mercredi 4 septembre 2024

La phrase magique

Il y a bien longtemps, j'ai eu la chance qu'une amie me prête un livre américain intitulé "What to write, how to write, how to sell it". C'est un gros livre de théorie littéraire appliqué, un gros livre fait de très nombreux petits chapitres qui avaient été demandés aux principaux écrivains de l'époque (vers 1960-1970). Surtout à  des écrivains anglo-saxons et aussi  à quelques éditeurs. 
Chaque chapitre racontait la méthode personnelle d'écriture des écrivains sollicités et il y avait tout aussi bien des chapitres par des auteurs de polars qui racontaient qu'il construisaient leurs romans par la fin que des chapitres plus théoriques qui rappelaient la structure des discours des Grecs anciens et faisaient le parallèle avec leur propre méthode. 
 
Mais il y avait en particulier un chapitre qui évoquait la phrase magique. 
 
De quoi s'agit-il ? L'idée, c'est que quand on écrit un texte, on écrit d'abord le texte sans trop se préoccuper d'autres choses que le contenu ;  puis on fignole l'ensemble et l'on termine le travail. Et c'est à ce moment-là, quand tout est "terminé",  qu'il doit se passer quelque chose de plus, à savoir qu'on doit passer maintenant presque autant de temps à trouver la phrase magique qu'on en a passé à construire tout le texte. 
 
En pratique cela veut dire que le texte étant écrit, on n'y touche plus, mais on cherche une phrase que l'on doit transformer afin qu'elle devienne mémorables pour tous les lecteurs. Il n'y a pas de recette pour faire cette phrase magique mais il faut chercher et chercher longtemps : par exemple une journée pour une phrase entière. 
D'ailleurs, quand j'écris "longtemps ", c'est bien peu car Flaubert écrivait en moyenne seulement 7 phrases par jour, tant il raturait, corrigeait, améliorait, transformait...
Là, avec la phrase magique, ce n'est pas un travail d'écrivain artiste comme Flaubert mais seulement un travail d'artisan qui veut bien faire, qui veut faire mieux. Il n'est donc pas de recette pour la phrase magique mais simplement du travail...
 
Et je peux témoigner que chaque fois que j'ai pris le temps de faire une telle phrase, j'en ai été récompensé. Par exemple pour certains de mes livres où j'avais explicitement cherché une phrase magique, les interviews par des journalistes qui ont suivi la publication du livre ont souvent été focalisés sur ces phrases que j'avais posées et dont les lecteurs journalistes se sont ensuite emparés, preuve que ces phrases avaient été bien reconnues comme le voulait l'auteur du chapitre merveilleux dans le livre américain. 
 
Je suis très reconnaissant à cet auteur dont j'ai oublié le nom à faire mieux les textes que j'écris et je vous donne ici la recette  : n'oubliez pas la phrase magique !  
 
Pourquoi suis-je en train de discuter cette question aujourd'hui ? Parce que hier, j'ai visionné une masterclass de violoncelle d'Amit Peled, qui, lui aussi, a évoqué cette question de moment magique dans l'exécution d'un morceau.
Parfois cela peut-être un silence que l'on tient un peu plus,  cela peut-être un rubato un peu marqué  :  le rubato, c'est le fait de ne pas jouer les notes au rythme où elles sont exactement écrites sur la partition mais d'insister sur certaines notes qui non seulement prennent une intensité sonore plus grande mais en plus  prennent une force supplémentaire parce qu'elles ont une durée supplémentaire. 
On n'a pas attendu Amit Peled pour dire que les premiers temps des mesures, au moins pour une certaine musique classique, doivent être appuyés. Or appuyer une note, cela consiste à lui donner plus d'intensité et un peu plus de durée ; pas trop car il faut rester dans la pulsation, dans le rythme. 
 
Le rubato, c'est donc de prendre un peu de temps sur note mais sans perdre la pulsation, ce qui signifie que les notes suivantes seront un peu plus courtes. La magie est donc partout en musique puisque le premier temps doit être plus fort et dans une mesure à quatre temps ,  le troisième temps doit être doit être un peu moins fort que le premier mais plus fort que le deuxième et le 4e. 
 
Bref il y a lieu de ne jamais être monotone, mais au contraire, quand nous parlons à nos amis, d'insister de renforcer, d'adoucir, d'arrondir, et cetera. Il y a lieu d'être vivant, de communiquer notre enthousiasme, notre bonheur, nos peines, nos joies, nos étonnements... Et je ne doute pas que quel que soit les activités humaines il ne soit nécessaire d'avoir l'équivalent des phrases magiques

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