Relisant une biographie de Justus von Liebig, je vois que celui-ci critiqua vigoureusement le gouvernement autrichien, en 1840, pour sa « mauvaise organisation universitaire » ; il s'agissait notamment de préparer le lancement de son livre sur l'Agricultural Chemistry (la chimie de l'agriculture), lequel montrait que la chimie était au cœur de l'agriculture, de l'agronomie, de la physiologie végétale.
Le livre montrait l'importance de l'enseignement de la chimie, mais il avait peut être aussi des raisons plus personnelles, à savoir que Liebig voulait se venger d'un gouvernement qui, pensait-il, voulait éviter que les étudiants n'aillent apprendre à Giessen, avec lui.
Avec sa manière coutumière, Liebig noircissait le tableau de tous les points de vue, disant qu'il n'y avait pas de laboratoire de chimie en Autriche, et qu'on y mettait trop d'emphase sur les études littéraires et philosophiques, notamment cette « fausse déesse », cette « mort noire » qu'était la Naturphilosophie.
Voilà un exemple très intéressant pour notre discussion du mot « chimie », et ce n'est pas le seul, dans l'histoire de Liebig. Plus tard, Liebig participera à une autre controverse, avec les Anglais cette fois, à propos de Bacon, dont il critiquait les spéculations, l'absence de travail expérimental.
On ne manquera, bien sûr, de lui opposer Isaac Newton, qui publia une œuvre bien plus grande que celle de Liebig, intitulée « philosophie de la nature ». Dans toute cette affaire, il y a la question de la science, d'une part, et de la technologie+technique d'autre part.
Liebig proposait une étude technique et technologique. A bien regarder son œuvre, il y a sans cesse des questions techniques, notamment d'analyse chimique, et la multiplicité des travaux exploratoires, en vue d'identifier des composés nouveaux, ne lui a pas permis de découvrir le brome, par exemple, ni d'autres concepts importants. A passer son temps à faire de la technique, on ne fait pas de science.
Il est amusant de voir que nous sommes aujourd'hui dans cette même dialectique, avec des « stratèges » qui poussent sans cesse pour plus de technologie. On se lamente sur le médiocre état de la France, en termes d' « entrepenariat », on réclame plus de technologie, moins de science.
J'y pense : si, au lieu de dire qu'il y a trop de science, on disait surtout qu'il manque cette relation entre la science et la technique ? Si les élève ingénieurs étaient dirigés vers la technologie, au lieu d'être aspirés vers la science ? Il s'agit moins, ne croyez vous pas, de faire faire de la technologie à des scientifiques, que de bâtir durablement une nation plus « équilibrée », où les jeunes auraient le goût des « grands ouvrages » : ponts, fusées, ordinateurs...
A cette fin, les mathématiques doivent être remplacées par le calcul (utilitaire, de quasi même nature dans le contenu), et, surtout, on doit cesser de faire croire que la technologie est une sous science !
Ma proposition n'est donc pas celle de Liebig, parce qu'il n'est pas nécessaire d'abaisser les uns pour rehausser les autres. Plutôt, il s'agit de clamer « vive la technologie », « vive la technique », et de montrer les beautés de ces activités. Quand même, Ariane espace fait des lancers réussis coup sur coup, depuis des années, c'est extraordinaire, merveilleux, n'est-ce pas ?