Les recettes qui ratent sont des occasions d'analyse, de compréhension. Et, dans ces travaux d'exploration, j'ai l'impression qu'il vaut toujours mieux faire la chose au premier ordre, disons en première approximation, quitte à voir ensuite si le résultat ne suffirait pas à répondre à la question posée.
Voyons un exemple, avec un message arrivé ce matin :
Monsieur,
En espérant que vous voudrez bien m'éclairer sur ce phénomène, je me permets de vous faire part d'un problème rencontré depuis quelques années avec le gâteau susnommé (dit aussi Le Cannois). Je précise tout de suite que nous faisons ce gâteau depuis 3 générations dans ma famille, et que je n'avais jamais eu ce problème pendant des décennies (j'ai commencé très jeune...). N'étant pas scientifique, je vais tenter de vous le décrire.
Voici la recette : travailler une tasse de sucre avec 100 gr de beurre ramolli. Ajouter 2 oeufs, puis le jus d'une demi-orange, les zestes d'une orange et d'un demi-citron, enfin 1 tasse de farine et un sachet de levure alsacienne. Cuire à four moyen 1/2 heure. Mélanger le jus de l'autre demi-orange avec une petite tasse de sucre et verser ce mélange sur le gâteau chaud dans son moule.
Le problème : depuis quelques années, quand j'ajoute le jus d'orange, le mélange sucre + beurre + oeufs, bien lisse et homogène auparavant, se décompose : je ne sais comment décrire exactement à quoi il ressemble, n'ayant pas les termes adéquats. On a l'impression que le gras se sépare du reste en quelque sorte. L'ajout de la farine ensuite ne rend pas complètement l'appareil homogène et même si le goût ne semble pas altéré, la consistance une fois cuit me semble moins aérée.
Peut-être vous faudrait-il une photo ? Ou bien comprenez-vous tout de suite la réaction qui s'opère dans l'appareil ? Serait-ce lié à la fabrication du beurre qui a changé ?
Par avance, je vous remercie vivement si vous pouvez dissiper ce mystère culinaire, et vous adresse mes salutations gastronomiques.
Ouf, c'est trop touffu pour un petit esprit comme le mien. Allons à l'os, à savoir que la recette est (pour ce qui concerne les masses) :
1. sucre et beurre
2. oeuf entiers
3. jus d'orange
4. farine
5. poudre levante
6. cuisson
7. ajout de liquide sucré
Des données supplémentaires :
- le sucre, c'est du sucre
- le beurre, c'est environ 80 pour cent de matière grasse et 20 pour cent d'eau
- les oeufs apportent de l'eau, des protéines, des phospholipides : environ 50 grammes d'eau, plus le reste
- le jus d'orange, c'est essentiellement de l'eau
- je milite pour que la poudre levante soit nommée poudre levante, et pas "levure", car la "levure" est un ensemble de cellules vivantes, alors que la poudre levante est un mélange de poudres minérales qui produisent un gaz en présence d'eau et de chaleur
- la cuisson coagule les protéines et empèse la farine
Mais c'est en réalité beaucoup trop, pour analyser la question de ma correspondante, parce que la catastrophe survient seulement quand on ajoute le jus d'orange au mélange beurre + sucre + oeuf. Il faut donc analyser plus finement ce mélange.
Quand on mélange du sucre et du beurre, il pourrait se produire que, avec beaucoup de sucre et peu de beurre, les grains de sucre s'entourent de beurre, mais, en réalité, dans le procédé décrit, on disperse les grains de sucre dans le beurre. Il peut se produire que le sucre reste sous la forme de grains, mais il se peut aussi que le sucre se dissolve dans l'eau du beure, formant des poches de sirop dans la matière grasse. Et c'est l'hypothèse que je privilégie, car de toute façon, on ajoute ensuite des oeufs, c'est-à-dire beaucoup d'eau. La recette qui m'est transmise est imprécise (une tasse ?), mais je compte 20 grammes d'eau venant du beurre, plus 100 grammes d'eau venant des oeufs. Tant qu'une tasse de sucre fait moins que 120 grammes, tout le sucre peut se dissoudre... d'où ma prévision d'un appareil très lisse. Bref, je crois que l'on est, à ce stade, à une émulsion de type eau dans huile... assez fragile : je sais que j'ai réussi à mettre 200 pour cent de d'eau dans du beurre, mais l'émulsion devient de plus en plus instable (et molle).
Et si l'on ajoute encore du jus d'orange, on a bien intérêt à bien ajouter le jus d'orange très doucement, en fouettant vigoureusement, sans que la préparation chauffe excessivement, sans quoi l'émulsion tourne comme une mayonnaise qui rate ! J'observe que l'on ajoute du jus d'orange, lequel est un liquide acide, qui peut modifier la stabilité des protéines.
Qu'est-ce qui pourrait avoir changé et qui expliquerait les échecs récents ?
La loi impose que le beurre ne contiennent pas plus de 18 pour cent d'eau, de sorte que je vois au contraire une évolution positive, qui protège la recette. Les oranges seraient-elles plus acides ou moins acide? Pas certain. Bref, je risque de passer bien longtemps à chercher toutes les modifications possibles alors que la question est moins de comprendre que de réaliser un cannois réussi. Et la règle me semble alors la même que pour les crèmes au beurre : ajouter les liquides très lentement, en battant énergiquement. Car la farine ne parviendra effectivement pas à rétablir une émulsion qui aurait tourné, ni la coagulation des oeufs à forcer un ensemble stable dans toute la masse.
Reste maintenant à faire l'essai.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 2 février 2018
Comment faire un bon TPE ou TIPE
Un travail personnel encadré ? Un travail d'initiative personnelle encadrée ?
Ces deux exercices sont proposés aux élèves respectivement en classe de Première ou de préparation aux écoles d'ingieurs, et la gastronomie moléculaire, d'une part, la cuisine moléculaire ou la cuisine note à note, d'autre part, attirent de nombreux élèves, qui m'interrogent donc à propos de sauce mayonnaise, de soufflé, de perles d'alginate, etc.
Les mêmes sujets reviennent sans cesse, et j'ai déjà discuté la question du manque d'originalité, en signalant qu'un sujet rabâché n'est pas condamné pour autant... si le candidat fait quelque chose d'original, et montre en quoi ce qu'il fait ne provient pas d'un des innombrables sites qui ont traité le sujet. Ici, je cherche à considérer la question, en prenant le cas terrible de la sauce mayonnaise, sans doute la plus étudiée des préparations dans les TPE ou les TIPE.
Première faute à ne pas faire : choisir un sujet trop vaste. Première option à bien prendre : choisir un phénomène.
J'ai déjà expliqué souvent que les TPE ou TIPE sont en réalité des exercices où l'on demande aux élèves de montrer qu'ils savent appliquer le savoir qu'ils ont à des cas concrets (puisque les élèves disent préférer du concret).
Et, selon les textes officiels, l'exercice vise à mettre en oeuvre la méthode scientifique, laquelle passe par
(1) identification d'un phénomène,
(2) quantification dudit phénomène,
(3) réunion des données en "lois" synthétiques,
(4) proposition de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois,
(5) recherche d'une prévision déduite de la "théorie" (l'énoncé de l'ensemble des mécanismes),
(6) test expérimental de la prévision théorique,
et l'on boucle à l'infini, puisqu'une théorie est toujours insuffisante.
Cette description permet à la fois de comprendre que la science n'a pas de fin, mais, également, elle conduit à comprendre que n'importe quelle phrase théorique mérite une exploration.
A propos de la mayonnaise ? On a dit que les phospholipides du jaune d'oeuf étaient responsable de l'émulsification, c'est-à-dire de la dispersion de l'huile, en gouttelettes, dans l'eau apportée par le jaune (50 % du jaune) et par le vinaigre (jusqu'à 94 %).
Puis on a découvert que les protéines étaient plus importantes, au point que l'on peut faire une sauce émulsionnée sans jaune, mais avec seulement du blanc, lequel est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.
Que faire, maintenant ? Considérer des cas où cette description théorique est prise en défaut, comme par exemple quand une émulsion se déstabilise, parce que des solutés de l'huile migrent à la surface des gouttelettes d'huile, et en chassent les protéines.
Ou bien faire la chasse aux adjectifs (les protéines étaient plus "importantes") pour les remplacer par la réponse à la question "Combien ?".
Mais je m'aperçois que je vais bien trop vite, et qu'il y aurait lieu, de façon plus coordonnée -en vue d'aider nos jeunes amis-, de repartir de la question : soit un élève qui a décidé d'étudier la mayonnaise pour son TIPE ou son TPE ; que pourrait-il faire ?
Commencer par identifier un phénomène, donc.
La confection de la mayonnaise ? Un sujet bien trop vaste, puisqu'il y a beaucoup trop de phénomènes.
Analysons, en effet.
Supposons que nous partions d'un oeuf.
Nous le "clarifions" : la rupture de la coquille est un premier phénomène.
Puis nous séparons le jaune du blanc. Si le jaune, qui est "liquide", peut se séparer, c'est qu'il est pris dans une membrane, comme on s'en aperçoit en piquant un jaune avec une épingle, et en laissant couler doucement le jaune par le trou. Comment cette membrane se rompt-elle qvuand on "touille" le jaune dans le bol ?
Puis on ajoute du vinaigre au jaune : là, il est bon de savoir que le jaune est fait de "granules" (visibles au microscope optique) dispersés dans un plasma, de sorte que se pose la question de savoir comment le vinaigre et le jaune se mêlent. Le plasma est-il seulement dilué par le vinaigre ? Les granules sont-ils modifiés ?
Passons à l'ajout d'une goutte d'huile qui est battue par le fouet : comment une goutte au contact d'un fil du fouet se divise-t-elle ?
Et ainsi de suite : on voit que l'analyse de la sauce mayonnaise se divise en un nombre considérable de phénomènes... et que le sujet "la sauce mayonnaise" est bien trop vaste !
Autre écueil : vouloir faire de la recherche scientifique, lors de ces travaux de TPE ou de TIPE.
En effet, les élèves méconnaissent le fait que nos connaissances sont bien trop faibles, et qu'ils vont rapidement buter sur la limite des connaissances actuelles.
Par exemple, la division d'une goutte d'huile par le fil du fouet est un problème très difficile de physique des fluides. Or les textes officiels ne demandent pas aux élèves de faire de la recherche scientifique, mais seulement d'explorer les phénomènes. Ce serait déjà merveilleux, pour ce cas de division de la gouttelette, s'ils comprenaient la physique qui est mise en oeuvre pour décrire le phénomène.
Oui, on leur propose de faire une expérience à propos du phénomène exploré, mais certainement pas une expérience qui mette en oeuvre des faisceaux de neutrons, par exemple. A eux d'imaginer ou de reproduire des expériences qui sont à leur portée.
Par exemple, on pourrait très bien imaginer un petit dispositif qui mette en évidence l'effet de la vitesse de passage du fouet dans la goutte d'huile, avec une interprétation du phénomène prise à des publications scientifiques déjà publiées. Cette option aurait le mérite de conduire nos jeunes amis à travailler pour comprendre les publications, grâce à la formation qu'ils ont déjà.
Car c'est là un point important de ces travaux : on demande aux élèves de faire état des connaissances qu'ils ont reçues, de mettre en oeuvre toutes ces lois P = m.g, U = R. I dans des cas concrets. Répétons que le but n'est pas qu'ils produisent de la connaissance scientifique, même s'ils en sont en réalité capables.
On leur demande de faire un beau travail soigneux, intelligent, cohérent, organisé... Tout cela est dans les textes officiels : pourquoi se lancer sans les regarder d'abord ?
Ces deux exercices sont proposés aux élèves respectivement en classe de Première ou de préparation aux écoles d'ingieurs, et la gastronomie moléculaire, d'une part, la cuisine moléculaire ou la cuisine note à note, d'autre part, attirent de nombreux élèves, qui m'interrogent donc à propos de sauce mayonnaise, de soufflé, de perles d'alginate, etc.
Les mêmes sujets reviennent sans cesse, et j'ai déjà discuté la question du manque d'originalité, en signalant qu'un sujet rabâché n'est pas condamné pour autant... si le candidat fait quelque chose d'original, et montre en quoi ce qu'il fait ne provient pas d'un des innombrables sites qui ont traité le sujet. Ici, je cherche à considérer la question, en prenant le cas terrible de la sauce mayonnaise, sans doute la plus étudiée des préparations dans les TPE ou les TIPE.
Première faute à ne pas faire : choisir un sujet trop vaste. Première option à bien prendre : choisir un phénomène.
J'ai déjà expliqué souvent que les TPE ou TIPE sont en réalité des exercices où l'on demande aux élèves de montrer qu'ils savent appliquer le savoir qu'ils ont à des cas concrets (puisque les élèves disent préférer du concret).
Et, selon les textes officiels, l'exercice vise à mettre en oeuvre la méthode scientifique, laquelle passe par
(1) identification d'un phénomène,
(2) quantification dudit phénomène,
(3) réunion des données en "lois" synthétiques,
(4) proposition de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois,
(5) recherche d'une prévision déduite de la "théorie" (l'énoncé de l'ensemble des mécanismes),
(6) test expérimental de la prévision théorique,
et l'on boucle à l'infini, puisqu'une théorie est toujours insuffisante.
Cette description permet à la fois de comprendre que la science n'a pas de fin, mais, également, elle conduit à comprendre que n'importe quelle phrase théorique mérite une exploration.
A propos de la mayonnaise ? On a dit que les phospholipides du jaune d'oeuf étaient responsable de l'émulsification, c'est-à-dire de la dispersion de l'huile, en gouttelettes, dans l'eau apportée par le jaune (50 % du jaune) et par le vinaigre (jusqu'à 94 %).
Puis on a découvert que les protéines étaient plus importantes, au point que l'on peut faire une sauce émulsionnée sans jaune, mais avec seulement du blanc, lequel est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.
Que faire, maintenant ? Considérer des cas où cette description théorique est prise en défaut, comme par exemple quand une émulsion se déstabilise, parce que des solutés de l'huile migrent à la surface des gouttelettes d'huile, et en chassent les protéines.
Ou bien faire la chasse aux adjectifs (les protéines étaient plus "importantes") pour les remplacer par la réponse à la question "Combien ?".
Mais je m'aperçois que je vais bien trop vite, et qu'il y aurait lieu, de façon plus coordonnée -en vue d'aider nos jeunes amis-, de repartir de la question : soit un élève qui a décidé d'étudier la mayonnaise pour son TIPE ou son TPE ; que pourrait-il faire ?
Commencer par identifier un phénomène, donc.
La confection de la mayonnaise ? Un sujet bien trop vaste, puisqu'il y a beaucoup trop de phénomènes.
Analysons, en effet.
Supposons que nous partions d'un oeuf.
Nous le "clarifions" : la rupture de la coquille est un premier phénomène.
Puis nous séparons le jaune du blanc. Si le jaune, qui est "liquide", peut se séparer, c'est qu'il est pris dans une membrane, comme on s'en aperçoit en piquant un jaune avec une épingle, et en laissant couler doucement le jaune par le trou. Comment cette membrane se rompt-elle qvuand on "touille" le jaune dans le bol ?
Puis on ajoute du vinaigre au jaune : là, il est bon de savoir que le jaune est fait de "granules" (visibles au microscope optique) dispersés dans un plasma, de sorte que se pose la question de savoir comment le vinaigre et le jaune se mêlent. Le plasma est-il seulement dilué par le vinaigre ? Les granules sont-ils modifiés ?
Passons à l'ajout d'une goutte d'huile qui est battue par le fouet : comment une goutte au contact d'un fil du fouet se divise-t-elle ?
Et ainsi de suite : on voit que l'analyse de la sauce mayonnaise se divise en un nombre considérable de phénomènes... et que le sujet "la sauce mayonnaise" est bien trop vaste !
Autre écueil : vouloir faire de la recherche scientifique, lors de ces travaux de TPE ou de TIPE.
En effet, les élèves méconnaissent le fait que nos connaissances sont bien trop faibles, et qu'ils vont rapidement buter sur la limite des connaissances actuelles.
Par exemple, la division d'une goutte d'huile par le fil du fouet est un problème très difficile de physique des fluides. Or les textes officiels ne demandent pas aux élèves de faire de la recherche scientifique, mais seulement d'explorer les phénomènes. Ce serait déjà merveilleux, pour ce cas de division de la gouttelette, s'ils comprenaient la physique qui est mise en oeuvre pour décrire le phénomène.
Oui, on leur propose de faire une expérience à propos du phénomène exploré, mais certainement pas une expérience qui mette en oeuvre des faisceaux de neutrons, par exemple. A eux d'imaginer ou de reproduire des expériences qui sont à leur portée.
Par exemple, on pourrait très bien imaginer un petit dispositif qui mette en évidence l'effet de la vitesse de passage du fouet dans la goutte d'huile, avec une interprétation du phénomène prise à des publications scientifiques déjà publiées. Cette option aurait le mérite de conduire nos jeunes amis à travailler pour comprendre les publications, grâce à la formation qu'ils ont déjà.
Car c'est là un point important de ces travaux : on demande aux élèves de faire état des connaissances qu'ils ont reçues, de mettre en oeuvre toutes ces lois P = m.g, U = R. I dans des cas concrets. Répétons que le but n'est pas qu'ils produisent de la connaissance scientifique, même s'ils en sont en réalité capables.
On leur demande de faire un beau travail soigneux, intelligent, cohérent, organisé... Tout cela est dans les textes officiels : pourquoi se lancer sans les regarder d'abord ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
jeudi 1 février 2018
Les confits
Ce matin, une question, à propos de confits :
Bonjour Monsieur This.
Il y a plusieurs années, je réalisais des confits de toutes sortes dans ma cuisine. Je testais alors des épaules d'agneau confites à l'huile d'olive, des échines de porc au saindoux, les cuisses de canard à la graisse de canard...
Seulement à l'époque, j'avais trouvé la température idéale pour confire mes viandes: Je les mettais au sel la nuit, les rinçais le lendemain, les faisais sauter et le soir je les plongeais dans la graisse (huile, saindoux...) "aux environs" de 70°C (c'est à ce moment que ma mémoire flanche), sur une plaque au minimum (+ thermo-sonde), de sorte que j'aille me coucher et que ma viande confisait jusqu'au lendemain matin sans pour autant durcir.
Ma question: y a-t-il une température idéale pour créer le phénomène d'osmose entre les muscles d'une viande et la matière grasse afin de confire ?
Ma première réponse est que le mot "osmose" est souvent mal utilisé, et, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'osmose. Et puisque je contredis mon correspondant-ami, je lui donne en prime une façon de faire les fruits au sirop.
Commençons par expliquer ce qu'est l'osmose, en mettant une mirabelle dans un sirop très léger... par rapport à la mirabelle. Oui, la mirabelle, c'est beaucoup d'eau et du sucre. Si on fait un sirop avec une proportion plus faible de sucre que dans la mirabelle, alors j'ai fait observer il y a longtemps que la mirabelle tombe au fond du sirop... parce qu'elle est moins dense (on peut presque négliger l'influence du noyau dans l'affaire, en tout cas en première approximation.
Inversement, la mirabelle dans un sirop très chargé en sucre se met à flotter... de sorte que l'on trouve le bon degré de sirop en partant d'un sirop trop concentré, et en ajoutant de l'eau : quand la mirabelle commence à descendre, le sirop est à la bonne concentration.
Mais cela nous a éloigné de l'osmose, et nous allons y revenir. Ce qui se passe, quand on laisse une mirabelle pendant longtemps dans un sirop trop léger, c'est que le fruit gonfle et éclate. Inversement, dans un sirop trop concentré, le fruit se ratatine.
Pourquoi ? Parce qu'il y a de l'osmose, ce qui signifie que la peau des fruits laisse passer l'eau, et pas le sucre.
Prenons le cas d'un sirop concentré : de l'eau du sirop passe dans le fruit, et de l'eau du fruit passe dans le sirop, mais comme le sirop est très concentré, l'eau est plus "tenue" par le sirop que par le fruit... qui finit par perdre son eau, se ratatine. Phénomène inverse pour le sirop trop léger.
Mais revenons au confits
Là, il n'y a pas d'osmose, mais le phénomène est le suivant. La viande est faite de "fibres musculaires" (pensez à des tuyaux plein d'eau et de protéines, un peu comme du blanc d'oeuf), et ces fibres sont groupées en faisceaux par ce que l'on nomme du "tissu collagénique", une sorte de colle. Tiens un peu comme un pinceau de peintre que l'on aurait trempé dans de la gelée fondue qui aurait refroidi et emprisonné les poils.
Quand on cuit la viande pendant longtemps -ce qui est le cas des confits-, alors le tissu collagénique se dégrade... un peu comme quand on chauffe une gelée.
Et les fibres sont alors libérées, ce qui attendrit bien sûr la viande.
Mais alors intervient non pas l'osmose, mais la capillarité : le liquide (en l'occurrence le gras liquide) peut entrer entre les poils du pinceaux, ici entre les fibres musculaires.
Je ne perds pas de temps à expliquer les raisons de ce phénomène passionnant, et je me limite à observer que la cuisson est alors comme une cuisson à basse température, mais dans de la graisse liquide au lieu d'être dans un liquide aqueux. Les températures à utiliser sont donc celles de la cuisson à basse température, et, personnellement, je fais des cuissons de plusieurs jours, mais sans jamais descendre sous 60 degrés, car il y a alors plus de risques microbiologiques... qui sont réels quand les thermosondes ne sont pas contrôlées régulièrement.
Le passage au sel ? Pourquoi pas, surtout quand on conserve la viande dans la graisse.
Le marquage ? Pourquoi pas, puisqu'il donne du goût... mais on peut aussi observer que le réchauffage du confit dans une poêle s'accompagne de ce même brunissement.
De bonnes idées : mettre des herbes aromatiques dans la matière grasse, utiliser une matière grasse de belle qualité gustative... puisqu'elle va se retrouver dans les confits : thym, romarin...
Bonjour Monsieur This.
Il y a plusieurs années, je réalisais des confits de toutes sortes dans ma cuisine. Je testais alors des épaules d'agneau confites à l'huile d'olive, des échines de porc au saindoux, les cuisses de canard à la graisse de canard...
Seulement à l'époque, j'avais trouvé la température idéale pour confire mes viandes: Je les mettais au sel la nuit, les rinçais le lendemain, les faisais sauter et le soir je les plongeais dans la graisse (huile, saindoux...) "aux environs" de 70°C (c'est à ce moment que ma mémoire flanche), sur une plaque au minimum (+ thermo-sonde), de sorte que j'aille me coucher et que ma viande confisait jusqu'au lendemain matin sans pour autant durcir.
Ma question: y a-t-il une température idéale pour créer le phénomène d'osmose entre les muscles d'une viande et la matière grasse afin de confire ?
Ma première réponse est que le mot "osmose" est souvent mal utilisé, et, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'osmose. Et puisque je contredis mon correspondant-ami, je lui donne en prime une façon de faire les fruits au sirop.
Commençons par expliquer ce qu'est l'osmose, en mettant une mirabelle dans un sirop très léger... par rapport à la mirabelle. Oui, la mirabelle, c'est beaucoup d'eau et du sucre. Si on fait un sirop avec une proportion plus faible de sucre que dans la mirabelle, alors j'ai fait observer il y a longtemps que la mirabelle tombe au fond du sirop... parce qu'elle est moins dense (on peut presque négliger l'influence du noyau dans l'affaire, en tout cas en première approximation.
Inversement, la mirabelle dans un sirop très chargé en sucre se met à flotter... de sorte que l'on trouve le bon degré de sirop en partant d'un sirop trop concentré, et en ajoutant de l'eau : quand la mirabelle commence à descendre, le sirop est à la bonne concentration.
Mais cela nous a éloigné de l'osmose, et nous allons y revenir. Ce qui se passe, quand on laisse une mirabelle pendant longtemps dans un sirop trop léger, c'est que le fruit gonfle et éclate. Inversement, dans un sirop trop concentré, le fruit se ratatine.
Pourquoi ? Parce qu'il y a de l'osmose, ce qui signifie que la peau des fruits laisse passer l'eau, et pas le sucre.
Prenons le cas d'un sirop concentré : de l'eau du sirop passe dans le fruit, et de l'eau du fruit passe dans le sirop, mais comme le sirop est très concentré, l'eau est plus "tenue" par le sirop que par le fruit... qui finit par perdre son eau, se ratatine. Phénomène inverse pour le sirop trop léger.
Mais revenons au confits
Là, il n'y a pas d'osmose, mais le phénomène est le suivant. La viande est faite de "fibres musculaires" (pensez à des tuyaux plein d'eau et de protéines, un peu comme du blanc d'oeuf), et ces fibres sont groupées en faisceaux par ce que l'on nomme du "tissu collagénique", une sorte de colle. Tiens un peu comme un pinceau de peintre que l'on aurait trempé dans de la gelée fondue qui aurait refroidi et emprisonné les poils.
Quand on cuit la viande pendant longtemps -ce qui est le cas des confits-, alors le tissu collagénique se dégrade... un peu comme quand on chauffe une gelée.
Et les fibres sont alors libérées, ce qui attendrit bien sûr la viande.
Mais alors intervient non pas l'osmose, mais la capillarité : le liquide (en l'occurrence le gras liquide) peut entrer entre les poils du pinceaux, ici entre les fibres musculaires.
Je ne perds pas de temps à expliquer les raisons de ce phénomène passionnant, et je me limite à observer que la cuisson est alors comme une cuisson à basse température, mais dans de la graisse liquide au lieu d'être dans un liquide aqueux. Les températures à utiliser sont donc celles de la cuisson à basse température, et, personnellement, je fais des cuissons de plusieurs jours, mais sans jamais descendre sous 60 degrés, car il y a alors plus de risques microbiologiques... qui sont réels quand les thermosondes ne sont pas contrôlées régulièrement.
Le passage au sel ? Pourquoi pas, surtout quand on conserve la viande dans la graisse.
Le marquage ? Pourquoi pas, puisqu'il donne du goût... mais on peut aussi observer que le réchauffage du confit dans une poêle s'accompagne de ce même brunissement.
De bonnes idées : mettre des herbes aromatiques dans la matière grasse, utiliser une matière grasse de belle qualité gustative... puisqu'elle va se retrouver dans les confits : thym, romarin...
Inventer ? Rien de plus facile... à condition de soliloquer
La question de la créativité ou de l'innovation est lancinante, mais je m'en suis largement expliqué dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?
(Quae/Belin) : ce livre est un manuel pratique d'innovation, en ceci
qu'il introduit une méthode quasi automatique pour y parvenir.
Plus généralement, les "méthodes" sont des méthodes qui nous portent : il nous suffit de les mettre en oeuvre. Et voilà pourquoi, pour les étudiants, je propose que les parties "Informations" des cours soient sans intérêt, alors que les notions, concepts, méthodes sont les outils qu'ils doivent apprendre à utiliser.
En science, aussi, cette question de la "créativité" est sans cesse discutée, et de très nombreux collègues ont souvent évoqué devant moi la difficulté d'avoir des questions de recherche, à moi qui, hélas, en déborde, au point que je propose de penser que le principal problème n'est pas de trouver une question de recherche, mais plutôt de savoir sélectionner (voir des billets précédents, notamment à propos de bonnes pratiques en sciences de la nature, et tout particulièrement à propos de la première étape du travail) quelle question de recherche a un potentiel suffisant pour conduire à la découverte.
Et en cuisine ? Il y a un étrange paradoxe, à savoir que les cuisiniers suivent les recettes... alors que ces dernières sont bien impossibles à suivre, comme je l'avais largement montré dans mon livre Révélations gastronomiques (Belin) : les quantités font tout, mais impossible de décrire la quantité de cannelle, tant cette dernière est "concentrée" ; impossible de décrire même la quantité de farine, puisque ces dernières absorbent l'eau très différemment selon leur teneur exacte en "gluten", par exemple ; impossible de prescrire un goût, quand une asperge de début de saison ne ressemble pas à une asperge de fin de saison, quand la qualité des produits est si essentielle et si variable. De cette variabilité résulte souvent l'échec des recettes.
Pour en revenir à la créativité, je propose aujourd'hui de partir d'une déclaration qui m'a été "offerte" par quelqu'un que j'invitais à participer au Septième Concours international de cuisine note à note :
"En cuisine je ne sais pas inventer. J'ai besoin d'avoir une recette toute faite que je suis à la lettre. Je ne m'y connais pas assez pour me permettre d'inventer."
Merveilleuse déclaration, qui me conduit aussitôt à inviter tous mes amis à lire ou à relire l'extraordinaire Thééthète de Platon (je n'en dis pas plus : ce qui ont lu le dialogue savent ce qu'il y a dedans, en substance, et les autres auront le plaisir de le découvrir).
Repartons de l'observation : "En cuisine, je ne sais pas inventer". J'ai bien peur que cette déclaration ressemble à l'observation que je me faisais alors que je finissais mes études de chimie physique, et que je me disais : "Nos prédécesseurs ont découvert la relativité générale, la mécanique quantique... Que nous reste-t-il à faire ?
Dans un billet précédent, j'ai bien expliqué que chaque déclaration théorique peut être réfutée, de sorte que la science n'aura jamais de fin, et que les questions scientifiques fourmillent, de sorte que mon sentiment de fin d'études était tout à fait déplacé, et faisait surtout état de mon insuffisance épistémologique (mais, aussi, de celle de mes enseignants, puisque nous étions quasiment toute la promotion à partager mon sentiment).
Oui, si, étudiant, nous avons le sentiment de ne pas savoir "inventer", c'est bien que nos études ne nous ont pas donné le sentiment que, au contraire, nous avons tout en main pour le faire. Et voilà aussi pourquoi les TPE et le TIPE sont d'essentiels outils pédagogiques, qui doivent contribuer à éviter aux étudiants d'avoir ce sentiment.
Bref, en cuisine, comment inventer ? La question est vaste, et je propose de ne pas traiter la question de deux façons :
- d'abord, en partant d'un lot d'ingrédients classiques
- ensuite, en partant des composés donnés aux concurrants du Concours de cuisine note à note.
A partir d'ingrédients classique, nous pourrions nous donner de la viande de boeuf et des carottes. Qu'en faire ? De la viande de boeuf peut être divisée et servie crue (pas besoin de connaissances particulières pour savoir que les tartares existent) ou être cuite entière ou divisée. Cuite ? Elle peut être bouillie, pochée, sautée, braisée, rôtie...
Tout dépend en réalité de quelle viande il s'agit : tendre (à griller, donc) ou dure (à braiser) ?
Pour les carottes, même question, mêmes réponses. Puis se pose la question de savoir si nous voulons cuire ensemble carottes et viande, ou si nous préférons les cuire séparément et les réunir ensuite. Les deux options sont possibles, mais on comprend que la cuisson simultanée est plus "paresseuse", ou "économe", selon le point de vue. Reste la question de savoir quels autres ingrédients ajouter... si nous en avons l'envie. Du sel, poivre, bouquet garni ? Cela est presque un catéchisme, mais, au fond, pourquoi ?
Je propose plutôt de penser que tout est possible et que seul notre goût compte ! Le sel est effectivement utile, sensoriellement, parce qu'il interagit avec les autres récepteurs de la saveur, rehausse les sucrés (dans la carotte, il y a les trois sucres glucose, fructose, saccharose) et affaiblit les éventuelles amertumes, mais aussi parce qu'il conduit au relargage plus intense des composés odorants, de sorte que les plats prennent du "goût".
Le poivre ? Il a sa raison d'être, notamment parce qu'il stimule les récepteurs trigéminaux (les piquants, les frais), et le cuisinier alsacien dit bien que, pour un plat, il faut une partie de violence, trois parties de force, neuf parties de douceur.
Le poivre apporte de la violence, et l'on devra sans doute recourir à un brunissement des viandes ou des carottes pour faire de la force, si l'on n'ajoute pas d'autres ingrédients.
Mais au fait, pourquoi ne pas ajouter, ail, oignons, échalotes, poireaux, etc.? Aucune loi ne nous l'interdit.
D'ailleurs, aucune loi n'interdit d'ajouter du sucre dans le plat qui semble condamné à être salé... alors que nous pourrions faire un dessert. Oui, un dessert avec de la viande...
Pour "inventer", pour être créatif, on voit donc une règle : ne jamais supporter les règles, et les utiliser, même, pour les prendre à rebours.
Dépassons le cas particulier de la viande de boeuf et des carottes. Plus généralement, soit des ingrédients I1, I2... In ; qu'en faire ? Chaque ingrédient peut être divisé et transformé individuellement. Ce qui conduirait à des Ii,1, Ii,2... Ii,k, et donc à des assemblages de la forme I1,α, I2,β... In,ξ.
Les transformations ? Nous les avons évoquées. Les ingrédients ? Soit nous regardons ce que nous avons dans le réfrigérateur et le garde manger, soit nous allons au marché, et nous établissons une liste. Ce n'est pas le choix qui manque, bien au contraire : c'est l'abondance, l'excès de choix. Il nous faut un critère pour choisir, et tout critère convient, entre le lancer de dé, ou l'analyse physiologique, ou l'analyse de modes...
Passons maintenant aux ingrédients de la cuisine note à note, en restant sur les ingrédients dont disposaient les concurrents du Troisième Concours international de cuisine note à note.
Il y avait des protéines, des polyphénols, de l'octénol. Les protéines ? Elles coagulent quand elles sont chauffées en présence d'eau, mais on sait que leur pyrolyse conduit à des goûts puissants. Les polyphénols ? Ajoutés à de l'eau, on dirait un début de sauce au vin. L'octénol ? Un puissant goût de sous-bois, de champignons.
Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait penser à de la viande avec une sauce au vin et des champignons.
Par exemple, grillons quelques protéines pour leur donner un goût de viande grillée. Puis ajoutons ces protéines pyrolysées à des protéines non transformées et à de l'eau, à raison de 50 pour cent de chaque ingrédient, histoire de faire comme dans les viande. Faisons une galette épaisse que nous salons, poivrons, et cuisons pour faire coaguler.
Nous obtenons une galette qui a la consistance d'une viande. Divisons en cubes, puis mettons ces cubes dans une "sauce" faite d'eau, de polyphénols, d'un peu d'octénol, de glucose et de saccharose (puisque les végétaux apportent toujours ces sucres), ajoutons des protéines dans la sauce, comme nous le ferions avec du jaune d'oeuf ou avec la gélatine d'un pied de veau, et cuisons en touillant, afin que la coagulation des protéines dissoutes épaissise la sauce. Ca y est, nous avons un plat.
La morale de toute cette affaire ? C'est que n'importe qui peut arriver à cette proposition -et à mille autres- avec des connaissances élémentaires, à savoir que les protéines peuvent coaguler, que les végétaux apportent des saccharides, disons des sucres, que les viandes sont faites d'autant de protéines que d'eau. Rien de difficile.
Oui, ce qui manque, c'est donc la méthode, et je propose que cette méthode soit le "soliloque"... mais c'est là un point que je devrai évoquer plus tard, dans un autre billet.
Plus généralement, les "méthodes" sont des méthodes qui nous portent : il nous suffit de les mettre en oeuvre. Et voilà pourquoi, pour les étudiants, je propose que les parties "Informations" des cours soient sans intérêt, alors que les notions, concepts, méthodes sont les outils qu'ils doivent apprendre à utiliser.
En science, aussi, cette question de la "créativité" est sans cesse discutée, et de très nombreux collègues ont souvent évoqué devant moi la difficulté d'avoir des questions de recherche, à moi qui, hélas, en déborde, au point que je propose de penser que le principal problème n'est pas de trouver une question de recherche, mais plutôt de savoir sélectionner (voir des billets précédents, notamment à propos de bonnes pratiques en sciences de la nature, et tout particulièrement à propos de la première étape du travail) quelle question de recherche a un potentiel suffisant pour conduire à la découverte.
Et en cuisine ? Il y a un étrange paradoxe, à savoir que les cuisiniers suivent les recettes... alors que ces dernières sont bien impossibles à suivre, comme je l'avais largement montré dans mon livre Révélations gastronomiques (Belin) : les quantités font tout, mais impossible de décrire la quantité de cannelle, tant cette dernière est "concentrée" ; impossible de décrire même la quantité de farine, puisque ces dernières absorbent l'eau très différemment selon leur teneur exacte en "gluten", par exemple ; impossible de prescrire un goût, quand une asperge de début de saison ne ressemble pas à une asperge de fin de saison, quand la qualité des produits est si essentielle et si variable. De cette variabilité résulte souvent l'échec des recettes.
Pour en revenir à la créativité, je propose aujourd'hui de partir d'une déclaration qui m'a été "offerte" par quelqu'un que j'invitais à participer au Septième Concours international de cuisine note à note :
"En cuisine je ne sais pas inventer. J'ai besoin d'avoir une recette toute faite que je suis à la lettre. Je ne m'y connais pas assez pour me permettre d'inventer."
Merveilleuse déclaration, qui me conduit aussitôt à inviter tous mes amis à lire ou à relire l'extraordinaire Thééthète de Platon (je n'en dis pas plus : ce qui ont lu le dialogue savent ce qu'il y a dedans, en substance, et les autres auront le plaisir de le découvrir).
Repartons de l'observation : "En cuisine, je ne sais pas inventer". J'ai bien peur que cette déclaration ressemble à l'observation que je me faisais alors que je finissais mes études de chimie physique, et que je me disais : "Nos prédécesseurs ont découvert la relativité générale, la mécanique quantique... Que nous reste-t-il à faire ?
Dans un billet précédent, j'ai bien expliqué que chaque déclaration théorique peut être réfutée, de sorte que la science n'aura jamais de fin, et que les questions scientifiques fourmillent, de sorte que mon sentiment de fin d'études était tout à fait déplacé, et faisait surtout état de mon insuffisance épistémologique (mais, aussi, de celle de mes enseignants, puisque nous étions quasiment toute la promotion à partager mon sentiment).
Oui, si, étudiant, nous avons le sentiment de ne pas savoir "inventer", c'est bien que nos études ne nous ont pas donné le sentiment que, au contraire, nous avons tout en main pour le faire. Et voilà aussi pourquoi les TPE et le TIPE sont d'essentiels outils pédagogiques, qui doivent contribuer à éviter aux étudiants d'avoir ce sentiment.
Bref, en cuisine, comment inventer ? La question est vaste, et je propose de ne pas traiter la question de deux façons :
- d'abord, en partant d'un lot d'ingrédients classiques
- ensuite, en partant des composés donnés aux concurrants du Concours de cuisine note à note.
A partir d'ingrédients classique, nous pourrions nous donner de la viande de boeuf et des carottes. Qu'en faire ? De la viande de boeuf peut être divisée et servie crue (pas besoin de connaissances particulières pour savoir que les tartares existent) ou être cuite entière ou divisée. Cuite ? Elle peut être bouillie, pochée, sautée, braisée, rôtie...
Tout dépend en réalité de quelle viande il s'agit : tendre (à griller, donc) ou dure (à braiser) ?
Pour les carottes, même question, mêmes réponses. Puis se pose la question de savoir si nous voulons cuire ensemble carottes et viande, ou si nous préférons les cuire séparément et les réunir ensuite. Les deux options sont possibles, mais on comprend que la cuisson simultanée est plus "paresseuse", ou "économe", selon le point de vue. Reste la question de savoir quels autres ingrédients ajouter... si nous en avons l'envie. Du sel, poivre, bouquet garni ? Cela est presque un catéchisme, mais, au fond, pourquoi ?
Je propose plutôt de penser que tout est possible et que seul notre goût compte ! Le sel est effectivement utile, sensoriellement, parce qu'il interagit avec les autres récepteurs de la saveur, rehausse les sucrés (dans la carotte, il y a les trois sucres glucose, fructose, saccharose) et affaiblit les éventuelles amertumes, mais aussi parce qu'il conduit au relargage plus intense des composés odorants, de sorte que les plats prennent du "goût".
Le poivre ? Il a sa raison d'être, notamment parce qu'il stimule les récepteurs trigéminaux (les piquants, les frais), et le cuisinier alsacien dit bien que, pour un plat, il faut une partie de violence, trois parties de force, neuf parties de douceur.
Le poivre apporte de la violence, et l'on devra sans doute recourir à un brunissement des viandes ou des carottes pour faire de la force, si l'on n'ajoute pas d'autres ingrédients.
Mais au fait, pourquoi ne pas ajouter, ail, oignons, échalotes, poireaux, etc.? Aucune loi ne nous l'interdit.
D'ailleurs, aucune loi n'interdit d'ajouter du sucre dans le plat qui semble condamné à être salé... alors que nous pourrions faire un dessert. Oui, un dessert avec de la viande...
Pour "inventer", pour être créatif, on voit donc une règle : ne jamais supporter les règles, et les utiliser, même, pour les prendre à rebours.
Dépassons le cas particulier de la viande de boeuf et des carottes. Plus généralement, soit des ingrédients I1, I2... In ; qu'en faire ? Chaque ingrédient peut être divisé et transformé individuellement. Ce qui conduirait à des Ii,1, Ii,2... Ii,k, et donc à des assemblages de la forme I1,α, I2,β... In,ξ.
Les transformations ? Nous les avons évoquées. Les ingrédients ? Soit nous regardons ce que nous avons dans le réfrigérateur et le garde manger, soit nous allons au marché, et nous établissons une liste. Ce n'est pas le choix qui manque, bien au contraire : c'est l'abondance, l'excès de choix. Il nous faut un critère pour choisir, et tout critère convient, entre le lancer de dé, ou l'analyse physiologique, ou l'analyse de modes...
Passons maintenant aux ingrédients de la cuisine note à note, en restant sur les ingrédients dont disposaient les concurrents du Troisième Concours international de cuisine note à note.
Il y avait des protéines, des polyphénols, de l'octénol. Les protéines ? Elles coagulent quand elles sont chauffées en présence d'eau, mais on sait que leur pyrolyse conduit à des goûts puissants. Les polyphénols ? Ajoutés à de l'eau, on dirait un début de sauce au vin. L'octénol ? Un puissant goût de sous-bois, de champignons.
Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait penser à de la viande avec une sauce au vin et des champignons.
Par exemple, grillons quelques protéines pour leur donner un goût de viande grillée. Puis ajoutons ces protéines pyrolysées à des protéines non transformées et à de l'eau, à raison de 50 pour cent de chaque ingrédient, histoire de faire comme dans les viande. Faisons une galette épaisse que nous salons, poivrons, et cuisons pour faire coaguler.
Nous obtenons une galette qui a la consistance d'une viande. Divisons en cubes, puis mettons ces cubes dans une "sauce" faite d'eau, de polyphénols, d'un peu d'octénol, de glucose et de saccharose (puisque les végétaux apportent toujours ces sucres), ajoutons des protéines dans la sauce, comme nous le ferions avec du jaune d'oeuf ou avec la gélatine d'un pied de veau, et cuisons en touillant, afin que la coagulation des protéines dissoutes épaissise la sauce. Ca y est, nous avons un plat.
La morale de toute cette affaire ? C'est que n'importe qui peut arriver à cette proposition -et à mille autres- avec des connaissances élémentaires, à savoir que les protéines peuvent coaguler, que les végétaux apportent des saccharides, disons des sucres, que les viandes sont faites d'autant de protéines que d'eau. Rien de difficile.
Oui, ce qui manque, c'est donc la méthode, et je propose que cette méthode soit le "soliloque"... mais c'est là un point que je devrai évoquer plus tard, dans un autre billet.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
mercredi 31 janvier 2018
Luttons contre les confusions afin de penser mieux
Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, il a été fait état du message que j'avais émis urbi et orbi, à propos de la confusion entre mousses et émulsions. Les participants du séminaire semblaient contents de ce billet parce qu'il semblait dclair, donnait des indications simples, utiles, efficaces.
Toutefois la discussion a été plus loin, et les participants m'ont conduit à faire état d'une liste de confusions courantes, à savoir la confusion entre arôme et odeur, la vieille croyance des cuissons par concentration ou par expansion (théorie fausse, il faut le redire !), la théorie fausse des quatre saveurs, la théorie fausse des cartes de la langue, l'umami, le "food pairing", l'omniprésence des réactions de Maillard. N'en jetons plus !
Ici je propose de donner des explications à ces divers propos.
Commençons par la différence entre arôme et odeur. Un aliment qui a une odeur a... une odeur : cela signifie qu'il émet dans l'air des molécules odorantes. Nous percevons ces molécules de deux façons : par le nez, quand nous humons l'aliment avant qu'il soit dans la bouche, puis une deuxième fois par les fosses rétronasales, qui relient la bouche au nez à l'arrière de la bouche, celles qui nous font ces sensations désagréables quand nous "buvons la tasse".
Les molécules odorantes sont les mêmes par les deux voies, mais les circonstances d'évaporation étant différentes, les odeurs perçues sont différentes dans les deux cas (pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer).
Cela étant, ce sont les mêmes molécules, et elles ne sont pas toujours aromatiques, puisque, en français, le mot "arôme" désigne l'odeur d'une plante aromatique, d'un aromate. Oui, ces odeurs particulières que sont les arômes sont dues à des molécules odorantes, bien sûr, mais les viandes n'ont pas d'arôme puisque ce ne sont pas des plantes aromatiques. Les viandes ont... une odeur. Idem pour le vin, dont l'odeur n'est pas l'arôme, mais ce que l'on nomme le "bouquet". Idem pour les légumes, telles les carottes, etc.
Cessons donc d'utiliser le mot "arôme" à tout bout de champ et, quand nous aurons fait le ménage devant notre porte, nous pourrons aller combattre l'emploi du mot "arôme" pour désigner des préparations de l'industrie que l'on devriat nommer des compositions ou des extraits odoriférants. Je n'ai rien contre ces préparations qui sont parfois merveilleuses... sauf que je critique leur nom, qui est fautif et que je condamne absolument, parce qu'il crée de la confusion, et qu'il est en réalité déloyal : une composition ou un extrait contenant des molécules odorantes, ce n'est pas l'odeur d'une plante aromatique, et ce n'est donc pas un arôme. Combattons la réglementation actuelle !
A propos des prétendues quatre saveurs, maintenant. Cette théorie date d'un autre siècle, et elle est complètement fausse : la réglisse n'est si salée, ni sucrée, ni acide, ni amère ; sa saveur due à l'acide glycirrhizique est... réglisse. Le bicarbonate de sodium a une saveur douceâtre et savonneuse. L'éthanol a une saveur originale, en plus d'être brûlant et odorant. Et ainsi de suite.
Les physiologistes, qui savent ce dont ils parlent, répètent depuis des décennies la vérité, à savoir qu'il n'y a pas quatre saveurs, mais sans doute une infinité. Da'illeurs, il n'y a pas un amer, mais plusieurs, ce que démontrent les études d'électrophysiologie sensorielle, où l'on suit la libération d'ions calcium par des cellules réceptrices que l'on stimule : deux composés dits "amers" ne stimulent pas les mêmes cellules. Idem pour les acides, les sucrés, etc. Il faut parler des amers, des acides, des sucrés...
Tout cela est parfataitement connu de la physiologie et c'est donc être très ignorant que de répéter la théorie des quatre saveurs. Evidemment, c'est encore plus grave de l'enseigner, mais je me réjouis que la réforme des CAP de l'hôtellerie restauration ait mis bon ordre à tout cela. Je déplore cependant que des paresseux publient encore des manuels où la théorie fausse des quatre saveur subsiste.
Aidez-moi à les combattre : il en va de la formation des jeunes !
Ah, j'y pense : puisque la théorie des quatre saveur est fausse, la carte de la langue où l'on percevrait les quatre saveurs par des zones particulières de la langue est donc également fausse. Il suffit de faire l'expérience pour s'en apercevoir, mais l'erreur est en outre de principe !
La saveur umami ? Ce serait celle de l'acide glutamique, du glutamate de sodium, des inositides, et de bien d'autres composés utilisés par l'industrie pour donner de la saveur aux mets... mais ce qui alerte, c'est que les publications y voient la saveur de la plupart des mets agréables : tomates, parmesan, viandes... Bref, une panacée gustative.
Il y aurait lieu de s'en méfier par le simple fait d'avoir énoncé le mot "panacée", qui signifie en français "qui guérit tout". Rien ne guérit tout, et il est bon de ne pas céder aux sirènes... commerciales, car c'est un fait que c'est surtout qu'une société qui vend du monoglutamate de sodium, qui promeut la saveur umami.
D'ailleurs, je m'arrête aussitôt, en écrivant l'expression "saveur umami", parce que... existe-t-elle ? On peut dire "carré rond", mais à quoi bon ? Ce qui et vrai, c'est que l'acide glutamique à une saveur, tout comme un autre acide aminé nommé alanine (la saveur de l'alanine est différente de celle de l'acide glutamique), tout comme le monoglutamate de sodium, tout comme les autres acides aminés.
Toutefois, si les dashi, bouillons japonais obtenus par infusion d'algues, ont une saveur qui serait umami, cette saveur ne serait pas élémentaire, puisque ces bouillons contiennent à la fois l'alanine et l'acide glutamique. Une somme ne peut être égale à l'un de ses termes que si elle est nulle !
Et n'est-il pas troublant que celui qui vend un produit soit celui qui promeut ses vertus ? Bref, même si nous sommes fascinés par la culture japonaise (pourquoi, au fait ?), gardons notre raison, et refusons la saveur umami, puisqu'elle n'existe pas !
Le "food pairing", maintenant. Là encore, c'est une théorie fausse... promue par une société qui y a intérêt. Initialement, cette théorie stipulait que le cuisinier pouvait associer deux ingrédients si ces deux ingrédients avaient une molécule en commun. L'idée est séduisante parce qu'elle est simple... mais elle est simpliste, et fausse : les ingrédients culinaires contiennent toujours au des composés odorants en commun !
Face à cette critique, la société qui promouvait la théorie fausse (elle vend des "arômes alimentaires") a modifié la théorie, et stipulé que l'on pouvait associer deux ingrédients s'ils avaient des molécules odorantes "essentielles" en commun. Un peu trop facile d'adapter l'idée à ses contradictions ! Et puis, la nouvelle théorie reste fautive... parce que l'on est bien en peine de savoir quels sont les composés odorants, sauf dans quelques cas particuliers (la vanilline de la vanille, l'eugénol pour le clou de girofle, l'octénol pour les champignons...).
Enfin, et surtout, on ne doit pas oublier que la cuisine est une activité artistique, et que le bon artiste a tous les droits. En musique, il peut mettre un fa dièse avec un do s'il a envie (et s'il est compétent). En peinture, il peut juxtaposer les couleurs à son gré, faire les perspectives qu'il désire : pensons à Picasso ! En littérature, il peut commencer une histoire par le début comme il peut la commencer par la fin. Et, en cuisine, il peut faire ce qu'il veut, sans "food pairing" qui tienne !
Cuissons par concentration et cuisson par expansion : je croyais avoir tant combattu ces idées fausses que je croyais que c'était fini, mais on vient de me signaler un manuel où les auteurs -je les trouve irresponsables- continuent de propager cette théorie fausse. Pour ceux qui ignorent le débat, voici.
Depuis un siècle environ, pour des raisons historiques que je n' ai pas encore comprises, s'est introduite l'idée selon laquelle les viandes rôties aurait été cuites par concentration et les viande bouillies par expansion. Dans le cas du rôti, le jus, qui aurait eu peur de la chaleur (sic !), se serait réfugié à coeur des viandes. Dans le cas des viandes bouillies, les viandes se seraient "expandues" dans le liquide. Le problème, c'est que, dans les deux cas, la viande se contracte et du jus en sort ! Le résidu brun, sur le plat à rôtir, est dû au jus qui est sorti et a séché quand la viande s'est contractée... car c'est quelque chose de facile à voir que les viandes se contractent à la chaleur : il suffit de les peser ! Dans un bouillon, de même, une viande qui pesait initialement un kilogramme ne pèse plus que 750 grammes environ, quand le bouillon atteint l'ébullition, que l'on ait d'ailleurs plongé la viande dans de l'eau chaude ou dans de l'eau froide. Bref, il n'y a pas de concentration dans la cuisson fautivement dite par concentration, et la viande ne s'expand pas dans la cuisson fautivement dite par expansion. Raison pour laquelle le référentiel des CAP de cuisine a supprimé ces notions, et raison pour laquelle les élèves auraient le droit d'attaquer en justice des professeurs qui enseigneraient encore ces notions fausses !
Maillard, enfin. Là, je suis un peu fautif, malgré moi, parce que, avec mon livre Les secrets de la casserole, qui fut un best-seller, j'ai popularisé ces réactions chimiques importantes. Oui, les réactions de Maillard (plutôt, d'ailleurs que "la" réaction de Maillard) est historiquement importante, et il est également vrai qu'on la rencontre, en cuisine... mais ce qui devient cocasse, c'est quand j'en viens à m'entendre expliquer ce que c'est, par des personnes qui ne comprennent pas ce que c'est, et qui m'en donnent une description fausse.
Les réactions de Maillard : ce sont des réactions entre des sucres "réducteurs" (pas tous les sucres, donc, et notamment pas le saccharose, ou sucre de table) et des acides aminés. Il faut dire "les" réactions de Maillard, parce qu'il y a des sucres différents : cétoses ou aldoses. Et il est vrai que, ces réactions initiales étant faites, les produits de Maillard se réarrangent, ce qui conduit à du brunissement, de l'odeur, de la saveur, du goût quoi.
Cela étant, il n'est pas vrai que les réactions de Maillard ne se font qu'à haute température : si le cristallin des personnes souffrant de diabète s'opacifie, c'est à cause des réactions de Maillard, par exemple. Le brunissement rapide des viandes, lui, provient d'innombrables réactions, de pyrolyse, oxydation, hydrolyse... Au lieu d'invoquer Maillard... à toutes les sauces, il faut faire preuve de discernement, et ne pas verser dans l'erreur par ignorance.
Je m'arrête là, non pas qu'il n'y ait plus de confusion qui courent, mais parce que ce billet est hélas très négatif, ce qui n'est pas mon habitude. L'objectif est d'être utile. Merci aussi à mes amis que je heurte bien involontairement en leur faisant prendre conscience d'erreurs où ils sont que mon objectif n'est pas de leur nuire, mais, au contraire, de les aider à penser mieux, plus justement, sur des bases plus saines.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
mardi 30 janvier 2018
Les gâteaux
Des élèves qui préparent un travail personnel encadré, ou TPE, m'interrogent :
Merci beaucoup de nous avoir envoyé autant de sites pour répondre à nos questions, mais nous n’avons pas pu trouver nos réponses car notre sujet n’est pas la cuisine moléculaire mais les œufs dans un gâteau.
Nous aurions aimé savoir les réactions chimiques qui se produisent en présence des œufs dans un gâteau ainsi que des expériences pour les illustrer si possible. Nous aurions également aimé savoir les réactions chimiques en l’absence des œufs avec les différents substituts (graines de lin, tofu, compote, purée de bananes...) et aussi s’il est possible de trouver un substitut correspondant à un rôle précis des œufs dans un gâteau.
Ma réponse circonstanciée est la suivante :
1. Oui, je sais que je n'ai pas répondu à la question... parce que je ne voulais pas répondre et leur faire un travail clé en main : à nos jeunes amis de chercher des informations et de les assembler... conformément aux recommendations du Journal Officiel.
Dans la même veine, d'ailleurs, je signale que je réponds très brusquement aux parents qui m'appellent pour leurs enfants... parce que les TPE ne sont pas des travaux pour les parents, mais pour les enfants.
Enfin, j'ai quand même répondu à nos jeunes amis... parce qu'il y a sur mon site la façon de répondre (la méthode), à défaut de la réponse que je les invite à chercher.
2. A propos des réactions qui se produisent en présence des oeufs dans les gâteaux, la question est mal posée, parce que de quel gâteau parle-t-on : d'un petit sablé ? d'un quatre quart ? d'un bavarois ? d'une génoise ?
En supposant que l'on parle d'un gâteau cuit dans un four, il y a des questions de température, mais aussi de temps.
Par exemple, la croûte d'un gâteau ainsi cuit est une zone où la température passe de 200 degrés (la température du four, disons) à 100 degrés, à l'intérieur... car la température d'un milieu qui contient de l'eau est limitée à 100 degrés (d'accord, à quelques degrés près).
Puis, dans le gâteau, la température à coeur dépend de la durée de cuisson... et aussi de l'épaisseur du gâteau.
Au fait, d'où vient cette eau dont j'ai parlé ? Des oeufs, par exemple (un blanc, c'est 90 pour cent d'eau, un jaune 50 pour cent), ou du beurre (18 pour cent maximum), du lait éventuel, par exemple.
Mais les réactions ? La principale, puisque c'est dans toute la masse, et non pas seulement dans la croûte, qui ne fait que quelques millimètres, c'est certainement la coagulation. Puis, il y a les autres... à l'infini : oui, une infinité d'autres, telle la dégradation de Strecker, la déshydratation des hexoses, des hydrolyses des amyloses et amylopectines, des caramélisations, et ainsi de suite (on voit que je prends soin de ne pas parler des réactions de Maillard, parce que j'en ai assez de voir ces dernières resurgir comme une litanie incontrôlée).
Mais, j'y reviens : la principale est la coagulation... et là, nos jeunes amis étaient renvoyés sur un podcast du site AgroParisTech où j'explique cela. Le lien exact ? Je n'ai pas le temps de chercher : qu'ils le fassent, puisque c'est leur travail.
3. Puis vient la question finale... et cela me prendrait des jours entiers pour une question qui ne m'intéresse pas. Je laisse nos amis se débrouiller... car j'ai donné la méthode. Se focaliser sur les réactions majoritaires, que l'on identifie à partir des composés majoritaires dans les ingrédients qu'ils considèrent... Mais je me reprends : c'est un très mauvais conseil que de les orienter vers cela... parce que leur sujet est en réalité beaucoup trop vaste, ce qui n'est pas ce qu'on leur demande. Relisons le Journal officiel, et l'on verra que l'on propose aux élèves des travaux faisables dans un temps bien déterminé. Quelle est la question posée ? Les réactions dans un gateau ? Pourquoi pas, mais alors ce n'est pas de remplacer les oeufs par une infinité d'ingrédients différents. Il faut d'abord un objectif clair, et, surtout, un objectif bien ciblé, pour ne pas survoler tout en un travail infiniment gros.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Merci beaucoup de nous avoir envoyé autant de sites pour répondre à nos questions, mais nous n’avons pas pu trouver nos réponses car notre sujet n’est pas la cuisine moléculaire mais les œufs dans un gâteau.
Nous aurions aimé savoir les réactions chimiques qui se produisent en présence des œufs dans un gâteau ainsi que des expériences pour les illustrer si possible. Nous aurions également aimé savoir les réactions chimiques en l’absence des œufs avec les différents substituts (graines de lin, tofu, compote, purée de bananes...) et aussi s’il est possible de trouver un substitut correspondant à un rôle précis des œufs dans un gâteau.
Ma réponse circonstanciée est la suivante :
1. Oui, je sais que je n'ai pas répondu à la question... parce que je ne voulais pas répondre et leur faire un travail clé en main : à nos jeunes amis de chercher des informations et de les assembler... conformément aux recommendations du Journal Officiel.
Dans la même veine, d'ailleurs, je signale que je réponds très brusquement aux parents qui m'appellent pour leurs enfants... parce que les TPE ne sont pas des travaux pour les parents, mais pour les enfants.
Enfin, j'ai quand même répondu à nos jeunes amis... parce qu'il y a sur mon site la façon de répondre (la méthode), à défaut de la réponse que je les invite à chercher.
2. A propos des réactions qui se produisent en présence des oeufs dans les gâteaux, la question est mal posée, parce que de quel gâteau parle-t-on : d'un petit sablé ? d'un quatre quart ? d'un bavarois ? d'une génoise ?
En supposant que l'on parle d'un gâteau cuit dans un four, il y a des questions de température, mais aussi de temps.
Par exemple, la croûte d'un gâteau ainsi cuit est une zone où la température passe de 200 degrés (la température du four, disons) à 100 degrés, à l'intérieur... car la température d'un milieu qui contient de l'eau est limitée à 100 degrés (d'accord, à quelques degrés près).
Puis, dans le gâteau, la température à coeur dépend de la durée de cuisson... et aussi de l'épaisseur du gâteau.
Au fait, d'où vient cette eau dont j'ai parlé ? Des oeufs, par exemple (un blanc, c'est 90 pour cent d'eau, un jaune 50 pour cent), ou du beurre (18 pour cent maximum), du lait éventuel, par exemple.
Mais les réactions ? La principale, puisque c'est dans toute la masse, et non pas seulement dans la croûte, qui ne fait que quelques millimètres, c'est certainement la coagulation. Puis, il y a les autres... à l'infini : oui, une infinité d'autres, telle la dégradation de Strecker, la déshydratation des hexoses, des hydrolyses des amyloses et amylopectines, des caramélisations, et ainsi de suite (on voit que je prends soin de ne pas parler des réactions de Maillard, parce que j'en ai assez de voir ces dernières resurgir comme une litanie incontrôlée).
Mais, j'y reviens : la principale est la coagulation... et là, nos jeunes amis étaient renvoyés sur un podcast du site AgroParisTech où j'explique cela. Le lien exact ? Je n'ai pas le temps de chercher : qu'ils le fassent, puisque c'est leur travail.
3. Puis vient la question finale... et cela me prendrait des jours entiers pour une question qui ne m'intéresse pas. Je laisse nos amis se débrouiller... car j'ai donné la méthode. Se focaliser sur les réactions majoritaires, que l'on identifie à partir des composés majoritaires dans les ingrédients qu'ils considèrent... Mais je me reprends : c'est un très mauvais conseil que de les orienter vers cela... parce que leur sujet est en réalité beaucoup trop vaste, ce qui n'est pas ce qu'on leur demande. Relisons le Journal officiel, et l'on verra que l'on propose aux élèves des travaux faisables dans un temps bien déterminé. Quelle est la question posée ? Les réactions dans un gateau ? Pourquoi pas, mais alors ce n'est pas de remplacer les oeufs par une infinité d'ingrédients différents. Il faut d'abord un objectif clair, et, surtout, un objectif bien ciblé, pour ne pas survoler tout en un travail infiniment gros.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Modélisations : de quoi s'agit-il ?
Les étudiants en classe préparatoire aux concours des écoles d'ingénieurs doivent faire des travaux d'initiative personnelle encadrée, ou TIPE.
Aujourd'hui, certains me soumettent leur projet : étudier la confection de la mayonnaise, et ils me demandent notamment si une "modélisation" est possible.
A cela, un commentaire préliminaire : la confection de la sauce mayonnaise a fait l'objet de très nombreux travaux de TIPE ou de TPE (sans doute plusieurs centaines, voire milliers, si j'en juge aux courriels reçus).
Aussi, si j'étais dans la position de faire un de ces deux travaux, j'hésiterais à retenir le sujet de la mayonnaise, car je craindrais que mes examinateurs ne me soupçonnent d'avoir fait du copier-coller des travaux qui ont été mis en ligne. Et si je décidais de faire un travail original, je le signalerais tout d'abord, et j'expliquerais en quoi le travail est original.
Vient maintenant la question de la "modélisation", qui est probablement requise par les instructions officielles. Nos jeunes amis qui doivent faire des TIPE gagneraient à bien comprendre que l'activité scientifique commence par l'identification d'un phénomène, puis par la caractérisation quantitative de ce dernier, après quoi on relie les données en lois et l'on cherche des mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois, afin de produire une théorie, un modèle, que l'on cherche à réfuter par une expérience.
De ce fait, indépendamment des mesures que l'on peut faire, il y aurait lieu de décrire le phénomène à l'aide de symboles mathématiques (en pratique, des lettres) que l'on cherche à relier (en équations, relations, lois). Par exemple, pour la mayonnaise, il y a la quantité initiale de jaune d'oeuf J, la quantité de vinaigre V, et la quantité d'huile que l'on ajoute progressivement H(t), où t représente le temps. Lors de l'émulsification, il faut donner de l'énergie E(t), et la sauce peut se caractériser par une répartition de la taille des gouttelettes d'huile D(t).
Modéliser, c'est donc décrire formellement le phénomène, avant d'introduire des données quantitatives qui fixeront les valeurs de paramètres que l'on aura utilisés pendant la modélisation.
Autrement dit, je réponds à mes jeunes amis que, oui, mille fois oui, il est possible de modéliser, à propos de mayonnaise ! Mieux, il n'y aurait pas de travail scientifique sans cette modélisation.
Question subsidiaire : comment une telle question a-t-elle pu se poser ? J'y vois le brouillard intellectuel dans lequel on laisse nos jeunes amis, ou dans lequel nos jeunes amis demeurent, peut-être parce qu'ils ont zappé des informations importantes qui leur ont été données.
On me connaît assez pour bien comprendre que je ne jette la pierre ni à nos jeunes amis, ni aux collègues, mais j'observe que, les faits étant les faits, il y a lieu de bien expliquer les diverses étapes de la recherche scientifique... mais aussi de la démarche technologique, quand on est dans une école d'ingénieurs !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Inscription à :
Articles (Atom)