élèves", alors que précisément, les mauvais s'efforcent (et réussissent) de contourner les lois faites à leur encontre.

Cela dit,  on sait que les règles  peuvent être stimulantes, en poésie : Victor Hugo a joué de l'alexandrin, et une bonne partie de la littérature est une façon de poser des règles et de les enfreindre. L'unité de temps, de lieu, d'action a fait le théâtre classique. De même pour la règle de la bienséance, qui exclut violence et intimité physique. Et l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) s'est fait un jeu d'introduire des règles formelles, telle la règle S+7, qui est en réalité un protocole, et qui préconise, partant d'une phrase, d'en former une autre en remplaçant chaque mot par le septième mot derrière lui dans le dictionnaire.
En musique, même tabac : les règles du contrepoint, par exemple. En peinture : les règles de la perspective, si bien mises à bas par la peinture moderne. En sculpture, même chose. Et, plus généralement, l'art n'a eu de cesse que d'abattre des règles, au point que c'en est presque la marque, et la raison pour laquelle l'art moderne est d'abord si difficile pour certains qui ne retrouvent plus les structures auxquelles ils s'étaient lentement habitués.

Pour autant, une règle reste une contrainte, et il y a au moins cette connotation, même dans les perspectives les plus positives. Dans un groupe de recherche, par exemple, il faut quand même "obéir aux règles", même quand nous nous sommes donnés nous-mêmes ces règles.

D'où l'idée : transformons les règles en postulats ! Un postulat, c'est une donnée sur laquelle s'érige une théorie. Une base solide qui nous aide. Il suffit d'un changement de nom, et hop ! Le tour est joué : d'une contrainte négative, nous faisons une aide, positive.




mercredi 24 août 2016

L'art troublerait et la science rassurerait ?


On a dit que l'art trouble, mais que la science rassure. Plus exactement, c'est le peintre Georges Braque qui a dit cela. « L'art trouble, mais la science rassure ». Je me méfie toujours des formules, parce qu'elles sont souvent des affirmations qui nous tombent dessus, des façons de nous obliger à gober les idées sans y penser. Pensez : un Artiste comme Georges Braque !

L'art trouble ? Pourquoi pas, puisque l'art, au moins dans une certaine conception de l'art, consiste à susciter des sentiments, des émotions. De ce point de vue, un art qui ne troublerait pas ne serait pas de l'art. Et puis, « troubler » ne signifie pas nécessairement troubler de façon négative. On peut aussi dire : émouvoir. Si l'on suppose que Braque a correctement utilisé les mots, alors troubler est une métaphore qui décrit une modification d'un grand calme. Et ces modifications peuvent être de mille sortes. Il y a les friselis sur l'eau ou les tempêtes ; il y a le trouble du pastis, cette apparition d'un nuage laiteux, blanc ; il y a l'eau et sa boue. Bref, que l'art trouble est évident. Sans quoi il n'y a pas d'art.

La science rassure ? Cette fois, la question est plus difficile. Après tout, certains n'ont-il pas peur de technique, de la technologie et de la science ? La science qui a découvert la structure de l'atome n'a-t-elle pas, au contraire, suscité l'effroi en ouvrant la porte au nucléaire ? Reprenons de plus loin.
Au début des sciences, par exemple dans l'Antiquité grecque, on a cherché des explications du monde, face à des phénomènes qui étaient mystérieux en ce qu'ils échappaient à des causes identifiées. Pourquoi la formation des ombres, le bleu du ciel, la pluie, la périodicité de la Lune ? Les scientifiques ont été des explorateurs de ces mystères, et ils ont effectivement produits des théories qui visaient à prendre une position intellectuelle face à ce que l'on ne comprenait pas. De ce point de vue, on pourrait dire que la science rassurait, puisqu'elle ne laissait plus l'être humain démuni face aux phénomènes naturels.
En revanche, au début des sciences modernes, à partir de la Renaissance environ, il y eut cette position de scientifiques croyants qui considéraient que Dieu avait donné deux livres : la Bible et la nature. Chercher à comprendre ces deux livres, c'était chercher à comprendre le message de Dieu, et l'activité scientifique était ainsi une façon de célébrer le créateur. Rien de troublant non plus.
Plus tard, et notamment parce que la science arrivait à des conclusions différentes des textes sacrés, il y eut un immense trouble, et l’Église dut adopter une autre position, qui fut finalement entérinée par le pape, à savoir que la science ne dit rien de la foi, et vice versa. Deux mondes séparés, deux règnes séparés, en quelque sorte, mais la crise avait été grande. Elle avait commencé avec Galilée, et avait environ fini avec l'abbé Lemaître, ce physicien belge qui étudia la relativité générale et la cosmologie. A cette époque, la science troublait.
D'ailleurs, dans les dernières décennies du vingtième siècle, il y eut pire avec la relativité et la mécanique quantique. La relativité fit apparaître des paradoxes, tels celui des jumeaux qui naissent ensemble mais ont un âge différent quand l'un des deux voyage. En mécanique quantique, on ne savait plus si les objets étaient des ondes ou des particules. En réalité, il n'est pas difficile de comprendre que les objets puissent apparaître parfois comme des ondes, telles les rides à la surface de l'eau, les vagues, la houle, ou comme des particules, des billes, en quelque sorte, car les objets du monde nous sont perceptibles par des expériences. Dans certaines expériences, les objets (surtout quand ce sont des particules subatomiques) se comportent comme  des ondes, mais dans d'autres expériences, ils se comportent comme de petites billes, et l'on parle de comportement corpusculaire. Pour autant, ces objets ne sont ni billes ni ondes, mais des objets, qui ont leurs caractéristiques propres. Un verre cylindrique vu selon son axe de révolution apparaît comme un disque, mais il semble un rectangle si on le regarde de profil.
Bref la mécanique quantique fut à l'origine d'un grand trouble, et les esprits scientifiques les plus brillants du vingtième siècle avaient du mal à comprendre la nouvelle position qu'imposait leur propre travail scientifique ! Décidément, la science ne rassurait pas !
Et puis, au vingtième siècle, aussi, il y eut ces rapports étroits entre la science et la technique, par le moyen de la technologie, et toutes ces applications des sciences qui, quand elles étaient nuisibles à l'homme, conduisaient à considérer que la science était fautive. A la Première Guerre mondiale, il y eut des gaz de combat, et l'on accusa injustement les sciences chimiques, alors qu'il fallait  accuser les techniciens qui utilisaient les sciences pour faire ces gaz, ou encore les militaires  qui les employaient. Puis, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y eut la bombe atomique, et l'on accusa cette fois la physique, alors qu'on aurait dû accuser les ingénieurs qui faisaient les bombes, et, à nouveau, les militaires qui les utilisaient. Aujourd'hui, c'est la biologie qui est en cause, qui trouble, avec le génome, et la possibilité de cloner l'être humain.

En réalité, la science ou l'art ne sont pas en cause, mais l'individu est tout. Il y a ceux qui ont peur, et qui auront toujours peur, de la science ou de l'art, et ceux qui s'émerveillent des beautés du monde, parce qu'ils sont prêts à émerveiller. Pour ceux là, il n'y a pas de peur ; il y a de l'émerveillement ; il peut y avoir du trouble, mais cela n'est pas grave, car certains troubles ne sont pas des angoisses. Ces individus n'ont pas à être rassurés, parce qu'ils n'ont pas peur.

samedi 20 août 2016

Une phrase fausse trop souvent citée !

Voici une phrase très fausse,  hélas répétée sans critique : "La cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules à une méthode et une précision qui ne laisseront rien au hasard."

Cette phrase fut écrite par un restaurateur célèbre... mais n'ai-je pas vu assez de phrase fausses sous la plume de chefs triplement étoilés ? On m'a dit que l'eau salée met plus longtemps à bouillir... et c'est faux. On m'a dit que les soufflés gonflent mieux quand les blancs en neige ne sont pas fermes... et c'est faux. On m'a dit que masser les viande avec du beurre fait entrer le gras dans les chairs... et c'est faux. On m'a dit que des navets glacés se gorgent de beurre... et c'est faux. Vraiment, je déteste les arguments d'autorité, surtout quand ils sont faux.
Mais je déteste surtout être mis en position de réagir négativement, moi qui ne veux voir que du ciel bleu, qui veux toujours être positif. Je préfère discuter d'idées justes que d'idées fausses, mais à ce compte, on n'est jamais en position d'aider nos amis à bien voir les erreurs et les fautes. Je vais donc commencer par expliquer pourquoi la phrase précédente est fautive, puis je chercherai un moyen très positif de débattre de belles idées justes, histoire de me remettre le cœur d'aplomb.


Pourquoi cette phrase est erronée

Commençons par montrer pourquoi la phrase précédente est erronée.
Si on parle d'art culinaire, c'est bien que l'on parle d'art. Et l'on sait assez combien je milite pour qu'une partie de l'activité culinaire soit bien reconnue comme artistique. D'ailleurs, je propose de faire bien la différence entre les artisans et les artistes, mais c'est là un autre débat que j'ai longuement présenté dans un de mes livres (La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique), et sur lequel je propose de ne pas revenir.
Il y a donc l'art culinaire, qui est un art comme la peinture, la musique, la littérature... D'ailleurs, quand je dis "la peinture", je ne pense qu'à la peinture artistique, et non pas la peinture des murs et façades, qui relève  de l'artisanat. Même chose pour la musique ou pour l'écriture. N'importe qui muni d'un stylo peut raconter une histoire, mais ce ne sera pas un artiste pour autant.
Il y a donc l'art culinaire, qui est une activité artistique, à savoir qu'il est question de susciter, de partager des sentiments, des émotions... Bien sûr, on peut discuter à l'infini la notion d'art, mais ne jouons pas trop sur les mots  quand il s'agit d'aider nos amis : soyons clairs et simples. C'est pour cette raison que je me résous à réduire l'art culinaire à la production d'aliments qui nourrissent plus l'esprit que le corps.

Le second terme de la phrase fausse dénoncée ici est relatif à la science. Dans la phrase discutée, il ne s'agit pas simplement de savoir, mais de science de la nature. Nous mettons de côté les sciences de l'être humain et de la société, car, dans la phrase que nous critiquons, il est question de précision, de rigueur.
Immédiatement j'ajoute que précision et rigueur ne sont pas l'apanage des sciences de la nature, toutefois : toute activité  humaine peut être faite avec précision et rigueur, et l'art le plus grand (celui des Rembrandt, Bach, Mozart, Proust, Flaubert...) est tout fait de rigueur et de précision. Impossible de changer un mot dans une œuvre de Flaubert. Impossible de changer une note dans une œuvre de Bach.
D'autre part, les sciences de la nature ne se réduisent pas à la rigueur et à la précision, mais ce sont plutôt des activités qui ont un objectif et une méthode bien déterminés, que l'auteur de la phrase discutée ignorait manifestement  : l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et la méthode a été discutée dans tant de mes billets précédents que je vous y renvoie.
On voit donc mieux maintenant  les deux termes de la phrase fautive que nous critiquons, à savoir l'art d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre, ce qui revient à mettre d'un côté l'activité qui suscite des  émotions, et de l'autre l'activité qui cherche les mécanismes des phénomènes. Rien à voir, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Non, l'art culinaire ne sera jamais scientifique !


Quelques précisions

Cela étant posé, on peut ajouter quelques précisions. Par exemple, les phénomènes qui surviennent lors de l'activité culinaire peuvent être explorés par les sciences de la nature, et l'activité scientifique qui fait cela a pour nom "gastronomie moléculaire". D'autre part, on peut espérer que le praticiens, artisans ou artistes culinaires, aillent progressivement vers plus de rigueur et de précision, et c'était d'ailleurs l'un des objectifs de la réflexion technologique qui a présidé à la proposition de la "cuisine moléculaire", dont la définition est de rénover les techniques culinaires. Par exemple, avec des œufs à 67 degrés, on est bien plus précis que quand on met des œufs à l'eau froide, qui est ensuite portée à ébullition. Pour autant, les œufs à 67 degrés n'ont rien de scientifique ! Il sont issus d'une réflexion technologique fondée sur les progrès de la gastronomie moléculaire, mais la production d’œuf à 67 degrés  est une activité entièrement technique, et non pas scientifique.
A me relire, je vois que les plus idolâtres viendront critiquer mon discours, avec l'argument ad hominem qui consiste à dire que je chipote, que je pinaille. Puisque l'argument ad hominem est moralement condamnable, je vais me laisser aller à répondre par un argument également fautif... puisque  ad hominem : ceux qui font un usage indistincts des mots en viennent vite à confondre les chats et les chiens, les tournevis et les marteaux ; aucun d'entre eux ne fera jamais de bon travail, parce que nos actes sont souvent accordés à nos mots (comme je l'ai récemment discuté à propos de crème fouettée). Quand nos mots sont erronés ou fautifs, alors il y a de fortes probabilités que nos actes conduisent à des résultats médiocres. Évidemment, il y a des génies intuitifs, des artistes qui ne savent pas les raisons de ce qu'il font, en termes de mots posés sur des actes, et qui font très bien. On peut même penser qu'il peut exister des personnes qui mettent des mots faux sur des actes qu'ils font très bien, mais imaginez qu'ils aient en outre les bons mots ! Et puis, l'enseignement consiste-t-il  à dire des choses fausses ou bien plutôt à aider nos jeunes amis avec des idées justes décrites par des mots justes ?

Finalement, non, mille fois non, un million de fois non !  L'art culinaire ne sera jamais scientifique !

Soyons positifs

Soyons maintenant positifs. Il y a  l'art culinaire, d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre. Il est exact que si Rembrandt n'avait pas su tenir un pinceau, que si Bach n'avait pas su le contrepoint, alors aucune œuvre d'art ne serait née ni de l'un ni de l'autre. L'artiste a une obligation technique terrible, supérieure ; non seulement il doit être un parfait technicien, mais il doit avoir en plus la capacité de parler à l'esprit des autres. Éviter des coulures sur un tableau, c'est bien, mais faire pleurer d'émotion c'est mieux. Même chose pour la musique, la littérature... et l'art culinaire.
Que mes amis cuisiniers me pardonnent, mais je me satisfais mal d'une cuisine simplement techniquement satisfaisante. En revanche, je chéris encore le souvenir de ces rares plats où des larmes me sont venues aux yeux, où j'ai eu cet éblouissement intérieur devant la beauté (en goût !) des mets qui m'étaient servis. Cela, c'est quelque chose que nos jeunes amis méritent de connaître, et, à défaut qu'ils l'aient vécu  eux-mêmes, nous avons une sorte d'obligation de leur en montrer l'existence. Oui, il y a des artistes culinaires, qui éblouissent, et pas seulement par l'usage de l'argument d'autorité, mais par l'exercice de leur art !

Maintenant, pour les sciences de la nature, il y a donc la gastronomie moléculaire, qui a été formellement créée en 1988, et qui se développe dans le monde entier, à la recherche des mécanismes des phénomènes : un soufflé gonfle, un viande brunit, une crêpe se perce de petits trous, un haricot vert jaunit un peu... Pour tous ces phénomènes, il y a des mécanismes, et, depuis quelques décennies maintenant, la gastronomie moléculaire explore ces phénomènes, à la recherche des mécanismes. Évidemment il faut commencer par établir les phénomènes. Par exemple, récemment, nous avons observé que des navets caramélisés à blanc perdaient 40  pour cent de leur masse, de leur eau : il y a lieu d'explorer ce phénomène, de l'établir pour des légumes de diverses sortes, et c'est quand cette première étape sera faite, laborieusement, que nous pourrons passer à la suite, à savoir l'établissement d'équations qui décriront le phénomène, avant de passer à la suite, laborieusement, à savoir la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les équations. Puis viendra l'étape suivante, laborieuse encore, qui consistera à chercher des conséquences de notre théorie pour nous mettre nous-mêmes à en chercher une réfutation, et ainsi de suite.
On voit bien, à cette description, que la gastronomie moléculaire n'a en réalité que faire de l'art culinaire ; elle a suffisamment à faire avec la composante technique de la cuisine, tant le nombre de phénomènes inexplorés reste considérable. On a vu, d'autre part, combien les explorations sont longues, laborieuses, de sorte qu'avant d'avoir terminé l'examen des phénomènes, de la technique culinaire, il se passera sans doute des siècles. Aurons-nous fait quelque chose d'inutile ? Certainement pas, car tout fait établi est un fait établi, et constitue un socle sur lequel peuvent s'ériger science, technologie et technique. La gastronomie moléculaire est une  science merveilleuse, et les enjeux sont si grands (agrandir le territoire du connu) que cela vaut  la peine que nous nous y consacrions sans relâche.
Jamais cette activité ne se confondra pour autant avec l'art culinaire.

Vive la Connaissance (bien) produite et (bien)  partagée !

Une phrase fausse trop souvent citée !

Voici une phrase très fausse,  hélas répétée sans critique : "La cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules à une méthode et une précision qui ne laisseront rien au hasard."

Cette phrase fut écrite par un restaurateur célèbre... mais n'ai-je pas vu assez de phrase fausses sous la plume de chefs triplement étoilés ? On m'a dit que l'eau salée met plus longtemps à bouillir... et c'est faux. On m'a dit que les soufflés gonflent mieux quand les blancs en neige ne sont pas fermes... et c'est faux. On m'a dit que masser les viande avec du beurre fait entrer le gras dans les chairs... et c'est faux. On m'a dit que des navets glacés se gorgent de beurre... et c'est faux. Vraiment, je déteste les arguments d'autorité, surtout quand ils sont faux.
Mais je déteste surtout être mis en position de réagir négativement, moi qui ne veux voir que du ciel bleu, qui veux toujours être positif. Je préfère discuter d'idées justes que d'idées fausses, mais à ce compte, on n'est jamais en position d'aider nos amis à bien voir les erreurs et les fautes. Je vais donc commencer par expliquer pourquoi la phrase précédente est fautive, puis je chercherai un moyen très positif de débattre de belles idées justes, histoire de me remettre le cœur d'aplomb.


Pourquoi cette phrase est erronée

Commençons par montrer pourquoi la phrase précédente est erronée.
Si on parle d'art culinaire, c'est bien que l'on parle d'art. Et l'on sait assez combien je milite pour qu'une partie de l'activité culinaire soit bien reconnue comme artistique. D'ailleurs, je propose de faire bien la différence entre les artisans et les artistes, mais c'est là un autre débat que j'ai longuement présenté dans un de mes livres (La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique), et sur lequel je propose de ne pas revenir.
Il y a donc l'art culinaire, qui est un art comme la peinture, la musique, la littérature... D'ailleurs, quand je dis "la peinture", je ne pense qu'à la peinture artistique, et non pas la peinture des murs et façades, qui relève  de l'artisanat. Même chose pour la musique ou pour l'écriture. N'importe qui muni d'un stylo peut raconter une histoire, mais ce ne sera pas un artiste pour autant.
Il y a donc l'art culinaire, qui est une activité artistique, à savoir qu'il est question de susciter, de partager des sentiments, des émotions... Bien sûr, on peut discuter à l'infini la notion d'art, mais ne jouons pas trop sur les mots  quand il s'agit d'aider nos amis : soyons clairs et simples. C'est pour cette raison que je me résous à réduire l'art culinaire à la production d'aliments qui nourrissent plus l'esprit que le corps.

Le second terme de la phrase fausse dénoncée ici est relatif à la science. Dans la phrase discutée, il ne s'agit pas simplement de savoir, mais de science de la nature. Nous mettons de côté les sciences de l'être humain et de la société, car, dans la phrase que nous critiquons, il est question de précision, de rigueur.
Immédiatement j'ajoute que précision et rigueur ne sont pas l'apanage des sciences de la nature, toutefois : toute activité  humaine peut être faite avec précision et rigueur, et l'art le plus grand (celui des Rembrandt, Bach, Mozart, Proust, Flaubert...) est tout fait de rigueur et de précision. Impossible de changer un mot dans une œuvre de Flaubert. Impossible de changer une note dans une œuvre de Bach.
D'autre part, les sciences de la nature ne se réduisent pas à la rigueur et à la précision, mais ce sont plutôt des activités qui ont un objectif et une méthode bien déterminés, que l'auteur de la phrase discutée ignorait manifestement  : l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et la méthode a été discutée dans tant de mes billets précédents que je vous y renvoie.
On voit donc mieux maintenant  les deux termes de la phrase fautive que nous critiquons, à savoir l'art d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre, ce qui revient à mettre d'un côté l'activité qui suscite des  émotions, et de l'autre l'activité qui cherche les mécanismes des phénomènes. Rien à voir, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Non, l'art culinaire ne sera jamais scientifique !


Quelques précisions

Cela étant posé, on peut ajouter quelques précisions. Par exemple, les phénomènes qui surviennent lors de l'activité culinaire peuvent être explorés par les sciences de la nature, et l'activité scientifique qui fait cela a pour nom "gastronomie moléculaire". D'autre part, on peut espérer que le praticiens, artisans ou artistes culinaires, aillent progressivement vers plus de rigueur et de précision, et c'était d'ailleurs l'un des objectifs de la réflexion technologique qui a présidé à la proposition de la "cuisine moléculaire", dont la définition est de rénover les techniques culinaires. Par exemple, avec des œufs à 67 degrés, on est bien plus précis que quand on met des œufs à l'eau froide, qui est ensuite portée à ébullition. Pour autant, les œufs à 67 degrés n'ont rien de scientifique ! Il sont issus d'une réflexion technologique fondée sur les progrès de la gastronomie moléculaire, mais la production d’œuf à 67 degrés  est une activité entièrement technique, et non pas scientifique.
A me relire, je vois que les plus idolâtres viendront critiquer mon discours, avec l'argument ad hominem qui consiste à dire que je chipote, que je pinaille. Puisque l'argument ad hominem est moralement condamnable, je vais me laisser aller à répondre par un argument également fautif... puisque  ad hominem : ceux qui font un usage indistincts des mots en viennent vite à confondre les chats et les chiens, les tournevis et les marteaux ; aucun d'entre eux ne fera jamais de bon travail, parce que nos actes sont souvent accordés à nos mots (comme je l'ai récemment discuté à propos de crème fouettée). Quand nos mots sont erronés ou fautifs, alors il y a de fortes probabilités que nos actes conduisent à des résultats médiocres. Évidemment, il y a des génies intuitifs, des artistes qui ne savent pas les raisons de ce qu'il font, en termes de mots posés sur des actes, et qui font très bien. On peut même penser qu'il peut exister des personnes qui mettent des mots faux sur des actes qu'ils font très bien, mais imaginez qu'ils aient en outre les bons mots ! Et puis, l'enseignement consiste-t-il  à dire des choses fausses ou bien plutôt à aider nos jeunes amis avec des idées justes décrites par des mots justes ?

Finalement, non, mille fois non, un million de fois non !  L'art culinaire ne sera jamais scientifique !

Soyons positifs

Soyons maintenant positifs. Il y a  l'art culinaire, d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre. Il est exact que si Rembrandt n'avait pas su tenir un pinceau, que si Bach n'avait pas su le contrepoint, alors aucune œuvre d'art ne serait née ni de l'un ni de l'autre. L'artiste a une obligation technique terrible, supérieure ; non seulement il doit être un parfait technicien, mais il doit avoir en plus la capacité de parler à l'esprit des autres. Éviter des coulures sur un tableau, c'est bien, mais faire pleurer d'émotion c'est mieux. Même chose pour la musique, la littérature... et l'art culinaire.
Que mes amis cuisiniers me pardonnent, mais je me satisfais mal d'une cuisine simplement techniquement satisfaisante. En revanche, je chéris encore le souvenir de ces rares plats où des larmes me sont venues aux yeux, où j'ai eu cet éblouissement intérieur devant la beauté (en goût !) des mets qui m'étaient servis. Cela, c'est quelque chose que nos jeunes amis méritent de connaître, et, à défaut qu'ils l'aient vécu  eux-mêmes, nous avons une sorte d'obligation de leur en montrer l'existence. Oui, il y a des artistes culinaires, qui éblouissent, et pas seulement par l'usage de l'argument d'autorité, mais par l'exercice de leur art !

Maintenant, pour les sciences de la nature, il y a donc la gastronomie moléculaire, qui a été formellement créée en 1988, et qui se développe dans le monde entier, à la recherche des mécanismes des phénomènes : un soufflé gonfle, un viande brunit, une crêpe se perce de petits trous, un haricot vert jaunit un peu... Pour tous ces phénomènes, il y a des mécanismes, et, depuis quelques décennies maintenant, la gastronomie moléculaire explore ces phénomènes, à la recherche des mécanismes. Évidemment il faut commencer par établir les phénomènes. Par exemple, récemment, nous avons observé que des navets caramélisés à blanc perdaient 40  pour cent de leur masse, de leur eau : il y a lieu d'explorer ce phénomène, de l'établir pour des légumes de diverses sortes, et c'est quand cette première étape sera faite, laborieusement, que nous pourrons passer à la suite, à savoir l'établissement d'équations qui décriront le phénomène, avant de passer à la suite, laborieusement, à savoir la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les équations. Puis viendra l'étape suivante, laborieuse encore, qui consistera à chercher des conséquences de notre théorie pour nous mettre nous-mêmes à en chercher une réfutation, et ainsi de suite.
On voit bien, à cette description, que la gastronomie moléculaire n'a en réalité que faire de l'art culinaire ; elle a suffisamment à faire avec la composante technique de la cuisine, tant le nombre de phénomènes inexplorés reste considérable. On a vu, d'autre part, combien les explorations sont longues, laborieuses, de sorte qu'avant d'avoir terminé l'examen des phénomènes, de la technique culinaire, il se passera sans doute des siècles. Aurons-nous fait quelque chose d'inutile ? Certainement pas, car tout fait établi est un fait établi, et constitue un socle sur lequel peuvent s'ériger science, technologie et technique. La gastronomie moléculaire est une  science merveilleuse, et les enjeux sont si grands (agrandir le territoire du connu) que cela vaut  la peine que nous nous y consacrions sans relâche.
Jamais cette activité ne se confondra pour autant avec l'art culinaire.

Vive la Connaissance (bien) produite et (bien)  partagée !

jeudi 28 juillet 2016

Je propose d'utiliser les mots pour ce qu'ils signifient, et non pas pour ce que nous voudrions qu'ils signifient. Dans un de mes précédents billets, il y a eu beaucoup de commentaires intéressés, mais j'ai été intéressé de voir que les critiques éventuelles portaient sur des idées fantasmées, nées de mots que j'utilisais pourtant à bon escient. Je répète ici, en préambule, que mes mots sont choisis, et que, en conséquence, je propose de rester à leur sens premier, le plus souvent tel qu'il est donné dans le Trésor de la langue française informatisé, cet extraordinaire du CNRS, gratuit, en ligne (http://atilf.atilf.fr/).
D'autre part, il est amusant de voir que les discussions sur la science, et éventuellement ses rapports avec l'activité d'application des sciences, suscite des remarques... qui n'ont rien à voir avec la question traitée.

Qu'est-ce que la science ? Qu'est-ce que la technologie ? Ajoutons : qu'est-ce que la technique? qu'est-ce que l'art ? Pour  ceux qui ne cherchent pas à compliquer d'emblée des choses simples, je crois qu'il n'est pas mauvais de commencer par observer qu'une activité se définit par son objectif, puis par sa méthode, éventuellement.
1. L'objectif de la science, c'est d'agrandir le royaume du connu, de produire de la connaissance.
2. Pour la technologie, il s'agit de produire de l'innovation, que cette dernière résulte de l'application des résultats des sciences, ou qu'il s'agisse d'être simplement "astucieux", à propos de faits techniques (je renvoie à mon "Cours de gastronomie moléculaire N°1" à ce propos, pour une distinction entre technologie globale, et technologie locale).
3. La technique, c'est la production (de biens, de service) : technique vient de techne, qui signifie "faire".
4. L'art... est quelque chose de compliqué, mais qui tourne autour  du sentiments que l'oeuvre fait naître (en première approximation ; pour plus, voir mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", Editions Odile Jacob).

Commençons par observer que, de même que l'on ne compare pas des pommes à des oranges, il n'y a pas lieu de comparer la science à la technologie, ou à la technique, ou à l'art. Les quatre activités ont leur intérêt propre. Il n'y a pas lieu de mettre la science au-dessus  de la technologie, par exemple, sous prétexte que la technologie utilise (parfois) la science... sans quoi on serait conduit à mettre la technique au-dessus  de la science, puisque la science utilise la technique pour des travaux (par exemple, il faut des tournevis pour les expériences). Donc quatre champs parallèles, avec certes des relations, mais pas de hiérarchie.

D'autre part, il n'y a pas lieu de confisquer le "pouvoir" au profit d'un groupe particulier : les scientifiques, ou les technologues, ou les techniciens, ou les artistes. Car il y a d'abord à s'interroger sur la question du "pouvoir" : le pouvoir de quoi, pourquoi ?
En passant, je vois sous ma plume le mot "technologue", et il faut  absolument faire un commentaire. La technique produit, et la technologie est une réflexion sur la technique, en vue d'innovations. Ces innovations sont essentielles pour un pays, et il faut  donc former des jeunes capables de produire cette innovation.  Je me suis déjà expliqué dans mille billets sur cette question, mais j'insiste un peu : puisque des applications sont en jeu, ces applications sont "techniques", et l'innovation est donc véritablement "technologique". Donc le nom que l'on doit donner à des individus qui exercent cette activité de recherche d'innovations est "technologues". Ils se distinguent (parfois) des "ingénieurs", dont le nom a évolué avec le temps, mais qui sont souvent des gens qui mènent des projets.
La technologie serait-elle une "science appliquée" ? Certainement pas : ce n'est pas de la science, au sens des sciences de la nature. Et l'expression est donc fautive. Il y a des applications des sciences, mais pas de sciences appliquées. J'ajoute que cette phrase, ainsi dite, remonte au moins à Louis Pasteur, qui produisit de la belle science, mais aussi de remarquables applications des sciences. Et j'ajoute que l'innovation n'a pas toujours besoin des sciences. J'en prends deux exemples personnels  (pardon) : mon invention ancienne du "sel glace", et mon invention récente du "beurre feuilleté" ne doivent rien à la science, mais seulement à la réflexion sur les gestes techniques (de cuisine, en l'occurrence). De même, les premiers ordinateurs personnels n'étaient pas des innovations vraiment fondées sur la science, et le succès d'Apple ne résulte donc pas véritablement d'application des sciences.

Un beurre feuilleté réalisé par mon ami Pierre Gagnaire. La photographie est prise par cet extraordinaire photographe qu'est Jacques  Gavard (http://www.jacquesgavard.com/Jacques_Gavard_Photographe/WELCOME.html)

Ah, tant que j'y suis : nos discussions sont souvent empêtrées avec des expressions comme "science pure", ou "science fondamentale", et je crois que nous devons les combattre.
A des "sciences pures", on oppose évidemment des "sciences impures", et l'on mèle donc de la morale aux débats.  Cela n'a pas lieu  d'être : soit on agrandit le royaume du connu, soit on ne le fait pas. Il n'y a pas plus de science pure que de science impure. Il y a les sciences de la nature, qui produisent des connaissances, un point c'est tout.
D'autre part, cela n'a pas de sens de parler de "science fondamentale" : les sciences sont les sciences, et le boson de Higgs ou les trous noirs ne sont pas le "fondement" de l'épigénétique, par exemple. En passant, on voit que l'usage d'adjectifs conduit à la faute de pensée... raison pour laquelle, dans notre groupe de recherche, nous bânnissons adjectifs et adverbes, pour les remplacer le cas échéant par la réponse à la question "Combien ?".

dimanche 29 novembre 2015

La communication, il y a du lien social, de l'art, de la technique

Hier, de jeunes amis sont venus me présenter un film qu'ils avaient produit, afin de faire la promotion d'un produit (pédagogique). Ils me demandaient ce que j'en pensais, et j'avais des raisons autres qu'esthétiques (au sens de la beauté des images ou du son) de critiquer leur travail : la critique essentielle portait sur le fait que le film restait à la surface des choses, et que le contenu n'était quasiment pas évoqué. Or je propose toujours de partie du contenu, et de faire l'habillage ensuite.

La suite sur  : http://www.agroparistech.fr/La-communication-il-y-a-du-lien-social-de-l-art-de-la-technique.html

mercredi 5 août 2015

Les sciences quantitatives

 Cela fait longtemps que je me dis que les scientifiques (ceux des sciences de la nature, qui sont bien différents de ceux des sciences de l'humain et de la société) auraient intérêt à montrer à la collectivité en quoi leur activité est différente des simples discours, avec des mots. 
Une discussion récente avec des amis cuisiniers m'a montré qu'il y avait urgence, car tout le monde confond... au point que les cuisiniers Marie Antoine Carême ou Auguste Escoffier, dont le monde culinaire gobe les déclarations, ont parlé de "cuisine scientifique", ne comprenant pas que c'était soit une évidence, soit une impossibilité.

 La cuisine est une science : c'est une évidence si le mot "science" signifie "savoir", comme l'on parle de la science du maître d'hôtel, la science du coordonnier, la science du forgeron... Oui, il faut de la connaissance pour cuisiner ! Il faut savoir que l'oeuf coagule à la chaleur, que du blanc d'oeuf forme une mousse quand il est fouetté, que les tissus végétaux brunissent quand ils sont coupés, mais que du jus de citron prévient ce brunissement, etc.
Dans cette acception de "science", la cuisine est une science, bien évidemment.

En revanche, la cuisine n'est certainement pas une science, au sens des sciences de la nature, qui sont des activités où l'équation est la base de tout, et où l'objectif n'est pas la production de mets, mais la recherche des mécanismes des phénomènes.

Un cuisinier qui apprendrait pourquoi les soufflés gonflent (le gonflement est un phénomène) serait-il scientifique ? Non, ce serait un cuisinier qui recevrait une connaissance produite par des scientifiques de la nature. On peut penser que cette connaissance ne nuit pas (j'utilise ici une figure de rhétorique qui est nommé la litote : dire moins pour faire penser plus), mais cela ne change pas les natures respectives de la cuisine (produire des mets) et des sciences de la nature (produire des connaissances fondées quantitativement ; j'y reviendrai). Deux activités qui ont des objectifs différents, et des méthodes différentes : ce sont deux activités différentes, et qui le seront à jamais, puisque leurs objectifs et méthodes n'ont pas de raison de changer.
Bref, si l'acception de "scientifique" est "scientifique de la nature", alors la "cuisine scientifique" est une impossibilité.

Cette confusion de la "cuisine scientifique", ou de la "cuisine qui deviendra une science" a donc atteint (au sens d'une maladie) les grands anciens qu'étaient Carême ou Escoffier. Ils voulaient certainement élever leur activité, mais c'est étonnant que leur aspiration ait été du côté des sciences de la nature, au lieu d'être du côté de l'art, tout comme il est étonnant que, alors que le bon est le beau  à manger, il y ait tant de nos amis qui hésitent à considérer la cuisine comme un art au même titre que la musique ou la peinture. On invoque le fait que la cuisine soit éphémère... mais la musique n'est-elle pas également éphémère ? Après tout, on ignore aujourd'hui comment Bach jouait ses partitas, parce qu'il n'y en a pas eu de reproduction, et, d'ailleurs, une reproduction ne règle rien : tant qu'on ne fait pas jouer un disque, on n'entend pas la musique  conservée sur le disque. De même, tant qu'on n'exécute pas une recette écrite dans un livre, on ne peut goûter la recette

 Mais ce n'est pas la discussion que je veux avoir ici. Ce que je veux faire, c'est montrer, sur un exemple simple, une activité scientifique, au sens des sciences de la nature. Comme dit précédemment, c'est l'étude d'une question dont on n'a pas la réponse, et non l'apprentissage des résultats obtenus par des prédécesseurs. A la base de cette activité, donc, une question dont on n'a pas la réponse.

Je propose de considérer d'abord un exemple ancien : l'exploration de la constitution des matières grasses par le chimiste angevin Michel Eugène Chevreul (1786-1889). A l'époque, on ignorait la notion de molécules, et, de ce fait, on ignorait que les matières grasses sont faites de molécules de triglycérides.
Chevreul avait étudié la saponification des graisses, c'est-à-dire l'opération qui consiste à les chauffer avec une base, ce qui produit un ion carboxylate et un alcool, en l'occurence le glycérol, ou glycérine. Une question était de savoir si les graisses sont de simples mélanges de glycérol et d'acides gras, ou bien si ce sont des produits de réaction. La réponse à cette question est venue de la mesure précise des quantités des divers produits : le bilan faisait apparaître une différence de cinq pour  cent, ce qui se comprend si de l'eau intervient dans la réaction. C'est là une forme élémentaire de méthode quantitative.

Autre exemple plus ancien : la découverte de la gravitation, par Isaac Newton. A l'époque, on pensait que les astres se mouvaient selon un cercle. Toutefois les données astronomiques de Johannes Kepler avaient montré que le mouvement était plutôt une ellipse. Pourquoi une ellipse ? Newton formule la loi de l'attraction entre les masses inversement proportionnelle au carré de la distance.
 Ici, on voit des mots, de sorte que nos amis pourraient penser que la science de la nature ne se distingue pas des autres savoirs... mais ces mots recouvrent en réalité une équation que l'on pourrait écrire : F = G.M.M'/r2.

Jamais le goût ne pourra se décrire ainsi,  si l'on considère que le goût est la sensation -personnelle- que nous avons quand nous mangeons un aliment, goût qui change avec les circonstances, l'état physiologique (par exemple, le phénomène d'alliesthésie négative correspond au fait que notre appétit pour un met diminue avec sa consommation), la compagnie, l'heure de la journée, l'exercice que l'on a pris ou pas... Et puis, la beauté (je rappelle que le bon, c'est le beau à manger)  ne se met pas en équation, et que c'est un fantasme naïf que d'avoir cru que le nombre d'or ferait de belles proportions.

Pour en revenir à Newton, scrupuleux, et conscient que les sciences de la nature produisent des théories qu'il faut tester expérimentalement, il chercha à savoir si l'attraction exercée par la Terre sur la Lune correspondait quantitativement à la loi qu'il avait proposée, et si l'on pouvait identifier cette attraction à la pesanteur terrestre. Sachant que le rayon de l'orbite lunaire est égal à environ 60 rayons terrestres, la force qui maintient la Lune sur son orbite devait être  60², soit 3600 fois plus faible que la pesanteur. Une masse tombant en chute libre au voisinage de la surface terrestre parcourt dans la première seconde une distance de 15 pieds, ou 180 pouces, de sorte que la Lune devait donc tomber vers la Terre à raison d'un vingtième de pouce par seconde. Or, connaissant la période de révolution de la Lune et la dimension de son orbite, on peut calculer sa vitesse de chute. Avec la valeur acceptée en Angleterre en ce temps, Newton trouva seulement un vingt-troisième de pouce par seconde.

Un vingt-troisième de pouce alors qu'il avait calculé un vingtième de pouce ? Cela suffisait pour qu'il renonce à sa théorie juqu'à ce que, en 1682,  au cours d'une réunion de la Royal Society, il apprenne  que l'astronome français Jean-Félix Picard avait déterminé le rayon terrestre et trouvé une valeur différente de celle que l'on connaissait auparavant. Avec la valeur que Picard donnait pour le rayon de la Terre, Newton calcula que la vitesse de chute de la Lune était bien un vingtième de pouce par seconde, valeur qui lui permettait de proposer sa théorie.

 Moralité de toute cette affaire : ces travaux scientifiques ne valent que par le calcul, les équations, et c'est d'ailleurs une idée qui a présidé à la fondation des sciences modernes de la nature, que "le monde est écrit en langage mathématique", comme le disait Galilée. Autrement dit, les scientifiques de la nature explorent les mathématiques du monde. Rien à  voir avec la cuisine.

mardi 10 février 2015

Socialisante, la cuisine ?

La cuisine est-elle une activité socialisante ?
La réponse est oui... dans certaines circonstances. Par exemple, si je cuisine pour autrui, autrui me fait la confiance de me confier sa santé, sa vie même. La relation qui se crée est donc essentielle, et voilà pourquoi j'ai publié il y a longtemps un livre dont le titre est : la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique.
L'amour, c'est exagéré, parce que certains cuisinent pour de l'argent, d'autres pour du pouvoir, et ainsi de suite.... mais il  y a toujours du lien social.
D'ailleurs, l'art lui-même a quelque chose de social, à moins qu'il ne soit comme de la cuisine que l'on ferait pour  soi-même.

Pour ceux qui ont peur, on observera que la socialisation de la cuisine intervient pour toutes les formes de cuisine, de la cuisine médiévale à la cuisine note à note, en passant par la nouvelle cuisine, la cuisine classique ou la cuisine note à note. On se souvient (voir  mon livre Mon histoire de cuisine) que j'ai proposé des moyens d'augmenter la socialité due à la cuisine, par des plats que l'on partage, au  lieu de conserver chacun pour soi sa portion.

Bref, la cuisine est une belle activité... quand elle est pratiquée avec socialité, art et technique, n'est-ce pas ? 

samedi 4 mai 2013

Des précisions utiles pour de futurs professionnels

La pédagogie doit-elle se fonder sur la répétition ? C'est parce qu'on le dit que j'en doute : salutaire réaction. Au lieu d'ânonner, ne doit-on pas plutôt tourner autour du noeud de l'incompréhension, jusqu'à le débusquer ? Oui, il y a l'exposé des faits, préalable au jugement, mais si les faits avaient une organisation rationnelle, ils seraient sans doute plus "admissibles"...
Tout cela me vient, parce que je reçois le message suivant :

"Bonsoir, élève ingénieur, je suis intéressée depuis quelques années par l'étroite relation existant entre les sciences et la cuisine. Je me pose notamment des questions sur une éventuelle carrière dans ce domaine.
J'aurais dès lors aimé vous rencontrer afin d'en apprendre un peu plus sur vos sujets actuels de recherche. Si cela vous convenait, j'apprécierais de plus beaucoup de passer une semaine dans votre laboratoire cet été (pour travailler par exemple sur un sujet que j'aurais pu par ailleurs travailler un peu en amont afin de rentabiliser le temps passé en laboratoire).
En attente de votre réponse, je vous prie de croire en ma respectueuse considération."



1. Les relations entre science et cuisine ? Stricto sensu, il n'y en a pas : la cuisine produit des mets, et les "sciences quantitatives" cherchent les mécanismes des phénomènes.
MAIS : il est vrai que la cuisine peut utiliser des résultats des sciences, via la technologie, et il est vrai que la cuisine est pleine de phénomènes, que les sciences quantitatives peuvent explorer... d'où la "gastronomie moléculaire", laquelle, au fond, espère faire des "découvertes" (comme la relativité, la mécanique quantique, etc.) en cherchant les mécanismes de ces phénomènes.

2. Une carrière dans ce domaine ? Lequel ? A la lumière de ce j'écris plus haut, il faut choisir :
- technicien : c'est de la cuisine
- artiste : c'est de la cuisine
- technologue, ou ingénieur : c'est vers quoi je pousse les gens de talent, parce qu'il en va à la fois de l'intérêt national, et aussi de l'intérêt du public ; des ingénieurs de qualité dans l'industrie alimentaire, ce sont à la fois des produits innovants, des produits de qualité, et une industrie alimentaire française qui a ses chances à l'export, sans compter la réputation du pays.
- scientifique : les sciences quantitatives sont des sciences quantitatives, et la cuisine n'est vraiment qu'accessoire

3. Vous rencontrer : très volontiers.
3'. Passer une semaine au laboratoire cet été : une semaine, c'est court pour un travail de physico-chimie... mais tout est possible : le laboratoire est ouvert à toutes les personnes droites, intéressées, désirant travailler (quel beau mot). Il y a quelques règles, mais le but est (pour moi, en tout cas), de contribuer à ce que chaque personne du groupe apprenne autant qu'il peut.

4. Des sujets : une étudiante de l'ENS s'étant étonné que notre site n'affichait pas les thèmes de recherche, j'ai fait cela (pas à jour, parce que trop d'idées, hélas) : http://www.agroparistech.fr/Les-travaux-du-Groupe.html


Bref, parlons-en...

lundi 7 janvier 2013

La technique n'est pas l'art, la technologie n'est ni la technique ni l'art!

Ce matin, un retour de voeux, qui pose une question intéressante : 


Merci pour vos voeux. Recevez les miens
Dans l'un d'eux : faites que l'industrie agro alimentaire cesse de proposer  à la population tout et n 'importe quoi , peut-être bactériologiquement sain mais qu'en est il du reste ?


Ma réponse : 
Vous avez parfaitement raison : nous devons oeuvrer pour que les ingénieurs que nous contribuons à former ne s'érigent pas en artistes qu'ils ne sont pas ! C'est d'ailleurs ce qui était sous entendu dans mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".

Les ingénieurs "mécaniciens" ont fait beaucoup de bêtises, quand ils ont voulu prendre la place d'architectes, qui étaient des artistes : leurs bâtisses étaient peut-être fonctionnelles, mais hideuses. Ne répétons pas la même erreur !

Du coup, il faut sans doute  :
- renforcer la formation artistique des chefs,
- enseigner aux jeunes ingénieurs de l'industrie à bien savoir s'adresser à de beaux artistes sans avoir la prétention de s'en passer
- enseigner aux artistes à apprendre à formuler des demandes aux industriels, afin d'être aidés dans leur tâche.

Vive la gourmandise éclairée, dans tous les cas

dimanche 7 octobre 2012

Une question fréquente

Des étudiants nombreux posent (en substance) la même question : 

"Passionné(e) de chimie et de cuisine, je souhaite orienter mes futurs travaux  vers un domaine qui me permettra d'allier ces deux passions."



Comment répondre ? 

Analysons d'abord du point de vue de l'emploi, car il serait irresponsable de ne pas envisager que les études conduisent à un travail (et l'on sait combien j'aime le mot "travail", qui donne le mot "travaux" figurant dans la question posée).

Il y a l'industrie, qui produit des biens et des services, et l'administration, qui ne devrait être qu'un "appui" à l'industrie : si l'on fait des routes, c'est pour que la nation -qui les paye- les utilise, pas seulement pour que ceux qui les font -qui reçoivent leur financement de la nation-, non ?

Donc il semble légitime d'inviter les étudiants à penser qu'ils doivent plutôt viser un travail dans l'industrie... en se souvenant que les Canadiens ont raison de nommer "industrie" le secteur de la restauration commerciale, les restaurants en un mot : pas de différence de nature entre un cuisiniers avec quelques employés, dans un restaurant, et une petite entreprise de quelques personnes.

Un travail dans l'industrie ? S'ils sont intéressés par la "cuisine", il faut donc inviter nos jeunes amis à viser l'industrie alimentaire... dans toute sa diversité : cela va de la boulangerie, au restaurant, au fournisseurs de denrées pour le restaurant, au producteur de spécialités, jusqu'à la multinationale qui produit ou distribue des produits alimentaires.
Il y a donc du choix, des possibilités d'emploi !


Cela dit, une personne qui travaille dans ces secteurs fera-t-elle de la "chimie" et de la "cuisine" ? 

Analysons les termes :

La cuisine, d'abord : il s'agit d'une activité qui allie lien social, art, technique, mais dans des proportions qui varient, de la baraque à frites (technique) au restaurant de haute cuisine (art). Pour faire de la bonne cuisine technique, il faut être un bon technicien. Pour faire de la belle cuisine artistique, il faut être un artiste.

La chimie, ensuite : le terme est aujourd'hui confus, mais il ne tient qu'à nous qu'il le devienne demain moins.
Historiquement la chimie était un "art chimique", c'est-à-dire une activité technique : fabrication de savons, métaux, cosmétiques, aliments, etc. Puis lentement, une composante technologique s'est ajoutée, puis une composante scientifique.
De quoi parle notre jeune ami : de technique ? Produire des aliments ? Dans l'acception ancienne, produire un aliment ou orchestrer des réarrangements d'atomes ("réactions chimiques"), c'est pareil. De technologie : améliorer la technique par la connaissance des réarrangements d'atomes, c'est bien la mission des ingénieurs de l'industrie alimentaire. Science ? Là, il s'agit de "faire des découvertes", et la cuisine est bien éloignée, parce que la science n'a pas vocation de produire à manger.

A ce jour, le mot "chimie" pose donc problème, parce que l'on confond la science chimique et ses applications. Or la chimie a si mauvaise presse que l'industrie chimique voudrait ne plus être nommée ainsi, alors que la science chimique voudrait conserver le nom.
C'est peut-être l'occasion de réserver le nom de "chimie" à la science des réarrangements d'atomes (voir mon livre La Sagesse du Chimiste, Ed JC Béhar), ce qui conduirait à répondre à notre jeune ami qu'il n'y aura jamais de chimie en cuisine !

Finalement, notre jeune ami veut-il être scientifique, technologue (ingénieur), technicien ou artiste ?

J'ai l'espoir que cette analyse, qui conduit inévitablement à la dernière question, l'aidera à dépasser les fantasmes que nous avons tous, notamment de croire que l'on peut mêler la science chimique et l'art culinaire. Répétons qu'il n'existera jamais de carré rond !


samedi 25 août 2012

Il y a avenir de la profession, d'une part, et la question du lien social, de l'autre

 Ce matin, un message amical qui, reconnaissant que j'ai par ailleurs écrit que la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique, me pose une question :

"Pouvez vous communiquer sur votre vision de l’avenir de l’artisanat dans nos métiers de bouche ?  Je n’ai pas toujours l’impression que notre société et vos travaux fassent  l’apanage du « lien social » ?!... (Rationalisation quand tu nous tiens, les normes étouffantes du matérialisme moderne…)
 Merci pour votre avis
Bien fraternellement à vous"

Il faut donc que je réponde... mais il y a là beaucoup de questions. 

Allons y doucement, en commençant par une histoire (vraie)  : lorsque nous avons rénové le référentiel du CAP cuisine (contre l'avis de tas de réactionnaires, mais c'est une autre histoire), nous avons dû discuter de façon très âpre, parce qu'une commission, ce n'est pas un groupe d'individus tous d'accord a priori. Il y a eu beaucoup de travail, de nombreuses séances, sous la houlette amicale de l'Inspection générale. D'ailleurs, je dois dire que j'ai été émerveillé de l'intérêt précis que tous les membres de la commission prenaient à cette rénovation, qui a permis de faire disparaître (notamment) des erreurs terribles telles que la "cuisson par concentration" et la "cuisson par expansion" (des erreurs qui s'étaient introduites dès 1901). 

Bref, tout allait bien, nous discutions âprement, mais civilement, et nous sommes arrivés à un consensus. Lors de la dernière séance, nous étions tous soulagés d'y être parvenu... quand je me suis "mal comporté" : j'ai annoncé que, puisque la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, il fallait maintenant tout remettre à plat pour rénover l'enseignement, et enseigner, dans l'ordre : 
1. l'amour (lien social)
2. l'art
3. la technique

Oui, on ne lève pas des filets de poisson si on n'a pas une idée de l'oeuvre envisagée, et, surtout, si on ne les lève pas pour quelqu'un en particulier. L'art ? Les oeufs et autres lapins en chocolat minables que l'on voit chez les pâtissiers au moment de Pâques montrent bien que la question artistique n'est pas résolue, et que son enseignement laisse à désirer. Le lien social ? On cuisine, mais pour qui ? Comment, autrement qu'en faisant le geste de griller une viande, se préoccupe-t-on des convives, de leur bonheur ? 
A ce jour, je n'ai pas vu de manuel qui enseigne ces questions... qui sont d'ailleurs bien difficiles. 

Ce qui me conduit à la première réponse que je dois donner à notre ami. Le futur de l'artisanat de bouche ? 
D'abord, il y a là le mot "artisanat", que je distingue du mot "art" : je fais une différence entre le peintre en bâtiment et Rembrandt, non pas que j'en mette un plus haut que l'autre, mais simplement que l'on ne peut comparer que des choses comparables. Ce qui m'a conduit plusieurs fois à proposer que la profession fasse la distinction, et aussi les guides culinaires, d'ailleurs. J'ai proposé plusieurs fois au Michelin qu'ils fassent des catégories séparées pour les artisans et les artistes. Et, comme "client" potentiel, j'aimerais bien que, quand je vais au restaurant, on me dise à l'avance si je vais trouver de l'artisanat ou de l'art. Tout n'est pas clair, et des éclaircissements pourraient être utilement donnés. 
C'était notamment le sens de mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique" (Editions Odile Jacob, Paris). 

Oui, mais notre ami me parle d'artisanat. C'est là un mot compliqué, parce qu'il y a la définition légale (un individu qui travaille seul, par opposition à l'industrie) et la définition donnée ci dessus. 
Dans les deux cas, l'avenir de la profession dépend de l'enseignement. D'où la réponse implicitement donnée plus haut : j'invite tous mes amis à réclamer avec moi à l'Inspection que l'on introduise des cours explicites de lien social et d'art (autre chose que faire des roses en pâte d'amande !). 


J'arrive maintenant à la deuxième phrase de la question : notre ami n'a pas l'impression que notre société et mes travaux fassent l'apanage du lien social. 
Ici, deux aspects : la société, et mes travaux. Pour la société, j'y reviens, elle bougera si chacun d'entre nous s'y met, si nous sommes beaucoup à savoir dire quand quelque chose nous plaît et quand quelque chose nous déplaît. J'ai fait une proposition, et j'espère être suivi. En revanche, je sais que la question du lien social est une question très difficile : comment apprendre à aimer ? Comment mieux vivre en société ? Ce sont des questions essentielles, et nous aurons à combattre les marchands de peur, les autoritaires, les paresseux, les malhonnêtes... Toutes catégories qui, avec des individus parfois intelligents, donc dangereux, s'efforcent de gripper les rouages sociaux en vue de leurs intérêts opposés au bien collectif. Ne soyons pas naïf : il faudra oeuvre activement et habilement. 

Pour mes propres travaux, il est vrai que, ayant promu l'idée que la cuisine soit d'abord de l'amour, je n'ai pas beaucoup étudié la question... parce que je ne suis pas certain qu'elle relève de ma compétence. Je fais une différence entre le scientifique formé à la chimie physique, qui s'efforce de produire dans ce champ scientifique particulier, et l'intellectuel qui ne peut s'empêcher de penser les objets qu'il considère. 
D'ailleurs, cette double action brouillé malheureusement les pistes, produit de la confusion chez mes interlocuteurs. Alors que mon activité scientifique n'est que scientifique, et non technologique, je ne peux m'empêcher de souhaiter que la cuisine évolue, d'où la promotion de la cuisine moléculaire, dans le temps, et, aujourd'hui, de la cuisine note à note. 
Merci à notre ami de me donner la possibilité d'éclaircir les choses : personnellement, je ne ferai pas de cuisine note à note... parce que je ne suis pas cuisinier ! (même si je cuisine, si j'ai de bons maitres en cuisine, et si je ferai de la cuisine note à note à titre privé). Ce que je continuerai à faire, dans notre merveilleux laboratoire d'AgroParisTech (merci à l'institution qui me permet de travailler), c'est de la chimie physique, aussi soigneusement et intelligemment que je pourrai, en compagnie d'étudiants soucieux d'apprendre (ils sont là du matin au soir, en plein mois d'août, à titre volontaire), de collègues amicaux... 

Oui, je n'étudie pas quotidiennement le lien social, mais c'est un de mes regrets ! Et j'invite de jeunes talents à ne pas hésiter à se lancer dans l'aventure. La cuisine vaut bien cela !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

 


vendredi 17 août 2012

L'art n'est pas la technique !

On me demande s'il faut cuire beaucoup ou peu les crèmes pâtissières...

C'est une confusion entre la question technique, et la question artistique.
Ce que la technique peut dire, c'est que l'amidon s'empèse à chaud, dans l'eau, les grains perdant des molécules d'amylose (comme des fils microscopiques), l'eau venant s'infiltrer entre les molécules d'amylopectine restantes (des arbres microscopiques), faisant gonfler les grains. Ce que la technique peut également dire, c'est que, quand on cisaille la sauce, en la chauffant longtemps, les grains sont détruits, et la sauce se fluidifie... Et ainsi de suite, mais rien de tout cela ne dira ce qui est "meilleur", car le meilleur, c'est le plus que bon ; or le bon (et le meilleur) ne relève pas de la technique, mais de l'art.
Par exemple, ceux qui aiment les crèmes pâtissières épaisses les voudront épaisses ; d'autres les préféreront plus fluides... Chacun son goût, chacun son "meilleur" !

Ne confondons jamais la technique et l'art... sans compter que la cuisine, c'est d'abord du lien social : pour que la cuisine soit bonne, il faut certes la technique, il faut certes l'art, mais il faut surtout la façon de la faire pour nos hôtes !

PS. Ajoutons aussi que la meilleure crème pâtissière n'existe pas, même pour un individu particulier : selon les jours, on a le droit de préférer l'une ou l'autre ; selon les autres ingrédients du mets, on peut approprier la crème...

dimanche 19 septembre 2010

A propos d'une question

Je reçois ce matin un message amical, intitulé "Brutale séduction (de la cuisine du XXIe siècle) après un long rejet fondé sur l'ignorance".

Mon correspondant m'écrit, parmi des compliments que je conserve pour moi :


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Découvert récemment après un repas sous un divin ciel étoilé à la Terraza del Casino (chef Paco Roncero) en tête à tête avec mon épouse ...et Madrid illuminée à nos pieds. La réussite gastronomique de cette soirée est comme vous le dites liée aux convives ...mais il nous est arrivé de manger beaucoup moins bien dans un décor aussi ...magnifique et romantique ...avec le même enthousiame de départ. Je songe au multi étoilé XXXXXXXX [je mets autant de X qu'il y a de lettres au nom de l'homme] qui nous a laissé un piètre souvenir en juin 2010 ...essentiellement par ce que je qualifierais de manque de " générosité "...

Nos sens de convives lambda fonctionnent à la milli seconde et ne sont en rien comparables à ceux d'inspecteurs Michelin... Ainsi votre ami, comparse et célèbre Gagnaire a perdu tout attrait pour ma femme et moi - malgré son génie - parce qu' un jour à la télé, il a décrété qu' il détestait la clientèle des médecins qui plus que d 'autres se permettait de critiquer sa cuisine, alors qu' elle n' y connaissait rien. Oui, ma femme, chirurgien ophtalmologiste et moi-même, chirurgien orthopédiste, estimons pouvoir dire que nous aimons ou non, tel repas ou tel plat. Nos patients ne se privent pas de juger ceux qui les soignent, sans la moindre compétence autre que celle glanée sur la toile.
Votre attitude de serviteur de la communauté, rémunéré essentiellement par le contribuable ( pour les 35 heures ! ) rassure .

Votre pub n'est pas nécessaire. Seules vos connaissances de plus en plus vastes, sont recherchées. Et la gastronomie "moléculaire" ou tout simplement créative est un délice.
Les clients sont de plus en plus blasés, mais les produits également de plus en plus maltraités et servis uniformément de par le vaste monde. Sauf pour la multitude des cuisines asiatiques ou les applications comme les vôtres de la science .
Les "espumas", ou baves de crapaud, si souvent insipides dans ma belgitude ou les saveurs de fèves de tonka servies sous toutes les formes du début à la fin du repas jusqu'à la nausée dans un célèbre resto au nord est de Namur symbolisaient la "cuisine moléculaire" comme la salade folle - non préparée chez les Troigros - était la "nouvelle cuisine " du XX-ième, sans l'être.

Bref, dès demain, nous nous mettons à rechercher au moins un de vos ouvrages et pourquoi pas suivre votre blog ;-)
A ce propos, "osons les oses" où vous nous conviez , ne semble pas indiquer les dates alors que la limite pour s' y inscrire est claire ....
Merci à Margaux qui porte un patronyme de chez nous si elle peut me renseigner .

Encore tous mes remerciements admiratifs .
Bon travail

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Evidemment, même si mon "nouvel ami" ne me demande aucun commentaire, j'ai fait, parce que je les crois nécessaires.

Si je peux me permettre, tout d'abord il ne faut juger d'un principe ni sur sa matérialisation réussie, ni sur sa matérialisation ratée, mais sur sa cohérence, par exemple. La cuisine moléculaire in toto n'est ni bonne ni mauvaise : elle est bonne quand elle est bien faite, et on juge alors le travail effectué, pas le principe ; et elle est mauvaise si elle est mal exécutée, et, là encore, ce n'est pas le principe que l'on juge, mais la réalisation. Donc tant mieux si le repas à Madrid a été bon, mais seul le cuisinier en est responsable, et ni la cuisine moléculaire, ni la gastronomie moléculaire.

D'autre part, la question de juger la cuisine est bien difficile parce qu'un sandwich avec des copains fait le meilleur repas de la terre, surtout si l'on a faim : D'Hunger isch s'beschte Koch, dit-on en Alsace. Inversement, un repas d'affaire avec des malhonnêtes est toujours une épreuve redoutable (j'ai fait l'expérience chez mon ami Pierre Gagnaire).

A propos de Pierre, je regrette bien qu'il se soit emporté un jour contre les médecins, mais il faut le prendre tel qu'il est : un artiste qui marche au coeur, à la sensibilité, et je le connais assez pour penser qu'il avait dû être "douché" dans la minute avant l'enregistrement télévisuel, parce que, en réalité, il ne déteste personne sauf les malhonnêtes.

A propos des mousses (que je me refuse absolument à nommer espumas, parce qu'il n'y a aucune raison à cela, d'autant qu'une "écume", c'"est une mousse faite d'impuretés), il y a -si je peux me permettre- la même faute que celle qui était reprochée à Pierre : c'est une généralisation trop rapide.
Le bleu est-il beau? Le do bémol est-il beau ? Une mousse est-elle bonne? Un blanc de volaille cuit sec est-il raté?
Je réponds que le bleu n'est beau que dans le contexte d'une oeuvre, que le do bémol n'a pas d'existence en soi, pas plus que le blanc de volaille sec ou que la mousse. Dans un plat très "liquide", il FAUT du blanc de volaille sec ; dans certains plats, il FAUT ce que vous nommez des baves de crapaud, tout comme dans certains tableaux, il faut du bleu, et que le do bémol s'impose artistiquement parfois.

Ces questions esthétiques sont discutées dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, qui serait mon meilleur si le tout dernier n'était peut-être, dans un genre très différent (j'ose espérer que mes livres ne sont jamais les mêmes, quitte à passer pour "baroque"), encore supérieur.

Enfin, pour les rencontres Science, art et cuisine (la séance publique de restitution/remise des prix), elles ont lieu quand tout le monde a travaillé, soit vers le début de l'été.

Vive la gourmandise éclairée!

mercredi 28 avril 2010

Classements

Une revue britannique a la prétention de régir le monde culinaire en émettant chaque année un classement des cuisiniers. Permettez moi de vous inviter à ne même pas chercher quelle revue fait cela... car leur classement est idiot, d'année en année. Même, comment faire parler de soi quand on est malhonnête? En prétendant à l'honnêteté et en faisant un classement idiot.

Je propose ici de faire l'impasse absolue sur ce classement (j'ai même été trop loin en évoquant une revue britannique), et de cesser toute collaboration (au sens le plus terrible du terme : pensons à la Seconde Guerre mondiale) avec cette revue.

Au fait, qui est "mieux", en musique : Bach? Mozart? Debussy? Eric Clapton? U2? Et en peinture : Rembrandt? Delacroix? Shitao? Et en sculpture : Jeanclos? Rodin? Bartholdi?

Sans compter que la "compétence" des votants est en cause... et que la vérité n'est pas démocratique : un vote de un million de personnes contre moi ne pourra me faire penser que 2+2=5!

Cessons donc la collaboration ; ne dénonçons même plus les classements idiots, et faisons des listes de splendides artistes culinaires.

Dans mon cas, il est notoire que j'aime la cuisine de :
Pierre Gagnaire, Michel Bras, Michel Guérard, Paul Bocuse, Pascal Barbot, Pierre Dominique Cécillon, François Pasteau, Grant Achatz, Patrick Terrien, Emile Jung, Denis Martin, Daniel Boulud, Jean-Pierre Curtat, Wylie Dufresnes, Guy Martin, Koji Shimomura, Sang Hoon Degeimbre, Christian Conticini, Philippe Conticini, Paul Minchelli, Claude Peyrot, Bernard Pacaud, Joel Robuchon, Gérard Vié, Alain Passard, Benoit Guichard, Daniel Vézina, Alain Ducasse, Bernard Lonati, Jean-Pierre Lepeltier, Jean-Pierre Biffi, Jean Chauvel, Gael Orieux, Yannik Alleno, Michel Roth, Nicolas Bernardé, Patrick Martin, Alain Senderens, Michel Saran, Christian Le Squer, Alex Atala, Mara Salles, Yannick Anton, Michel Nave...

On le voit : la liste est désordonnée, parce que je récuse l'ordre. D'abord, il y a les circonstances, qui faussent tout (avais-je faim en entrant? avec qui étais-je? qui était à la table d'à côté? quel était le temps? de quel pied m'étais je levé?). Ensuite, il y a le niveau de culture culinaire : de même que l'amateur de jazz qui n'est pas passé par Coltrane ne peut sans doute pas apprécier Yussef Lateef, je vois mal un enfant comprendre grand chose aux cuisines les plus évoluées artistiquement. Ensuite...


Bref, vous aurez compris que ma liste n'est pas un brevet de qualité accordé, mais seulement... une liste.
Bien sûr, on pourrait ordonner un peu :
Cuisine classiques
Cuisines modernes
Cuisines moléculaires
Cuisine fusion
Cuisine...

Mais, à quoi bon, au fait?

Et puis, il faut quand même dire que ma liste est bien incomplète : dans ce billet, je n'ai pas mis tous les amis qui m'ont donné du bonheur. Pardon à ceux qui ne sont pas présents, mais l'objet était surtout de répéter que les classements sont idiots.

Refusons les, ne collaborons pas!
Emerveillons nous de ce qui est bien fait : il n'est pas nécessaire d'abaisser les uns pour réhausser les autres !


PS. N'hésitez pas à m'indiquer de nouveaux noms, que j'ajouterai.