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mardi 27 février 2018

Beurre feuilleté

J'ai inventé il y a plus d'un an le "beurre feuilleté", que j'ai "donné" en premier à mon ami Pierre Gagnaire, comme je le fais depuis maintenant dix sept ans chaque mois : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve. On le fait avec du beurre, mais avec toute autre matière grasse qui se comporte comme lui : le fromage, le foie gras, le beurre noisette, le chocolat.
Le chocolat ? Oui, le chocolat... à condition de comprendre que le beurre de cacao n'a pas le même comportement de fusion que le beurre, parce que sa composition est différente. Analysons.

La différence entre le beurre et le chocolat, cela tient à deux aspects essentiels, à savoir la composition en composés odorants ou sapides, d'une part, et la composition en triglycérides, d'autre part.
D'abord, le beurre. Il est principalement fait de lipides (matière grasse), d'eau, d'un sucre nommé lactose, de protéines. Lors de la clarification d'un beurre, l'eau chargée de lactose et de certaines protéines tombe au fond de la casserole, tandis que surnage la matière grasse, et une écume faite de protéines, notamment.
Le chocolat ? Du beurre de cacao, du sucre, des matières végétales, avec de nombreux composés qui donnent du goût, formés lors de la fermentation ou de la torréfaction.

Cela étant, pour nos affaires de beurre feuilleté, la question essentielle est le comportement mécanique, qui découle principalement de la constitution en molécules de "triglycérides". Oui, les matières grasses sont faites de composés que l'on nomme de triglycérides, dont les molécules sont comme des peignes à trois dents. Selon la longueur des "dents", les triglycérides fondent à froid ou à chaud.
Pour le beurre, il y a des triglycérides d'innombrables sortes (des dizaines de millions), de sorte que le beurre commence à  fondre vers -10 degrés, et finit de fondre vers 50 degrés. A la température de 20 degrés, il y a environ 70 pour cent de triglycérides fondus dans le beure, ce qui lui donne son comportement mou, tartinable.
En revanche, pour le chocolat, la fusion commence vers 30 degrés, et elle est achevée vers 40 degrés, ce qui  explique que, à la température de 20 degrés, le chocolat soit dur.
Autrement dit, sans précautions particulières (notamment une pièce à une température précise), on ne pourra pas faire du "beurre de cacao feuilleté", ni même utiliser du beurre de cacao ou du chocolat pour faire une couche de feuilletage.

 Comment faire, alors, pour produire ces deux résultats ? On peut tout d'abord observer que le chocolat, c'est du beurre et du chocolat, pour faire simple : pourquoi ne pas ajouter du sucre (glace) à du beurre (du vrai, pas du beurre de cacao) ou à de la margarine, avant d'y mettre de la poudre de cacao ? Autre solution simple : ajouter du beurre ou de l'huile, ou dela margarine à du chocolat fondu, pour en changer le comportement de fusion. Combien ? Tout dépend de la matière grasse ajoutée, mais la proportion sera entre 20 et 70 pour cent en masse. Cela n'empêchera pas qu'il faudra surveiller la température, mais les pâtissiers ont l'habitude.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

vendredi 2 février 2018

A propos de crème au beurre

Les recettes qui ratent sont des occasions d'analyse, de compréhension. Et, dans ces travaux d'exploration, j'ai l'impression qu'il vaut toujours mieux faire la chose au premier ordre, disons en première approximation, quitte à voir ensuite si le résultat ne suffirait pas à répondre à la question posée.

Voyons un exemple, avec un message arrivé ce matin : 

Monsieur,
En espérant que vous voudrez bien m'éclairer sur ce phénomène, je me permets de vous faire part d'un problème rencontré depuis quelques années avec le gâteau susnommé (dit aussi Le Cannois). Je précise tout de suite que nous faisons ce gâteau depuis 3 générations dans ma famille, et que je n'avais jamais eu ce problème pendant des décennies (j'ai commencé très jeune...). N'étant pas scientifique, je vais tenter de vous le décrire. 
Voici la recette : travailler une tasse de sucre avec 100 gr de beurre ramolli. Ajouter 2 oeufs, puis le jus d'une demi-orange, les zestes d'une orange et d'un demi-citron, enfin 1 tasse de farine et un sachet de levure alsacienne. Cuire à four moyen 1/2 heure. Mélanger le jus de l'autre demi-orange avec une petite tasse de sucre et verser ce mélange sur le gâteau chaud dans son moule. 
Le problème : depuis quelques années, quand j'ajoute le jus d'orange, le mélange sucre + beurre + oeufs, bien lisse et homogène auparavant,   se décompose : je ne sais comment décrire exactement à quoi il ressemble, n'ayant pas les termes adéquats. On a l'impression que le gras se sépare du reste en quelque sorte. L'ajout de la farine ensuite  ne rend pas complètement  l'appareil homogène et même si le goût ne semble pas altéré, la consistance une fois cuit me semble moins aérée.
Peut-être vous faudrait-il une photo ? Ou bien comprenez-vous tout de suite la réaction qui s'opère dans l'appareil ? Serait-ce lié à la fabrication du beurre qui a changé ? 
Par avance, je vous remercie vivement si vous pouvez dissiper ce mystère culinaire, et vous adresse mes salutations gastronomiques.

Ouf, c'est trop touffu pour un petit esprit comme le mien. Allons à l'os, à savoir que la recette est (pour ce qui concerne les masses) : 

1. sucre et beurre
2. oeuf entiers
3. jus d'orange
4. farine
5. poudre levante
6. cuisson
7. ajout de liquide sucré

Des données supplémentaires : 

 - le sucre, c'est du sucre
- le beurre, c'est environ 80 pour cent de matière grasse et 20 pour cent d'eau
- les oeufs apportent de l'eau, des protéines, des phospholipides : environ 50 grammes d'eau, plus le reste
- le jus d'orange, c'est essentiellement de l'eau
- je milite pour que la poudre levante soit nommée poudre levante, et pas "levure", car la "levure" est un ensemble de cellules vivantes, alors que la poudre levante est un mélange de poudres minérales qui produisent un gaz en présence d'eau et de chaleur
- la cuisson coagule les protéines et empèse la farine

Mais c'est en réalité beaucoup trop, pour analyser la question de ma correspondante, parce que la catastrophe survient seulement quand on ajoute le jus d'orange au mélange beurre + sucre + oeuf. Il faut donc analyser plus finement ce mélange. 

Quand on mélange du sucre et du beurre, il pourrait se produire que, avec beaucoup de sucre et peu de beurre, les grains de sucre s'entourent de beurre, mais, en réalité, dans le procédé décrit, on disperse les grains de sucre dans le beurre. Il peut se produire que le sucre reste sous la forme de grains, mais il se peut aussi que le sucre se dissolve dans l'eau du beure, formant des poches de sirop dans la matière grasse. Et c'est l'hypothèse que je privilégie, car de toute façon, on ajoute ensuite des oeufs, c'est-à-dire beaucoup d'eau. La recette qui m'est transmise est imprécise (une tasse ?), mais je compte 20 grammes d'eau venant du beurre, plus 100 grammes d'eau venant des oeufs. Tant qu'une tasse de sucre fait moins que 120 grammes, tout le sucre peut se dissoudre... d'où ma prévision d'un appareil très lisse. Bref, je crois que l'on est, à ce stade, à une émulsion de type eau dans huile... assez fragile : je sais que j'ai réussi à mettre 200 pour cent de d'eau dans du beurre, mais l'émulsion devient de plus en plus instable (et molle).

Et si l'on ajoute encore du jus d'orange, on a bien intérêt à bien ajouter le jus d'orange très doucement, en fouettant vigoureusement, sans que la préparation chauffe excessivement, sans quoi l'émulsion tourne comme une mayonnaise qui rate ! J'observe que l'on ajoute du jus d'orange, lequel est un liquide acide, qui peut modifier la stabilité des protéines.

Qu'est-ce qui pourrait avoir changé et qui expliquerait les échecs récents ? 

La loi impose que le beurre ne contiennent pas plus de 18 pour cent d'eau, de sorte que je vois au contraire une évolution positive, qui protège la recette. Les oranges seraient-elles  plus acides  ou moins acide? Pas certain. Bref, je risque de passer bien longtemps à chercher toutes les modifications possibles alors que la question est moins de comprendre que de réaliser un cannois réussi. Et la règle me semble alors la même que pour les crèmes au beurre : ajouter les liquides très lentement, en battant énergiquement. Car la farine ne parviendra effectivement pas à rétablir une émulsion qui aurait tourné, ni la coagulation des oeufs à forcer un ensemble stable dans toute la masse.



Reste maintenant à faire l'essai.













Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 26 janvier 2018

Peut-on manger du beurre cuit ? oui !

Oui, on dit que le beurre cuit est malsain… mais il  a même été dit qu'il valait mieux manger de l'huile (d'olive) que du beurre. Pour le beurre cuit, évidemment il y a cuit et cuit… mais le beurre noisette, par exemple, est-il malsain ?


Des études effectuées à l'université de Lille ont montré que la consommation de beurre, et celle de beurre cuit,  n'ont pas sur notre organisme les effets néfastes qu'on lui prêtait (voir http://www.cerin.org/publication/chole-doc/beurre-ne-compte-plus-pour-du-beurre.html).
Aujourd'hui, les choses changent : après quelques décennies pendant lesquelles on a crié haro sur le beurre, la crème, le lard, etc., on a vu l'obésité augmenter quand on a cessé de consommer ces produits, augmentant la consommation de sucres. De sorte que l'industrie alimentaire revient à ces produits délicieux que sont le beurre, la crème, le lard… quand ils sont bons (Toni Tarver, A big fat dispute, Food Technology, 08.16, 27-35, www.ift.org).
Car, évidemment, un beurre sans goût est sans intérêt. « Bon », cela ne veut pas nécessairement dire « artisanalement produit », car on voit des artisans empoisonner leurs clients (récemment avec des tapenades) ;  cela signifie « produit à partir de pratiques rationnelles et saines ». En l’occurrence, le beurre est bon quand l'alimentation des vaches est judicieusement choisie.

















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 6 janvier 2018

A propos de crème au beurre

Voici la question :


Je fais une crème type aux amandes, un beurre foisonné et du sucre. J'incorpore les œufs 1 à 1, et quand la crème est à la limite de trancher,  j'incorpore du chocolat fondu. L'appareil deviens lisse et homogène. Pourquoi ? 

L'interprétation, maintenant : 

Observons que  mon interlocuteur me donne peu d'indications, sur les quantités... et les amandes. Je vais faire comme si la poudre d'amande ne jouait donc aucun rôle, ce qui est probable.

Si l'on bat du beurre avec du sucre, ce dernier peut venir se dissoudre dans l'eau qui est dispersée sous la forme de gouttelettes à l'intérieur  de la matière grasse du beurre. On forme donc un sirop dispersé dans une matière grasse, ce qui reste une "émulsion de type eau dans huile" (c'est la terminologie).

Puis, quand on ajoute des oeufs, on ajoute du liquide, et, notamment des composés tensioactifs (qui facilitent l'émulsion) et de l'eau.

Toutefois une émulsion ne se soutient pas quand la proportion de "phase dispersée" (ici l'eau) devient excessive. C'est pourquoi, je crois, la crème est  à la limite de trancher.

Ajouter du chocolat fondu à ce stade ? Le chocolat, c'est en gros du gras et du sucre... de sorte que l'on fait de nouveau  augmenter la proportion de matière grasse, et tout redevient comme si l'on avait moins d'eau.

A quoi bon répondre à ce type de questions, sachant qu'elles sont en nombre infini, et que cela prend du temps sur la recherche ?

D'abord, les phénomènes culinaires sont essentiels, parce que ce sont des invitations à la recherche scientifique. Ici, c'est un phénomène intéressant, qui fait intervenir les "inversions de phase", ce  qui  est quelque chose de compliqué.

Ensuite, mon interprétation est toute théorique, et j'invite les collègues à la discuter, car sans étude expérimentale de ma part, c'est une sorte de devinette que je fais.

Pour l'"industrie" (je parle, comme les Canadiens, de toutes les activités de production, de l'artisanat à l'industrie), la question est essentielle, parce que des règles fixes faciliteraient le travail : ma réponse est donc, à nouveau, à explorer le phénomène... ce qui est l'objet de la gastronomie moléculaire.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 20 décembre 2017

La pâte à brioche : comment y mettre le beurre ?

Pour faire une brioche, prenons 200 g de farine (de force, au minimum type 55), puis 30 g de sucre, 2 oeufs, du sel, de la levure, et pétrissons jusqu'à ce que la pâte se détache des parois.

Puis il faut ajouter le beurre : certains préconisent de l'ajouter par petites parties, d'autre d'un coup.

Ensuite, on fait fermenter (ça gonfle).

On rabat, on met dans un moule beurré, et quand c'est regonflé, on cuit à 200 °C pendant environ 30 minutes.


La question : y a-t-il une différence entre l'ajout du beurre par parties, ou tout d'un coup (à ingrédients et procédés égaux) ?



Merci d'envoyer vos résultats expérimentaux, assorties des "matériels et méthodes" à icmg@agroparistech.fr

dimanche 17 décembre 2017

Les épinards absorbent-ils le beurre ? Non !


Passons rapidement sur les questions d'enfants, les « je n'aime pas les épinards », et consacrons-nous plutôt à cette recette d'épinards effleurée par Jean Antelme Brillat-Savarin, à propos d'un certain « chanoine Chevrier ».





Brillat-Savarin, qui était juriste et gastronome, et non scientifique, a recueilli des anecdotes, et il les a propagées quand elles étaient suffisamment gourmandes, sans se préoccuper de la véracité des faits.

Dans celle qui est relative au chanoine Chevrier, il est dit que ce dernier ne mangeait les épinards que lorsqu'ils avaient été cuits plusieurs jours de suite dans du beurre, et Brillat-Savarin laisse entendre que les épinards se sont gonflés de beurre. C'est séduisant, mais est-ce juste ?







Les épinards sont des tissus végétaux, faits de cellules solidarisées par une paroi végétale, une sorte de ciment. Les cellules sont comme de petits sacs principalement constitués d'eau. Quand on cuit les épinards, le tissu végétal est amolli, parce que les molécules de pectines (le ciment) sont dégradées. On voit un peu d'eau sortir des feuilles, et, évidemment, il n'a pas de variation totale de masse, car rien ne se perd, rien ne se crée.



Si l'on cuit les épinards dans du beurre, on voit ce dernier perdre environ un cinquième de sa masse, car le beurre est composé environ de 80 % de matière grasse et de 20 % d'eau (la proportion maximale d'eau est précisément définie par la loi, afin que l'on évite de vendre du beurre alourdi avec de l'eau).



Cuire les épinards dans du beurre, c'est à la fois fondre le beurre, amollir les feuilles, évaporer de l'eau apportée par le beurre et par les feuilles. Finalement, la matière grasse liquide se placera entre les feuilles par capillarité, et le fait que les feuilles soient très minces conduit à une bonne possibilité de migration de la matière grasse : on obtient une sorte de mille feuilles épinard/beurre/épinard/beurre...

Toutefois, après une certaine quantité de beurre, on en vient à produire une dispersion des épinards dans du beurre, ce qui n'est guère appétissant : du beurre aux épinards. Certes, la cuisson renouvelée du beurre conduit à améliorer le beurre noisette qui se forme progressivement. Et l'on sait combien le beurre noisette est bon ! Autrement dit, les épinards deviendraient l'excuse pour manger un merveilleux beurre noisette !



Ce qui doit m'inciter à vous dire que mon ami Pierre Gagnaire, quand il prépare du beurre noisette, ajoute périodiquement de l'eau (plus justement du jus de citron, d'orange...) afin de ralentir, de commander le brunissement de la matière grasse, qui ne doit jamais charbonner. Les procédés de confection du beurre noisette sont très mal connus du point de vue chimique, et il y aurait intérêt public à une exploration scientifique poussée, mais, en attendant, s'il est clair que les épinards recuits dans le beurre prennent un goût différent, il n'est pas moins vrai que cuire sept fois les épinards n'a aucun intérêt, et relève plus du fantasme gourmand que d'un bon principe technique. Cela est une probabilité, et non une certitude, de sorte que j'invite mes amis à cuire les épinards une fois, deux fois, trois fois... et à les comparer.



Que se passera-t-il si l'on montre que Brillat-Savarin a simplement fait rêver ? D'une part, la connaissance des mécanismes par lesquels la lune brille n'amoindrit pas la poésie du clair de lune. D'autre part, on sera fixé sur les conditions de la cuisson correcte des épinards, ce qui permettra d'en préparer de meilleurs pour nos amis. Enfin, je peux témoigner que, croyant pour l'instant que l’anecdote de Brillat-Savarin est pure invention, mon état d'esprit ne m'empêche ni d'admirer l'oeuvre de Brillat-Savarin ni de rêver à des épinards délicieusement cuits.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 décembre 2017

Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? Vous n'en croirez pas vos yeux ni vos papilles

Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? 


La purée de pomme de terre s'obtient par cuisson des pommes de terre, que l'on écrase ensuite, en ajoutant éventuellement un liquide (par exemple du lait). Parfois, on ajoute sel, noix de muscade, poivre... et beurre !
Du beurre ? Certains cuisiniers se font une joie d'en ajouter beaucoup, ce qui contribue certainement au plaisir gourmand. On parle de recettes avant autant de beurre que de pommes de terre.

Soit, mais prenons plutôt la question différemment : combien de beurre peut-on mettre, au maximum, dans une purée de pomme de terre ? 


Nous ferons un détour par la mayonnaise, avant de répondre.
Pourquoi la mayonnaise ? Parce que c'est une émulsion, et  non pas une mousse, comme le disent certains cuisiniers qui confondent émulsions et mousse. Là, il faut prendre une seconde pour rectifier l'erreur, tant elle est tenace... et propagée avec autorité par des ignorants.

Une mousse, c'est une dispersion de bulles d'air dans un liquide. Par exemple, un blanc d'oeuf battu en neige est une mousse. Une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans un liquide : c'est bien le cas de la mayonnaise, avec une dispersion d'huile dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre.
Evidemment, il y a des cas hybrides, comme la crème fouettée : la crème est clairement une émulsion, mais si on la fouette, elle prend du volume parce que le fouet y disperse de l'air sous la forme de bulles piégées dans l'émulsion, et l'on obtient une émulsion foisonnée.
Au fait, au siphon ? Selon les cas, on obtient des systèmes variés, mais le plus souvent, les siphons permettent de disperser des bulles d'air, de faire foisonner. Et au mixer plongeant ? Là, tout se rencontre : on peut  aussi bien émulsionner de l'huile dans un liquide pour faire une émulsion (une mayonnaise, par exemple) qu'utiliser l'appareil pour foisonner, produire une mousse. Ce n'est donc pas l'appareil qui détermine le résultat, mais l'usage que l'on en fait. D'ailleurs, pour ce mixer plongeant, si on l'utilise pour faire tourner des vis, en adaptant le système, on en fait un tournevis... qui ne fera donc pas d'émulsion. Et si on l'utilise pour taper sur des clous, on en fait un marteau. Bref, j'y revient, ce n'est pas l'appareil qui détermine le résultat obtenu, mais l'usage que l'on en fait.

Et j'enchaîne donc en revendiquant que, par respect pour nos interlocuteurs, nous cessions de confondre mousses et émulsions.
Une mousse, c'est du gaz, mais une émulsion, c'est du gras.
 Et j'insiste encore un peu : pas de bulles d'air dans une mayonnaise ! Si elle "monte", si elle prend du volume, ce n'est pas en raison de la présence de prétendue bulles d'air, mais parce que l'on ajoute beaucoup d'huile : aucun espoir de mincir en mangeant beaucoup de mayonnaise.
Enfin, coup de grâce, le mot "émulsion" a été introduit par Ambroise Paré en 1560 pour désigner des préparations comme le lait... qui sont donc des émulsions, avec des gouttelettes de matière grasses dispersées dans de l'eau. 


Cette question étant réglée, restons à la mayonnaise, qui est donc une émulsion, puisqu'on l'obtient en dispersant de l'huile sous la forme de gouttelettes dans une phase liquide. Combien de mayonnaise peut-on faire à partir d'un jaune d'oeuf ?
Au début de l'ajout d'huile, le fouet (par exemple, ou la fourchette, ou le pilon) disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans la phase liquide. Puis, progressivement quand on arrive à environ 70 pour cent d'huile (et donc 30 pour cent de phase liquide), il n'y a plus de place pour d'autres gouttelettes d'huile... sauf si elles se déforment, et c'est bien ce qui se passe.
 La limite, c'est 5 pour cent de liquide, et 95 pour cent d'huile : autrement dit, pour un jaune d'oeuf, c'est environ 300 grammes d'huile que l'on peut émulsionner.
Evidemment, si l'on ajoute du vinaigre, c'est plus de place pour les gouttes d'huile, et une possibilité d'ajouter plus d'huile... comme l'avait bien dit Madame Saint Ange. Après un certain stade (ce qu'ignorait Madame Saint Ange), ce sont les molécules "tensioactives" du jaune d'oeuf qui viennent à manquer, mais j'ai calculé que l'on peut faire environ 60 litres de mayonnaise à partir d'un jaune d'oeuf... à condition d'ajouter du liquide : eau, lait, vin, thé, bouillon...

De sorte que nous pouvons enfin arriver à la purée. Une pomme de terre, c'est 80 pour cent d'eau. De sorte que pour 100 grammes de pomme de terre (ou de pomme de terre écrasée), on a 80 grammes d'eau. Or rappelons-nous l'ordre de grandeur : dans une émulsion, la phase liquide peut se réduire à 5 pour cent du total. On calcule donc que l'on peut ajouter 1,5 kilogrammes de beurre fondu.

Oui, je répète : si l'on si prend bien, on peut ajouter un kilo et demie de beurre fondu à 100 grammes de purée ! Je ne dis pas que ce sera bon, mais je dis que nos amis cuisiniers sont loin du compte ;-)





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 10 août 2016

Emulsions de beurre noisette


Une question m'arrive ce matin, à propos d'émulsions de beurre noisette... ce qui me donne l'occasion de parler à nouveau de cette merveilleuse sauce  que j'avais introduite il y a de nombreuses années : la "sauce kientzheim" et, aussi, de rappeler des résultats obtenus lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire à propos de sauce hollandaise. Je  présente cela, avant de répondre à la question de mon correspondant.


D'abord, la sauce kientzheim

Cette invention que j'ai faite il y a de nombreuses années est une sorte de mayonnaise de matière grasse chaude. Voici le protocole, pour une des versions :
1. dans une terrine, mettre le jaune d'un ou deux oeufs
2. puis ajouter le jus d'un citron
 3. saler et poivrer vigoureusement (pour le poivre)
4. faire un beurre noisette (on chauffe du beurre jusqu'à ce que l'apparence des bulles de vapeur change et qu'une légère coloration se forme, avec une belle odeur
5. attendre que le beurre noisette refroidisse un peu (mais reste liquide : il faut  pouvoir poser la main sur le bord de la casserole, preuve que la température ne sera pas suffisante pour coaguler l'oeuf)
6. ajouter le beurre noisette refroidi goutte à goutte dans le mélange oeuf+citron, en fouettant comme pour une mayonnaise.
C'est absolument délicieux et, on le voit, c'est une émulsion de beurre noisette dans un liquide (jaune d'oeuf + citron). Je rappelle en passant qu'une émulsion n'est pas une mousse : la mousse, c'est obtenu par foisonnement (ajout de bulles de gaz), alors que l'émulsion correspond à la dispersion de gouttelettes de matière grasse dans un liquide avec lequel la matière grasse n'est pas miscible).


Puis notre séminaire

Dans notre séminaire, nous avons examiné, à une occasion, la question de la hollandaise que l'on rate : pouvait-on la rattraper en ajouter une goutte d'eau froide ? Et la réponse est oui : nous sommes devenus "champions du monde" de la hollandaise ratée (exprès) et rattrapée : il suffisait, une fois la sauce tournée, de mettre une ou deux cuillerées à soupe d'eau, et la sauce reprenait spontanément... comme je l'avais d'ailleurs signalé dès 1992 dans mon livre Les Secrets de la casserole (éditions Belin).
Après quatre ou cinq rattrapages, nous avons décidé d'en finir, et de pousser la cuisson de la sauce... jusqu'au beurre noisette. Et quand nous avons mis une cuillerée d'eau froide, la sauce s'est rétablie, preuve que nous avions retrouvé une émulsion de type huile dans eau.


Jusqu'à mon "beurre feuilleté"

On le voit, on peut parfaitement faire des émulsions de beurre noisette dans un liquide, mais on peut  faire aussi des émulsions d'un liquide dans du beurre noisette, et c'est ce qui m'a conduit à inventer, il y a plusieurs mois, le "beurre feuilleté". Dans cette préparation inspirée par la pâte feuilletée inversée, j'ai proposé qu'une des couches soit faite par une émulsion d'un liquide aqueux dans du beurre, et l'autre par une émulsion de beurre dans un liquide aqueux. Mon ami Pierre Gagnaire en a fait bon usage : http://www.pierre-gagnaire.com/#/pg/pierre_et_herve/travail_du_mois.
Disperser du beurre noisette dans un liquide est, on l'a vu, sans aucune difficulté, mais disperser du  liquide dans du beurre noisette ? Pas de problème non plus, et, de toute façon, si les protéines manquaient, il serait facile d'ajouter un blanc d'oeuf, ou un jaune d'oeuf, ou de la gélatine en solution dans le liquide, ou de la lécithine.


Bref, on n'a aucune difficulté  à émulsionner du beurre noisette !

samedi 26 mars 2016

Êtes-vous crème normande ou margarine ?


Je suis certainement crème, mais pas forcément crème normande. Je me souviens, quand j'étais petit, de la maison d'un de mes grands-pères,  dans les Vosges. Nous allions, avec un pot  en aluminium ou en fer-blanc, chez le crémier. Je vois encore la petite rue en pente où il avait sa boutique, en contrebas de la rue de l'église. Il y avait un  grand récipient où le lait reposait. La crème était ce qui surnageait. Le crémier la prenait à la louche, pour la mettre dans notre pot. C'était un goût absolument extraordinaire, très différent de celui d'une crème fermentée.
Bien sûr, il peut aussi y avoir d'excellente crèmes fermentées, mais le goût de cette crème juste recueillie, vraiment "fraîche", était superbe, aussi parce que le lait des Vosges était d'une grande qualité. Du coup, le beurre aussi était très bon. Il faut répéter que ces goûts résultent de l'herbe que mangent les vaches, d'une part, et, d'autre part, des procédés de transformation.
Je ne suis pas personnellement d'une culture de l'huile d'olive, mais je suis surtout d'une culture de l'honnêteté ! On a le droit de manger de l'huile, si l'on veut, mais pourquoi mettre en avant des arguments fallacieux, tel que "c'est meilleur la santé" ?  Au nom de la "santé", on cherche à  nous faire gober n'importe quoi !
Et puis, ne méritons-nous pas d'avoir le meilleur ? Un bon beurre, une bonne crème, et aussi une bonne huile ? J'ai un ami sicilien qui fait son huile d'olives, une huile très verte, avec un goût  marqué, brûlant, piquant un peu, une  toute petite amertume... : un régal.  Mais je me souviens aussi d'un beurre  normand mangé  au Japon, à Kyoto, chez  un chef japonais qui est un élève de Pierre Gagnaire. Là encore, un beurre remarquable.
Enfin, je n'oublie pas que le beurre, la crème, le lait... peuvent être travaillés... et je vous renvoie vers mon invention  toute récente du "beurre feuilleté", sur le site de Pierre Gagnaire.

lundi 13 juillet 2015

Le lait, bon pour la santé ?

Faut-il manger de l'huile plutôt que du beurre ? Et, mieux encore, de l'huile d'olive ? On nous parle d'acides gras saturés, insaturés... en oubliant qu'il n'y a que des triglycérides dans les matières grasses, molécules formées d'un résidu de glycérol et de résidus d'acides gras. Mais là n'est pas la question. Ce qui est en débat, c'est de s'arrêter ou non de manger du beurre, de la crème, du lard... pour se réfugier dans l'huile, et si possible d'olive. 

L'étude des "sept pays", qui avait voulu nous faire croire à l'intérêt supérieur de l'huile d'olive a été réanalysée... et des biais terribles sont apparus. Tout d'abord, les pays retenus ont été choisis arbitrairement : c'est un premier biais. Ensuite, si l'on analyse les 16 cohortes de l'étude, on constate qu'il n'y a  qu'une  faible association entre acides gras saturés et mortalité cardiovasculaire. Dans deux iles, Corfou et la Crète, il y avait les mêmes apports en acides gras saturés, mais une mortalité coronarienne bien supérieure pour Corfou ; alors ? Puis l'analyse alimentaire n'avait été faite que du 500 des 13 000 hommes de l'étude : c'est  bien peu, et l'on risque fortement des biais d'échantillonnages Les aliments transformés ont été classés en "acides gras saturés" mêe quand ils étaient dans des produits de type gâteaux, pâtisserie, snacks, donc associés à du sel, du sucre... Enfin, en Grèce, l'analyse alimentaire a été faite... pendant le Carême ! 

Bref, on s'interroge : qui a voulu ainsi nous faire croire que l'huile d'olive était "bonne pour la santé" ? Et qui a intérêt à attaquer l'industrie laitière ? 

Aujourd'hui, les études épidémiologiques prospectives (les seules qui vaillent, parce qu'elles ne confondent pas causalité et corrélation) montrent que la consommation de produits laitiers est associée à uen diminution du risque cardio-métabolique : moindre risque de  survenue du syndrome métabolique, forte diminution du risque de survenue du diabète de type 2, réduction du risque d'accident cérébro-vasculaire, absence d'augmentation du risque cardiovasculaire. Dans une population de 3452 adultes, les sujets déclarant une intolérance au lactose et ayant réduit leurs apports en produits laitiers avaient un risque d'hypertension artérielle et de diabète augmenté, respectivement de 40 et de 30 pour cent ! 

Alors ne devons-nous pas reconsidérer nos usages de l'huile d'olive, et nous remettre à cuisiner au beurre et à la crème ? 


samedi 18 août 2012

Des questions de loyauté

Il y a quelques années, les règlements européens ont autorisé une petite quantité de matières grasses ajoutées au beurre de cacao afin :
- d'harmoniser les réglementations nationales au sein de la Communauté européenne
- de lisser les cours du cacao.

Dont acte... mais il y a d'abord une question de loyauté. Pour des Français, du chocolat à l'huile de palme n'est pas du chocolat. Si cela l'est pour d'autres pays, il faut en conséquence :
- soit donner des noms différents aux divers produits
- soit profiter des harmonisations pour remonter le niveau de qualité et d'exigence, pas le descendre !

Je propose que l'on ouvre à nouveau le dossier et que l'on règle cette question terrible !

Tant qu'on y sera, on pourra aussi faire cesser le scandale du Codex alimentarius, qui admet qu'on puisse faire de la sauce béarnaise sans jaunes d'oeufs ni échalotes ni beurre ! Qui m'épaule dans ce combat ?