Affichage des articles dont le libellé est cuisine moléculaire. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est cuisine moléculaire. Afficher tous les articles

mardi 15 janvier 2019

Il y a quand même des questions cocasses !

 Chaque jour, il y a un lot de questions qui m'arrivent par des élèves qui font des travaux personnels encadrés, et je les renvoie souvent sur mon site pour les questions auxquelles j'ai répondu précédemment. Mais il y a parfois des questions nouvelles, comme aujourd'hui, et mes réponses viendront s'ajouter à celles qui sont déjà présentes par milliers, en français et en anglais, sur : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/et-plus-encore/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses

1. Peut-on considéré la gastronomie moléculaire comme une révolution scientifique, médicale et alimentaire ? 
On verra plus loin que nos amis confondent gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire, science de la nature et technique+art (culinaire.
Il faut donc commencer par leur expliquer la gastronomie moléculaire, c'est une discipline scientifique (comme la physique, la chimie, la biologie, l'astronomie...), qui, tout particulièrement, cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent en cuisine.
Par exemple, quand un cuisinier fait de la cuisine, et qu'il fait par exemple griller une viande, la viande brunit : c'est un phénomène.
La question de savoir pourquoi la viande brunit n'est pas de la cuisine, mais si l'on s'interroge scientifiquement sur cette question, on fait de la science (de la nature; rien à voir avec les sciences de l'humain et de la société).
 J'insiste un peu : s'interroger scientifiquement, c'est mettre en oeuvre la méthode des sciences de la nature, expliquée dans plein d'autres billets et résumée sur la figure suivante :


Finalement, il y a la question de "révolution", mot souvent galvaudé. Que signifie-t-il ? Je montre pédagogiquement l'exemple en allant chercher son sens sur le TLFi, le seul dictionnaire qui vaille  :
http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?12;s=3944010540;r=1;nat=;sol=1;
Je trouve :
# Mouvement en courbe fermée autour d'un axe ou d'un point, réel ou fictif, dont le point de retour coïncide avec le point de départ : cela n'est pas le cas.
#  Trajectoire effectuée par un satellite artificiel : ce n'est pas le cas non plus.
# Retour périodique; durée déterminée par un cycle : ça ne va pas.
# État, forme de ce qui est enroulé sur soi-même : non plus.
# Changement brusque et profond : ah, oui, l'introduction de cette discipline scientifique a été un changement brusque et profond, en 1988.

Reste à savoir si c'était une révolution scientifique, médicale ou alimentaire. La création d'une nouvelle discipline scientifique est certainement une révolution scientifique. Mais la gastronomie moléculaire a-t-elle influé sur la médecine ? Je ne sais pas. Sur l'alimentation ? Certainement, puisque nous avons même rénové les études dans les lycées hôteliers.

3. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre la cuisine et la gastronomie moléculaire ?
Ici, nos amis font une amphibologie, parce que l'on ne sait pas si l'adjectif "moléculaire" s'applique au mot cuisine, comme au mot "gastronomie". Je reformule donc pour répondre.
La cuisine : c'est la préparation des aliments à partir des ingrédients. Il y a des aspects techniques, artistiques, et sociaux, comme je l'explique dans mon livre que voici :
La gastronomie moléculaire, c'est donc une science de la nature.
La cuisine moléculaire : c'est une forme de cuisine qui, au lieu d'utiliser les ustensiles anciens, utilise aussi des ustensiles venus des laboratoires : siphons, azote liquide, sondes à ultrasons, thermocirculateurs pour la cuisson à basse température.

4. Peut-on dire que la gastronomie moléculaire joue déjà un rôle  dans notre alimentation quotidienne ? 

La gastronomie moléculaire joue un rôle par ses applications, qui sont de deux types :
- pédagogiques
- techniques.
Oui, la gastronomie moléculaire a un rôle éducatif... puisque les programmes incluent des considérations scientifiques sur l'aliment. Voir aussi les Ateliers expérimentaux du goût. Et l'on ne cuisine plus avec des dictons culinaires dépassés (par exemple, la croyance que les règles féminines auraient fait tourner les sauces !)
D'autre part, oui, la gastronomie moléculaire a eu une influence sur notre alimentation quotidienne : la cuisson à basse température est partout, les siphons sont en vente dans les supermarchés, et les agar-agar et autres se sont ajoutés à la gélatine, par exemple.

5. Des aliments déjà commercialisés comme le steak de soja ont-ils été fait suivant la gastronomie moléculaire ?
Le steak de soja est-il un produit de la gastronomie moléculaire ? 
Non.

6. La gastronomie moléculaire est-elle un atout pour résoudre les problèmes d’alimentation (malnutrition, sous-nutrition) dans le monde ? 
Certainement, et cela se fera par la "cuisine note à note"... qui devrait être le thème principal du travail de nos jeunes amis !

7. Pensez-vous que l’on puisse encore exploiter ce domaine ? Il y a-t-il encore des découvertes possibles sur ce sujet ? 
Des découvertes à faire ? J'ai 25 000 questions dont je n'ai pas la réponse, et, chaque jour, j'abonde sur le blog Inra pour proposer des questions testables aux internautes : http://blogs.inra.fr/herve_this_cuisine
Mais, surtout, quiconque connaît la méthode scientifique (image ci dessus) comprend que la science n'a pas de fin !

8. Comment avez-vous rencontré Nicolas Kurti ? D’où vous est venu l’idée de développer ensemble la gastronomie moléculaire? 
Là, la raison est déjà donnée dans mes "Questions/réponses" de mon site.

9. Pourquoi vous considérez vous comme un physico-chimiste ? 
 Là, j'ai bien rigolé. Parce que c'est mon métier ! D'ailleurs, on verra ci dessous que nos jeunes amis m'ont confondu avec un cuisinier.
Il faut qu'ils aillent en ligne voir comment est mon laboratoire, ce que l'on y fait. Tiens, j'ai un lien pour eux :
https://www.youtube.com/watch?v=IgpLkcDp8h4&feature=youtu.be

10. La cuisine moléculaire peut-elle amener tous les nutriments nécessaires (protéines, glucides, vitamines) au bon fonctionnement de notre organisme ?
Cette fois, nos amis parlent de cuisine moléculaire, et j'espère qu'ils savent bien :
- ce que c'est
- que c'est bien dépassé par la "cuisine note à note"
Et je crois que la question se pose pour la cuisine note à note... mais j'ai répondu de nombreuses fois sur ce blog : qu'ils aillent y  chercher les réponses.

11. Les plats de la cuisine moléculaire peuvent-ils constituer un régime alimentaire diététique ? 
 La cuisine moléculaire ne m'intéresse plus depuis longtemps, et la seule question intéressante est à propos de la cuisine note à note. La réponse est donnée dans mon livre :


Cela étant, j'invite mes amis à réfléchir à leur formulation "régime alimentaire diététique" ? La consultation du dictionnaire leur montrera que cela n'a pas grand sens.

12. Pensez-vous que la cuisine moléculaire peut répondre aux besoins alimentaires de toute la population mondiale de demain ?  
Pour la cuisine moléculaire, non. Pour la cuisine note à note, j'espère. Voir mon livre.

13. Est-ce que la cuisine moléculaire est-elle appropriée  pour une alimentation quotidienne au niveau de la santé ? Nuit-elle à l’environnement ? 
Même réponse que pour 12... et elle nuit certainement moins à l'environnement que la cuisine classique, qui est un véritable gaspillage !

14. Pensez-vous que c’est l’esthétique des plats qui attirent la clientèle ? 
J'ai peur que nos jeunes amis ignorent que l'esthétique est une branche de la philosophie : celle qui s'intéresse au beau.
Mais bon, j'interprète  : les jolis plats attirent-ils la clientèle ? Je le suppose. Et cela est discuté tout particulièrement dans mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".


15. Avez-vous beaucoup de concurrents qui pratiquent aussi la cuisine moléculaire ? 
Mais moi je ne fais pas de cuisine moléculaire ! Je fais de la gastronomie moléculaire, à savoir de la science.
Et je n'ai pas des "concurrents", mais des tas de collègues merveilleux dans des tas de pays du monde... au point que nous faisons tous ensemble un gros Handbook of molecular gastronomy.
Et puis, je trouve cette idée de concurrents enfantine, limitée (pardon, mais c'est mon vrai sentiment). En musique, Bach et Buxtehude n'étaient pas "concurrents". En science, Einstein et Marie Curie n'étaient pas "concurrents".
16. Pensez-vous que la cuisine moléculaire est accessible pour le monde entier (possible dans tous les pays, prix abordables) ? 

Oui, et c'est pour le public que je l'ai créée, comme un moyen d'aider l'économie familiale... mais la réponse détaillée est dans les questions/réponses de mon site.

17. La cuisine moléculaire est-elle rentable ? Votre marge de profit est-elle inférieure ou supérieure à celle d’un restaurant servant des plats traditionnels ? Et vos coûts intermédiaires sont-ils plus ou moins élevés que ceux des autres restaurants d’autres types ? 
Je vous avais averti que nos jeunes amis croyaient que j'étais cuisinier !
JE NE SUIS PAS CUISINIER MAIS SCIENTIFIQUE, et plus particulièrement PHYSICOCHIMISTE !

18. Est-ce facile de se procurer les ingrédients (gomme de xanthane, alginate de sodium) ? Sont-ils chers ? Peut-on en acheter en masse et réduire son coût ? Où en achetez-vous ? 
Oui, non, au supermarché.

19. Quels sont les plats les plus coûteux (pour vous en terme de coût intermédiaire) que vous présentés sur votre carte ?
Au laboratoire, je n'ai pas de carte, désole (lol).

20. Comment justifiez-vous le prix élevé des plats de la cuisine moléculaire ? Ce coût dérange-t-il la clientèle ?  Pensez-vous qu’il est possible de diminuer son coût ? 
Voir mon site.

21. Pensez-vous que des particuliers puissent réaliser les mêmes plats que vous (trouver tous les ingrédients, matériels) ? 
Voir mon site.

22. Pourquoi pensez-vous qu’aussi peu de cuisiniers le pratiquent ? Avez-vous alors du mal à trouver des cuisiniers spécialisés dans ce domaine ? 
Il y a de la cuisine moléculaire dans le monde entier, mais, encore une fois, c'est dépassé par la cuisine note à note. Et ce n'est pas une question d'argent, mais de mentalité; voir les billets correspondants.

23. Les gens appréhendent-ils de goûter à vos plats ? Pensent-ils que cela est très chimique ?
Idem 22, mais, au fait, savez-vous ce que signifie le mot "chimique" ?

24. Avez-vous déjà rencontrés des clients qui n’ont pas pu tolérer vos plats ? Ont-ils rencontré des problèmes de santé ? Si oui, quels ont été les éventuelles causes de ces imprévus ?   
 Je ne suis pas cuisinier !

15. En moyenne, combien de temps vous faut-il pour confectionner vos plats ? Quels sont les plats les plus rapides ? Quels sont les plats qui vous prennent le plus de temps ? Quels sont les plats les plus populaires ? 
Je ne suis pas cuisinier !

16. Pouvez-vous nous donner une recette rapide et facile à faire chez soi ? 
Voir les podcasts d'AgroParisTech, en particulier ceux sur le gibbs ou le dirac, mais aussi les plats que fait mon ami Pierre Gagnaire à partir de mes inventions mensuelles  : https://www.pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve

17. Dans vos plats, sur quels procédés vous reposez-vous pour solliciter les sensations cognitives de vos clients ?   
Je ne suis pas cuisinier !

dimanche 13 janvier 2019

L'avais-je prévu ?

Encore des amis des "travaux personnels encadrés", qui m'interrogent à propos de cuisine moléculaire et de gastronomie moléculaire.


Pour aujourd'hui, voici les questions et les réponses.




1. Pensez-vous que la cuisine pourrait exister sans la science ?  

  La cuisine existe depuis que des humains ont préparé des plats, notamment en ménageant des cuissons ou des fermentations qui contribuaient à la digestibilité ou au goût, sans compter la troisième fonction essentielle de la cuisine, à savoir tuer les micro-organismes pathogènes qui contaminaient les ingrédients alimentaires. A ces époques reculées, il n'y avait pas de sciences de la nature. 
Ce qui ne signifie pas que nos lointains ancêtres ne réfléchissaient pas sur les causes des phénomènes, mais la plupart invoquaient des "dieux", des divinités, pour expliquer le tonnerre (Zeus), la pluie, le soleil, les sources, le jour ou la nuit, les étoiles... D'où les mythes, notamment. 
Les sciences de la nature, elles, sont devenues modernes vers la Renaissance, quand Galilée a proposé que l'on marche sur deux pieds : l'expérimentation et le calcul. Il n'est pas le seul, puisque Bacon a ajouté que tout devait être mesuré... Mais j'ai évoqué tout cela plus en détail dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire 1 : science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?"





Et puis, j'en profite parce que cela sera utile à nos amis, je recommande de diffuser partout cette image essentielle à leur travail, expliquée dans le livre : 

Donc oui, mille fois oui, la cuisine peut exister sans la science ! Elle a longtemps existé sans elle, et ce n'est d'ailleurs qu'en 1988 que nous avons introduit la science nommée gastronomie moléculaire pour étudier la cuisine. On observe que pour étudier la cuisine (scientifiquement), il faut que la cuisine pré-existe !



 2. L'utilisation de cette innovation dans le monde gastronomique était-elle celle que vous envisagiez de propager après avoir inventé la cuisine moléculaire ?  

 "Cette innovation" : de quelle innovation parlez-vous ? De la gastronomie moléculaire ? Et puis, je vois évoquée la "cuisine moléculaire" : il faut bien faire la différence, que je rappelle brièvement : 

1. la cuisine moléculaire était  une volonté de rénover techniquement la cuisine en y introduisant des ustensiles qui étaient utiles, et présents dans les laboratoires de chimie (azote liquide, siphons, thermocirculateurs, sondes à ultrasons...) ; la promotion de l'usage de ces ustensiles modernes s'est faite après 1980, mais je n'ai donné le nom "cuisine moléculaire" qu'en 1999, parce que beaucoup de monde confondait la cuisine moléculaire (de la cuisine, comme son nom l'indique) et la gastronomie moléculaire, qui est bien autre chose (de la science)  ; elle est dépassée... par la "cuisine note à note".
2. la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique que j'ai commencé à pratiquer le 24 mars 1980, et qui cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent quand on cuisine ; c'est une science de la nature, et elle a été formalisée par moi-même et par Nicholas Kurti, et elle n'aura pas de fin. Elle se développe d'ailleurs dans les universités et laboratoires de recherche du monde entier... et nous préparons un gros Handbook of molecular gastronomy, qui sortira sans doute cette année.


3. Au final, la cuisine moléculaire est-elle un nouveau style de cuisine ou une simple chimie mise en application ? 

Observons que l'expression "au final" n'est pas de bon français. 
La cuisine moléculaire, un nouveau style ? Disons un style, oui, et l'anglais fait une différence entre "molecular cooking", qui désigne une technique (l'usage d'ustensiles venus des laboratoires) et "molecular cuisine", qui est un style fondé sur cette technique. 
Un style "nouveau" ? Pas si nouveau que cela : la chose a commencé en 1980, et nos amis des TPE n'étaient pas nés ! Non, ce qui est nouveau, c'est la cuisine note à note ! 
Mais arrivons à la partie plus intéressante de la question "la cuisine moléculaire est-elle une simple chimie mise en application ?". Là, encore, il y a une confusion avec  le mot "chimie", dont je rappelle que, malgré des usages dévoyés, il s'agit de science : la chimie est la science de la nature qui s'interroge sur les transformations moléculaires, et je milite pour que l'on ne désigne pas par "chimie" les applications de la chimie ; après tout, l'arbre n'est pas le fruit, non ? Mais oui, la cuisine moléculaire fait usage d’ustensiles venus des laboratoires de chimie. Est-ce alors une "application de la chimie" ? Très indirecte, car la chimie, elle, s'intéresse moins aux ustensiles qu'aux réactions, et la cuisine moléculaire, elle, se focalise sur les réactions. 
Quant à la cuisine note à note, on pourra dire que c'est une application de la gastronomie moléculaire, mais hélas, nos jeunes amis de s'intéressent pas à cela. 

Il faut maintenant conclure en rappelant que, pour aider les étudiants qui font des travaux sur
- la gastronomie moléculaire (ce n'est pas de la cuisine, mais de la science, et il faut ajouter que la discipline, scientifique donc, se développe dans des laboratoires du monde entier),
- ou bien sur la cuisine moléculaire (c'est complètement dépassé, notamment avec le développement de la cuisine note à note),
- ou encore sur la cuisine note à note (la cuisine du futur),
et pour répondre aux questions (qui sont souvent les mêmes : si vous avez choisi la mayonnaise ou les perles d'alginate, changez rapidement), j'ai publié récemment un livre intitulé "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin, Paris).

D'autre part, j'ai construit UN TRES GROS SITE, que je viens d'ailleurs de refaire de fond en comble : http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/

Il s'y trouve notamment un ESPACE TPE/TIPE :

http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/second-degre/tpe-et-tipe.

Je vous invite à aller l'explorer en détail, notamment parce qu'il explique ce que sont les travaux demandés par les institutions d'enseignement (TPE, TIPE, mémoires d'université...), et comment il faut les faire. En particulier, il dit clairement qu'il vaut mieux focaliser sur un point particulier que de faire une synthèse très générale.

Pour les QUESTIONS spécifiques sur la gastronomie moléculaire, ou sur la cuisine moléculaire (je répète : si la gastronomie moléculaire est parfaitement actuelle, la cuisine moléculaire, elle,  est bien dépassée, et si c'est votre sujet, changez vite), ou sur la cuisine note à note, ou sur des préparations culinaires variées (le soufflé, la sauce mayonnaise, le chocolat chantilly, etc.), il y a  une grosse série de pages "questions/réponses" (http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses), complétées par une série de pages "questions/answers", en anglais (http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-and-answers).
Les deux groupes de pages ne disent pas la même chose, et ils renvoient vers des sous rubriques que je vous invite à explorer.

Evidemment, si certaines des questions n'avaient pas de réponse, je pourrais les ajouter... mais il y a déjà des montagnes d'informations.

J'allais oublier : je réponds le plus souvent aux questions non pas par email, par sur mo  blog http://hervethis.blogspot.fr/. Il y a de nombreuses réponses à des questions posées par des élèves tels que vous.

Pour me rencontrer, c'est plus difficile, car je n'ai pas assez de temps pour consacrer ne fut-ce qu'une heure aux élèves (à raison de 10 à 30 demandes par jour, cela fait 10 à 30 heures par jour !). C'est pourquoi je  propose aux élèves de venir à un des "Séminaires de gastronomie moléculaire", qui se tiennent le plus souvent (vérifiez les dates sur le site http://www.agroparistech.fr/Les-activites-de-Herve-This.html!) le troisième lundi de chaque mois, de 16 à 18 heures, à Paris. L'entrée est libre, mais il faut un laisser passer que l'on obtient  en écrivant à icmg@agroparistech.fr ; et ils peuvent prendre des photos, faire des films, poser des questions... (mais pas aux questions dont la réponse est sur mon site !). 

Voir le lien pour les conférences et séminaires : http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/liste-des-conferences-prevues

Je répète enfin que si la gastronomie moléculaire (de la science, donc) est très active, la cuisine moléculaire (de la cuisine) est très dépassée par la cuisine note à note (également de la cuisine, mais celle de demain). 

Pour la cuisine note à note, voir :
- le cours 2012 podcasté sur le site AgroParisTech : http://www.agroparistech.fr/podcast/-Cours-2012-La-cuisine-note-a-note-.html
- les pages note à note du Centre international de gastronomie moléculaire, sur le site AgroParisTech : http://www.agroparistech.fr/-Centre-international-de-.html
- le podcast de la séance publique de l'Académie d'agriculture de France :  http://www.academie-agriculture.fr/seances/la-cuisine-note-note-questions-nutritionnelles-toxicologiques-economiques-politiques?191212
- mon livre "La cuisine note à note", aux éditions Belin
- les pages sur mon site :  https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
- à noter que, pour ceux qui veulent faire des expérimentations avec la cuisine note à note, il y a des adresses de fournisseurs de produits sur ma page https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/cuisine-note-a-note/des-produits





Groupe de Gastronomie moléculaire (Laboratoire de chimie analytique, UMR 1145 Ingénierie Procédés Aliment GENIAL)
16 rue Claude Bernard, 75005 Paris.
tel : +33 1 44 08 72 90
Courriel : herve.this@agroparistech.fr
Twitter : @Herve_This ; Skype : hervethis
site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
blogs :
http://www.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-.html
http://hervethis.blogspot.fr/
http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/
http://www.scilogs.fr/vivelaconnaissance/
http://molecular-gastronomy-international.blogspot.fr/
http://hthisnoteanote.blogspot.fr/



Vient de paraître : Le terroir à toutes les sauces, éditions de la Nuée bleue





 

samedi 17 novembre 2018

Il y a vraiment besoin de donner des réponses... à lire lentement, mot à mot

 Allons, il faut rendre service. Je réponds donc ci dessous à : :

 J’ai récemment découvert la cuisine moléculaire et cela m’a passionné. J’ai donc acheté un kit de cuisine moléculaire pour faire des expériences.
 Cependant, j’ai rencontré quelques problèmes.  Pour la sphérification, je n’arrive pas à extraire les spaghettis du tube même en suivant à la lettre la recette ; je pense donc qu’il y a un problème avec le tube ou avec la seringue. Qu’en pensez-vous ?
Pour l’émultion, j’ai réalisé une mousse mais lorsque je me suis renseigné, j’ai découvert que la réalisation d’une mousse n’est pas vraiment une émultion mais elle reprend le même principe. Donc d’après vous, est il possible de réaliser une émulsion type eau/huile avec du jus et existe-t-il un additif pour lier les deux ?
Également, selon-vous la caramélisation est-elle une technique de la cuisine moléculaire ? Si oui avec quelle viande pourrait-elle être réalisée ?


1. Dommage que notre interlocutrice soit intéressée par la "cuisine moléculaire", alors que la cuisine note à note est plus de son temps... mais je me console en pensant qu'avec ce kit qu'elle a acheté, elle pourra aussi faire de la cuisine note à note !

2. Des problèmes ? Il peut y avoir mille causes : je me souviens même d'une personne, rencontrée lors d'une conférence, qui me disait ne jamais réussir ses mayonnaises... mais quand j'ai interrogé en détail, je me suis aperçu qu'elle n'utilisait pas d'huile !
# Ici,  sans être en position de voir  comment mon interlocutrice expérimente, je suis incapable de donner une réponse censée. Oui, il peut y avoir un problème avec le tube, ou avec la seringue... mais il peut aussi y avoir des problèmes pour mille autres raisons.

3. Une "émultion" ? Non, une émulsion.

4. Je ne comprends pas la phrase : "Pour l’émultion, j’ai réalisé une mousse". En effet, une émulsion, c'est une dispersion d'huile dans de l'eau, comme on en obtient une en partant d'eau, en ajoutant de la poudre de blanc d'oeuf (10 % par exemple), puis en ajoutant de l'huile tout en fouettant. Pour une mousse, c'est encore de l'eau et de la poudre de blanc d'oeuf, mais il n'y a pas d'huile !

5. Faire une émulsion eau dans huile ? C'est souvent bien plus difficile que de faire une émulsion huile dans eau, et je crois donc que mon interlocutrice se trompe.
Le faire avec un jus ? Puisque le jus, c'est de l'eau, il faut d'abord voir s'il y a un tensioactif dedans. Par exemple, en commençant par fouetter le jus sans rien ajouter : si ça mousse, c'est très probablement qu'il y a tout ce qu'il faut, de sorte qu'il suffira de fouetter en ajoutant de l'huile. Je recommande à mon interlocutrice mon invention nommée "ollis". C'est décrit dans :





6. La caramélisation est-elle de la cuisine moléculaire ? La cuisine moléculaire est définie comme une forme de cuisine qui utilise des ustensiles nouveaux. Donc non.
Avec quelle viande pourrait-on faire une caramélisation ? Avec aucune : la caramélisation est la réaction qui résulte du traitement thermique (chauffage) du saccharose (le sucre de table). Je ne comprends donc pas la question.


 En espérant avoir été utile.





mercredi 24 octobre 2018

Les TPE fleurissent... et confondent cuisine moléculaire et cuisine note à note

Paradoxalement, la floraison se fait au printemps... mais pour les travaux personnels encadrés, c'est en octobre que cela commence. Des lycéens se lancent sur des sujets afin de passer une épreuve anticipée du baccalauréat, en classe de Première.
Beaucoup s'intéressent à la "cuisine moléculaire", la confondant avec la gastronomie moléculaire et avec la cuisine note à note. Je leur explique la différence, et je réponds aux questions qui n'ont pas déjà leurs réponses sur mon site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/et-plus-encore/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses

Cela dit, je profite de ce blog pour répondre parfois de façon rénovée, et voici pour aujourd'hui :



- La cuisine moléculaire a-t-elle déjà envahi notre quotidien ?

Drôle de formulation : le mot "envahir" n'est-il pas connoté péjorativement ? C'est en tout cas ce que dit bien le dictionnaire (je recommande le seul bon : celui de la langue française informatisé du CNRS, en ligne gratuitement sur http://atilf.atilf.fr/) : "Pénétrer par force dans (un lieu) et (l')occuper pour s'en rendre ou en rester maître.".
La cuisine moléculaire n'a pas pour vocation de brusquer quiconque, mais, au contraire, d'aider les cuisiniers.
Rappelons sa définition :

La cuisine moléculaire, c'est la cuisine qui se fait à l'aide d'ustensiles modernes. 

Et, en effet, qui va travailler à dos d'âne, aujourd'hui ? Qui écrit encore en trempant une plume d'oie dans de l'encre ? Nous avons des outils modernes pour toutes nos activités ; alors pourquoi pas pour la cuisine ? C'est cela que j'avais voulu avec la cuisine : moderniser la composante technique, non pas pour changer la cuisine, mais pour en faciliter la réalisation.
Pas d'invasion, dans cette question : seulement une volonté de ne pas se comporter comme au Moyen-Âge, avec des pots en terre qui cassent, des aliments d'une sûreté douteuse (on ne doit pas oublier les danses de Saint Guy dues à l'intoxication par l'ergot de seigle, et autres causes qui faisaient mourir à l'âge de 30 ans), etc.

Répondons maintenant à la question plus juste : la cuisine moléculaire est-elle maintenant partout dans notre quotidien ?
Oui, la cuisson à basse température, qui se faisait initialement avec des thermocirculateurs de laboratoire, se fait maintenant dans n'importe quel four acheté en grande surface ; oui, on trouve des siphons partout et pour pas cher ; oui, des marchands de glace utilisent de l'azote liquide ; oui, on fume de façon moderne... Mais il reste du travail pour que s'introduisent nombre d'autres matériels utiles, telles des sondes à ultrasons pour faire des émulsions, des filtres pour clarifier, etc.



- Si non, pouvons nous l'envisager ?

Peut-on envisager un développement ultérieur ? Je l'espère bien. Ces temps-ci, on voit les imprimantes 3D apparaître... mais elles permettront de faire mieux que la cuisine moléculaire... à savoir la "cuisine note à note". Et cette dernière a bien commencé, avec alginates, agar-agar et autres gélifiants végétaux qui sont déjà dans les supermarchés... au point que certains cuisiniers utilisent la terminologie fautive de "gélatine végétale"  (impossible : la gélatine est animale, comme je l'explique ici : https://hervethis.blogspot.com/2018/09/gelatine-et-agents-gelifiants-pas-de.html).

Je répète la définition : la cuisine note à note est une "cuisine de synthèse", à savoir que les plats sont construits à partir de composés, et non pas de ces ingrédients traditionnels que sont les viandes, poissons, oeufs, légumes, fruits...

Mais, pour revenir à la question : je cherche à faire oublier la cuisine moléculaire pour faire advenir la "cuisine note à note"... tout en continuant à  développer la "gastronomie moléculaire" (rien à voir avec la cuisine moléculaire) dans les laboratoires du monde entier.



- Si on ne parle pas d'une invasion dans notre quotidien, certains produits issus de la cuisine moléculaire se trouvent-ils dans nos placards, et lesquels ?

Répondu plus haut.



- La cuisine moléculaire peut-elle être considérée comme une porte de secours vis à vis des pénuries alimentaires ?

Non, la cuisine moléculaire n'est pas une "porte de secours", mais un progrès technique, et non, elle ne contribue pas à la "sécurité alimentaire" (le fait de produire suffisamment d'ingrédients alimentaires, à ne pas confondre avec la "sûreté sanitaire"). C'est la cuisine note à note, dans le cadre du Projet Note à note, qui vise à contribuer à l'alimentation mondiale de demain.



 - A l'inverse, les produits nécessaires à la cuisine moléculaire peuvent-ils tomber en pénuries ?

 Oublions la cuisine moléculaire, puisque nos amis confondent et parlons de cuisine note à note : les composés peuvent-ils manquer ? La réponse est oui : le marché international des protéines se tend, ces temps-ci, et il peut parfaitement y avoir des pénuries d'ingrédients : polysaccharides, protéines, acides aminés, lipides... et même eau !



-Est-elle financièrement, à la portée de tous ?

Je décide de répondre à la question qui se poserait sur la cuisine note à note : et la réponse est évidemment oui !



 -Peut-elle contourner les allergies ? Ou en engendrer ?

Contourner une allergie ? J'aurais dit "éviter". Et la réponse est oui, pour la cuisine note à note : si l'on construit un plat à partir de composés, il est très facile de ne pas y mettre un composé allergène !  Engendrer des allergies ? 
Pourquoi pas.



- Peut-elle avoir un impact positif sur nos organismes ?

La cuisine note à note peut-elle avoir un impact positif sur nos organismes ? Je l'espère !



-Peut-elle avoir un impact négatif sur nos organismes ?

Un impact négatif ? Si l'on met trop de sel dans un plat, c'est mauvais, n'est-ce pas ? Si l'on utilise un ingrédient toxique, ce n'est pas bon non plus !



- La cuisine moléculaire reviendrait-elle plus coûteuse à long terme que la cuisine traditionnelle ?

Au contraire  !


 - Avec n'importe quelle recette, peut-on produire plus avec moins de matières premières ?

Pas certain de bien comprendre la question. Je passe.



 - Retrouve-t-on exactement les mêmes goûts, textures, odeurs qu'avec la cuisine traditionnelle ?

D'abord, la cuisine note à note permet de faire infiniment plus de goûts que la cuisine traditionnelle !



- Vous avez confectionné les repas pour Thomas PESQUET, leur confections doit répondre à plusieurs critères : compacité, légèreté, nutritif, la saveur, etc... pour chacun des astronautes en fonction de leurs poids, leurs sexes et leurs besoins particuliers. Cela ressort-il de la cuisine moléculaire ? Et si oui comment ?

Je n'ai pas confectionné les repas de Thomas Pesquet. Où avez-vous lu cela ?

lundi 14 mai 2018

Des faits


Les faits
Hervé This



Introduction.
Il se dit beaucoup de choses à propos de la gastronomie moléculaire et de la cuisine moléculaire, il se publie beaucoup de choses à propos des rapports entre la science et la cuisine, et je vois une immense confusion.
Je vois surtout beaucoup d'idées erronées à partir desquels s'élaborent des discours parfaitement fumeux. Les âmes simples et honnêtes ne s'y retrouvent plus, d'autant que les « marchands » ont généralement tout intérêt à entretenir la confusion.

Par exemple, sur Internet, je vois la gastronomie moléculaire, et même mes biographies ou ma photographie, insérée au milieu de réclames pour des produits variés. Je ne dis pas que ces produits sont mauvais, mais je dis simplement que ni la gastronomie moléculaire ni moi-même n'avons notre place à ces endroits.
Je manque de temps pour combattre l'infinité des théories fausses, notamment entre cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire. Je manque de temps pour combattre efficacement les petites et grandes malhonnêtetés de ce monde : par exemple, j'ai vu des personnes organiser des conférences et annoncer que je viendrai... alors que je n'avais pas été invité ! Par exemple, je me suis vu à la télévision répondre à un journaliste (très connu) que je n'avais jamais rencontré ! Par exemple, je me suis vu affilié à un parti politique auquel je n'appartiens pas !

Je manque de temps pour envoyer des messages à toutes les personnes qui entretiennent malhonnêtement la confusion, et je crois que les rectifications seraient inutiles : l'hydre de Lerne repoussait ses têtes à mesure qu'on les coupait.

Ce qui me gêne plus, c'est que je ne peux pas non plus rectifier les confusions auprès des personnes honnêtes, ayant honnêtement cherché l'information et ayant trouvé des descriptions que je sais douteuses.

Il faut donc que je m'y mette, et que je produise ici des descriptions aussi propres que possible.


Une histoire :
Pour moi, tout a commencé le 16 mars 1980, un dimanche soir, alors que je me préparais à recevoir des amis à dîner. À l'époque, j'étais encore étudiant à l'Ecole de physique et chimie industrielle de Paris, (aujourd'hui l'ESPCI ParisTech), et nous avions pris l'habitude, avec la « bande des quatre du radiateur », de réviser nos examens chez moi tandis que je cuisinais.
Ce dimanche soir là, était-ce un de ces dîners ou bien un des innombrables autres dîners organisés avec des amis ? Je m'en souviens pas. Ce dont je me souviens, c'est que je disposais de bien peu de livres de cuisine. J'avais notamment le livre de la cocotte-minute Seb et quelques livres de poche peu coûteux comme les fiches recettes du magazine Elle. Et ce soir-là, c'est l'affiche de soufflé au roquefort que j'ai utilisée.

Cette fiche conseillait de cuire du beurre, du roquefort, de la farine, de faire ainsi un roux, et d'ajouter « les jaunes deux par deux ».
Pour un esprit rationnel et systématique, cette recommandation semblait bizarre : pourquoi l'ajout des jaunes deux par deux aurait-il été préférable à l'ajout de tous les jaunes ensemble ? Ne voyant aucune raison à ce conseil, j'ai décidé d'ajouter les jaunes tous ensembles … Et le soufflé fut raté. Pas raté complètement, évidemment, mais pas énormément gonflé. Je n'y prêtais pas une grande attention, mais il est évident que j'ai dû être vexé.
Le dimanche suivant, le 23 mars 1980, donc, de nouveaux amis sont venus dîner, et, en panne d'inspiration culinaire, je décidai de refaire ce même soufflé. A l'époque, j'avais encore besoin dont une recette, ce qui ne ni de retomber sur cette phrase bizarre : « ajouter les jaunes de deux parts de ». Comme j'avais été échaudés par le demi-succès précédent, j'y prête à une attention toute particulière, et je me vois encore me dire que si le soufflé était d'ailleurs avec des jaunes de deux par deux, alors ils devaient encore plus réussi avec des jaunes ajoutées un par un. C'est ce que je décidai de faire : à la béchamel au fromage initialement réalisé, j'ajoutais les jaunes d'oeufs un par un. Le soufflé fut meilleur ! Comme j'avais été alerté par ce point de détail, je décidai à la fois de rester chez moi le lendemain et de commencer une collection de ce que j'appelai à l'époque des dictons culinaires (je sais maintenant que le terme est inapproprié, et j'ai proposé le terme de « précision culinaire »).

Pour ce travail de recueil des précisions culinaires, assorti de tests expérimentaux, j'étais bien équipé, puisque, depuis l'âge de six ans, quand on m'a offert une boîte de chimie, je m'étais passionné pour la chimie au point de dépenser mon argent de poche en produits et en matériel, constituant ainsi un assez beau laboratoire personnel.
Ce laboratoire ne servait plus depuis 1976, quand j'étais entré à l'Ecole supérieure de physique et chimie de la Ville de Paris, où les laboratoires étaient bien mieux équipés que le mien. Toutefois, pour ces tests expérimentaux, il retrouvait l'utilité dont je me souviens m'être réjoui.

Et c'est ainsi que, dans des cahiers que je possède encore, j'ai noté des dictons culinaires les uns après les autres, à mesure que je lisais les livres de cuisine, non plus cette fois pour y trouver des recettes, mais pour un objectif très particulier : recueillir ces étranges informations qui sont transmises par les cuisiniers ou par les livres, à propos des opérations culinaires. Pour mes tests, la verrerie était utile, mais les principaux instruments utilisés étaient le microscope, la balance, le papier pH et les thermocouples.

Vers cette même époque, j'étais embauché d'abord aux éditions Belin et ensuite à la revue Pour la science, dont je profitais pour me former une culture en sciences des aliments, au détour de la rédaction d'articles relatifs à ce type de sujet. Cette position particulière dans le monde scientifique, au contact des meilleurs scientifiques français, avec la possibilité de m'intéresser au sujet de mon choix et la quasi obligation de consulter des scientifiques parmi les meilleurs, à des fins professionnelles, me permit de mener une double vie qui fut bien fut bientôt connu publiquement. Je n'ai plus d'informations exactes, mais je crois c'est à cette époque que je fus invité à faire un séminaire des physiciens à l'École normale supérieure de Paris, c'est en tout cas certainement à cette époque que je commençais à réunir l'ensemble du matériel intellectuel nécessaire à la production d'un livre qui fut publié en 1992 sous le titre Les secrets de la casserole.

1986 : rencontre de Nicholas Kurti. La chef de publicité, Susan Mackie, venait d'Europhysics Letters, où Nicholas était rédacteur en chef. A l'époque, si je compte bien, il était déjà âgé de 78 ans. Il n'était plus au Clarendon Laboratory, qu'il avait dirigé pendant longtemps, à Oxford, mais « déplacé » à plus de 400 mètres de son lieu initial (une règle, à Oxford), dans le Department of Engineering Science. Là, il s'intéressait surtout à l'application des outils et concepts de la cuisine en physique. Observons qu'il s'agit là de technologie, même si Nicholas effectuait quelques études scientifiques des phénomènes culinaires. Quand Susan apprit que je m'intéressais à la cuisine en chimiste, elle me signala l'existence de Nicholas, et dès qu'elle m'eut donné son numéro de téléphone, je l'appelai (dans la minute même ; à l'époque, j'étais en entrant à gauche du grand bureau de Pour la Science, rédacteur en chef adjoint).
Au téléphone, Nicholas fut enthousiaste, et nous devinmes amis en quelques secondes. Un vrai coup de foudre. Il me proposa de venir à Paris la semaine d'après, et nous nous donnâmes rendez vous chez Maitre Paul, un restaurant de la rue Racine, qu'il me fit connaître.
Nous nous rencontrâmes ainsi, devant une merveilleuse poule au vin jaune et aux morilles, Chez Maître Paul, arrosant notre déjeuner de vin jaune du Jura. Je ne sais pas comment cela se fit, mais tout naturellement, nous en vinmes à collaborer, et nous nous téléphonions quotidiennement, l'un poussant l'autre chaque jour. Je me souviens que Philippe Boulanger trouvait parfois que j'exagérais, et que les coups de téléphone étaient excessifs, mais comment les éviter ? Et puis il eut la grande « qualité » de ne jamais me faire de reproche explicite. D'ailleurs, je travaillais quand même dur, pour « ma » revue (disons « notre » revue).
Quoi qu'il en soit, nous en vinmes avec Nicholas à une sorte de modus vivendi, où il répétait à Oxford mes expériences de Paris, et inversement. Evidemment, quand on me proposais de faire quelque chose, j'associais Nicholas, et inversement. Par exemple, invité à parrainer une promotion de l'ENSBANA, à Dijon, je proposais à Nicholas d'être parrain avec moi, et quand la maison d'édition BBC Books proposa à Nicholas de faire des « scientists notes » du livre Blanc Mange, il me proposa de le faire avec lui. Nous étions deux doigts d'une main.
Il faudrait, ici, que je fasse un état de tous nos travaux communs. A venir.

1988 : Rapidement, nos discussions nous conduisirent à évoquer l'activité qui était la nôtre. Un jour, quand je lui proposais de faire une Société internationale de … quelque chose à définir (j'occupais alors mon bureau du premier étage), il me répondit qu'il était trop tôt. Mais nous fûmes d'accord pour dire qu'il fallait que les quelques personnes qui, comme nous, s'intéressaient au thème « science et cuisine », pourraient utilement se rencontrer. Nicholas avait -semble-t-il, mais je n'en ai pas de preuve personnelle- déjà discuté de ce type de choses avec diverses personnes, comme Elizabeth Thomas, aux USA, mais c'est dans mon bureau que prit naissance l'idée d'un International Workshop. Il fallait un nom. Je proposais « molecular gastronomy », pour faire comme pour « molecular biology », mais Nicholas, physicien, avait le sentiment que le nom serait trop « chimique », et il insista pour que nous ajoutions « et physical ». Je respectais sa demande, et ce fut les « International Workshop on Molecular Gastronomy ».
Où les tenir ? Nicholas connaissait Antonino Zichichi, qui dirigeait le Centre de culture scientifique d'Erice, en Sicile. Nous l'appelâmes, et Zichichi nous demanda de montrer l'intérêt de la chose. Je proposais à Nicholas d'inviter des lauréats du prix Nobel, tels que Jean-Marie Lehn et Pierre Gilles de Gennes. Pierre-Gilles nous donna son accord, de sorte que Zichichi nous donna le sien. C'était lancé.
De ce point là, il fallut tout composer. Nous savions qu'il s'agissait de sciences, que nous définissions une nouvelle discipline scientifique, et nous prévoyons de réunir des cuisiniers (qui apportent des faits) et des scientifiques. Nous pensons attirer les cuisiniers en leur donnant de nouveaux ustensiles, ingrédients, méthodes. De la technologie afin : (1) d'être utiles ; (2) de faire une réunion bien vivante ; (3) de disposer de savoirs culinaires que nous pourrions explorer.
Nous voulûmes avoir des gens du monde entier, et il nous parut opportun de demander à Harold McGee d'être un « directeur  invité » pour le premier congrès. Harold accepta.
Le plus souvent, tout cela se fit par téléphone, par lettre ou par fax. J'ai encore bien des courriers, souvent sur des papiers thermosensibles qui ont mal vieilli.
Nous cherchâmes également des sponsors. Par exemple, Nicholas nous fit envoyer des biscuits, tandis que LVMH nous procurait du champagne (il y en avait à toutes les pauses!).

1992 : premier colloque, un succès, la presse s'en fit un large écho

1992 : Les secrets de la casseroles est publié au retour du congrès. Immédiatement le livre fut un succès de librairie, tout l'été présent dans les meilleures ventes.

1993 : pour mes dix ans de mariage, je décidais de tester une précision culinaire relative à la cuisson des cochons de lait, devant une centaine de personnes. Jeffrey Steingarten, de Vogue New York, était présent pour le reportage.

1994 : Scientific American me demande (j'associe Nicholas, évidemment) un article, et nous publions « Chemistry and Physics in the Kitchen ». Dans la conclusion, je pose les bases de la « cuisine note à note ».

1995 : Révélations gastronomiques, autre colloque à Erice ; laboratoire au Collège de France à l'invitation de Jean-Marie Lehn
J'invente le chocolat chantilly.

1996 : Thèse « La gastronomie moléculaire et physique » (voir fichier spécifique, car croustillant!)

1997 : publication du Traité élémentaire de cuisine

1998 : Libération fait un numéro de Noël où nous faisons le reportage chez Pierre Gagnaire. Passant devant Ledoyen, je pense à la bière, et j'en viens à proposer à Pierre, la première fois que je le rencontre, de faire une émulsion de bière, qui marche parfaitement.

1999 : voyant que mes conférences, où je parle de cuisine note à note, sont moins sollicitées (la chimie faisait peur, à l'aube de l'an 2000), je fais machine arrière, et j'introduis le constructivisme culinaire.
Chantal, deuxième épouse de Pierre Gagnaire, le pousse à me demander une collaboration... la même semaine où Guy Ourisson me demande une conférence pour le Cercle de l'Académie des sciences. Nous décidons de faire un repas pendant la conférence. C'est le début d'une collaboration amicale merveilleuse.

2000 : Le diner fait, nous décidons de faire un site, pour continuer à « jouer » ensemble.
Habilitation à diriger des recherches, à l'Université Paris Sud, Orsay, à la demande de Guy Ourisson, alors président de l'Académie des sciences. Au jury, Pierre Gagnaire, Etienne Guyon (alors directeur de l'Ecole normale supérieure), Xavier Chapuisat, président de l'université, mon ami Georges Bram et Alain Fuchs, aujourd'hui président du CNRS.
J'entre à l'INRA à plein temps, en quittant la revue Pour la Science.
Heston Blumenthal passe un jour au laboratoire, au Collège de France, et je lui montre plein de choses

2000 : projet européen Innicon, construit autour de mon groupe du Collège de France. Heston et sa famille viennent dans le Tarn, où nous faisons une expérience sur la couleur verte des haricots verts.

2001 : lors d'une réunion d'Innicon, à Paris, je dis à Heston qu'il ne fait pas de gastronomie moléculaire, mais de la cuisine moléculaire. Publication d'un texte pour expliquer la différence dans Les sciences des aliments.

2004 :
Création de la Fondation science et culture alimentaire
Création de l'Institut des Hautes Etudes du goût, de la gastronomie et des arts de la table
Création des Cours de gastronomie moléculaire d'AgroParisTech : publics, gratuits, non diplômants, à l'image de ceux du Collège de France.

2006 : Qualification de professeur des universités, déménagement du laboratoire à l'INA P-G (devenu AgroParisTech)

2011 : Chaire Francqui, au titre national belge, élu professeur consultant à AgroParisTech, élu membre de l'Académie d'agriculture de France et président de la Section VIII (alimentation humaine).


dimanche 11 février 2018

Chacun y va de sa définition, et c'est parfois risible

Il y a quelques années, une revue culinaire française avait posé la question : "Pour vous, la gastronomie moléculaire, c'est quoi ?".
Comme si c'était à des chefs, parfois bien ignorants de la chose, de donner leur sentiment à propos d'une activté qui avait été définie comme "la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires".
En passant, la revue était également coupable de confondre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire... mais elle n'en était pas à cela près, puisqu'elle confondait émulsion et mousse, mousse et mousseline, rémoulade et mayonnaise, potage et soupe... Bref, cette revue qui aurait pu être un modèle, qui d'ailleurs se targait de l'être, était un torchon mal fait, imprimé sur un beau papier.

Aujourd'hui, c'est plus bénin : sous la plume d'une journaliste francophone qui interroge un chef anglophone, je lis :

«La cuisine du Fat Duck ressemble d’ailleurs à un laboratoire. Avec lui, j’ai découvert la science de l’alimentation. C’est ajouter des produits chimiques inoffensifs et fades dans l’alimentation pour lui donner une texture et une forme différente, comme encapsuler des shots de vodka ou des sauces. Lorsque vous mettez la capsule dans votre bouche, la fine pellicule se dissout et vous goûtez au liquide.

Le cuisinier parle donc de la cuisine d'Heston Blumenthal, en Angleterre, et il est vrai que ce chef fut l'un des premiers à faire de la cuisine moléculaire (pas de la gastronomie moléculaire, comme l'écrit la journaliste, et bien après des cuisiniers comme Raymond Blanc, Christian Conticini ou Ferran Adria), et il est vrai que, pour cela, Heston Blumenthal s'est équipé de matériels modernes. Il est vrai qu'une pièce de transformation des aliments peut se nommer "laboratoire" : on parle effectivement du laboratoire des charcutiers.
Mais, dans ces laboratoires-là, on ne fait pas de science de l'alimentation, mais seulement de la cuisine !
La cuisine moléculaire consiterait à ajouter d es produits chimiques dans l'alimentation ? Non, en revanche, cela n'est pas le cas : la cuisine moléculaire consistait à utiliser des ustensiles modernes.
Certes, j'avais également proposé l'emploi de gélifiants alors inédits, quand on en était encore au pied de veau ! Mais cela est secondaire.
Des "produits chimiques" inoffensifs ? Disons des composés inoffensifs. L'alginate, l'agar-agar ou les carraghénanes n'ont effectivement pas plus de toxicité que l'amidon de nos fécules ou de nos farines. Des composés fades ? Oui, comme l'amidon : les polymères n'ont pas de goût...
Pour donner une texture ? Oui, c'était l'objectif.
Encapsuler ? Oui, mais pas seulement.


Mais tout cela est bien dépassé : passons vite à  la cuisine note à note !

mercredi 7 février 2018

Mousses au chocolat

Une question d'un correspondant, ce matin :

Quelle différence que peuvent avoir le beurre de cacao et la matière grasse butyrique de la crème sur la stabilisation d une mousse au chocolat?


Hélas mon correspondant fait des mousses au chocolat, et non pas des chocolats chantilly (https://www.agroparistech.fr/Le-chocolat-chantilly.html)... mais la réponse vaut pour les deux.

Partons d'une  mousse au chocolat. C'est une matrice de chocolat fondu, additionné de beurre et de jaune d'oeuf, où l'on a ajouté cette mousse  qu'est un blanc d'oeuf battu en neige.
Lors du refroidissement, le chocolat et le beurre recristallisent, ce qui fige l'ensemble... si la température est assez faible.
Dans mon livre "Mon histoire de cuisine" (Belin, Paris, 2014), je donne les domaines de stabilités de la matière grasse du chocolat (il fond entre 34 et 37 degrés) et de  la matière grasse du beurre (la fusion commence à -10 degrés et finit vers 55 degrés.
Autrement dit, le chocolat stabilise mieux la mousse... mais attention aux temps chauds  !






Ce matin, une question :


"Je vous écris au sujet d’une question concernant une émulsion H/E  (huile dans l’eau) dont la phase continue est partiellement sucrée.

Dans le cas d’une préparation contenant 70% d’huile, 30% d’eau, 10% de saccharose, et d’un tensioactif  est-ce que le l’huile va s’émulsionner avec les 30% d’eau ou  avec 20% à 25% d’eau  puisque le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l’eau (retenir je ne sais pas si c’est le meilleur terme pour traduire le côté hygroscopique du saccharose)".

Ma réponse n'est au fond qu'une sorte de légende du schéma suivant :



Ce que j'ai d'abord représenté, c'est une émulsion de type huile (en jaune) dans eau (en bleu). En  pratique, faisons un "geoffroy", en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, par exemple : les protéines et les autres molécules sont  trop petites pour être représentées à cette échelle, où la taille des gouttes d'huile est entre 0,001 et 0,1 millimètres. 
Le schéma inférieur représente un fort grossissement du petit cercle : 
- le fond est noir, parce que, entre les molécules, il n'y a rien, du vide
- à gauche, les peignes à trois dents sont les molécules de triglycérides ; pour mieux faire, j'aurais dû les orienter dans toutes les directions, mais c'est un détail
- à droite, on voit les molécules de saccharose (en bleu) dispersées au milieu des molécules d'eau (une boule rouge avec deux boules blanches)
- je n'ai pas réprésenté les molécules de tensioactifs, mais elles seraient sur le trait jaune, sous la forme de "cheveux" (pour les protéines).

Reste à commenter  le : "le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l'eau".  Cette phrase est à la fois discutable et peu claire.
Le "est reconnu" invite à demander  : par qui ? Et à rappeler que, en sciences, l'argument d'autorité ne joue pas. Les faits expérimentaux ont toujours raison.
D'autre part, le saccharose "retient" l'eau : que cela signifie-t-il ?
Ce qui est un fait, c'est que les molécules de saccharose sont "hérissées" (ce n'est pas représenté sur mon schéma) de groupes "hydroxyle", avec les atomes carbone du squelette liés à un atome d'oxygène lui-même lié à un atome d'hydrogène. Cela  donne au  saccharose une structure chimique très semblable à celle des molécules d'eau, au moins pour ce qui concerne les interactions avec les molécules voisines.
De ce fait, quand le sucre est dans l'air humide, il s'entoure de molécules d'eau de l'atmosphère, parce que les forces sont donc notables entre les molécules de saccharose et les molécules d'eau.
Dans de l'eau  liquide, les forces (nommées "liaisons hydrogène") permettent la solubilisation du sucre dans l'eau, à des concentrations considérables.
Finalement, on pourrait tout aussi bien dire que l'eau "retient" le sucre, ou que le sucre "retient" l'eau, mais je crois que le  mot "retient" est mal choisi. Il suffit de dire qu'il y a des liaisons entre les molécules de sucre et les molécules d'eau.

Et, finalement, je reviens à l'expérience : si vous faites un geoffroy, en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, vous pouvez ajouter autant de sucre que vous voulez jusqu'à atteindre la limite de solubilité dans la petite quantité d'eau (30 grammes pour un blanc environ) du blanc. Si l'on compte un litre de sucre par kilogramme d'eau, on voit qu'on peut facilement mettre 30 grammes de sucre pour un blanc émulsionné (soit un volume d'huile maximal de 600 grammes d'huile environ). Si l'on ajoute plus  de sucre, ce dernier restera sous la forme de cristaux non dissous. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 6 février 2018

Mes inventions mensuelles

Je m'y perdais avec mes inventions données chaque mois (depuis 17 ans) à mon ami Pierre Gagnaire.

J'ai donc récapitulé ici celles qui ont des noms de chimistes (plus quelques unes qui sont souvent confondues) :



avogadro : royale dont on change le liquide
baumés : œuf stocké dans un alcool
berzélius : crème anglaise où l'on remplace le jaune d'oeuf par des protéines
chantillys : généralisation de la crème fouettée
braconnot : confiture à froid ou tomate mixée
cailletets : glace à l'azote liquide
caventous : vert de légume vertueux
chaptals : mousse de blanc d'oeuf foisonnée à l'extrême
chevreul : avec contraste simultané des goûts
cristaux de vent : chaptal cuit en meringue
debye : suspensions de microgels (dans O ou W)
degennes : perles d'alginate à coeur liquide
descartes : garniture de grosse pièce composée de cailles aux truffes à la sauce allemande, et servie dans des croustades
dirac : steak de protéines
faraday : ((G+S1+H) / E) / S2
ficks : petites boules de liquide dans une pâte à nouilles
fischers : gel d'un liquide additionné de caséines
florys : spaghetti gélifiés en tuyau
gauss : généralisation des millefeuilles
gay lussac : velouté foisonné
geoffroy : émulsion de blanc d'oeuf
gerhardts : systèmes feuilletés généralisant les pâtes feuilletées
gibbs : émulsion gélifiée chimiquement
grahams : des gibbs séchés
kesselmeyer : farine, eau, matière grasse, travailler, levure, travailler, fermentation, cuisson à la vapeur comme un Dampfnudeln
laplace : comme une omelette souflée, mais eau et protéines
lavoisier : royales extrèmes
lechatelier : végétal artificiel fait d'un matériau gélifié divisé, puis solidarisé avec un gélifiant
liebig : émulsion gélifiée physiquement
maillards : demi glaces de légumes
mendeleiv : infusions généralisées (huile, alcool…)
nollet : salade artificielle
onnes : flocons givrés
paré : émulsion dans une chair broyée
parmentier : avec farine sans gluten plus gluten de blé
pasteur : avec acide tartrique
peligot : caramels de glucose, fructose, etc
poiseuilles : les fibrés
pravaz : avec intrasauce
priestley : crème anglaise de viande ou poisson
quesnay : gougères ou choux dont l'oeuf a été remplacé par des protéines
thenard : coction à l'alcool
vauquelin : appareil de cristal de vent (chaptal) cruit aux micro-ondes
wöhler : sauce aux polyphénols
würtz : eau gélatine foisonnée

samedi 3 février 2018

Allons-y pour quelques questions

Les élèves des classes de Première doivent faire des "travaux personnels encadrés", et très nombreux sont ceux qui s'intéressent à la gastronomie moléculaire, ou à la cuisine moléculaire, ou encore à la cuisine note à note (pas assez).

 J'ai déjà discuté la différence entre les trois champs, en observant une fois de plus que la gastronomie n'est pas une cuisine d'ordre supérieur, et je déplore que certains élèves s'intéressent encore à la cuisne moléculaire, alors qu'elle est bien dépassée par la cuisine note à note.

Le plus souvent, j'oriente les élèves vers les parties "questions et réponses"  et "questions and answers" de mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, puisqu'il y a des milliers de réponses à des questions, mais, parfois, survient une question qui n'a pas sa réponse dans le site, et que je discute ici. Par exemple :

Quelle est l'importance de nos sens dans notre alimentation ?

La question permet de rappeler cette idée de Theodosius Dhobzansky : tout ce qui se rapporte à du vivant doit s'interpréter en termes de biologie de l'évolution.
Et c'est la raison pour laquelle les travaux de Claude Marcel Hladik et de ses  collègues du Muséum national d'histoire naturelle sont si passionnants : nos amis et collègues étudient comment mangent les singes... et découvrent notamment que les primates ont coévolué avec les plantes, ces dernières offrant des fruits sucrés (les sucres sont de l'énergie) en échange de la dispersion des graines, noyaux, etc. Mais pour reconnaitre l'énergie, ne faut-il pas des yeux qui voient les couleurs, un nez qui voit, une bouche qui perçoit la saveur, par exemple ?
Sans compter -ce sont des travaux d'autres collègues, nutritionnistes ou physiologistes, cette fois- que la perception des goûts permet d'anticiper la digestion de composés particulièrement importants pour notre organisme (le calcium, les graisses, les acides aminés...), en même temps qu'il signale au cerveau quand il faudra s'arrêter de manger.  Mais comment répondre mieux à nos jeunes amis ? En les renvoyant à mon livre "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin), sans quoi je serais ici en train de le réécrire.




Qu'est ce que la cuisine moléculaire va changer dans notre perception des aliments ?

Drôle de question, car la cuisine moléculaire est une technique culinaire rénovée. En gros, au lieu de battre au fouet, on utilise un siphon ; au lieu d'utiliser une sorbetière, on utilise de l'azote liquide ; au lieu de perdre son temps à dégraisser les bouillons à la cuiller, on utilise une ampoule à décanter ; au lieu d'avoir des braisages secs et durs, on valorise des viandes par de la cuisson à basse température...
Les recettes sont les mêmes que par le passé, avec la cuisine moléculaire... et rien de nos aliments ne change profondément... contrairement à la cuisine note à note... mais je ne discute pas ici cette dernière, puisque nos amis ne posent pas la question.

La société actuelle est-elle prête à ce type de changement ?

Non seulement elle est prête... mais les siphons sont en vente dans les supermarchés, les fours ont maintenant des fonctions basse température... et les cuisiniers confondent tant la gélatine avec les gélifiants que j'avais introduits (agar-agar, alginate, etc.) qu'ils en viennent à parler de "gélatine végétale"... ce qui n'est pas possible, puisque la gélatine est extraite des animaux. Ils veulent dire "gélifiant".

Bref, la révolution de la cuisine moléculaire est faite, et il faut absolument passer à la suite : la cuisine note à note.



lundi 29 janvier 2018

Réponse à des questions, à propos de cuisine moléculaire (le passé) et de cuisine note à note (le présent, le futur)


Un journaliste m'interroge : 

La nouvelle technologie et les méthodes utilisées dans la cuisine moleculaire (azote liquide, cuisine sous-vide, gélifiants, émulsifiants) ont pour objectif final d'équiper l'espace domestique en y apportant de la précision en matière de temperature, en y évitant le gaspillage dû à des méthodes moyennageuses, en rendant la cuisine plus facile, avec des préparations comme les nouilles instantannées type ramen par exemple, tout en ayant comme aspect économique la réduction des prix. Comment penser ces instruments en terme d'acte et de puissance ? (ex. : le décalage entre la conception du micro-ondes, l'idéalisation de son utilisation dans la vie domestique et son utilisation réelle très limitée


Et voici la réponse.

Commençons par dire que la cuisine moléculaire avait pour but de rénover les techniques culinaires. 


À quel point nous y sommes-nous parvenus ? Je fais déjà observer que les siphons sont en vente dans les supermarchés les plus populaires. D'autre part les gélifiants que sont l'agar-agar, les carraghénanes, etc. sont maintenant partout, ce qui était un de mes objectifs (plus de notes sur le piano que les seules pectines et gélatines).
Pour l'azote liquide, c'était une façon spectaculaire de montrer la possibilité de faire autre chose et parfois mieux que les techniques classiques.

De toute façon dans l'immensité des propositions, on ne pouvait pas imaginer que toutes seraient retenues. Mais aujourd'hui les fours domestiques sont équipés de fonction basse température et on n'a plus besoin de thermocirculateur.
D'autre part, même les cuisiniers qui disent qu'ils ne font pas de la cuisine moléculaire ont maintenant changé et des préparations qui n'étaient pas présentes dans La cuisine du marché de Paul Bocuse en 1976 sont partout dans le monde.
Ce mouvement de rénovation continue, c'est-à-dire qu'il doit se poursuivre sans relâche, et qu'il se poursuivra toujours.

De toute façon, je cherche à montrer maintenant une voie complètement nouvelle, à savoir la cuisine note à note. La cuisine moléculaire a été créée il y a 35 ans et c'est donc quelque chose très ancien, de sorte que je ne pense pas que les cuisiniers modernes doivent s'y intéresser beaucoup. En revanche, je suis absolument certain que la cuisine note est une tendance qui va être durable pour des tas de raisons que j'explique dans mon livre sur la cuisine note à note.
Notamment la cuisine note à note permet de lutter contre gaspillage... sachant quand même que la vraie question, c'est la démographie et que nous ne devons pas oublier de le dire et de le redire. Si nous manquons d'aliments, de la pollution, etc. c'est parce qu'il y a trop d'humains sur la terre.


Pour ce qui concerne les plats tout préparés, la question est compliquée, et je propose de considérer le sucre en poudre : personne, aujourd'hui, n'utilise de betterave ou de canne à sucre pour sucrer, et tous les cuisiniers du monde ont du sucre en poudre, qui le fruit d'un travail de l'industrie.
Pour les nouilles instantanées, par exemple c'est exactement la même chose et c'est pour cette raison que se pose avec beaucoup d'acuité aujourd'hui la question du fait maison. Si l'on supporte les nouilles instantanées, faut-il supporter dans les restaurants les pâtes feuilletées toutes faites, et pourquoi pas les coq au vin ?
Dans ce débat, la question économique n'est pas tout, et la question artistique est essentielle. Je rappelle qu'un morceau de papier et un morceau de charbon permettent à Picasso de faire des œuvres qui se vendent des millions de dollars. Il ne s'agit pas de technique, mais d'art.

Un ajout à propos de cuisine moléculaire : oui, il s'agissait bien de rénover des techniques complètement périmées. Il n'est pas vrai que le four à micro-ondes ait une utilisation réelle très limitée comme vous le dites, car les étudiants, qui vivent dans de petites chambres, n'ont, pour cuisiner, qu'un four à micro-ondes, et cet objet est tellement popularisé qu'il est en vente dans toutes les grandes surfaces. De même les appareils électroménagers, même s'il sont à mon goût très rudimentaires et insuffisants, se sont introduits partout, et ils facilitent le travail des cuisiniers, ce qui est essentiel.
Je propose, dans nos discussions, de ne pas faire d'amalgame, et de distinguer le travail des cuisiniers domestiques et des cuisiniers professionnels, mais aussi des cuisiniers de restauration collective qui sont beaucoup plus nombreux que les cuisiniers professionnels de restauration commerciale. Pour chaque profession, il y a des impératifs particuliers, et donc des techniques particulières. Par exemple on ne produit pas de la même façon pour 500 personnes et pour 50.


Une autre question :

On peut accorder que la cuisine moléculaire et la cuisine "note à note" ont un lien fantastique avec la science fiction. En relation à ça, pourriez-vous penser les différentes associations qui se font entre la science fiction et la réalité actuelle ou future de ces cuisines ?

Non je ne suis pas d'accord : la cuisine moléculaire et la cuisine note à note n'ont rien à voir avec la science-fiction. Ce sont des cuisines tout à fait pratiques tout à fait modernes, tout à fait actuelles. Ici, je propose de ne pas trop rêver. N'oubliez pas que je suis un physico-chimie, c'est-à-dire une brute, pratique, et je me préoccupe du quotidien de chaque citoyen. C'est pour cela que je suis payé par le gouvernement français. Je m'intéresse à la cuisine trois étoiles parce que c'est le moyen d'introduire des techniques et des produits qui sont refusés par le public, mais qui, s'ils sont plébiscités par les cuisiniers étoilés, redescendront vers le public. C'est une stratégie qui a été mise en œuvre par Parmentier pour introduire la pomme de terre en France. Je l'ai mise en œuvre pour la cuisine moléculaire, et je recommence avec la cuisine note à note.
Avec la cuisine note à note, d'ailleurs, je distingue bien la cuisine note à note pure, réservé à une élite, et la cuisine note à note pratique, qui sera une évolution lente et régulière de la cuisine générale. Il ne s'agit pas de science-fiction, mais simplement d'art moderne, lequel deviendra en art ancien. Pensez par exemple au jazz classique : à la fin de la guerre mondiale, cette musique était si moderne que les vieux disaient que c'était de la musique de sauvage, que ce n'était pas de la musique. Aujourd'hui elle est complètement classique. Il en sera de même pour la cuisine note à note, et je le répète, il ne s'agit certainement pas de science-fiction.
D'ailleurs j'ai réfléchi à ce qui suivrait la cuisine note à note, et je vois que des casques permettent d'introduire des souvenirs dans le cerveau des souris, de sorte que j'imagine très bien que l'on puisse transmettre des goûts, et que l'on puisse distinguer un jour les nutriments et les sensations sensorielles.


Et encore :

Si on dit que la cuisine "note à note"consiste en la préparation d´aliments à partir de composants (acides, sucres, éthanol, eau). Pourrait-on appliquer ce concept au vin? Comment serait son application à la vie domestique? D'un autre côté, que pensez-vous du dioxide de soufre et son utilisation dans la procédure de vinification ?

Attention à votre définition de la cuisine note à note : il ne s'agit pas de préparer des aliments à partir de composants mais de composés, en anglais « compounds ».
On peut parfaitement faire des boissons note à note.. et elles existent déjà : ce sont tous les Schweppes, Coca-Cola, les alcools de Bols, etc. J'en ai fait : ça prend quelques de secondes et c'est très amusant.
Pour le vin, en revanche, il y a une impossibilité légale, à savoir que le vin est par définition le résultat de la fermentation du jus de raisin dans des conditions parfaitement définies par la loi. Il est très facile de faire boissons qui ressemblent à du vin, il est très facile de faire des compositions odorantes qui s'apparentent parfaitement au bouquet d'un Haut Brion 85, mais ce n'est pas du vin.
Dans la vie courante ? Quand j'avais six ans, j'emportais à l'école de l'acide citrique et du bicarbonate de sodium pour me faire des limonades artificielles. C'est donc extrêmement facile, ce n'est pas nouveau, mais si nous avons à notre disposition des composés plus intéressants que les deux que je viens de citer, alors nous pouvons faire des choses absolument merveilleuses. Il y a quelques décennies, il y avait ainsi une poudre nommée Tang qui permettait de faire des jus d'orange instantanés. C'était amusant, un peu trop acide, cela a eu beaucoup de succès pendant un temps.

Pour le dioxyde de soufre, il faut savoir qu'il y a naturellement des sulfites dans les végétaux, donc dans les raisins. Ce que je vois, c'est que les vins sans soufre sont souvent acétifiés (je n'aime pas!), et que les méthodes trop « naturelles » conduisent souvent à augmenter les doses de sulfate de cuivre dans les vignes. Je m'étonne que le bio ait eu le droit d' utiliser pendant si longtemps le permanganate de potassium ! Car n'importe quel chimiste sait que ce composé est extrêmement violent. Il a été interdit il y a peu, ce qui est très bien, mais je vois quand même des comportements bizarres chez nos concitoyens. Par exemple, laisser la peau de pommes de terre sur des pommes de terre bio ! On voudrait éviter des pesticides, mais on laisse alors des alcaloïdes toxiques des tubercules ? Faisons des procès aux empoisonneurs !
En matière de santé et d'alimentation, je ne cesse de répéter que nos comportements sont complètement incohérents. De sorte que je refuse d'occuper de détail, quand le public fume, bois de l'alcool, mange des viandes cuites au barbecue, n'enlève pas la peau de pommes de terre, etc.


Que pense la gastronomie moléculaire du travail génétique des aliments?

Pour le travail génétique, la gastronomie moléculaire n'a rien à en penser... puisque la gastronomie moléculaire n'est pas une personne ne, mais une discipline scientifique.
Surtout, il y a une infinité de possibilités de transformations génétiques. Pour la technique culinaire, seule compte la composition physico-chimiques des aliments, de sorte que des végétaux génétiquement transformés dont la composition physico-chimique serait la même que celle de tissus végétaux classiques ne font pas de différence.
Mais, de toute façon, il s'agit d'une question politique, de sorte que répondre à la question ne conduit qu'à une conséquence : perdre des amis et ne convaincre personne. Cela fait longtemps que j'ai décidé de ne pas répondre à la question des OGM, et je propose plutôt à mes interlocuteurs de passer du temps à découvrir pratiquement dont il s'agit au lieu d'interroger des gourous.
D'ailleurs, j'ai fait une petite erreur en vous répondant que la composition chimique des aliments transformés génétiquement pouvait être la même que celle d'aliments classiques. Si vous n'avez pas envie de l'entendre, vous me direz que ce n'est pas juste et toutes les publications scientifiques que je pourrais vous donner pour attester mes dire de vous convaincront pas. De sorte que je reprends ma réponse. Je ne réponds pas à la question, et je vous invite à aller y voir plus en détail. Je revendique quand même que mes interlocuteurs qui parlent de génétique moléculaire sachent quand même ce dont il s'agit : qu'est-ce qu'une molécule ? Qu'est-ce qu'un composé ? Qu'est-ce qu'un composé artificiel ? Quelle différence avec un composé de synthèse ? Qu'est-ce qu'un composé chimique, qu'est-ce que l'ADN, qu'est-ce qu'une cellule, qu'est-ce qu'un organisme vivant ?




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 31 décembre 2017

A propos de stage de gastronomie moléculaire

Par email, par courrier, par téléphone, par sms, je reçois de très nombreux messages d'étudiants intéressés par la gastronomie moléculaire ou par la cuisine moléculaire, voire la cuisine note à note, ce qui me réjouit évidemment, car cela prouve que je réussis à partager ma passion pour la connaissance et ses applications.

Pourtant j'ai souvent peur que  nos amis soient déçus, notamment quand il s'agit d'étudiants qui me demandent s'ils peuvent venir faire un stage dans notre équipe de recherche. Par exemple, ce matin, une étudiante anglaise me disait s'être amusée beaucoup à faire des chocolats chantilly, des berzélius, des gibbs…  La semaine dernière, c'était un correspondant autrichien qui  faisait un dirac et un gibbs.  Je ne parle pas de ceux qui font des perles d' alginate ou qui utilisent des siphons, car il s'agit là de cuisine moléculaire, telle que je l'ai proposée il y a 35 ans, et ma réponse est alors qu'ils feraient mieux de s'intéresser à la cuisine note à note.
Ce qui me trouble, c'est que mes interlocuteurs me parlent souvent de cuisine, quand je parle moi de gastronomie moléculaire,  et je veux profiter d'un message reçu il y a  quelques instants pour donner deux exemples des travaux que nous faisons au laboratoire afin de donner des explications pour le futur.

Nos jeunes amis sont de deux types principaux : il y a les cuisiniers, et les étudiants en science et en technologie, mais invariablement, je réponds  à tous que, dans notre groupe de recherche, notre travail quotidien consiste à mettre en oeuvre des méthodes d'analyse, telle la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, la fluorimétrie, l'électrophorèse capillaire, la chromatographie en phase gazeuse avec spectrométrie de masse, ou bien,  pour la partie théorique, nous cherchons à résoudre des équations différentielles ou des  équations aux dérivées partielles. Je donne maintenant un exemple de chaque cas.


Des manipulations, base de la science expérimentale

Pour chercher les mécanismes des phénomènes (ce qui est l'objectif des sciences de la nature), il faut identifier les phénomènes,les caractériser scientifiquement, en vue de disposer de beaucoup de données quantitatives, que l'on réunira en équations.
Commençons donc par une étude de spectroscopie par résonance magnétique nucléaire  (RMN), faite il y a peu : à  l'occasion d'un travail sur la « cuisson des aliments », avec une étudiante venue de l'Ecole de chimie de Strasbourg, nous avons cherché les performances d'une méthode analytique que j'avais proposée il y a quelques années et qui a pour nom « spectroscopie de résonance magnétique nucléaire in situ quantitative ».
Commençons avec la « résonance magnétique nucléaire », ou RMN. L'idée est de mettre un échantillon de matière (pensons à de l'eau, pour  faire simple) dans un gros aimant, puis d'appliquer  pendant quelques instants un petit champ magnétique  perpendiculaire au champ du gros aimant.




De la sorte, les aimantations des noyaux d'atome d'hydrogène (par exemple) de l'échantillon de matière sont d'abord basculés par le gros  aimant, jusqu'à ce qu'un état d'équilibre soit atteint ; l'application du second champ magnétique fait comme quand on tape sur une cloche, et l'analyse par  RMN s'apparente à l'analyse mathématique du bruit de la cloche. En pratique, on mesure le retour des aimantations des atomes  à l'équilibre… et l'on en déduit  comment les atomes  sont liés dans les molécules.
Par exemple, quand on analyse ainsi de l'éthanol, l'alcool des vins  et eaux—de-vie, on détecte, à partir des "spectres" obtenus, que trois atomes d'hydrogène sont liés à un premier atome de carbone, lequel est lié à un second atome de carbone, lequel est lié à deux atomes d'hydrogène, et à un atome d'oxygène, qui  est lui-même lié à un atome d'hydrogène.

Voilà donc pour la résonance magnétique nucléaire, laquelle ne fait usage d'atomes radioactifs, comme le craignent ceux qui entendent le mot « nucléaire » sans le comprendre (ils ont  raison d'être prudents, mais il ne faut  pas être timoré).
Bref, nous utilisons, dans  notre  équipe, de l'analyse par RMN pour analyser des liquides variés, par exemple du bouillon de carotte, lequel  est fait  d'eau et de divers sucres et acides aminés, ou des yaourts, des sauces,  etc. A partir des analyses, nous dosons notamment les  sucres et les acides aminés, mais tout aussi bien les matières grasses, l'acide lactique, etc.
Il y a plusieurs années, j'avais eu l'idée que notre technique pouvait s'appliquer à des morceaux de carotte, par exemple, et pas seulement à des liquides. C'est ce que j'ai nommé « analyse par RMN in situ quantitative ». La proposition est merveilleuse, parce qu'elle évite les « extractions », que les physico-chimistes pratiquent couramment. En effet, habituellement,  pour faire des analyses par résonance magnétique RMN, on produit d'abord une solution des composés que l'on veut doser et l'on dose cette solution. Par exemple pour analyser les sucres présents dans la racine de carotte, on met la carotte sous vide pendant quelques jours, on la broie, puis on la fait bouillir longuement dans des solvants organiques, tel le méthanol (évidemment, on utilise des matériels qui n'ont rien de casseroles!); on filtre et on centrifuge (avec une centrifugeusee qui n'est pas celle d'une cuisine !) la solution obtenue, et l'on récupère finalement une solution que l'on dose. Tout cela se fait sur des quantités aussi petites que possible : en général, on manipule sur des quantités qui ne sont même pas la pointe d'un couteau.
Par RMN (c'est aussi vrai pour  d'autres méthodes d'analyse), on obtient un spectre, c'est-à-dire une sorte de  figure avec des montagnes pointues… à condition, bien sûr, d'avoir fait correctement les choses, d'avoir appris à "conduire" la machine, ce qui impose de comprendre comment elle fonctionne, donc de savoir la constitution de la matière, mais aussi les phénomènes de physique quantique, d'électromagnétisme...


On doit apprendre à reconnaître à quels atomes correspondent les  « montagnes », mais, pour doser, on doit calculer leur aire, c'est-à-dire la quantité de surface comprise entre  les montagnes et  la ligne de base.

Ajoutons que ces calculs d'aires ne sont qu'une toute petite partie du travail. Une  fois une aire obtenue, il faudra la comparer à des aires obtenues pour des solutions connues, avec des quantités connues de sucres dans de l'eau.
Ce que ma description ne dit pas, surtout, c'est que le spectre n'est obtenu qu'au terme d'une infatigable minutie.  Préparer la moindre solution suppose d'avoir lavé de la verrerie, de l'avoir séchée, de l'avoir pesée (trois  fois, sur une balance de précision), d'avoir calculé la moyenne des masses mesurées,  la dispersion des mesures, d'avoir ajouté un liquide, d'avoir pesé à nouveau, en pesant la différence de masse du flacon dont on extrayait le liquide pour le transvaser…
Bref, il  a fallu peser des milliers de fois, avec le plus  grand soin, souvent  sous des hottes aspirantes, en portant des gants et des lunettes de protection, quand on manipule des produits tels que les solvants organiques. En outre, peser, cela semble simple, mais, pour de la recherche scientifique, il faut  d'abord s'assurer que la balance est fiable, qu'elle est bien horizontale, qu'elle donne des résultats cohérents… Il faut lui éviter les courants d'air, tarer lentement, prendre son temps pour que la balance (de précision) se stabilise, tarer encore, peser plusieurs fois de suite avec, chaque fois, ces attentes, ces gestes minutieux qui ne doivent rien renverser des produits dangereux que nous manipulons… Des heures, des journées, des semaines, des mois… Sans compter qu'il faut  consigner le plus précisément possible la totalité des détails expérimentaux, du premier au dernier,  en ajoutant que je suis passé extrêmement rapidement sur de nombreuses opérations. Et c'est seulement un soin extrême qui permet finalement d'obtenir un résultat que l'on pourra interpréter, à l'issue, évidemment, de beaucoup de calculs… ce qui déplaît à ceux qui n'aiment pas le calcul, mais donne du bonheur  à ceux qui aime la composante expérimentale de la science bien faite.

La composante théorique

Passons maintenant à la partie théorique de notre activité, encore avec un exemple. Un des travaux de notre équipe, il y a quelque temps, a consisté en une « modélisation » de la libération de composés par des gels complexes. Pour ce travail, il s'agissait de résoudre  numériquement des équations qui décrivent comment  un composé présent initialement dans un gel peut en sortir, pour aller se dissoudre dans une solution où le gel est placé, ce qui « représente » le cas d'un aliment dans la bouche.
En pratique, il faut utiliser un ordinateur pour construire une  représentation d'un gel (un ensemble de points de l'espace pour lesquels on définit des propriétés qui sont celles des gels), et placer ce « modèle de gel » dans un « modèle de solution », à savoir un ensemble de point de l'espace dont les propriétés sont celles d'un liquide. En utilisant des équations, telles celles qui décrivent le mouvement des molécules (dans le gel, dans le liquide), on calcule le mouvement de ces molécules, par « pas » de temps : par exemple, au  début de la mise en contact du modèle de gel et du  modèle de liquide, puis tous les millièmes de seconde.
Là, il s'agit donc d'utiliser un ordinateur, et de faire des programmes pour résoudre des équations. Là encore, l'activité plaît  à ceux  qui l'aiment, et déplaît à ceux qui  ne l'aiment pas, et, là encore, on programme pendant des jours, des semaines, des mois…
J'oublie, enfin, de signaler que les « expériences », réelles ou informatiques, doivent faire l'objet de « validations » : nous les répétons afin de les vérifier, nous les remâchons, nous les ruminons, nous y pensons sans cesse, car nous savons que le diable est caché derrière tout calcul, toute manipulation. Et tout prend beaucoup de temps.

Ce n'est pas de la cuisine, mais de la gastronomie moléculaire !

Bien sûr, ces exemples ne sont que des exemples, mais ils montrent bien à quel point notre activité de recherche n'est pas de la cuisine ! Quand nous fabriquons des bouillons de carotte, nous les faisons cuire pendant des semaines, des mois, des années… Et nous faisons évidemment des choses immangeables, parce que l'objectif n'est pas de préparer des aliments, mais de comprendre comment les aliments s'obtiennent, de comprendre les mécanismes des phénomènes qui ont lieu lors des transformations des ingrédients en aliments.

Finalement, il y aura la communication des résultats obtenus, et elle ne surviendra donc qu'après des années de travail, mais c'est ainsi que l'on produit  de la connaissance fiable, de bonne qualité. Il faut beaucoup de temps, d'énergie, beaucoup de patience,  mais il est vrai que l'on a immense plaisir, en fin de travail, d'avoir repoussé un peu les limites de la connaissance. Un peu seulement … mais ce peu est pour nous essentiel, parce que c'est la mission que  nous nous sommes donnée.

On le voit, finalement : pas de chocolat chantilly, pas de sauce, pas de viande grillée… mais de la recherche scientifique, soigneuse, rigoureuse, et, surtout, l'immense bonheur de contribuer à la production connaissance par la recherche scientifique.

Vive les sciences quantitatives, vive les sciences de la nature !






























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)