Je dois
mon idée de la "poussière du monde" au peintre chinois Shitao, qui a discuté cette notion dans son traité de peinture
intitulé L'unique trait de pinceau. La thèse principale du livre est
que l'on ne peut peindre que si l'on fait le bon trait du premier coup,
aucune correction n'étant possible. Pour y parvenir, il faut
méditer beaucoup et se débarrasser de ce que Shitao nomme donc la
poussière du monde.
Mais je connais assez bien la littérature pour avoir
fini par comprendre que la fiction, c'est de la fiction, et que les mots
que l'on utilise ne désignent pas nécessairement des objets qui existent
matériellement. On peut dire "Père Noël", mais cela ne suffit pas à faire
exister le Père Noël.
De fait, on peut parler de poussière du monde,
mais cela existe-t-il ?
On comprend bien que si l'on a l'esprit encombré
de 1000 questions secondaires, ou accessoires, ou parasites, on ne sera
pas pleinement concentré sur le dessin que l'on veut faire et en
particulier, pour la calligraphie, il n'est pas certain que l'on
arrivera à faire du premier coup le trait qui s'imposait.
Mais est-ce
vraiment si grave de rectifier ? Ne peut-on vraiment pas y revenir,
travailler un trait qui a été fait, l'améliorer ?
Je ne
crois guère non plus à Athéna sortant toute armée de la cuisse de Zeus
et je préfère l'idée d'une amélioration constante telle que le répétait Michel Eugène Chevreul, le chimiste qui découvrit la constitution des
graisses : il faut tendre avec effort à
l'infaillibilité sans y prétendre.
Oui il faut y tendre avec effort, avec
l'effort répété et c'est ainsi que l'on obtiendra de mieux en mieux à
défaut d'obtenir une sorte d'idéal qui n'existe sans doute pas.
Mais
revenons à la poussière du monde : on comprend bien, comme je l'ai dit ,
qu'il puisse y avoir des pensées parasites, et l'on comprend bien aussi que
l'on puisse chercher des méthodes pour se débarrasser de celles-ci car
s'il y a besoin de la puissance de l'esprit tout entière focalisée vers
un objectif particulier, alors les pensées parasites sont gênantes.
Cela dit
je t'aime guère l'image négative qui consiste à se débarrasser de la
poussière du monde, notamment parce que je vois surtout ces pensées parasites comme sécrétées par notre esprit, et non pas dues au "monde".
Donc à sécréter quelque chose, pourquoi de pas sécréter du ciel
bleu ? de l'amélioration ? Pourquoi ne pas dire plutôt que, pour bien
peindre, il faut avoir sécrété suffisamment ciel bleu ?
Je préfère de beaucoup cette
image, parce qu'elle me met en position de m'interroger sur ce
ciel bleu que je veux construire.
D'autre part, en évoquant le bleu du
ciel, je vois le bleu du ciel avec les yeux de l'esprit. Face au ciel
bleu, c'est beaucoup de bonheur, c'est une marche très positive : je
tends avec effort vers l'infaillibilité sans y prétendre, je ne me
préoccupe pas du monde qui n'existe pas en réalité : je fais exister ce
que je veux faire exister, positivement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire? N'hésitez pas!
Et si vous souhaitez une réponse, n'oubliez pas d'indiquer votre adresse de courriel !