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mardi 9 février 2021

Qui a la charge de la preuve ? Celui qui soutient une thèse !

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude

 

 

Au fond, il y a quand même un peu lieu de s'étonner à propos des indications techniques que donnent certains cuisiniers,  ar exemple à propos du fait que la viande serait cautérisée quand elle est saisie. En réalité,  on sait bien qu'il n'en n'est rien, car quand on soulève un steak qui était grillé, après qu'on l'a posé sur une assiette, à la sortie de la poêle, on voit bien qu'il repose sur sur une mare de jus : je ne sais pas bien ce qu'est une "cautérisation" (mais mes amis qui utilisent ce mot le savent-ils mieux que moi ?), mais nous voyons tous parfaitement que, cautérisation ou pas, nous avons la preuve que les liquides sont sortis et que cette sortie n'a pas été évitée par le fait de saisir la viande.  


La question que je pose aujourd'hui est savoir pourquoi on nous serine de telles erreurs avec autant d'imprudence ou d'impudence. Et je m'étonne aussi que l'on   doive aujourd'hui faire tout notre possible pour réfuter ces erreurs, alors qu'il aurait été plus naturel que ceux qui prétendent l'existence de la cautérisation des viandes saisies en apportent la preuve (et ils n'auraient alors pas pu le faire). Bref, pourquoi, dans un milieu pourtant techniques, dit-on parfois n'importe quoi ? Pourquoi  cause-t-on ainsi dans le vide depuis des siècles ? Pourquoi n'a-t-on pas établi les faits auparavant ? 


Bien sûr, les anciens avaient des excuses, puisqu'ils n'avaient pas la notion de molécules que nous avons aujourd'hui, ils ignoraient les vrais mécanisme de la capillarité ou de l'osmose, ils ignoraient la constitution des viandes... Mais quand même, il y en a eu beaucoup, qui, plus récemment, alors que ces connaissances sont disponibles (mais il faut reconnaître que c'est du "travail" d'aller les chercher) ont raconté n'importe quoi avec un aplomb extraordinaire.
Oui, il nous faut détester l'argument d'autorité ! Il faut détester ceux qui, réputés compétents par une communauté ou par eux-mêmes, se sont laissés aller à dire plus qu'ils ne savaient, car cela est de la prétention. 


Après vingt ans de séminaires de gastronomie moléculaire, nous avons eu très fréquemment l'occasion de voir que le milieu culinaire n'a qu'exceptionnellement fait des expériences de comparaison, avec un seul facteur changé, et des procédés rigoureux : pesée, mesures de temps, de température, de pH, observations au microscopes.
Les cuisiniers sont pour certains des artistes, et leur question est le bon, donc le beau à manger, pour lequel il n'y a rien à discuter, mais quand ils vont sur le terrain technique, ils ont intérêt à être prudents, car que peut penser leur entourage s'ils se mettent à divaguer ?  

Mais il y a des raison d'être optimistes : depuis une dizaine d'années, les professeurs de cuisine sont formés à la technologie. On leur apprend à faire des expériences, et ils apprennent cela à leur élèves. Oui, ayons confiance : la prochaine génération de cuisiniers français sera techniquement plus assurée que la précédente !

Restera la question de l'Art !

samedi 23 janvier 2021

Il faut donc que je m'explique mieux ; j'essaye.

Ce matin, un commentaire sur mon blog de la revue Pour la Science :

Je n'ai rien compris à l'introduction tendant à prouver que la cuisine n'est pas de la chimie. Celle-ci couvre les réaction intra comme intermoléculaires. Dès qu'il y a transformation d'une substance en une autre, c'est de la chimie. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de chimie, "science de la nature" ? Le plexiglas, les colorants azoïques, le Tergal ce n'est donc pas de la chimie ?
Bon, ceci dit j'ai apprécié la suite de l'article, c'est l'essentiel !


Décidément, il faut que j'explique pas à pas, car je ne veux certainement pas laisser planer des doutes quant à la chimie, et mon objectif est de ne pas laisser subsister des confusions, qui sont toujours la source de conflits.


Commençons par définir la cuisine, d'une part, et la chimie, d'autre part.

Pour la cuisine, je suis resté longtemps dans l'incertitude, jusqu'au jour où je suis devenu capable de dire (et d'expliquer à tous) que "la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".
Certes, la cuisine, c'est une activité de préparation des aliments à partir d'ingrédients, mais cette activité a trois composantes :
(1) La composante technique : il faut battre des blancs d'oeufs pour obtenir des blancs d'oeuf en neige ; il faut chauffer un steak pour avoir un steak cuit ; etc. Comme pour la peinture (qui ne doit pas couler), comme pour la musique (il ne doit pas y avoir de fausses notes), comme pour la littérature (il ne doit pas y avoir de fautes d'orthographe, de grammaire, etc.), la composante technique est évidemment essentielle, et cela d'autant plus que notre vie est entre les mains de ceux qui nous nourrissent.
(2) La composante artistique : je dis bien "artistique"... parce que n'est pas l'époque si lointaine où des individus bornés refusaient de donner à la cuisine, au moins pour celle de certains cuisiniers, le statut d'art, à égalité avec la peinture, la musique, la littérature, etc.
Pour bien comprendre, ici, il faut observer que le "bon", c'est le beau  à manger. Il n'y a pas de bon général, sauf à considérer que le sucré, le gras, le salé, sont appréciés par les enfants nouveaux-nés, tout comme des primates nouveaux-nés. De même que certains préfèrent les peintures de Jérome Bosch, et d'autres celles d'Hokusai, il y a ceux qui préfèrent le style de Pierre Gagnaire, et ceux qui préfèrent des cuisines plus "classiques", voire plus "populaires".
Et, tout comme on distingue les peintres en bâtiment et les Rembrandt, on distingue des cuisines d'artisans, d'artisans d'art et d'artistes. Le steak grillé frites du midi, c'est (le plus souvent) de l'artisanat : il faut que ce soit "bon", mais on ne cherche pas à pleurer d'émotion.
(3) Enfin, il y a une composante de lien social : le meilleur des plats, le mieux exécuté, ne vaut rien s'il nous est jeté à la figure. Cuisiner, c'est cuisiner pour quelqu'un... tout comme peindre, c'est faire une peinture pour qu'elle soit vue, et écrire, c'est écrire pour être lu (ne finassons pas, s'il vous plaît : je donne ici une explication succincte de dont j'ai fait tout un livre !).

La chimie, maintenant, puisque c'est surtout là que je suis en désaccord avec mon ami lecteur.
Allons-y doucement, parce que, là, j'ai eu encore plus de difficultés à comprendre que pour la cuisine. Tout a commencé quand je me suis demandé ce qu'était au juste cette activité. Une technique ? Une technologie ? Une science ? On trouvera dans la revue L'Actualité chimique ma recension d'un excellent livre sur l'alchimie (D. Kahn), qui montre excellemment que l'alchimie est devenue la chimie avant Lavoisier, progressivement. Mais il s'agissait  toujours d'une exploration de ce que l'on ignorait être des réorganisations d'atomes, des transformations moléculaires (je prends des précautions parce que, à côté des molécules, il y a les ions).
Puis, entre la publication du premier et du dernier tome de l'Encyclopédie, les choses se sont clarifiées, et la "chimie" est clairement devenue une activité scientifique. Pas une technologie, pas une technique. D'ailleurs, à l'époque, on n'aurait pas parlé de chimie pour désigner l'industrie qui usurpe ce nom aujourd'hui. Non, la chimie est bien une science.

Allons un pas plus avant : la chimie est une "science de la nature". Oui, car, parmi les "sciences", il y a des activités de différentes natures : l'histoire, la sociologie, la chimie, la physique, la biologie... Parfois, on a utilisé la terminologie "sciences exactes", mais on verra dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations ?" pourquoi je récuse cette terminologie. Pour faire vite, disons ici que :
1. l'objectif des chimie, physique, biologie... est de chercher les mécanismes des phénomènes
2. à l'aide d'une méthode qui passe par :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative de ce dernier
- réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
- production d'une "théorie" (on parle parfois de modèle) par réunion des lois et introduction de nouveaux concepts
- recherche de conséquences testables de la théorie
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
- et ainsi de suite, à l'infini, parce que les modèles réduits de la réalité ne peuvent aucunement prétendre à une description parfaite.
Bref, les sciences que sont la chimie, la physique, la biologie, et qui étaient nommées jadis "philosophie naturelle" (relisons Michael Faraday, par exemple) sont plutôt des "sciences de la nature", terme bien plus juste que "sciences exactes".

Terminons rapidement par la réponse à la question "Le plexiglas, les colorants azoïques, le tergal ce n'est donc pas de la chimie ?". Avec ce qui précède, on comprend que non, les colorants azoïques ne sont pas "de la chimie". Ce sont des produits qui ont été découverts par les chimistes, et qui sont produits par une industrie des colorants. Certains, d'ailleurs, sont synthétisés, mais d'autres peuvent être extraits de plantes. Pour le plexiglas ou le tergal, ce sont sans doute des produits synthétisés qui n'existe pas naturellement, mais ils ne sont pas "de la chimie".
On sera particulièrement attentif à la faute du partitif, que l'on explique souvent avec l'expression "le cortège présidentiel" : le cortège n'est présidentiel que s'il est lui-même le président ; sinon, c'est plus clair de parler du "cortège du président". Et cela est particulièrement important de bien veiller à cette faute quand on utilise le terme "chimique". Quand on dit "produit chimique", que dit-on au juste ? D'un produit découvert par la science qu'est la chimie ? D'un produit fabriqué par une industrie d'application de la science qu'est la chimie ? D'un composé particulier (ne pas confondre svp le terme "composé" avec celui de "molécule", comme je l'explique dans un article récemment paru : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/la-rigueur-terminologique-pour-les-concepts-de-la-chimie-une-base) ?

En tout cas, ce qui est clair, c'est que l'activité de production d'aliments à partir d'ingrédients n'a rien à voir avec une activité d'exploration du monde moléculaire : dans le premier cas, on produit des aliments, tandis que l'on produit des connaissances dans le second.
Soyons bien clairs ! L'ai-je été ?
 

mercredi 4 novembre 2020

L'innovation ? Il s'agit d'être très clair : c'est une question de technologie, pas de science


Tout a commencé
avec la préparation d'une conférence que je dois faire en mars, pour une communauté internationale de cuisiniers. L'organisateur me demande :

Pourriez-vous nous indiquer brièvement comment votre présentation va discuter la question de l'innovation ?

Et j'avais répondu :
 

Les inventions mensuelles que je présente depuis 20 ans, d'abord pour mon ami Pierre Gagnaire (en français, car -même si je suis alsacien- c'est une langue très intéressante : voir https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux/2) sont une démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'elles rendent cela possible. Si ce n'est pas de l'innovation, qu'est-ce que c'est ?
Mais avec la "cuisine note par note", le pouvoir d'innovation est encore plus grand, parce que c'est un nouveau continent, comme lorsque l'Amérique a été découverte. Et la question est maintenant : allez-vous traverser l'Atlantique pour le découvrir ?
Gardez à l'esprit que dans mes cours de Master sur l'innovation, en particulier (mais pas seulement dans le cadre du programme Erasmus Mundus Plus "Innovation alimentaire et conception de produits ; voir par exemple https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/Cours_2019-2020 et https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR&curdirpath=/docs%20HTHIS/7_applications_of_mg), je démontre que l'introduction de nouveaux plats n'est rien de vraiment... car j'ai introduit trois infinités de nouveaux systèmes. Non, la question c'est l'art et l'amour, et là la question est beaucoup plus intéressante.



Manifestement, je n'ai pas été assez clair, parce que je reçois ensuite la réponse suivant :
 
J'apprécie votre réponse rapide. Si je vous comprends bien, votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela. À bien des égards, le processus de création de vos plats n'a pas pour but d'innover, mais plutôt d'exprimer l'art et l'amour ? Ai-je bien compris ?
Questions complémentaires :
1.       Pourquoi la cuisine "note par note" est-elle comme la découverte de l'Amérique ? Pouvez-vous en dire plus ?
2.       Qu'est-ce qui stimule ou inspire votre créativité ?
3.       Lorsque vous décomposez les aliments en leurs composés élémentaires, vous pouvez obtenir des milliards de nouvelles combinaisons de plats. Toutes ces possibilités vous dépassent-elles parfois ? Comment choisissez-vous les combinaisons qui fonctionnent ensemble et assurez-vous qu'elles mènent à un beau produit final ?  


Là, il faut vraiment que je m'explique mieux, ce que je fais maintenant

1. À propos de "votre travail (gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire et cuisine note par note) ne consiste pas à créer de "nouveaux plats", c'est bien plus que cela", ma réponse est : c'est sûr, la gastronomie moléculaire n'a rien à voir avec l'innovation car c'est une science de la nature, et le but ici est de "chercher les mécanismes des phénomènes, en utilisant la "méthode scientifique", qui passe :
1. identification d'un phénomène
2. la caractérisation quantitative du phénomène
3. le regroupement des données de mesure (à partir de 2) en "lois" (c'est-à-dire en équations)
4. introduire de nouveaux concepts afin de faire des "théories" (c'est-à-dire des groupes d'équations + des concepts proposant une description quantitative du phénomène)
5. la recherche de prédictions testables de la théorie
6. tests expérimentaux des prévisions théoriques (à partir de 5)
Et ainsi de suite,  pour toujours.

Vous voyez que le but des sciences de la nature n'a rien à voir avec l'innovation.
L'innovation est le but de la technologie, et ici, oui, la cuisine moléculaire et la cuisine note par note sont intéressées.

Au fait :
1. avec Nicholas Kurti, nous avons introduit la "gastronomie moléculaire" (ou plus précisément la "gastronomie moléculaire et physique"
2. mais nous promouvions également la cuisine moléculaire (et s'il est vrai que nous avons montré comment la faire, nous ne l'avons pas "pratiquée", car elle est destinée aux chefs, pas aux scientifiques
3. J'ai introduit la cuisine note par note en 1994, et je la fais connaître dans le monde entier ; je la pratique quotidiennement dans ma cuisine, mais je n'oublie pas que je ne suis pas un chef.
Et enfin, n'oubliez pas que ma vie quotidienne est une science, pas une cuisine. J'attache une de mes productions, et vous verrez que cela n'a rien à voir avec la cuisine (l'article sur les statgels et les dynagels)


2. A propos de votre " le processus créatif derrière vos plats n'a pas pour but l'innovation, mais plutôt l'expression de l'art et de l'amour ? "
Pas exactement. Les plats que j'invente sont sans aucun doute la démonstration que les sciences de la nature sont si puissantes qu'il est facile d'innover techniquement. Mais je recommande aux chefs cuisiniers : parce que l'innovation technique est si facile (du moins pour moi), concentrez-vous sur l'amour et soyez.

Questions complémentaires :

1. La cuisine note par note montre en effet un immense continent de nouvelles possibilités culinaires : nouvelles consistances, nouvelles saveurs, nouveaux goûts, nouvelles odeurs, nouvelles couleurs.

2. N'oubliez pas que ma "créativité" est une question de science. Et ici, c'est une question très difficile, mais vous trouverez la réponse dans mon article sur la "stratégie scientifique" (voir document ci-joint)

3. Me submerger ? Pourquoi en effet ? Mais oui, pour les chefs, la question est maintenant de choisir ce qu'ils veulent faire. Et c'est pourquoi je dis que vous avez une autre question que celle de l'"innovation" (technique).
Disons-le autrement :
- avec mes "formalismes", je vous montre une infinité de nouveautés (imaginez que je les mette sur une table, devant nous)
- Lequel choisissez-vous ? Il est évident qu'il vous faut un autre critère que la technique
D'ailleurs, toutes les combinaisons "fonctionnent ensemble", il n'y a pas de problème ici.

Mais finalement, vous avez dit le bon mot "beau produit final" : beau, et c'est pourquoi j'ai fait mon livre "La cuisine, un art quintessenciel" (The University Press of California), dont le titre en français était "La cuisine : c'est l'amour, l'art, la technique". Vous voyez : l'art ! Parce que "bon" signifie "beau à manger", et cela n'a rien à voir avec la technique.



mercredi 9 septembre 2020

Exposons nos étudiants à des personnalités remarquables

1. Alors que j'ai publié un billet où je m'étonnais que des étudiants en master technologique hésitent (parce qu'ils sont timorés ou paresseux) à se lancer dans l'industrie, je reçois un commentaire d'un internaute qui dénonce un modèle capitalistique qui justifierait l'attitude des étudiants.
 

2. D'une part, je ne suis pas d'accord avec lui, &, d'autre part, je ne veux pas perdre une seconde à essayer de convaincre quelqu'un qui ne veut pas être convaincu. 

 

3. D'ailleurs, cet interlocuteur omet le fait que toutes les sociétés ne sont pas des multinationales avides : il y a nombre d'artisans et de petites sociétés qui font très bien... à commencer par donner de l'emploi !
Quant aux grosses sociétés, j'y ai des amis, et ce sont des personnes engagées, responsables, de sorte que notre interlocuteur est à la fois bien prétentieux & bien faux : sait-il la fierté de produire des aliments pour ceux qui n'auront plus qu'à descendre de leur appartement pour s'approvisionner, à quasiment n'importe quelle heure du jour ou de la nuit ? et dans des conditions de sécurité sanitaire qui ne sont certainement pas celles de foyer où le réfrigérateur est (mal) réglé à 11 °C, au lieu de la température plus basse qui est préconisée ? Notre interlocuteur a-t-il la prétention de savoir nourrir dix millions de Français qui vivent en Île-de-France, loin des champs ? 

4. Mais ne nous attardons pas, comme j'ai dit. Ce que je pensais, en filigrane de mon billet, c'est que nous avons eu tort de ne pas exposer davantage nos étudiants à des personnalités remarquables du monde industriel.
Car je me souviens de Jean Muller, qui construisit les grands ponts du monde : quel bel exemple ! Et je connais des chimistes de talents à qui l'on doit des composés rétroviraux, des héparines artificielles, des peintures qui ne coulent pas dans les manches, des vitres qui ne se rayent plus, sans parler des ordinateurs que nous ne cessons d'utiliser. 

5. Celles et ceux qui sont à l'origine de ces réalisations : voilà des exemples admirables, voilà ceux que nous devons présenter à nos étudiants. Il faut combattre le panem et circenses cathodiques -qui ne cesse de mettre des minables en valeur- à l'aide d'exemples bien choisis, qui donneront l'envie d'aller contribuer à l'amélioration technique.

mardi 21 juillet 2020

Ne transmettons pas des erreurs à nos amis

1. J'ai fini par m'en apercevoir mieux encore, mais j'en ai eu la confirmation par des amis cuisiniers : malgré les efforts de l'inspection de l'Education nationale, l'enseignement de la cuisine reste fondé sur la reproduction de gestes du professeurs, et de répétitions, en vue d'arriver à des résultats "conformes".

2. Cette méthode s'explique par la connaissance insuffisante de la physico-chimie des transformations culinaires, et aussi par leur abstraction, qui en rebute plus d'un de ceux qui veulent de la pratique. Bref, on est dans la technique plutôt que dans la technologie.

3. Et la technique était dans le soin que l'on prend à exécuter, on reste sur des gestes anciens, des matériels anciens, des méthodes anciennes, au lieu d'être dans une démarche novatrice, créatrice...

4. Bien sûr, on peut proposer aux étudiants de découvrir des cuisines du présent... mais il faut  à cette fin que les professeurs y soient formés, qu'ils soient à la pointe technique. Le sont-ils ? Bien peu se sont lancés dans la cuisine note à note, et j'en vois pour signe que très peu de Français participent au Concours international de cuisine note à note.

5. Je vois aussi qu'il y aurait lieu d'épauler la reproduction (on n'y échappera pas, soyons lucides) par des invitations à critiquer la technique qu'ils apprennent. Le simple questionnement devrait contribuer, en termes d'ingrédients, de méthodes, d'ustensiles... Bref, il y a tout à faire !

mardi 7 avril 2020

Quelles relations entre 'activité nommée "cuisine" et l'activité nommée "chimie" ?



1. Commençons par observer que la cuisine est une activité "technique" : le mot "technique" vient du grec techne, qui signifie "faire". Et, de ...fait, on "fait" quand on produit un mets.
Naguère, il y  également eu une activité de fabrication de métaux, de bougies, de médicaments, de couleurs, de cosmétiques... et cela fut, comme la cuisine, du technique qui engendra des réflexions sur le pourquoi des phénomènes observés, et, à partir de la Renaissance, des sciences de la nature.
Oui, la cuisine est une base à partir de laquelle la chimie est née, mais la métaphore de l'engendrement n'est pas juste, car la chimie n'est pas "fille" des arts techniques, mais d'une autre nature.

2. Observons que, en français, il n'y a pas d'autre mot que "cuisine" pour désigner la production d'aliments à partir d'ingrédients. Certes, certains me diront qu'il vaudrait mieux parler de "mets" que d'aliments ; pourquoi pas, puisque la définition des aliments n'impose pas qu'ils soient préparés, en langue française (je maintiens que le Trésor de la langue française informatisé, du CNRS, est le seul dictionnaire officiel, puisqu'il n'est pas produit par un organisme commercial).
D'autre part, je maintiens aussi (puisque c'est ce que montre parfaitement l'histoire des techniques et des sciences) que la "chimie" n'est pas la production de composés, à partir de  composés différents, mais bien la science de la nature qui  explore ces transformations. Le mot "chimie" a toujours désigné cette activité, et il continue de le faire, de sorte qu'il faut un autre nom pour désigner la techique qui met en oeuvre les phénomènes.

3. Donc la cuisine, d'un côté, et la chimie, de l'autre. Deux activité qui sont préparées dans des pièces respectivement nommées "cuisine" et "laboratoire"... à cela près que les charcutiers, les pâtissiers, et d'autres professionnels travaillent aussi dans un lieu nommé "laboratoire". Le mot vient de labeur, travail. Mais on aurait tort de penser que le chimiste se limite à son laboratoire, car l'activité des sciences de la nature a en réalité deux composantes indissociables : l'expérience et le calcul. Pas de science sans les deux activités. Et c'est la raison pour laquelle j'ai naguère proposé de parler plutôt de sciences de la nature que de sciences expérimentales.

4. Oui, en cuisine, il  y a des gestes qui ressemblent à ceux de certains chimistes, quand ils en sont à faire la partie expérimentale de la chimie : broyer, découper, chauffer, refroidir... Cela ressemble,  et alors ? Le cuisinier et le chimiste respirent, marchent, aiment, mangent, boivent... mais ces activités communes ne font pas que tout soit commun !

5. Tout cela étant dit, observons la chimie, à la lumière des nombreux documents d'histoire des sciences et des techniques.
Au début, des chimistes (on disait aussi des alchimistes, le mot n'ayant pas, en réalité, la connotation ésotérique qu'on lui prête trop souvent aujourd'hui, à tort) chauffaient des matières et observaient des modifications de leurs propriétés. La matière était donc littéralement transformée, et cela était cause de trouble, mais avait aussi des applications pratiques évidentes : produire de la chaux à partir de carbonate était essentiel, tout comme fabriquer des métaux à partir des minerais, ou du savon, qui lave, à partir de graisse et de cendres...
Ce premier temps, qui consistait à pratiquer des "recettes", s'accompagnait de "spéculations", d'interrogations sur les transformations, bien mystérieuses qui se manifestaient lors des expériences. Il y  eut des "théories", celle des quatre éléments (air, terre, feu, eau) ou celle du phlogistique (on croyait que le chauffage enlevait des matières aux "substances"), celle du "calorique" (qui aurait été un fluide transmis par chauffage), etc.
Puis progressivement se dégagèrent les notions de molécule, d'atome... L'(al)chimie (en anglais chymistry) céda la place à la chimie (chemistry), cette merveilleuse science de la nature que j'aime passionnément. Rien à voir avec l'activité culinaire, qui n'a pas changé et ne changera pas dans ses objectifs : préparer des aliments.

6. Bien sûr, les sciences de la nature ont des conséquences technologiques. Et c'est ainsi, par exemple, que le chimiste Michel-Eugène Chevreul améliora la confection des bougies après avoir découvert la constitution moléculaire des graisses. Dans les premières recettes de savon, on mettait de la cendre avec de la graisse, mais il apparut que, dans la cendre, la composante essentielle était la potasse qui y est présente (c'est ce que l'on nommait un alcali, aujourd'hui nommé base). De ce fait, il y eut cette proposition de remplacer la potasse par d'autres bases, et il y eut d'autres savons, mieux que les premiers.
Progressivement, la science de la chimie  permit de déterminer par avance les résultats des opérations techniques que l'on se proposait de faire. Au lieu d'observer des résultats, de les orienter empiriquement, on devenait capable de prévoir des résultats.
Trois temps, donc : la recette, la recette épurée à ses seuls composés actifs, la recette prévue théoriquement.

7. Et pour la cuisine, quelle évolution est-elle possible ? L'objectif, je l'ai dit, ne changera pas, mais la technique, elle, peut encore progresser. D'abord, il y a eu cette rénovation technique de la cuisine moléculaire, qui voulait rénover les ustensiles. Puis, depuis moins longtemps, la "cuisine note à note", où l'on change les ingrédients.
Mais l'usage que l'on fait des ingrédients reste le même : produire des aliments. Bien sûr, les progrès de la gastronomie moléculaire permettent de prévoir par avance le résultat des transformations que l'on met en oeuvre, mais la technique restera la technique.

8. Pour conclure, deux champs séparés :
- la cuisine, activité technique, avec une composante artistique et une composante sociale
- la chimie, science de la nature, qui cherche les mécanismes des phénomènes.


lundi 24 février 2020

A propos de chimie qui serait partout, ou de cette notion de technoscience que je crois chimérique (pour l'instant)

Décidément, il faudra que l'on m'explique mieux... si l'on peut !
Des amis disent que "la chimie est partout", d'une part,  et d'autres prétendent que la science moderne est une "technoscience", d'autre part.

Je ne comprends pas l'argumentation de mes interlocuteurs. En soi, ce n'est pas grave, mais j'aimerais quand même être assuré de mes propres idées.

Commençons par la chimie, qui est donc une science de la nature : celle qui étudie les réarrangements d'atomes.
Que veulent dire nos amis qui disent que la chimie serait partout ? Quand on marche, quand on respire, il y a des myriades de réarrangements d'atomes (des "réactions", qui ne deviennent chimiques que s'ils sont étudiés par la chimie), mais une personne qui respire ou qui marche n'est pas un chimiste, puisque ce n'est pas un scientifique.

Mes interlocuteurs veulent-ils dire qu'il y a des réarrangements atomiques partout ?
D'abord, pas partout (parfois, pour les métaux ou pour des matériaux inorganiques, ce ne sont pas des molécules, dont il s'agit), et, ensuite, si c'est cela que l'on veut dire, pourquoi ne le dit-on pas ?
Mes interlocuteurs veulent-ils dire qu'il y a des applications de la chimie partout  :  les cosmétiques, les détergents, les engrais, etc. ?  Alors disons que les applications de la chimie sont (presque) partout...  mais pas la chimie elle-même,  puisque la chimie est  une science de la nature (on y reviendra), qui ne se confond pas avec ses applications... même si certains font la confusion des deux.
Plus généralement, je ne comprends pas l'intérêt qu'on certains à vouloir confondre les sciences et les applications des sciences  : l'arbre n'est pas le fruit.


Les technosciences seraient-elles comme les anges ?
À propos des "technosciences", maintenant, je maintiens que dire un mot ne suffit pas pour faire exister une idée : on peut parler des anges, mais ils n'existent pas (jusqu'à plus ample informé).
D'autre part, mes  interlocuteurs qui me parlent de technosciences sont souvent des épistémologistes qui évoquent je ne sais quel Kuhn (en réalité, je le sais très bien, puisque j'ai lu -sans plaisir- Thomas Kuhn), mais qu'ils me parlent de Kuhn, ou de Koyré, ou de Feyerabend, ou de Popper, ou de Wittgenstein, ou de Hottois, peu me chaut : c'est un argument  d'autorité... et la lecture de ces auteurs ne me convainc pas. 
Mais surtout, je vois mal pourquoi je devrais me référer à des épistémologistes ou des sociologues, puisqu'il suffit de réfléchir et d'observer l'activité scientifique que je fais chaque jour : comme beaucoup d'entre nous, je cherche les mécanismes des phénomènes (par une méthode que j'ai décrite par ailleurs trop souvent pour que j'y revienne ici).
Et là, nous savons parfaitement - à condition d'être de bonne foi- distinguer les activités scientifiques et les activités technologiques.

Enfin, oui, quand nous  sommes dans la partie expérimentale des sciences de la nature, quand nous faisons des mesures, nous utilisons des instruments de mesure, qu'il s'agisse d'un double décimètre, d'un thermomètre, d'un appareil de résonance magnétique nucléaire... ou d'un vélo quand nous allons au laboratoire.
Le statut intellectuel de ces objets est le même : ce sont des outils techniques utiles pour notre activité scientifique, et qui ont tous le même statut intellectuel, du vélo à la RMN. Et cela n'a pas changé depuis Galilée  :  le télescope s'apparente absolument à l'anneau du CERN à Genève.
Bref, il y a donc des personnes qui ont une activité qui consiste à utiliser ses instruments pour explorer les mécanismes les phénomènes, dans la composante expérimentale de leur activité. Je ne veux pas rentrer dans la querelle des adjectifs (science pure,  exacte,  fondamentale...). Je me contente donc de parler ici de sciences de la nature, en sachant parfaitement -j'insiste parce que j'ai toujours l'impression que certains de mes interlocuteurs me prennent pour un ignorant ou un imbécile- que le concept de nature est bien compliqué.
Il y a donc des personnes qui explorent les mécanismes des phénomènes à l'aide d'outils, et d'outils techniques puisque par définition un outil  sert à faire, ce qui est la définition la technique.
Ces personnes ont une activité de sciences de la nature même, si le mot nature est  bien compliqué (pardon, je saute cette discussion ici). Mais ce que je sais, c'est que la technique n'est pas première, mais seulement accessoire, et, ni Bachelard, ni Popper, ni Kuhn, ni Hottois, ni Ellul, ni aucun autre ne pourra me faire penser avec autorité que les sciences de la nature puissent être autre chose que... des sciences de la nature... quand elle le sont !
Car j'y  reviens : Lavoisier, Pasteur, et des personnes d'une stature respectable ont parfaitement distingué les sciences de la nature et leurs applications. Et rien n'a changé depuis eux.

Mais pour y revenir, je fais donc état de ma double incompréhension  : suis-je obtus, ou bien les arguments que l'on m'a donnés sont-ils mauvais, et déplacés ?
J'ajoute que je n'ai pas d'intérêt à prendre à parti plutôt qu'un autre, et je cherche simplement être conduit logiquement à une position ferme.
Pour l'instant aucune des argumentations à propos de la chimie qui  serait partout ou bien à propos de l'éventuelle existence de  technosciences ne m'a convaincue. J'en suis bien désolé !

lundi 2 décembre 2019

La cuisine note à note ne serait pas de l'art ? Discutons-en

Ce matin, un message très important, auquel je réponds ci-dessous, évidemment. Cela concerne la cuisine note à note, en particulier, mais l'art culinaire en général.

Mais d'abord la question :

Cher M. This,
Je viens de regarder votre vidéo sur les soufflés :
https://www.youtube.com/watch?v=v4lRGKRbcBY
C'est une remarquable leçon de chimie et de cuisine comme d'habitude.
Vous dites que vous avez mis tous les éléments nécessaires. Je pense que vous avez mis *presque* tous les éléments nécessaires. Car il manque l'imaginaire et l'affectivité. Un être humain ça se nourrit *aussi* d'imaginaire. Vous disiez récemment que le goût est un sens *synthétique*. Vous vouliez dire que le tact et la vue participent également au goût. J'ai trouvé la formule remarquable. Mais je crois qu'il faut aussi ajouter l'affectivité et l'imaginaire à cette synthèse. J'en veux pour preuve, je ne sais pas, disons Roland Barthes, les Mythologies, le steack-frites. Ou autre preuve : l'énergie
que le marketing met à faire croire à sa clientèle, grâce à des images trompeuses,  que ses produits sont traditionnels, campagnards.
Et ça une cuisine où on n'utilisera plus que les produits synthétisés par l'industrie, il y aura peut-être tout du point de vue des nutriments, ça pourra peut-être très inventif au niveau des goûts, des textures. Ca sera peut-être
même plus écologique comme vous le faites remarquer dans votre vidéo.
Mais pour l'imaginaire, c'est loupé d'avance.
La gastronomie moléculaire restait compatible avec l'imaginaire. Le note à note, non !
Comme on n'est jamais original, toujours typique, je pense qu'on vous a déjà tenu ce discours. Mais bon, je vous envoie quand même ce mail.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.


Il faut que je réponde sur plusieurs points.


1. Tout d'abord en observant que mon interlocuteur as raison sur une partie de ses remarques, et cette partie correspond d'ailleurs à la teneur mon  livre La cuisine c'est de l'amour, de l'art, de la technique.

2. Ensuite en faisant observer que cette vidéo sert simplement à présenter la cuisine note à note et à montrer que techniquement, elle est d'une facilité enfantine.

3. D'autre part,  je tiens à signaler que, quand j'apparais en public, je prends bien soin de ne jamais dépasser mes compétences,  qui sont celles d'un physico-chimiste et non pas celles d'un cuisinier : je ne veux absolument pas paraître cuisinier  (même si je sais parfaitement cuisiner)et c'est seulement alors que je discute la question du bon. Mais j'observe aussi que mes capacités artistiques sont bien loin derrière celles de mon ami Pierre Gagnaire, de sorte que ce serait une prétention exagérée de prétendre "savoir cuisiner". Inversement, j'ai la prétention de mes compétences, qui sont celles de la physico-chimie.

4. Mais reprenons tout cela en commençant par discuter la question la cuisine note à note, dont il faut quand même savoir qu'elle se développe aujourd'hui dans le monde entier, de sorte que ce serait déjà un combat d'arrière garde que de "ne pas y croire".
Pour cette cuisine, la question est de faire en cuisine l'homologue de la musique de synthèse. En musique, il y a le timbre du violon, de la trompette, de la flûte... Les capacités techniques des instruments et des instrumentistes sont limitées : par exemple, une alternance do-mi-do-mi, à la flûte, se ferait par un mouvement des clés actionnées par les doigts, et le meilleur des flûtistes ne pourras pas dépasser une certaine fréquence, alors qu'un synthétiseur pourrait faire n'importe quelle fréquence, et faire aussi n'importe quel timbre !
Du point de vue technique, la musique de synthèse est bien plus puissante que la musique classique... mais si  la technique est essentielle (un musicien qui ferait des fausses notes ne serait pas grand chose), ce n'est qu'un pré-requis, et c'est l'art qui fait tout... l'intérêt de l'art.

5. En cuisine il y a donc d'abord la question du bon, et je répète que c'est le sujet que je traite dans l'un de mes livres que je considère comme un des meilleurs. Qu'est-ce que le bon, c'est-à-dire le beau à manger ? Pour mon livre,  j'ai convoqué non pas seulement Barthes (qui est évoqué),  mais l'ensemble des philosophes du beau, c'est-à-dire ceux qui sont intéressés à cette branche de la philosophie qui est nommée esthétique. Dans mon livre, j'ai pris les théories historiquement rangées, et j'ai cherché comment on pourrait transposer tout cela à la cuisine. Je n'ai pas omis, précisément, ce que j'avais appelé l'amour et qui, en dernière analyse, devrais plutôt être le lien social, pour des raisons que j'ai déjà discutées longuement ailleurs. Bref, la cuisine, c'est d'abord du lien social, ensuite de l'art, mais seulement enfin de la technique .

6. Pour en revenir à ma vidéo sur le site d'AgroParisTech, il n'y a effectivement que l'aspect technique qui est traité, ce qui a bien perçu mon interlocuteur. Et il n'y a que cela parce que je l'ai voulu ainsi, que j'ai voulu laisser aux artistes le soin de parler d'art, aux spécialistes du lien social le soin de parler de lien social.
On se rappelle cette phrase des Jésuites : "Il ne faut pas agir en tant que chrétien mais en chrétien", et, de fait, je n'agis pas en tant que chimiste mais en  chimiste :  ma vie, c'est la physico-chimie, disons les sciences de la nature pour simplifier, et ma compétence, j'espère, est cela :  de la physico-chimie. Pas de la cuisine, même si je connais celle-ci bien mieux que nombre de cuisiniers professionnels (savez-vous, comme moi, faire 24 litres de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf ? savez-vous les trois règles du soufflé,  "selon Hervé This" (dixit Pierre Gagnaire) ? savez-vous la différence entre une mousse et une mousseline de poisson ? savez-vous ce qu'est vraiment qu'un croquet ? une galimafrée ? Et ainsi de suite : il y a la connaissance des objets, de l'histoire de l'art culinaire, de la technique, et bien des analyses.

7. Mais qu'importe mes travaux. Surtout, il faut revenir à la cuisine note à note : quand je la présente à mes "amis" (je nomme ainsi ceux qui me font la gentillesse de croire que je peux apporter quelque chose), je les invite à poursuivre mon travail. Il faudrait donc que cette vidéo soit assortie d'une vidéo d'un ami qui ferait les compléments artistiques et sociaux...
Et c'est pour cela que je suis très heureux de vous signaler l'organisation prochaine le Master Class "Science, Technique et Art culinaire", où de jeunes cuisiniers talentueux partiront de techniques que j'ai inventées, et réaliseront des mets qui seront discutés des trois points de vue donnés dans le titre de ces Master Class. Cela se tiendra une fois par trimestre à l'Ecole du Cordon Bleu,  à Paris, et ce sera filmé et podcasté. Là, j'espère que nous aurons alors répondu à mon interlocuteur.
Car oui, mille fois oui, il manque l'humain, à ma démonstration technique.

8. Une observation de détail, maintenant, à propos de la phrase "La gastronomie moléculaire restait compatible avec l'imaginaire. Le note à note, non !"
Là, mon interlocuteur confond la gastronomie moléculaire, qui est une science de la nature, une branche de la physico-chimie, et la "cuisine moléculaire", qui est cette technique déjà ancienne, de cuisine rénovée techniquement, par l'emploi de matériels modernes, souvent venus des laboratoires.
Oui, comme cela a été montré, la cuisine moléculaire était compatible avec l'imaginaire... mais la cuisine note à note aussi ! J'invite mon interlocuteur à considérer tous les mets notes à note réalisés lors des concours internationaux, ou par des chefs individuels : son assertion est réfutée.

J'observe d'ailleurs qu'il faut se méfier du "Ce n'est pas de l'art", comme l'avait très bien expliqué Anne Gauquelin dans son petit livre entièrement consacré à cette question. Cela m'a été opposé quand je proposais la cuisine moléculaire, et cela revient pour la cuisine note à note. Pour ceux qui sont intéressés, je répète que j'ai discuté cela dans mon livre




lundi 19 août 2019

La question de la physique et de la chimie


Une ancienne signature automatique de mes courriels comportait un  « vive la chimie », et c'était un cri d'enfant, pas analysé.
Puis il y eut un « vive la chimie physique », qui s'assortissait d'un lien intitulé « c'est bien lent ». Je ne sais pas (en réalité, je le sais ; il n'y a donc là qu'une façon de parler) si j'ai été bien lent à bien comprendre le statut de la chimie physique, et sa différence avec la chimie, mais je sais que je ne supporte plus d'avoir un commentaire si négatif sous les yeux. Il nous faut  quelque chose de positif, de clairement enthousiasmant, sans réserve.

Je reprends donc les faits, sans hésitation, cette fois :
1. La chimie est, a toujours été une exploration des phénomènes que l'on peut découvrir lorsque l'on analyse les transformations moléculaire ; c'est donc une activité scientifique, et pas une activité technique. 
2. A l'appui de cette étude scientifique, il y a des   productions de composés nouveaux, c'est-à-dire des activités littéralement "techniques"... mais on n'oublie pas que, quand on allume la lumière dans une pièce, on fait aussi un geste technique, sans que cela change la nature du travail qui est fait dans la pièce ; autrement dit, oui, il faut de la technique pour faire de la science, mais cela n'est pas essentiel pour déterminer la nature de la chimie, qui reste donc une science.
3. Les sciences de la nature sont nommées « physique », puisque physis désigne la nature (il y a des tas de distinguo subtils, mais restons simples, pour commencer).
4. De ce fait, la science qui étudie les réarrangements d'atomes est bien une science  physique, mais celle qui étudie les modifications des assemblages d'atomes doit être spécifiée, par rapport à la physique des fluides ou des plasmas, par exemple. Ce nom est "chimie" !
5. De sorte que je suis habilité à revenir à ma clameur d'enfant enthousiaste : vive la chimie !

dimanche 28 juillet 2019

La recherche des contextes

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dasn ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.


Je continue ma discussion d'une analyse critique d'enseignements universitaires par des collègues plus jeunes. J'insiste un peu : quelle que soit pas position par rapport à leurs déclarations, je revendique que des actions correctrices soient mises en oeuvre. Pas nécessairement celles que proposent les jeunes collègues, mais, en tout cas, quelque chose devra être fait !

Là, voici la phrase en question :

De plus, les cours sont bien souvent très descriptifs, scolaires, et quasiment jamais problématisés. Cela cause, toujours d’après nous, un ennui certain pour les étudiants qui ne sont pas vraiment incités à réfléchir dans ce cas.
En effet, un sujet intéressant pour nombre d’étudiants peut vite se retrouver ennuyeux dans un schéma classique de cours (cours magistral très descriptif ,puis exercices en TD).
Les cours de xxx sont particulièrement révélateurs de cela. Un sondage effectué cette année par les étudiants a montré que la majorité était insatisfaite de ce format (20 TD dont une majeure partie consiste en un recopiage de cours au tableau).



Oui, là, j'adhère à cent pour cent : les cours étant précisément ces moments qui lancent les études, les cadrent, la moindre des choses est qu'ils ne soient pas de ces descriptions que l'on trouve dans les (mauvaises) introduction des (mauvais) livres de science : du style "on trouvera au chapitre 1... ; puis au chapitre 2 ... ; puis au chapitre 3...". Cela est minable, et, surtout, cela révèle soit un manque de travail, soit un manque d'intelligence de la part des auteurs, ou des professeurs si les cours sont ainsi descriptifs.

Des cours "scolaires" ? De quoi s'agit-il ? Ici, la critique n'est pas claire : cela signifie-t-il que le format est "classique", avec un professeurs au tableau et des élèves qui suivent celui ou celle qui professe ? En réalité, je propose d'analyser la critique en reprenant ma grille d'analyse, selon laquelle le professorat (terme plus juste qu'enseignement) comporte une composante technique (la justesse de ce qui est dit), une composante artistique (en cercle, au tableau, les pieds au mur, sous forme de forum...) et une composante sociale. Ici, la critique porte sur la composante artistique... et j'aurais tendance à signaler à mes jeunes collègues que j'ai vu des cours du Collège de France absolument superbes, alors que le professeur était glacé, assis, sans bouger lisant un texte... d'une intelligence superbe.
Donc je ne peux retenir vraiment ce "scolaire".

Les étudiants pas invités à réfléchir.  Oui, pourquoi pas, mais ces gens qui ont passé un concours difficile sont-ils vraiment des moutons qui ont besoin qu'on les invite à réfléchir ? Ils revendiquent assez de l'autonomie pour qu'on leur en donne... à condition qu'on leur en donne vraiment, et je renvoie vers mes billets où je propose que l'on impose aux jeunes collègues une obligation de résultats, et pas de moyens (présence obligatoire, par exemple).

Bon, et oui, je pousse le bouchon parfois trop loin : du recopiage au tableau, c'est quand même un art... un peu faible ;-)

mercredi 3 juillet 2019

Les "travaux pratiques"


La question des travaux pratiques est bien difficile, car l'apprentissage des pratiques expérimentales crée des risques, coûte cher, prend du temps...

Pourtant, de telles séquences sont indispensables ! Au tennis, par exemple, si l'on nous dit qu'il faut taper dans la balle en avançant, il y a une terrible différence entre l'idée du geste et le geste lui-même. S'impose un entraînement pratique, avec la répétition du geste que l'on veut apprendre jusqu'à ce qu'il soit en place. Impossible d'apprendre cela en restant dans un fauteuil, dans un amphithéâtre.
En musique, aussi, cette idée prévaut : quand on joue du piano, il y a lieu de bien "mettre en place" la main gauche, la main droite, la lecture, le rythme,  les intonations, etc., et c'est la raison pour laquelle de longues séances pratiques sont indispensables.

Pour la pratique scientifique ?

Là encore, il y a tant de choses à maîtriser simultanément que des séances d'entraînement s'imposent inévitablement. Je sais d'expérience que ceux qui apprennent ont besoin de temps et d'exercices pour ne pas oublier à ne pas mettre les produits et appareillage sur la rangée de carreaux la plus au bord des paillasses, pour ne pas poser le bouchon des récipients vers le bas (ce qui pourrait les souiller, et souiller par conséquence les produits qui sont dans les bouteilles que l'on refermera avec ces bouchons), pour pipeter correctement,  pour prévoir la concentration des solutions, pour tirer du verre et réaliser des tubes capillaires réguliers, pour faire des coudes de diamètre régulier, à partir de verre qui soit ni trop chaud ni trop froid (ce qui se voit à la couleur de la flamme)...

Tout cela, tout cet apprentissage demande beaucoup de temps.  Je me demande si nos façons de faire, dans les systèmes d'études supérieures, qui consistent à tout grouper dans les mêmes séances sont bien efficaces (c'est évidemment une litote !).
Pour le piano, par exemple, je sais d'expérience que je n'ai jamais réussi à mettre en même temps les deux mains et les pédales. J'ai besoin de faire un même geste élémentaire plusieurs fois afin de le bien comprendre et de le bien exécuter,  et, rétrospectivement, je vois mal comment j'aurais fait sans tout le travail de laboratoire que je faisais à la maison depuis l'âge de six ans,  week-end après week-end,  vacances après vacances.
Jadis, nous avions créé le Défi expérimental : il s'agissait précisément de bien bouger les mains en même temps que de bien penser. C'était merveilleux de voir les élèves ou des étudiants faire aussi bien,  et,  d'ailleurs, je me souviens que les gagnants s'étaient beaucoup entraînés chez eux comme je l'avais fait moi-même : ils savaient bouger  la tête et les mains... et ils gagnaient le concours. Faut-il s'étonner qu'on les ait retrouvés à l'Ecole normale supérieure, peu après ?

Combien de temps faut-il donner à ces apprentissages ? La question est difficile, et elle mérite d'être fondée sur l'analyse des objectifs... des jeunes collègues (l'expression signifie "étudiants").
Il y a ceux pour qui ces connaissances pratiques relèvent de la culture générale, et il suffit donc de leur faire découvrir  sans qu'il soit question de leur en donner la maîtrise.
Inversement il y a ceux qui en feront leur métier et, alors, s'imposent absolument de longues séances et des répétitions, de sorte que les programmes de cadrage de ces pratiques devront explicitement envisager ces répétitions.
Il y a ceux qui devront diriger ceux qu'ils feront les gestes pratiques, et, là, il s'agit de leur montrer la subtilité de ces gestes, la compétence nécessaire pour bien les faire, mais il faudra aussi resituer ces gestes dans un contexte plus large, multidimensionnel, qui envisage des questions de sécurité, de qualité, de traçabilité...

Tout cela étant dit, je vois que j'ai parlé de tête et de mains. Il y a assez longtemps, j'ai discuté dans des billets de blog cette question de la relation entre la tête et les mains, notamment en cuisine, mais pas seulement, car je me souviens bien que Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique et physicien théoricien, évoquait assez souvent ce mot allemand de Fingerspitzengefühl, sentiment du bout des doigts. Ayant largement discuté la question de savoir si la tête guide la main ou inversement, j'étais arrivé à la conclusion que les deux vont ensemble :  il y a à la fois le raisonnement et la sensation, indissociable. Sans la tête, les mains font n'importe quoi, mais sans les mains, la tête ne pense pas bien. La "mémoire du futur" s'impose pour des expérimentations, pour des travaux scientifiques. Bref, dans tous les cas, une bonne dose de travaux pratiques s'impose... même si cela prend du temps et coûte cher : soit nous décidons de mal organiser les "enseignements", soit nous les faisons bien, et nous devrons alors inévitablement programmer des séances de travaux pratiques !

samedi 11 mai 2019

Conservation de sorbets et glaces

Ce matin, une question à propos de l'utilisation de l'azote liquide, pour la réalisation de glaces ou de sorbets :

Quelles sont les conditions de conservation d’une glace réalisée avec de l’azote liquide ?
J’ai cru comprendre que la texture de ces glaces était dû à la taille et à la forme des cristaux formés via une réfrigération rapide versus standard.
Mais est-ce seulement une question de température (dans ce cas quelle serait la limite) ou d’autres paramètres rentrent-ils en compte ?


Il faut rappeler que l'on ne manipule l'azote liquide qu'avec des précautions :
- lunettes (très important : une goutte dans l'oeil et l'on est aveugle)
- loin de ceux qui n'ont pas de lunettes (les projections sont fréquentes, parce que l'azote liquide est très... liquide)
- stockage dans un récipient qui N'EST PAS hermétiquement fermé (sans quoi cela exploserait)
- et autres...

Cela étant dit, la réponse à la question posée doit commencer par une explication du  mécanisme de la formation des glaces et sorbets (voir le détail dans Mon histoire de cuisine) :
- de gros cristaux se forment quand la cristallisation est lente
- de petits cristaux se forment quand la cristallisation est rapide.
Avec l'utilisation de l'azote liquide, la cristallisation se forme en quelques dizaines de secondes (bien plus vite, donc, qu'avec une sorbetière), de sorte que les cristaux sont très petits.
D'où la consistance bien supérieure, pour les sorbets et glaces à l'azote liquide, par comparaison avec les sorbets et glaces faits à la sorbetière.


Mais la question du stockage est différente. 

Une fois que l'on a une glace ou un sorbet (quel que soit son mode de préparation), il peut évoluer, surtout quand la température est fluctuante... et cette évolution conduit à un grossissement des cristaux : les plus petits disparaissent au profit des plus gros. Et la consistance devient donc moins intéressante que lorsque les glaces et sorbets ont attendu, parce que, alors, ils n'ont plus cette consistance due à leurs tout petits cristaux.
D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle les industriels qui vendent des glaces ajoutent (le plus souvent) des "polysaccharides", composés cousins de l'amidon, qui ralentissent considérablement le grossissement des cristaux... mais au détriment de la qualité gustative.
Cela étant, si l'on n'ajoute pas ces composés, un sorbet azote liquide ou un sorbet sorbetière : c'est le premier qui gagne quand même, parce qu'il part de plus loin !


Au fait, revenons à la question : il s'agissait de bien conserver une glace à l'azote liquide. Et c'est la même question que pour n'importe quelle glace, à savoir que plus la température de stockage est basse, meilleur le résultat. Et, comme dit, des polysaccharides sont utiles pour des stockages plus longs (quel intérêt ?) : pectines, agar-agar, gomme arabique, gomme guar... Ils sont extraits de matières naturelles, comme je l'explique, donc, dans Mon histoire de cuisine, où je fais une "histoire morale et naturelle" de ces produits.


jeudi 14 février 2019

Comment expliquer

Comment expliquer ? Souvent, les collègues plus jeunes (ce que d'autres nomment des "étudiants") ont du mal à expliquer, sans doute parce que les notions qu'on leur demande d'expliquer ne sont pas entièrement claires pour eux-mêmes, mais aussi parce qu'ils n'ont pas toujours été mis en position d'expliquer.

Expliquer, c'est quand même considérer d'abord que notre interlocuteur est initialement ignorant de ce qu'on lui explique, et qu'il devra être conduit jusqu'au point où il a la notion que l'on voulait expliquer. C'est cela, l'objectif final.
Il y a un chemin à emprunter avec lui, où à lui faire emprunter, et l'on pourrait d'abord reconnaître qu'il y a une certaine logique à aller du connu vers l'inconnu.  Car comment notre interlocuteur pourrait-il admettre d'être immédiatement plonger dans l'inconnu ? Autrement dit, nous pourrions organiser une série de pas élémentaires pour parcourir le chemin, en étant sûr que le pied (l'esprit !) est sur un sol ferme, avant qu'un nouveau pas soit fait.
Mais évidemment, cela impose surtout que l'objectif soit bien clair, et pas perdu de vue pendant le parcours, et, surtout, que le point de départ soit bien clair, car si l'on part d'un chemin déjà fait, notre interlocuteur s'ennuiera, alors qu'il sera perdu si l'on part de l'inconnu pour aller vers l'inconnu.






Tout cela étant dit,  je me reprends maintenant, parce que expliquer, c'est une question de communication. Et il y a sans doute lieu de se souvenir que la communication a trois composantes  : technique, artistique et sociale. Par ordre d'importance décroissante, ce serait plutôt social, artistique et technique, mais pensons à la musique ou à la peinture : comment faire une oeuvre de d'art si l'on ne maîtrise pas d'abord la technique ?

Pour autant, si l'on maîtrise les techniques, tout est possible. Comme pour une narration, on peut très bien raconter l'histoire en partant du début ou en partant de la fin, on peut raconter en tournant le dos à nos interlocuteurs ou, au contraire les regarder dans les yeux.

Il y a mille manières de raconter des histoires, et, donc aussi, de donner des explications. Le folkloriste russe Vladimir Propp a bien analysé que, pour la littérature folklorique, cette littérature enfantine, il y a une construction en parenthèses emboîtés : c'est parce que le prince commence par sortir du château pour aller tuer le dragon (parenthèse ouvrante) qu'il reviendra finalement et qu'il épousera princesse avec qui il aura beaucoup d'enfants (parenthèse fermante).  Mais il peut y avoir d'autres façon de raconter et chacune a ses vertus, puisqu'il s'agit d'une question artistique et que c'est donc la mise en œuvre qui sera seul juge.
Un jour, j'ai fait un cours de communication scientifique par la fin, et il a tellement amusé un de mes collègues qu'il m'a dédié un cours de sciences fait de façon analogue. Autrement dit, la règle de ne pas faire de sauts dans la compréhension, d'aller à toutes petites étapes consécutives, est une manière technique, qui peut être bousculée par des considérations artistiques éventuelles, car on oublie pas que ce qui compte, surtout, c'est frapper les esprits, pas seulement de donner l'explication. Expliquer, cela est élémentaire mais on peut faire tellement mieux !






lundi 3 décembre 2018

Pas trop de fantasme!

Je ne cesse d'entendre des étudiants me parler de science, de recherche, de recherche et développement, alors même qu'ils sont en train de postuler pour des postes dans l'industrie alimentaire. Et j'ai peur que nous ne les ayons pas assez aidés à bien comprendre le monde vers lequel ils se dirigent.
Mais, à l'inverse, je me dis aussi que des adultes qui ont le droit de vote depuis plusieurs années auraient avoir  eu le temps de s'interroger, d'explorer, et de ne pas attendre que la becquée leur vienne miraculeusement ; après tout, de tels étudiants ne sont peut être pas à la hauteur de postes de responsabilités tels que ceux d'ingénieurs, car je rappelle qu'un cadre, c'est quelqu'un qui sait se donner du travail, avant de le proposer aux autres !

Bref, je crois utile de prendre l'exemple de quelques sociétés que je connais afin de montrer comment envisager une contribution à la prospérité de ces dernières, et, simultanément, à la sienne propre.





Trois exemples... concrets

Nous partirons de la plus petite que je connaisse bien : une conserverie de sardines. A  l'origine, il y a un restaurateur qui faisait ses conserves en achetant les sardines à des marins bretons, puis en mettant en boites, avant de vendre sur les marchés.



Il s'y prenait bien, et ses conserves étaient bonnes, de sorte qu'il a eu la possibilité d'embaucher une, puis deux, puis trois personnes pour l'aider. Développer son entreprise ? Il  a acheté des machines pour accélérer sa production, et il a commencé à avoir besoin d'un cadre pour suivre la question technique, d'un vendeur pour écouler la production,  tandis qu'il gérait son équipe, mettant la main à la pâte quand il le fallait. Et, le succès venant, il a fallu un service des achats, un service de contrôle de la qualité, un service de production, un service de maintenance, un service de marketing, un service de vente, de l'administration.
D'où la question à mes amis bientôt titulaire d'un master "alimentaire" : quel service proposez-vous de rendre à cette société, et dans lequel de ses services ? En tout cas, observons qu'il n'y a là ni science, ni recherche, ni recherche et développement, en quelque sorte.

Un autre exemple, d'une société un peu différente, qui produit des pâtisseries surgelées. Là, l'investissement initial a été important, et une usine a été immédiatement créée. Il a fallu embaucher des pâtissiers, un ingénieur pour s'occuper des machines et des procédés, du personnel pour les achats, la vente, l'administration. Puis, quand le succès est venu, il a fallu agrandir le service de production, et l'ingénieur formé dans une école du type d'AgroParisTech a embauché de jeunes collègues pour l'aider. Sans cesse, il y avait des discussions entre lui et le propriétaire de l'usine (sorti de la même école d'ingénieurs) pour des nouvelles recettes, et les nécessaires adaptations des équipements aux nouvelles productions.



Pas de science, mais beaucoup de travail technologique que l'on fait mieux si l'on a des bases théoriques pour comprendre ce que l'on fait, ce qui fait la différence avec beaucoup de travaux techniques. Par exemple, quand on pompe de la mousse au chocolat, elle retombe : comment éviter cet écueil pour conserver un système foisonné ? Par exemple, l'ajout de certains ingrédients fait "tourner" les crèmes : comment éviter cette inversion d'émulsion ? Par exemple, des gels ne prennent pas : comment les faire prendre ? Quels ingrédients choisir pour y parvenir plus facilement ? Par exemple, des pâtisseries ont une surface qui "cloque" : comment éviter ces défauts ?
Il faut dire et redire que c'est la compréhension des phénomènes qui est la clé du succès industriel.

Troisième et dernier exemple : celui d'une grosse société qui transforme du lait. Cette fois, il n'y a plus de "recette", à la base de la production, mais des procédés modernes, de filtration moderne, de séchage, de dispersion, et il y a bien une équipe d'ingénieurs qui met au point des nouveaux produits. Mais cette fois, on est bien loin de la cuisine, et nos amis qui sont fascinés par les émissions de télévision à la Master chef ou  Top chef n'y trouveront pas leur compte.


Assez de mots creux !
 
Bref, je propose d'éviter les mots pompeux, pour poser la question : au lieu de chercher une entreprise qui acceptera les fantasmes, ne vaut-il pas mieux chercher une entreprise à laquelle on pourra efficacement contribuer, dans un poste bien précis, qui permettra à ladite entreprise d'augmenter sa production ou ses marges ? Nos sociétés ont besoin d'ingénieurs actifs, intelligents, soucieux d'être concrètement utiles. Des bâtisseurs, et pas des oisillons qui confondent la théorie et la pratique. 

Pour les plus théoriciens, il y a lieu de dire, également, que la science, elle, n'est pas expérimentations de techniciens, mais bien au contraire calculs théoriques : équations aux dérivées partielles, algèbre linéaire évolué, statistiques de points, etc. Et là, la lecture de revue de vulgarisation n'est pas au niveau : la recherche scientifique a besoin des meilleurs théoriciens.



Bref, pour l'industrie comme pour la science, des individus actifs peuvent contribuer, à condition de ne pas se tromper de cible !



samedi 24 novembre 2018

Pourquoi aimer la cuisine ?

Pourquoi aimer la cuisine ? En posant cette question je fais déjà une différence entre "aimer la cuisine" et "aimer cuisiner".

Aimer la cuisine, par exemple, cela peut vouloir dire aimer manger de la cuisine qui est faite, ou bien s'émerveiller des travaux des cuisiniers, par exemple, comme on aime la peinture de certains grands peintres, ou la musique de certains grands musiciens. Et, d'ailleurs, je me demande toujours pourquoi se limiter à cela, sinon peut-être pour comprendre l'origine de la beauté ? Ou partager avec d'autres ce sentiment de stupéfaction que nous avons face au beau ?

En revanche, aimer cuisiner, cela signifie... aimer cuisiner. Et la question est, à nouveau, de savoir pourquoi on peut aimer cuisiner.
Pour répondre à cette question, je crois qu'on a intérêt à bien distinguer les trois composantes de la cuisine, à savoir la technique, l'art, la socialité.
Aimer la technique ? Personnellement, j'ai bien du mal à comprendre pourquoi, car je ne vois pas l'intérêt de bouger la main -une machine peut le faire- pour battre à blancs en neige  ; seul l'objectif m'intéresse. Mais, inversement, je sais de mes amis qui aiment faire ces gestes, et je respecte évidemment leurs goûts. Je peux imaginer que cela leur rappelle leur enfance,  que le travail culinaire les met dans un état d'esprit qui fait oublier leurs soucis éventuels... Je n'oublie pas,  surtout, que les techniciens ont comme objectif principal le soin, et je sais que ce dernier a en réalité partie liée avec la composante sociale, sur laquelle nous reviendrons. D'ailleurs, il faut ajouter que la technique a des rapports évident avec l'art, puisque  l'on ne saurait produire d'oeuvre sans une maîtrise parfaite de la technique. Un musicien qui voudrait jouer une pièce mais ne saurait pas bouger correctement les doigts n'arrivera jamais au niveau de l'art. Et c'est ainsi que l'on en vient à se demander si l'une des trois composantes de la cuisine peut exister indépendamment des deux autres.
Pour ce qui concerne la composante artistique, il y a la possibilité d'une communauté intellectuelle, voire spirituelle entre celui ou celle qui produit d'une œuvre  et collectivité. Et l'on sait que les sentiments partagés prennent une force qu'ils n'auraient pas s'ils restaient à l'intérieur de nous-même. Et puis il y a la fascination du beau, dont les philosophes discutent depuis des millénaires. Pourquoi le beau ? Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi a-t-il cette action sur l'être humain ? Cuisiner, même en amateur, c'est donc une activité artistique, comme peindre, écrire, chanter, jouer de la musique...
Enfin il y a la composante sociale qui, pour certains, est véritablement essentielle. Faire à manger, c'est aussi faire à manger pour autrui et non pas seulement pour soi-même, c'est préparer des moments de partage, de convivialité, de commensalité,  et le bonheur d'être réunis vaut certainement la peine que l'on a prise par avance

Finalement, on voit que le projet culinaire est véritablement merveilleux, en ce qu'il conduit a beaucoup de socialité et que, de ce fait, il nous rend véritablement humain.
Avec la cuisine, il y a de l'art, mais surtout de la Culture, dont les ethnologues commencent à comprendre que c'est  la caractéristique essentielle de l'être humain.
Non seulement l'aliment est la base de notre survie, mais mieux encore l'aliment cuisiné est le fondement de l'humanité.








mercredi 3 octobre 2018

Technoscience : un mot caméléon, qui risque de nous conduire à compter les anges sur la tête d'une épingle. Comment voir le bleu du ciel ?



Voyons, il va falloir être positif, alors que certains font exister la poussière dans le monde. L'histoire est la suivante : il y en a qui utilisent le mot de "technoscience" pour désigner... Quoi, au juste ?

Une recherche bibliographique montre que l'acception initiale, qui voulait en quelque sorte reconnaître que les sciences de la nature s'élaborent pour partie sur des données techniques, a été gauchie mille fois, au point que la communauté des épistémologues ne s'entend même plus, sans compter que si l'on utilise le mot dans une acception donnée, viendra un contradicteur qui nous fera perdre notre temps en nous opposant une autre acception... évidemment bien plus "légitime" (selon cette personne).

Un "dieux jaloux" (de quoi, dans un tel cas ?) a refait le coup de la tour de Babel, et c'est donc la cacophonie.


Il faut dire que le mot est quand même mal forgé, parce que il y a "techne", faire, et "science", savoir. De là, passer à "technique" et "sciences de la nature", c'est déjà un pas audacieux, qui fait deux hypothèses... pour arriver à un mot à plus de trois syllabes, ce type de mots contre lesquels je mets mes amis en garde, de peur qu'on leur refile des denrées pourries ou de l'idéologie. D'ailleurs, l'idéologie n'est pas loin, dans ce cas précis, parce que certains interprètent (je ne juge pas, mais me contente de lire) que les sciences de la nature sont produites par des scientifiques payés par l'Etat, lequel se préoccupe de technologie et d'innovations techniques.


Finalement, quelle acception conserver pour "technoscience" ? Aucune bien sûr : pourquoi perdre notre temps à discuter des notions inexistantes, tendues par certains qui jouent au "dragon chinois" : on fait un dragon en papier énorme, puis on le pourfend pour montrer combien on est fort !

Donc je propose d'oublier ce mot idiot pour toujours, et de ne pas entrer dans des discussions où ce mot fluctuant apparaît. Ne comptons pas le nombre d'anges sur la tête d'une épingle, comme le firent certains de ces scolastiques dont Rabelais se moquait si bien.



Le ciel est bleu !



Émergeons donc de la boue où l'on a voulu nous plonger, faisons souffler un grand vent sur la poussière du monde que certains ont créée, levons la tête vers le ciel bleu. La technique ? C'est une activité merveilleuse, en ce sens qu'elle fait. Ou plutôt, disons qu'elle est merveilleuse quand elle fait bien, intelligemment. Les sciences de la nature ? On se doute que je vais dire que c'est  une activité merveilleuse, surtout quand elle se fait intelligemment.

Le rapport entre la technique et les sciences de la nature ? Il y a bien sûr la nécessité d'utiliser des outils techniques (instrumentaux) pour caractériser quantitativement les phénomènes, mais c'est là quelque chose  d'évident, donc de secondaire ; d'ailleurs, ne faut-il pas aussi respirer, manger, boire, dormir, pour faire des sciences de la nature... sans que l'on introduise de mot comme "respiroscience" ?

Puis, pour réunir les données en lois, il faut du calcul, qui ne se distingue pas, en tant qu'outil qui nous aide à atteindre nos objectifs, des spectromètres ou autres instruments techniques, qu'il s'agisse de pied à coulisse ou de synchrotron. L'induction de concepts, sur la base quantitative des "lois" (des équations, il faut le répéter)  identifiées ? Cette fois, la technique n'a guère sa part, au moins pour l'instant. La recherche de conclusions testables ? Là encore, nous faisons cela sans technique particulière, bien que l'on puisse imaginer des systèmes formels le faisant pour nous. Les tests expérimentaux des conclusions théoriques ? Il faut reprendre des outils et repartir dans le "laboratoire", cette pièce où l'on travaille pratiquement.


Ah, que cette activité de production de connaissances est belle, que le ciel est bleu !

jeudi 20 septembre 2018

Passons à autre chose

 Je vois que, depuis plusieurs mois, j'ai beaucoup discuté :
- des questions didactiques
- des questions épistémologiques

Pour le premier point, tout tient en une phrase simple : "la question n'est pas que les professeurs enseignent, mais que les étudiants étudient". Et tout le reste n'est que fioriture.

Pour le second point, j'ai donc testé mes extravagances auprès de personnes dont j'estime le jugement, et j'ai vu que  mes idées étaient très largement partagées. De sorte que le problème est assez bien réglé.

Au total, je vois donc que je perdrais mon temps à poursuivre ces discussions, et que  je risque de me répéter sans rien ajouter de notable. Il faut donc que je mette un terme à ces réflexions-là, pour aller sur des terrains neufs, et notamment plus scientifiques.
Bien sûr, il y aura sans doute des traînes de comète, mais ce sera mineur.

La question de lutter contre les idées fausses ? C'est perdre son temps que de chercher à convaincre ceux qui ne veulent pas être convaincus, et il faut donc négliger ceux-là.
Et ceux qui sont "naïfs"? Il suffit de répéter ce qui a été dit, raison pour laquelle je republierai périodiquement quelques billets synthétiques sur ces deux points : mes amis sauront que c'est la répétition de billets anciens, et les autres auront la possibilité de découvrir ces billets.


Allons, marchons !


La nature de la science de la nature


Je propose de discuter ici des expressions comme "science des matériaux" ou "science des aliments" ou "science des procédés", "sciences de l'ingénieur", "sciences pour l'ingénieur"...

Pour les matériaux, oui, un scientifique peut légitimement, agissant en scientifique (des sciences de la nature), s'intéresser à leurs structures ou à leurs propriétés. Aucune difficulté à faire comme les scientifiques du passé, à savoir identifier des structures que l'on ne connaissait pas, tels des réseaux à mailles incommensurables, ou encore des couches monoatomiques d'atomes de carbone, qui ont de surcroît des propriétés de supraconduction à la température ambiante, etc. Mais ce sont moins les matériaux qui nous intéressent que les caractéristiques générales du monde, à savoir l'incommensurabilité de mailles cristallines, ou bien le comportement d'électrons ou de phonons dans de telles conditions, ou encore la supraconduction dans des couches monoatomiques éventuellement confinée, par exemple.
Cela étant, le champ des matériaux n'est alors qu'un prétexte, un substrat à partir duquel un bon scientifique cherche nouveaux objets, de nouvelles particularités du monde, de nouveaux phénomènes, de nouveaux mécanismes. Il y a une question d'ambition, d'intention. Il ne s'agit pas de caractériser pour caractériser, ce qui serait un travail technique ;  ni d'explorer pour améliorer, ce qui serait un travail à finalité technique, donc un travail technologique. Non, la question est de "lever un coin du grand voile". C'est l'ambition, la motivation, la finalité, l'intention, l'objectif ! 

Pour les aliments, il en va de même,  car on n'oublie pas que les aliments ne sont que des systèmes physico-chimiques (ou des "matériaux") ayant la caractéristique de pouvoir être mangés. Et il est vrai que l'analyse des "aliments" est à l'origine de nombreuses découvertes : les pectines, les anthocyanes, les sucres... Autant de caractéristiques du monde, autant d'objets dont l'exploration nous conduisent à "lever un coin du grand voile".
Ce qui me conduit, par exemple, à analyser le cas des "antioxydants", dont les descriptions encombrent les revues de "science et technologie des aliments" depuis plusieurs années. Mois après mois, donc, des collègues fractionnent des aliments pour isoler des fractions qui passent des tests avec lesquels on révèle la capacité antioxydante. Fort bien, mais, en réalité, si on parle simplement de cette antioxydation, l'avancée scientifique est faible, et il s'agit le plus souvent de technologie ou de technique : les auteurs des travaux sont moins intéressés par les mécanismes généraux de l'"antioxydation" (en supposant que cette propriété ait un intérêt autre que technologique) que par la "protection" des graisses contre le rancissement, ou la "protection" des cellules contre le vieillissement.
J'insiste : cela est de la technologie. Là où il y aurait de la science, c'est si on parvenait,  par l'analyse de composés antioxydants variés, à identifier les raisons de l'autooxydation, du point de vue moléculaire.

Enfin il y a la question des procédés qui est beaucoup plus épineuse, parce que l'étude des procédés semble conduire directement de la technologie, alors que je crois qu'il y a de la (belle) science à faire.
Un examen attentif de l'histoire des sciences montre que le champ technique est depuis longtemps le support de questions scientifiques. On pourrait parler de la lunette de Galilée, de la mécanique des matériaux par le même Galilée, du microscope de Loewenhoek, de la microbiologie de Louis Pasteur (née de l'étude du vinaigre, du ver à soie, etc.), et la chimie n'est pas en reste, puisqu'elle s'est préoccupée initialement de médicaments, de teinture, d'aliments... et qu'on allait jusqu'à nommer "arts chimiques" les applications de la science nommée "chimie", afin de bien distinguer les deux activités. 
Par exemple, Darcet et Lavoisier ont étudié le bouillon de viande, ou encore Caventou et Pelletier ont exploré les pigments des végétaux verts que l'on cuit...
Certes, dans les temps récents, la théorie de la relativité où le boson de Higgs ne doivent rien à cette quête-là... mais la relation entre science et technologie n'est pas très distendue, au point même que des épistémologues parlent -je crois vraiment que c'est une erreur- de "technosciences".
Mais passons sur ce terme, dont il n'est pas assuré qu'il recouvre une réalité : de même, on peut dire "carré rond" ou "père Noël"... mais cela ne suffit pas pour faire exister des carrés rond ou le père Noël. Tout récemment, on m'en a servi une autre définition : le fait que la science soit payée par l'Etat en ferait une activité qui ne serait plus de la science, mais de la technoscience ; bizarre acception, et bizarre mot dire cela.
Répétons donc plutôt : il y a ceux qui cherchent une compréhension du monde, qui veulent "lever un coin du grand voile", et ceux qui  cherchent des applications techniques. Science dans le premier cas, technologie dans le second.
Considérons par exemple la friture, qui est bien une technique, culinaire en l'occurrence. Lors de la friture, il y a des phénomènes variés, par exemple la libération de bulles de vapeur par les tissus frits. Pourquoi cette éjection de vapeur ? Dans un tel cas, on est vite conduit à identifier que l'eau s'évapore, et que, la vapeur occupant un espace bien supérieur au liquide initialement présent, elle s'échappe par les parties les plus fragiles du tissu végétal. Là, on n'a pas fait de grande découverte ; en réalité on n'a rien découvert du tout, puisque cela se déduit immédiatement des principes déjà établis par la science. Mais on peut espérer, que, lors de l'analyse d'autres phénomènes qui ont encore lieu lors de la friture, on puisse arriver à des idées qu'on n'avait pas, et c'est là un espoir véritablement scientifique.
Dans un tel mouvement, le procédé n'est qu'une base lointaine, sans beaucoup d'intérêt à part celui de procurer un champ de phénomène à partir desquels on a l'espoir identifier des particularités de nouvelles du monde, et leurs mécanismes.


Ici, il me paraît important d'insister rapidement sur ces deux mots qui reviennent : "particularité" et "mécanisme". On aurait pu ajouter "phénomène", et l'on aurait retrouvé le cadre des avancées scientifiques du passé. #
Par exemple,  Faraday identifia un composé nouveau, qu'il nomma benzène,  dans les résidus de distillation de la houille. Ou encore, Balard identifia un élément chimique nouveau qu'il nomma brome dans les eaux de Spa, alors d'ailleurs que Justus von Liebig (si condescendant envers Balard, sans doute par jalousie) avait échoué à voir cet élément. Récemment, Andre Geim et ses collègues ont découvert que le matériau adhérent à du scotch que l'on tire à partir de charbon est fait d'une structure moléculaire nouvelle qu'ils ont nommé graphène, et qui la propriété d'être monomoléculaire, et, de surcroît, supraconductrice à température ambiante. Voilà pour les caractéristiques du monde. Pour les mécanismes, l'explication de l'osmose par des mouvements moléculaires une belle avancée. Et pour des phénomènes, on pourrait considérer l'oscillation des neutrinos, c'est-à-dire leur interconversion entre les différentes sortes.

Lever un coin du grand voile...

Science, technologie, ingénierie

Il y a quelque temps, j'avais publié un billet qu'un ami m'a commenté, et nous sommes convenus que l'intention faisait une partie importante de la nature des sciences de la nature.

De sorte que je suis conduit à modifier mon texte, que voici plus justement :








Il y a toujours eu une confusion entre science et technologie, au point que Louis Pasteur le déplorait déjà, avec des phrases d'une énergie terrible.



Pourtant, c'est tout simple, en principe :
D'une part, les sciences de la nature cherchent  à "lever un coin du grand voile", à découvrir les phénomènes inconnus et les mécanismes des phénomènes, à l'aide une méthode aussi certaine que possible, et qui passe par :
(1) l'identification d'un phénomène ;
(2) la caractérisation quantitative de ce phénomène (on en mesure des caractéristiques judicieusement choisies)
(3) le regroupement des résultats de mesure en "lois" synthétiques, c'est-à-dire essentiellement en équations ;
(4) la recherche -par induction, c'est là un point central- de concepts, notions, théories, mécanismes quantitativement compatibles avec les équations dégagées ;
(5) la recherche de conséquences des théories ainsi "induites" ;
(6) les tests expérimentaux de ces conséquences, en vue de réfutations qui permettent de boucler, afin d'améliorer des théories toujours insuffisantes.



D'autre part, la ou les technologies (à discuter), elles, visent l'amélioration des techniques, et elles ont un but pratique, puisque "technique" signifie "faire".



Pour autant, la science n'est pas au-dessus de la technologie, et la technologie n'est pas au-dessus de la science : ce sont deux activités séparées ! Et Pasteur lui-même observait que sa volonté de contribuer au bien-être de l'humanité l'avait détourné de ses travaux scientifiques (par exemple, l'exploration de la chiralité) vers la technologie, mais il l'avait mûrement décidé.



Des collègues évoquent, à côté de ces termes de science et de technologie, celui d'ingéniérie, mais il n'est pas bien clair, et, en tout cas, il tombe clairement du côté de la technologie, puisque le Journal officiel en dit :
"Ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle (en anglais : engineering)"
 (Arrêté du 12 janv. 1973 ds Lang. fr., Paris, J.O., 1980, p. 21).
Bien sûr, certains peuvent utiliser les termes avec diverses acceptions idiosyncratiques... mais ils risquent de n'être compris que par eux-mêmes.



Ajoutons enfin  :
 - que le mot « science », utilisé dans une expression telle que « science du coordonnier » n'a rien à voir avec les sciences de la nature, puisque, ici, le mot « science » signifie seulement savoir ; or comment refuser à un corps professionnel d'avoir un savoir ? Ce serait idiot… tout comme il serait idiot de confondre ce savoir empirique avec les sciences de la nature
- que  les mathématiques ne sont pas des sciences de la nature, mais des "mathématiques", et elles ne se confondent pas avec le calcul, qui est, comme on l'a vu, le quotidien des sciences de la nature
- qu'il ne peut en aucun cas exister des "sciences appliquées", puisque des science ne sont précisément pas appliquées ; une expression comme "sciences appliquées" est un oxymore fautif, tout comme carré rond.






Tout cela étant dit, puisque la confusion règne (c'est un fait) beaucoup en "sciences et technologies des aliments", et que les étudiants notamment sont perdus, je me suis amusé à recopier la table des matières d'une revue de la discipline pour essayer d'y voir plus clair. A noter que le mot "chimie" figure dans son titre, et que ce mot, déjà, prête à confusion, comme je l'ai expliqué dans d'autres billets, puisque l'on a tendance à confondre dans ce mot... de la science, de la technologie, et même de la technique.
Pourtant, un examen attentif de l'histoire de la chimie montre que la chimie est une science de la nature, et que les travaux techniques (industries) ou technologiques ne sont pas de la chimie proprement dite, mais de la technologie ou de la technique, des applications de la chimie qui ne devraient pas être nommées "chimie".
On est proche de la confusion qui règne en médecine, si bien dénoncée par Claude Bernard, qui observe justement que la médecine est une technique, que la recherche clinique est une technologie, et que la science de la médecine est la physiologie !






Mais lançons nous... même si, on va le voir, l'exercice finit par être lancinant.
 

Bioactive compounds of beetroot and utilization in food processing industry: A critical review : ici, au moins, on commence facilement, car il est question d'utiliser des composés des betteraves dans l'industrie. C'est clairement de la technologie. Certes, il aura fallu identifier les composés "bioactifs" avant de les étudier, mais l'intention est claire. Intention ! Le mot est essentiel, parce que l'on peut fort bien imaginer que des ingénieurs ou des technologues, voire des techniciens, s'intéressant à leur travail, fassent une découverte, mais il faudra l'intention, pour aller plus loin, et c'est à ce titre que l'on a parfois dit que Rumford avait découvert la convection.
Je reviens une seconde sur mon "Certes, il aura fallu identifier les composés bioactifs" : on voit qu'un travail technologique peut conduire à explorer le monde, à "lever un [petit, ici] coin du grand voile", ce qui correspond à une activité scientifique.
Et  s'impose une observation : de même que l'on ne fait pas de chimie quand on respire, on ne fait pas de science quand on effectue certaines des tâches qui relève de sa méthode ; de même, une partie du public confond science et rigueur, mais il ne suffit pas d'être rigoureux pour faire une recherche scientifique. L'intention est essentielle, et les technologues qui auront ici identifié des composés bioactifs dans les betteraves, s'ils ont contribué à l'augmentation des connaissances, n'auront pas notablement contribué à la science. D'ailleurs, des composés "bioactifs" : on pressent qu'il s'agit seulement d'observer si des composés ont une action sur le corps humain... ce qui est une application.
J'ajoute aussi que je crois les étapes 4, 5 et 6  essentielles dans la recherche scientifique. Trop souvent, le travail n'est que technique, quand il s'arrête à la caractérisation quantitative des phénomènes.



Exploring the impacts of postharvest processing on the aroma formation of coffee beans – A review :  ce deuxième travail semble annoncer clairement la couleur : il s'agit d'explorer un champ technique, à savoir ce qui se passe quand on a recueilli les fruits du caféier. Toutefois le titre n'est plus suffisant, ici, parce que l'on pourrait imaginer que les « chercheurs » ont tenté d'élucider des mécanismes à des fins de savoir, ou bien à des fins d'amélioration des procédés. On retrouve ici la question de l'intention, de l'ambition particulière de ce « chercheur » qui, selon les cas, est un chercheur scientifique ou un chercheur technologique.
En tout cas, ici, il faut y aller plus avant pour se déterminer... en se doutant que si l'on parle d'arôme, c'est bien que l'on pense à un effet sur l'humain... et donc à de la technologie, en vue de modifier le café pour qu'il soit mieux apprécié : si ce n'est pas de la technologie, cela !



Phenolic compounds and antioxidant activities of tea-type infusions processed from sea buckthorn (Hippophaë rhamnoides) leaves : ici, le mot "proccessed" fait penser à de la technologie, mais nous arrivons à un cas plus subtil, même si l'argousier est utilisé de façon technique. Ce qui est en cause, plus précisément, c'est cette exploration des activités antioxydantes des composés phénoliques de la plante. Vise-t-elle une simple caractérisation, pour une utilisation (technologique), ou la recherche de mécanismes ? Il faut lire en détail l'article... et l'on opte alors pour la seconde option.
Mais là encore, une observation, à propos de ce "processed" : le fait que des composés phénoliques soient différents avant ou après transformation de feuilles d'argousier est un phénomène dont l'exploration pourrait révéler des mécanismes inédits du monde... à condition d'être dans l'état d'esprit de les chercher. C'est  sans doute dans cette idée que l'un de mes amis qui est un très bon scientifique évoque, parmi les stratégies scientifiques, le "abstraire et généraliser".



Chloroplast-rich material from the physical fractionation of pea vine (Pisum sativum) postharvest field residue (Haulm) : là, c'est facile, puisque c'est une valorisation de résidus de transformation. Technologie.
Bien sûr, avec beaucoup de mauvaise foi, on pourrait dire que l'on s'intéresse aux mécanismes particuliers qui permettent à des résidus du pois de contenir beaucoup de matériaux chloroplastiques, mais... la lecture de l'article montre que tel n'est pas le cas, puisque, au contraire, il s'agissait d'analyser technologiquement les nutriments des fractions isolées, par une technique un peu améliorée.



Characteristics of flavonol glycosides in bean (Phaseolus vulgaris L.) seed coats : ici, il s'agit donc de caractériser une classe particulière de composés dans les haricots, et l'on peut imaginer que l'objectif est de lever un coin du grand voile. D'ailleurs, la "science des aliments" n'est en réalité une science de la nature, et non une activité technologique, que dans la mesure où elle a cet objectif. On observera que nous avions eu le besoin d'introduire la gastronomie moléculaire comme une discipline scientifique, parce que avions vu que les "sciences et technologies des aliments", dans les années 1980, se résumaient presque à de la science des ingrédients, et à des études des procédés ; or il nous apparaissait clairement que nous pourrions identifier des phénomènes et mécanismes nouveaux si nous explorions des phénomènes peu considérés, avec l'objectif clair d'identifier des mécanismes et phénomènes nouveaux.
Bref, ici, il pourrait s'agir de science des aliments, et bien de science... sauf que la consultation de l'article révèle un "Results suggest seed coats of Windbreaker and Eclipse may have potential as functional food ingredients, though benefits may not be simply due to flavonols"... qui montre que le travail était technologique. 



Wine production using free and immobilized kefir culture on natural supports : hopla, facile, non ? Mais c'est aussi l'occasion de voir que, jusque ici, nous n'avons pas eu un seul cas de science !



Variations in chlorophyll and carotenoid contents and expression of genes involved in pigment metabolism response to oleocellosis in citrus fruits: ouf, voilà enfin de la science ! Ici, de la science qui caractérise non pas les aliments, mais bien plutôt les ingrédients alimentaires, car c'est là une subtilité que je gardais en réserve, et qui agravait l'état des années 1980  : non seulement la science des aliments n'était le plus souvent que de la science des ingrédients, mais pire, ce n'était pas de la science des aliments, puisque c'était de la science des ingrédients ! Or je maintiens que les ingrédients ne sont pas des aliments, puisque manque l'étape de "cuisine". Un exemple : un sanglier vivant n'est pas un aliment ; pour faire un aliment à partir de ce sanglier, il aura fallu tuer l'animal, le dépecer, le préparer, le "cuisiner"... Ce qui n'est pas une mince affaire, et ce qui change du tout au tout la chair de l'animal.



Use of a smartphone for visual detection of melamine in milk based on Au@Carbon quantum dots nanocomposites : et là, c'est facile, puisque c'est de la caractérisation technique. N'épiloguons pas



Physicochemical properties and phenolic content of honey from different floral origins and from rural versus urban landscapes : à la lecture du seul titre, les deux possibilités scientifique et technologique se présentent, à savoir que l'on pourrait explorer les compositions et des caractéristiques des miels de différentes origines, en vue de comprendre comment ils sont formés, par exemple, ou bien l'on pourrait chercher  à attribuer des propriétés à partir de l'environnement de production, mais je propose surtout de conserver cet exemple observer que certains travaux publiés s'arrêtent à la caractérisation : si l'on est charitable, on peut admettre qu'il s'agisse de science, avec une ou deux étapes préliminaires... mais la caractérisation n'a de sens que si l'on identifie des mécanismes !



Effect of interesterified blend-based fast-frozen special fat on the physical properties and microstructure of frozen dough  : bon, de la technologie. Là encore, on pourrait faire de la science si l'on était vraiment scientifique... mais
Effect of phosphates on gelling characteristics and water mobility of myofibrillar protein from grass carp (Ctenopharyngodon idellus) : on se trouve dans l'avant dernier cas, et l'on pose la question de l'objectif, avant de trancher. L'article, lui, nous dit qu'il s'agit de technologie : dommage pour la science, tant mieux pour la technologie.



Hydrolysis and oxidation of lipids in mussel Mytilus edulis during cold storage : je pressens un travail technologique. Car même si l'on caractérise l'évolution des lipides lors du stockage au froid, l'étude s'arrête là.

Particulate organohalogens in edible brown seaweeds : de la science des ingrédients ou de la toxicologie ? Cette fois, il faut aller voir l'article, dont le résumé est le suivant :



Brown algae, rich in antioxidants and other bioactive compounds, are important dietary seaweeds in many cultures. Like other marine macroalgae, brown seaweeds are known to accumulate the halogens iodine and bromine. Comparatively little is known about the chemistry of chlorine in seaweeds. We used synchrotron-based X-ray absorption spectroscopy to measure total non-volatile organochlorine and -bromine in five edible brown seaweeds: Laminaria digitata, Fucus vesiculosus, Pelvetia canaliculata, Saccharina latissima, and Undaria pinnatifida. Organochlorine concentrations range from 120 to 630 mg·kg-1 dry weight and organobromine from 150 to 360 mg·kg-1, comprising mainly aromatic organohalogens in both cases. Aliphatic organochlorine exceeds aliphatic organobromine but is positively correlated with it among the seaweeds. Higher organochlorine levels appear in samples with more lipid moieties, suggesting lipid chlorination as a possible formation pathway. Particulate organohalogens are not correlated with antioxidant activity or polyphenolic content in seaweed extracts. Such compounds likely contribute to organohalogen body burden in humans and other organisms.
On voit que le résumé commence par vendre la salade, en termes d'application technique. Cela dit, le métabolisme du chlore ou du brome est une question passionnante. On n'oublie pas que l'iode fut découvert à partir des algues par Bernard Courtois.



Comparative studies on the yield and characteristics of myofibrillar proteins from catfish heads and frames extracted by two methods for making surimi-like protein gel products : bon, l'intention technologique est claire.



Point-of-use detection of ascorbic acid using a spectrometric smartphone-based system : idem.



Development and validation of a method for simultaneous determination of trace levels of five macrocyclic lactones in cheese by HPLC-fluorescence after solid–liquid extraction with low temperature partitioning : de l'analyse, donc de la technologie.



Rapid quantification of the adulteration of fresh coconut water by dilution and sugars using Raman spectroscopy and chemometrics : de la caractérisation, en vue de dépister des fraudes, c'est donc de la technologie.



Effect of pH and holding time on the characteristics of protein isolates from Chenopodium seeds and study of their amino acid profile and scoring : en réalité, il faut lire l'article pour voir que l'on est dans une caractérisation technologique.



Antioxidant activity of a winterized, acetonic rye bran extract containing alkylresorcinols in oil-in-water emulsions : là encore, on trouve le cas évoqué. Mais là, je commence à me lasser, et sans doute vous aussi.



Chemical profiles and antioxidant properties of roasted rice hull extracts in bulk oil and oil-in-water emulsion : il s'agit donc de caractérisation, et c'est l'occasion de signaler à nos jeunes amis qu'une caractérisation n'est qu'une caractérisation. Le contenu conceptuel est faible si l'on ne va pas jusqu'aux mécanismes. Mais, au fait, trouver le mécanisme d'un phénomène, c'est bien... mais est-ce une grande découverte ?



Distribution and effects of natural selenium in soybean proteins and its protective role in soybean β-conglycinin (7S globulins) under AAPH-induced oxidative stress: on sent la technologie à plein nez... Mais je propose que nous arrêtions ici, parce que c'est vraiment trop long, en observant seulement que les travaux scientifiques sont vraiment rares ! N'est-ce pas désolant ? N'est-ce pas un scandale que la revue en question évoque les sciences aliments.



Mais je dis assez souvent que se lamenter est inutile, et je vois surtout, là, la possibilité de développer véritablement des sciences des aliments, et pas seulement des ingrédients alimentaires ! Cela, ce me semble être précisément la gastronomie moléculaire !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!




Annexe: le reste des titres, pour que vous puissiez vous exercer

# Peels of tucumã (Astrocaryum vulgare) and peach palm (Bactris gasipaes) are by-products classified as very high carotenoid sources
# Diffuse light affects the contents of vitamin C, phenolic compounds and free amino acids in lettuce plants
# Solid-state fermentation of black rice bran with Aspergillus awamori and Aspergillus oryzae: Effects on phenolic acid composition and antioxidant activity of bran extracts
# Modifying Robusta coffee aroma by green bean chemical pre-treatment
# Microwave and ultrasound pre-treatments to enhance anthocyanins extraction from different wine lees
# Effect of sex on the nutritional value of house cricket, Acheta domestica L.
# Effect of anthocyanins on lipid oxidation and microbial spoilage in value-added emulsions with bilberry seed oil, anthocyanins and cold set whey protein hydrogels
# Comparison of real-time PCR methods for quantification of European hake (Merluccius merluccius) in processed food samples
# A unified approach for high-throughput quantitative analysis of the residues of multi-class veterinary drugs and pesticides in bovine milk using LC-MS/MS and GC–MS/MS
# Novel insight into the role of withering process in characteristic flavor formation of teas using transcriptome analysis and metabolite profiling
# High-sensitivity determination of cadmium and lead in rice using laser-induced breakdown spectroscopy
# Characterization and storage stability of chlorophylls microencapsulated in different combination of gum Arabic and maltodextrin
# Determination of serotonin in nuts and nut containing products by liquid chromatography tandem mass spectrometry
# Development of a DNA metabarcoding method for the identification of fifteen mammalian and six poultry species in food
# Comparisons of nutritional constituents in soybeans during solid state fermentation times and screening for their glucosidase enzymes and antioxidant properties
# Characterization of three different types of extracellular vesicles and their impact on bacterial growth
# Taste-guided isolation of sweet-tasting compounds from grape seeds, structural elucidation and identification in wines
# A value-added approach to improve the nutritional quality of soybean meal byproduct: Enhancing its antioxidant activity through fermentation by Bacillus amyloliquefaciens SWJS22
# UV and storage stability of retinol contained in oil-in-water nanoemulsions
# Screening of antimicrobials in animal-derived foods with desorption corona beam ionization (DCBI) mass spectrometry
# Effect of hulling methods and roasting treatment on phenolic compounds and physicochemical properties of cultivars ‘Ohadi’ and ‘Uzun’ pistachios (Pistacia vera L.)
# Traditional rose liqueur – A pink delight rich in phenolics
# In vivo anti-hyperuricemic and xanthine oxidase inhibitory properties of tuna protein hydrolysates and its isolated fractions
# Sensory descriptive and comprehensive GC–MS as suitable tools to characterize the effects of alternative winemaking procedures on wine aroma. Part I: BRS Carmem and BRS Violeta
# Kinetics of lipid oxidation in omega fatty acids rich blends of sunflower and sesame oils using Rancimat
# Encapsulation of grape seed phenolic-rich extract within W/O/W emulsions stabilized with complexed biopolymers: Evaluation of their stability and release
# Evaluation of near-infrared (NIR) and Fourier transform mid-infrared (ATR-FT/MIR) spectroscopy techniques combined with chemometrics for the determination of crude protein and intestinal protein digestibility of wheat
# Impact of consumer behavior on furan and furan-derivative exposure during coffee consumption. A comparison between brewing methods and drinking preferences
# Effects of heat-moisture treatment after citric acid esterification on structural properties and digestibility of wheat starch, A- and B-type starch granules
# Glycine betaine reduces chilling injury in peach fruit by enhancing phenolic and sugar metabolisms
# Effects of skim milk pre-acidification and retentate pH-restoration on spray-drying performance, physico-chemical and functional properties of milk protein concentrates
# Simultaneous determination and risk assessment of fipronil and its metabolites in sugarcane, using GC-ECD and confirmation by GC-MS/MS
# Extraction of lycopene using a lecithin-based olive oil microemulsion
# Discrimination of geographical origins of Chinese acacia honey using complex 13C/12C, oligosaccharides and polyphenols
# β-Agarase immobilized on tannic acid-modified Fe3O4 nanoparticles for efficient preparation of bioactive neoagaro-oligosaccharide
# Influence of fried food and oil type on the distribution of polar compounds in discarded oil during restaurant deep frying
# Structural elucidation of fucoidan from Cladosiphon okamuranus (Okinawa mozuku)
# Determination of lipophilic marine toxins in fresh and processed shellfish using modified QuEChERS and ultra-high-performance liquid chromatography–tandem mass spectrometry
# Discrimination of Brazilian lager beer by 1H NMR spectroscopy combined with chemometrics 
# Synergistic effect of mixture of two proline-rich-protein salivary families (aPRP and bPRP) on the interaction with wine flavanols
# Impact of a post-fermentative maceration with overripe seeds on the color stability of red wines
# Inhibitory effects of dietary soy isoflavone and gut microbiota on contact hypersensitivity in mice
# Metabolite characterization of powdered fruits and leaves from Adansonia digitata L. (baobab): A multi-methodological approach
# Isolation of antioxidative compounds from Micromelum minutum guided by preparative thin layer chromatography-2,2-diphenyl-1-picrylhydrazyl (PTLC-DPPH) bioautography method
# Effect of guar gum on the physicochemical properties and in vitro digestibility of lotus seed starch
# Preparation of an intelligent pH film based on biodegradable polymers and roselle anthocyanins for monitoring pork freshness
# Extraction, structural characterization and stability of polyhydroxylated naphthoquinones from shell and spine of New Zealand sea urchin (Evechinus chloroticus)
# A review of microencapsulation methods for food antioxidants: Principles, advantages, drawbacks and applications
# Transcriptome and proteome analyses of the molecular mechanisms associated with coix seed nutritional quality in the process of breeding
# The synthesis and characterization of a xanthan gum-acrylamide-trimethylolpropane triglycidyl ether hydrogel



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