lundi 30 septembre 2024

À propos de ciel bleu et de poussière du monde

Je dois mon idée de la "poussière du monde" au peintre chinois Shitao, qui a discuté cette notion dans son traité de peinture intitulé L'unique trait de pinceau. La thèse principale du livre est que l'on ne peut peindre que si l'on fait le bon trait du premier coup, aucune correction n'étant possible. Pour y parvenir, il faut méditer beaucoup et se débarrasser de ce que Shitao nomme donc la poussière du monde. 
 
Mais je connais assez bien la littérature pour avoir fini par comprendre que la fiction, c'est de la fiction, et que les mots que l'on utilise ne désignent pas nécessairement des objets qui existent matériellement. On peut dire "Père Noël", mais cela ne suffit pas à faire exister le Père Noël. 
 
De fait,  on peut parler de poussière du monde,  mais cela existe-t-il ? 
 
On comprend bien que si l'on a l'esprit encombré de 1000 questions secondaires, ou accessoires, ou parasites, on ne sera pas pleinement concentré sur le dessin que l'on veut faire et en particulier, pour la calligraphie, il n'est pas certain que l'on arrivera à faire du premier coup le trait qui s'imposait. 
Mais est-ce vraiment si grave de rectifier ? Ne peut-on vraiment pas y revenir,  travailler un trait qui a été fait, l'améliorer ? 
Je ne crois guère non plus à Athéna sortant toute armée de la cuisse de Zeus et je préfère l'idée d'une amélioration constante telle que le répétait Michel Eugène Chevreul, le chimiste qui découvrit la constitution des graisses :  il faut tendre avec effort à l'infaillibilité sans y prétendre. 
 
Oui il faut y tendre avec effort, avec l'effort répété et c'est ainsi que l'on obtiendra de mieux en mieux à défaut d'obtenir une sorte d'idéal qui n'existe sans doute pas. 
 
Mais revenons à la poussière du monde : on comprend bien, comme je l'ai dit , qu'il puisse y avoir des pensées parasites, et l'on comprend bien aussi que l'on puisse chercher des méthodes pour se débarrasser de celles-ci car s'il y a besoin de la puissance de l'esprit tout entière focalisée vers un objectif particulier, alors les pensées parasites sont gênantes. 
 
Cela dit je t'aime guère l'image négative qui consiste à se débarrasser de la poussière du monde, notamment parce que je vois surtout ces pensées parasites comme sécrétées par notre esprit, et non pas dues au "monde". 
 
Donc à sécréter quelque chose, pourquoi de pas sécréter du ciel bleu ?  de l'amélioration ? Pourquoi ne pas dire plutôt que, pour bien peindre, il faut avoir sécrété suffisamment ciel bleu ? 
 
Je préfère de beaucoup cette image, parce qu'elle me met en position de m'interroger sur ce ciel bleu que je veux construire. 
D'autre part, en évoquant le bleu du ciel, je vois le bleu du ciel avec les yeux de l'esprit. Face au ciel bleu, c'est beaucoup de bonheur, c'est une marche très positive :  je tends avec effort vers l'infaillibilité sans y prétendre,  je ne me préoccupe pas du monde qui n'existe pas en réalité  : je fais exister ce que je veux faire exister,  positivement.

Question de typographie

 Quels usage pour les points de suspension ? Je lis un texte où les points de suspension sont surabondants, et ce type de faute me renvoie à la généralité de la pratique : que veut-on dire par des points de suspension ?  Bien sûr, chacun peut en faire l'usage qu'il veut mais on n'oubliera pas que l'écriture est une communication et qu'il y a lieu de s'interroger sur la manière dont nos mots sont reçus plutôt qu'émis.
Veut-on abréger une énumération ? Alors il y a la possibilité d'être plus explicite avec un "etc.".  Veut-on indiquer, dans une citation, que l'on omet une partie du texte ? Alors la convention veut que l'on mette les points de suspension entre des crochets. 

Bref, interrogeons-nous : pourquoi des points de suspension ? 

 

A noter que Wikipedia répond : 

Les points de suspension peuvent marquer la fin d’un énoncé alors que la phrase n’est pas complète ; cela indique au lecteur que la phrase précédente aurait pu être poursuivie. La phrase précédente peut même être grammaticalement incorrecte.

Ils peuvent aussi être utilisés :

  • comme un procédé rhétorique laissant la fin de la phrase en sous-entendu ;
  • comme une figure de style indiquant une rupture ou une suspension du discours appelée aposiopèse ;
  • comme une figure de style marquant une omission volontaire à fins de raccourci appelée ellipse ;
  • dans un discours rapporté :
    • lorsqu’une phrase est interrompue, par exemple par l’intervention d’une autre personne,
    • pour représenter l’hésitation,
    • pour représenter des grossièretés que l’on ne souhaite pas écrire explicitement ;
  • sollicitation de l’imagination du lecteur ;
  • à la fin de listes non exhaustives : « … » a la même valeur que « , etc. » (« etc… » est une forme erronée, bien que répandue)9 ;
  • pour signaler l’absence de réponse ou de commentaire ;
  • pour représenter le silence.

Pour indiquer un passage coupé dans une citation, on emploie les points de suspension entre crochets, « […] », ou entre parenthèses10, « (…) » : le Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie nationale préconise l’usage des crochets en précisant qu’il n’y a pas d’espace entre les crochets et le signe de ponctuation « […] »11, mais plusieurs autres guides invitent à utiliser les parenthèses10,12,13.

 

 

De l'usage et de l'abus des majuscules.

Je sors de la lecture d'un texte où l'on me parle de Président avec un p majuscule,  de Commission avec un c majuscule, et cetera.
Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de me souvenir que les majuscules doivent être utilisées pour des noms propres et non pas pour des noms communs.
Ainsi, un président, même si l'on a du respect pour lui, n'est pas un nom propre mais un nom commun. Les membres d'une société ? Même si cette dernière est particulièrement importante, même si le mot "membre" est consacré par un règlement intérieur, ce mot est un mot commun et non pas un nom propre  : il ne mérite pas une majuscule.




dimanche 29 septembre 2024

Ecrire

 "Les journalistes ne doivent pas oublier qu'une phrase se compose d'un sujet, d'un verbe et d'un complément. Ceux qui voudront user d'un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte."
Circulaire signée alors qu'il était rédacteur en chef de L'Aurore.  Georges Clemenceau



samedi 28 septembre 2024

Des démonstrations pratiques

 Pour notre prochain colloque de gastronomie moléculaire, nous aurons des démonstrations pratiques. 

Je l'avais oublié avec le covid, mais je le revois régulièrement  : mes interlocuteurs sont toujours friand s d'expérimentation, et il y a lieu d'en faire, puisqu'elles ont des vertus qui n'ont pas un simple discours. 

Les discours, tout le monde peut les faire, à commencer par les hommes politiques dont les promesses n'engagent que ceux qui croient.
 

Mais une expérimentation, c'est du solide : le résultat qu'elle donne, c'est un résultat, un fait expérimental que nous pouvons tous partager, tous discuter, qui généralement dit bien plus que la simple description qu'on en ferait avec des mots. 

Par exemple, dans une étude du brunissement des composés à la chaleur, on peut évidemment produire une photo que l'on décrit ensuite :  c'est mieux que la simple description en mots... mais en réalité c'est moins bien que l'expérience, avec l'évolution temporelle du système, mais aussi des odeurs, des bruits de crépitement par exemple, etc. 

Bref, une expérimentation est une expérience complète donc il ne faut pas en priver ceux qui découvrent les sujets. Et au fond, j'en reviens à mes cours que je faisais avec des expérimentations et je me dis que c'est ça qu'il faut généraliser.

vendredi 27 septembre 2024

Fausses viandes, faux poissons

 
Alors que je prépare un article pour présenter l'impression 3D alimentaire, je suis à nouveau confronté à la difficulté de donner des  noms aux copies de tissus animaux. 

 

Commençons par l'impression 3D alimentaire : il s'agit d'utiliser des imprimantes, avec une tête mobile qui va déposer un matériau un peu pâteux couche après couche, pour former un objet en relief.
Cette technique est apparue d'abord dans l'industrie générale avant de gagner le secteur alimentaire, et si son principe est simple, sa réalisation l'est moins car que mettre dans les réservoirs ? Avec de l'encre, c'est simple car il s'agit d'un liquide qui s'écoule facilement mais quand on veut introduire les matériaux alimentaires habituels, pâteux, plus épais, qui ne doivent pas s'étaler une fois déposés, alors il faut des systèmes un peu différents avec des éjections plus énergique et des matériaux qui s'écoulent plus facilement. 

Mais cela se règle et la question est alors de savoir pourquoi on le fait : comme toujours, il faut poser la question de l'objectif en tout premier.


Cela étant expliqué, arrivons à cette question de la reproduction de tissus animaux, à savoir les viandes ou les poissons. Il y a toute une série de travaux par des industriels relatifs à cette question et en général, ils ont recours à de la culture de cellules musculaires in vitro  : on obtient alors des tissus qui reproduisent, ou cherchent à reproduire les muscles des animaux terrestres ou aquatiques. 

Mais avec l'imprimante 3D alimentaire, certains ont voulu utiliser des protéines végétales pour obtenir de telles reproductions et cette fois, la terminologie « culture in vitro de cellules musculaires ne parvient pas à décrire les objets. 

Dans un article que j'ai préparé, j'écrivais "reproduction de tissu musculaire à partir de protéines végétales" mais je crois que je ne dois pas me laisser gagner par le mercantilisme de certains industriels et qu'il serait mieux de dire qu'il s'agit de fausses viandes, de faux poissons

 Avec ce mot faux, nos amis ne seront guère content mais en réalité je m'en moque et je préfère me concentrer sur les citoyens qui doivent être éclairés sur ce qu'ils achètent et sur ce qu'ils mangent. 

Bien sûr, l'expression "reproduction de viande ou de poisson"  convient mais il y a lieu de s'interroger encore sur l'objectif  : de quoi s'agit-il ? Manifestement il s'agit d'utiliser une mode pour vendre des produits moins coûteux que les produits animaux. Bien sûr on nous objectera le climat, le bien-être animal et cetera, mais en réalité, il est surtout question d'argent et de vendre au prix de la viande des produits qui sont bien  moins coûteux et c'est à ce titre que je ne je n'hésiterai plus à parler de faux.

jeudi 26 septembre 2024

Un cours en ligne : en vidéo

 https://www.youtube.com/watch?v=AFcZlNvyMik

La définition des probabilités est quelque chose de merveilleux.

D'un point de vue élémentaire, la probabilité d'un événement est égale, quand il y a une répétition d'expériences,  telles que des lancers de dés, au rapport du nombre de cas favorables par le nombre de cas possibles. 

Par exemple, un dé lancé peut tomber sur la face marquée 1, ou 2, ou 3, ou 4, ou 5, ou 6. La probabilité que le dé  tombe sur une des faces particulières, si le dé n'est pas pipé, s'obtient après de nombreux lancés du dé : puis on compte  le nombre de fois où le dé tombe sur une face donnée, par exemple 3, et on divise ce nombre par le nombre de fois où l'on a lancé le dé.  Avec un dé normal, on arrive progressivement à un rapport, une probabilité, qui serait égale à un sixième pour chacune des faces. 

Pour une pièce de monnaie qui ne tomberait jamais sur la tranche, la probabilité sera égale à un demi, et l'on dit qu'il y a une chance sur deux que la pièce tombe sur pile, et une chance sur deux que la pièce tombe sur  face. 

Cela étant dit, je connais des cas amusants ou ce concept de probabilité permet de mieux appréhender la vie. 

 

Le premier, c'est l'enseignement :  si, dans un modèle simpliste, on représente la vitesse d'exposition du professeur par un nombre  compris entre 0 et 1, 0 étant une élocution complètement arrêtée et 1 étant la vitesse maximale à laquelle on puisse parler, alors cette vitesse d'élocution est en général comprise entre les bornes, disons par exemple à 0,73.
Mais de l'autre côté, il y a l'étudiant qui lui a une vitesse de compréhension qui est également représentable par un nombre (dans un modèle simplifié bien sûr).
Quelle est la probabilité que les deux valeurs, élocution du  professeur et compréhension de l'étudiant, soient égales ? Le nombre de cas favorable est de 1, et le nombre de possibilités est infini. Evidemment on peut pas diviser par l'infini, et on ne fera pas l'injure et croire que je ne le sais pas, mais il y a la volonté  d'expliquer, et l'on voit que la probabilité cherchée est donc nulle.  

Cette observation ne doit-elle pas conduire à réfléchir à nos enseignements ? 


Un autre exemple concerne la dissolution du sucre de table dans l'eau. Dans un autre billet, j'ai raconté que des amis n'avaient aucune idée de la structure interne d'un cristal de sucre et encore moins, par conséquent, de ce qui pouvait se passer quand on met un tel cristal dans l'eau. Quand je les avais interrogés, j'avais envie qu'il puissent me dire qu'un cristal de sucre, de sucre de table, est un empilement de molécule toute identiques, de saccharose ; un empilement régulier dans les trois directions de l'espace.
Et j'aurais voulu qu'ils me disent  a minima que quand on met un tel cristal dans l'eau, le mouvement désordonné et très rapide, très énergique, des molécules d'eau conduit à séparer les molécules de saccharose du cristal et à les disperser dans la solution sucrée, dans ce léger sirop.
En réalité, cette description est fautive comme l'ont montré des collègues il y a plusieurs années car il existe des forces d'un type particulier, des liaisons hydrogène, ntre les molécules d'eau, entre les molécules de saccharose dans cristal et entre les molécules d'eau et saccharose 

Or la probabilité que les forces soient les plus fortes entre l'eau et le saccharose, ce qui conduirait à une hydratation des molécules d'eau, est faible :  les trois types de liaisons hydrogène, entre molécule de saccharose et molécule de saccharose, ou bien entre molécule d'eau et molécule d'eau, ou bien entre molécule d'eau et molécule de saccharose, sont différentes et elles se disposeraient en différents points d'un axe qui représenterait l'énergie.
De ce fait, il n'est pas étonnant que en réalité, les molécules de saccharose dans en solution diluée dans l'eau puissent se grouper pour former des agrégats temporaires, très fragile bien sûr puisqu'ils sont assurés par des laisons d'hydrogène et que les molécules d'eau ont des vitesses qui permettent de briser cette liaison. 

Mais bref, c'est une approximation qu'il est bon d'enseigner à des commençants et qui doit être discuté ensuite...  grâce à la définition des probabilités




mercredi 25 septembre 2024

Des bonnes pratiques à propos de l'affichage des données

La science produit un très grand nombre de résultats de mesure,  car la deuxième étape de la méthode scientifique consiste précisément,  après avoir identifié un phénomène, à le caractériser quantitativement : cela signifie le mesurer sur toutes les coutures utiles. 

Et les mesures donnent des résultats de mesure c'est-à-dire des nombres, ou des courbes, ou des images, et, plus généralement,  des informations qui peuvent se numériser. 

Bref, nous recueillons de très volumineux groupes de nombres. On aurait envie, si l'on veut honnêtement présenter ses résultats, de montrer tous ces nombres, mais cela ferait des tableaux complètement immangeables,  et nous devons faire l'effort de passer par des traitements qui conduiront à des équations, à des courbes, à des histogrammes, à des représentation en plusieurs de dimensions...

Il faut insister : un tableau de données que l'on jette à la figure de ses interlocuteurs, c'est la plus grande des impolitesse ! Et si d'aventure le rapporteur d'un de nos articles nous demande de présenter nos données, alors il y a une sélection à faire afin de présenter les données "pertinentes". 

Bref il y a cette question de représenter des données. 

 

D'ailleurs, le résultat d'une mesure n'est pas tout et il y a certainement la volonté ultérieure de comparer ces résultats. Dans le cas le plus simple, on a seulement deux résultats de mesure que l'on veut comparer. 

Si l'on fait un diagramme, ou un histogramme, alors on obtiendra  des points plus ou moins haut sur le diagramme ou deux rectangles plus ou moins allongés. La question est de comparer la hauteur de ses objets.

Il faut répéter mille fois qu'une mesure sans une évaluation de l'incertitude de la mesure ne vaut absolument rien et que la comparaison que l'on proposait précédemment ne peut pas se faire si l'on n'a pas une estimation de l'incertitude de la mesure où une mesure exacte de cette incertitude. 

Par exemple, il est de coutume en sciences des aliments de répéter trois fois les expériences et de calculer ce que l'on nomme un écart type, qui est une mesure de la dispersion des résultats de mesure. 

Cela n'est pas suffisant et il y a lieu de considérer l'incertitude totale de l'expérience, de la conception de celle-ci jusqu'à jusqu'au traitement des données. Il y a des incertitudes qui s'introduisent au moment de la préparation des échantillons, avec les pesées, les analyses, les transvasements, etc. Et chaque opération élémentaire introduit des incertitudes qui se répercuteront sur le résultat final. Et il y a  donc lieu alors, ayant toutes ces mesures, de composer les incertitudes c'est-à-dire de calculer l'incertitude totale. 

Le résultat final est généralement terrible parce qu'on obtient des incertitudes considérables quand les expériences sont longues, et c'est cela qui doit nous pousser, quand nous répétons les expériences, à pourchasser les opérations les plus incertaines pour arriver à des résultats aussi précis que possible. 

Et là on s'arrêtera au mot "précis" :  il y a lieu de faire une différence entre des fléchettes qui arriveraient toutes groupées au centre d'une cible, et des fléchettes qui arriveraient toutes groupées, mais pas au centre. Il faut donc se préoccupé non seulement du groupement, mais du point d'arrivée. 

Et  on voit sur cet exemple u'une bonne pratique en entraîne une autre :  la vertu et sa propre récompense et notamment parce qu'elle nous conduit généralement à faire mieux que nous ne faisions initialement. 

Quel plaisir de faire bien !

Il faut aller au bout des choses

Lors d'une présentation de ses travaux par un collègue physico-chimiste, j'ai vu des images, quelques caractérisations... mais il m'a manqué deux aspects importants   : d'une part une quantification des phénomènes qui aurait permis de dépasser leur seule apparence, et, d'autre part, une interprétation chimique plus fine. 

Au fond, la physico-chimie ne prend toute son importance que quand ces deux caractéristiques sont présentes,  car la physique réclame non pas seulement une caractérisation quantitative des phénomènes  mais la recherche de mécanismes à partir des équations fondées sur les mesures,  et, d'autre part, la compréhension moléculaire des phénomènes. 

Je ne suis pas sûr que l'on puisse s'arrêter à des images microscopiques et en tout cas, la proposition d'analyse descendante des phénomènes montre que cette position n'est pas satisfaisante. 

Bref je crois que mon collègue aurait dû creuser plus.

mardi 24 septembre 2024

Berthelot, Pasteur, et la suite

 J'ai relu une fois de plus le livre de Jean-Jacques consacré au chimiste Marcellin Berthelot parce que décidément, je n'arrivais pas à comprendre ce que l'homme avait fait. 

Mais cette nouvelle lecture me confirme que, quand Jean-Jacques sous-titre son livre "Autopsie d'un mythe", c'est parfaitement exact, en dépit des gesticulation des descendants de Berthelot qui tiennent l'ancêtre pour un personnage hors du commun. 

Berthelot était donc chimiste, et il et il quitta la chimie vers 40 ans pour la politique, où il ne fut d'ailleurs pas très bon. 

Surtout, Berthelot comment ça par travailler sur la synthèse des composés organiques, ces composé que l'on trouvait dans le monde vivant, mais, plus généralement, les molécules qui sont  formées d'atomes de carbone, l'hydrogène et d'oxygène principalement. Il obtint quelques résultats mais par des méthodes qui étaient dépassées parce qu'il refusait l'idée alors avancée, moderne, de molécule.
Au tout début de sa carrière, on confondait molécules, atomes, particules, corpuscules... au point que, dans la même phrase, Louis Pasteur (qui était contemporain de Berthelot) utilisait ces mots indistinctement pour désigner les mêmes objets... que l'on imaginait d'ailleurs mal. 

Oui, on imaginait mal les molécules, on n'avait pas idée de ces petits objets que nous avons aujourd'hui bien définis, et la chimie était difficile puisque on voyait bien que l' "hydrogène" (en réalité le dihydrogène) et l' "oxygène" (le dioxygène) gazeux pouvait se combiner pour faire de l'eau. Mais comment se combinaient-ils ? 

Là était toute la question que discuta le chimiste italien Stanislao Cannizzaro, lors du congrès mondial des chimistes qui se tint à Karlsruh en Allemagne  : il mit de l'ordre dans les théories proposées par John Dalton, en Angleterre, et par Amedeo Avogadro en Italie, et convainquit les chimistes les moins réactionnaires que nombre de matériaux (un cristal de sucre, par exemple) sont faits de petits objets (le mot molécule fut donné), qui étaient eux-mêmes faits d'atomes de divers "éléments". 

Cette idée théorique était essentielle pour parvenir à faire de la synthèse de molécules organiques, car la représentation des molécules permet de comprendre où les atomes doivent s'ajouter, être remplacés, etc, comme dans un jeu de construction. 

Sans ce support théorique, Berthelot ne put faire que des synthèses très élémentaires tout en les assortissant d'ailleurs d'un discours extraordinairement prétentieux. 

Car Berthelot faisait partie de ces gens qui savaient écrire et il écrivait beaucoup dans un style très ampoulé, très prétentieux, qui ne manquait jamais de le mettre en avant, de montrer son "génie"... à ceux qui n'étaient pas capables d'en juger. 

Oui, Berthelot fit quelques travaux de chimie dans la première partie de sa carrière,  mais pas de ces travaux que l'on retient. Après ces études de la synthèse organique,  où il n'avait en réalité pas tellement brillé, il passa à la thermochimie, où il ne laissa pas un souvenir impérissable, incapable en réalité de ce que des Boltzmann ou des Gibbs pouvaient faire. Et, sur la suite, il explora mal la fixation de l'azote atmosphérique (pour la croissance des plantes), en dépit d'installations qu'il fit construire à Meudon. 

Bref, Berthelot ne fut pas un grand chimiste, et même son poste au Collège de France fut contestable, imposé par le ministre. Il usa de cette position pour influencer des cercles, mais fit prendre un demi siècle de retard à la chimie française. 

La position de Jean-Jacques, qui chercha la vérité à propos de Berthelot, est difficile parce qu'elle le mettait dans une position critique alors que jusqu'à présent, les historiens avaient été plutôt à hagiographiques. Il aurait été intéressant de comparer Berthelot à Pasteur, qui constitua également sa propre statue, mais il faut reconnaître à Pasteur que des travaux de microbiologie furent à la pointe de la science, dans un champ très novateur, et avec des élèves dans le monde entier. Ceux de Berthelot sont largement inconnus, et à juste titre car les institutions scientifiques, si grandes soient-elles, ne sont pas la garantie de la qualité des chercheurs qui y travaillent. Et en écrivant cela, je peux m'empêcher de penser à l'Université de Strasbourg, qui abrite deux prix Nobel de chimie à Strasbourg. A Strasbourg, pas à Paris !

lundi 23 septembre 2024

Vient de paraître

 Vient de paraître Hervé This, Des sauces soja moins salées, Pour la Science, octobre 2024, N°563, p. 96.

L'éducation des enfants ? Elle fait celle des parents !

Alors que je lis un texte sur le pasteur Oberlin, qui, vers l'époque de la révolution française, se préoccupa de l'éducation des enfants en bas âge abandonnés à eux-mêmes par leurs parents, dans une vallée d'Alsace, je ne peux m'empêcher de penser que l'idée éducatrice était double : Oberlin pensait certainement aux enfants, mais je suis bien certain qu'il avait aussi les parents dans ses objectifs. 
Sans prétendre m'élever à la hauteur de cet homme extraordinaire, je ne peux m'empêcher de me souvenir des "ateliers expérimentaux du goût" que nous avons introduits dans l'ensemble des écoles primaires de France au début des années 2000. Certes, il y avait un programme officiel liant les sciences et les arts, mais il y avait surtout la question d'enseigner à manger... à tous. 
La pandémie actuelle d'obésité découle principalement de ce que nous avons accès à la nourriture, ce qui n'était pas le cas jadis, et, aussi,  de ce que l'être humain a bien du mal à s'empêcher de manger du gras et du sucre. Une sauce mayonnaise, c'est 95 % d'huile : autrement dit c'est de l'huile déguisée en sauce. Le chocolat, le quign aman, c'est du gras et du sucre quasi exclusivement...  et nous adorons cela. D'ailleurs, dans nos ateliers expérimentaux du goût, l'idée affichée était de faire monter l'aliment du ventre à la tête, à l'esprit : aider les enfants à devenir moins animaux, plus humains. Et cette éducation visait les parents, car on sait bien que les enfants mangent comme leurs parents. Pourquoi ne pas éclairer ces derniers sur  façons dont ils mangent ?


Les artistes...

 
C'est intéressant de voir combien il y a de différence entre les artistes. 

Hier, je regardais l'enregistrement de 3 violoncellistes qui avaient été réunis par un luthier autour d'un violoncelle qui venait d'être créé, et ces violoncelliste jouaient à tour de rôle un morceau sur le même violoncelle. 

Pour le premier, c'était une œuvre intéressante :  le chant des oiseaux, un champ de résistance durant  la guerre d'Espagne, par le célèbre musicien Pablo Casals. Il y avait une belle interprétation et des surprises mais certainement beaucoup d'intérêt. 

Pour la deuxième musicienne du groupe, elle a joué une suite de Bach et je n'ai pas tenu jusqu'au bout parce que je m'ennuyais. Ce fut également le cas pour le troisième violoncelliste, que je pas écouté jusqu'au bout. Dans les deux derniers cas, ce qui est intéressant, les notes étaient bien jouées, les phrases étaient marquées, il y avait des différences d'intensité... mais le jeu était ennuyeux. 

J'oppose à cela l'exécution par Gérard Caussé d'une suite de Bach, sur un alto : je conduisais un soir en  écoutant France musique, mais il y eut une musique si belle que je m'arrêtais aussitôt  sur le bas-côté, pour écouter,  et attendre de savoir qui était l'interprète. 

On ne peut pas m'accuser d'avoir été influencé par un descriptif préalable, mais la "diction" était vraiment remarquable. Et j'ai réécouté ensuite les suites de Bach par Caussé, et je retrouve régulièrement la même vertu : cet homme nous parle et il n'a pas une interprétation un peu automatique mais au contraire sensible. Dans cette description que je fais aujourd'hui, il y a toute la question de l'art musical.

dimanche 22 septembre 2024

La confection des terrines

 

Alors que je viens encore d'expliquer la différence entre une terrine et un pâté, je m'interroge sur la confection de mes propres terrines.
Une terrine c'est de la chair broyée qui est cuite dans un récipient en terre, dans une terrine.
Un pâté, c'est de la chair broyée qui est cuite dans une pâte.

Mais on comprend que, dans les deux cas, il puisse y avoir aussi bien de la viande que du poisson, des abats, mais aussi d'autres ingrédients et dans le fond, une sorte de flan aux légumes cuit dans une terrine serait peut-être également une terrine. On parle de terrine de lapin, de terrine de poisson mais pourquoi pas de terrine de légumes si l'on s'y prend bien.

Hier, je préparais une terrine de volaille et, comme c'est un produit charcutier et que la volaille peut-être coûteuse, il est habituel d'y ajouter du porc, lequel apporte de surcroît de la matière grasse, qui vient donner un peu plus de donc de tendreté au plat.

Mais je n'oublie pas les recommandations de mon ami Emile Jung : une partie de violence, trois parties de force et neuf parties de douceur.
Avec le gras et la viande, on a de la douceur mais il faut ajouter maintenant de la force et de la violence. Dans ce cas, la force est venue du cognac que j'ai mis à la fois dans la mêlée et dans dans le liquide que j'ai coulé ensuite pour faire un gel. La violence elle, venait de poivre et de piment bien dosé.

Tout cela n'était pas mal mais j'aurais pu améliorer un peu en travaillant mieux la mêlée car il faut donner la possibilité aux protéines de sortir des fibres musculaires et de faire ce lien que certains augmentent en ajoutant de l'œuf, lequel vient coaguler à la cuisson.
La consistance était donc pas mal, un peu insuffisante, et si j'avais été dans un jury je l'aurais observé. Mais surtout il manquait quelque chose pour faire un bon plat car cette terrine avec du pain était un peu sèche, un peu insuffisante dirons-nous.
Dans un bon sandwich, par exemple, il faut des cornichons, et la quantité de cornichon doit venir apporter un peu d'eau, une possibilité de mieux déglutir, à l'ensemble. On peut penser aussi à du concombre, des tomates, que sais-je ?
C'est le que sais-je qu'il faut questionner car il y a lieu d'y penser beaucoup pour que finalement, la dégustation soit parfaite. Les Alsaciens par exemple ne se limitent pas au cornichons au vinaigre mais ils ajoutent des quetsches au vinaigre, des mirabelles au vinaigre, de la carotte cuite et broyée avec de l'œuf dur et de la moutarde... Ce sont ses appétits comme l'on disait dans le temps, et ils doivent être bien conçus.

samedi 21 septembre 2024

Évaluation et fluctuation

 L'évaluation des professeurs par les étudiants est évidemment une bonne chose : il faut que certains entendent que leur enseignement ou leur comportement sont inappropriés. 

Mais l'expérience de la chose me fait régulièrement sourire notamment parce que je me souviens que pour l'Institut des hautes études de la gastronomie, une promotion d'il y a plusieurs années avait considéré que mes cours étaient trop long ;  nous les avions donc réduits de moitié...  mais l'année d'après, les auditeurs ont considéré que les cours étaient trop courts et nous avaient réclamé une durée égale à la durée initiale ;  nous les avons donc allongés... et ainsi de suite 

Là, je parle de mes propres cours pour ne pas évoquer le cours des autres mais il en va parfaitement de même. 

D'autre part, je vois régulièrement que mes cours sont très bien évalués par les bons étudiants et mal par les mauvais :  par mauvais, j'entends les étudiants qui n'ont pas le niveau requis ou ce qui n'ont pas grande envie d'étudier. Il est vrai que je n'ai pas beaucoup de pitié pour ces gens-là : ceux qui n'ont pas le niveau requis sont dans un endroit où ils ne devraient pas être, ayant profité d'un système de sélection insuffisant, et ils ne devraient pas êtres invités à évaluer le cours ;  ni des autres qui n'ont rien à faire dans un endroit où on étudie. 

Bref les évaluations me font sourire alors même que je me décarcasse pour faire au mieux. Mais il y a pire à savoir que nos évaluations sont faites par des groupes  petits : il suffit d'une appréciation divergente pour que l'ensemble soit complètement différent et il n'est pas juste donc de considérer une moyenne pour le groupe parce que nous manquons absolument la valeur analytique de l'appréciation personnelle. Je ne dis pas qu'elles ne doivent pas être anonymes, mais en tout cas nous devons être très circonspects dans l'analyse des retours que  font mes amis. 

J'ajoute que seules des propositions de changement sont vraiment utiles. Avec des limites bien évidemment : hier par exemple nous avons vu des groupes d'étudiants nous dire que le fonctionnement par projet leur convenait moins que des cours... alors même que l'année dernière des étudiants du même cursus avait dit le contraire. 

 

Il y a donc un cap à garder, un sain jugement à exercer.


vendredi 20 septembre 2024

À propos de mauvais sandwich

 
Hier, dans une institution de formation en sciences et technologie de l'aliment, nous avons eu à midi de très mauvais sandwichs et cela me paraît être une faute pédagogique, car comment pourrions-nous inviter nos élèves ingénieurs à préparer de bons aliments si nous leur donnons l'exemple de mauvais ?
Bien sûr, ce peut-être là le point de départ d'une analyse critique (et j'utilise le mot critique dans le sens d'une attaque), qui permettra d'identifier mieux les défauts des produits qui leur ont été servis, mais comment espérer que nos étudiants puissent être heureux d'un tel exercice ?

Analysons. Ces  sandwich étaient mauvais d'abord parce que le pain n'était pas frais, et qu'il était caoutchouteux, difficile à manger, sans contraste,  contrairement à du pain frais où le croustillant de la croûte s'oppose à la tendreté de la mie. Là, il y avait un produit homogène, élastique, difficile à mastiquer, sec...
D'autre part, dans un sandwich, c'est la proportion d'ingrédients qui apportent l'eau nécessaire à la mastication qui est importante, et l'on doit tenir compte à la fois de la quantité de pain mais aussi de la quantité des autres ingrédients deux : tomate, œuf dur, salade, concombre, poulet, que sais-je ? Dans le cas d'hier, la proportion de pain était  excessive.
Mais  dans cette affaire, il y a aussi la question du goût et hier l'offre n'en avait guère, le thon était en si petites quantités qu'on ne le sentait pas, la tomate était pleine d'eau, insipide, et plus généralement, l'ensemble n'avait pas de goût ; pas assez de sel, pas assez de poivre ;  l'aliment n'était pas construit.

Il est clair qu'aujourd'hui je ne veux pas accepter de manger quelque chose de si mauvais et je vais aller m'acheter quelque chose à l'extérieur ou me le concocter moi-même.

Chance et travail

 Je crois beaucoup en la chance et je constate que plus je travaille plus la chance me sourit. :  attribué sans preuve à Thomas Jefferson

Sortant du séminaire de gastronomie moléculaire

Sortant du séminaire de gastronomie moléculaire, je n'ai pas fini le compte-rendu mais j'ai déjà fait le bilan. 
Nous avons commencé par savoir si comme le prétendait un cuisinier triplement étoilé, des aubergines trempées dans du lait avaient moins d'amertume que si elles n'étaient pas trempées. Un test triangulaire a montré qu'un seul des dégustateur était capable de voir la différence et cette différence était très légère, ne portant pas sur l'amertume mais seulement sur une appréciation globale. Les autres dégustateurs n'ont pas vu de différence.

Puis il y a eu un test pour savoir si des tranches d'aubergines dégorgées avec du sel se tenaient mieux à la cuisson. Nous avons donc dégorgé des tranches d'aubergine avec du sel et nous avons observé que le sel faisait sortir l'eau comme prévu au moins théoriquement. Puis nous avons fait cuire les tranches d'aubergines soit dégorgées soit non dégorgés (dans de l'huile) et nous avons vu que les tranches d'égorgées était un peu salées et plutôt plus tendres : elles se tenaient donc moins, et non pas plus ! 
L'un d'entre nous ayant fait remarquer que le chef triplement étoilé avait parlé de griller les tranches et non pas de les frire, même en friture plate, nous avons donc mis des tranches dégorgées ou non à la salamandre et nous avons grillé ensemble, avec la même position sur le gril. Nous avons observé une différence de couleur mais là encore, les tranches dégorgées se tenaient moins bien :  c'est exactement le contraire de ce que prétendait le chef triplement étoilé  ! 
 
Nous avons également cherché à savoir si de l'ail et de l'huile liquéfiaient les sauces béchamel comme cela a été prétendu par un professionnel. 
Nous avons donc fait une béchamel un peu épaisse que nous avons partagée en trois : un tiers a servi de témoin, un tiers a reçu de l'ail en abondance et un tiers a reçu de l'eau puisque l'ail contient beaucoup d'eau.
Nous n'avons vu aucune liquéfaction contrairement à ce qui était indiqué.
Nous avons ajouté de l'huile et nous avons obtenu une béchamel un peu plus brillante peut-être un peu plus souple mais en tout cas pas liquéfiée. 
Par conséquent, cette précision culinaire encore était fausse. 
 
Et pour terminer, nous avons voulu savoir s'il était vrai que l'ail liquéfiait la pâte à pain. Nous avons donc fait une pâte à pain que nous avons divisée en trois. Un tiers servait de contrôle, un tiers a été additionné d'une très grande quantité d'ail écrasé et haché, et le dernier tiers a été additionné d'eau pour voir la contribution éventuelle de l'eau qui était présente dans l'ail. 
De toute façon, il y a eu aucune différence entre les trois pâtes. 
 
Nous avons donc réfuté aujourd'hui toutes les indications culinaires qui étaient pourtant venues de professionnels.



Comment ne pas s'ennuyer quand on enseigne la même chose pendant des années, voire des décennies.

Hier, avec des étudiants d'un Master International en sciences et technologie de l'aliment, j'ai refait ce que je faisais naguère, à savoir faire un cours expérimental. Par cours expérimental, j'entends que nous avons fait des expériences qui ont servi de support du cours, avec des explications théoriques autour, et le succès a été grand : nos amis étaient plein de gratitude à la fin du cours. 

Il est vrai que cette méthode a de nombreux atouts et, notamment, elle fixe les idées en même temps qu'elle invite à faire de la pratique ; elle  soutient efficacement un discours théorique, lequel est mieux perçu, mieux compris, mieux appréhendé.
Par exemple, quand on évoque le gluten,  on le prépare à partir de farine et d'eau. Quand on parle de l'effet sucre, alors on enchaîne une expérience qui montre cet effet au lieu de le dire simplement. Et ainsi de suite. 

Bref nous avons passé l'après-midi à expérimenter. De petites expériences, en concept théorique, en petites expériences, en concept théorique, et ainsi de suite,  l'après-midi a passé si vite que nous sommes restés debout sans même prendre une pause ! 

Je vois donc qu'il y a une vertu particulière dans cette méthode pédagogique et je m'interroge maintenant sur le fait que cette extraction du gluten, cet effet sucre, ces autres expériences que nous avons faites, je les connais parfaitement. 
Mais moi qui m'ennuie de la répétition, j'aurais pu être lassé d'avoir à reproduire avec mes amis ces manipulations. En réalité, je m'aperçois que j'ai fait quelque chose de très nouveau pour moi, puisque il s'agit que je ne m'ennuie pas non plus, à savoir que tout le travail scientifique que j'avais fait depuis le dernier cours a permis de présenter les expérimentations et les théories qui les accompagnaient de façon complètement renouvelée.
Par exemple un étudiant a parlé d' "hydratation de la farine", et il se trouve que je m'étais préoccupé ces jours derniers de savoir ce que  cela signifiait exactement : oui bien sûr hydrater de la farine c'est lui ajouter de l'eau,  mais cela est idiot et la question est plutôt de savoir comme comment cette eau s'introduit dans la farine : simplement par capillarité ? Ou en se liant aux protéines ? Où on s'introduisant dans les granules d'amidon qui constituent la farine ? 

En réalité, ces questions sont celles que les étudiants avaient  également, et le fait que j'ai fait une belle recherche bibliographique à ce propos m'a permis de mieux répondre que je ne l'aurais fait dans le temps. 

Et ainsi de suite, tout était à l'avenant : le cours a été en réalité la présentation de tout ce que j'avais découvert récemment. Je ne me suis pas ennuyé donc une seule seconde, et je vois maintenant pourquoi l'enseignement peut-être passionnant : il peut l'être à condition de faire briller les yeux de nos amis en même temps que nous voyons le résultat de nos efforts personnels et que nous nous posons des questions renouvelées. 

 

Quel bonheur que d'enseigner dans ses circonstances !

mercredi 18 septembre 2024

Je finis un cours important qui doit pallier les insuffisances de nos enseignements de l'an passé

Je finis un cours important qui doit pallier les insuffisances de nos enseignements de l'an passé :  en effet, lors de soutenances, j'ai vu des étudiants de Master qui restaient à des équations qu'ils maîtrisaient à peine au lieu de chercher à comprendre les mécanismes des phénomènes. 

Ainsi, ils effectuaient des travaux techniques et non scientifiques. On m'opposera peut-être que ces étudiants étaient destinés à travailler dans l'industrie,  mais je ferai observer que l'industrie a besoin de personnel compétent, capable d'évoluer, de faire mieux que des gestes d'exécutants. 

Et pour faire mieux, il faut comprendre, creuser un peu, et voilà pourquoi mon nouveau cours est centré sur une méthode d'analyse des phénomènes qui est descendante, du macroscopique aux moléculaire en passant par la microscopie. 

Oui, j'insiste sur les mécanismes des phénomènes, et mieux encore, sur l'état d'esprit qui consiste à chercher  ces mécanismes. Il est bon, dans des cas particuliers, de chercher des mécanismes,  mais il est mieux encore d'avoir cette idée générale de les chercher, ce souci constant de comprendre. 

Si je réussis cette année à faire passer ce message aux étudiants, alors nous aurons fait mieux que l'année dernière.

lundi 16 septembre 2024

En retraite ? Pauvres amis...

 Un autre de mes collègues part en retraite. Il travaillait dans l'industrie et il a racheté des trimestres pour partir à l'âge de 64 ans. 

 Pourquoi pas... mais quand je lui demande ce qu'il va faire, il évoque de la randonnée, de la peinture et une résidence secondaire qu'il s'est achetée au soleil. Pourquoi pas... Mais va-t-il ainsi occuper son temps jusqu'à sa mort ? Je vois trop de personnes en retraite chercher désespérément à meubler leurs journées pour ne pas lui poser la question de ses activités, en attendant mieux que la faible réponse qu'il m'a donnée. 

Car je vois ceux qui font trois fois les courses dans la journée, bien inutilement, je vois ceux qui vont au spectacle, je vois ceux qui font des voyages... Et si rien de tout cela n'est évidemment critiquable, je vois hélas bien peu de souci d'autrui, bien  peu de production et beaucoup de consommation. 

Bien sûr, il n'y a pas à juger, et toutes les activités que mon collègue évoque sont licites, mais je ne parviens pas à m'empêcher de voir qu'il sera comme une oie que l'on gave, et je n'aimerait pas être à sa place

dimanche 15 septembre 2024

Le journal international de gastronomie moléculaire et physique : en plein essor

 Je ne l'avais pas annoncé mais c'est quand même un grand progrès : le journal international de gastronomie moléculaire attribue maintenant des"DOI" à tous ses articles, et il est répertorié dans la base hal. 


Le journal de gastronomie moléculaire a été créé dans les années 2010 mais il est resté très calme jusqu'à ce que publions le Handbook of molecular gastronomy, un énorme livre de 694 pages avec 150 auteurs de 23 pays. 

Ce fut l'occasion d'une animation internationale très soutenue et, surtout,  la possibilité de discuter la suite,  à savoir l'utilisation du journal anciennement créé pour le mettre au service de la communauté scientifique qui était devenue maintenant visible.

Nous avons alors élargi le comité éditorial et restructuré la revue pour  la mettre au "modèle diamant",  à savoir que ni les auteurs ni les lecteurs ne payent. La revue est animée par le comité éditorial, et son administration est partagée entre quelques personnes bénévoles... comme le sont d'ailleurs tous les scientifiques qui participent aux revues scientifiques pour le compte d'éditeur privé : les rédacteurs en chef, les "éditeurs", ne sont jamais payés et les rapporteurs non plus : c'est la règle dans le monde scientifique (une règle qu'utilisent à leur profit des éditeurs commerciaux qui font peser des charges souvent indues sur le monde scientifique). 

Bref, notre revue s'est développée pendant 2 ans avant que nous entreprenions les démarches pour passer à l'étape suivante,  à savoir l'attribution des DOI. Ces derniers sont comme des plaques d'immatriculation internationales pour les articles  : ils permettent à tout moment retrouver un article sans avoir les références complètes. 

Là où les choses ont été merveilleuses, c'est que la Direction des publications d' lINAE nous a permis non seulement d'attribuer les DOI aux articles mais, en outre,  d'enregistrer les articles publiés sur la base nationale HAL. 

Parallèlement, nous complétion le dispositif en attribuant des licences CC by 4.0, afin de nous conformer au modèle diamant des revues open. 

Tout récemment, nous sommes allés jusqu'à la possibilité de publier des articles de données, en anglais data papers,  afin de participer au grand mouvement de données ouvertes. 

Simultanément, nous avons révisé les instructions aux auteurs et  affiné la description des rubriques. Car c'était la volonté initiale que d'avoir des rubriques suffisamment variées pour que l'on puisse facilement publier des informations de diverses natures  tout en gardant une bonne qualité. 

Cette qualité est garantie par le processus d'évaluation par les pairs :  il se fait en double anonymat, ce qui signifie que les auteurs ne savent pas qui sont les rapporteurs et les rapporteurs ne savent pas qui sont les auteurs. 

Les rapports ne sont pas rendus publics, parce que nous ne voulons pas afficher de reproches aux scientifiques, surtout quand ils sont jeunes. Nous préférons les aider à améliorer leur manuscrit jusqu'à qu'il soit publiable, processus pendant lequel ils apprennent beaucoup  des rapporteurs. 

 

C'est donc une revue très éclairée que nous avons maintenant, et je me réjouis de voir  depuis deux semaines environ, que des collègues qui restaient un peu éloignés de la revue s'en rapprochent, preuve que l'information sur notre revue commence à bien diffuser dans la communauté scientifique internationale.

samedi 14 septembre 2024

 Alors que je poursuis ma relecture de la biographie de Max Planck par John Heilbron, j'en arrive aux années 1920, quand Max Planck dut faire face à des personnalités détestables comme Johannes Stark. 

Planck, intéressé supérieurement par la science chercha des moyens de ne pas s'adresser aux roquets, de ne pas leur répondre, et c'est ainsi qu'il organisa à propos de la relativité, des débats scientifiques, au lieu de répondre aux critiques faites dans les journaux. 

À l'époque,  la théorie quantique était encore dans l'enfance et les réactionnaires ne savaient pas qu'ils devraient avoir affaire à une question autrement plus difficile ultérieurement mais en tout cas, il remarquable d'observer que chez certains, c'est l'idéologie, et notamment l'antisémitisme, qui primait sur la considération objective des théories. 

Il y a certainement lieu d'en tirer des leçons pour ce qui concerne la science actuelle dont je ne parviens pas à croire qu'elle soit débarrassée des travers humains.

vendredi 13 septembre 2024

L'esprit saute plus haut que le meilleur des perchistes

Alors que la France organise des jeux olympiques je vois des activités physiques et je me réjouis que l'on se focalise ainsi sur des  compétitions pacifiques plutôt que sur des conflits guerriers. 

Pour autant, alors que je me souviens du mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain, et je m'étonne que nous n'ayons pas  de jeux olympiques de la pensée. 

Car là aussi, il y a des disciplines variées : la chimie, les mathématiques , la physique, la poésie, la sculpture, la musique, et cetera. 

On me dira que du point de vue artistique, il ne s'agit pas de compétition ? C'est exact, mais en sciences ?  Après tout, on donnait bien des prix après avoir mis des questions au concours, du temps d'Henri Poincaré, qui gagna un grand prix international  en résolvant une question  à propos du mouvement des planètes.
 

Alors pourquoi n'avons-nous pas de jeux olympiques de la pensée ? Avec Poincaré, l'analyse est vite faite : les travaux qu'il a publiés  il y a un siècle sont en réalité incompréhensibles du public. Il en serait de même pour des questions de chimie :  même des réactions classiques,  enseignées en début d'université, sont au-delà de la compréhension du public et nécessiteraient un effort de traduction considérable pour que des spectateurs puissent "assister" à ces jeux de la pensée. 

Bref, j'ai l'impression que notre pensée nous porte bien plus le haut que notre corps. Et je vois là quelque chose à méditer et sans doute à faire comprendre plus généralement.

jeudi 12 septembre 2024

Des références primaires s'il vous plaît !

Je trouve "amusant" que de nombreux textes d'histoire de la chimie reprennent quasiment les mêmes phrases et les mêmes paragraphes, de texte en texte. 

Il y a quelques temps, quand j'avais exploré ce que l'on nomme fautivement la "réaction de Maillard" (il faut parler de réaction de Dusart, ou de réaction de glycation, ou de réaction amino-carbonyle), j'étais tombé des nues en allant chercher les textes d'originaux parce que j'avais alors découvert, par exemple, que des articles souvent cités... n'existaient pas. Et quand je dis qu'ils n'existaient pas, ce n'est pas que je ne les ai pas trouvés, mais qu'ils ne pouvaient pas exister.
Par exemple un article cité depuis un siècle, qui aurait été écrit par deux auteurs Ling et Malting,  ne pouvait exister puisque l'auteur Malting n'a jamais existé et que le seul texte que l'on trouve à ce propos est du dénommé Ling, qui a existé, et qui a publié à propos de la brasserie,  et notamment du malting. 

 

J'ai des exemples de ce type nombreux et j'ai bien tort de m'inquiéter puisque je dois me souvenir de cette loi qui dit que le monde est fait de nombreuses insuffisances. L'histoire des sciences n'a pas de raison d'échapper à la règle alors même qu'elle est si passionnante quand elle est bien faite. 

Par exemple le mot molécule n'a pas toujours désigné ce que nous pensons aujourd'hui être une molécule et, d'ailleurs, il y a eu des terminologies d'étranges comme "molécule intégrante" ou "atome composé"... alors que atome vient du grec atomos, qui signifie insécable. 
Il y a quoi s'y perdre et seule une histoire de la chimie bien faite permet de mieux comprendre. 

Mais pour cela, il faut revenir aux textes primaires, et l'on découvre alors des tas de beauté qui n'ont jamais été mises en valeur par les historiens de la chimie. 

Par exemple, à propos du chimiste Michel Eugène Chevreul, il y a lieu de s'interroger : se nommait-il Eugène, MIchel-Eugène ou Michel Eugène ? En tout cas, sur la fin de sa vie, il signait  lui-même E. Chevreul. 

Dans la même veine, le chimiste et pharmacien Hippolyte Mège-Mouriès se nommait en réalité Mège, mais il prit le nom de sa mère sur le tard. 

Il y a donc des questions de détails, mais aussi des questions fondamentales comme par exemple de savoir si Chevreul n'a pratiqué l'analyse alimentaire que sur le tard, vers 1824, ou bien s'il a pratiqué cela bien avant. La  lecture des mémoires dans les Annales de chimie montre qu'il a pratiqué cela très tôt et en tout cas bien avant la date donnée par un auteur qui dit que Chevreul n'a pas de telles analyses que tardivement. J'observe que cet auteur ne donne pas de référence à beaucoup de ses propositions, et cela me donne l'occasion d'observer que tout fait expérimental, toute idée, toute phrase dans un texte scientifique, qu'il s'agisse d'histoires des sciences ou de  science de la nature, doit être soutenu par des références à des textes primaires. Et parfois par plusieurs références, qu'il faut avoir trouvées et lues. 

Évidemment, des esprits actifs ou approximatif ne feront pas ce travail, mais nous aurons alors raison de nous méfier des informations qu'ils donnent ! 

Le fond, toujours le fond

Un ami historien qui me disait récemment que, pour l'écriture des livres,  la forme permettait de guider le fond. Et pourquoi pas dans certains cas ? 

En tout cas, c'est bien le fond qui m'intéresse. L'intrinsèque avant l'extrinsèque, la personne avant ses habits, avant son déguisement.

 J'évoque ces questions parce que les étudiants qui me font l'honneur et la confiance de participer à des cours que je fais ont pour objectif de préparer une mini synthèse à propos d'une "précision culinaire" de leur choix. Se pose la question de la longueur du document. 

Les synthèses  sont des textes très longs à préparer, produits souvent par les scientifiques  quand ils  commencent un travail : on fait une recherche bibliographique, on recueille les informations et on produit finalement un document qui synthétise le tout, mais avec une visée scientifique sans doute supplémentaires que j'expose dans le cours que j'ai publié l'an dernier dans les Notes académiques. 

Mais ces synthèses prennent un temps considérable,  de sorte que ce sont souvent les premiers articles que publient les doctorants, après une année de belles recherches bibliographiques qui les met au niveau à partir duquel ils pourront eux-mêmes produire de la nouveauté scientifique. 

Bref les synthèses bibliographiques sont des articles longs, difficiles à faire, passionnants certes mais qui nécessitent beaucoup de temps et d'énergie. 

Est apparu depuis quelques décennies une nouvelle forme d'articles de synthèses, à savoir les mini-synthèses,  plus focalisées sur une question plus délimitée, ce qui correspond à des textes plus court, avec moins de références. 

 

Quelle "doit" être leur longueur ? 

 

Une recherche bibliographique sur cette question montre que, le selon les revues, on varie entre 2000 et 8000 mots, avec, d'ailleurs, un recouvrement entre les mini synthèses et les synthèses.
 

Mais je crois que cette donnée quantitative est sans intérêt, car ce qui compte, c'est surtout le contenu, et j'aurais tendance à répondre à mes amis qui m'interrogent sur la longueur qu'ils doivent donner à leur production que c'est la question posée qui impose la longueur de la réponse
Pas seulement, d'ailleurs, car il y a aussi ce que l'on y met soi-même et pas seulement ce que l'on trouve dans les bases de données. Si quelqu'un qui est lancé initialement dans une mini synthèse trouve le sujet passionnant et recueille des informations pertinentes qui permettent de faire quelque chose de très long, pourquoi pas ? 

Car, finalement, ce qui compte, dans toute cette affaire, c'est l'intelligence qu'on y met, l'intérêt que l'on y trouve et que l'on peut partager. Imaginons que, passionné par le sujet, on   arrive à la production d'un livre :  pourquoi pas ? 

La question est toujours celle de l'intelligence et aucune mesure quantitative, cela relève de l'intendance qui doit toujours suivre, et qui ne doit pas être mise en a priori. 

 

D'où la question, comment faire quelque chose d'intelligent ?

Le fin mot du risotto

 Aujourd'hui paraît le numéro de la revue Pour la science de septembre,  où je publie les résultats du dernier séminaire de gastronomie moléculaire, pendant lequel nous sommes revenus -j'espère pour la dernière fois- sur la question  du risotto. 

C'est l'occasion d'observer que nous en sommes au numéro 562 de la revue Pour la Science, qui a été créé en 1976 par Philippe Boulanger et Max Brossollet. Pour ma chronique "science et gastronomie", elle est apparue en 1985, et c'est l'occasion d'observer que jamais il n'y a eu de difficulté pour « trouver des sujets » :  entre les expérimentations personnelles, les séminaires de gastronomie moléculaire, les résultats d'amis proches, les publications scientifiques, il y a amplement matière à raconter comment la science explore notre alimentation.

 J'observe même que progressivement, la gastronomie moléculaire a fait école puisque dans certaines revues scientifique, elle n'est même plus évoquée : les collègues publient des articles relatifs à la transformation des aliments dans des revues classiques.

mercredi 11 septembre 2024

Science pure versus technologie

Il y a périodiquement des personnes qui viennent dire que la séparation entre la science pure et la "science appliquée" est périmée, que ce sont des idées d'un autre temps... mais rien qu'une telle déclaration montre à la fois une volonté idéologique et une mauvaise perception de la science, sans compter un usage médiocre de la langue, ce qui a des conséquences sur la pensée. 

 

J'invite donc ces personnes à lire ou à relire la biographie de Max Planck intitulée "Planck, une conscience déchirée",  par John Heilbron (Editions Belin) : elle y verront des discussions entre Planck et Starck,  alors que l'industrie allemande, très lié à certains milieux technologiques, poussait pour que l'Académie des sciences accueille en son sein une division de "sciences appliquées". Ce sont là les mots de Heilbron,  mais je ne suis pas sûr que Planck aurait adhéré à cette description, et notamment  parce que il n'existe pas plus de "science pure" que de "sciences appliquées" :  la science, c'est la science, à savoir une activité de recherche des mécanismes des phénomènes, et les applications de la science sont... des applications de la science. L'expression "science appliquée" est fautive, parce que si une science était appliquée, ce serait de la technologie, et non plus de la science.

Cette question de regrouper des activités technologiques avec des activités scientifiques est récurrente. Elle s'est donc posée dans les années 1920 en Allemagne, mais elle s'est également posée en France, vers la Seconde Guerre mondiale, puis à nouveau il y a quelques petites décennies à l'Académie des sciences en France : Guy Ourisson, qui était alors président de l'Académie, fut un artisan de la création de l'Académie des technologies à partir de ce qui se nommait naguère le CADAS,  le comité des applications de l'Académie des sciences. 

 

J'insiste un peu parce que j'ai encore rencontré des amis qui auraient voulu que j'admette que la science moderne avait bien changé qu'elle était nécessairement liée à l'industrie ou à l'armée ;  que les idéaux de Planck  ou d'autres, à propos de la science, étaient devenus périmés, etc. 

En réalité, je m'étonne que de telles personnes se croient, dans la discussion, à la hauteur de Planck ou même d'Albert Einstein, dont le texte de discours pour l'anniversaire des 70 ans de Planck montrait combien il adhérait à ces idées que d'aucuns prétendent périmés. 

 Oui, il y a la science, qui est merveilleuse, et les applications des sciences qui sont merveilleuses quand elles sont faites pour le bien de l'humanité. 

Et rien n'y fera  : une recherche d'application est une recherche d'application et une recherche de mécanismes est une recherche de mécanismes. Certes, certains individus balancer entre les deux  ; ils peuvent à un moment chercher des applications, et chercher des mécanismes à un autres, mais  pour autant, ces deux activités ne se confondent pas. Il y a la science, d'une part, et les applications des sciences d'autre part.

mardi 10 septembre 2024

On critique l'industrie alimentaire ?

 N'oublions pas que la production d'aliments qui se conservent est notoirement difficiles, comme le montre régulièrement l'actualité :

 

Aujourd'hui : 


Cinq personnes présentant des symptômes évocateurs de botulisme ont été hospitalisées en réanimation ou en soins intensifs. Elles avaient toutes consommé au cours du même repas une conserve de fabrication artisanale, a appris lundi 9 septembre l'agence régionale de santé (ARS) du Centre-Val-de-Loire.

"Tous les cas ont partagé un même repas, où ils ont consommé en particulier un même produit, du 'Pesto à l'ail des ours' en conserve de fabrication artisanale. Les investigations réalisées ont montré l’absence de maîtrise du processus de stérilisation de ces conserves", indique dans un communiqué la Direction générale de la santé (DGS) ce mardi 10 septembre.

Les autorités sanitaires suspectent un "botulisme alimentaire" avec "atteinte des paires crâniennes pouvant évoluer vers une paralysie descendante". "Le botulisme se déclare après une incubation de quelques heures à quelques jours, en fonction du mode de contamination. Aussi, la survenue d’autres cas dans les prochains jours n’est pas exclue", indique la DGS.

Les conserves, vendues sous la marque "Ô petits oignons", ont été vendues lors de divers événements et foires dans le département d’Indre-et-Loire.

"Des restes alimentaires ont été récupérés et vont être analysés par le CNR bactéries anaérobies et botulisme (Institut Pasteur Paris) pour confirmation biologique du botulisme", poursuit le communiqué.


Et le 1er août :

Des rillettes de poisson vendues dans plusieurs magasins situés en Normandie sont rappelées en raison d'un défaut de stérilisation qui engendre un risque de botulisme, une infection relativement rare mais potentiellement mortelle.

Un danger pour les consommateurs. Plusieurs verrines et rillettes de poisson des conserveries Lecanu, le Bouquet normand et la Manufacture de Fecamp sont rappelées en raison d'une contamination aux bactéries Clostridium botulinum, agents responsables du botulisme. Ces dernières n'ont été commercialisées qu'en Normandie.

Le sel dans les carottes que l'on cuit

Je m'aperçois que je n'ai jamais vraiment bien présenté les résultats de nos études sur le sodium dans les carottes que l'on cuit. 

 

La question découle du fait que, quand on cuit, on ajoute du sel dans l'eau et certains cuisiniers disent même que l'on ne parvient pas à saler correctement des carottes si l'on ajoute le sel ensuite. Est-ce vrai ? 

D'autre part, les agences sanitaires se préoccupent de la consommation excessive de sel par les individus. 


Pour avoir des idées sur la consommation de sel réelle, nous avons cuit des carottes soit dans de l'eau pure soit dans l'eau salée. Je vous épargne des détails mais faites-nous confiance : l'article a été publié après une évaluation soigneuse, qui a vérifié que les expériences avaient été très rigoureuses. Par exemple il ne s'agissait évidemment pas d'eau du robinet mais l'union parfaitement pure, sans ions, et ainsi de suite. 


Les résultats sont intéressants.

 

Par exemple, nous avons vu qu'il y a une très grande diversité de carottes :  avant cuisson, il y a certaines carottes qui contiennent beaucoup plus de sodium que d'autres et cela dans différentes parties : en haut, en bas, sur la partie externe, dans le cœur. 

 

D'autre part, quand on cuit une carotte dans l'eau pure, on voit son sel s'en échapper et plutôt par les bouts que par les parties latérales. 

 

Inversement, quand on cuit une carotte dans l'eau salée alors on voit le sel entrer en abondance dans les carottes par la parties supérieure ou par la partie inférieure, plutôt que par les flancs. Finalement, dans les extrémités, la concentration en sel   est presque celle de l'eau de cuisson après 30 minutes de cuisson. 

 Pour une carotte de plusieurs centimètres de long, alors on a une concentration un peu inférieure au milieu de la carotte mais pour des carottes plus petites, la concentration fait quasiment celle du bouillon partout. 

 

Bref, nos carottes cuites classiquement dans l'eau salée sont chargés de sel en proportion de la quantité de sel que l'on a mise   dans le bouillon. 

Pour en revenir à la question des cuisiniers, de savoir si l'on peut saler correctement des carottes en ajoutant un sel "discrétionnaire", c'est-à-dire à la fin de la cuisson, la réponse et que les carottes seront différemment salées puisque le sel restera à l'extérieur de la carotte qu'on mangera et non pas à l'intérieur de la carotte comme quand on cuit les carottes dans l'eau salée. 

lundi 9 septembre 2024

La chimie ? Encore plus belle que je ne le disais !

C'est difficile à croire mais je viens de trouver des raisons supplémentaires de considérer que la chimie est une science merveilleuse. 

 

Les petits esprits opposent la physique et la chimie : ceux qui préfèrent la première disent que la chimie est un assemblage de détails  ; inversement les chimistes les plus sectaires répondent que la physique a beau jeu de proposer de grandes équations générales car celle-ci ne s'appliquent  jamais en pratique. 

Evidemment, ces deux positions sont intenables ,  et il vaut mieux au contraire comprendre en quoi les deux sciences sont différentes, complémentaires et toutes deux passionnantes. 

 

Pour la physique, il est extraordinaire que des équations algébriques puissent décrire si bien les phénomènes et, mieux, faire le tri entre des mécanismes concurrents. 

Pour la chimie, j'ai récemment découvert deux caractéristiques qu'il est intéressant de signaler à ceux qui apprennent cette science. Ma première observation est que si l'approche quantitative, algébrique, n'est pas à rejeter bien au contraire, il y a lieu de considérer, de surcroît, que le symbolisme de la chimie est une représentation de tels calculs, et une raison représentation très opérationnelle puisqu'elle permet d'envisager les transformations de la matière. 

Il est merveilleux d'admirer que cette pratique a permis de découvrir l'idée de molécules avant même que la physique n'y parvienne. Mais il y a mieux  :  à savoir que les réactions classiques de la chimie sont l'équivalent des équations générales de la physique. Par exemple la réaction d'un diène et d'un alcène permet de former un "cycle", une structure fermée pour la chaîne d'atomes de carbone,  ce que l'on nomme la réaction de Diels Albert, et qui est l'homologue d'une loi  physique telle que la loi d'Ohm, par exemple
 

Certains étudiants reprochent à la chimie d'imposer du par coeur... mais faut-il savoir plus qu'en physique ou en biologie ? Dépassons les "on dit". 

De surcroît, si l'on admettait que cette critique était juste il y a 40 ans, quand on faisait la chimie "au lasso", elle ne met plus aujourd'hui, alors que nous envisageons du transfert d'électrons et stéréochimie. La chimie au lasso consistait à repérer dans les réactifs un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène : on les entourait d'un trait et l'on considérait qu'il y aurait une réaction de condensation. Aujourd'hui, la connaissance des électrons et de leurs possibilités de mouvement a balayé tout cela, et il s'agit d'analyser, de réfléchir à des mécanismes. 

Que la chimie est belle !

S'achève le 12e Concours international de cuisine

 Nous venons de tenir notre douzième concours de cuisine de synthèse, dites encore cuisine nota note.
Je rappelle, s'il le faut vraiment, que cette cuisine se fait à partir d'ingrédients qui sont des composés, et non plus des viandes, poissons, légumes, fruits et cetera. Ces composés peuvent évidemment venir des viandes, fruits, poissons, légumes, etc., mais il s'agit en l'occurrence de faire comme un musicien qui utiliserait un synthétiseur (d'où le nom de cuisine de synthèse), et qui assemblerait des ondes sonores pour faire de la musique. On sait combien cette musique de synthèse s'est développée dans le monde : aujourd'hui elle est partout et même les chanteurs ont une voix qui passe par une boîte à musique, et qui est donc modifié électroniquement. 

Bref toute la musique du monde est aujourd'hui de synthèse et de la même façon, il y a lieu d'explorer cette cuisine de synthèse, dont la composante artistique est dite note à note, en référence évidemment à des notes de musique. 

 

C'est pour cette raison que nous organisons tous les ans un concours international dont la finale se tient sur le campus à gros Paris Saclay à Palaiseau. 

 

Cette année, il y avait une trentaine de concurrents et nous en avons présélectionné 5 pour la finale, qui sont venus présenter la recette qu'ils avaient été imaginé. Le thème était l'énergie, et il y a eu tout aussi bien des concurrents qui ont cherché à réduire la quantité d'énergie qu'ils utilisaient pour produire une recette note à note que des concurrents qui ont évoqué métaphoriquement l'énergie... Telle la gagnante, Blandine Bouchelet de Vendegies, qui a créé un plat représentant un volcan. 


En tout cas, le jury, qui était composé de chefs réputés, a considéré que toutes les présentations ont été remarquables et d'un niveau supérieur aux années précédentes. Ils ont  aussi observé combien ces présentations avaient été professionnelles, alors qu'elles étaient effectuées par des étudiants (souvent de notre Master International Erasmus plus Food innovation and product design

Le jury ? Il était composé de Jean-Pierre Lepeletier, président d'honneur des Toques Blanches Internationales, de Pierre Dominique Cécillon, également président d'honneur des  Toques Blanches Internationales, et d'Eric Sanchez, actuel président des Toques Blanches Internationales. Il était guidé par Yolanda Rigault, biochimiste et membre de l'équipe d'organisation, par Roisin Burke, professeur à la Technological University Dublin et également membre de l'équipe d'organisation,  tandis que Dao Nguyen et Pasquale Altomonte, de la société Kitchenlab, partenaire du concours, venaient présenter les produits odorants qu'ils commercialisent. Des représentants de la société Louis François, également partenaire du concours, étaient en ligne, pour cette finale qui a été enregistrée. 

 Je félicite très vivement tous les concurrents, notamment ceux qui ont été pré-sélectionnés, et évidement les vainqueurs  : 

1. Blandine Bouchelet de Vandegies

2 Julio Garcia Dominguez

3 Rine Krasniqi

4. Charlotte Delattre et Kate Doherty

dimanche 8 septembre 2024

Bonnes pratiques

 

Il est amusant d'observer que ce que l'on nomme bonne pratique en français soit nommé best pratices c'est-à-dire "meilleure pratique" en anglais. 
 
Mais repartons de plus loin : il y a des différences importantes entre ces différents termes  de déontologie, éthique, morale, bonne pratique... 
 
Et le fait que beaucoup de nos amis s'y perdent montrent que ces notions ne sont guère familières. 
 
Autrement dit, ceux d'entre nous qui cherchent à faire bien le font un peu intuitivement, naïvement, ou, disons-le différemment :  du mieux qu'ils le peuvent. 
Pour autant, un large corpus de réflexion a déjà été créé et l'on a intérêt  à consulter les idées mûrement réfléchies, au lieu de penser très individuellement à ce que nous pensons être le bien ou le mal. 
Notre culture personnelle est un handicap et nos ignorances de certaines prémices nous font parfois tomber dans des conclusions contestables. 
Je prends ici une métaphore à propos de bonnes pratiques (sutor non supra crepidam) :  supposons que nous ayons devant nous une balance sur laquelle soit indiquée que la masse maximum pesable est de 300 g. Sans connaissance des documents de bonne pratique relatifs à l'usage des balances, comment pourrions-nous savoir que l'on doit éviter de peser entre 90 % de la valeur maximum et 100 % ? Et entre 0 et 5 % de cette valeur ? 
 
Les bonnes pratiques sont précisément des documents qui nous permettent d'avoir... de bonnes pratiques et ce qui est dit là pour les bonnes pratiques vaut tout aussi bien pour la déontologie. 
 
N'oublions pas la recommandation des mathématiciens : sans  suffisamment de prémsses, une conclusion faible ne peut pas être tirée.





samedi 7 septembre 2024

A propos de risotto

En juin, lors du  séminaire de gastronomie musculaire du mois, nous avons exploré la confection du risotto. 

Nous avions déjà, par le passé, deux fois exploré cette question, d'abord en 2007 en montrant que l'ajout du liquide (du bouillon) par petites quantités permettait d'en évaporer davantage, ce qui engendre plus de goût puisque le bouillon se concentre.
Puis, plus récemment, nous avions vérifié que le nacrage du riz, c'est-à-dire la cuisson avec un peu d'huile préalablement, permet de donner un peu plus de goût au risotto. 

Il nous restait à comparer l'ajout du bouillon soit froid soit bouillant, au riz qui avait été nacré. 

Nous avons donc nacré du riz, dans les règles de l'art, ajouté un demi-verre de vin comme il est prescrit classiquement, et ensuite, en chauffant les deux  risottos de la même façon, nous avons ajouté soit du bouillon froid soit du bouillon bouillant, en quantités exactement identiques : nous versions une louche de bouillon froid d'un côté et une louche de bouillon chaud de l'autre. 

Les deux risotto, dans les conditions de cuisson que nous avons effectué, ont cuit exactement pendant 27 minutes, et nous avons effectué des comparaisons à l'aveugle, soit en visuel soit en gustatif. 

Il faut dire que pour l'une ou pour l'autre des comparaisons, les différences sont extrêmement faibles alors qu'on nous avait prédit des différences considérables. 

Mais on la différence entre les deux risotto était si faible que la moitié des tests sensoriels ne l'a pas révélée, alors que nous faisions tout dans les règles de l'art.

vendredi 6 septembre 2024

Cherchons toujours les mécanismes !

Lors de la dernière année universitaire, j'ai eu l'occasion d'observer que nos élèves ingénieurs n'avaient pas suffisamment le réflexe d'aller chercher les mécanismes des phénomènes qu'ils considéraient.
De sorte que, cette année, au moins pour ce qui me concerne, je serai très insistant à ce propos car je crois que c'est là la clé du bon exercice du métier d'ingénieur. 

Je ne méconnais pas que ce métier a une composante strictement technologique au sens de l'amélioration des techniques, de la résolution de problèmes techniques, de la mise au point des produits, et une composante d'encadrement d'équipe, de gestion de projet. Ici, c'est bien la question technologique qui m'intéresse et l'expérience montre amplement que des maniments superficiels des questions ne mènent à rien, font perdre du temps... 

La clé du succès, c'est la compréhension des phénomènes et la mise en œuvre de solutions guidées par cette compréhension.
Il faut chercher le mécanisme en terme de chimie, de physique, de biologie et c'est ensuite, quand on a une description des phénomènes, une analyse des questions en ces termes scientifiques, que l'on peut résoudre les problèmes de façon efficace. 

Je prends la précaution d'ajouter que je ne cherche pas à transformer nos ingénieurs en scientifiques, en personnes qui cherchent les mécanismes des phénomènes. Non, il s'agit plutôt que nos élèves ingénieurs aillent chercher la connaissance des mécanismes produites par les scientifiques et mettent en œuvre cette connaissance pour les questions qu'ils traitent. 

D'ailleurs, celles et ceux qui ont concocté les programmes de préparation aux écoles d'ingénieurs ont bien compris tout cela puisqu'ils ont mis au programme des matières fondamentales telles que mathématiques, chimie, physique, biologie.
Nos élèves ingénieurs bénéficient de ce socle très ferme , et nous avons la mission de les faire avancer plus loin. Ils auraient tort s'ils pensaient pouvoir ne plus traiter ces questions, et d'ailleurs, beaucoup aiment ces matières. Poursuivons donc sur la lancée, incitons-les à ne pas oublier les connaissances qu'ils ont acquises et, au contraire invitons les à développer leur connaissance dans tous ces champs car c'est ainsi qu'ils feront d'excellents ingénieurs. 

Cela a été bien compris notamment par l'Ecole de physique et de chimie de Paris, où  l'enseignement « scientifique » est très poussé, sans négliger  pour autant les questions pratiques : il y a des séances expérimentales tous les après-midi pendant 4 ans. 

 

Aidons nos amis à devenir d'excellents ingénieurs ! 

jeudi 5 septembre 2024

À propos d'endogamie intellectuelle

Cela fait plusieurs fois que j'observe des situations où l'endogamie est une menace. Je m'explique. 

Tout d'abord, dans une académie où je siège, nous sommes invités à renouveler l'Académie périodiquement en élisant de nouveaux membres, et je ne cesse de recommander à mes consoeurs et mes confrères de ne surtout pas choisir quelqu'un de leur propre discipline mais au contraire des personnalités de disciplines différentes, et différentes de celles des membres qui sont déjà présents. Rien de pire que d'augmenter le nombre de personnes ayant des compétences similaires car nous manquons alors de la nécessaire diversité permettant de juger de questions qui doivent être considérés sous des angles différents. 

De même, hier, nous discutions de l'organisation d'une conférence et j'ai recommandé à chacun des organisateurs de ne pas proposer des personnes de leur propre discipline sans quoi nous tournerions en rond, nous ne découvrirons collectivement pas de nouveau. 

Derrière tout cela, il y a cette question du philosophe Alain : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? C'est une question salutaire que nous devons utiliser le plus largement possible car c'est la seule façon de ne pas moisir dans un entre nous stérile, de ne pas nous appauvrir génétiquement par une endogamie excessive . Il nous faut de l'air frais, des idées neuves...

A propos de mousses, connaissez- vous les geoffroys et les würtz ?



Ce matin, un groupe d'étudiants m'interroge, à propos d'un travail qu'ils font dans le cadre des TIPE (Travaux d’Initiatives Pratique Encadrés), à propos de mousses en cuisine. Leur travail est louable : ils se préoccupent d'alimentation des personnes âgées, et veulent faire -je schématise- une mousse à paratir de viande et de d'une mousse de blanc en neige. Amusant que cela m'arrive précisément alors que je viens de finir un texte (pour la revue<i> Charcuterie et gastronomie</i>) où je discute précisément le fait que les quenelles peuvent être des systèmes foisonnés comme les soufflés, comme je l'ai compris après notre avant dernier séminaire. Bref, nos jeunes amis me disent  : <i> </i> <i>Après avoir réalisé de nombreux tests afin de trouver la composition idéale de la mousse, nous avons pu déterminer qu'il fallait 6 blancs d’œufs (pour un œuf d'un poids moyen de 60 grammes) et 30 g de blancs de poulets cuits préalablement afin d’avoir une mousse consistante. Cependant, cette composition est très riche en œuf, et la tenue de notre mousse n'est pas idéale. C'est pourquoi nous voudrions vous poser les questions suivantes : -  Quels nutriments artificiels seraient-ils judicieux d'ajouter à la composition de notre mousse afin de diminuer la teneur importante en blanc d’œuf ? -  Est-il possible de diminuer la teneur en blanc d’œuf sans altérer l'aspect et le maintien de la mousse ?</i> <i>-  Existe-il des agents stabilisants ou des techniques permettant de garder une tenue suffisante de la mousse afin de la conserver ?</i> &nbsp; <b>Quarante litre de blancs en neige à partir d'un oeuf</b> &nbsp; Dès le début de leur message, je butte sur le mot "idéale", parce que c'est un adjectif, et que l'objectif qui permettrait de mesurer cette idéalité n'est pas donné. Bref, nos amis ont produit une préparation de 30 grammes de poulet broyé (je suppose) et de six blancs d'oeufs, sans doute battus en neige. J'imagine donc  une mousse très volumineuse (environ deux litres de mousse), dont nos amis me disent qu'elle est riche en oeuf... ce qui est une évidence, puisque l'oeuf, c'est de l'oeuf. Mais pourquoi ne parlent-ils pas plutôt de protéines et d'eau ? La viande, c'est environ 25 pour cent de protéines et 75 pour cent d'eau, tandis que le blanc, c'est 10 pour cent de protéines et 90 pour cent d'eau. D'autre part, veulent-il  réduire la proportion de protéines d'oeuf ? C'est alors facile, quand on prépare un "<b>geoffroy</b>", c'est-à-dire un oeuf très foisonné... et je rappelle que nous avons obtenu plus de 40 litres de mousse à partir d'un seul blanc d'oeuf, soit environ 3 grammes de protéines. Comment ? En réfléchissant que de l'oeuf en neige, c'est une solution aqueuse de protéines que l'on a foisonné. Combien de mousse peut-on obtenir avec un blanc ? Puisque le blanc d'oeuf est fait de protéines et d'eau, et que, classiquement, l'ajout d'air ne procure qu'un petit tiers de litre de mousse, c'est que manquent soit l'eau, soit les protéines, soit l'air. Or l'air ne manque pas... et l'expérience qui consiste à ajouter de l'eau montre que c'est l'eau qui manque... ce qui a constitué la base d'un "atelier" des "Ateliers expérimentaux du goût", à l'attention de l'Education nationale (école, collèges, lycées, lycées professionnels, centres de formation des apprentis) : http://www2.agroparistech.fr/Les-Ateliers-experimentaux-du-gout.html Bref, il est facile de réduire la quantité de protéines dans une mousse ! &nbsp; <b>Mais il y a d'autres solutions à... foison ;-)</b> &nbsp; Cette question des oeufs n'est pas le fin mot de l'histoire, car nos amis pourraient faire foisonner le poulet sans ajouter des oeufs, mais ils pourraient également produire une de mes inventions que j'avis nommé "würtz" : l'idée est de dissoudre un peu de gélatine dans un liquide, puis de fouetter pour faire foisonner. Ensuite, on statilise la mousse en la mettant au froid. Evidemment, le liquide mérite d'avoir du goût, comme je le dis ici, notamment : http://hervethis.blogspot.fr/2017/12/les-wurtz.html Ou encore ici : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/48 Bref, plein de solution pour des mousses de protéines. Mais, au fait, savez-vous qu'il y d'autres agents foisonnants que les protéines ? C'est une autre histoire, qui sera contée une autre fois.

mercredi 4 septembre 2024

La phrase magique

Il y a bien longtemps, j'ai eu la chance qu'une amie me prête un livre américain intitulé "What to write, how to write, how to sell it". C'est un gros livre de théorie littéraire appliqué, un gros livre fait de très nombreux petits chapitres qui avaient été demandés aux principaux écrivains de l'époque (vers 1960-1970). Surtout à  des écrivains anglo-saxons et aussi  à quelques éditeurs. 
Chaque chapitre racontait la méthode personnelle d'écriture des écrivains sollicités et il y avait tout aussi bien des chapitres par des auteurs de polars qui racontaient qu'il construisaient leurs romans par la fin que des chapitres plus théoriques qui rappelaient la structure des discours des Grecs anciens et faisaient le parallèle avec leur propre méthode. 
 
Mais il y avait en particulier un chapitre qui évoquait la phrase magique. 
 
De quoi s'agit-il ? L'idée, c'est que quand on écrit un texte, on écrit d'abord le texte sans trop se préoccuper d'autres choses que le contenu ;  puis on fignole l'ensemble et l'on termine le travail. Et c'est à ce moment-là, quand tout est "terminé",  qu'il doit se passer quelque chose de plus, à savoir qu'on doit passer maintenant presque autant de temps à trouver la phrase magique qu'on en a passé à construire tout le texte. 
 
En pratique cela veut dire que le texte étant écrit, on n'y touche plus, mais on cherche une phrase que l'on doit transformer afin qu'elle devienne mémorables pour tous les lecteurs. Il n'y a pas de recette pour faire cette phrase magique mais il faut chercher et chercher longtemps : par exemple une journée pour une phrase entière. 
D'ailleurs, quand j'écris "longtemps ", c'est bien peu car Flaubert écrivait en moyenne seulement 7 phrases par jour, tant il raturait, corrigeait, améliorait, transformait...
Là, avec la phrase magique, ce n'est pas un travail d'écrivain artiste comme Flaubert mais seulement un travail d'artisan qui veut bien faire, qui veut faire mieux. Il n'est donc pas de recette pour la phrase magique mais simplement du travail...
 
Et je peux témoigner que chaque fois que j'ai pris le temps de faire une telle phrase, j'en ai été récompensé. Par exemple pour certains de mes livres où j'avais explicitement cherché une phrase magique, les interviews par des journalistes qui ont suivi la publication du livre ont souvent été focalisés sur ces phrases que j'avais posées et dont les lecteurs journalistes se sont ensuite emparés, preuve que ces phrases avaient été bien reconnues comme le voulait l'auteur du chapitre merveilleux dans le livre américain. 
 
Je suis très reconnaissant à cet auteur dont j'ai oublié le nom à faire mieux les textes que j'écris et je vous donne ici la recette  : n'oubliez pas la phrase magique !  
 
Pourquoi suis-je en train de discuter cette question aujourd'hui ? Parce que hier, j'ai visionné une masterclass de violoncelle d'Amit Peled, qui, lui aussi, a évoqué cette question de moment magique dans l'exécution d'un morceau.
Parfois cela peut-être un silence que l'on tient un peu plus,  cela peut-être un rubato un peu marqué  :  le rubato, c'est le fait de ne pas jouer les notes au rythme où elles sont exactement écrites sur la partition mais d'insister sur certaines notes qui non seulement prennent une intensité sonore plus grande mais en plus  prennent une force supplémentaire parce qu'elles ont une durée supplémentaire. 
On n'a pas attendu Amit Peled pour dire que les premiers temps des mesures, au moins pour une certaine musique classique, doivent être appuyés. Or appuyer une note, cela consiste à lui donner plus d'intensité et un peu plus de durée ; pas trop car il faut rester dans la pulsation, dans le rythme. 
 
Le rubato, c'est donc de prendre un peu de temps sur note mais sans perdre la pulsation, ce qui signifie que les notes suivantes seront un peu plus courtes. La magie est donc partout en musique puisque le premier temps doit être plus fort et dans une mesure à quatre temps ,  le troisième temps doit être doit être un peu moins fort que le premier mais plus fort que le deuxième et le 4e. 
 
Bref il y a lieu de ne jamais être monotone, mais au contraire, quand nous parlons à nos amis, d'insister de renforcer, d'adoucir, d'arrondir, et cetera. Il y a lieu d'être vivant, de communiquer notre enthousiasme, notre bonheur, nos peines, nos joies, nos étonnements... Et je ne doute pas que quel que soit les activités humaines il ne soit nécessaire d'avoir l'équivalent des phrases magiques

Toutes les utilisations de l'huile !

 
Soit de l'huile, qu'en faire ? On se propose ici de discuter des formulations de l'huile, afin de mettre cette dernière en valeur… quand elle en vaut la peine. Partons du fait qu'un système matériel peut s'examiner du point de vue physique et du point de vue chimique. On peut donc changer le système de ces deux façons. Commençons par la chimie, en observant qu'une huile « de terroir » est composée au premier ordre de triglycérides : l'huile est un mélange de très nombreux composés de ce type, différant par les résidus en acides gras. Chaque type de triglycéride a un point de fusion particulier, c'est-à-dire un comportement particulier. Par exemple, il y a des triglycérides solides à la température ambiante et solide dans la bouche, à la température de 37 degrés, et ils seront comme des solides. Mais il y a aussi des triglycérides solides à la température ambiante et liquides en bouche. Puis les triglycérides liquides à la température ambiante, et, donc, également liquides en bouches. Plus finement, la viscosité des liquides augmente avec la température. Et, surtout, le mélange des divers triglycérides donne à un mélange de ces derniers des comportements mécaniques ou rhéologiques particuliers. Puis, à des ordres bien supérieurs, l'huile contient des composés qui peuvent être odorants, sapides, ou avoir une action trigéminale (la fameuse « ardence » de certaines huiles d'olive). Une première de diversifier l'huile initiale consiste donc à la fractionner, soit en séparant la partie odorantes/sapides/trigéminales de la masse des triglycérides, ce qui revient à faire une « huile essentielle d'huile », soit en fractionnant les triglycérides. Comment faire un tel fractionnement ? On peut distiller, à pression atmosphérique ou sous vide, afin de limiter les dégradations, mais on peut aussi faire des « cristallisations fractionnées », comme quand on met de l'huile d'olive au réfrigérateur, ce qui permet de séparer des cristaux de triglycérides par filtration. Ainsi, on obtient des huiles différentes à partir de l'huile initiale… en répétant quand même que le terroir, c'est surtout la partie odorante/sapide/trigéminale. Les traitements chimiques précédents conservent tous les composés, mais on peut aussi ne faire disparaître, ou bien en faire apparaître. La manière la plus simple est bien sûr le simple chauffage, qui fait des « goûts de cuits », mais il peut aussi chauffer en présence d'autres composés, comme par exemple avec des bases, pour faire des savons… ce qui me fait penser que, si l'on a séparé d'abord les composés non triglycéridiques et qu'on les remet ensuite dans les savons, on aura des « savons de terroir ». Pour la question physique, les solutions découlent principalement de l'idée des « systèmes dispersés » : à l'aide d'autres produits, qui peuvent être des gaz, des liquides ou des solides, on peut faire des gels, des mousses, des émulsions, des suspensions. Les solides ? Par exemple, du sucre, du sel, mais aussi des acides citrique ou tartrique, des acides aminés, des grains d'amidon… ou des mélanges de tous ces produits. Pour les liquides, il peut s'agir de vin, de café, de bière, de thé, de bouillons, d'eau de pressage de l'huile… Les gaz ? C'est principalement l'air, mais le dioxyde de carbone, si utile pour l'effervescence des boissons gazeuses, ne doit pas être oubliée. Pour faire une émulsion, on part d' « eau » (liste précédente), on y dissout des composés tensioactifs, et l'on disperse de l'huile, tout comme lors de la confection d'une sauce mayonnaise. Les composés tensioactifs ? Les plus courants sont les phospholipides et les protéines… que l'on trouve naturellement dans les matières végétales que l 'on a pressées pour obtenir l'huile : les tissus végétaux sont faits de cellules qui sont elles-mêmes limitées par des membranes faites phospholipides, avec des protéines incluses. Le procédé est exactement comme dans une mayonnaise, et le goût final dépendra du goût de l'huile et de celui de la phase aqueuse. La consistance de l'émulsion ? Elle dépend de la proportion d'huile et d'eau, mais aussi du procédé, les homogénéisations permettant de bien stabiliser les émulsions, comme le sait bien l'industrie du lait. Pour les suspensions, la dispersion de solides dans l'huile peut inclure des solides cristallisés, ou amorphes, ou des gels simples ou complexes. Le sucre, par exemple, est fait de cristaux, mais on sait faire un sirop concentré que l'on coule sur un plan de travail froid pour obtenir un « verre » que l'on peut diviser. Mais, pour faire plus évolué, on peut disperser un gel dans l'huile, ce qui permet d'obtenir des systèmes que j 'ai nommé des gerhardts. Partons par exemple d'une « eau » (le jus de citrons de Menton si nous voulons valoriser de l'huile d'olive) et gélifions-la à l'aide d'un gélifiant qui peut être la gélatine, l'agar-agar, etc. Une fois le gel pris, mixons-le gel dans l'huile, et nous obtenons alors un gerhardt hydrophobe. Observons que nous aurions pu faire un peu plus complexe en dispersant un « gibbs », que l'on obtient en faisant une émulsion coagulée : on part d'eau, on ajoute des protéines thermocoagulantes, puis on émulsionne de l'huile, et l'on coagule les protéines par chauffage. Mais nous avons grillé les étapes, car nous aurions aussi pu disperser de l'eau dans le gel, simplement. Ou bien évoquons les « gels d'huile », tel le gibbs précédent que l'on chauffe pour en évaporer l'eau. Il existe bien d'autres solutions, mais la complexification risque de conduire à des procédés coûteux, alors que l'on sait bien que l'industrie alimentaire se limite au plus simple, tels les yaourts qui résultent seulement du stockage du lait avec des ferments… ce qui me conduit à évoquer les procédés microbiologiques qui conduisent éventuellement à d'autres solutions, pour l'huile. Terminons avec les mousses. On peut partir d'eau et de protéines, fouetter pour faire une mousse, et disperser ensuite de l'huile dedans. Ou bien on peut faire de « l'huile Chantilly », en faisant une émulsion que l'on foisonne en la refroidissant, comme l'on fait pour une crème fouettée. A ce jour, je crois être le seul à avoir réalisé un tel produit (avec de l'huile d'olive). Un tel système n'est pas stable au réchauffement, mais on n'oubliera pas que l'on peut stabiliser une mousse comme dans ces « würtz » que j'ai proposés il y a longtemps.

Je fais un essai : Un calcul expliqué à propos de couleur des carottes


On m'invite à produire des billets qui expliqueront mieux pourquoi la gastronomie moléculaire n'est pas la cuisine, et, en particulier, comment le calcul est à la base de nos travaux scientifiques. Certes le monde est écrit en langage mathématique et la science fait donc usage constant du calcul, mais dire cela, c'est faire une déclaration bien abstraite, qui ne parle donc pas à nos amis, qui ne répond pas à la curiosité légitime qu'ils peuvent manifester. Dans un autre billet, j'exposais un exemple de travaux expérimentaux que nous faisons au laboratoire, mais je ne suis pas allé jusqu'à cette question des équations, mais je propose de prendre ici un exemple pour faire ce que je n'ai pas encore fait. Cet exemple doit évidemment être très simple, sans quoi ce billet deviendrait interminable, et ce n'est certainement pas un fait d'armes mathématiques que je vais présenter, mais bien plutôt un de ces petits calculs que je fais en passant, « pour m'amuser ». Dire cela n'est pas faire le snob ; c'est seulement signaler que l'on donne le goût de la chose plutôt que la chose elle-même. Et puis, les "gros" calculs sont-ils autre chose qu'une somme de petits calculs ? Enfin, dans ma volonté d'être clair en même temps que concis (sans quoi le billet ne sera pas lu, et la tentative annihilée), il y a aussi la volonté de montrer que tout cela est à la portée de tous : il suffit d'être convaincu que l'on peut y arriver (acte de foi : on peut toujours y arriver), et que tous sont invités au grand banquet de la science. &nbsp; <strong> Les paramètres formels ont ceci de merveilleux qu'ils sont généraux, et non particuliers !</strong> La question de calcul que je veux évoquer s'est posée quand nous avions en cours une étude des "traitements thermiques de tissus végétaux en phase aqueuse" : entendons par là tous ces procédés qui auraient, en cuisine, pour nom «  de légume », sauces où figurent des dés d'oignons, purées… En effet, dans de nombreuses circonstances culinaires, on place des morceaux d'un tissu végétal dans un liquide essentiellement constitué d'eau, et l'on chauffe (ce que la cuisine nomme « cuire »). La question est d'abord de savoir ce qui s’échange entre le tissu végétal et le liquide, mais, surtout, la vraie question scientifique est de savoir comment se fait l'échange. Avant d'y arriver, pourquoi prendre une expression aussi tarabiscotée que "traitements thermiques en phase aqueuse de tissus végétaux" ? Pourquoi pas seulement "confection de bouillons de légumes" ? Pour de nombreuses raisons, dont beaucoup sont hors sujet dans le cadre de ce billet très particulier, mais aussi parce que la même question de calcul se pose quand on fait des bouillons de carottes, des soupes à l'oignon, des purées, mais aussi des sauces où figurent des brunoises, d'oignons notamment, ou de carottes, ou de tout autre végétal utilisé en cuisine. C'est le même phénomène, mais avec des paramètres particuliers. C'est d'ailleurs une des beautés des calculs que, s'ils sont "formels" et non numériques, ils s'appliquent très généralement, dans des cas variés... &nbsp; <strong>Un beau matin, une observation</strong> Passons donc sur toutes les études expérimentales qui ont été à la base de ce calcul pour n'en évoquer qu'une, et, plus particulièrement sur une observation faite un matin, au laboratoire : passant devant de deux systèmes expérimentaux identiques... je vis qu'ils avaient des couleurs différentes ! Comment est-il possible que deux expériences identiques donnent deux résultats différents ? Dans les deux cas, il y avait un récipient en pyrex, parfaitement propre, parfaitement inerte chimiquement, qui contenait de l'eau ultra pure et des morceaux de carotte : la même carotte avait été divisée en deux dans le sens de la longueur, et des demi rondelles de mêmes tailles étaient dans les deux récipients, en même proportion. Chacun des deux récipients était surmonté d'une colonne à reflux, c'est-à-dire une colonne en verre refroidissant les vapeurs, de sorte que le liquide retombait dans le récipient. Et le chauffage des deux récipients s’effectuait à 100°C, température fixe, puisque c'est celle de l'ébullition de l'eau. Oui, vraiment, comment était-il possible que la même expérience donne des résultats différents, à savoir un liquide orangé dans un cas et brun dans un autre ? Je passe sur les analyses et les expériences que nous avons faites pour donner l'explication que nous avons finalement découverte, puis confirmée expérimentalement : un des deux récipients recevait plus de lumière du jour que l'autre, et nous avons finalement découvert que c'était la lumière qui était responsable de la différence de couleur. C'est là une petite découverte, mais c'est une découverte... qui a conduit à d'autres études, pour comprendre comment la lumière pouvait ainsi agir. &nbsp; <strong> Des mesures de couleurs</strong> Mais on se rappelle que mon objet n’était pas de me taper sur la poitrine, mais d'expliquer un calcul. J'y arrive. Pour mesurer des couleurs, il y a bien des manières, mais on peut notamment utiliser un "colorimètre", une sorte d'appareil photo, qui, au lieu d'enregistrer des images, mesure la couleur par un groupe de trois nombres : la luminosité plus ou moins forte, la couleur plus ou moins verte ou rouge, la couleur plus ou moins bleue ou jaune. On note ces trois valeurs L*, a*, b* ; pour une couleur particulière, chaque paramètre a une valeur particulière. Dans nos études, quand nous avons exploré le phénomène que nous avions découvert par "sérendipité" (cette chance qui sourit aux esprits préparés, disons attentifs), nous avons donc enregistré la couleur à différents temps de chauffage, soit en présence de lumière, soit en l’absence de lumière, et obtenu des résultats différents dans les deux cas. Mais je ne suis pas encore tout à fait au calcul que je veux exposer. Nous avons vu, dans nos travaux, que la luminosité variait peu entre les deux bouillons, de sorte que nous pouvions nous limiter à deux paramètres de couleurs a* et b*. Avec deux paramètres, on peut repérer un point dans un plan : par exemple, dans une carte, il y a la latitude et la longitude, et nos téléphones portables, avec le GPS, nous ont habitués à utiliser ces coordonnées. Quand on fait des mesures régulières, lors de la constitution d'un bouillon, on représente chaque couple de paramètres mesurés a* et b* par un point dans un "espace des couleurs", qui se réduit ici à un plan. Et quand on fait plusieurs mesures, on obtient plusieurs points dans ce plan. Or nous avons mesuré que les points de mesure formaient une courbe en forme de spirale. Avec ou sans lumière, il y avait toujours une spirale, mais les deux spirales étaient différentes… Pourquoi des spirales différentes ? Cela revient à s'interroger : pourquoi des couleurs différentes, et, là, la réponse est : parce que la lumière agit sur les composés présents, et change la couleur de certains. Mais, surtout, pourquoi des spirales ? Surtout que, dans le passé, des articles de sciences ou de technologies des aliments avaient fait état de telles spirales sans en expliquer la raison. &nbsp; <strong>Des évolution dans le plan des couleurs</strong> Le calcul qui a été fait correspond à l'idée suivante. Partons de carottes dans de l'eau : la couleur initiale du liquide est représentée par le centre du diagramme : l'eau est incolore. Puis imaginons que la carotte libère un composé qui aurait une couleur : le liquide prend alors de la couleur, ce qui correspond à l'évolution du "point de couleur" selon une droite qui part du point origine. Mais imaginons que, en cours de traitement, un second composé coloré vienne à sortir, avec une autre couleur pour ce second composé. S'il avait été seul, le point de couleur serait parti dans une autre direction, mais le fait que ce second composé s'ajoute au premier fait tourner le point vers une sorte de "moyenne" entre les deux directions... et voilà une spirale qui peut apparaître. Une autre possibilité est que le premier composé apparu se transforme, dans le liquide, une fois qu'il est sorti de la carotte. La couleur "naturelle" de ce composé est alors perdue au détriment d'une autre couleur, représentée par un autre point du plan : là encore, le point couleur peut décrire une spirale. Chacune de ces spirales, et bien d'autres possibilités se représentent à l'aide d'équations dites "différentielles" : il y a une évolution en fonction du temps. Mais, en écrivant cela, je crois m'apercevoir que je n'en dis pas assez. Il faut donc ajouter que, pour chaque temps auquel on mesure la couleur, il y a donc trois paramètres, à savoir le temps (t), la valeur de a* et la valeur de b*. Le fait qu'un composé sorte à vitesse constante, par exemple, signifie qu'il y a une relation (une équation) entre les paramètres. Et comme il est question de vitesse, c'est la variation de la couleur au cours du temps qui est proportionnelle à la couleur. "Proportionnelle" : la voici, l'équation qui apparaît. &nbsp; <strong>Il faut s'arrêter</strong> Je crois que c'est à ce point que je dois m'arrêter, car, en réalité, je vois clairement que les équations sont des "traductions" en symboles mathématiques des idées insuffisamment précises que nous donnent les mots. "Un composé sort" : à quelle vitesse, avec quelle couleur, combien de temps ? Les paramètres formels (ce que l'on nommerait des "symboles mathématiques") sont là pour mieux fixer les idées, pour dire les choses plus précisément, et c'est ce maniement qui a été à l'origine de la suite du travail évoqué plus haut. Notamment, c'est parce que nous avions une "courbe de couleur" qui partait dans une direction (vers le haut à gauche) que nous avons pu avancer, en chauffant dans de l'eau de l'acide galacturonique, ce constituant élémentaire de la pectine, si l'on peut dire, pour voir qu'il prenait de la couleur dans la même direction. Nous avons eu ici une indication du mécanisme de l'apparition de la couleur et de son changement. Mais cela serait trop long d'aller plus loin dans cette direction, et je dois m'arrêter, en proposant à mes amis qui voudraient en savoir plus une référence à une article scientifique où les calculs sont donnés : Hervé This, Anne Cazor, David Trinh. Color Evolution of Aqueous Solutions Obtained by Thermal Processing of Carrot (Daucus carota L.) Roots: Influence of Light. Journal of Food Science, 2008, 73 (4) , E176–E182.