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lundi 14 octobre 2024

La sauce brune ?

Les livres de cuisine parlent souvent de sauce brune : de quoi s'agit-il ? 

Exploration faite, dans les livres de cuisine depuis le Viandier, au 14e siècle, c'était quelque chose de si commun qu'il n'y avait presque pas lieu d'en parler. On la produisait à partir d'un roux ou de farine grillée, additionnés d'un jus de viande. 

Bien sûr il y a de nombreuses variations, l'ajout éventuel de carottes, d'oignon, de champignons, et cetera, mais, finalement, c'est toujours un peu le même type de système, et je sais par expérience que cela conduit à des sauces qui n'ont pas une grande délicatesse, dont le goût s'apparente à la couleur. 

Dans certaines des recettes, il est bien mentionné qu'il ne faut pas prendre du jus de bœuf mais du jus de veau ou de volaille, et là, on comprend que l'on a cherché à aller vers des goûts plus subtils. Dans certaines recettes, il est bien stipulé qu'il ne faut qu'une farine blonde, ce qui correspond  à des goûts plus légers. La pratique conduit à savoir aussi que les proportions de farine et de liquide sont essentielles, et, de fait, on obtient une sauce plus délicate quand on ne la fait pas trop épaisse, qu'on la dépouille. On voit aussi des recettes qui utilisent une demi glace, et d'autres qui indiquent de bien passer à l'étamine...

Bref, comme toujours, il y a une grande diversité de résultats possibles et c'est sans doute l'appropriation de la sauce à l'élément principal qui devra déterminer la pratique exacte de cette sauce brune... dont la version "élevée", "raffinée", est la "sauce espagnole".

jeudi 23 mai 2024

Comment donner un séminaire ?

 J'ai assisté hier un drôle de séminaire où l'intervenant enfilait des caractérisations de systèmes physiques qui avait tous en commun d'être "actifs" (il disait "intelligent", ce qui est bien abusif), ce qui signifie que l'on y avait placé des composés qui,  pour certains, absorbaient la lumière, pour d'autres avaient une action microbiologique, et cetera. 

Dans tous les cas, il s'agissait de disperser ses composés dans une matrice... mais  il n'était pas dit comment, pas plus que notre collègue ne décrivait  les méthodes pour mesurer les caractéristiques finales. 

Je comprends maintenant pourquoi je n'ai pas été complètement satisfait d'une telle présentation : il me manquait tous les détails essentiels de la construction des systèmes voire de la mesure de leur caractéristiques. 

Par exemple, on m'affichait une courbe de destruction de micro-organismes de certaines sortes mais on ne me disait pas comment avait eu lieu le contact entre le matériau et les micro-organismes cultivés. 

Finalement, et surtout, je n'ai pas eu le sentiment de devenir plus intelligent à la sortie de la longue litanie des caractérisation qui nous a été présentée, d'une part parce que je ne savais pas comment les résultats avaient été obtenu,  mais surtout parce que, on ne revenait pas à des mécanismes, la seule chose qui m'intéresse puisque c'est là la véritable question scientifique. 

On m'a donné un travail de technicien et pas un travail scientifique que j'attendais. De sorte que si je n'avais pas eu une vie intérieure riche, j'aurais perdu mon temps... à cela près que je comprends mieux comment mieux faire mes propres séminaires.

vendredi 30 juin 2023

L'épaississement des sauces

 L'épaississement des sauces

Les sauces ? Une montagne intellectuelle, tant il y en a, tant il y a à dire de leur constitution, de leur histoire, de leur évolution...
Ce matin, on m'interroge sur la liaison des sauces par de la gomme xanthane, et j'ai tendance à renvoyer mes interlocuteurs vers mon  livre Mon histoire de cuisine (Editions Belin), où cela est expliqué. Cependant, je m'aperçois que la question, générale pour les sauces liées à ce qui est fautivement nommé des "hydrocolloïdes", peut recevoir une explication différente. 




D'abord, il y a ce mot "hydrocolloïdes" : c'est un mot que je n'aime pas, parce que les colloïdes sont des systèmes dispersés tels que gels, mousses, suspensions, aérosols... Or on désigne par "hydrocolloïde" non pas de tels systèmes où de l'eau serait présente, mais des polysaccharides gélifiants ou épaississants, tels que les gommes de guar, caroube, xanthane, ou encore l'amidon (en réalité, un mélange d'amylose et d'amylopectine)...
Tous les polysaccharides, en effet, sont des molécules de type polymère, à savoir que ce sont des enchaînements linéaires ou ramifiés de motifs élémentaires qui, dans ce cas, sont des saccharides.

Trop compliqué : je reprends donc dans un sens inverse. Partons de D-glucose, un petit "saccharide" qui se présente, chez les pâtissiers, sous la forme d'une poudre blanche de saveur douce. Le glucose est un "composé", à savoir qu'un tas de D-glucose est constitué d'objets tous identiques  : les molécules de D-glucose.
Et c'est un monosaccharide, chaque molécule n'étant faite que d'atomes de carbone (six, attachés en un cycle hexagonal), d'atomes d'oxygène et d'atomes d'hydrogène.
Le D-glucose est un saccharide, c'est-à-dire un composé "polyhydroxylé" : dans la molécule, plusieurs atomes d'oxygène  liés à des atomes de carbone sont liés, de l'autre côté, à un atome d'hydrogène, de sorte que les chimistes voient bien le motif "-O-H", que l'on note plutôt -OH et que l'on nomme groupe hydroxyle.
Quand il y a plusieurs groupes hydroxyle, la molécule est polyhydroxylée ; simple, non ?

Bref, nous partons de D-glucose, poudre blanche où chaque grain est un cristal, formé par l'empilement régulier (pensons à un tas de cubes) de molécules de D-glucose. Et ajoutons que si l'on ajoute de l'eau à du D-glucose (souvent, en poudre, il est dit "atomisé"), on obtient un sirop de D-glucose.
Un tel liquide est effectivement sirupeux... parce que l'eau aussi, formée d'un atome d'oxygène lié à deux atomes d'hydrogène, comporte en quelque sorte ces motifs OH.
Information supplémentaire : quand une molécule porte un groupe hydroxyle (je répète : -OH) et qu'une molécule voisine comporte un atome d'oxygène, alors, pour des raisons que je n'explique pas aujourd'hui, se forme une sorte d'attraction entre l'atome d'hydrogène du groupe hydroxyle -OH et l'atome d'oxygène voisin. C'est ce que l'on nomme une liaison hydrogène. Cette liaison ajoute de la cohérence au milieu fait de l'ensemble des molécules : pensons à des mouches qui auraient envie de se coller, et qui formeront un essaim plus cohésif que si elles n'avaient pas envie de se coller. C'est pour cette raison que le sirop a plus de cohésion que l'eau pure !

Si nous lions maintenant des molécules de D-glucose par des liaisons chimiques, comme dans de nombreux polysaccharides, alors nous obtenons des polymères du D-glucose, molécules bien plus grosses que le simple D-glucose, quand elles sont composées de centaines ou milliers de résidus de D-glucose élémentaires.
Et ces molécules portent alors un très grand nombre de groupes -hydroxyle. De sorte que, quand on les met dans l'eau, elles assurent une forte cohésion à l'eau : cette dernière est "épaissie".

Et c'est ainsi que les polysaccharides lient les sauces. Et c'est ainsi que la physico-chimie est une science merveilleuse !

PS. J'ai oublié de signaler que la gomme xanthane est réglementairement considérée comme un additif de code E 415. Elle est produite par un micro-organisme... mais le vin, le fromage, le saucisson aussi sont faits par des micro-organismes. Donc rien de très inquiétant (je dis cela pour les naïfs qui croient que l'industrie est mauvaise et la nature bonne, oubliant l'amanite phalloïde et la ciguë, sans parler du lion, du typhus, du choléra, de la foudre, de la grêle...)

mardi 27 juin 2023

Vive la technique, vive la technologie, vive les sciences

Relisant une biographie de Justus von Liebig, je vois que celui-ci critiqua vigoureusement le gouvernement autrichien, en 1840, pour sa « mauvaise organisation universitaire » ; il s'agissait notamment de préparer le lancement de son livre sur l'Agricultural Chemistry (la chimie de l'agriculture), lequel montrait que la chimie était au cœur de l'agriculture, de l'agronomie, de la physiologie végétale. 

Le livre montrait l'importance de l'enseignement de la chimie, mais il avait peut être aussi des raisons plus personnelles, à savoir que Liebig voulait se venger d'un gouvernement qui, pensait-il, voulait éviter que les étudiants n'aillent apprendre à Giessen, avec lui.
Avec sa manière coutumière, Liebig noircissait le tableau de tous les points de vue, disant qu'il n'y avait pas de laboratoire de chimie en Autriche, et qu'on y mettait trop d'emphase sur les études littéraires et philosophiques, notamment cette « fausse déesse », cette « mort noire » qu'était la Naturphilosophie

 

Voilà un exemple très intéressant pour notre discussion du mot « chimie », et ce n'est pas le seul, dans l'histoire de Liebig. Plus tard, Liebig participera à une autre controverse, avec les Anglais cette fois, à propos de Bacon, dont il critiquait les spéculations, l'absence de travail expérimental.
On ne manquera, bien sûr, de lui opposer Isaac Newton, qui publia une œuvre bien plus grande que celle de Liebig, intitulée « philosophie de la nature ». Dans toute cette affaire, il y a la question de la science, d'une part, et de la technologie+technique d'autre part. 

 

Liebig proposait une étude technique et technologique. A bien regarder son œuvre, il y a sans cesse des questions techniques, notamment d'analyse chimique, et la multiplicité des travaux exploratoires, en vue d'identifier des composés nouveaux, ne lui a pas permis de découvrir le brome, par exemple, ni d'autres concepts importants. A passer son temps à faire de la technique, on ne fait pas de science. 

 

Il est amusant de voir que nous sommes aujourd'hui dans cette même dialectique, avec des « stratèges » qui poussent sans cesse pour plus de technologie. On se lamente sur le médiocre état de la France, en termes d' « entrepenariat », on réclame plus de technologie, moins de science. 

J'y pense : si, au lieu de dire qu'il y a trop de science, on disait surtout qu'il manque cette relation entre la science et la technique ? Si les élève ingénieurs étaient dirigés vers la technologie, au lieu d'être aspirés vers la science ? Il s'agit moins, ne croyez vous pas, de faire faire de la technologie à des scientifiques, que de bâtir durablement une nation plus « équilibrée », où les jeunes auraient le goût des « grands ouvrages » : ponts, fusées, ordinateurs... 

A cette fin, les mathématiques doivent être remplacées par le calcul (utilitaire, de quasi même nature dans le contenu), et, surtout, on doit cesser de faire croire que la technologie est une sous science ! 

Ma proposition n'est donc pas celle de Liebig, parce qu'il n'est pas nécessaire d'abaisser les uns pour rehausser les autres. Plutôt, il s'agit de clamer « vive la technologie », « vive la technique », et de montrer les beautés de ces activités. Quand même, Ariane espace fait des lancers réussis coup sur coup, depuis des années, c'est extraordinaire, merveilleux, n'est-ce pas ?

lundi 26 juin 2023

Changements de couleur

Une question m'arrive par courriel : 

Bonjour, J'ai toujours été passionnée par la cuisine, mais par dessus tout, j'aime comprendre comment fonctionnent les choses. J'ai beaucoup aimé votre livre Révélations Gastronomiques. Cependant une question subsiste, et je ne parviens pas à trouver une réponse satisfaisante sur internet  : d'où vient le changement d'aspect de la préparation lorsqu'on blanchit des oeufs avec du sucre ? J'ai beau savoir que cette technique n'apporte strictement rien à une recette, je me fais mal au bras chaque fois juste pour admirer la transformation, et tenter de comprendre (en vain). Auriez vous un ouvrage ou un site internet à me conseiller pour trouver des réponses? 

 

Et voici la réponse : 

 

Merci pour votre message, et votre éloge de Révélations gastronomiques. Ce n'est pas mon préféré (celui que j'aime le plus, ce sera le prochain), mais quand même, je m'étais donné du mal. 

Pour le changement d'aspect de la préparation, je vous propose de faire l'expérience de considérer un verre d'eau : c'est un liquide incolore, transparent. Si vous faites tourner très rapidement un petit fouet dans le verre, vous verrez que des bulles s'introduisent, et, si vous tournez assez rapidement, vous verrez apparaître une couleur blanche, alors que l'eau et l'air sont transparents. En réalité, la lumière du jour (blanche, en générale) pénètre sans modification notable dans l'eau (à part le fait d'être déviée), mais elle se réfléchit sur la surface des bulles, surface qui agit comme un miroir. D'ailleurs, ne voit-on pas le soleil se réfléchir à la surface de l'eau ? Une bulle, un reflet (blanc, si la lumière est blanche). Deux bulles, deux reflets ; mille bulle, mille reflets...
Reprenez la même expérience avec un blanc d'oeuf (qui est transparent et jaune) : vous verrez qu'au début, il y a des bulles avec des reflets, et, progressivement, de plus en plus de bulles de plus en plus petites, avec des reflets sur chaque. 

 

Tiens, un "exercice d'application", pour voir si j'ai été clair : quelle serait la couleur d'un blanc en neige éclairé en lumière bleue ? Réponse : bleue, parce que la lumière bleue serait réfléchie sur chaque bulle. Un autre exercice plus difficile : que verrait-on au coeur d'un blanc en neige ? Pour en revenir au blanchiment des jaunes avec le sucre, la couleur jaune s'éclaircit, parce que la préparation  foisonne, devient mousseuse. On ne voit pas les bulles, parce qu'elles sont trop petites, mais on voit les reflets blancs : blanc plus jaune, cela fait jaune clair, au lieu de jaune soutenu. 

Et ce n'est pas exact que le foisonnement n'apporte rien à la recette : dans les Séminaires de gastronomie moléculaire, vers 2001, nous avons organisé un test triangulaire pour comparer une crème anglaise avec et sans ruban... et la crème anglaise avec ruban était différente, gustativement. Plus généralement, il y a une règle : chaque fois qu'une préparation culinaire qui est fouettée blanchit, c'est souvent qu'il y a mousse ou émulsion, ou, plus généralement, un système colloïdal.