Dans un billet précédent, j'ai évoqué la question des "directeurs scientifiques" pour des institutions de recherche telles que l'Inra ou le CNRS. Et j'avais conclu que la tâche était bien difficile... mais je renvoie mes amis vers ce texte que je ne veux pas refaire ici.
Aujourd'hui, c'est une question différente que je veux discuter : celle de ce qui est nommé "directeur scientifique" pour l'industrie.
Oui, pour des sociétés comme l'Air liquide, ou Rhodia, ou Lafarge, etc., qu'est-ce qu'un "directeur scientifique" ? Pour commencer, observons que ces sociétés n'ont pas pour vocation de faire de la recherche scientifique, mais bien plutôt de la recherche technologique ou technique. Je ne dis pas que ces sociétés ne puissent pas payer des scientifiques pour faire de la recherche scientifique, mais j'observe que chaque fois que cela s'est produit, les espoirs ont été déçus... et les services de recherche scientifique ont été les premiers fermés, quand les bénéfices de ces sociétés ont diminué. Et je crois préférable de bien penser une répartition des tâches qui confierait à l'Etat le soin d'organiser la recherche scientifique, le soin à l'industrie de chercher des applications des résultats obtenus par la recherche scientifique, par ce qui se nomme plus justement de la recherche technique ou technologique. La question, dans un fonctionnement de ce type, c'est de bien organiser les relations entre les scientifiques et les services techniques.
Mais considérons le cas d'une grosse société, qui vend des produits ou des services : ordinateurs, médicaments, matériaux, programmes informatiques, aliments... Il s'agit de faire des produits nouveaux pour être en avance sur les concurrents, pour proposer aux clients des produits qui rendent de meilleurs services que les produits des concurrents : programmes plus rapides, médicaments plus actifs, aliments meilleurs, etc. Pour cela, il faut effectivement des ingénieurs qui ne sont pas ceux qui font tourner les usines (les ingénieurs "procédés"), mais des ingénieurs qui connaissent suffisamment les sciences pour comprendre, pour pister ce qui se produit de plus avancé en science, afin d'en faire le meilleur usage.
Raison pour laquelle j'ai proposé que les écoles d'ingénieurs organisent les études autour des trois fonctions : apprendre à chercher les résultats des sciences, apprendre à sélectionner ces résultats en vue d'une application particulière, apprendre à transférer ces résultats pour améliorer les techniques couramment mises en oeuvre.
Pour diriger les ingénieurs qui feront donc ce triple travail, il faut (peut-être) un directeur, mais quel est la nature de ce directeur ? Si cette personne est un scientifique, c'est bien un directeur scientifique.... mais dans la mesure où il ne fait plus de science, n'usurpe-t-il pas son titre ? Au fond, on n'est scientifique que si l'on pratique la recherche scientifique, mais si l'on fait de la direction d'ingénieur engagé dans la technologie, on n'est plus scientifique, n'est-ce pas ? Etre scientifique, ce n'est pas comme un titre de docteur en médecine ; c'est une activité.
Oui, ce directeur n'est donc généralement pas un directeur scientifique, sauf quand, il y a plusieurs années, une société comme Rhône Poulenc s'est adjoint les conseils de Guy Ourisson, Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes et Claude Hélène, pour guider les ingénieurs vers de l'innovation : nos quatre collègues n'usurpaient pas le titre de "directeur scientifique", puisqu'ils indiquaient des "directions", ce qui est le propre d'un "directeur", et qu'ils étaient scientifiques.
En revanche, aujourd'hui, dans de nombreux cas, les "directeurs scientifiques" sont en réalité des directeurs technologiques ou des directeurs techniques. Et ils ont évidemment une grande importance industrielle !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 14 août 2018
mercredi 8 août 2018
Amusant
Le miel ? Forcément bon, n'est-ce pas ? Puisque c'est fait par des abeilles, qui sont des insectes pollinisateurs, d'une part, et puisque, d'autre part, c'est un "produit naturel"... sans compter qu'il est sucré.
Mais il y a bien mieux : on me signale hier le miel de Manuka, qui provient de l’arbre de manuka, qui ne pousse que dans certaines régions de Nouvelle-Zélande et d’Australie. Vous pensez : si c'est rare, c'est donc que c'est encore mieux. Je lis d'ailleurs en ligne : "A en croire les producteurs, aucune comparaison n’est possible : le miel de manuka est bien supérieur aux autres. Selon eux, il combat des infections bactériennes, y compris résistantes, et guérit mieux des plaies, même ulcérées"... mais il faudrait croire les producteurs, qui n'ont sans doute pas fait les études poussées que l'on fait pour le moindre médicament. Ou bien encore "Cousin de l’arbre à thé, dont est extraite l’huile essentielle antibactérienne du même nom, le manuka garantit un miel d’exception, au prix certes élevé, mais aux promesses alléchantes." Oui, un prix élevé : je le vois à 100 euros les 250 grammes !
Que penser de tout cela ? Une petite recherche me montre que les "propriétés" ou "vertus" de ce miel seraient dues au méthylglyoxal. Ah, cette fois, je tiens un fil... et, quand je tire dessus, je trouve immédiatement ceci (je traduis) :
"Le glucose est la principale source d'énergie du cerveau. Des nombreuses études ont montré que le profil métabolique des cellules nerveuses, pour ce qui concerne l'utilisation du glucose et la vitesse de glycolyse n'est pas homogène, avec une activité glycolytique supérieure dans les astrocytes, par rapport aux neurones. Le méthylglyoxal, un composé dicarbonylé très réactif, est inévitablement formé lors de cette glycolyse. Le méthylglyoxal est un précurseur des produits de glycation avancés, associés à plusieurs maladies telles que le diabète, le vieillissement ou des neurodégénérescences.
Dans des situations normales, les cellules sont protégées de la toxicité du méthylglyoxal par divers mécanismes, et notamment par l'enzyme glyoxalase, encore mal connue : du fait des besoins énergétiques importants du cerveau (besoins en glucose, donc), on peut espérer que la glyoxalase cérébrale est capable de gérer la toxicité du méthylglyoxal."
Tout cela est tiré d'un article intitulé "Methylglyoxal, the dark side of glycolysis" (Front Neurosci. 2015; 9: 23).
Ajouté à ce que je sais de la réactivité chimique du méthylglyoxal, je vais donc m'abstenir de consommer trop de ce miel et d'en servir à mes amis et à ma famille.
Et, j'y pense, en supposant qu'il soit bon, pourquoi ne pas ajouter à des miels moins contestables, dépourvus de méthylglyoxal, les composés odorants qui feraient son goût ?
Mais il y a bien mieux : on me signale hier le miel de Manuka, qui provient de l’arbre de manuka, qui ne pousse que dans certaines régions de Nouvelle-Zélande et d’Australie. Vous pensez : si c'est rare, c'est donc que c'est encore mieux. Je lis d'ailleurs en ligne : "A en croire les producteurs, aucune comparaison n’est possible : le miel de manuka est bien supérieur aux autres. Selon eux, il combat des infections bactériennes, y compris résistantes, et guérit mieux des plaies, même ulcérées"... mais il faudrait croire les producteurs, qui n'ont sans doute pas fait les études poussées que l'on fait pour le moindre médicament. Ou bien encore "Cousin de l’arbre à thé, dont est extraite l’huile essentielle antibactérienne du même nom, le manuka garantit un miel d’exception, au prix certes élevé, mais aux promesses alléchantes." Oui, un prix élevé : je le vois à 100 euros les 250 grammes !
Que penser de tout cela ? Une petite recherche me montre que les "propriétés" ou "vertus" de ce miel seraient dues au méthylglyoxal. Ah, cette fois, je tiens un fil... et, quand je tire dessus, je trouve immédiatement ceci (je traduis) :
"Le glucose est la principale source d'énergie du cerveau. Des nombreuses études ont montré que le profil métabolique des cellules nerveuses, pour ce qui concerne l'utilisation du glucose et la vitesse de glycolyse n'est pas homogène, avec une activité glycolytique supérieure dans les astrocytes, par rapport aux neurones. Le méthylglyoxal, un composé dicarbonylé très réactif, est inévitablement formé lors de cette glycolyse. Le méthylglyoxal est un précurseur des produits de glycation avancés, associés à plusieurs maladies telles que le diabète, le vieillissement ou des neurodégénérescences.
Dans des situations normales, les cellules sont protégées de la toxicité du méthylglyoxal par divers mécanismes, et notamment par l'enzyme glyoxalase, encore mal connue : du fait des besoins énergétiques importants du cerveau (besoins en glucose, donc), on peut espérer que la glyoxalase cérébrale est capable de gérer la toxicité du méthylglyoxal."
Tout cela est tiré d'un article intitulé "Methylglyoxal, the dark side of glycolysis" (Front Neurosci. 2015; 9: 23).
Ajouté à ce que je sais de la réactivité chimique du méthylglyoxal, je vais donc m'abstenir de consommer trop de ce miel et d'en servir à mes amis et à ma famille.
Et, j'y pense, en supposant qu'il soit bon, pourquoi ne pas ajouter à des miels moins contestables, dépourvus de méthylglyoxal, les composés odorants qui feraient son goût ?
samedi 4 août 2018
Communication orale ?
On m'interroge : comment faire une communication orale ? La question est trop vague. Une communication orale dans un congrès scientifique ? Là encore, manquent des précisions. Une présentation de résultats scientifiques à des collègues pour lesquels on n'a pas à expliquer les bases scientifiques du travail ? En réalité, la réponse reste insuffisante, parce que, par exemple, imaginons que nous ayons fait un travail qui utilise une technique particulière pour une étude d'un système spécifique, alors nous devrons expliquer le système si nous parlons à des spécialistes de la technique utilisée, ou, inversement, nous devrons expliquer la technique si nous nous adressons à des spécialistes du système spécifique.
Bref, il faut d'abord réfléchir.
Oui, il faut analyser le contexte de la présentation : à qui parlons nous ? Ayant cette réponse, nous pouvons alors examiner le contenu du message : que voulons-nous dire ? Bien sûr, on sait que les présentations orales dans les congrès ne sont acceptées que lorsque les examinateurs ont validé le contenu proposé. Il y donc une sorte de contrat à nous tenir à ce qui a été annoncé... d'autant que ce contenu figure sur le programme, et que ceux qui ont décidé de venir nous écouter seraient légitimement frustrés de ne pas recevoir ce qu'ils attendent.
Cela dit, on peut raconter le même contenu de mille façons différentes : "Belle marquise, vos yeux me font mourir d'amour", "D'amour, vos yeux, belle marquise, mourir me font", "Vos yeux, belle marquise...". Bien sûr, nous ne faisons pas de "littérature", dans ce contexte particulier, mais pourquoi s'escrimer à faire lugubre ?
Je me souviens d'un congrès où j'ai vu 10 intervenants successifs venir dire, plantés à côté du vidéoprojecteur, et d'un ton sérieux qui en devenait risible "Bonjour, je remercie les organisateurs de m'avoir invité à présenter nos travaux sur...", terminant par un "Merci pour votre attention" très "simplet" : une bonne moitié de l'assistance regardait son portable, son téléphone, ou somnolait après le déjeuner.
Mais au-delà de cette "simplicité", il y avait surtout le fait que nos amis étaient "convenus", donc ennuyeux. Ce qui est une forme d'impolitesse : pourquoi barber nos amis, d'une part, et, d'autre part, pourquoi glisser sous de l'ennui des résultats qui sont peut-être extraordinaires (je suis charitable : les congrès se limitent pas à la communication de résultats merveilleux, dirais-je par litote).
Analysons davantage
Avançons maintenant une nouvelle idée : la communication, qu'elle soit scientifique ou grand public, a toujours trois composantes :
- une composante technique : par exemple, il faut que les données communiquées soient justes, que le contraste du texte projeté sur le fond soit suffisant, que les textes soient assez gros, etc. Ici, nous ne considérerons pas la construction du document projeté, qui fait l'objet d'une autre analyse, mais seulement la présentation orale elle-même
- une composante artistique : le contenu étant fixé, il faut le dire, et cela peut se faire de mille façons. La façon que l'on retient fait l'objet d'un choix en terme d'efficacité, mais aussi en terme de goût personnel
- une composante sociale : de même que le bâillement est contagieux, l'ennui l'est... mais, a contrario, également l'enthousiasme : "l'enthousiasme est une maladie qui se gagne".
Bref, nous devons être au clair sur ces trois aspects !
A propos de la composante technique
Nous partons donc de ce document qui est projeté, et il faut le "chanter". Le grand Michael Faraday, qui avait dû apprendre à faire des conférences, avait bien analysé qu'il y a plusieurs questions :
- quelle apparence on offre
- comment on se tient et comment on bouge (ou pas)
- comment on parle
- comment on synchronise la parole, la diffusion des images, les mouvements du corps.
Une conférence, c'est un moment de vie, et le conférencier voûté, par exemple, ne donne pas une image dynamique de lui et, partant, de ses résultats ; et ne peut-on pas craindre que la recherche qui est présentée est aussi avachie que notre homme ? Une voix terne, lasse, ce n'est pas beaucoup d'énergie que l'on donne aux autres ; bien sûr, on se souvient du "You know what? I'm happy" de Droopy : par pitié, n'offrez pas à vos interlocuteurs un discours "porte de prison". Un personnage immobile, c'est sans doute élégant... mais il faudra être très bon pour faire quelque chose d'engageant.
Bref, il y a mille façons de mal faire... Mais reprenons : les résultats étant publiés, si nos amis viennent pour nous entendre, c'est soit pour recevoir un peu de bonheur (intelligence, énergie, passion, enthousiasme), soit pour poser des questions techniques sur des points qui ne seraient pas dans les publications... ce qui permet d'anticiper la chose : émaillons notre projection d'amorces de question, afin que s'engage un dialogue scientifique fructueux.
Mais je vois que je ne suis encore que dans l'apparence, et pas dans le contenu. Que dire ?
D'abord, on évitera la faute de dire des choses déjà dites sur les diapositives, et, surtout, on évitera le pire : lire des textes qui sont écrits ! En effet, non seulement on gêne la lecture en parlant, mais, de surcroît, on gêne l'écoute en imposant des textes que l'on ne peut pas s'empêcher de lire. Et puis, une présentation orale, c'est une présentation orale, non ?
Je préconise positivement que chaque diapositive n'ait de texte qu'un titre, et qu'elle ne comporte qu'une "image" : soit une photographie que l'on commente, soit un graphique, un schéma, que sais-je... Et puis je recommande aussi qu'on laisse le temps de regarder tout ce qui figure sur les images : je juge très impoli de passer à toute vitesse sur des diapositives qui méritent un long examen, car l'auditoire décroche nécessairement, perd le fil... Je rappelle que "la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public".
Parfois, il y a de la paresse ou de la négligence à faire de bonnes présentations : certains se disent que "ça ira comme ça".
Parfois, il y a de la prétention à faire des diapositives incompréhensibles : on sait bien qu'il y a des collègues qui pensent qu'ils seront crédités d'une belle compétence s'ils sont les seuls à comprendre ce qu'ils énoncent... mais qu'ils se méfient du "le roi est nu" !
Parfois, il y a de la bêtise, de l'incompétence : je sais des présentations faites par des personnes qui ne comprenaient même pas leur sujet.
Parfois, enfin (j'oublie peut-être des causes), il y a du manque de travail... car on oublie que la préparation d'une communication orale ne se fait pas en claquant des doigts ; on oublie que placer sa voix, réfléchir à chaque résultat pour savoir bien en communiquer la teneur, réfléchir aux mouvements que l'on fait, travailler pour lutter contre les tics de langage ou corporel, tout cela impose un travail important !
Bref, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les présentations orales dans les congrès scientifiques sont si souvent mauvaises. Mais, surtout, avons-nous assez travaillé pour faire des présentations vraiment présentables ? Labor improbus omnia vincit : un travail acharné vient à bout de tout.
Positivement, encore : puisqu'il s'agit de décrire ou commenter ce qu'il y a sur les diapositives (leur enchaînement nous porte), il s'agit de produire un discours "signifiant", intelligent, engageant... Et puisque nous nous adressons à des collègues dont je veux supposer qu'ils partagent la passion des sciences de la nature, c'est la beauté du travail scientifique qu'il s'agit de dégager. Ailleurs, j'ai exprimé le bonheur d'une expérience ou d'un calcul bien faits, analogues à des pièces d'orfèvrerie : ne pouvons-nous pas simplement montrer à nos amis comment nous avons essayé de faire dire à la "nature" la réponse à la question que nous lui avons posée ? Ne pouvons nous pas partager naïvement nos émerveillements ? Bien sûr, cela suppose que nous soyons éblouis nous-mêmes par cette merveilleuse activité qu'est la recherche scientifique... mais comment ne pas l'être : n'est-ce pas l'honneur de l'esprit humain ?
Questions artistique et sociale
La composante artistique de la communication est évidemment essentielle... et mal comprise. Dans un de mes "cours de communication scientifique" (les avez vous visionné ? ils sont sur http://www2.agroparistech.fr/podcast/Scientific-communication.html), je montre, par exemple, comment raconter le même contenu en déroulant un document powerpoint ou en le déroulant à l'envers, de la fin vers le début. Tout est possible, et l'on peut très bien imaginer que l'on fasse une conférence scientifique passionnante sans bouger, sans sourire, sans faire de minables calembours, avec un ton monocorde, en étant voûté... mais il faut être alors très bon, très intelligent ! Tout est possible, puisque, le contenu technique étant réglé, se pose la question du "style".
D'ailleurs, la composante sociale de la communication mérite le même type de commentaires : on peut sourire à l'auditoire, descendre de l'estrade pour être proche de lui, se placer dans le public avec le passeur de diapositives, interpeller l'auditoire pour créer un dialogue, au lieu de l'habituel monologue... Tout est possible... à condition de ne pas oublier que, pour la communication scientifique comme pour les fables "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême", comme le disait justement Jean de la Fontaine : il s'agit de raconter la merveilleuse histoire de notre recherche scientifique.
Faut-il être soi-même émerveillé par les travaux que l'on présente ? Là, celle ou celui qui voudrait manier le paradoxe pourrait utilement relire le Paradoxe sur le Comédien, de Denis Diderot... mais pour ce qui me concerne, je répète -parce que j'en ai l'absolue conviction- que les sciences de la nature sont une activité merveilleuse, sublime, et je ne vois pas d'autre obstacle à vaincre, pour partager ce bonheur avec mes amis, que ma propre timidité ou mes insuffisances en matière de communication.
Mais Labor improbus...
Bref, il faut d'abord réfléchir.
Oui, il faut analyser le contexte de la présentation : à qui parlons nous ? Ayant cette réponse, nous pouvons alors examiner le contenu du message : que voulons-nous dire ? Bien sûr, on sait que les présentations orales dans les congrès ne sont acceptées que lorsque les examinateurs ont validé le contenu proposé. Il y donc une sorte de contrat à nous tenir à ce qui a été annoncé... d'autant que ce contenu figure sur le programme, et que ceux qui ont décidé de venir nous écouter seraient légitimement frustrés de ne pas recevoir ce qu'ils attendent.
Cela dit, on peut raconter le même contenu de mille façons différentes : "Belle marquise, vos yeux me font mourir d'amour", "D'amour, vos yeux, belle marquise, mourir me font", "Vos yeux, belle marquise...". Bien sûr, nous ne faisons pas de "littérature", dans ce contexte particulier, mais pourquoi s'escrimer à faire lugubre ?
Je me souviens d'un congrès où j'ai vu 10 intervenants successifs venir dire, plantés à côté du vidéoprojecteur, et d'un ton sérieux qui en devenait risible "Bonjour, je remercie les organisateurs de m'avoir invité à présenter nos travaux sur...", terminant par un "Merci pour votre attention" très "simplet" : une bonne moitié de l'assistance regardait son portable, son téléphone, ou somnolait après le déjeuner.
Mais au-delà de cette "simplicité", il y avait surtout le fait que nos amis étaient "convenus", donc ennuyeux. Ce qui est une forme d'impolitesse : pourquoi barber nos amis, d'une part, et, d'autre part, pourquoi glisser sous de l'ennui des résultats qui sont peut-être extraordinaires (je suis charitable : les congrès se limitent pas à la communication de résultats merveilleux, dirais-je par litote).
Analysons davantage
Avançons maintenant une nouvelle idée : la communication, qu'elle soit scientifique ou grand public, a toujours trois composantes :
- une composante technique : par exemple, il faut que les données communiquées soient justes, que le contraste du texte projeté sur le fond soit suffisant, que les textes soient assez gros, etc. Ici, nous ne considérerons pas la construction du document projeté, qui fait l'objet d'une autre analyse, mais seulement la présentation orale elle-même
- une composante artistique : le contenu étant fixé, il faut le dire, et cela peut se faire de mille façons. La façon que l'on retient fait l'objet d'un choix en terme d'efficacité, mais aussi en terme de goût personnel
- une composante sociale : de même que le bâillement est contagieux, l'ennui l'est... mais, a contrario, également l'enthousiasme : "l'enthousiasme est une maladie qui se gagne".
Bref, nous devons être au clair sur ces trois aspects !
A propos de la composante technique
Nous partons donc de ce document qui est projeté, et il faut le "chanter". Le grand Michael Faraday, qui avait dû apprendre à faire des conférences, avait bien analysé qu'il y a plusieurs questions :
- quelle apparence on offre
- comment on se tient et comment on bouge (ou pas)
- comment on parle
- comment on synchronise la parole, la diffusion des images, les mouvements du corps.
Une conférence, c'est un moment de vie, et le conférencier voûté, par exemple, ne donne pas une image dynamique de lui et, partant, de ses résultats ; et ne peut-on pas craindre que la recherche qui est présentée est aussi avachie que notre homme ? Une voix terne, lasse, ce n'est pas beaucoup d'énergie que l'on donne aux autres ; bien sûr, on se souvient du "You know what? I'm happy" de Droopy : par pitié, n'offrez pas à vos interlocuteurs un discours "porte de prison". Un personnage immobile, c'est sans doute élégant... mais il faudra être très bon pour faire quelque chose d'engageant.
Bref, il y a mille façons de mal faire... Mais reprenons : les résultats étant publiés, si nos amis viennent pour nous entendre, c'est soit pour recevoir un peu de bonheur (intelligence, énergie, passion, enthousiasme), soit pour poser des questions techniques sur des points qui ne seraient pas dans les publications... ce qui permet d'anticiper la chose : émaillons notre projection d'amorces de question, afin que s'engage un dialogue scientifique fructueux.
Mais je vois que je ne suis encore que dans l'apparence, et pas dans le contenu. Que dire ?
D'abord, on évitera la faute de dire des choses déjà dites sur les diapositives, et, surtout, on évitera le pire : lire des textes qui sont écrits ! En effet, non seulement on gêne la lecture en parlant, mais, de surcroît, on gêne l'écoute en imposant des textes que l'on ne peut pas s'empêcher de lire. Et puis, une présentation orale, c'est une présentation orale, non ?
Je préconise positivement que chaque diapositive n'ait de texte qu'un titre, et qu'elle ne comporte qu'une "image" : soit une photographie que l'on commente, soit un graphique, un schéma, que sais-je... Et puis je recommande aussi qu'on laisse le temps de regarder tout ce qui figure sur les images : je juge très impoli de passer à toute vitesse sur des diapositives qui méritent un long examen, car l'auditoire décroche nécessairement, perd le fil... Je rappelle que "la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public".
Parfois, il y a de la paresse ou de la négligence à faire de bonnes présentations : certains se disent que "ça ira comme ça".
Parfois, il y a de la prétention à faire des diapositives incompréhensibles : on sait bien qu'il y a des collègues qui pensent qu'ils seront crédités d'une belle compétence s'ils sont les seuls à comprendre ce qu'ils énoncent... mais qu'ils se méfient du "le roi est nu" !
Parfois, il y a de la bêtise, de l'incompétence : je sais des présentations faites par des personnes qui ne comprenaient même pas leur sujet.
Parfois, enfin (j'oublie peut-être des causes), il y a du manque de travail... car on oublie que la préparation d'une communication orale ne se fait pas en claquant des doigts ; on oublie que placer sa voix, réfléchir à chaque résultat pour savoir bien en communiquer la teneur, réfléchir aux mouvements que l'on fait, travailler pour lutter contre les tics de langage ou corporel, tout cela impose un travail important !
Bref, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les présentations orales dans les congrès scientifiques sont si souvent mauvaises. Mais, surtout, avons-nous assez travaillé pour faire des présentations vraiment présentables ? Labor improbus omnia vincit : un travail acharné vient à bout de tout.
Positivement, encore : puisqu'il s'agit de décrire ou commenter ce qu'il y a sur les diapositives (leur enchaînement nous porte), il s'agit de produire un discours "signifiant", intelligent, engageant... Et puisque nous nous adressons à des collègues dont je veux supposer qu'ils partagent la passion des sciences de la nature, c'est la beauté du travail scientifique qu'il s'agit de dégager. Ailleurs, j'ai exprimé le bonheur d'une expérience ou d'un calcul bien faits, analogues à des pièces d'orfèvrerie : ne pouvons-nous pas simplement montrer à nos amis comment nous avons essayé de faire dire à la "nature" la réponse à la question que nous lui avons posée ? Ne pouvons nous pas partager naïvement nos émerveillements ? Bien sûr, cela suppose que nous soyons éblouis nous-mêmes par cette merveilleuse activité qu'est la recherche scientifique... mais comment ne pas l'être : n'est-ce pas l'honneur de l'esprit humain ?
Questions artistique et sociale
La composante artistique de la communication est évidemment essentielle... et mal comprise. Dans un de mes "cours de communication scientifique" (les avez vous visionné ? ils sont sur http://www2.agroparistech.fr/podcast/Scientific-communication.html), je montre, par exemple, comment raconter le même contenu en déroulant un document powerpoint ou en le déroulant à l'envers, de la fin vers le début. Tout est possible, et l'on peut très bien imaginer que l'on fasse une conférence scientifique passionnante sans bouger, sans sourire, sans faire de minables calembours, avec un ton monocorde, en étant voûté... mais il faut être alors très bon, très intelligent ! Tout est possible, puisque, le contenu technique étant réglé, se pose la question du "style".
D'ailleurs, la composante sociale de la communication mérite le même type de commentaires : on peut sourire à l'auditoire, descendre de l'estrade pour être proche de lui, se placer dans le public avec le passeur de diapositives, interpeller l'auditoire pour créer un dialogue, au lieu de l'habituel monologue... Tout est possible... à condition de ne pas oublier que, pour la communication scientifique comme pour les fables "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême", comme le disait justement Jean de la Fontaine : il s'agit de raconter la merveilleuse histoire de notre recherche scientifique.
Faut-il être soi-même émerveillé par les travaux que l'on présente ? Là, celle ou celui qui voudrait manier le paradoxe pourrait utilement relire le Paradoxe sur le Comédien, de Denis Diderot... mais pour ce qui me concerne, je répète -parce que j'en ai l'absolue conviction- que les sciences de la nature sont une activité merveilleuse, sublime, et je ne vois pas d'autre obstacle à vaincre, pour partager ce bonheur avec mes amis, que ma propre timidité ou mes insuffisances en matière de communication.
Mais Labor improbus...
jeudi 2 août 2018
Comment rater une mayonnaise
Comment rater une mayonnaise ? Souvent, l'analyse des échecs est fructueuse parce que, a contrario, elle permet d'identifier les bons gestes. Quand on suit un protocole moderne, pour la confection d'une mayonnaise, il est rare que la sauce tourne. Mais on peut se forcer une fois, en sachant toutefois qu'on pourra la rattraper ensuite.
Partons donc des ingrédients de rigueur, à savoir un jaune d' œuf et du vinaigre. Combien ? Disons pour simplifier un volume de vinaigre environ égal à celui du jaune d' œuf. Pas de moutarde, sans quoi nous ferions une rémoulade et non pas une mayonnaise.
Nous avons donc le vinaigre et jaune d' œuf dans un bol, et à l'aide d'une fourchette ou d'un petit fouet, nous mélangeons les deux ingrédients. Là, aucun risque. Mais prenons quand même soin de bien mélanger les deux ingrédients, jusqu'à une apparence homogène du mélange.
Ajoutons maintenant d'un coup une grande quantité d'huile, par exemple dix fois plus que le volume total du jaune d' œuf et du vinaigre, et fouettons : c'est la catastrophe, puisque le fouet ne parvient pas à disperser le mélange de jaune d' œuf et de vinaigre dans l'huile. Plus exactement, il y parvient, mais on a une structure très hétérogène à l'oeil nu, avec des parties visible d'une phase dans l'autre phase.
Ce qu'il faut savoir pour interpréter ce phénomène, c'est que les composés actif pour faire les "émulsions" telles que les mayonnaises, dans le jaune d'oeuf, assurent bien la présence d'huile dans l'eau, et non pas d'eau dans l'huile, comme dans cette première expérience. D'huile ? Oui, l'huile que l'on a ajoutée. Mais d'eau ? D'où vient-elle ? Le jaune d'oeuf d'est composé de 50 pour cent d'eau, et le vinaigre de 90 pour cent. Mélanger le vinaigre et le jaune d'oeuf, c'est mélanger de l'eau à de l'eau, comme dans un mélange de sirop de sucre et de saumure : l'eau se mélange à l'eau, emportant les composés qui y sont dissous. Quand la quantité d'huile est supérieure à la quantité d'eau, alors la dispersion se fait, comme on le voit, mais ne parvient pas à faire une émulsion homogène à l'oeil nu, et elle est très instable : on voit bientôt l'eau tomber au fond du bol, et l'huile venir surnager.
On comprend a contrario, d'un même coup, la méthode qui permet de rattraper la mayonnaise tournée et la méthode qui permet de réussir une mayonnaise.
Tout d'abord, pour rattraper la mayonnaise tournée : il faut attendre que l'"eau" sédimente et que l'huile surnage : on récupère l'huile en décantant, et on l'ajoute à nouveau, comme si l'on commençait une nouvelle mayonnaise.
Pour réussir, cette fois ? Il faut ajouter l'huile par petite quantité dans l'eau afin que le fouet disperse l'huile dans l'eau au lieu de disperser l'eau dans l'huile. Le travail du fouet doit être vigoureux, pour que l'on obtienne une bonne émulsion, suffisamment stable parce que formée de très nombreuses gouttelettes très petites, si petites que le système complet est apparemment homogène, disons homogène à l'oeil nu.
On obtient alors un système beaucoup plus stable que le précédent : celui d'une émulsion qui a quelque chance de tenir pendant les temps habituel de consommation.
Ajoutons alors encore de l'huile, petite quantité par petite quantité, toujours en fouettant afin de diviser l'huile en petites gouttes qui viennent s'accumuler, et l'on obtient finalement une émulsion bien ferme.
Gardons de toute cette analyse la règle principale : pour réussir une sauce mayonnaise, ou une autre émulsion analogue, il faut ajouter l'huile par petites quantités et fouetter énergiquement de telle façon à chaque ajout l'homogénéité apparente, à l'oeil nu, soit assurée.
Partons donc des ingrédients de rigueur, à savoir un jaune d' œuf et du vinaigre. Combien ? Disons pour simplifier un volume de vinaigre environ égal à celui du jaune d' œuf. Pas de moutarde, sans quoi nous ferions une rémoulade et non pas une mayonnaise.
Nous avons donc le vinaigre et jaune d' œuf dans un bol, et à l'aide d'une fourchette ou d'un petit fouet, nous mélangeons les deux ingrédients. Là, aucun risque. Mais prenons quand même soin de bien mélanger les deux ingrédients, jusqu'à une apparence homogène du mélange.
Ajoutons maintenant d'un coup une grande quantité d'huile, par exemple dix fois plus que le volume total du jaune d' œuf et du vinaigre, et fouettons : c'est la catastrophe, puisque le fouet ne parvient pas à disperser le mélange de jaune d' œuf et de vinaigre dans l'huile. Plus exactement, il y parvient, mais on a une structure très hétérogène à l'oeil nu, avec des parties visible d'une phase dans l'autre phase.
Ce qu'il faut savoir pour interpréter ce phénomène, c'est que les composés actif pour faire les "émulsions" telles que les mayonnaises, dans le jaune d'oeuf, assurent bien la présence d'huile dans l'eau, et non pas d'eau dans l'huile, comme dans cette première expérience. D'huile ? Oui, l'huile que l'on a ajoutée. Mais d'eau ? D'où vient-elle ? Le jaune d'oeuf d'est composé de 50 pour cent d'eau, et le vinaigre de 90 pour cent. Mélanger le vinaigre et le jaune d'oeuf, c'est mélanger de l'eau à de l'eau, comme dans un mélange de sirop de sucre et de saumure : l'eau se mélange à l'eau, emportant les composés qui y sont dissous. Quand la quantité d'huile est supérieure à la quantité d'eau, alors la dispersion se fait, comme on le voit, mais ne parvient pas à faire une émulsion homogène à l'oeil nu, et elle est très instable : on voit bientôt l'eau tomber au fond du bol, et l'huile venir surnager.
On comprend a contrario, d'un même coup, la méthode qui permet de rattraper la mayonnaise tournée et la méthode qui permet de réussir une mayonnaise.
Tout d'abord, pour rattraper la mayonnaise tournée : il faut attendre que l'"eau" sédimente et que l'huile surnage : on récupère l'huile en décantant, et on l'ajoute à nouveau, comme si l'on commençait une nouvelle mayonnaise.
Pour réussir, cette fois ? Il faut ajouter l'huile par petite quantité dans l'eau afin que le fouet disperse l'huile dans l'eau au lieu de disperser l'eau dans l'huile. Le travail du fouet doit être vigoureux, pour que l'on obtienne une bonne émulsion, suffisamment stable parce que formée de très nombreuses gouttelettes très petites, si petites que le système complet est apparemment homogène, disons homogène à l'oeil nu.
On obtient alors un système beaucoup plus stable que le précédent : celui d'une émulsion qui a quelque chance de tenir pendant les temps habituel de consommation.
Ajoutons alors encore de l'huile, petite quantité par petite quantité, toujours en fouettant afin de diviser l'huile en petites gouttes qui viennent s'accumuler, et l'on obtient finalement une émulsion bien ferme.
Gardons de toute cette analyse la règle principale : pour réussir une sauce mayonnaise, ou une autre émulsion analogue, il faut ajouter l'huile par petites quantités et fouetter énergiquement de telle façon à chaque ajout l'homogénéité apparente, à l'oeil nu, soit assurée.
samedi 28 juillet 2018
Les rapports de stage : la preuve !
Dans des billets précédents, je me suis expliqué à propos des rapports de stage : en réalité, il ne s'agit pas de comptes rendus des travaux, mais d'exercices écrits que les étudiants sont invités à faire, les travaux du stage servant de support à cet exercice.
Et c'est à ce titre que le rapport de stage n'est pas noté par les maîtres de stage, mais par les enseignants, qui ne doivent donc pas noter le travail effectué (lequel a déjà été évalué par le maître de stage), mais seulement la façon dont le rapport est écrit.
Il faut que la commande soit claire pour que les étudiants puissent bien faire
Pour un tel exercice écrit, il faut donc que les choses soient claires, et il ne suffit pas que l'on ait dit aux étudiants de faire dix pages maximum, ou bien de faire une table des matières, par exemple : c'est la teneur du rapport qui doit être bien explicitée, car veut-on que l'étudiant explique son travail à un spécialiste, ou à un scientifique qui n'a pas de connaissance particulière du sujet, ou bien à leurs camarades, ou bien à... Cela doit être clair.
Cela étant, stage après stage, je vois bien que les étudiants cherchent plutôt à montrer ce qu'ils ont fait que de faire un rapport selon les consignes données, et c'est donc la preuve que l'exercice qu'on leur propose est bon. On les voit râler de devoir consacrer plusieurs pages à des questions de sécurité, quand ils manquent de place pour présenter les résultats ; on les voit accumuler des annexes même quand il a été stipulé que le nombre de pages annexes comprises était limité ; on les voit faire des textes de publication, alors qu'on leur demande plutôt de faire un "rapport de stage", stage qui ne se limite pas à la conduite d'un projet, mais à la transformation de connaissances en compétences en situation professionnelle...
Surtout, nos amis oublient que l'exercice est une préparation au maniement de l'écrit, tout comme la soutenance sera une préparation au maniement de l'oral. On sait, et l'on déplore depuis au moins Platon, que certains manient si bien le langage écrit ou oral qu'ils embobinent les autres : ce sont les Rhéteurs. Raison de plus pour ne pas laisser désarmés nos futurs ingénieurs, qui devront se confronter : dans l'entreprise, ou à l'extérieur. En réalité, ces rapports de stage sont, je crois, des exercices tout à fait formels, parfaitement rhétorique, et c'est cela qui en fait la difficulté... et l'intérêt.
Et la preuve de cet intérêt est, je le rappelle, le fait que les étudiants se fourvoient si souvent dans la production de ces rapports !
Et c'est à ce titre que le rapport de stage n'est pas noté par les maîtres de stage, mais par les enseignants, qui ne doivent donc pas noter le travail effectué (lequel a déjà été évalué par le maître de stage), mais seulement la façon dont le rapport est écrit.
Il faut que la commande soit claire pour que les étudiants puissent bien faire
Pour un tel exercice écrit, il faut donc que les choses soient claires, et il ne suffit pas que l'on ait dit aux étudiants de faire dix pages maximum, ou bien de faire une table des matières, par exemple : c'est la teneur du rapport qui doit être bien explicitée, car veut-on que l'étudiant explique son travail à un spécialiste, ou à un scientifique qui n'a pas de connaissance particulière du sujet, ou bien à leurs camarades, ou bien à... Cela doit être clair.
Cela étant, stage après stage, je vois bien que les étudiants cherchent plutôt à montrer ce qu'ils ont fait que de faire un rapport selon les consignes données, et c'est donc la preuve que l'exercice qu'on leur propose est bon. On les voit râler de devoir consacrer plusieurs pages à des questions de sécurité, quand ils manquent de place pour présenter les résultats ; on les voit accumuler des annexes même quand il a été stipulé que le nombre de pages annexes comprises était limité ; on les voit faire des textes de publication, alors qu'on leur demande plutôt de faire un "rapport de stage", stage qui ne se limite pas à la conduite d'un projet, mais à la transformation de connaissances en compétences en situation professionnelle...
Surtout, nos amis oublient que l'exercice est une préparation au maniement de l'écrit, tout comme la soutenance sera une préparation au maniement de l'oral. On sait, et l'on déplore depuis au moins Platon, que certains manient si bien le langage écrit ou oral qu'ils embobinent les autres : ce sont les Rhéteurs. Raison de plus pour ne pas laisser désarmés nos futurs ingénieurs, qui devront se confronter : dans l'entreprise, ou à l'extérieur. En réalité, ces rapports de stage sont, je crois, des exercices tout à fait formels, parfaitement rhétorique, et c'est cela qui en fait la difficulté... et l'intérêt.
Et la preuve de cet intérêt est, je le rappelle, le fait que les étudiants se fourvoient si souvent dans la production de ces rapports !
vendredi 27 juillet 2018
A propos de revues prédatrices
L'annonce du fait que 5000 scientifiques allemands -dont certains parmi les meilleurs- ont publié dans des revues dites "prédatrices" mérite d'être commentée.
Les faits, d'abord :
1. jadis, les Académies étaient chargées de la publication des travaux scientifiques, et c'est à ce titre, par exemple, que l'Académie des sciences publiait les Comptes rendus de l'Académie des sciences, ou que l'Académie d'agriculture de France publiait les Comptes rendus de l'Académie d'agriculture.
2. jadis, les revues scientifiques étaient imprimées, sur du papier, donc, et cela coûtait cher, de sorte qu'il fallait des abonnements par les bibliothèques (universitaires)
3. comme la place était comptée, il fallait limiter le nombre d'articles publiés, et c'est ainsi que l'Académie des sciences introduisit une règle pour limiter à un article par auteur et par semaine, quand Henri Poincaré, au summum de sa production, faisait un article par jour ! On visait la brièveté, pour des raisons de coût.
4. mais, depuis la dernière guerre mondiale, le nombre de scientifiques a considérablement augmenté
5. et l'on a voulu évaluer ces personnes sur leur production ; comme souvent, on a jugé plus facile de juger la quantité que la qualité ; c'est plus "objectif", n'est-ce pas ?
6. mais les revues scientifiques, face à un afflux de texte, ont commencé à refuser les textes sous des prétextes variés,
7. ce qui a suscité la création de nouvelles revues, qui ont également été encombrées, et ainsi de suite
8. tandis que les scientifiques publiaient jusqu'au moindre résultat : ne le leur demandait-on pas ?
9. arriva le numérique, et la possibilité de ne plus avoir de papier : tout simple, donc, de créer une "revue"... de sorte que de petits malins proposèrent un nouveau type de publication, dites "open", où les scientifiques payent pour voir leur article publié
10. et bien sûr, quand il est question d'argent, de la malhonnêteté peut s'introduire facilement : on imagine des revues peu rigoureuses, acceptant tous les articles pourvu qu'elles soient payées, et des scientifiques peu rigoureux, payant pour voir des articles médiocres publiés rapidement.
Nous en sommes là, et l'institution se rend bien compte que le système ne fonctionne plus bien.
Les éditeurs commerciaux sont sur la brèche, parce qu'ils sont concurrencés, mais, aussi, parce que leur avidité n'est plus justifiée : on n'a pas besoin d'eux pour faire l'édition des textes (qui était restée faite par les scientifiques) ni pour faire l'évaluation des manuscrits (qui était faites par des scientifiques). Depuis deux ou trois ans, c'est la fronde des institutions contre ces groupes d'édition, au point que les abonnements ne sont pas renouvelés.
Où allons-nous ? C'est le moment que les institutions (académies, centres de recherche scientifique, universités...) reprennent en main l'évaluation de la production scientifique, que l'on n'aurait jamais dû confier à des tiers. La chose est simple, puisqu'il suffit d'un secrétariat, pour épauler les comités scientifiques qui existent déjà dans lesdites institutions.
D'autre part, c'est peut-être le bon moment, aussi, pour que l 'on rénove les règles d'évaluation de la recherche scientifique, sans considérer le nombre, mais la qualité des travaux. L'évaluation ne peut être une simple comptabilité du nombre d'articles produits... car que veut-on juger, au juste ?
La question a sa réponse : les scientifiques visent des "découvertes", et cela se saurait si l'on faisait cela tous les jours. Bien sûr, des données peuvent être publiées (à condition d'être bien produites), mais on peut s'alerter que, ces dernières années, il ait fallu passer par des cours de communication scientifique pour avoir ses articles acceptés : c'est la preuve que l'on se préoccupait de la forme, et non du fond.
Revenons donc au fond.
Les faits, d'abord :
1. jadis, les Académies étaient chargées de la publication des travaux scientifiques, et c'est à ce titre, par exemple, que l'Académie des sciences publiait les Comptes rendus de l'Académie des sciences, ou que l'Académie d'agriculture de France publiait les Comptes rendus de l'Académie d'agriculture.
2. jadis, les revues scientifiques étaient imprimées, sur du papier, donc, et cela coûtait cher, de sorte qu'il fallait des abonnements par les bibliothèques (universitaires)
3. comme la place était comptée, il fallait limiter le nombre d'articles publiés, et c'est ainsi que l'Académie des sciences introduisit une règle pour limiter à un article par auteur et par semaine, quand Henri Poincaré, au summum de sa production, faisait un article par jour ! On visait la brièveté, pour des raisons de coût.
4. mais, depuis la dernière guerre mondiale, le nombre de scientifiques a considérablement augmenté
5. et l'on a voulu évaluer ces personnes sur leur production ; comme souvent, on a jugé plus facile de juger la quantité que la qualité ; c'est plus "objectif", n'est-ce pas ?
6. mais les revues scientifiques, face à un afflux de texte, ont commencé à refuser les textes sous des prétextes variés,
7. ce qui a suscité la création de nouvelles revues, qui ont également été encombrées, et ainsi de suite
8. tandis que les scientifiques publiaient jusqu'au moindre résultat : ne le leur demandait-on pas ?
9. arriva le numérique, et la possibilité de ne plus avoir de papier : tout simple, donc, de créer une "revue"... de sorte que de petits malins proposèrent un nouveau type de publication, dites "open", où les scientifiques payent pour voir leur article publié
10. et bien sûr, quand il est question d'argent, de la malhonnêteté peut s'introduire facilement : on imagine des revues peu rigoureuses, acceptant tous les articles pourvu qu'elles soient payées, et des scientifiques peu rigoureux, payant pour voir des articles médiocres publiés rapidement.
Nous en sommes là, et l'institution se rend bien compte que le système ne fonctionne plus bien.
Les éditeurs commerciaux sont sur la brèche, parce qu'ils sont concurrencés, mais, aussi, parce que leur avidité n'est plus justifiée : on n'a pas besoin d'eux pour faire l'édition des textes (qui était restée faite par les scientifiques) ni pour faire l'évaluation des manuscrits (qui était faites par des scientifiques). Depuis deux ou trois ans, c'est la fronde des institutions contre ces groupes d'édition, au point que les abonnements ne sont pas renouvelés.
Où allons-nous ? C'est le moment que les institutions (académies, centres de recherche scientifique, universités...) reprennent en main l'évaluation de la production scientifique, que l'on n'aurait jamais dû confier à des tiers. La chose est simple, puisqu'il suffit d'un secrétariat, pour épauler les comités scientifiques qui existent déjà dans lesdites institutions.
D'autre part, c'est peut-être le bon moment, aussi, pour que l 'on rénove les règles d'évaluation de la recherche scientifique, sans considérer le nombre, mais la qualité des travaux. L'évaluation ne peut être une simple comptabilité du nombre d'articles produits... car que veut-on juger, au juste ?
La question a sa réponse : les scientifiques visent des "découvertes", et cela se saurait si l'on faisait cela tous les jours. Bien sûr, des données peuvent être publiées (à condition d'être bien produites), mais on peut s'alerter que, ces dernières années, il ait fallu passer par des cours de communication scientifique pour avoir ses articles acceptés : c'est la preuve que l'on se préoccupait de la forme, et non du fond.
Revenons donc au fond.
jeudi 26 juillet 2018
Peut-on toucher aux idoles ? C'est à l'oeuvre qu'on connaît l'artisan
Moi qui ai beaucoup
d'amiration pour l'oeuvre de Diderot, je trouve en ligne un texte à
charge contre cet homme.
En substance, l'auteur dit que Diderot était
loin d'être si vertueux que Diderot lui-même l'aurait
sous-entendu : il se serait mis en scène comme un bon père de
famille, comme un philosophe éclairé, alors qu'il aurait trompé
sa femme et mal élevé sa fille, qu'il aurait faussement aimé cette
dernière, qu'il n'aurait pas été fidèle à ses amis, que la
description de son emprisonnement à Vincennes aurait été outré,
etc.
Evidemment, quand
les critiques s'accumulent, comme ici, on doit toujours craindre des
excès de la part d'un auteur qui veut établir un point : on en
connaît plus d'un qui a fait un ouvrage pour faire un ouvrage, au
mépris de la vérité. Et l'on vient à douter de ce qui est dit, et
qui vient à l'encontre des louanges si abondamment répandues par
ailleurs. Et c'est par le même mécanisme que la biographie du
chimiste Marcellin Berthelot par Jean Jacques a souvent été
discréditée, et notamment par les descendants de Berthelot, qui
n'admettaient pas que l'on puisse critiquer leur ancêtre. Malgré
l'intelligence de Jean Jacques, malgré son intelligence littéraire,
il n'a pas réussi à éviter que ses propos ne soient rejetés car
considérés comme excessif. Oui, on ne touche pas facilement aux
idoles.
Pourtant, dans le
cas de Jean Jacques, les faits sont donnés, et on a en réalité
mille raisons de refuser d'admirer Marcellin Berthelot… car il ne
reste pas grand-chose de ce dont on l'a paré. Si Berthelot a
initialement été un méritant petit jeune homme intéressé par la
chimie, il fut manifestement le constructeur de son propre mythe, au
prix d'une certaine malhonnêteté intellectuelle.
Et pour Diderot ?
Oui, Diderot a trompé son épouse, et cela est mal… mais on pourra
aussi considérer qu'il fut merveilleusement fidèle à Sophie
Volland. Le critique nous dit que, marié initialement à une
lingère, Diderot l'aurait initialement trompé avec une aristocrate,
puis que, parvenu dans le monde, il aurait poursuivi ses infidélités.
Stricto sensu, cela est exact, mais tendancieux, et l'on
observera, à la décharge de Diderot, qu'il resta éperdument
amoureux de Sophie Volland sans aucun espoir de « parvenir ».
Diderot était sans doute trop impulsif pour être complètement
arriviste !
Notre « homme
à fiel » déplore les relations compliquées de Diderot avec
Rousseau… mais il n'y a pas que Diderot qui ait dit de Rousseau
qu'il avait un caractère déplorable, et, d'ailleurs, Rousseau s'est
fâché avec la plupart de ses amis, avec souvent des comportements
lâches et traitres (j'ajoute que je déteste la philosophie de
Rousseau, parce qu'elle me semble très néfaste, un peu comme
l'idéologie sous jacente de Thoreau : alors que j'admets
parfaitement que l'on puisse chanter la « nature », je
revendique que nous ne fassions pas l'apologie d'un retour trop naïf
à cette dernière).
Diderot à Vincennes ? Ce fut quand même le cas, et, que sa captivité ait été légère ou pas, elle a duré cent jours ! N'était-il pas véritablement intolérable que des tyrans puissent avoir le pouvoir discrétionnaire d'enfermer qui ils voulaient ?
Diderot à Vincennes ? Ce fut quand même le cas, et, que sa captivité ait été légère ou pas, elle a duré cent jours ! N'était-il pas véritablement intolérable que des tyrans puissent avoir le pouvoir discrétionnaire d'enfermer qui ils voulaient ?
Et ainsi de suite.
Diderot n'est ni bon
ni méchant, comme il le dit lui-même d'un personnage d'une de ses
œuvres ; il est humain, et il faut le juger à l'aune de son
travail, de ses oeuvres. La principale est l'Enclyclopédie, qui est
le fruit d'un travail immense, mais je ne me lasse pas de Jacques
le Fataliste.
Ce qui me fait
rervenir à une discussion sur les scientifiques et leurs oeuvres. On
sait bien que les scientifiques ne sont pas tous parfaits,
humainement, mais certains ont fait des travaux merveilleux, obtenu
des résultats extraordinaires. Louis Pasteur avait un caractère si
terrible qu'il suscita la révolte des étudiants de l'Ecole normale
supérieure… mais il découvrit quand même la chiralité et fonda
la microbiologie. Davy était vaniteux… mais il découvrit le
potassium et le sodium. Et ainsi de suite, jusqu'à Einstein, qui
quitta sa première femme, en lui laissant un enfant dont il ne
s'occupa guère.
J'ai proposé
ailleurs de ne pas seulement louer l'homme ou la femme, ce qui est
naïf, ni seulement louer l'oeuvre, ce qui ferait une science
désincarnée. Je propose mais célébrer les deux ensemble, en
s'intéressant moins aux conditions matérielles de production, qu'à
tout le travail qui a été nécessaire pour produire les oeuvres.
Inscription à :
Articles (Atom)