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lundi 3 juillet 2023

Emerveillons-nous des sciences, émerveillons-nous de la technologie, émerveillons-nous de la technique

J'insiste : aux jeunes, nous devons offrir deux voies également passionnantes, à savoir la technologie, d'une part, et la science quantitative, d'autre part. 

Il est temps que nous apprenions à nous émerveiller des extraordinaires résultats de la technique et de la technologie. 

Nos systèmes de chauffage, de transport, nos médicaments, nos cosmétiques, nos peintures et vernis, nos systèmes électroniques et informatiques... Derrière presque chaque objet de notre quotidien, il a de l'intelligence technique, de l'intelligence technologique, et parfois des applications des sciences... 

 

Mais faut-il que je retombe dans ce travers qui consiste à mettre la science très haut, et la technologie en dessous, en position de mettre en œuvre les résultats des sciences, et seulement eux ? Après tout, le fil à couper le beurre a été inventé sans que l'inventeur ne fasse usage de résultats des sciences. 

C'est là le sens d'un changement important, que je viens de faire : dans nos rendez-vous, il n'y aura plus ce « Vive les applications des sciences », mais seulement un « Vive la technologie ». Car, au fond, un ingénieur utilise tout aussi bien la langue naturelle que les résultats des sciences, pour ses innovations. 

 

Oui, les connaissances produites par la science peuvent être utilisés, mais ce serait une erreur que la technologie se limite à ces résultats. Bref, vive la technologie ! Cela étant posé, considérons la technologie. Quelle est sa méthode ? Y en a-t-il plusieurs ? 

Pour les sciences quantitatives, j'ai exposé ailleurs la stratégie générale d'observation de phénomène, de quantification, de réunion des données en lois synthétiques, de recherche inductive de mécanismes, de recherche de conséquences de la théorie et de tests de ces conséquences, à la recherche de réfutation. 

Mais pour la technologie ? Le but étant différent, on conçoit que la méthode soit également différente. Quelle est-elle ? La question est essentielle, parce que nous avons à enseigner à des jeunes ingénieurs. Et la technologie (certains disent l’ingénierie) ferait sans doute une erreur en reprenant la méthode des sciences quantitatives, parce qu'elle serait alors conduite sur la voie scientifique, qui n'est pas la sienne . 

 

Bref, je pose la question, en la divisant : - en supposant que la technologie fasse usage de résultats des sciences, comment doit-elle chercher ces résultats ? - dans la même hypothèse, comment la technologie peut-elle choisir, parmi l'ensemble des résultats, ceux qui pourront faire l'objet d'un transfert technologique ? - comment bien faire les transferts technologiques ? 

 

Je crois que le chantier est urgent. Des idées ?

mercredi 28 juin 2023

Des sciences absolument nécessaires ?

 Chers Amis 

Je reprends notre discussion sur la technologie (terme défini précédemment), et je cherche ici à savoir s'il est vrai qu'elle fait usage des sciences de la nature. 

Oui, il est certain  que l'on peut former des  ingénieurs à 

(1) comprendre les résultats les plus récents des sciences quantitatives ; 

(2) filtrer ces résultats pour ne retenir que les plus intéressants dans son champ ; 

(3) faire un transfert technologique, vers le champ technique. 

 

De la sorte, on est certain que ces ingénieurs produiront de l'innovation : puisque les résultats scientifiques qu'ils considéreront seront récents, ils n'auront probablement pas été déjà appliqués. 


 Cela étant, la question demeure : peut-on faire de la technologie sans faire de la science ? 

Je vous propose de tirer sur les deux bords opposés de votre mouchoir, et vous verrez l'apparition d'un réseau périodique : un bon ingénieur pourrait utiliser l'idée pour fabriquer des réseaux ! De même, un ingénieur qui examinerait des peaux de serpent et verrait qu'elles sont formées par des écailles en chevrons couchées les unes sur les autres pourrait penser en faire des chaussures anti-dérapantes. Pas besoin de science de la nature là non plus. 


 Ainsi, au total, si les sciences de la nature ne nuisent pas (une litote, bien sur) à la technologie, elles ne semblent pas exclusivement indispensables.  Votre avis ?

mardi 27 juin 2023

Vive la technique, vive la technologie, vive les sciences

Relisant une biographie de Justus von Liebig, je vois que celui-ci critiqua vigoureusement le gouvernement autrichien, en 1840, pour sa « mauvaise organisation universitaire » ; il s'agissait notamment de préparer le lancement de son livre sur l'Agricultural Chemistry (la chimie de l'agriculture), lequel montrait que la chimie était au cœur de l'agriculture, de l'agronomie, de la physiologie végétale. 

Le livre montrait l'importance de l'enseignement de la chimie, mais il avait peut être aussi des raisons plus personnelles, à savoir que Liebig voulait se venger d'un gouvernement qui, pensait-il, voulait éviter que les étudiants n'aillent apprendre à Giessen, avec lui.
Avec sa manière coutumière, Liebig noircissait le tableau de tous les points de vue, disant qu'il n'y avait pas de laboratoire de chimie en Autriche, et qu'on y mettait trop d'emphase sur les études littéraires et philosophiques, notamment cette « fausse déesse », cette « mort noire » qu'était la Naturphilosophie

 

Voilà un exemple très intéressant pour notre discussion du mot « chimie », et ce n'est pas le seul, dans l'histoire de Liebig. Plus tard, Liebig participera à une autre controverse, avec les Anglais cette fois, à propos de Bacon, dont il critiquait les spéculations, l'absence de travail expérimental.
On ne manquera, bien sûr, de lui opposer Isaac Newton, qui publia une œuvre bien plus grande que celle de Liebig, intitulée « philosophie de la nature ». Dans toute cette affaire, il y a la question de la science, d'une part, et de la technologie+technique d'autre part. 

 

Liebig proposait une étude technique et technologique. A bien regarder son œuvre, il y a sans cesse des questions techniques, notamment d'analyse chimique, et la multiplicité des travaux exploratoires, en vue d'identifier des composés nouveaux, ne lui a pas permis de découvrir le brome, par exemple, ni d'autres concepts importants. A passer son temps à faire de la technique, on ne fait pas de science. 

 

Il est amusant de voir que nous sommes aujourd'hui dans cette même dialectique, avec des « stratèges » qui poussent sans cesse pour plus de technologie. On se lamente sur le médiocre état de la France, en termes d' « entrepenariat », on réclame plus de technologie, moins de science. 

J'y pense : si, au lieu de dire qu'il y a trop de science, on disait surtout qu'il manque cette relation entre la science et la technique ? Si les élève ingénieurs étaient dirigés vers la technologie, au lieu d'être aspirés vers la science ? Il s'agit moins, ne croyez vous pas, de faire faire de la technologie à des scientifiques, que de bâtir durablement une nation plus « équilibrée », où les jeunes auraient le goût des « grands ouvrages » : ponts, fusées, ordinateurs... 

A cette fin, les mathématiques doivent être remplacées par le calcul (utilitaire, de quasi même nature dans le contenu), et, surtout, on doit cesser de faire croire que la technologie est une sous science ! 

Ma proposition n'est donc pas celle de Liebig, parce qu'il n'est pas nécessaire d'abaisser les uns pour rehausser les autres. Plutôt, il s'agit de clamer « vive la technologie », « vive la technique », et de montrer les beautés de ces activités. Quand même, Ariane espace fait des lancers réussis coup sur coup, depuis des années, c'est extraordinaire, merveilleux, n'est-ce pas ?

mercredi 10 mai 2023

Les "sciences appliquées" n'existent pas. Il y a (parfois) des applications des sciences

Je propose d'utiliser les mots pour ce qu'ils signifient, et non pas pour ce que nous voudrions qu'ils signifient. 

 

Dans un de mes précédents billets, il y a eu beaucoup de commentaires intéressés, mais j'ai été intéressé de voir que les critiques éventuelles portaient sur des idées fantasmées, nées de mots que j'utilisais pourtant à bon escient. 

Je répète ici, en préambule, que mes mots sont choisis, et que, en conséquence, je propose de rester à leur sens premier, le plus souvent tel qu'il est donné dans le Trésor de la langue française informatisé, cet extraordinaire du CNRS, gratuit, en ligne (<a href="http://atilf.atilf.fr/">http://atilf.atilf.fr/</a>). 

D'autre part, il est amusant de voir que les discussions sur la science, et éventuellement ses rapports avec l'activité d'application des sciences, suscite des remarques... qui n'ont rien à voir avec la question traitée. 

Qu'est-ce que la science ? Qu'est-ce que la technologie ? Ajoutons : qu'est-ce que la technique? qu'est-ce que l'art ? 

Pour ceux qui ne cherchent pas à compliquer d'emblée des choses simples, je crois qu'il n'est pas mauvais de commencer par observer qu'une activité se définit par son objectif, puis par sa méthode, éventuellement. 

1. L'objectif de la science, c'est d'agrandir le royaume du connu, de produire de la connaissance. 

2. Pour la technologie, il s'agit de produire de l'innovation, que cette dernière résulte de l'application des résultats des sciences, ou qu'il s'agisse d'être simplement "astucieux", à propos de faits techniques (je renvoie à mon "Cours de gastronomie moléculaire N°1" à ce propos, pour une distinction entre technologie globale, et technologie locale). 

3. La technique, c'est la production (de biens, de service) : technique vient de <em>techne</em>, qui signifie "faire". 

4. L'art... est quelque chose de compliqué, mais qui tourne autour du sentiments que l'oeuvre fait naître (en première approximation ; pour plus, voir mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", Editions Odile Jacob). 

 

Commençons par observer que, de même que l'on ne compare pas des pommes à des oranges, il n'y a pas lieu de comparer la science à la technologie, ou à la technique, ou à l'art. Les quatre activités ont leur intérêt propre. Il n'y a pas lieu de mettre la science au-dessus de la technologie, par exemple, sous prétexte que la technologie utilise (parfois) la science... sans quoi on serait conduit à mettre la technique au-dessus de la science, puisque la science utilise la technique pour des travaux (par exemple, il faut des tournevis pour les expériences). Donc quatre champs parallèles, avec certes des relations, mais pas de hiérarchie. 

D'autre part, il n'y a pas lieu de confisque le "pouvoir" au profit d'un groupe particulier : les scientifiques, ou les technologues, ou les techniciens, ou les artistes. Car il y a d'abord à s'interroger sur la question du "pouvoir" : le pouvoir de quoi, pourquoi ? En passant, je vois sous ma plume le mot "technologue", et il faut absolument faire un commentaire. La technique produit, et la technologie est une réflexion sur la technique, en vue d'innovations. Ces innovations sont essentielles pour un pays, et il faut donc former des jeunes capables de produire cette innovation. Je me suis déjà expliqué dans mille billets sur cette question, mais j'insiste un peu : puisque des applications sont en jeu, ces applications sont "techniques", et l'innovation est donc véritablement "technologique". Donc le nom que l'on doit donner à des individus qui exercent cette activité de recherche d'innovations est "technologues". Ils se distinguent (parfois) des "ingénieurs", dont le nom a évolué avec le temps, mais qui sont souvent des gens qui mènent des projets. 

La technologie serait-elle une "science appliquée" ? Certainement pas : ce n'est pas de la science, au sens des sciences de la nature. Et l'expression est donc fautive. Il y a des applications des sciences, mais pas de sciences appliquées. J'ajoute que cette phrase, ainsi dite, remonte au moins à Louis Pasteur, qui produisit de la belle science, mais aussi de remarquables applications des sciences. Et j'ajoute que l'innovation n'a pas toujours besoin des sciences. 

J'en prends deux exemples personnels (pardon) : mon invention ancienne du "sel glace", et mon invention récente du "beurre feuilleté" ne doivent rien à la science, mais seulement à la réflexion sur les gestes techniques (de cuisine, en l'occurrence). De même, les premiers ordinateurs personnels n'étaient pas des innovations vraiment fondées sur la science, et le succès d'Apple ne résulte donc pas véritablement d'application des sciences. 

 

Ah, tant que j'y suis : nos discussions sont souvent empêtrées avec des expressions comme "science pure", ou "science fondamentale", et je crois que nous devons les combattre. A des "sciences pures", on oppose évidemment des "sciences impures", et l'on mèle donc de la morale aux débats. Cela n'a pas lieu d'être : soit on agrandit le royaume du connu, soit on ne le fait pas. Il n'y a pas plus de science pure que de science impure. Il y a les sciences de la nature, qui produisent des connaissances, un point c'est tout. D'autre part, cela n'a pas de sens de parler de "science fondamentale" : les sciences sont les sciences, et le boson de Higgs ou les trous noirs ne sont pas le "fondement" de l'épigénétique, par exemple. En passant, on voit que l'usage d'adjectifs conduit à la faute de pensée... raison pour laquelle, dans notre groupe de recherche, nous bannissons adjectifs et adverbes, pour les remplacer le cas échéant par la réponse à la question "Combien ?".

mardi 9 mai 2023

D'abord l'objectif, en science comme en technologie

Pour ce qui concerne les bonnes pratiques scientifiques, il faut commencer par le commencement, c'est-à-dire toujours l'objectif. 

 

Et là, pour bien comprendre l'objectif de la recherche scientifique il faut que j'évoque l'activité nommée technologie, car il y a souvent des confusions entre science et technologie. 

Je crois d'ailleurs que la confusion est venue de jugements de valeur, qui n'ont rien à faire dans l'affaire. 

Disons donc, pour ce qui concerne le jugement de valeur qui a gauchi les débats, qu'il n'est pas moins bien de faire de la technologie que de faire de la science, ni d'ailleurs moins bien de faire de la science que de faire de la technologie. Les deux activités sont différentes, et toutes deux indispensables pour nos communautés, toutes deux ont leur intérêt, dans un monde où l'intellect n'est pas moins que le physique. 

 

Que sont ces deux activités ? 

 

La recherche d'applications est l'objectif de la technologie. La recherche de connaissances nouvelles est le but de la recherche scientifique. 

On voit qu'il ne faut pas tout confondre, et l'on doit éviter absolument de pervertir la recherche de connaissances scientifiques par la recherche d'applications, ou d'ailleurs de fausser la recherche d'application par la recherche de connaissances pures. 

Bien sûr, lors de travaux technologiques, il arrive que l'on trouve des connaissances nouvelles, concepts, notions, méthodes… mais c'est sans doute une bonne pratique que de bien identifier ce fait et de décider si l'on continue d'aller dans cette direction qui détourne de l'objectif. 

Bien sûr, quand on fait de la recherche scientifique, il arrive que l'on trouve des applications, mais, à nouveau, c'est une bonne pratique de le voir clairement et décider ou non d'aller dans cette direction. 

Le technologue qui irait trop dans la direction des connaissances pures faillirait à sa mission, tout comme le scientifique qui irait vers les applications. 

 

Mais, ici, l'objet était de discuter des bonnes pratiques en matière de recherche scientifique, et, tout ce qui précède étant dit, il y a donc lieu de bien comprendre ce que signifie « recherche de connaissances ». 

 

Parfois, on ajoute « pures », ou « fondamentales », pour caractériser les connaissances produites par la recherche scientifique. 

Pures ? Cela est un mauvais terme, car il s'oppose à « impures », comme si la recherche d'applications était impure. 

Non, il est préférable de dire « fondamental », car le fondement est bien ce qui supporte l'édifice : à partir de connaissances produites par la science, le technologue dispose d'un socle « frais », « nouveau », « récent », sur lequel il peut élaborer des applications nouvelles. 

Le cas de Louis Pasteur est d'ailleurs édifiant, et il faut préciser que ce que j'en dis ici est conforme à ce qu'il en disait lui-même. Pasteur, donc, a produit de nombreuses applications de ses travaux initiaux. Par exemple, c'est parce qu'il avait découvert ce concept nouveau des micro-organismes qu'il a pu explorer la confection du vinaigre, les maladies du vin, les maladies des vers à soie, la confection de la bière, les vaccins. Pasteur reconnaissait parfaitement que toutes ces applications étaient des applications, et il disait lui-même « application des sciences », reconnaissant que le temps qu'il passait à ces applications était autant de temps pris à se recherche scientifique. Il avait jugé que cela valait la peine de se détourner de la science, vu l'intérêt des applications qu'il pouvait développer. 

 

Mais revenons maintenant à la science, et à son objectif, dont il est une bonne pratique qu'il soit bien clair. 

 

L'objectif de la science est la recherche de connaissances nouvelles, que l'on obtient, jusqu'à plus ample informé, en cherchant à répondre à la question « quels sont les mécanismes ? ». Oui, à tout moment de la recherche scientifique, il y a cette question posée. Parfois elle s'estompe un peu, quand on a « les mains dans le cambouis », quand on est en train de produire des données quantitatives en caractérisant les phénomènes que l'on a décidé d'explorer, quand on cherche un peu techniquement à réunir ces innombrables données quantitatives en lois, c’est-à-dire en équations, quand on met au point, quand on exécute l'expérience avec laquelle on veut réfuter une théorie. 

Mais toujours il y a cet objectif à ne pas oublier : nous cherchons les mécanismes des phénomène. Nous ne pouvons pas nous reposer sur nos équations et a fortiori sur des données quantitatives que nous aurions produites même au prix de grands efforts ; nous ne devons pas nous arrêter à la production des données, comme cela est fait trop souvent, surtout quand le temps imparti est insuffisant (je pense à des stages, à des thèse qui ne durent plus que trois ans, à des séjours post-doctoraux). Dans notre groupe, comme dans d'autres groupes de recherche, il y a des données quantitatives en extrême abondance, et, dans notre groupe comme dans les autres, il manque trop souvent cette étape essentielle qui consiste à chercher les mécanismes des phénomènes, à produire des concepts ou notions. 

On observera que des « discussions » dans les articles scientifiques, sont le lieu d'indiquer les notions et concepts nouvellement produits : dans ces parties, il ne s'agit pas de savoir si les résultats sont cohérents, en phase avec ceux qui été produits par d'autres, antérieurement, mais bien plutôt de produire du nouveau, proposer des modèles, des théories, qui dépassent ce qui a déjà été fait. Une discussion, dans un article scientifique ; ne doit pas être une vérification ou une confirmation du passé, sans quoi c'est la faillite du travail, qui n'a donc rien découvert. 

Et un travail scientifique sans la découverte, cela n'est rien ! 

Dans les « conseils aux auteurs » des revues scientifiques, il y aurait donc lieu, pour la partie « discussion » ou « interprétation » de mettre en tout premier que l'on doit, à cet endroit, produire des connaissances nouvelles, proposer de telles connaissances : notions, concepts...

mercredi 19 avril 2023

Eloge de la technologie

 Une sorte de paradoxe que de faire l'éloge de la technologie le dimanche, alors que la technologie est le métier de l'ingénieur, dont le nom a la même étymologie qu' "engigner" : le diable, raconte-t-on, engigna la mère de Merlin l'enchanteur, en vue de faire un pendant à Jésus Christ, de faire un fils qui perdrait l'humanité (mais un prêtre présent baptisa l'enfant à la naissance, de sorte qu'il perdit sa "malice", ne gardant que des pouvoirs surnaturels.

 Vive la technologie ? La technologie permet la réalisation de l'utopie qu'est la science quantitative. 

D'accord, mais plus précisément ? La technologie, c'est l'activité  qui cherche à appliquer les sciences quantitatives pour perfectionner les techniques. 

C'est un métier très particulier, et très extraordinaire puisqu'il transforme des connaissances en objets nouveaux du monde. 

Ces temps-ci, une partie frileuse du public refuse les avancées technologiques, les innovations techniques (et, même,  frémit à l'idée que la science poursuive son travail). Pourtant ces mêmes frileux utilisent des ordinateurs, des voitures, prennent le train, l'avion,  se brossent les dents avec des dentifrices dont ils ignorent tout de la constitution (pourtant bien perfectionnée par la technologie), portent des lunettes dont les verres sont des chefs-d'œuvre techniques... 

Oublions donc ceux-là pour le moment et concentrons-nous sur la technologie. Elle doit être un état d'esprit,  comme je vais essayer de le montrer avec un exemple personnel. Un exemple qui a l'inconvénient d'être personnel (pardon, le moi est haïssable), mais qui, de ce fait, a l'avantage d'être attesté (alors que beaucoup de ce que l'on entend est douteux, de seconde main, etc.). 

Cela se passe dans les années 1980 :  ayant compris que les protéines sont d'excellents  tensioactifs, qui permettent donc de faire des émulsions,  je vois une feuille de gélatine sur ma paillasse, au laboratoire. La gélatine ? C'est une matière faite de protéines. Peut-on  donc  faire une émulsion à partir d'eau, de gélatine et d'huile ? L'expérience n'est ni difficile ni longue,  et la réponse est immédiatement donnée : on obtient une émulsion. Toutefois on n'a pas fait là une grande découverte scientifique, et une saine méthode scientifique doit nous pousser à quantifier les phénomènes, en l'occurrence à caractériser quantitativement l'émulsion. Un microscope fut donc utilisé : apparurent des gouttelettes d'huiles dispersées dans l'eau. Sur de telles images, les molécules de gélatine n'apparaissent pas, évidemment, mais on sait  (pour 1000 raisons chimiques) qu'elles sont soit aux interfaces, soit dissoutes dans l'eau. Où sont-elles ? Il faut passer du temps à cette question, répéter l'expérience, regarder,  regarder encore et... ... soudain, on voit deux gouttelettes d'huile voisines fusionner, puis deux autres, deux autres,  et ainsi de suite, mais contrairement à une coalescence telle qu'il s'en produirait si l'on avait fouetté de l'huile dans l'eau pure, la coalescence particulière des émulsions d'huile dans l'eau stabilisées par de la gélatine cesse de coalescer à partir un certain moment. 

 Pourquoi ? Parce que l'émulsion est prise dans un gel physique. Une émulsion prise dans un gel  physique ? Et si l'on en faisait de la cuisine ? Cela, c'est mon invention des « liebigs » (du nom du chimiste allemand Justus von Liebig, évidemment). 

Remplaçons l'eau par un liquide qui a du goût, ajoutons  de la gélatine, ou tout autre composé qui permettra à la fois une émulsification et  une  gélification physique, utilisons de l'huile ou tout  autre corps gras sous forme liquide, et nous pourrons reproduire l'expérience, obtenir une espèce de sauce nommée liebig, un nouveau système, tout comme l'ont été mayonnaise,  crème fouettée,  parmentier, caramel, etc.. 

 

Moralité : les liebigs  sont une préparation nouvelle, maintenant bien comprise, fruit d'un transfert technologique. Il résulte de ce moment particulier  où l'on s'est demandé : "et en cuisine, qu'est-ce que cela donnerait ?" Ce moment particulier n'est pas un moment scientifique, mais un moment technologique. Vive la technologie !

mardi 18 avril 2023

On enseigne "les sciences" ?

  Dans  les collèges, dans les lycées, dans les universités et les grandes écoles,  on enseigne « les sciences », ou, plus exactement, on prétend enseigner les sciences. 

Les sciences ? Vraiment ? 

Considérons la physique : par exemple  les résultats d'électromagnétisme. L'activité scientifique consiste à chercher des mécanismes des phénomènes. De ce fait, un enseignement scientifique, véritablement scientifique, consiste  à enseigner aux étudiants à chercher les mécanismes, et non à gober les résultats obtenus précédemment. 

 

Un  enseignement de la science doit donc se focaliser sur les méthodes qui conduisent aux mécanismes, et non seulement aux résultats obtenus dans le passé. 

On comprend donc qu'une approche historique, avec sa composante analytique, est essentielle dans un enseignement des sciences. 

Supposons maintenant  que pour des raisons variées -contraintes de temps,  par exemple- on  soit conduit à n'enseigner que les résultats. Pourquoi ferait-on cela ? Parce que l'on souhaiterait,  évidemment,  que les étudiants aient la connaissance de ces résultats, sans quoi il serait bien utile de l'enseigner, vu la masse des connaissances qui méritent de l'être utilement. 

Si les étudiants  doivent donc  connaître des lois, des mécanismes, c'est pour en faire usage. Non pas un usage scientifique, car là, ces résultats sont un peu inutiles, vu que, ce qui compte, c'est d'obtenir des résultats, non pas les connaître. 

Il faut donc conclure que, dans ce second cas, l'enseignement vise à donner une connaissance de lois qui seront appliquées, utilisées. Là,  on arrive dans la technologie. On conclut donc que, dans ce second cas, on effectue un enseignement technologique et non scientifique. 

Faudrait-il donc parler de « physique pour la technologie », par exemple, ou simplement de technologie ? 

 

Évidemment, le monde réel est plus complexe que le monde idéal, et l'on trouve dans la même classe des élèves qui se destinent à la science quantitative  et d'autres qui se destinent à la technologie, par exemple, ou à la technique, etc. Les enseignements sont donc nécessairement hybrides, mais vu le nombre de futurs scientifiques et le nombre de futurs ingénieurs, technologues, techniciens, il serait sans doute bon de ne pas être trop prétentieux, et de dire clairement que  les enseignement  que nous nommons actuellement scientifiques sont en réalité des enseignements technologiques. 

 

Mais il y a la question politique  ! 

 

La, on tient compte de faits externes, à savoir qu'il faut renouveler les populations des scientifiques, ingénieurs, techniciens. Il y a  aussi le fait que  les étudiants aspirent à « faire carrière », à avoir des emplois auquel tous ne pourront accéder,  vu leurs « capacités ». 

Que l'on me comprenne bien :  je ne dis pas qu'un individu ne puisse, à force de travail, parvenir à des résultats, bien au contraire (labor improbus omnia vincit) ! Je dis seulement  que, dans la vraie vie, il y a des étudiants qui ont un véritable amour de la connaissance, d'autres qui se cultivent en vue d'obtenir une situation qui leur fera gagner beaucoup d'argent, et, donc, qui se moquent des résultats scientifiques ; il y a ceux qui, en raison de leur environnement familial, culturel, social, ont plus de facilités à se concentrer, travailler, étudier, et il y a les autres, qui ont plus de mal (je me souviens d'étudiants d'étudiants qui, devant travailler -pour payer leurs études et pour vivre- pendant la nuit, avaient du mal à ouvrir les yeux dans la journée). 

Je dis donc que  la vie est bien difficile, et que nos  systèmes d'enseignement, recevant des étudiants en très grand nombre, n'ont pas le temps ni les moyens  de se consacrer autant qu'ils le pourraient à l'élévation de chacun. 

Inversement, je n'oublie pas non plus une certaine veulerie dont nous sommes tous plus ou moins affligés, qui consiste à regarder la télévision alors que l'on pourrait se plonger dans un livre de calcul différentiel et intégral ; je sais que, le soir, certains trouvent plus facile de lire un roman minable que d'explorer les mécanismes des réactions chimiques (et je ne suis pas blanc !). 

D'ailleurs, les raisons de ces comportements sont à analyser. Tout comme l'état d'esprit à propos des « vacances » : quand j'entends « je vais me vider la tête », j'ai toujours tendance à me demander s'il ne voudrait pas d'abord la remplir, et à la remplir de choses belles, de connaissances qui font grandir au lieu d'avilir. Panem et circenses, du pain et des jeux : l'idée n'est pas nouvelle, et l'on peut sans doute considérer qu'elle perdurera. Pour autant, on peut aussi espérer que beaucoup d'enthousiasme public, manifeste, pour la connaissance permettra à un nombre croissant  d'entre nous de nous améliorer l'esprit, régulièrement. Nous améliorer l'esprit ? 

 

Terminons ce billet en évoquant Michael Faraday, orphelin de père à 11 ans, enfant d'une famille extrêmement pauvre, qui, en plus de son travail, allait une fois par semaine dans un club d' « amélioration de l'esprit ». Cela est possible, et les exemples de ce type doivent absolument être montrés à tous. Ne laissons pas la poussière du monde nous ensevelir ! Vive la connaissance produite et partagée ! 

 

PS. Evidemment, comme on ne doit pas être insensé au point d'être assuré de ses propres certitudes, je continue à m'interroger : enseignons nous vraiment les "sciences", notamment dans le Second Degré ? Faut-il continuer à nommer les enseignement : physique, chimie, biologie ?

dimanche 16 avril 2023

Vous avez dit "recherche"

 

 En  sciences, en technologie, en technique, et ailleurs, il y a ce mot « recherche ». 

C'est un mot merveilleux, bien sûr :  au lieu de se contenter passivement de ce que l'on a, on fait l'effort de l'activité, et l'on cherche, plutôt d'ailleurs qu'on ne recherche, autre chose, sous-entendu quelque chose « de mieux ». 

De nombreux métiers sont l'occasion de faire de la recherche, mais, je ne sais pourquoi, les sciences de la nature se sont un peu accaparé ce mot, au point que l'on ne spécifie même plus  "recherche scientifique ». 

 

La recherche serait-elle l'apanage de la science,  et de la science quantitative en particulier ? Non ! 

 

Il y a de la recherche presque partout. La technologie, d'ailleurs, est par définition de la recherche : observons le mot  grec logos qui fait le suffixe. 

La technologie est la recherche  d'améliorations de la technique. Autrement dit,  quand les étudiants en sciences de la nature et en technologie déclarent vouloir se diriger vers de la recherche, cela semble bien naturel. 

Les techniciens peuvent-ils  faire la recherche ? Si le technicien cherche à améliorer la technique, il fait de la technologie, de sorte que la technique semble être condamnée à être exclue du domaine de la recherche.

 Pourtant,  les techniciens ont parfaitement le droit d'être intelligents, bien évidemment, d'être actifs, de ne pas être des machines. Confucius disait d'ailleurs que l'homme n'est pas un ustensile ; contrairement à une cruche, il n'a pas une seule fonction, mais plusieurs. 

Autrement dit,  la technique n'a pas d'intersection avec la recherche,  mais les techniciens peuvent faire autant de recherche qu'ils veulent (d'ailleurs, ne peut-on être technicien ET musicien, scientifique ET potier, etc.) 

 

Pour les sciences de la nature, le problème est inverse, d'ailleurs pour la technologie aussi. 

Cette fois, c'est une sorte de pléonasme que de parler de recherche scientifique ou de recherche technologique, puisque les sciences quantitatives sont par définition une recherche, la technologie aussi. 

A ce sujet, il me faut répéter ici qu'un pléonasme n'est pas une faute, ou une erreur ; c'est une  répétition voulue, contrairement à la périssologie, qui, elle, est un pléonasme fautif. Descendre en bas, monter en haut,  une obscurité bien sombre... Il y a là du pléonasme, qui, si l'on est négligent en parlant ou en écrivant devient une périssologie, mais le poète peut en faire des éléments de la beauté. 

 

 Vive  la recherche !

mardi 14 mars 2023

Vous avez dit "recherche" ?

 En  sciences, en technologie, en technique, et ailleurs, il y a ce mot « recherche ». 

C'est un mot merveilleux, bien sûr :  au lieu de se contenter passivement de ce que l'on a, on fait l'effort de l'activité, et l'on cherche, plutôt d'ailleurs qu'on ne recherche, autre chose, sous-entendu quelque chose « de mieux ». 

De nombreux métiers sont l'occasion de faire de la recherche, mais, je ne sais pourquoi, les sciences de la nature se sont un peu accaparé ce mot, au point que l'on ne spécifie même plus  "recherche scientifique ». 

 

La recherche serait-elle l'apanage de la science,  et de la science quantitative en particulier ? Non ! 

 

Il y a de la recherche presque partout. La technologie, d'ailleurs, est par définition de la recherche : observons le mot  grec logos qui fait le suffixe. 

La technologie est la recherche  d'améliorations de la technique. Autrement dit,  quand les étudiants en sciences de la nature et en technologie déclarent vouloir se diriger vers de la recherche, cela semble bien naturel. 

Les techniciens peuvent-ils  faire la recherche ? Si le technicien cherche à améliorer la technique, il fait de la technologie, de sorte que la technique semble être condamnée à être exclue du domaine de la recherche.

 Pourtant,  les techniciens ont parfaitement le droit d'être intelligents, bien évidemment, d'être actifs, de ne pas être des machines. Confucius disait d'ailleurs que l'homme n'est pas un ustensile ; contrairement à une cruche, il n'a pas une seule fonction, mais plusieurs. 

Autrement dit,  la technique n'a pas d'intersection avec la recherche,  mais les techniciens peuvent faire autant de recherche qu'ils veulent (d'ailleurs, ne peut-on être technicien ET musicien, scientifique ET potier, etc.) 

 

Pour les sciences de la nature, le problème est inverse, d'ailleurs pour la technologie aussi. 

Cette fois, c'est une sorte de pléonasme que de parler de recherche scientifique ou de recherche technologique, puisque les sciences quantitatives sont par définition une recherche, la technologie aussi. 

A ce sujet, il me faut répéter ici qu'un pléonasme n'est pas une faute, ou une erreur ; c'est une  répétition voulue, contrairement à la périssologie, qui, elle, est un pléonasme fautif. Descendre en bas, monter en haut,  une obscurité bien sombre... Il y a là du pléonasme, qui, si l'on est négligent en parlant ou en écrivant devient une périssologie, mais le poète peut en faire des éléments de la beauté. 

 

 Vive  la recherche !

jeudi 22 décembre 2022

Il faut réécrire sans tarder le "code de la recherche"

 Une gouvernance de la science à éclaircir !
Relisant le "Code de la recherche", document de cadrage national, je m'aperçois avec stupéfaction que l'intitulé du titre premier est "Orientation de la recherche et du développement technologique" : le mot science n'est pas prononcé !

Et, manifestement, le mot "recherche" est utilisé pour "recherche scientifique" sans que ce soit signifié, et avec un usage anglicisé de développement alors que la technologie est effectivement une recherche. Alors qu'une ligne stipule qu'il faut privilégier l'usage de la langue française.

Ces confusions étaint-elles voulues ? En tout cas elles entretiennent une ambiguïté néfaste en même temps quels sont un usage fautif de la langue.

Car il y a les sciences de la nature, d'une part, qui ne sont ni fondamentales, ni pures, mais qui sont seulement des sciences de la nature. Et, d'autre part, il y a la technologie, qui vise les applications. Et la technique, qui est l'application. L'arbre n'est pas le fruit.

D'ailleurs, dans la section 1 dudit Code, il est dit que la politique nationale de la recherche et du développement technologique vise à "accroître les connaissances" :  cela me paraît évident, non ?

Mais il est ajouté que cette politique veut aussi partager la culture scientifique, technique et industrielle  : là, on voit le mot scientifique apparaître... mais on ne voit plus le mot technologie,  alors qu'il y aurait bien lieu de l'introduire ici en bonne place.

Puis au point 3 il est question de valoriser les résultats de la "recherche" au service de la société et là encore, l'intitulé est ambigu puisque l'on ne sait pas s'il faut valoriser les résultats de la "recherche au service de la société" ou bien les "résultats de la recherche", au service de la société : l'article est si mal écrit que l'ambiguité peut ne pas être volontaire

Arrive ensuite l'expression "recherche fondamentale", une idée idiote puisqu'il existe de la science ou la technologie.

D'ailleurs on parle ensuite de sciences humaines et sociales, alors que j'ai expliqué ailleurs qu'on ferait bien mieux de parler de sciences de l'humain et de sciences de la société.

Et il est dit que ses sciences doivent jouer un rôle dans la restauration du dialogue entre science et société :  je suppose bien évidemment qu'il s'agit ici de sciences de la nature et de société.

Et ça continue, mais on est bien mal parti puisqu'on est simplement au milieu de la première page.

Je passe sur de nombreux articles dans la rédaction laisse à désirer et je m'amuse du elle 113-1 qui dit que la recherche scientifique et le développement technologique sont des priorités nationales : vu les budgets ce n'est pas clair.

samedi 19 novembre 2022

Juxtaposition

Pour donner du sens, il faut donner des « formes gustatives » à reconnaître. Juxtaposer deux goûts, c’est aussi tendre au convive une sensation (le heur des deux goûts) et une question : pourquoi l’artiste a-t-il précisément voulu cette juxtaposition ?

 

J'ai fait une proposition d'innovation à mon ami Pierre Gagnaire : 


 

Mon cher Pierre,

 Nous avons vu, le mois précédemment, comment le cuisinier jouait des concentrations en molécules aromatiques ou sapides.
Il donne un sens au met, fait œuvre, en jouant seulement de la concentration des molécules du goût, tout comme le musicien équipé d’un seul tambour peut déjà tenir sa partie, variant seulement le rythme avec lequel il frappe la peau tendue. En peinture, le rythme serait analogue à la répétition spatiale d’une couleur : pensons à des bandes de largeurs et d’espacement différents.

 

Toutefois, le rythme peut s’enrichir du son, le tableau de diverses teintes. Le plat, aussi, peut réunir des goûts variés qui évitent la monotonie du monochrome. A l’arrangement spatial s’ajoute le contraste, si important en peinture que le chimiste Michel-Eugène Chevreul engendra une école de peinture, néo-impressionniste, quand il découvrit que le voisinage d’une couleur modifie la couleur adjacente : par exemple, le bleu foncé semble jaunir le blanc voisin, en raison d’un phénomène visuel inconnu à l’époque de la découverte de la « loi du contraste simultané des couleurs » (la loi de Chevreul), mais bien exploré depuis.
Bref, le contraste a ses lois, et le contraste culinaire, notamment, mérite d’être exploré.

 La suite se trouve ici : https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/78

jeudi 18 août 2022

I don't agree



I appreciate the research of George Whitesides, as far I can judge from his scientific articles, but I don't always agree with him.
In  Using Simplicity (The Analytical Scientist, 04/25/2014), he writes : 

"For more than five decades, I have worked in academic research. The questions I and my colleagues – graduate students, postdocs, and collaborators – addressed in the beginning were “academic”, meaning that they focused purely on curiosity."
 

For example, he writes "purely on curiosity". And I have the feeling that this is inappropriate. I shall comment on it later.

Then he adds  : "They were usually great fun, but often seemed a little other-worldly."
 

Here, I have the feeling that this is his point of view, with no generality.

Next sentence : 

"More recently, I have become interested in how best to make university research both intellectually interesting (that is, science for the sake of understanding) and practically useful (that is, technology that works)."


And here, it is clear that this is only his point of view. And if he is happy in the new way, all the best, but again, nothing general.
On the other hand, I observe that "for the sake of understanding" is different from "focused on curiosity", and I have to comment on "practically useful", as it misses one point, i.e. to recognize that sciences of nature don't have only applications in technique, but also in instruction (I don't use "education", because this would mean to teach politeness, social practices, etc.).

Finally (for this introduction), he quotes the "Pasteur quadrant"... forgetting that Pasteur himself recognized very clearly that the fruit is not the tree, on one hand, and also that he felt the obligation to move from science to technology (vaccines, serums, remedies to diseases of vinegar, wine, etc.).


About sciences of nature

First, let us observe that when "science" is discussed, in this context, it means "sciences of nature", not sciences of humans and of societies. 

Now, I propose that the goal of science is "exploring the mechanisms of phenomena". And Albert Einstein can be quoted: to lift a corner of the great veil, in other words to make discoveries.
This is not a question of curiosity, or "amusement of scientists", and I have the feeling that such a description is not fair: it is a symptom of the state of mind of Whitesides, not more.
Now, I also know that Whitesides was invited to write about his personal way, in this article, but strange enough, I prefer his work than some of his personal thoughts. Indeed, I prefer  the ideas of scientists such as Michael Faraday, or Albert Einstein, even if my ideas as slightly different, as one can see about my transformations of the talk given by Albert Einstein about Max Planck.


First the Einstein's text

Principles of Research, address by Albert Einstein (1918, Physical Society, Berlin, for Max Planck's sixtieth birthday)

In the temple of science are many mansions, and various indeed are they that dwell therein and the motives that have led them thither. Many take to science out of a joyful sense of superior intellectual power; science is their own special sport to which they look for vivid experience and the satisfaction of ambition; many others are to be found in the temple who have offered the products of their brains on this altar for purely utilitarian purposes. Were an angel of the Lord to come and drive all the people belonging to these two categories out of the temple, the assemblage would be seriously depleted, but there would still be some men, of both present and past times, left inside. Our Planck is one of them, and that is why we love him.

I am quite aware that we have just now lightheartedly expelled in imagination many excellent men who are largely, perhaps chiefly, responsible for the buildings of the temple of science; and in many cases our angel would find it a pretty ticklish job to decide. But of one thing I feel sure: if the types we have just expelled were the only types there were, the temple would never have come to be, any more than a forest can grow which consists of nothing but creepers. For these people any sphere of human activity will do, if it comes to a point; whether they become engineers, officers, tradesmen, or scientists depends on circumstances. Now let us have another look at those who have found favor with the angel. Most of them are somewhat odd, uncommunicative, solitary fellows, really less like each other, in spite of these common characteristics, than the hosts of the rejected. What has brought them to the temple? That is a difficult question and no single answer will cover it. To begin with, I believe with Schopenhauer that one of the strongest motives that leads men to art and science is escape from everyday life with its painful crudity and hopeless dreariness, from the fetters of one's own ever shifting desires. A finely tempered nature longs to escape from personal life into the world of objective perception and thought; this desire may be compared with the townsman's irresistible longing to escape from his noisy, cramped surroundings into the silence of high mountains, where the eye ranges freely through the still, pure air and fondly traces out the restful contours apparently built for eternity.

With this negative motive there goes a positive one. Man tries to make for himself in the fashion that suits him best a simplified and intelligible picture of the world; he then tries to some extent to substitute this cosmos of his for the world of experience, and thus to overcome it. This is what the painter, the poet, the speculative philosopher, and the natural scientist do, each in his own fashion. Each makes this cosmos and its construction the pivot of his emotional life, in order to find in this way the peace and security which he cannot find in tbe narrow whirlpool of personal experience.

What place does the theoretical physicist's picture of the world occupy among all these possible pictures? It demands the highest possible standard of rigorous precision in the description of relations, such as only the use of mathematical language can give. In regard to his subject matter, on the other hand, the physicist has to limit himself very severely: he must content himself with describing the most simple events which can be brought within the domain of our experience; all events of a more complex order are beyond the power of the human intellect to reconstruct with the subtle accuracy and logical perfection which the theoretical physicist demands. Supreme purity, clarity, and certainty at the cost of completeness. But what can be the attraction of getting to know such a tiny section of nature thoroughly, while one leaves everything subtler and more complex shyly and timidly alone? Does the product of such a modest effort deserve to be called by the proud name of a theory of the universe?

In my belief the name is justified; for the general laws on which the structure of theoretical physics is based claim to be valid for any natural phenomenon whatsoever. With them, it ought to be possible to arrive at the description, that is to say, the theory, of every natural process, including life, by means of pure deduction, if that process of deduction were not far beyond the capacity of the human intellect. The physicist's renunciation of completeness for his cosmos is therefore not a matter of fundamental principle.

The supreme task of the physicist is to arrive at those universal elementary laws from which the cosmos can be built up by pure deduction. There is no logical path to these laws; only intuition, resting on sympathetic understanding of experience, can reach them. In this methodological uncertainty, one might suppose that there were any number of possible systems of theoretical physics all equally well justified; and this opinion is no doubt correct, theoretically. But the development of physics has shown that at any given moment, out of all conceivable constructions, a single one has always proved itself decidedly superior to all the rest. Nobody who has really gone deeply into the matter will deny that in practice the world of phenomena uniquely determines the theoretical system, in spite of the fact that there is no logical bridge between phenomena and their theoretical principles; this is what Leibnitz described so happily as a "pre-established harmony." Physicists often accuse epistemologists of not paying sufficient attention to this fact. Here, it seems to me, lie the roots of the controversy carried on some years ago between Mach and Planck.

The longing to behold this pre-established harmony is the source of the inexhaustible patience and perseverance with which Planck has devoted himself, as we see, to the most general problems of our science, refusing to let himself be diverted to more grateful and more easily attained ends. I have often heard colleagues try to attribute this attitude of his to extraordinary will-power and discipline -- wrongly, in my opinion. The state of mind which enables a man to do work of this kind is akin to that of the religious worshiper or the lover; the daily effort comes from no deliberate intention or program, but straight from the heart. There he sits, our beloved Planck, and smiles inside himself at my childish playing-about with the lantern of Diogenes. Our affection for him needs no threadbare explanation. May the love of science continue to illumine his path in the future and lead him to the solution of the most important problem in present-day physics, which he has himself posed and done so much to solve. May he succeed in uniting quantum theory with electrodynamics and mechanics in a single logical system.



Let's move on to my vision; every word counts, every difference seems essential to me

Men and women have varied reasons for being in the Castle of Natural Sciences. Their motivations, their characters, their values, their morals are as diverse as outside, in the great world. One devotes himself or herself to these Sciences because he or she takes a marvelous pleasure in it... which he or she could always justify with all the more bad faith that he or she would be more intelligent; but those do not need to waste their time justifying themselves, because it is enough for them to be there, active, engaged, happy. For them, there is this happiness of the mechanisms of the world, like gears to infinity. Their quest is a sufficient sport, a lively world, overflowing with energy, the realization of all their dreams. Their commitment is "intrinsic".

But many others also meet in this Castle, and for these others, there is no shortage of extrinsic or concomitant motivations, rather than intrinsic ones! There are those who come here to rule, to lead (over others). There are those who come there to "make a living". Those who come there because there are people, light, heating...  There are those who like the difficulty of the scientific work. Those who have been driven there by their family, their environment...  There are also those who are there because why not there rather than elsewhere. There are those who are there because the hazards of life have led them there. There are those who are there because they are merchants. There are those who are there because they admire those who have an intrinsic interest in being there, and they would like to have, like them, a kind of naive faith in the Sciences of nature, which, by the way, can lead them to strive for it. And all the others.

If an angel of God were to appear and drive out of the Castle all the men and women who belong to all categories except the first, the Castle would be much emptied, but there would still be men and women of the past and present. Among these, we would find our Jean-Marie. That's why we love him.

I know well that, by his appearance, the angel would have chased away with a light heart many men and women of value, and even some who built the Castle of the Sciences of nature. For the angel, the decision to be made would be frighteningly difficult in many cases, especially since the Castle would not have been built without many of those who were excluded, just as a forest does not survive if it is made up only of trees!
But still, it must be admitted that many could have been satisfied with any theater for their activity. Circumstances could have decided differently on their career, and they could have worked as engineers, officers, merchants, sportsmen, directors, presidents...

Let's look at those who have found grace in the eyes of the angel. They are singular, sometimes solitary and difficult to recognize. How did they get to the Castle? It's hard to say, especially since the reasons are probably not the same for everyone. Albert Einstein and Arthur Schopenhauer proposed that one of the most powerful motivations that lead to an artistic or scientific work is the will to "escape from everyday life in its cruel rigor and despairing monotony, a need to escape the chains of eternally unstable desires". This would push sentient beings to free themselves from their personal existence to seek the universe of objective contemplation and understanding. This motivation would resemble the nostalgia that draws the city dweller away from his noisy and complicated environment to the peaceful landscapes of the high mountains, where the gaze wanders through a calm and pure atmosphere, and gets lost in the restful perspectives that seem to have been created for eternity.
Personally, I believe that the -negative- rejection of a "cruel", "hopeless", "monotonous" world is not a good explanation. Can we not, rather, imagine that the intrinsic interest for the Sciences of nature is the real motivation? Besides, the world is neither cruel, nor hopeless, nor monotonous... It is the world, and we see it as we construct our vision of it: it is up to us to see it as wonderful, perfectible, of infinite variety... It doesn't matter, because the question is not there: there is in the Sciences of nature, in their practice, second after second, an intrinsic pleasure... which is not extrinsic by definition. And this is why the angel would have so much difficulty!

Yes, those who remain in the Castle seek to form a simple and clear image of the world. Thus they overcome the world of experience because they strive, to a certain extent, to replace it with this image. But not to overcome it, but to add a level of vision. To the construction of this intellectual vision, and to its realization, they devote most of their life, focusing their energy, escaping from the swirling and subjective experience of the world.

All is said. Where would Whitesides be, in this context? For sure, for scientists such as Planck and Einstein, but also Faraday and others, "science has purpose beyond simply amusing scientists"  !


Is science out-worldly? No!


Let us now discuss this expression "out-wordly". Indeed, what does it mean? As a scientist, with lectures, with articles, with teachings (at the university or within the lab, with younger scientists), I have to be over-worldly, on the contrary!
Indeed, we scientists are as all other citizens, and we spent a lot of time in administration and in communication, so that the difficulty is indeed to protect our time of scientific activity. We have to apply to grants, to evaluate and be evaluated, to manage our budgets, to discuss with the suppliers, to manage the research team... Out-wordly, you said? No, certainly no.
Indeed, one could interpret what GW wrote: he was thinking of the old opposition of science and technology, with "useless" science and "useful technology".
But first, we should that that technique is useful, rather than technology  (I know that some confuse the two, but they should not: let's use the words correctly, not according to our owns definition). Then science is definitely useful, even practically, and I take the example of Einstein's relativity theory to show it: without it, the GPS couldn't have  been introduced. You see how useful it was! Indeed the question is of timing, and we could speak of immediate usefulness and delayed usefulness... except that "useful" is an adjective... and my proposal (and recommendation) is to always replace adjectives by the answer to the question "how much?".
How would you measure the usefulness of science to instruction, for example? Is it immediate (if taught at the university, immediately, as it has to be), or delayed? Let's be cautious when we make generalities, and  comparisons!


More positively

For me, thinking does not mean "saying no", but on the contrary "saying yes". Carefully, for sure, and not to any idea, but I want "yes", enthusiasm, wonderment...
I propose to think that science, technology, technique, instruction are at the same level, considering for example that a good technician is better than a bad scientist, that a good professor is better than a bad technologists, etc. For each of these activities, the issue is the personal fun that we found in it, and comparison is needed. If you want to do technique, do it; but if you are interested (a mild word, for me), then do science ! And don't forget this wonderful sentence in Alsatian "Mir isch was mir màcht" (we are what we do).

mercredi 17 août 2022

Un exemple pour bien expliquer ce qu'est la technologie



Un collègue me demande la différence entre les sciences de la nature et la technologie. Je lui explique d'abord formellement, en indiquant bien l'objectif de l'un et de l'autre : "lever un coin du grand voile", en explorant les mécanismes des phénomènes pour les sciences de la nature, et chercher des applications des connaissances scientifiques pour le second.

Mais il m'objecte que l'exploration technologique s'accompagne souvent d'un travail qu'il dit "scientifique", et je veux lui expliquer mieux la différence.

Dans un billet précéent, j'ai déjà considéré la table des matières d'une revue scientifique de "science et technologie des aliments" pour bien montrer la différence entre les articles scientifiques, très rare, et les articles technologiques, bien plus nombreux.
Pourquoi ceux qui font un travail technologique se raccrochent-ils souvent à l'étiquette "scientifique" de façon un peu indue ? Au fond, la technologie est merveilleuse, et, politiquement, nous aurions bien raison d'expliquer à nos jeunes amis qu'elle l'est, si nous voulons contribuer à nous entourer de technologues de talent, au lieu d'avoir des technologues frustrés de ne pas faire de science.
Et puis, c'est aussi une question d'honnêteté intellectuelle, ou de bonne compréhension du monde, de clarté.

Là, pour mieux me faire comprendre,  je viens de trouver un texte qui s'intitule  :
Texture formation of dehydrated yellow peach slices pretreated by osmotic dehydration with different sugars via cell wall pectin polymers modification
L'objectif du travail rapporté était de se préoccuper de la consistance  de rondelles de pêche qui avaient été déshydratées à l'aide de divers sucres.
La déshydratation des pêches ? Une question technique (du grec techne, qui signifie "faire"). Et l'amélioration des techniques de déshydratation ? Une question technologique.

Les auteurs de l'article ont déterminé les différences dues à l'emploi de divers sucres (une caractérisation, donc), ce qui est manifestement un travail technologique : il s'agit de déshydrater des pêches, et pas de chercher des connaissances nouvelles.

Evidemment, lors de leur travail, les auteurs  ne se sont pas contentés d'observer les effets différents obtenus à l'aide de sucres différents, et ils ont  cherché à comprendre ces différences. On pourrait dire qu'ils ont "découvert" des effets différents de sucres différents, et qu'ils ont cherché à comprendre ces résultats différents. N'est-ce pas de la "science" ?

Non, car le but n'était pas de trouver des mécanismes nouveaux : nos collègues ont utilisé des connaissances classiques pour faire ce travail ; ils n'ont pas trouvé d'objet nouveau du monde (pensons aux fullérènes, à la compréhension de la décohérence quantique, etc.), ils n'ont pas introduit de concept nouveau (pensons au potentiel chimique, à l'entropie, etc.).
Bref, leur intention était de comprendre un effet à l'aide de connaissances classiques, et pas de rénover les connaissances.

C'était de la bonne technologie ; pas des sciences de la nature.

vendredi 24 septembre 2021

Et si les validations avaient une autre fonction que celle de retrouver ce qu'on sait déjà ?

 

 Je suis bien d'accord  : il faut y aller par étape. Et, à propos de validation en recherche scientifique, à propos d'enseignement de la science et de la technologie, la première chose à faire, c'est de prononcer le mot "validation"  aux étudiants, de leur expliquer que cela fait partie du travail scientifique quotidien.

Car oui, quand on fait une expérience, il y a lieu de valider un résultat que l'on a obtenu, c'est-à-dire de le répéter pour obtenir une confirmation de ce que l'on a trouvé.

Pour la science les aliments, notamment,  et la gastronomie moléculaire et physique en particulier, il est courant de faire trois fois la même expérience au minimum :
- avec la première, on obtient un résultat ;
- avec la deuxième, on a un résultat qui peut être soit proche, soit éloigné  : dans les deux cas, cela peut être du hasard
- avec la troisième expérience, il devient possible de savoir si le proche est probablement vraiment proche, ou si l'éloigné est le signe d'une des deux premières expériences ratées, ou encore s'il y a beaucoup de diversité dans la grandeur finalement déterminée.
Je n'insiste pas, mais il y a là une question épistémologique passionnante.

De même, pour les calculs :  pour s'assurer que l'on ne s'est pas trompé,  il y a lieu les valider, et l'on peut faire cela de plusieurs façons, comme avec la détermination d'un ordre de grandeur, ou par l'étude des unités, mais rien ne vaut le fait de retrouver le même  résultat par un autre calcul différent du premier.

Et ces validations expérimentales ou théoriques s'imposent absolument, car "le diable est  partout" : derrière tous les gestes expérimentaux,  derrière tous les  calculs, derrière tous les mots, derrières toutes les pensées, toutes les idées...

Il y a lieu de s'assurer que l'on n'a pas versé dans une des mille erreurs possibles, ou,  plus exactement, puisque nous savons qu'il y a mille possibilités d'erreurs, il y a lieu s'assurer qu'il n'y en a pas de gravissimes qui détruiraient tout ce que nous avons produit.

Mais, personnellement, je n'ai jamais entendu ce mot de "validation" quand j'étais étudiant, et je le déplore, tout en me promettant bien d'en faire état le plus possible aux plus jeunes que je rencontre.

Tout cela étant dit, réfléchissant à cette question de validations, j'ai fini par me souvenir que les projets n'ont pas un seul objectif mais plusieurs, et c'est ainsi qu'ils sont puissants.

Pour les validations, ne pourrions-nous part également penser que nous avons lieu d'être heureux si nous ne trouvons pas ce que nous avons produit la première fois ?
Car en réalité, nous cherchons moins des confirmations de nos théories que des réfutations de celles-ci. Et c'est précisément en nous attachant aux petites différences entre les répétitions d'une expérience que nous avons des chances d'aller plus loin que celle-ci, de progresser par rapport aux premiers résultats que nous avons obtenus.


mardi 18 mai 2021

La synthèse organique ? La chimie analytique ? Ce n'est pas toujours de la chimie

 

Naguère, il y avait cette opposition entre la chimie organique et la chimie analytique, synthèse contre analyse... Les organiciens se disaient les rois de la chimie, et les analyticiens disaient que, sans eux, on ne pouvait rien faire. Imbécile controverse.

D'ailleurs, il faut observer que la synthèse organique n'est pas toujours de la chimie, et que la "chimie analytique" usurpe parfois son nom.

Car la chimie est une science de la nature : son objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, d'explorer les transformations moléculaires.

Pas de construire des molécules, pas de faire des analyses. Car construire des molécules, c'est un métier technique, et faire des analyses aussi.

Il n'y a chimie, dans la synthèse organique, que si les constructions visent à tester des hypothèses sur des propriétés chimiques particulières, sur des voies de synthèse particulières, sur l'exploration. Et il n'y a chimie, dans la "chimie analytique", que si l'on fait autre chose que de l'analyse (technique), ou du perfectionnement des méthodes d'analyse (technologie).

De sorte que l'on renvoie nombre de protagonistes dos à dos. Et que l'on peut enfin faire rêver de jeunes amis à des activités plus claires.

jeudi 8 avril 2021

La veille bibliographique

 Dans la vie d'un scientifique comme dans celle d'un ingénieur, il y a une nécessité, à savoir disposer des connaissances les plus à jour.

Mais je me limite ici à considérer le cas des ingénieurs, qui ne sont pas censés n'être que des contremaîtres, mais qui doivent non seulement assurer la production,  et aussi l'améliorer sans cesse. D'ailleurs ce n'est pas une contrainte, mais une joie... pour ceux qui aiment ça.

Reprenons une vision simple de la différence entre technique, technologie, science : la technique produit des artefacts ; d'autre part, la science produit des connaissances  ; au milieu, entre les deux, la technologie utilise les résultats des sciences pour perfectionner la technique.

De cette analyse, il découle que l'ingénieur doit être au courant des derniers résultats scientifiques qui sont obtenus, car c'est seulement ainsi qu'il pourra faire des transferts efficace vers la technique.

La question se pose donc de savoir comment avoir connaissance des résultats scientifiques. Il est utile de savoir qu'il y a des journaux scientifiques et des journaux technologiques qui publient précisément de tels résultats : le Journal of Food Science, le Journal of Food Technology, le Journal of Agricultural and Food Chemistry, etc.

De sorte qu'il y a lieu de consulter ces journaux... mais, tout lire ? Certainement pas :  cela prendrait plus que l'on en a habituellement ! Et puis tous les articles ne sont pas d'un égal intérêt, pour celui ou celle qui les consulte.

Non, il faut surtout :
1. s'abonner aux "TOC" (les tables des matières) de ces journaux : on les reçoit par email environ une fois par semaine (par exemple)
2. s'inscrire pour recevoir des "alertes", à savoir des annonces de publications sur des thèmes qu'on a prédéfini.

Dans les deux cas, on reçoit donc un email, avec une liste d'articles. Et il s'agit alors de rapidement parcourir cette liste, afin d'identifier les articles qui nous intéressent.

Et c'est seulement les articles qui nous intéressent que nous téléchargerons que nous lirons.

L'histoire n'est pas terminée : il faut donc maintenant savoir comment les lire... mais c'est une autre histoire, qui sera contée une autre fois.


mardi 23 mars 2021

Qu'est-ce que la chimie ? Et, a contrario, qu'est-ce qui n'est pas de la chimie ?



La chimie ? je suis obligé de me répéter un peu parce que non ne cesse de m'interroger et que, au fond, ayant fait le travail d'être en mesure de répondre aux questions de ce type, c'est bien la moindre des choses que je réponde.

Pour savoir ce que c'est que la chimie, il faut partir de l'alchimie.

L'alchimie est née de l'étonnement de l'apparition de métaux quand on calcine des minerais, par exemple, ou de l'étonnement du cycle d'évaporation et de condensation de l'eau, par exemple... Car il y a dans l'environnement de l'être humain ancien une foule de phénomènes,  évidemment tous mystérieux tant que l'on n'en a pas la clé, tant qu'on en comprends pas les mécanismes.

Ces phénomènes, les êtres humains anciens n'ont pas manqué de les explorer, au moins pour certains, et cela faisait déjà une sorte de philosophie naturelle, une sorte de sciences : chercher les mécanismes des phénomènes, n'est-ce pas l'objectif des sciences de la nature ?

 Bien sûr, à l'époque, il n'avait ni la méthode scientifique que nous avons aujourd'hui, ni les outils d'analyse modernes, ni même les concepts qui sont si important pour comprendre le monde :  le concept d'inertie, le concept de force, le concept d'énergie, l'iée d'atomes et de molécules... et les incertitudes ont duré pendant des siècles à propos de ce que nous savons être aujourd'hui et réarrangement d'atomes.

Il a fallu des tâtonnements, avec les "moyens du bord",  à savoir  le broyage, le chauffage, le refroidissement, et ainsi de suite pour explorer ces transformations.
Et c'est ainsi que l'on a pu croire, au moins pour certains, que l'on trouvait dans ces métamorphoses du monde les clés de longue vie,  d'où des recherches d'élixir de pierre philosophale, etc.

Il y a eu une alchimie expérimentale, "opérative", qui consistait à effectuer des expériences, et une alchimie plus spéculative, qui faisait des théories, et des théories sans  vraiment avoir les moyens de faire, débordant parfois considérable, délirant même parfois.

C'est vers le 17e siècle qui est apparue progressivement la possibilité de comprendre les réarrangement d'atomes.

Et après quelques hésitations, c'est quand même entre la parution du premier tome de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert et l'apparition du dernier tome de cette même Encyclopédie que l'on a cessé de parler d'alchimie, dans cette quête des mécanismes des transformations et des phénomènes,  pour parler de "chymie", d'abord, puis ensuite de "chimie".

Il était  ainsi très clair, pour Lavoisier et ses successeurs que la chimie était une science de la nature :  la science qui étudie les mécanismes des transformations de la matière, ce que nous savons être aujourd'hui des réarrangement d'atome entre atomes isolés, ions, molécules, etc.

Voilà pour la chimie : la science de la nature qui explore les réarrangements d'atomes

Ce qui n'est pas de la chimie ? Les applications de la chimie ne sont pas de la chimie. Louis Pasteur le disait ainsi : le fruit n'est pas l'arbre.
Ce qui n'est pas de la chimie ? La technique chimique, les industries de la chimie. Respirer ou marcher n'est pas faire de la chimie, parce que, ainsi, on ne cherche pas les mécanismes des phénomènes par la méthode scientifique : on se contente de respirer, de marcher, comme un animal. Et même si des réarrangements d'atomes ont lieu dans l'organisme. Car on se souvient que la chimie est l'étude de ces réarrangements, par l'opération de ces réarrangements.

En conséquence, les industries qui se disent "chimiques" usurpent le mot. Et il faut le dénoncer, car cela est malhonnête.

A contrario, il y a lieu de bien dire  à nos jeunes amis que l'étude des réarrangements d'atomes, la chimie donc, est une entreprise qui est loin d'être terminée. Elle a besoin de talents !

mardi 9 mars 2021

A quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pas pour s'en servir ensuite ? c'est la question que je me pause.[sic]

"À quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pour s'en servir ensuite ? C'est la question que je me pose" :  voilà une remarque qui me vient par email et que  je propose ici de bien analyser.

Il y a d'abord la question des mots, qui va d'ailleurs avec la question de l'orthographe (la faute dans la question qui m'était adressée) et de la pensée  : j'ai la conviction que si les mots ne sont pas bons,  la pensée n'est pas juste.

Et, d'ailleurs, ici,  je suis immédiatement alerté par le mot "science"..., car je sais qu'il est miné   : j'ai fini par comprendre
- que certains nomment "science" des savoirs (la science du maître d'hôtel, la science du cuisinier...)
- qu'il existe des sciences de la nature, d'une part, et des sciences de l'humain et de la société, d'autre part. Les activités de ces deux types sont bien différentes, très "étrangères les unes aux autres".

Et comme je ne connais pas suffisamment les sciences de l'humain et de la société, d'une part, et que mon interlocuteur fait en réalité référence aux sciences de la nature, je préfère réécrire sa question pour bien la comprendre sous la forme suivante : "comprendre les sciences de la nature".
Mais, là, que cela signifie-t-il ? Comprendre les sciences de la nature ? C'est bien vague ! Mon interlocuteur veut-il dire "comprendre la nature des sciences de la nature", ou "comprendre la méthode des sciences de la nature", ou "comprendre les théories des sciences de la nature ?
Et puis, de quelle science de la nature me parle-t-il ? De toutes ? Ou bien seulement de physique ? De chimie ?
Bref, je ne sais pas ce qu'il veut dire par "comprendre la science".

Plus simplement, j'ai fini par comprendre que les sciences de la nature sont des activités dont l'objectif est la recherche des mécanismes des phénomènes,  à l'aide d'une méthode qui passe par :
1. l'identification d'un phénomène,
2. sa  caractérisation quantitative,
3. la réunion des résultats de mesure en équations nommées lois,
4. l'induction d'une théorie, avec le regroupement de ces lois et l'introduction de nouveaux concepts,
5. la recherche de prévisions théoriques, c'est-à-dire de conséquences logiques de la théorie,
6.  les tests expérimentaux de ces prévisions théoriques.

Alors "comprendre la science"... S'agit-il de se limiter à comprendre cette méthode ? Ou s'agit-il de connaître  (j'insiste : connaître) les "lois" ? De connaître les concepts (j'insiste, connaître) ?

Mais un exemple s'impose. Considérons l'effet de composé phénoliques sur la constitution d'émulsions, le phénomène étant que des émulsions faites en présence de ces composés font immédiatement deux couches, alors qu'elles n'en font qu'une sans ces composés.
Un travail scientifique peut vouloir explorer ces phénomènes, et il aboutit à l'hypothèse selon laquelle les composés phénoliques puissent se mettre à l'interface eau-huile, au milieu des phospholipides. Une telle hypothèse s'établit notamment par  résonance magnétique nucléaire, laquelle permet de voir des couplages, c'est-à-dire des modifications des signaux de résonance de certains atomes en fonction de leur "environnement chimique", à savoir la présence d'autres atomes. Dans un tel cas, le travail scientifique produit donc une théorie sur la répartition des composés phénoliques parmi les phospholipides, autour des masses liquides de lipides.

A quoi bon savoir cela ?

Pour un/e scientifique, avoir cette connaissance ne sert peut-être à rien, sauf à connaître le fonctionnement du monde, ou à utiliser ces résultats dans des études analogues, où l'hypothèse pourrait être "utile" pour produire une autre hypothèse : autrement dit, la connaissance de résultats scientifiques peut "servir" à poursuivre le travail scientifique.

D'ailleurs, la connaissance et la description du monde ne sont-ils pas de qui nous sépare des animaux ?

Pour un ingénieur ou un technologue, d'autre part, un tel résultat peut être utilisé pour stabiliser une émulsion, par exemple, ou éviter une déstabilisation.

Pour un enseignant, une telle connaissance peut servir à changer des mentalités (pensons à ces séismes intellectuels qui ont suivi le remplacement du géocentrisme par l'héliocentrisme, à la révolution copernicienne... on a même brûlé ceux qui soutenaient ce qui était contraire à la Bible !), mais, aussi, à enseigner de la saine méthodologie, ou de la méthode, par exemple.

Le fait que mon interlocuteur ne voit pas l'intérêt de la science pour elle-même montre bien qu'il n'est pas scientifique. Et que faisons-nous de l'honneur de l'esprit humain ?

Et j'insiste un peu, parce que, en ces temps de plomb où l'argent tient lieu de valeur morale, l'"utilité" est une notion bien difficile, qui mérite que l'on y pense un peu. Je ne dis pas qu'il soit mal de penser aux applications, mais je dis surtout que des scientifiques qui s'occuperaient à cela ne feraient pas leur "mission", à savoir produire des connaissances scientifiques.

samedi 27 février 2021

Des classifications ? A condition qu'elles soient utiles !

 Se pose à nouveau à moi, aujourd'hui, la question des référentiels et des examens pour les cuisiniers.

Il y a quelques années, j'avais combattu une classification fautives, qui évoquait des "cuissons par concentration" (alors qu'il n'y avait de concentration) et des cuissons dites "par expansion", où n'y avait pas non plus ce qui était dit dans le nom.

Je m'aperçois aujourd'hui que je n'ai pas pris le mal à la racine... car, au fond, pourquoi cette classification ?

Un ancien formateur me dit aujourd'hui :
"Mais en fait, jamais je n’ai entendu dans une brigade dans la bouche d’un chef ordonner de cuire par expansion etc. C’était appris pour le savoir le jour de l’examen. Donc une théorie totalement inutile."

Donc non seulement c'était faux, mais c'était de surcroît inutile ? De qui se moque-t-on ?

Et puis, quand même, y a-t-il tant de types de cuisson qu'il faille en faire une catégorisation ? On compte les cuissons sur les doigts d'une main : rôtissage, poêlage (dans un poêlon), sauté (dans une poêle), étuvage, cuisson à la vapeur, grillades...

Surtout, quel service une catégorisation peut-elle rendre ? Si elle ne rend pas un service pratique, alors il est idiot de l'utiliser. C'est de la pédanterie (quand c'est juste), ou un scandale (quand c'est faux).

Pour autant, on comprend que l'enseignement culinaire ne doive pas montrer seulement de la technique, mais s'élever à de la technologie, plus puissante.

De sorte que se pose la question de voir plus loin que le geste technique. Voir quoi ?

Comparons un pot-au-feu et un poulet rôti : on voit bien une différence, à savoir que le poulet devient croustillant et brun, alors que la viande de pot au feu devient grisâtre et molle (dans les bons cas). Si l'on analyse, ce n'est pas la question du brunissement qui est première, mais le fait que, à plus de 100 degrés (pour le rôtissage), l'eau de surface s'évapore, et la viande croûte ; ce qui ne se produit pas dans le cas du pot-au-feu.

Et c'est la raison pour laquelle, dans Mon histoire de cuisine, j'ai proposé 14 commandements aussi fondamentaux que simples, et véritablement "technologiques", car il donnent es véritables clé de la technologie culinaire au lieu d'être des mots de plus de trois syllabes prétentieusement plaqués sur les notions variables et floues.

Aujourd'hui, la question se pose à nouveau à propos de la cuisson des légumes et, de nouveau, je dépiste des terminologies foireuses.

Mais il se trouve que au même moment, je vois pour la pâtisserie des incohérences... avec le même phénomène d'interprétations technologiques fautives. Là encore, je retrouve la prétention qui ne prend pas la technologie au phénomène, mais introduit des terminologies fautives.

Il y a donc lieu de mener un grand combat, de faire un grand ménage et si nos élèves gagnent à savoir faire des gestes particuliers tels que rôtir, sauter, et cetera, il y a surtout à donner les clés technologique, car,  je le répète,  pour la pâtisserie, il y a surtout dans deux idées,  à savoir que
1. quand on m'alaxe de la farine et de l'eau, on obtient une pâte de plus en plus ferme,  parce que des protéines liées par de l'eau forment un réseau, nommé "réseau de gluten", 2. si l'on ajoute du sucre à une pâte ferme, elle perd sa fermeté, s'effondre,  parce que le sucre capte l'eau pour former un sirop dans lequel les grains d'amidon sont dispersés.
Arrêtons-nous là, et on aura déjà rendu bien service !

samedi 23 janvier 2021

Il faut donc que je m'explique mieux ; j'essaye.

Ce matin, un commentaire sur mon blog de la revue Pour la Science :

Je n'ai rien compris à l'introduction tendant à prouver que la cuisine n'est pas de la chimie. Celle-ci couvre les réaction intra comme intermoléculaires. Dès qu'il y a transformation d'une substance en une autre, c'est de la chimie. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de chimie, "science de la nature" ? Le plexiglas, les colorants azoïques, le Tergal ce n'est donc pas de la chimie ?
Bon, ceci dit j'ai apprécié la suite de l'article, c'est l'essentiel !


Décidément, il faut que j'explique pas à pas, car je ne veux certainement pas laisser planer des doutes quant à la chimie, et mon objectif est de ne pas laisser subsister des confusions, qui sont toujours la source de conflits.


Commençons par définir la cuisine, d'une part, et la chimie, d'autre part.

Pour la cuisine, je suis resté longtemps dans l'incertitude, jusqu'au jour où je suis devenu capable de dire (et d'expliquer à tous) que "la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".
Certes, la cuisine, c'est une activité de préparation des aliments à partir d'ingrédients, mais cette activité a trois composantes :
(1) La composante technique : il faut battre des blancs d'oeufs pour obtenir des blancs d'oeuf en neige ; il faut chauffer un steak pour avoir un steak cuit ; etc. Comme pour la peinture (qui ne doit pas couler), comme pour la musique (il ne doit pas y avoir de fausses notes), comme pour la littérature (il ne doit pas y avoir de fautes d'orthographe, de grammaire, etc.), la composante technique est évidemment essentielle, et cela d'autant plus que notre vie est entre les mains de ceux qui nous nourrissent.
(2) La composante artistique : je dis bien "artistique"... parce que n'est pas l'époque si lointaine où des individus bornés refusaient de donner à la cuisine, au moins pour celle de certains cuisiniers, le statut d'art, à égalité avec la peinture, la musique, la littérature, etc.
Pour bien comprendre, ici, il faut observer que le "bon", c'est le beau  à manger. Il n'y a pas de bon général, sauf à considérer que le sucré, le gras, le salé, sont appréciés par les enfants nouveaux-nés, tout comme des primates nouveaux-nés. De même que certains préfèrent les peintures de Jérome Bosch, et d'autres celles d'Hokusai, il y a ceux qui préfèrent le style de Pierre Gagnaire, et ceux qui préfèrent des cuisines plus "classiques", voire plus "populaires".
Et, tout comme on distingue les peintres en bâtiment et les Rembrandt, on distingue des cuisines d'artisans, d'artisans d'art et d'artistes. Le steak grillé frites du midi, c'est (le plus souvent) de l'artisanat : il faut que ce soit "bon", mais on ne cherche pas à pleurer d'émotion.
(3) Enfin, il y a une composante de lien social : le meilleur des plats, le mieux exécuté, ne vaut rien s'il nous est jeté à la figure. Cuisiner, c'est cuisiner pour quelqu'un... tout comme peindre, c'est faire une peinture pour qu'elle soit vue, et écrire, c'est écrire pour être lu (ne finassons pas, s'il vous plaît : je donne ici une explication succincte de dont j'ai fait tout un livre !).

La chimie, maintenant, puisque c'est surtout là que je suis en désaccord avec mon ami lecteur.
Allons-y doucement, parce que, là, j'ai eu encore plus de difficultés à comprendre que pour la cuisine. Tout a commencé quand je me suis demandé ce qu'était au juste cette activité. Une technique ? Une technologie ? Une science ? On trouvera dans la revue L'Actualité chimique ma recension d'un excellent livre sur l'alchimie (D. Kahn), qui montre excellemment que l'alchimie est devenue la chimie avant Lavoisier, progressivement. Mais il s'agissait  toujours d'une exploration de ce que l'on ignorait être des réorganisations d'atomes, des transformations moléculaires (je prends des précautions parce que, à côté des molécules, il y a les ions).
Puis, entre la publication du premier et du dernier tome de l'Encyclopédie, les choses se sont clarifiées, et la "chimie" est clairement devenue une activité scientifique. Pas une technologie, pas une technique. D'ailleurs, à l'époque, on n'aurait pas parlé de chimie pour désigner l'industrie qui usurpe ce nom aujourd'hui. Non, la chimie est bien une science.

Allons un pas plus avant : la chimie est une "science de la nature". Oui, car, parmi les "sciences", il y a des activités de différentes natures : l'histoire, la sociologie, la chimie, la physique, la biologie... Parfois, on a utilisé la terminologie "sciences exactes", mais on verra dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations ?" pourquoi je récuse cette terminologie. Pour faire vite, disons ici que :
1. l'objectif des chimie, physique, biologie... est de chercher les mécanismes des phénomènes
2. à l'aide d'une méthode qui passe par :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative de ce dernier
- réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
- production d'une "théorie" (on parle parfois de modèle) par réunion des lois et introduction de nouveaux concepts
- recherche de conséquences testables de la théorie
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
- et ainsi de suite, à l'infini, parce que les modèles réduits de la réalité ne peuvent aucunement prétendre à une description parfaite.
Bref, les sciences que sont la chimie, la physique, la biologie, et qui étaient nommées jadis "philosophie naturelle" (relisons Michael Faraday, par exemple) sont plutôt des "sciences de la nature", terme bien plus juste que "sciences exactes".

Terminons rapidement par la réponse à la question "Le plexiglas, les colorants azoïques, le tergal ce n'est donc pas de la chimie ?". Avec ce qui précède, on comprend que non, les colorants azoïques ne sont pas "de la chimie". Ce sont des produits qui ont été découverts par les chimistes, et qui sont produits par une industrie des colorants. Certains, d'ailleurs, sont synthétisés, mais d'autres peuvent être extraits de plantes. Pour le plexiglas ou le tergal, ce sont sans doute des produits synthétisés qui n'existe pas naturellement, mais ils ne sont pas "de la chimie".
On sera particulièrement attentif à la faute du partitif, que l'on explique souvent avec l'expression "le cortège présidentiel" : le cortège n'est présidentiel que s'il est lui-même le président ; sinon, c'est plus clair de parler du "cortège du président". Et cela est particulièrement important de bien veiller à cette faute quand on utilise le terme "chimique". Quand on dit "produit chimique", que dit-on au juste ? D'un produit découvert par la science qu'est la chimie ? D'un produit fabriqué par une industrie d'application de la science qu'est la chimie ? D'un composé particulier (ne pas confondre svp le terme "composé" avec celui de "molécule", comme je l'explique dans un article récemment paru : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/la-rigueur-terminologique-pour-les-concepts-de-la-chimie-une-base) ?

En tout cas, ce qui est clair, c'est que l'activité de production d'aliments à partir d'ingrédients n'a rien à voir avec une activité d'exploration du monde moléculaire : dans le premier cas, on produit des aliments, tandis que l'on produit des connaissances dans le second.
Soyons bien clairs ! L'ai-je été ?