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mardi 25 janvier 2022

Un phénomène ?

 Les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes... mais qu'est-ce qu'un phénomène ? 


On sait bien que les philosophes ont déjà amplement discuté la question, mais voici en tout cas ce que donne le Trésor de la langue française informatisé : 




CNRTL
PHÉNOMÈNE, subst. masc.

I.
A.- PHILOS. et lang. des sc.
1. Au sens large. Ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre psychique, et qui peut devenir l'objet d'un savoir. Nous donnerons (...) le nom de phénomène à l'apparence vraie, c'est-à-dire à celle qui a toute la réalité externe que nous lui attribuons naturellement (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p.7). Un fait est en quelque sorte un phénomène arrêté, précis, déterminé, ayant des contours que l'on peut saisir et dessiner: il implique une sorte de fixité et de stabilité relatives. Le phénomène, c'est le fait en mouvement, c'est le passage d'un fait à un autre, c'est le fait qui se transforme d'instant en instant (P. Janet, La Crise philos., Paris, Germer-Baillière, 1865, p.56).V. accident ex. 1 et irréfléchi ex. 2:
1. Les êtres et les choses, et les différentes combinaisons, qui, désignées sous le nom de phénomènes, faits, événements, s'établissent entre eux dans le temps, forment ensemble comme une étoffe que la main régulièrement tire de son rouleau. Claudel, Art poét., 1907, p.132.
2. Ce que l'on observe ou constate par l'expérience et qui est susceptible de se répéter ou d'être reproduit et d'acquérir une valeur objective, universelle. Synon. fait (scientifique).[Newton] apprit aux hommes à n'admettre, dans la physique, que des théories précises et calculées, qui rendissent raison non seulement de l'existence d'un phénomène, mais de sa quantité, de son étendue (Condorcet, Esq. tabl. hist., 1794, p.176). Plus le phénomène est précisé scientifiquement, et plus il est un produit d'abstraction, et plus il s'écarte de l'idée primitive d'une donnée sensible, d'une idée imposée à l'esprit par la perception passive et contrainte, sans qu'hypothèses et raisonnements ne lui aient composé la majeure partie de sa signification (L. Weber,Vers le positivisme abs. par l'idéalisme, 1903, p.220). Essaie de concevoir un monde étrange où l'approche, la prévision du phénomène, a tous les effets du phénomène: -où les hasards redeviennent comme mûs désormais dans une loi: où l'improbable devient, par une conséquence de sa production une seule fois, le probable (Valéry,Tel quel II, 1943, p.279).V. affirmer ex. 23, arbitrairement ex. 1, cause2ex. 16, condition ex. 11, conscience ex. 12, inscrutable ex.:
2. Nous ne voulons pas tirer la morale de la science, mais faire la science de la morale, ce qui est bien différent. Les faits moraux sont des phénomènes comme les autres; ils consistent en des règles d'action qui se reconnaissent à certains caractères distinctifs; il doit donc être possible de les observer, de les décrire, de les classer et de chercher les lois qui les expliquent. Durkheim, Divis. trav., 1893, p.XXXV.
SYNT. a) α) Analyser, comprendre, élucider, étudier, examiner, illustrer, interpréter, isoler, mesurer, noter, prévoir, rencontrer, souligner un phénomène; mettre en évidence, en lumière un phénomène; être en face d'un phénomène; rendre compte d'un phénomène. β) Déclencher, obtenir un phénomène; influencer, accélérer, limiter, endiguer, enrayer un phénomène; devenir/ être le siège d'un/de phénomène(s); engendrer un phénomène. b) Un phénomène se déclare, se produit, s'opère, se déroule, s'accomplit; un phénomène s'accentue, s'accroît, s'aggrave, s'amplifie, décline, cesse, disparaît; un phénomène évolue, varie, continue, persiste, se répète, se généralise, se propage. c) Authenticité, intensité d'un phénomène; antécédents, aspects, causes, circonstances, clé, conséquences, incidences, phases, résultat d'un phénomène. d) Au plur. Comparaison, détermination, maîtrise des phénomènes; connexion, enchaînement, liaison, mécanisme, série, succession des phénomènes; catégorie, classe, groupe, ordre de phénomènes; cycle de phénomènes.
- [Suivi d'un adj. déterminatif indiquant]
♦ [le caractère, la qualité du phénomène] Phénomène simple, complexe; phénomène caché, étrange, mystérieux, occulte; phénomène perturbateur; phénomène aberrant, accessoire, accidentel, marginal, universel; phénomène spontané/provoqué, réversible, stable; phénomène rapide, régulier, violent; phénomène constant, cyclique, éphémère, fréquent, saisonnier, sporadique, temporaire, transitoire; phénomène général, local. Depuis les analyses de Durkheim, le crime est reconnu comme un phénomène normal, c'est-à-dire que la criminalité n'est pas un fait accidentel et ne procède pas de causes fortuites (Traité sociol., 1968, p.213):
3. Les forces intérieures de la terre se traduisent ou bien par des phénomènes très lents, très peu sensibles, mais de très longue durée: exhaussements, affaissements, plissements; ou bien par des phénomènes brusques: tremblements de terre, éruptions volcaniques. Brunhes,Géogr. hum., 1942, p.3.
♦ [sa nature] Souvent au plur. Assimiler un phénomène humain à un phénomène naturel, c'est trahir son sens (Philos., Relig., 1957, p.38-5).
Dans le domaine des sc. de la nature. Phénomène acoustique, optique, tactile; phénomène atmosphérique, climatique, cyclonique, glaciaire, marin; phénomène gazeux, karstique*, lumineux, mécanique, nucléaire, ondulatoire, radioactif, thermique, vibratoire. La lumière, d'après Maxwell, est un phénomène électromagnétique périodique (H. Poincaré,  Hyp. cosmogon., 1911, p.239). En huit familles les minéralogistes ont classé des dizaines de types de roches éruptives. Il ne faudrait pas croire que ces roches ne jaillissent des profondeurs que par des phénomènes volcaniques (Combaluzier, Introd. géol., 1961, p.70).
Dans le domaine des sc. de l'homme. Phénomène moral, politique; phénomènes inconscients, métapsychiques, paranormaux, télépathiques; phénomènes électoraux, financiers, monétaires. Les phénomènes sociaux de tout ordre -religieux, juridiques, économiques, et autres -ne nous sont fournis que par des témoignages oraux ou écrits (Lévy-Bruhl,Mor. et sc. moeurs, 1903, p.117).La psychologie expérimentale s'attache à appliquer les méthodes de mesure à l'examen des phénomènes mentaux, sensoriels et psychomoteurs (Villemer,Organ. industr., 1947, p.123).L'étude de la structure socio-professionnelle (...) donne les éléments essentiels de la comparaison avec les phénomènes électoraux qui constitue l'essentiel de toute étude du comportement électoral (Traité sociol., 1968, p.55).
♦ [la discipline sc. dont il relève] Phénomène astronomique, géologique, géochimique, géographique, hydrologique, météorologique; phénomène physiologique; phénomène linguistique, psychologique, sociologique. Jamais (...) un phénomène historique ne s'explique pleinement en dehors de l'étude de son moment (M. Bloch,Apol. pour hist., 1944, p.8):
4. Des phénomènes physiques ou chimiques aux phénomènes biologiques il n'y a point de transition de théorie; il n'y a que des rapports de fait, et tels qu'il en existe entre toutes les catégories possibles. Renouvier,Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p.90.
- [Suivi d'un compl. prép. de indiquant]
♦ [la nature d'un processus, d'un ensemble de phénomènes, de manifestations]
Dans le domaine des sc. phys.Phénomène d'attraction, de capillarité, de diffraction, de gravitation, d'interférence, d'osmose, de propagation, de réfraction, de résonance; phénomène de combustion, de décomposition, de putréfaction. Les phénomènes lents et réguliers de sédimentation, seuls apparents, sont conditionnés par d'invisibles forces éruptives (Bergson,Deux sources, 1932, p.232).Le phénomène de fission comporte (...) deux caractéristiques principales: la libération d'énergie et la formation de produits radioactifs (Goldschmidt,Avent. atom., 1962, p.23).V. exosmose ex. de Gide.
Dans le domaine de la méd.Phénomène d'accoutumance, de dégénérescence; phénomène de rejet. Leur excès [d'hormones génitales] en cas de tumeur surrénale est responsable des phénomènes de masculinisation ou d'hirsutisme chez la femme (Quillet Méd.1965, p.495).
Dans le domaine des sc. hum.Phénomène d'(auto)suggestion, de clairvoyance, de télépathie. Les (..) phénomènes de voyance et de prémonition dans lesquels Bergson trouvait la justification de sa thèse sur les rapports de l'esprit et de la matière (Amadou,Parapsychol., 1954, p.35).Dans le domaine des sc. soc. et écon.Phénomène de croissance, d'échange, d'équilibre, d'inflation, de production, de récession, de régression, de relance, de tension; phénomène de colonisation, de migration, de socialisation, d'urbanisation. P. Vidal de La Blache a insisté (...) sur l'importance des faits de population. Mais ces phénomènes de peuplement, comment se révèlent-ils à nous, comment sont-ils même atteints et pour ainsi dire mesurés par les recensements, sinon par l'intermédiaire de l'habitation? (Brunhes,Géogr. hum., 1942, p.40).V. courant adj. ex. 2.
♦ [la réalité ou la loi sc. dont le phénomène est la manifestation, la vérification expérimentale] Phénomène de la pesanteur, de la dissociation de la matière, de la division de la lumière. L'expérience donne le phénomène de la chute des corps, mais l'attraction est une fiction de l'esprit (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p.196).V. luminifère A ex. de Bergson.
♦ [l'effet, le résultat d'un phénomène observé ou provoqué] On pourrait sans doute reproduire avec les rayons hertziens le phénomène des fontaines lumineuses (H. Poincaré,Théorie Maxwell, 1899, p.80).Phénomène de la ligne blanche. Si l'on trace avec un stylet mousse une ligne sur la peau d'une partie du corps dépourvue de poils, en exerçant une pression légère, la pointe du stylet laisse une ligne blanche. C'est le résultat d'une constriction des capillaires (Méd. Biol.t.31972):
5. C'est à des fibres musculaires que la peau doit la faculté de se contracter vivement sous l'action du froid ou sous l'influence d'impressions nerveuses. Cette contraction des muscles provoque le phénomène de la chair de poule. Quillet Méd.1965, p.297.
♦ [le nom du savant (physicien, médecin, biologiste) qui le premier a décrit une expérience, provoqué un phénomène, qui en a déterminé les causes, la loi, les conséquences] Phénomène de Zeeman, de Faraday. La plupart des produits pétrolifères sont fluorescents en bleu (...) ou en vert (...). La fluorescence est souvent accompagnée du phénomène de Tyndall -diffraction causée par hétérogénéité (Chartrou,Pétroles natur. et artif., 1931, p.26).Nous avons réalisé (...) un phénomène de Koch pulmonaire, en réinjectant à un cobaye tuberculeux des bacilles dans la trachée (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946, p.112).V. filtre ex. 3.
3. En partic.
a) PATHOLOGIE
α) Le plus souvent au plur. Signe ou ensemble de signes observable(s) d'un trouble, d'une maladie. Synon. manifestation, symptôme.Calmer, prévenir des phénomènes; aggravation, majoration d'un phénomène; phénomène aigu, désagréable, douloureux; phénomènes allergiques, congestifs, convulsifs, délirants, dépressifs, infectieux, inflammatoires, méningés, toxiques. La gourme est contagieuse; les phénomènes critiques qui la traduisent (catarrhes et suppuration) ont pour but de débarrasser l'organisme de certains produits de désassimilation (Nocard, Leclainche,Mal. microb. animaux, 1896, p.430).V. aggraver ex. 46:
6. Il est possible d'observer également [dans les troubles des réflexes] des phénomènes paralytiques siégeant au niveau des membres inférieurs et prenant l'aspect de la paraplégie spasmodique... Quillet Méd.1965, p.352.
β) Phénomène psychosensoriel. Toute perception de données sensorielles perturbées (et qui concerne notamment l'illusion, l'hallucination visuelle). (Ds Moor 1966, Lafon 1969, March. 1970, Méd. Biol. t.3 1972, Carr.-Dess. Psych. 1976).
b) PHYSIOL., le plus souvent au plur. Changement qui survient dans un organe, dans une fonction. Phénomènes de la circulation, de la nutrition, de la reproduction. La cessation des phénomènes organiques est toujours un sûr indice de la mort générale (Bichat,Rech. physiol. vie et mort, 1822, p.254).Les phénomènes de la respiration diffèrent extrêmement de la combustion d'une bougie, mais elle lui ressemble réellement par le schéma sous-jacent (Ruyer,Esq. philos. struct., 1930, p.237).
c) PSYCHANAL. Phénomène fonctionnel. Phénomène découvert en 1909 par H. Silberer sur les états hypnagogiques, retrouvé par lui dans le rêve et qui consiste dans la transposition en images non du contenu de la pensée du sujet mais du mode de fonctionnement actuel de celle-ci (d'apr. Lapl.-Pont. 1967; ds March. 1970).
d) PSYCHOSOCIOL. Phénomène de groupe. Fait psychosocial vécu par les participants, observable par les observateurs et apparaissant dans un groupe, comme par exemple un silence, un fractionnement en sous-groupes, une rivalité de leaders informels (d'apr. Mucch. Sc. soc. 1969).
4. P. ext., au sing. [Suivi d'un adj. déterminatif ou d'un subst. en appos.] Ensemble des manifestations liées à une réalité humaine particulière. Il est déjà très important que nous ayions, grâce à la biométrie et à la génétique, acquis une vision nouvelle du phénomène racial (Tiers Monde, 1956, p.111).Le phénomène urbain est (...) au coeur de toute réflexion sur l'aménagement du territoire (Amén. terr., 1964, p.16).Cette suppression [de l'émission «Médicales»] est donc pour le producteur-réalisateur d'abord une fausse analyse du phénomène télévision qui détermine la valeur d'une émission à son taux d'écoute (Le Figaro, 7 juill. 1984, p.28, col. 6):
7. La succession des textes montre comment l'État, prenant conscience du phénomène touristique, a essayé de résoudre les problèmes qui se posaient dans l'esprit traditionnel de notre droit public. Jocard,Tour. action État, 1966, p.19.
B. - HIST. DE LA PHILOS.
1. [Chez Platon] Ce qui appartient au domaine sensible, existentiel, singulier, instable. (S'oppose à idée, forme, essence en ce qu'il n'a pas de réalité propre). Un phénomène sensible n'est saisi par la conscience qu'en étant subsumé sous un concept, en sorte que la pluralité indéfinie des phénomènes sensibles aperçus sous un même concept représente les manifestations diverses de l'unité de l'Idée (J. Moreau,La Constr. de l'Idéalisme platonicien, Paris, Boivin, 1939, p.300):
8. Mais ce triple essor vers le vrai, le bien, et le beau, n'est-ce pas ce qui fait l'honneur principal du génie de Platon? Lui aussi abandonne le monde des phénomènes et des apparences, la caverne où se dessinent de pâles ombres, pour aller contempler les réalités absolues, au grand jour de la métaphysique. Ozanam,Philos. Dante, 1838, p.220.
2. [Chez Hume et les phénoménistes] Donné immédiat de l'expérience (impressions, idées que nous en avons) qui est tenu pour l'unique réalité. Synon. perception.Hume (...) ne se fiant qu'aux seuls phénomènes, a totalement exclu de sa philosophie les substances, que Locke avait déjà fortement entamées (Renouvier,La Crit. philos., t.1, 1872, p.385):
9. [Pour Hume] hors de nous, rien, au moins que nous sachions. Au-dessus de nous, personne, dont l'existence et l'action puissent être, nous ne disons pas prouvées, mais seulement conçues. Au dedans de nous, nul centre qui persiste identique à soi, comme un point immobile, parmi l'incessant va et vient des phénomènes. Tout le réel est relégué dans un je ne sais quoi qui passe entre un semblant de moi et un semblant de nature, sous l'empire d'un semblant de causalité. G. Lyon,L'Idéalisme en Angleterre au XVIIIes., 1888, p.462.
3. [Chez Kant] Ce qui nous apparaît dans l'espace et dans le temps. (S'oppose à chose en soi ou à noumène en tant qu'objet d'expérience et à apparence en tant qu'il possède une réalité objective). Un «fait de la raison» est un véritable monstre dans une philosophie comme la sienne [de Kant], où tout ce qui est «fait» appartient au monde des phénomènes, et tout ce qui est «raison» au monde intelligible (Lévy-Bruhl,Mor. et sc. moeurs, 1903, p.58):
10. Ce qui se présente à nous ou ce qui apparaît dans l'intuition, c'est d'abord le phénomène en tant que diversité sensible empirique (...). Chez Kant, phénomène ne veut pas dire apparence, mais apparition. Le phénomène apparaît dans l'espace et dans le temps: l'espace et le temps sont pour nous les formes de toute apparition possibles les formes pures de notre intuition ou de notre sensiblité. G. Deleuze,La Philos. crit. de Kant, 1963, p.10.
4. PHÉNOMÉNOL. (notamment chez Husserl). Tout objet perçu, imaginé ou conçu par la conscience, qu'il existe ou non en dehors d'elle. (N'implique pas de noumène corrélatif). Dans la conscience, l'apparaître n'est pas être, mais phénomène. Ce nouveau cogito, parce qu'il est en deçà de la vérité et de l'erreur dévoilées, rend possibles l'une et l'autre (Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p.342).L'intuition phénoménologique, c'est la présence à la conscience de la chose elle-même. (...) L'être dernier, l'être-au-delà-du phénomène, est toujours déjà là dans la perspective de sa manifestation, c'est-à-dire dans le phénomène (G. Varet,L'Ontologie de Sartre, 1948, p.21):
11. On ne saurait assez fortement insister sur l'équivoque qui nous permet de donner le nom de phénomène [it. ds le texte], non seulement au vécu en quoi réside l'apparaître de l'objet (...), mais aussi à l'objet apparaissant comme tel (...). Nous vivons les phénomènes comme appartenant à la trame de la conscience, tandis que les choses nous apparaissent comme appartenant au monde phénoménal. Les phénomènes eux-mêmes ne nous apparaissent pas, ils sont vécus. E. Husserl,Rech. log., trad. par H. Elie, t.2, 1962 [1913], p.148.
II. - Lang. cour.
A. - Tout ce qui arrive, se produit, se manifeste et que l'on peut observer sans en connaître ou sans en rechercher obligatoirement la cause. Le phénomène de l'influence des journaux royalistes parmi nous (...) ne cesse de confondre les hommes démocratiques (Chateaubr.,Polém., 1818-27, p.304).Par un singulier phénomène d'atavisme, le dernier descendant ressemblait à l'antique aïeul (Huysmans,À rebours, 1884, p.2).La Libération a vu naître le plus grand nombre de journaux que la France ait jamais connus. Le même phénomène touchait le théâtre et le cinéma (Cacérès,Hist. éduc. pop., 1964, p.153).V. frustré ex. 1, haine A 2 ex. de Faure, indescriptible ex. 2, jouer I B 2 a ex. de Balzac:
12. ... aussitôt que sa mère était en colère, elle devenait laide. Ce phénomène dérangeait cruellement le petit garçon dans les jouissances infinies qu'il tirait de la contemplation du joli visage de sa mère. Drieu La Roch.,Rêv. bourg., 1937, p.108.
- [Avec compl. prép. de indiquant]
♦ [la nature, l'aspect vécu d'un phénomène] Phénomène du chômage, de la délinquance. Ce que la lutte politique n'avait pas permis ces dernières années, la drogue le réalisait: l'unité d'action de deux groupes jusqu'alors rivaux [nationaliste et autonomiste corse]. On peut même parler d'unanimité, tant le phénomène de la drogue soulève l'émotion des braves gens en Corse (Libération, 14 janv. 1986, p.16, col. 2).
♦ [une modalité partic. d'un phénomène coll.] Phénomène de foule; phénomène d'opinion. Ce mouvement de mai [1968] s'expliquerait davantage, selon vous, comme phénomène de civilisation plutôt que comme phénomène politique? (Le Nouvel Observateur, 14 oct. 1968, p.9, col. 2).Le jean permet d'exprimer une personnalité: la sienne. Son secret de longévité: il n'est pas un phénomène de mode mais un style, intemporel et personnel (Madame Figaro, 11 janv. 1986, p.40, col. 2).
Phénomène de masse. Tout comme s'enfle irrésistiblement la masse des connaissances, ainsi croît à un rythme non moins invincible la masse de ceux qui veulent les acquérir. Cependant, ce phénomène de masse à soi seul, modifie considérablement les données des problèmes (Antoine, Passeron,Réforme Univ., 1966, p.119).
SYNT. a) Phénomène banal, coutumier, curieux, important, insolite, paradoxal, remarquable, significatif, unique; phénomène d'actualité. b) Assister à (la naissance d')un phénomène; concentrer son attention sur, contempler, rencontrer, être l'acteur, le témoin d'un phénomène; prédire, redouter un phénomène; un phénomène s'ébauche, se passe, persiste, s'évanouit.
B. -
1. Fait naturel qui frappe la vue ou l'imagination. La cataracte de Niagara, phénomène le plus étonnant de la nature terrestre (Crèvecoeur,Voyage, t.1, 1801, p.231).Armé du triangle et des autres puissants outils sans corps, il [un captif de la Caverne dans le mythe de Platon] annonce les phénomènes, conjonctions, éclipses (Alain,Propos, 1928, p.767):
13. ... les gardes placés à l'entour aperçurent une flamme bleue voltigeant au-dessus de la table sur laquelle le cadavre était étendu (...). Ce phénomène, qui se produit assez souvent sur les cadavres en putréfaction, inspira au peuple une terreur superstitieuse. Mérimée,Faux Démétrius, 1853, p.285.
2. Être impressionnant par sa forme, ses dimensions ou ayant une apparence anormale, voire monstrueuse. La série des mastodontes à cornes, boeufs-rhinocéros, hippopotames crochus, sangliers-dirigeables (...). Ces phénomènes se permettaient des cornes sur le front, sous le nez, entre les oreilles, dans les yeux ou sur les joues, comme nous avons des poils, des verrues ou des taches de rousseur (Fargue,Piéton Paris, 1939, p.127).
- En appos. [Séparé ou non par un tiret] Tout autour [du ring], nus (...) sont assis les lutteurs [japonais] attendant leur tour, des hommes gras et glabres (...) des colosses de 340 livres (...) une humanité phénomène, amoureuse de la grosseur (E. de Goncourt,Mais. artiste, t.1, 1881, p.199).Une armoire vitrée, l'armoire aux curiosités, où l'on voit une dent d'ours des cavernes, un petit bouddha en pierre de lard, au milieu de vieux fruits-phénomènes par leurs difformités (Goncourt,Journal, 1885, p.491).
- En partic. Être humain difforme de naissance ou enfant que l'on mutilait volontairement pour l'exhiber ensuite dans une baraque foraine ou dans un cirque. Phénomène de foire; phénomène vivant; montreur de phénomènes; baraque, galerie de phénomènes. Cette vivisection d'autrefois ne se bornait pas à confectionner pour la place publique des phénomènes, pour les palais des bouffons (...) et pour les sultans et papes des eunuques. Elle abondait en variantes (Hugo,Homme qui rit, t.1, 1869, p.26):
14. Freaks, film assez terrifiant. Il est joué par les phénomènes [it. ds le texte] de Barnum. Certains personnages ressemblent à des enfants qu'on verrait dans des miroirs déformants. Un tronc humain roule sur le sol comme un gros ver; au bout de ce tronc, une tête de cinquante ans, qui parle et fume. Green,Journal, 1932, p.110.
♦ En appos. Hélas! ne rions pas; car l'enfant phénomène Est au dernier degré de la misère humaine (Coppée,Poés., t.3, 1887, p.36).
C. -
1. Fait ou événement rare, exceptionnel, sans précédent. Ses mains crochues par suite de la contraction que l'habitude de tricoter leur avait fait prendre étaient comme un métier à bas incessamment monté: le phénomène eût été de les voir arrêtées (Balzac,Béatrix, 1839, p.29).De mon temps, une automobile dans un village, c'était un phénomène (Arland,Ordre, 1929, p.518):
15. Je m'étais, je l'avoue, imaginé qu'en somme L'écroulement des rois c'est le sacre de l'homme, Que nous avions vaincu la matière et la mort, Et que le résultat de cet illustre effort [la Révolution], Le Triomphe, l'orgueil, l'honneur, le phénomène, C'était d'avoir grandi jusqu'aux cieux l'âme humaine Hugo,Légende, t.5, 1877, p.1031.
2.
a) Personne qui fait preuve de qualités exceptionnelles dans ses actes, dans son comportement, qui est connue pour accomplir de grandes performances. Phénomène vocal. Ce Sabatani, toutes les femmes en parlaient comme d'un tel phénomène, on chuchotait sur cette chose si énorme, qu'elle n'avait pu résister à l'envie de voir (Zola,Argent, 1891, p.283).MmeYvonne de Bray est un phénomène des planches. Cette comédienne, grande entre les grandes (...) ne se repose que sur son génie et ne fixe aucune de ses trouvailles (Cocteau,Foyer artistes, 1947, p.159):
16. Là, commençait à éclore la renommée, d'abord voilée, bientôt populaire, d'un des phénomènes les plus étranges de la littérature française, Béranger, un tribun chantant. Lamart.,Nouv. Confid., 1851, p.313.
- [Suivi d'un compl. prép. de indiquant une qualité ou un défaut dans laquelle ou dans lequel une pers. s'illustre particulièrement] Phénomène de désintéressement, d'ingratitude, d'orgueil. Si elle n'est pas le monstre d'astuce et de perversité le plus complet que j'aie jamais vu, elle est certes le phénomène d'innocence le plus merveilleux qu'on puisse trouver (Maupass.,Contes et nouv., t.2, Yvette, 1884, p.484).V. ingratitude A 1 a β ex. de Chateaubriand.
- [Dans des loc. figées, sert à exprimer une impression d'excès, de paroxysme, à propos d'une pers. ou de ses actes] Je me demande si personne a jamais travaillé et vécu comme moi. Je trouve que je tourne au phénomène (Flaub.,Corresp., 1878, p.168).Avare d'une avarice tenant du phénomène (Maupass.,Contes et nouv., t.1, Diable, 1886, p.235).
b) P. ext., qqf. péj.
- Individu bizarre, qui ne fait rien comme tout le monde. Synon. excentrique, original.La revanche de Bella sur les hommes s'était poursuivie [pendant ces dix ans]. (...) Un phénomène avait voulu l'épouser, très riche. Il la croyait sans amant. Ce qu'elle s'était vengée de lui! (Giraudoux,Bella, 1926, p.238).Il va nous couvrir de ridicule dans ce pays où l'on nous connaît à peine et où les gens nous regardent un peu comme des phénomènes (Duhamel,Nuit St-Jean, 1935, p.183):
17. Tout ce qui était science et esprit scientifique était étranger à la famille, surtout du côté maternel. Ces hommes de loi, beaux esprits et humanistes, étaient perdus devant un problème. On citait, comme un phénomène, un membre de la famille, -un cousin éloigné, -qui était entré au bureau des longitudes. Encore disait-on qu'il en était devenu fou. Rolland,J.-Chr., Antoinette, 1908, p.843.
- Pop. ou fam. [Dans un propos rapporté au style dir., le plus souvent dans des loc. figées ou dans des tournures exclam.] (Un) sacré phénomène, espèce de phénomène! Quel phénomène! Synon. numéro; citoyen, type; olibrius, zigoto; pistolet.À cinq heures, à la sortie d'la caserne, mes deux phénomènes se raboulent (Barbusse,Feu, 1916, p.263).Vous m'avez l'air encore d'un drôle de phénomène, vous (Queneau,Pierrot, 1942, p.194).V. brusque ex. 6:
18. Je le conduisis au Stryx qu'il trouva «funambulesque à ravir» et je lui racontai mes équipées. «Vous êtes un phénomène!» me dit-il en riant. Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.337.

Prononc. et Orth.: [fenɔmεn]. Ac. 1694, 1718: phenomene; dep. 1740: phénomène. Étymol. et Hist. I. 1557 astron. «tout ce qui apparaît de nouveau dans l'air, dans le ciel» (Ph. de Mesmes, Inst. astron., p.64 ds Gdf. Compl.: les phenomenes ou apparitions celestes). II. 1. a) 1638 [éd.] «chacun des faits constatés qui constituent la matière des sciences» (Descartes, Lettre du 13 juill. ds OEuvres et Lettres, éd. A. Bridoux, p.1014); b) α) 1737 «tout fait extérieur qui se manifeste à la conscience par l'intermédiaire des sens» (Argenson, Journal et Mém., éd. E. J. B. Rathery, t.1, p.228: nous assistons à un véritable phénomène en politique); β) 1801 philos. (Ch. de Villers, Philos. de Kant, p.354 ds Quem. DDL t.22); 2. a) 1719 [éd.] «fait qui frappe par sa nouveauté, son caractère extraordinaire» (A. H. de La Motte, Fables nouvelles, livre V, Fable XIX, p.358); b) α) 1722 phénomène de la nature (en parlant d'une personne) (Marivaux, Le Spectateur fr., éd. 1727, p.40); β) 1738 «personne qui surprend par ses actions, vertus, talents`` (Argens, Lettres juives, t.4, p.187); γ) 1881 «original, individu excentrique» (Rigaud, Dict. arg. mod., p.288). Empr. au gr. φ α ι ν ο ́ μ ε ν α «phénomènes célestes», titre d'un poème d'Aratos sur le cours et l'infl. des astres (iiies. av. J.-C., d'où Phénomènes d'Arate, en 1554, Ronsard, Bocage ds OEuvres, éd. P. Laumonier, t.6, p.105, 3), de φ α ι ν ο ́ μ ε ν ο ν «ce qui apparaît», lui-même dér. de φ α ι ́ ν ω , signifiant «apparaître» en astron. Le b. lat. a également empr. phaenomena, plur. «phénomènes célestes» au gr. Comme terme de philos., phénomène est empr. à l'all. Phänomen, créé par le philosophe all. E. Kant [1724-1804]. Fréq. abs. littér.: 6258. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7445, b) 13217; xxes.: a) 7866, b) 8449. Bbg. Quem. DDL t.22.

jeudi 16 décembre 2021

La science, la raison et la foi



Discutant avec un prêtre, je me fais reprocher de séparer la raison et la foi. Pourtant, ce n'est pas cela que j'ai dit : la difficulté que je voyais était la littéralité de la Bible, et les rapports de la science et de la foi.

Oui, ce qui m'étonne depuis longtemps, c'est que des scientifiques de talent tels que Michael Faraday aient adhérés à l'idée d'une lecture littérale de la Bible.
Et, presque évidemment, je  ne vois pas d'opposition entre la raison et la foi, car j'imagine bien -et ce serait une injure que de ne pas le faire- que les théologiens font usage de leur raison.

Lisant un texte qui traite de cette question, j'ai retrouvé cette idée, que j'avais oublié, selon laquelle Eddington, professeur auprès de qui l'abbé Georges Lemaître avait appris la physique, considérait que les notions, en sciences, formaient des "cycles" qui ne parvenaient jamais à atteindre la question fondamentale de la création. Lemaître ne partageait pas cette idée, mais il faisait une nette séparation entre ses travaux de physique relativiste et ses interrogations théologiques ; il évoquait "deux chemins".

Ce que je vois aussi à la lecture du texte que j'évoque, c'est que l'on ne devient pas plus bête à s'interroger un peu sur de grandes questions philosophiques, car on n'oubliera pas que même si la terminologie de "philosophie naturelle" est oubliée, il y a lieu de se souvenir qu'il y avait le mot "philosophie" dans cette dénomination

Oui, les sciences de la nature ne sont pas une simple exploration "technique" du monde, car, comme disait Rabelais, science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Certes, il faisait l'hypothèse de l'âme, mais on pourrait mettre à la place le mot "esprit".

Les sciences de la nature ne peuvent être très intelligentes si elles n'ont pas pour socle une réflexion méthodologique.

Admettons les deux chemis de Lemaître  : on peut faire  des sciences de la nature quelle que soit la foi que l'on a ou que l'on n'a pas. Et je reste avec mon interrogation : comment Faraday pouvait-il croire à la littéralité de la Bible ?

jeudi 2 décembre 2021

Le château des sciences des sciences de la nature, plutôt que le temple de la science

 Relisant un texte intitulé "Le Temple de la Science", qu'Albert Einstein écrivit pour l'anniversaire de Max Planck, je m'aperçois que je trouve ce texte imparfait, même si je l'ai largement diffusé.

Ici, je propose mon propre texte, où je modifie celui d'Einstein pour que le costume m'aille mieux. 

Mais d'abord, le texte d'Einstein : 

Principles of Research

address by Albert Einstein (1918)

(Physical Society, Berlin, for Max Planck's sixtieth birtday)


IN the temple of science are many mansions, and various indeed are they that dwell therein and the motives that have led them thither. Many take to science out of a joyful sense of superior intellectual power; science is their own special sport to which they look for vivid experience and the satisfaction of ambition; many others are to be found in the temple who have offered the products of their brains on this altar for purely utilitarian purposes. Were an angel of the Lord to come and drive all the people belonging to these two categories out of the temple, the assemblage would be seriously depleted, but there would still be some men, of both present and past times, left inside. Our Planck is one of them, and that is why we love him.

I am quite aware that we have just now lightheartedly expelled in imagination many excellent men who are largely, perhaps chiefly, responsible for the buildings of the temple of science; and in many cases our angel would find it a pretty ticklish job to decide. But of one thing I feel sure: if the types we have just expelled were the only types there were, the temple would never have come to be, any more than a forest can grow which consists of nothing but creepers. For these people any sphere of human activity will do, if it comes to a point; whether they become engineers, officers, tradesmen, or scientists depends on circumstances. Now let us have another look at those who have found favor with the angel. Most of them are somewhat odd, uncommunicative, solitary fellows, really less like each other, in spite of these common characteristics, than the hosts of the rejected. What has brought them to the temple? That is a difficult question and no single answer will cover it. To begin with, I believe with Schopenhauer that one of the strongest motives that leads men to art and science is escape from everyday life with its painful crudity and hopeless dreariness, from the fetters of one's own ever shifting desires. A finely tempered nature longs to escape from personal life into the world of objective perception and thought; this desire may be compared with the townsman's irresistible longing to escape from his noisy, cramped surroundings into the silence of high mountains, where the eye ranges freely through the still, pure air and fondly traces out the restful contours apparently built for eternity.

With this negative motive there goes a positive one. Man tries to make for himself in the fashion that suits him best a simplified and intelligible picture of the world; he then tries to some extent to substitute this cosmos of his for the world of experience, and thus to overcome it. This is what the painter, the poet, the speculative philosopher, and the natural scientist do, each in his own fashion. Each makes this cosmos and its construction the pivot of his emotional life, in order to find in this way the peace and security which he cannot find in tbe narrow whirlpool of personal experience.

What place does the theoretical physicist's picture of the world occupy among all these possible pictures? It demands the highest possible standard of rigorous precision in the description of relations, such as only the use of mathematical language can give. In regard to his subject matter, on the other hand, the physicist has to limit himself very severely: he must content himself with describing the most simple events which can be brought within the domain of our experience; all events of a more complex order are beyond the power of the human intellect to reconstruct with the subtle accuracy and logical perfection which the theoretical physicist demands. Supreme purity, clarity, and certainty at the cost of completeness. But what can be the attraction of getting to know such a tiny section of nature thoroughly, while one leaves everything subtler and more complex shyly and timidly alone? Does the product of such a modest effort deserve to be called by the proud name of a theory of the universe?

In my belief the name is justified; for the general laws on which the structure of theoretical physics is based claim to be valid for any natural phenomenon whatsoever. With them, it ought to be possible to arrive at the description, that is to say, the theory, of every natural process, including life, by means of pure deduction, if that process of deduction were not far beyond the capacity of the human intellect. The physicist's renunciation of completeness for his cosmos is therefore not a matter of fundamental principle.

The supreme task of the physicist is to arrive at those universal elementary laws from which the cosmos can be built up by pure deduction. There is no logical path to these laws; only intuition, resting on sympathetic understanding of experience, can reach them. In this methodological uncertainty, one might suppose that there were any number of possible systems of theoretical physics all equally well justified; and this opinion is no doubt correct, theoretically. But the development of physics has shown that at any given moment, out of all conceivable constructions, a single one has always proved itself decidedly superior to all the rest. Nobody who has really gone deeply into the matter will deny that in practice the world of phenomena uniquely determines the theoretical system, in spite of the fact that there is no logical bridge between phenomena and their theoretical principles; this is what Leibnitz described so happily as a "pre-established harmony." Physicists often accuse epistemologists of not paying sufficient attention to this fact. Here, it seems to me, lie the roots of the controversy carried on some years ago between Mach and Planck.

The longing to behold this pre-established harmony is the source of the inexhaustible patience and perseverance with which Planck has devoted himself, as we see, to the most general problems of our science, refusing to let himself be diverted to more grateful and more easily attained ends. I have often heard colleagues try to attribute this attitude of his to extraordinary will-power and discipline -- wrongly, in my opinion. The state of mind which enables a man to do work of this kind is akin to that of the religious worshiper or the lover; the daily effort comes from no deliberate intention or program, but straight from the heart. There he sits, our beloved Planck, and smiles inside himself at my childish playing-about with the lantern of Diogenes. Our affection for him needs no threadbare explanation. May the love of science continue to illumine his path in the future and lead him to the solution of the most important problem in present-day physics, which he has himself posed and done so much to solve. May he succeed in uniting quantum theory with electrodynamics and mechanics in a single logical system. 

 

Une traduction : 

Discours prononcé pour le soixantième anniversaire de Max Planck

" Le Temple de la Science se présente comme une construction à mille formes. Les hommes qui le fréquentent ainsi que les motivations morales qui y conduisent se révèlent tous différents. L’un s’adonne à la Science dans le sentiment de bonheur que lui procure cette puissance intellectuelle supérieure. Pour lui la Science se découvre le sport adéquat, la vie débordante d’énergie, la réalisation de toutes les ambitions. Ainsi doit-elle se manifester! Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Temple qui, exclusivement pour une raison utilitaire, n’offrent en contrepartie que leur substance cérébrale! Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Temple tous les hommes qui font partie de ces deux catégories, ce Temple se viderait de façon significative mais on y trouverait encore tout de même des hommes du passé et du présent. Parmi ceux-là nous trouverions notre Planck. C’est pour cela que nous l’aimons.

Je sais bien que, par notre apparition, nous avons chassé d’un coeur léger beaucoup d’hommes de valeur qui ont édifié le Temple de la Science pour une grande, peut-être pour la plus grande partie. Pour notre ange, la décision à prendre serait bien difficile dans grand nombre de cas. Mais une constatation s’impose à moi. II n’y aurait eu que des individus comme ceux qui ont été exclus, eh bien le Temple ne se serait pas édifié, tout autant qu’une forêt ne peut se développer si elle n’est constituée que de plantes grimpantes! En réalité ces individus se contentent de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances extérieures décideront de leur carrière d’ingénieur, d’officier, de commerçant ou de scientifique. Mais regardons à nouveau ceux qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils se révèlent singuliers, peu communicatifs, solitaires et malgré ces points communs se ressemblent moins entre eux que ceux qui ont été expulsés. Qu’est-ce qui les a conduits au Temple? La réponse n’est pas facile à fournir et ne peut assurément pas s’appliquer uniformément à tous. Mais d’abord en premier lieu, avec Schopenhauer, je m’imagine qu’une des motivations les plus puissantes qui incitent à une oeuvre artistique ou scientifique, consiste en une volonté d’évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, en un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables. Cela pousse les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives. Cette motivation ressemble à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.

A cette motivation d’ordre négatif s’en associe une autre plus positive. L’homme cherche à se former de quelque manière que ce soit, mais selon sa propre logique, une image du monde simple et claire. Ainsi surmonte-t-il l’univers du vécu parce qu’il s’efforce dans une certaine mesure de le remplacer par cette image. Chacun à sa façon procède de cette manière, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un poète, d’un philosophe spéculatif ou d’un physicien. A cette image et sa réalisation il consacre l’essentiel de sa vie affective pour acquérir ainsi la paix et la force qu’il ne peut pas obtenir dans les limites trop restreintes de l’expérience tourbillonnante et subjective. »

 

Puis mon texte, que je trouve bien mieux, et qui s'intitule : 

 

Le château des sciences  de la nature


"Des hommes et des femmes ont des raisons variées de se trouver dans le Château des Sciences de la nature. Leurs motivations, leurs caractères, leurs valeurs, leurs morales sont aussi divers qu'à l'extérieur, dans le grand monde. L’un, l'une s’adonne à ces Sciences parce qu'il ou elle y prend un plaisir merveilleux... qu'il ou elle pourrait toujours justifier avec d'autant plus de mauvaise foi qu'il ou elle serait plus intelligent, intelligente ; mais ceux-là n'ont pas besoin de perdre ainsi leur temps à se justifier, car il leur suffit d'être là, actifs, engagés, heureuxs. Pour eux, il y a ce bonheur des mécanismes du monde, tels des engrenages à l'infini. Leur quête  est un sport suffisant, un monde animé, débordant d’énergie, la réalisation de tous leurs rêve. Leur engagement est "intrinsèque".
Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Château, et pour ces autres, les motivations extrinsèques ou concommitantes, plutôt qu'intrinsèques, ne manquent pas ! Il y a ceux qui viennent là pour régner, diriger (sur les autres). Il y a ceux qui viennent là pour "gagner leur vie". Ceux qui viennent là parce qu'il y a du monde, de la lumière, du chauffage...  Il y a ceux qui aiment la difficulté de l'opération. Ceux qui y ont été conduits par leur famille, leur environnement...  Il y a aussi ceux qui sont là parce que pourquoi pas là plutôt qu'ailleurs. Il y a ceux qui sont là parce que les hasards de la vie les y ont conduits. Il y a ceux qui sont là parce que ce sont des marchands. Il y a ceux qui sont là parce qu'ils admirent ceux qui ont un intérêt intrinsèque à y être, et qu'ils voudraient bien avoir, comme eux, une sorte de foi naïve dans les Sciences de la nature, ce qui, d'ailleurs, peut les conduire à s'y efforcer. Et tous les autres.

Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Château tous les hommes qui font partie de toutes les catégories sauf la première, le Château se viderait, mais on y trouverait encore, tout de même, des hommes et des femmes du passé et du présent. Parmi ceux-là, nous trouverions notre Jean-Marie. C’est pour cela que nous l’aimons.

Je sais bien que, par son apparition, l'ange aurait chassé d’un coeur léger beaucoup d’hommes et de femmes de valeur, et même certains qui ont édifié le Château des Sciences. Pour l'ange, la décision à prendre serait effroyablement difficile dans nombre de cas, d'autant que le Château ne se serait pas édifié sans beaucoup de ceux qui ont été exclus, tout comme une forêt ne survit pas si elle n’est constituée que d'arbres!
Mais quand même, il faut admettre que beaucoup auraient pu se contenter de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances auraient pu décider différemment de leur carrière, et ils auraient pu exercer des métiers d’ingénieur, d’officier, de commerçant, de sportif, de directeur, de président...

Regardons ceux et celles qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils sont singuliers, parfois solitaires et difficilement reconnaissables. Comment sont-ils arrivés au Château ? Difficile à dire, d'autant que les raisons ne sont sans doute pas les mêmes pour tous. Albert Einstein et Arthur Schopenhauer ont proposé qu’une des motivations les plus puissantes qui conduisent à une oeuvre artistique ou scientifique est la volonté d’ "évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables". Cela pousserait les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives. Cette motivation ressemblerait à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.
Personnellement, je crois que le rejet -négatif- d'un monde "cruel", "désespérant", "monotone" n'est pas une bonne explication. Ne peut-on pas, plutôt, imaginer que l'intérêt intrinsèque pour les Sciences de la nature soit la vraie motivation ? D'ailleurs, le monde n'est ni cruel, ni désespérant, ni monotone... Il est le monde, et nous le voyons tel que nous en construisons la vision : à nous de le voir merveilleux, perfectible, d'une infinie variété... Qu'importe, parce que la question n'est pas là : il y a dans les Sciences de la nature, dans leur pratique,  seconde après seconde, un plaisir intrinsèque... qui n'est pas extrinsèque par définition. Et voilà pourquoi l'ange aurait tant de difficulté !
Oui, ceux qui resteraient dans le Château  cherchent à se former une image du monde simple et claire. Ainsi surmontent-ils l’univers du vécu parce qu’ils s’efforce, dans une certaine mesure, de le remplacer par cette image. Mais non pas pour le vaincre, mais pour ajouter un niveau de vision. A la construction de cette vision intellectuelle, et à sa réalisation, ils consacrent l’essentiel de leur vie, focalisant leur énergie, échappant à l’expérience tourbillonnante et subjective du monde.

vendredi 24 septembre 2021

Et si les validations avaient une autre fonction que celle de retrouver ce qu'on sait déjà ?

 

 Je suis bien d'accord  : il faut y aller par étape. Et, à propos de validation en recherche scientifique, à propos d'enseignement de la science et de la technologie, la première chose à faire, c'est de prononcer le mot "validation"  aux étudiants, de leur expliquer que cela fait partie du travail scientifique quotidien.

Car oui, quand on fait une expérience, il y a lieu de valider un résultat que l'on a obtenu, c'est-à-dire de le répéter pour obtenir une confirmation de ce que l'on a trouvé.

Pour la science les aliments, notamment,  et la gastronomie moléculaire et physique en particulier, il est courant de faire trois fois la même expérience au minimum :
- avec la première, on obtient un résultat ;
- avec la deuxième, on a un résultat qui peut être soit proche, soit éloigné  : dans les deux cas, cela peut être du hasard
- avec la troisième expérience, il devient possible de savoir si le proche est probablement vraiment proche, ou si l'éloigné est le signe d'une des deux premières expériences ratées, ou encore s'il y a beaucoup de diversité dans la grandeur finalement déterminée.
Je n'insiste pas, mais il y a là une question épistémologique passionnante.

De même, pour les calculs :  pour s'assurer que l'on ne s'est pas trompé,  il y a lieu les valider, et l'on peut faire cela de plusieurs façons, comme avec la détermination d'un ordre de grandeur, ou par l'étude des unités, mais rien ne vaut le fait de retrouver le même  résultat par un autre calcul différent du premier.

Et ces validations expérimentales ou théoriques s'imposent absolument, car "le diable est  partout" : derrière tous les gestes expérimentaux,  derrière tous les  calculs, derrière tous les mots, derrières toutes les pensées, toutes les idées...

Il y a lieu de s'assurer que l'on n'a pas versé dans une des mille erreurs possibles, ou,  plus exactement, puisque nous savons qu'il y a mille possibilités d'erreurs, il y a lieu s'assurer qu'il n'y en a pas de gravissimes qui détruiraient tout ce que nous avons produit.

Mais, personnellement, je n'ai jamais entendu ce mot de "validation" quand j'étais étudiant, et je le déplore, tout en me promettant bien d'en faire état le plus possible aux plus jeunes que je rencontre.

Tout cela étant dit, réfléchissant à cette question de validations, j'ai fini par me souvenir que les projets n'ont pas un seul objectif mais plusieurs, et c'est ainsi qu'ils sont puissants.

Pour les validations, ne pourrions-nous part également penser que nous avons lieu d'être heureux si nous ne trouvons pas ce que nous avons produit la première fois ?
Car en réalité, nous cherchons moins des confirmations de nos théories que des réfutations de celles-ci. Et c'est précisément en nous attachant aux petites différences entre les répétitions d'une expérience que nous avons des chances d'aller plus loin que celle-ci, de progresser par rapport aux premiers résultats que nous avons obtenus.


mardi 21 septembre 2021

La malhonnêteté m'étonne toujours, et surtout en sciences

 

En sciences, l'ambition est en quelque sorte de "lever un coin du voile".

Or face à la nature, tricher ne sert à rien, car même si on prend ses désirs pour la réalité, les phénomènes de la nature continuent de se reproduire inlassablement à l'identique :  ce ne seront pas nos envies qui feront les phénomènes.

La confusion survient notamment dans la troisième grande étape de l'étude scientifique, quand on regroupe les données de mesure en "lois", disons plus justement en équations, depuis qu'on a bien dit que le mot "loi" ne convenait pas (une loi, c'est arbitraire, humain).

Bref, on a des points de mesure, et on a le sentiment qu'ils s'alignent selon une droite, quand ce sont des données de mesure, par exemple. Mais imaginons qu'ils ne s'alignent pas bien, et que la répétition des expériences retrouve ce défaut d'alignement. Pourquoi irions-nous prétendre qu'ils s'alignent ? Surtout si l'observation du non-alignement nous conduit à découvrir mieux qu'une simple proportion !

Bien sûr, je comprends que si quelqu'un est moins intéressé par la science que par sa réputation personnelle, sa carrière, le nombre de ses publications, etc., alors il ou elle sera tenté de trouver un alignement à bon compte, un alignement qui n'existe pas... mais cette personne n'est plus dans l'objectif d'identifier les mécanismes des phénomènes. C'est un carriériste, un tricheur, pas un scientifique !

Inversement, les scientifiques sont toujours à l'affût de tout ce qui vient réfuter leurs théories, dont ils savent bien que ce ne sont que des théories, insuffisantes, à améliorer. Et c'est en vertu de ce principe qu'ils multiplient les "validations" : il ne s'agit pas de répéter pour établir la théorie, mais, au contraire, de finir par trouver des écarts aux théories, en vue d'identifier des théories meilleures... et encore insuffisantes.


mercredi 8 septembre 2021

Science and sciences of nature: objects of confusion

 
Science and science of nature: objects of confusion
H.T.:
"The natural sciences seek the mechanisms of phenomena by a very codified method, which relies only on the handling of mathematics, equations, while the kitchen is the activity of production of food seeking to make "good". The reason for the confusion between "science of cooking" and natural sciences? The word "science" has often been used in the sense of "knowledge", which is much broader than the meaning retained by the natural sciences.

Can cooking be "scientific?"
H.T.:
"Contrary to what is sometimes believed because of faulty statements by great cooks of the past, cooking will never be scientific, in the sense of the natural sciences such as physics, biology... On the other hand, it is most certainly a knowledge! Better still, I propose to think that the knowledge of professional cooks cannot be reduced to the knowledge of amateurs, even when they cook every day at home. Cooking is a very specific profession, where technique, hygiene, economics, history, etc. have an essential role, which home cooks do not have to worry about in the same way."

What about the elders?
H.T:
"Lent refers to science...but what science? If it is the "science of cooking", in the sense of knowing, why not, although Menon speaks, before Lent, of "quintessence of sauces". On the other hand, if the science evoked is a science of nature, then Lent is mistaken: cooking will never be a science of nature. Before him, natural sciences, practiced by scientists (of nature: we used to talk about "natural philosophy"), have explored cooking. For example chemists or pharmacists like Jean Darcet (1724-1801), as early as the 18th century. That said, to understand why cooking will never be a science of nature, one must know what exactly a science of nature is. It is not simply a specific activity, as is often believed, but an entirely "speculative" activity (Louis Pasteur distinguished between natural sciences and the applications of these sciences). The natural sciences have an objective which is quite different from the production of food: it is a question of understanding the mechanisms of phenomena. And this particular research is done by a very particular method as well, which consists in: (1) identifying a phenomenon; (2) characterizing it quantitatively; (3) gathering the data into quantitative "laws", that is, into equations; (4) looking for theories quantitatively compatible with laws; (5) looking for consequences of the theories in order to refute them, again quantitatively. This is an entirely different activity from cooking, whether the latter is precise or not. And cooking will never be this activity.
Let's move on, and read Lent, quoted: "Cooking also wants to be a science". What does this mean? A science is either a knowledge or a very particular activity, which seeks the mechanisms of phenomena by the implementation of a method which owes everything to numbers and to the refutation of theories. As cooking is the preparation of food, it is therefore not a science of nature, and this will never be the case! The meaning retained by Carême is therefore necessarily: a knowledge. And yes, the culinary activity is full of technical knowledge. In other words, since Lent uses the meaning "knowledge", his statement is obvious.
Then, when Lent indicates: "Culinary science is more salubrious to the health of men than all the doctrines of those who prolong diseases by speculation", it is indeed, again, the meaning of knowledge that he retains.
Urbain Dubois, Emile Bernard, Jules Gouffé or Joseph Favre pursue the idea, but when they say they use precise measurements, they do not make science of nature for all that, because production, on the one hand, and the research of mechanisms, on the other hand, have nothing in common. One produces, while the other analyzes. It is worthwhile to reread Louis Pasteur, who explained the differences well.
For Favre, he evokes a "scientific cuisine", which would be, of all the sciences, the one that focuses on "the art of preparing food well". Scientific cooking? If this is the meaning of "knowledge", then scientific cooking is a pleonasm, like going up and down; but if the meaning is scientific, then Favre is wrong on principle. Besides, it is not the fact of being precise that makes an activity a science of nature; a precise cuisine is a precise technical activity, which, moreover, is doubled with an artistic and a social component.
Hervé This: "cooking will never be scientific

Even the great Escoffier...

H.T :
Let's move on to this quote from Escoffier: "Cooking, without ceasing to be an art, will become scientific and will have to submit its formulas, which are still too often empirical, to a method and a precision that will leave nothing to chance". I take issue with this proposition, which is either false or tautological. Cooking will never become scientific, in the sense of the natural sciences, because, I repeat, cooking is a production, and not a research of the mechanisms of phenomena. But we have said it enough. I propose now to introduce a new distinction, between technique, technology, and science (of nature).
Cooking, since it is a production of food, will always be a technical activity... but it will always have an essential artistic component, and is therefore absolutely similar to painting, literature, music... In cooking, one wants to make "good"; and good is "beautiful to eat". Yes, you need to have the technique to achieve this, but the artistic choice is preponderant. Cooking consists in choosing the ingredients, their quantities, the processes used to achieve a taste, which must be good. You have to be a good technician to be a good artist. And I propose to distinguish two cuisines: the artisan's cuisine and the artist's cuisine. Not to mention the social component of cooking, but that would take us too far. On principle, cooking can never become scientific, otherwise it would no longer be an activity of producing food, but a science, which would then no longer be cooking.
We must also discuss the question of technology, which is either technical reflection or the application of the results of natural sciences. Cooking is the production of food. It is not forbidden to have a technological reasoning, upstream of the act of cooking, but technique is not the same as technology. And, as said before, natural sciences are not the same as their application. An engineer, a technologist, is not a scientist (of nature).

A little detour through molecular cooking...
H.T. :
Molecular cooking is a technological activity (not scientific in the sense of the natural sciences): Jean-Pierre Poulain proposes that the expression "molecular cooking" designates the application of modern chemical and physical knowledge to cooking. However, since I was the one who introduced the term "molecular cuisine", I can testify that this is not perfectly accurate. In fact, I defined molecular cuisine as the form of cooking that uses renovated utensils (as opposed to those of Paul Bocuse, in La Cuisine du Marché, published in 1976). Going from utensils to the application of knowledge, there is not much difference, but I propose to keep my definition rather than that of J.-P. Poulain.
And since molecular cooking was the application of a particular science of nature, which analyzes culinary processes, a name was needed to designate this science which seeks to understand why sautéed meats turn brown, why soufflés inflate... This science of nature, we named it molecular gastronomy, in 1988, and the term gastronomy was chosen wisely, because it does not mean "ceremonial cooking", contrary to what many believe, but "reasoned knowledge of what relates to food". For the rest of time, there will be cooking, the activity of producing food, which will never be a science of nature, and molecular gastronomy, a science of nature, which will never produce food.

Edouard de Pomiane introduced the word gastrotechnics at the beginning of the 20th century, but I have analyzed the chimerical nature of the proposal: as a microbiologist, he confused technique, technology and science of nature (in addition to publishing many errors in physics and chemistry).

... and cooking Note to note.
H.T. :
All this being said, having hopefully separated natural science and knowledge, molecular gastronomy and cooking, we must discuss a sentence I said during my conference in Strasbourg, which takes on another meaning when taken out of context. Yes, cooking will only evolve if cooks make it evolve. I can make all the proposals for innovations I want, but cooking will only change if these innovations are implemented. Better yet, we must continue the tireless work of explanation, presentation, and collaboration so that the culinary world will take hold of the new techniques proposed, especially in note-to-note cooking. This being the case, I maintain that the natural sciences, and in particular molecular gastronomy, have much to contribute to cooking. For "note-to-note cooking", this cooking that uses c

vendredi 23 juillet 2021

La structure des articles scientifiques

C'est amusant de voir qu'aujourd'hui, pour les sciences de la nature, la structure conventionnelle des articles scientifiques est parfois considérée comme un carcan, alors que sa mise au point progressive a été un progrès extraordinaire, une innovation merveilleuse.

Jadis, les articles scientifiques étaient de très longues descriptions d'expériences, avec des mots, des phrases interminables, et chacun devait en quelque sorte  inventer la structure de son récit.

Progressivement, on en est arrivé à une structure qui est la suivante : les articles ont un titre ; puis on indique les auteurs, assortis de leur affiliation ; suit un résumé, des mots clés, puis une introduction, une partie qui décrit les matériels et les méthodes, avant d'arriver aux résultats, ces derniers étant ensuite discutés avant que l'on conclue, que l'on imagine des perspectives, et que l'on termine par des références indispensables.


Je propose d'observer que cette structure est rationnelle.

Tout d'abord,  il y a le titre,  qui est "efficace" : on sait aussitôt ce que l'on pourra trouver, on sait si le sujet est celui qui nous intéresse.

Ensuite les indications des auteurs sont importantes, parce qu'elles reconnaissent la paternité d'un travail, qu'elles le remettent dans un contexte d'une oeuvre, qu'elles nous signalent un collègue intéressant, dont nous irons éventuellement lire d'autres articles.
Je ne saurais dénoncer assez énergiquement les revues qui indiquent les auteurs en fin d'article, ce qui force les lecteurs à s'y reporter avant de revenir lire le texte. Et puis, il y a un peu de mépris, en quelque sorte, à ne pas reconnaitre immédiatement les auteurs d'un travail.

Le résumé en début  de document est utile, on s'en aperçoit quotidiennement, car il précise un peu le titre, de façon rapide,  et permet d'éviter de se lancer dans des lectures qui nous intéresseraient pas vraiment.

Les mots clés aussi, sont importants, car ils permettent les indexations, les rangements dans des bibliothèques, mais leur place est de moindre importance, car ils correspondent maintenant à des objets numériques.

L'introduction est manifestement indispensable en début de texte, parce qu'elle annonce la question, le travail, la structure du texte : ne pas donner ces informations, ce serait comme tirer derrière nous des personnes sans leur expliquer où l'on veut les conduire et pourquoi.
Bref, il y a lieu d'expliquer le contexte, de situer la question étudiée dans un ensemble de connaissances plus vaste, de montrer des relations entre les expériences effectuées et la question posée, et ainsi de suite, mais je n'insiste pas  ici, parce que j'ai déjà traité cela ailleurs.

Vient ensuite la partie qui dérit les matériels et les méthodes. Là, c'est  tout à fait indispensable, parce qu'un résultat sans la description fine des matériels des méthodes qui y ont conduit ne vaut rien. Donner un résultat de mesure sans indication de l'incertitude de mesure, par exemple, c'est nul, et notamment parce que l'on ne pourra pas rapporter ce résultat à un autre, à le comparer.

Les résultats : il faut les donner, mais on  aurait peut-être intérêt à le faire en deux fois : d'abord exposer rapidement, au premier ordre, les résultats, puis entrer ensuite plus dans les détails.

Les discussions ne peuvent venir qu'après, et être séparées des résultats, car ce sont des interprétations, d'un autre ordre que des résultats.
Là,  c'est le moment de faire véritablement œuvre scientifique, et ne pas se contenter de dire que l'on retrouve des choses qui ont déjà été observées... sans quoi le travail ne sert pas à grand chose...  mais je me suis exprimé à ce propos.

Vient alors le moment de conclure, ce qui se fait mieux si l'on envisage positivement des perspectives.

Et l'on termine avec les références qui doivent être nombreuses : chaque fait, chaque idée, chaque résultat qui est donné doit être parfaitement justifié, et part de bonnes références.
Je suis très opposé aux revues qui limitent le nombre des références que l'on peut donner,  car si beaucoup de référence s'imposent, elle s'imposent ;  et autant les questions de place, de papier à imprimer, étaient  importantes naguères, autant elles sont devenues obsolètes aujourd'hui.


Bien sûr, on pourrait s'amuser à changer l'ordre de tout cela mais j'espère avoir montré qu'il y a une grande cohérence, un grand progrès. Il faut dire et redire que l'analyse des publications du passé montre combien notre structuration moderne est utile pour les lecteurs, efficace en terme de communication scientifique.
Je ne dis pas qu'on peut pas faire mieux, mais j'observe quand même que nos amis les plus originaux ont fort à faire avant de trouver mieux. Et s'ils trouvent vraiment mieux, je serai le premier a populariser leurs idées.
Car il y a des tas de questions que l'on peut se poser  : à propos de la représentation des molécules, à propos de la communication des résultats d'un spectre... Au fond, pour chacune de ces questions, il faut de l'intelligence, afin de  faciliter la lecture :  pour nos  amis qui nous lisent, déroulons le tapis rouge.

jeudi 10 juin 2021

Un moment merveilleux


C'est un moment extraordinairement intense pour la gastronomie moléculaire et physique, ce que l'on nomme plus succinctement gastronomie moléculaire.
Et c'est bien maintenant que nous devons arrêter, afin de regarder en arrière... afin de mieux regarder en avant.

Formellement, le nom de gastronomie moléculaire et physique a été donné en 1988 par moi-même et par mon vieil ami Nicholas Kurti, alors que nous organisions des conférences,  pour établir la discipline scientifique qu'est la gastronomie moléculaire et physique.

Cette gastronomie moléculaire et physique, plus succinctement dite gastronomie moléculaire, est une science de la nature,  qui ne se confond pas avec une de ses applications, que j'ai nommée cuisine moléculaire.

Mais, bref, en 1988, avec Nicholas Kurti, nous avons créé la gastronomie moléculaire, et nous l'avons créé par des conférences, plus exactement par des workshops, à savoir des rencontres scientifiques un peu "rapprochées", avec beaucoup de discussions et même, dans ce cas particulier, des expérimentations que nous faisions pendant nos rencontres.

Il y en a eu tous les deux ou tous les trois ans, régulièrement à partir de 1992, et, là, nous venons de faire la dixième rencontre.

Comme toujours, cela se fait sur 3  jours : 3 jours de présentations scientifiques, de discussions entre amis passionnés par les sciences de la nature et par la cuisine.

Mais, pour cette année, nous avons enchaîné avec la finale des 8e et 9e concours internationaux de cuisine note à note,  une autre application de la gastronomie moléculaire, et qui se distingue de la cuisine moléculaire en ce sens que, pour la cuisine moléculaire, la question était la rénovation des ustensiles (faire venir en cuisine des ustensiles venu des laboratoire de chimie essentiellement), alors que, pour la cuisine note à note, la question est celle des ingrédients : on n'utilise plus les viandes, poissons, fruits ou légumes, mais des composés purs, avec lesquels on construit les mets.

C'est une cuisine de synthèse,  et nous avons eu la finale des 8e et 9e concours avec un excellent niveau des concurrents, venus de plusieurs pays.

Une semaine particulièrement intense donc, qui est encadrée par une conférence scientifique à l'occasion du lancement de cet énorme livre qu'est le Handbook of Molecular Gastronomy, le 12 mai, et une autre conférence du même type le 30 juin, vu le succès de la première.

 

Voilà donc pour l'état : il est la résultante de la lente constitution d'une communauté internationale, ces dernières années, avec la création de groupes de gastronomie moléculaire dans des universités de nombreux pays. Cela ne cesse d'augmenter à mesure que s'ajoutent les élèves, les manifestations...

 

Et demain ? Demain, ayant cette communauté, nous la ferons vivre avec l'International Journal of Molecular and Physical Gastronomy, pour lequel je viens d'avoir des idées de développement : il sera structuré comme l'a été le Handbook of Molecular Gastronomy, avec
- une partie scientifique
- une partie d'applications didactiques
- une partie d'applications à l'art culinaire, sous le nom d' edible ideas.

N'est-ce pas merveilleux ?

mardi 18 mai 2021

La synthèse organique ? La chimie analytique ? Ce n'est pas toujours de la chimie

 

Naguère, il y avait cette opposition entre la chimie organique et la chimie analytique, synthèse contre analyse... Les organiciens se disaient les rois de la chimie, et les analyticiens disaient que, sans eux, on ne pouvait rien faire. Imbécile controverse.

D'ailleurs, il faut observer que la synthèse organique n'est pas toujours de la chimie, et que la "chimie analytique" usurpe parfois son nom.

Car la chimie est une science de la nature : son objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, d'explorer les transformations moléculaires.

Pas de construire des molécules, pas de faire des analyses. Car construire des molécules, c'est un métier technique, et faire des analyses aussi.

Il n'y a chimie, dans la synthèse organique, que si les constructions visent à tester des hypothèses sur des propriétés chimiques particulières, sur des voies de synthèse particulières, sur l'exploration. Et il n'y a chimie, dans la "chimie analytique", que si l'on fait autre chose que de l'analyse (technique), ou du perfectionnement des méthodes d'analyse (technologie).

De sorte que l'on renvoie nombre de protagonistes dos à dos. Et que l'on peut enfin faire rêver de jeunes amis à des activités plus claires.

lundi 29 mars 2021

Ils causent...

 Je bétonne !

Je ne regarde pas souvent les commentaires qui me sont fait sur Twitter, parce que je n'ai pas le temps pour cela. Toutefois,  hier, on m'a retransmis par email un commentaire bizarre de quelqu'un qui me compare à d'autres et qui s'interroge apparemment sur mon cheminement.
Ce type de commentaires m'intéresse peu, mais il me donne l'occasion de m'interroger sur mon activité. Est-elle telle que je la souhaite ?

En réalité, les choses sont très claires : j'ai une production scientifique à faire, et l'essentiel de mon temps, de mon énergie, doit être consacré à cette recherche scientifique (pour laquelle je suis payé par le contribuable). Je dois donc m'efforcer de faire de la recherche scientifique, et non pas d'aller causer sur les réseaux sociaux comme au café du commerce.

En matière scientifique, il me paraît clair, aujourd'hui, que mon effort doit porter sur les "échanges",  car c'est autour de ce thème que s'articulent nombre de mes travaux.

Il y a lieu, maintenant, avec tous les résultats que j'ai obtenus, de produire un travail en profondeur sur cette question, un travail général. Cela demande beaucoup de temps et d'énergie ; cela demande que j'y pense, sans cesse, et c'est seulement à titre de délassement que je fais d'autres travaux telles que des recherches terminologiques autour de la cuisine, des séminaires, des réflexions sur la méthode scientifique, sur la didactique, et ainsi de suite.

La personne qui commentait mes productions n'a apparamment  pas compris que mon propos est essentiellement de produire de la science. Le chimiste Jean-Marie lehn cite souvent un de ses amis architecte qui répète "Ils causent, je bétonne".

Oui, il y a lieu d'élever l'édifice scientifique  sans perdre de temps à palabrer.

masterclass, her

Heureux de vous donner les liens pour mes Masterclass au Cordon bleu :
 

Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do

 
Science et art culinaire 2/6 : https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q

 
Science et art culinaire 3/6  : https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY

 
Science et art culinaire 4/6 : https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM

 
Science et art culinaire 5/6 : https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I

 
Science et art culinaire 6/6 : https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc

vendredi 26 mars 2021

A propos du rejet de manuscrits par les revues scientifiques


Dans un texte que j'ai publié dans les Notes académiques de l'Académie d'Agriculture de France (N3AF),   j'évoquais la question du rejet des manuscrits par les publications scientifiques. Et c'est là un sujet dont il est important de parler, parce que, même si nous savons que cela arrive à tous, et pas seulement à nous-mêmes, il est très désagréable qu'un éditeur nous dise, se fondant sur des rapporteurs, qu'un manuscrit que nous proposons n'est pas publiable, alors que nous y avons passé beaucoup de temps, que nous sommes passés sous les fourches caudines de la préparation particulière et de la soumission, que nous avons fait de notre mieux.

Dans mon article aux N3AF, je commence par observer que, aujourd'hui, la question de limiter les publications -qui s'imposait quand on imprimait les revues scientifiques sur du papier- ne tient plus. D'ailleurs, il s'agit moins de journaux que de publications, et de publications en ligne.

En outre, il faut se souvenir de l'histoire de la publication scientifique pour comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à une situation paradoxale.
Jadis, les auteurs  recopiaient leurs manuscrits à la main pour les distribuer.

Puis les académies et des scientifiques ont créé des revues pour éviter cela. Initialement, les auteurs touchaient des droits d'auteur, parce que les journaux étaient vendus, ce qui rapportait de l'argent.
Progressivement, l'édition scientifique a évolué vers un nouvel état où les auteurs ne touchaient plus d'argent pour leur texte, cédant gratuitement la propriété de leurs textes aux éditeurs, ce qui est sans doute un peu léonin.
Puis est venu le temps où les auteurs ont dû payer pour être publiés...

Alors que les scientifiques font tout le travail :
- l'écriture des textes
- la préparation des manuscrits selon des normes fixes
- l'évaluation des textes des collègues.

L'abondance excessive (plus exactement : excessive pour le système d'il y a plusieurs décennies) des manuscrits a conduit des éditeurs internationaux à s'engraisser indûment sur la communauté scientifique. Il est temps que cela cesse... car le numérique a donné un coup de pied dans la fourmillière.

D'autre part, dans mon texte, je dis que l'heure n'est plus aux rejets, qui font perdre le temps de tout le monde, et qui abattent le moral des courageux qui veulent publier. Notamment les "rejets", qui étaient souvent fondés sur de mauvaises excuses, en vue de limiter les soumissions, doivent cesser. Non pas qu'il faille éviter de publier des manuscrits impubliables, bien sûr.
Non, il est temps que les rapporteurs apprennent d'autres manières, à savoir une bienveillance qui doit permettre aux auteurs d'améliorer leurs manuscrits.

D'ailleurs, il faut absolument que les "évaluations" soient doublement anonymes : que les auteurs ignorent qui sont les rapporteurs, et que les rapporteurs ignorent qui sont les auteurs... car ils seront ainsi plus prudents : je me souviens d'un de mes manuscrits à propos duquel un des rapporteurs avait eu des mots douteux, et je peux assurer qu'il l'a regretté, ensuite, quand il a su que j'étais l'auteur et que, surtout, il avait outrepassé ses droits de rapporteur, faisant des demandes indues.

Pour autant -j'insiste-, il ne s'agit pas de lâcher sur la qualité des textes : il doit y avoir autant d'allers-retours que nécessaire entre les auteurs et les rapporteurs, afin que les textes publiés soient de grande qualité.

Et il faut bien sûr que les auteurs entendent quand leurs textes sont fautifs. Il faut que les jeunes auteurs apprennent à mieux rédiger des textes scientifiques. Où tout soit justifié, par exemple ; où des validations sont données ; et ainsi de suite. Cela s'apprend, et les rapporteurs ont donc une mission essentielle dans notre communauté.

Et d'abord une obligation de bienveillance : vita brevis, ars longa... et il faut apprendre lentement.

Il est temps, aussi, de bien expliquer qu'il n'est pas vrai que les revues rejettent les textes qui font mention de  "résultats négatifs", car les résultats sont toujours des résultats, et, quand ils sont contraire aux hypothèses que nous avons faites, ce sont des découvertes ! C'est une faute de la part des auteurs que de penser que des résultats puissent être négatifs.

Et tout résultat obtenu dans de bonnes conditions (contrôlées, reproductibles) doit être publié ! Evidemment, les interprétations sont parfois difficiles, mais j'insiste : les résultats sont là, et il faut les communiquer à la communauté scientifique.

D'ailleurs, bien plus généralement, nous devons faire nôtre la règle de Michael Faraday : work, finish and publish*... car une idée dans un tiroir n'est pas une idée !  


*    “The secret is comprised in three words — Work, finish, publish.”

An advice to the young William Crookes, who had asked him the secret of his success as a scientific investigator, as quoted in Michael Faraday (1874) by John Hall Gladstone, p. 123

mardi 23 mars 2021

Qu'est-ce que la chimie ? Et, a contrario, qu'est-ce qui n'est pas de la chimie ?



La chimie ? je suis obligé de me répéter un peu parce que non ne cesse de m'interroger et que, au fond, ayant fait le travail d'être en mesure de répondre aux questions de ce type, c'est bien la moindre des choses que je réponde.

Pour savoir ce que c'est que la chimie, il faut partir de l'alchimie.

L'alchimie est née de l'étonnement de l'apparition de métaux quand on calcine des minerais, par exemple, ou de l'étonnement du cycle d'évaporation et de condensation de l'eau, par exemple... Car il y a dans l'environnement de l'être humain ancien une foule de phénomènes,  évidemment tous mystérieux tant que l'on n'en a pas la clé, tant qu'on en comprends pas les mécanismes.

Ces phénomènes, les êtres humains anciens n'ont pas manqué de les explorer, au moins pour certains, et cela faisait déjà une sorte de philosophie naturelle, une sorte de sciences : chercher les mécanismes des phénomènes, n'est-ce pas l'objectif des sciences de la nature ?

 Bien sûr, à l'époque, il n'avait ni la méthode scientifique que nous avons aujourd'hui, ni les outils d'analyse modernes, ni même les concepts qui sont si important pour comprendre le monde :  le concept d'inertie, le concept de force, le concept d'énergie, l'iée d'atomes et de molécules... et les incertitudes ont duré pendant des siècles à propos de ce que nous savons être aujourd'hui et réarrangement d'atomes.

Il a fallu des tâtonnements, avec les "moyens du bord",  à savoir  le broyage, le chauffage, le refroidissement, et ainsi de suite pour explorer ces transformations.
Et c'est ainsi que l'on a pu croire, au moins pour certains, que l'on trouvait dans ces métamorphoses du monde les clés de longue vie,  d'où des recherches d'élixir de pierre philosophale, etc.

Il y a eu une alchimie expérimentale, "opérative", qui consistait à effectuer des expériences, et une alchimie plus spéculative, qui faisait des théories, et des théories sans  vraiment avoir les moyens de faire, débordant parfois considérable, délirant même parfois.

C'est vers le 17e siècle qui est apparue progressivement la possibilité de comprendre les réarrangement d'atomes.

Et après quelques hésitations, c'est quand même entre la parution du premier tome de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert et l'apparition du dernier tome de cette même Encyclopédie que l'on a cessé de parler d'alchimie, dans cette quête des mécanismes des transformations et des phénomènes,  pour parler de "chymie", d'abord, puis ensuite de "chimie".

Il était  ainsi très clair, pour Lavoisier et ses successeurs que la chimie était une science de la nature :  la science qui étudie les mécanismes des transformations de la matière, ce que nous savons être aujourd'hui des réarrangement d'atome entre atomes isolés, ions, molécules, etc.

Voilà pour la chimie : la science de la nature qui explore les réarrangements d'atomes

Ce qui n'est pas de la chimie ? Les applications de la chimie ne sont pas de la chimie. Louis Pasteur le disait ainsi : le fruit n'est pas l'arbre.
Ce qui n'est pas de la chimie ? La technique chimique, les industries de la chimie. Respirer ou marcher n'est pas faire de la chimie, parce que, ainsi, on ne cherche pas les mécanismes des phénomènes par la méthode scientifique : on se contente de respirer, de marcher, comme un animal. Et même si des réarrangements d'atomes ont lieu dans l'organisme. Car on se souvient que la chimie est l'étude de ces réarrangements, par l'opération de ces réarrangements.

En conséquence, les industries qui se disent "chimiques" usurpent le mot. Et il faut le dénoncer, car cela est malhonnête.

A contrario, il y a lieu de bien dire  à nos jeunes amis que l'étude des réarrangements d'atomes, la chimie donc, est une entreprise qui est loin d'être terminée. Elle a besoin de talents !

mercredi 17 mars 2021

Il faut "documenter" !!!!!



Au fond, certains étudiants qui balancent à la figure de leurs professeurs des suite de calculs dont il faut s'échiner (perdre son temps) à comprendre ce dont il s'agit sont des malappris (au sens littéral du terme) : ils n'ont pas appris que, quand on s'adresse à quelqu'un, on lui dit d'abord "bonjour", on lui dit l'objet de ce qui nous amène, on lui explique la chose...
Et c'est donc une faute hélas courante et grave que de ne pas expliquer en mots ce que l'on fait, quand on calcule.
D'ailleurs, souvent, les calculs sont faux... parce que les étudiants ne savent même pas ce qu'ils veulent calculer.

Bref, un calcul se fait avec des phrases en français (pour les Français), avec sujet, verbe, complément. Il doit commencer par l'exposé de l'objectif, et l'on doit expliquer tout le raisonnement.

Ce qui, je l'observe régulièrement, permet à ceux qui calculent de savoir ce qu'ils font !
D'ailleurs, quand je dis "calcul", je pense tout aussi bien à des programmes informatiques, et, là, cela se nomme "documenter".

Une bonne idée : penser, quand on fait des calculs, non pas à soi-même mais à quelqu'un qui ne serait pas au courant de la chose, et à qui l'on voudrait lui expliquer. Penser à un enfant qui ne saurait pas nager et à qui l'on voudrait l'enseigner. Penser à une histoire que l'on raconte, penser à une chanson que l'on chante, penser à un chemin que l'on parcourt.

Mais, surtout, DOCUMENTER !

Des Masterclass à l'Ecole Le Cordon bleu

 TRES HEUREUX de vous annoncer une série de Masterclass enregistrées à l'Ecole Le Cordon Bleu  ! 




Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
Science et art culinaire 2/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q
Science et art culinaire 3/6  : https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY
Science et art culinaire 4/6 : https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM
Science et art culinaire 5/6 : https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I
Science et art culinaire 6/6 : https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc

jeudi 11 mars 2021

La représentation des données



Des amis en stage m'interrogent sur la représentation des données, puisqu'ils en sont à ce stade de leur travail de recherche. Doivent-ils faire des courbes ? des histogrammes ? quels textes faut-il porter sur les images ? de quelles couleurs ? dans quelle taille ?

La première réponse à faire, la plus importante, c'est celle de l'objectif : toujours commencer par l'objectif ! Que veut-on faire et pourquoi ?


Et, d'autre part, quand il est question de communication (à soi-même ou aux autres), je ne saurais trop conseiller de distinguer la composante intrinsèque de la question, de la question extrinsèque et des questions concomitantes.
J'explique en prenant une comparaison (utile par ailleurs) : l'intérêt intrinsèque d'une profession, c'est combien l'exercice de ce métier nous intéresse ; l'intérêt extrinsèque, c'est de savoir combien on va gagner ; et l'intérêt concomitant, c'est par exemple la reconnaissance sociale. A vous de transposer, maintenant, en revenant à la question des affichages de données ;-).

Ca y est ? Non ? Alors je vous invite à chercher d'abord pourquoi on affiche des données. Et cela nous impose de nous remettre dans le fil de la recherche scientifique : cette recherche consiste à suivre des étapes qui sont :
1. identifier un phénomène
2. le caractériser quantitativement
3. réunir les données en "lois", c'est-à-dire en équations
4. induire une théorie, quantitativement compatibles avec les lois, et en introduisant des concepts nouveaux
5. chercher des conséquences logiques, testables, de la théorie
6. tester expérimentalement ces prévisions théoriques.

Ici, nous en sommes au point (3), à savoir que nous avons des données, et nous voulons des équations.

Et c'est un fait que, de surcroît, on se repère très difficilement dans d'immenses tableaux de nombres (les résultats des mesures de caractérisations quantitatives).

Autrement dit, ce que l'on voudrait, avec cet affichage, c'est avoir une idée de la formes des équations : proportionnalité, augmentation exponentielle, que sais-je.

Et évidemment, pour cette recherche,  il y a  lieu de faire des représentations les plus simples possibles.
Notamment des représentations dans un espace à deux dimensions (ce qui est une "coupe" d'un espace qui aurait possiblement plus de dimensions).

Par exemple, considérons  une série de spectres d'absorption UV-visible : là, les données sont des courbes... et s'il a plusieurs courbes, on peut les superposer,  et regarder l'ordonnée des diverses courbes  a une valeur particulière de l'abscisse (une longueur d'onde particulière, choisie pour de vraies raisons scientifiques).
On peut aussi -mais c'est plus compliqué- dessiner une sorte de paysages, avec toutes les courbes, car si ces courbes s'ordonnent, pourquoi ne pas les faire apparaître comme des coupes de l'espace ?
Après tout, les deux dimensions de l'espace des courbes, plus une dimension pour la succession des courbes, cela fait trois dimensions, n'est-ce pas ?

Ou encore,  imaginons que l'on ait des données colorimétriques, par exemple dans un espace nommé L*a*b*. Pour cette mesure, on a des triplets de points, c'est-à-dire en réalité des points dans un espace à trois dimensions. Si l'on a plusieurs mesures, on aura plusieurs points dans cet espace. Comment représenter s'il y a un ordre pour les points ? Car ici, il faudrait un espace à quatre dimensions ? Une couleur peut être ajoutée, par exemple.

Et ainsi de suite  : ce que l'on cherche à ce stade,  ce n'est pas d'épater la galerie, de faire du "beau", de l'extrinsèque, mais de l'intrinsèque, de l'efficace du point de vue de la production scientifique.

C'est seulement plus tard, quand le travail scientifique aura été fait, que l'on pourra se préoccuper de produire de belles représentations. Là, tel le génial mathématicien Carl Friedrich Gauss, on pourra effacer les traces de ses propres hésitations, et   afficher  un travail d'orfèvre, superbe, ciselé... mais cela ne doit venir que quand le contenu aura été parfaitement déterminé :  on ne peut pas mettre des habits mêmes superbes sur un corps inexistant.

 

D'abord le message, le contenu, avant sa forme.

PS. Connaissez vous le livre The quantitative display of scientific information ? 

mardi 9 mars 2021

A quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pas pour s'en servir ensuite ? c'est la question que je me pause.[sic]

"À quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pour s'en servir ensuite ? C'est la question que je me pose" :  voilà une remarque qui me vient par email et que  je propose ici de bien analyser.

Il y a d'abord la question des mots, qui va d'ailleurs avec la question de l'orthographe (la faute dans la question qui m'était adressée) et de la pensée  : j'ai la conviction que si les mots ne sont pas bons,  la pensée n'est pas juste.

Et, d'ailleurs, ici,  je suis immédiatement alerté par le mot "science"..., car je sais qu'il est miné   : j'ai fini par comprendre
- que certains nomment "science" des savoirs (la science du maître d'hôtel, la science du cuisinier...)
- qu'il existe des sciences de la nature, d'une part, et des sciences de l'humain et de la société, d'autre part. Les activités de ces deux types sont bien différentes, très "étrangères les unes aux autres".

Et comme je ne connais pas suffisamment les sciences de l'humain et de la société, d'une part, et que mon interlocuteur fait en réalité référence aux sciences de la nature, je préfère réécrire sa question pour bien la comprendre sous la forme suivante : "comprendre les sciences de la nature".
Mais, là, que cela signifie-t-il ? Comprendre les sciences de la nature ? C'est bien vague ! Mon interlocuteur veut-il dire "comprendre la nature des sciences de la nature", ou "comprendre la méthode des sciences de la nature", ou "comprendre les théories des sciences de la nature ?
Et puis, de quelle science de la nature me parle-t-il ? De toutes ? Ou bien seulement de physique ? De chimie ?
Bref, je ne sais pas ce qu'il veut dire par "comprendre la science".

Plus simplement, j'ai fini par comprendre que les sciences de la nature sont des activités dont l'objectif est la recherche des mécanismes des phénomènes,  à l'aide d'une méthode qui passe par :
1. l'identification d'un phénomène,
2. sa  caractérisation quantitative,
3. la réunion des résultats de mesure en équations nommées lois,
4. l'induction d'une théorie, avec le regroupement de ces lois et l'introduction de nouveaux concepts,
5. la recherche de prévisions théoriques, c'est-à-dire de conséquences logiques de la théorie,
6.  les tests expérimentaux de ces prévisions théoriques.

Alors "comprendre la science"... S'agit-il de se limiter à comprendre cette méthode ? Ou s'agit-il de connaître  (j'insiste : connaître) les "lois" ? De connaître les concepts (j'insiste, connaître) ?

Mais un exemple s'impose. Considérons l'effet de composé phénoliques sur la constitution d'émulsions, le phénomène étant que des émulsions faites en présence de ces composés font immédiatement deux couches, alors qu'elles n'en font qu'une sans ces composés.
Un travail scientifique peut vouloir explorer ces phénomènes, et il aboutit à l'hypothèse selon laquelle les composés phénoliques puissent se mettre à l'interface eau-huile, au milieu des phospholipides. Une telle hypothèse s'établit notamment par  résonance magnétique nucléaire, laquelle permet de voir des couplages, c'est-à-dire des modifications des signaux de résonance de certains atomes en fonction de leur "environnement chimique", à savoir la présence d'autres atomes. Dans un tel cas, le travail scientifique produit donc une théorie sur la répartition des composés phénoliques parmi les phospholipides, autour des masses liquides de lipides.

A quoi bon savoir cela ?

Pour un/e scientifique, avoir cette connaissance ne sert peut-être à rien, sauf à connaître le fonctionnement du monde, ou à utiliser ces résultats dans des études analogues, où l'hypothèse pourrait être "utile" pour produire une autre hypothèse : autrement dit, la connaissance de résultats scientifiques peut "servir" à poursuivre le travail scientifique.

D'ailleurs, la connaissance et la description du monde ne sont-ils pas de qui nous sépare des animaux ?

Pour un ingénieur ou un technologue, d'autre part, un tel résultat peut être utilisé pour stabiliser une émulsion, par exemple, ou éviter une déstabilisation.

Pour un enseignant, une telle connaissance peut servir à changer des mentalités (pensons à ces séismes intellectuels qui ont suivi le remplacement du géocentrisme par l'héliocentrisme, à la révolution copernicienne... on a même brûlé ceux qui soutenaient ce qui était contraire à la Bible !), mais, aussi, à enseigner de la saine méthodologie, ou de la méthode, par exemple.

Le fait que mon interlocuteur ne voit pas l'intérêt de la science pour elle-même montre bien qu'il n'est pas scientifique. Et que faisons-nous de l'honneur de l'esprit humain ?

Et j'insiste un peu, parce que, en ces temps de plomb où l'argent tient lieu de valeur morale, l'"utilité" est une notion bien difficile, qui mérite que l'on y pense un peu. Je ne dis pas qu'il soit mal de penser aux applications, mais je dis surtout que des scientifiques qui s'occuperaient à cela ne feraient pas leur "mission", à savoir produire des connaissances scientifiques.

samedi 23 janvier 2021

Il faut donc que je m'explique mieux ; j'essaye.

Ce matin, un commentaire sur mon blog de la revue Pour la Science :

Je n'ai rien compris à l'introduction tendant à prouver que la cuisine n'est pas de la chimie. Celle-ci couvre les réaction intra comme intermoléculaires. Dès qu'il y a transformation d'une substance en une autre, c'est de la chimie. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de chimie, "science de la nature" ? Le plexiglas, les colorants azoïques, le Tergal ce n'est donc pas de la chimie ?
Bon, ceci dit j'ai apprécié la suite de l'article, c'est l'essentiel !


Décidément, il faut que j'explique pas à pas, car je ne veux certainement pas laisser planer des doutes quant à la chimie, et mon objectif est de ne pas laisser subsister des confusions, qui sont toujours la source de conflits.


Commençons par définir la cuisine, d'une part, et la chimie, d'autre part.

Pour la cuisine, je suis resté longtemps dans l'incertitude, jusqu'au jour où je suis devenu capable de dire (et d'expliquer à tous) que "la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".
Certes, la cuisine, c'est une activité de préparation des aliments à partir d'ingrédients, mais cette activité a trois composantes :
(1) La composante technique : il faut battre des blancs d'oeufs pour obtenir des blancs d'oeuf en neige ; il faut chauffer un steak pour avoir un steak cuit ; etc. Comme pour la peinture (qui ne doit pas couler), comme pour la musique (il ne doit pas y avoir de fausses notes), comme pour la littérature (il ne doit pas y avoir de fautes d'orthographe, de grammaire, etc.), la composante technique est évidemment essentielle, et cela d'autant plus que notre vie est entre les mains de ceux qui nous nourrissent.
(2) La composante artistique : je dis bien "artistique"... parce que n'est pas l'époque si lointaine où des individus bornés refusaient de donner à la cuisine, au moins pour celle de certains cuisiniers, le statut d'art, à égalité avec la peinture, la musique, la littérature, etc.
Pour bien comprendre, ici, il faut observer que le "bon", c'est le beau  à manger. Il n'y a pas de bon général, sauf à considérer que le sucré, le gras, le salé, sont appréciés par les enfants nouveaux-nés, tout comme des primates nouveaux-nés. De même que certains préfèrent les peintures de Jérome Bosch, et d'autres celles d'Hokusai, il y a ceux qui préfèrent le style de Pierre Gagnaire, et ceux qui préfèrent des cuisines plus "classiques", voire plus "populaires".
Et, tout comme on distingue les peintres en bâtiment et les Rembrandt, on distingue des cuisines d'artisans, d'artisans d'art et d'artistes. Le steak grillé frites du midi, c'est (le plus souvent) de l'artisanat : il faut que ce soit "bon", mais on ne cherche pas à pleurer d'émotion.
(3) Enfin, il y a une composante de lien social : le meilleur des plats, le mieux exécuté, ne vaut rien s'il nous est jeté à la figure. Cuisiner, c'est cuisiner pour quelqu'un... tout comme peindre, c'est faire une peinture pour qu'elle soit vue, et écrire, c'est écrire pour être lu (ne finassons pas, s'il vous plaît : je donne ici une explication succincte de dont j'ai fait tout un livre !).

La chimie, maintenant, puisque c'est surtout là que je suis en désaccord avec mon ami lecteur.
Allons-y doucement, parce que, là, j'ai eu encore plus de difficultés à comprendre que pour la cuisine. Tout a commencé quand je me suis demandé ce qu'était au juste cette activité. Une technique ? Une technologie ? Une science ? On trouvera dans la revue L'Actualité chimique ma recension d'un excellent livre sur l'alchimie (D. Kahn), qui montre excellemment que l'alchimie est devenue la chimie avant Lavoisier, progressivement. Mais il s'agissait  toujours d'une exploration de ce que l'on ignorait être des réorganisations d'atomes, des transformations moléculaires (je prends des précautions parce que, à côté des molécules, il y a les ions).
Puis, entre la publication du premier et du dernier tome de l'Encyclopédie, les choses se sont clarifiées, et la "chimie" est clairement devenue une activité scientifique. Pas une technologie, pas une technique. D'ailleurs, à l'époque, on n'aurait pas parlé de chimie pour désigner l'industrie qui usurpe ce nom aujourd'hui. Non, la chimie est bien une science.

Allons un pas plus avant : la chimie est une "science de la nature". Oui, car, parmi les "sciences", il y a des activités de différentes natures : l'histoire, la sociologie, la chimie, la physique, la biologie... Parfois, on a utilisé la terminologie "sciences exactes", mais on verra dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations ?" pourquoi je récuse cette terminologie. Pour faire vite, disons ici que :
1. l'objectif des chimie, physique, biologie... est de chercher les mécanismes des phénomènes
2. à l'aide d'une méthode qui passe par :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative de ce dernier
- réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
- production d'une "théorie" (on parle parfois de modèle) par réunion des lois et introduction de nouveaux concepts
- recherche de conséquences testables de la théorie
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
- et ainsi de suite, à l'infini, parce que les modèles réduits de la réalité ne peuvent aucunement prétendre à une description parfaite.
Bref, les sciences que sont la chimie, la physique, la biologie, et qui étaient nommées jadis "philosophie naturelle" (relisons Michael Faraday, par exemple) sont plutôt des "sciences de la nature", terme bien plus juste que "sciences exactes".

Terminons rapidement par la réponse à la question "Le plexiglas, les colorants azoïques, le tergal ce n'est donc pas de la chimie ?". Avec ce qui précède, on comprend que non, les colorants azoïques ne sont pas "de la chimie". Ce sont des produits qui ont été découverts par les chimistes, et qui sont produits par une industrie des colorants. Certains, d'ailleurs, sont synthétisés, mais d'autres peuvent être extraits de plantes. Pour le plexiglas ou le tergal, ce sont sans doute des produits synthétisés qui n'existe pas naturellement, mais ils ne sont pas "de la chimie".
On sera particulièrement attentif à la faute du partitif, que l'on explique souvent avec l'expression "le cortège présidentiel" : le cortège n'est présidentiel que s'il est lui-même le président ; sinon, c'est plus clair de parler du "cortège du président". Et cela est particulièrement important de bien veiller à cette faute quand on utilise le terme "chimique". Quand on dit "produit chimique", que dit-on au juste ? D'un produit découvert par la science qu'est la chimie ? D'un produit fabriqué par une industrie d'application de la science qu'est la chimie ? D'un composé particulier (ne pas confondre svp le terme "composé" avec celui de "molécule", comme je l'explique dans un article récemment paru : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/la-rigueur-terminologique-pour-les-concepts-de-la-chimie-une-base) ?

En tout cas, ce qui est clair, c'est que l'activité de production d'aliments à partir d'ingrédients n'a rien à voir avec une activité d'exploration du monde moléculaire : dans le premier cas, on produit des aliments, tandis que l'on produit des connaissances dans le second.
Soyons bien clairs ! L'ai-je été ?