dimanche 17 décembre 2017

Réussi l'aïolli


Un ami m'envoie une précision culinaire à propos d’aïoli : les aïolis monteraient mieux quand on utilise de l'huile d'olive de l'année précédente. Pourquoi cette pratique, m'interroge-t-il ?


On sait qu'un torchon rouge agité devant un taureau conduit ce dernier à charge, mais, cette fois, résistons. Résistons, car les précisions culinaires sont loin d'être toutes justes, et des décennies de travail m'ont montré qu'il vaut mieux être prudent. Ce serait naïf de d'aller chercher la cause d'un effet qui n'existe pas.

L'aïoli ? C'est une sauce qui se compose exclusivement d'ail et d'huile d'olive. Pas de moutarde, sans quoi on produit une rémoulade ; pas d'oeuf, sans quoi on produit une mayonnaise à l'ail.

Pour faire un aïoli, on prenait jadis un mortier, des gousses d'ail, et l'on produisait d'abord une pâte à l'aide d'un pilon actionné répétitivement. Puis, toujours en pilant, on ajoutait de l'huile goutte-à-goutte et l'on s'arrêtait en quand la sauce avait pris une consistance de pommade.

Pourquoi cette transformation ? Parce que les gousses d'ail contiennent de l'eau pour plus de moitié, mais aussi des composés variés tels que les phospholipides des membranes, des protéines... Quand on ajoute de l'huile d'olive en pilant, le pilon divise les gouttes d'huile en microgouttelettes qui sont dispersées dans l'eau, les composés tensioactifs favorisant l'émulsion. Finalement, on obtient une émulsion très concentrée en huile, comme le serait une mayonnaise, par exemple, et le fait que les gouttes d'huile soient tassées les unes contre les autres prévient leur mouvement, et donc l'écoulement de la sauce.

La qualité de l'huile, dans cette affaire ? On peut bien sûr imaginer que le vieillissement de l'huile d'olive conduise à l'apparition de composés tensioactifs ou de composés qui stabiliseraient les émulsions par divers phénomènes. Toutefois, il y a tous les tensioactifs qu'il faut dans l'ail utilisé, à condition que l'on ait bien désagrégé les gousses, et les cellules qui composent ces dernières. On pourrait avoir le même phénomène que pour la tapenade, avec les mixers modernes : si l'on se contente de séparer les cellules, et non pas de les désagréger, ce qui libère leurs composés, alors on peut avoir des problèmes. Toutefois, si l'on a bien fait une pâte avec l'ail, le risque est faible.

Surtout, je propose d'interpréter. 

Je propose d'interpréter en observant que, comme pour la tapenade d'ailleurs, quand le travail de l'ail est insuffisant, la sauce peut rater.
Or mes études m'ont montré que les préparations qui ratent suscitent généralement plus de précisions culinaires que les autres. Le praticien se met alors à imaginer toutes les causes possibles : les règles féminines, la température, l'influence de la lune... ou la qualité de l'huile !
Il en va là de la pensée magique (voir Les précisions culinaires, Editions Quae/Belin), et la gastronomie moléculaire vient fort heureusement nous aider à mieux comprendre, au lieu de nous laisser en compagnie des démons. Pour l’aïoli, ne prenons pas nécessairement une huile ancienne, peut-être rancie, et privilégions des huiles dont nous choisirons d'abord le goût.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Inventons la tarte aux oignons

Continuons de combattre la notion de recette, au moins pour la partie technique, avec la question de la confection d'une tarte à l'oignon, Zewelkuacha en alsacien.

Le projet : montrer qu'une recette ne sert à rien quand on a quelque chose entre les deux oreilles, et que l'on décide de s'en servir.



Une tarte à l'oignon ? Comme pour la quiche, déjà évoquée, il y a la pâte, d'une part, et la garniture, d'autre part. Pour la pâte, il est si simple de mêler de la farine, du beurre, de l'eau, que nous considérerons ici la garniture. On sait qu'elle doit contenir des oignons... et j'ai vu des tartes à l'oignons qui se limitaient à des oignons émincés posés sur la pâte, et qui cuisaient pendant la cuisson de la pate, soit environ 30 minutes à la température de 180°C.

Toutefois la tarte à l'oignon alsacienne est bien plus « gourmande » : sa garniture contient aussi de l'oeuf, du lard fumé et de la crème. Combien de chaque ? Avec de l'oeuf entier, la garniture est bien dure ; mais avec trop de crème, elle ne se tient plus, et s'écoule quand on coupe les parts. C'est donc cela qu'il faut régler : la proportion de crème et d'oeuf.

On observera que, dans ce raisonnement, je ne considère pas la quantité d'oignons : c'est que ces objets solides sont... solides. Si quelque chose coule, c'est le liquide (initial) qui est entre les morceaux d'oignons.

Analysons donc : l'oeuf, c'est, au premier ordre, de l'eau et des protéines (10 pour cent pour le blanc, 15 pour cent pour le jaune) ; la crème, c'est de la matière grasse liquide dispersée dans de l'eau (pensons un tiers de matière grasse pour deux tiers d'eau). Enfin, pour simplifier, il faut entre un et cinq pour cent de protéines au minimum pour assurer la gélification d'un liquide. Autrement dit, on peut allonger l'oeuf de une à cinq fois, avec la crème, pour conserver un liquide qui prendra en masse à la cuisson. Plus exactement, j'ai fait l'expérience, il y a plus de quinze ans, d'explorer la gélification éventuelle de liquide avec de l'oeuf battu, en concentrations décroissantes, et j'ai alors montré qu'un œuf permettait d'obtenir la gélification de 0,7 litres de liquide, au maximum.

Finalement, combien d'oeuf et de crème ? Comme vous le voudrez, mais dans la limite qui est ainsi donnée.

Et puis, tant que nous y sommes, on peut faire mieux :

    par exemple, faites revenir les oignons à feu très doux et à couvert, dans du beurre et un peu d'eau, pendant très longtemps (par exemple une heure), par avance : les oignons vont « fondre », disons plus justement qu'ils s'amollissent, parce que le ciment intercellulaire, des « parois végétales », sera dégradé par l'élimination bêta des pectines

    par exemple, faites revenir le lard, pour augmenter son goût

    par exemple, n'oubliez pas une pincée de noix muscade

Bref, une recette : pourquoi faire ?







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

La tendreté des viandes et la capillarité


Histoire de capillarité

Le gastronome Jean Antelme Brillat-Savarin évoque avec éloquence (on se souvient qu'il était juriste)  les grenadins de veau, ces pièces de veau si tendres qu'on peut les manger à la cuillère. 

A la cuillère ? La viande serait-elle suffisamment tendre, naturellement, pour que l'on puisse ainsi la diviser ? Il est vrai que certaines viandes extraordinairement persillées se défont facilement, au point que certains cuisiniers les reconnaissent en les pressant entre deux doigts : ces derniers s'enfoncent comme dans du beurre. Ou bien est-ce le résultat d'une cuisson particulière ? 
 
Quand une viande est très tendre, la cuisson doit absolument éviter de la durcir, de la maltraiter. Comment faire ? Pour un tel cas, on se souvient que la viande est faite de fibres musculaires, sortes de sacs allongés, collés les uns aux autres. La cuisson coagule intérieur des fibres, tel du blanc d'oeuf qui cuirait, de sorte que l'on comprend, en conséquence, qu'il faut cuire très peu, à une température assez basse pour assurer la coagulation sans évaporer l'eau qui fait la jutosité ni former trop de réseau protéique, qui, tel un œuf dur caoutchouteux, « solidifierait » trop l'eau. Deux cas se présentent : soit on met la viande dans un liquide parfumé, et l'on chauffe pendant très peu de temps à très petits frémissements, soit on chauffe sur une poêle très chaude, et l'on colore rapidement de chaque côté. 
 
Pour les viandes dures, l'analyse est différente. Ces viandes sont celles dont le tissu collagénique est plus abondant, plus résistant. Dans un tel cas, la viande est dure initialement, et la question est de l'attendrir. La clé de la solution est la suivante : à partir de 55°C le tissu collagénique se dissout dans le liquide qui environne la viande. C'est là que la cuisson à basse température s'impose : on met la viande dans un liquide, et l'on chauffe à une température comprise entre 60 et 70° pendant très longtemps, afin d'assurer la dissolution du tissu collagénique. L'intérieur des fibres coagule délicatement, ce qui durcit la viande, mais le tissu collagénique se dissout, ce qui permet aux fibres de se séparer mollement. 
 
Une conséquence en est que si le liquide de cuisson a bon goût, il peut entrer dans la viande par capillarité, ce phénomène physique qui fait monter l'encre entre les poils des pinceaux.

Pourquoi cette montée capillaire ? Parce que les molécules d'eau sont composées d'atomes d'hydrogène et d'oxygène, et que, dans les molécules d'eau, les atomes d'oxygène attirent plus les électrons que les atomes d'hydrogène, ce qui crée l'apparition de charges électriques sur les deux types d'atomes. 
D'autre part, le collagène qui gaine les fibres, et qui est présent à l'extérieur de ces dernières, a également des atomes d'hydrogène et d'oxygène, chargés électriquement, de sorte que, puisque des charges électriques de signes opposés s'attirent, tels des aimant, les molécules d'eau collent au tissu collagénique, et, de proche en proche, remontent vers l'intérieur de la viande. De la sorte, à l'issue d'une longue cuisson, la viande se gorge de liquide de cuisson, tandis qu'elle s'attendrit.


A cette description, on aura compris qu'il existe une véritable possibilité de donner du goût à une viande : il faut cuire dans un liquide qui a du goût. C'est pourquoi les professionnels ne cuisent jamais dans l'eau, mais dans du vin, un fond corsé, etc. On observera d'ailleurs que ce liquide , qui ne doit pas être trop salé, peut-être réduit en fin cuisson : quand la viande est tendre, on récupère le liquide, et on le fait bouillir sans couvercle, afin que l'eau s'évapore. Certes, on perd nombre de composés odorants (il faudra considérer dans un autre billet comment on pourrait éviter ce gâchis) mais on concentre en espèces solubles et non volatiles : acides aminés, sels minéraux, sucres… De sorte que l'on obtient finalement un liquide qui a beaucoup de goût, avec lequel on nappera la viande.
Finalement les grenadins de Brillat-Savarin ne sont pas un doux rêve, mais une réalité accessible à qui connaît les bases de la gastronomie moléculaire. 





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

Des commandements pour la cuisine

Dans Mon histoire de cuisine, je prends plusieurs pages pour expliquer chacun des commandements de la cuisine (j'en donne ici la version française et la traduction)



1. Le sel se dissout dans l'eau
2. Le sel ne se dissout pas dans l'huile
3. L'huile ne se dissout pas dans l'eau
4. L'eau s'évapore à toute température, mais elle bout à  la température de 100 degrés.
5. Le plus souvent, les aliments sont faits principalement d'eau (ou d'un autre fluide)
6. Les aliments sans eau ni autre fluide sont durs
7. Certaines protéines (dans les oeufs, la viande, le poisson) coagulent.
8. Le tissu collagénique se dissout dans l'eau quand la température est supérieure à  55 degrés.
9. Les aliments sont des systèmes dispersés
10. Certaines réactions (de Maillard, de Strecker, des oxydations, des caramélisations, des pyrolyses) engendrent des composés nouveaux
11. Quand une préparation blanchit, c'est souvent qu'il y a foisonnement ou émulsion
12. La capillarité fait migrer les liquides
13. L'osmose a lieu quand des liquides de concentrations différentes sont séparés par une membrane appropriée
14. Les composés peuvent migrer par diffusion

1. Salt dissolves into water
2. Salt does not dissolve into oil
3. Oil does not dissolve in water
4. Water evaporates at any temperature, but it boils at 100 °C.
5. Most often, fresh products are made primarily from water (or another fluid)
6. Food without water or another fluid are hard.
7. Some proteines (in eggs, meat, fish) coagulate.
8. The collagenic tissue dissolves in water when the temperature is higher than 55  °C.
9. Food are generally disperse systems
10. Some reactions (Maillard, Strecker, oxidations, caramemizations,  pyrolysisâ) generate new compounds.
11. When food becomes whiter, during a process, it's often that there is a foaming or emulsification.
12. Capillarity moves liquids
13. Osmosis takes place when liquids having different concentrations are separated by an appropriate  membrane.
14. Compounds can move through diffusion


























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 décembre 2017

Que manger ?


Une publicité pour une crème dessert, couverte de crème chantilly, avec des éclats de sucre, des noisettes... Dessous, en lettres presque aussi  grosses que celles de la publicité, un avertissement : « pour votre santé, évitez de manger gras, salé, sucré". 

A la réflexion, ce type d'objets, devenus familiers, est tout à fait extraordinaire. D'un côté, on nous engage à manger des bonnes choses, et, de l'autre, on nous dit que c'est très mauvais. Que faire? 

On aura compris que  je considère les lois hygiénistes comme médiocres, inutiles. On ne cesse de nous le dire, partout, qu'il faut éviter de manger gras, salé, sucré. Pourtant nous ne cessons de manger gras, salé, sucré. Pis encore : ce sont les groupes les plus pauvres de la population qui souffrent d'obésité, laquelle ne vient certainement par de l'odeur de la cuisine, mais bien plus d'une alimentation déséquilibrée (car il faut avouer qu'il coûte plus cher de cuire des petits pois que des pommes de terre, du riz ou des pâtes).
Faut-il donc dépenser de l'énergie et de l'argent pour nous donner mauvaise conscience quand nous mangeons des bonnes choses ? Ou bien, serait-il plus avisé de faire une véritable éducation alimentaire, laquelle devra nécessairement s'effectuer dans les écoles ? 


On aura compris que je milite pour la deuxième option... en ajoutant que la morale qu'on nous fait sans cesse me fatigue. A des discours négatifs, je préférerais des discours positifs, encourageants, optimistes. A bas les pisse vinaigre ! A bas les lois inutiles ! Militons pour une éducation enjouée, expérimentale. Apprenons à manger dans le plaisir, et n'oublions pas, d'ailleurs, que la question est l'adéquation des prises alimentaires à l'exercice que nous faisons. Découvrons le monde merveilleux des aliments et de leur transformations culinaires. 


Tout cela existe, et a un nom : les Ateliers expérimentaux du goût (https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/premier-degre/les-nouveaux-ateliers-experimentaux-du-gout), pour les écoles, et les Ateliers science & cuisine, pour les collèges et les lycées (https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/second-degre) !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Qu'est ce que "manger" ?



Il y a « manger », et « bien manger ». 

Jean-Anthelme Brillat-Savarin (j'ai scrupule à le citer : n'importe quel gourmand le connaît) disait que l'animal se repaît, l'homme mange, et seul l'homme d'esprit sait manger... mais je n'aime guère la citation, qui oublie la femme et qui distingue des hommes et des hommes d'esprit. Nous sommes tous d'esprit, puisque nous sommes humains, et je propose de donner à chacun la possibilité de ne pas tomber dans une catégorie trop définitive. D'ailleurs, les prétendus (ou soi disant) hommes d'esprit en manquent parfois gravement, et, d'autre part, je crois que c'est une grave erreur que de sous-estimer nos semblables. 
 
Bref, je préfère penser qu'iil y a manger, d'une part, et bien manger. Ce n'est pas une question de classe, mais une question d'attention, et d'analyse. 
 
Manger, on sait ce que c'est : absorber des aliments. Bien manger, c'est quoi ?
C'est manger de la géographie : que l'on se remémore la querelle du cassoulet de Toulouse ou de Castelnaudary, par exemple ; que l'on examine la consommation des grenouilles, d'un côté ou de l'autre de la Manche ; que l'on se souvienne de la France partagée en pays d'Oc et pays d’Oïl... 

Ce qui nous conduit, puisque nous parlons de temps anciens, à considérer le fait que nous mangeons de l'histoire. Un cas important est l'association du jambon cru avec le melon, qui est une réminiscence de ce temps où les humeurs étaient la garantie de la santé, où il fallait combattre le « chaud » avec le « froid », le « sec » avec l' « humide ». 
Ce n'est qu'un exemple, mais, en réalité, la quasi totalité de nos mets sont historiques ! 
La choucroute ? Si on la mange en Alsace, c'est parce que c'est en Alsace qu'elle a évolué, notamment avec un climat qui permettait à la fois la culture du chou et la production de choucroute. Ce serait bien trop long d'enchaîner les exemples, mais il suffit de penser que si nous mangeons un plat particulier, alors que d'autres (les Allemands, les Anglais, les Belges, les Chinois, les Indiens...) ne le mangent pas, c'est que ce plat a été sélectionné dans l'histoire. 
En réalité, nos aliments ne sont légitimés que par leur consommation ancienne.

Nous mangeons aussi de la socialité, de la religion, de l'art... Bref, nous mangeons de la culture, parce que nous sommes humains... mais je propose de penser, quand même, que cette culture n'est pas une sorte d'étincelle divine, et que, au contraire, elle est un « habillage de la bête ». 
Le chocolat ? C'est du gras pour moitié, et du sucre pour la seconde partie. Or il nous faut du gras pour construire les membranes de nos cellules, et du sucre pour l'énergie. 
La viande ? Ce sont des protéines, c'est-à-dire des atomes d'azote pour la construction de nos propres protéines. 
Les féculents, si universels (riz, blé, maïs...) ? Ce sont des polysaccharides qui vont lentement libérer ce glucose qui est le carburant de notre organisme.

Bref, nous mangeons de la physiologie, de la biologie, et, mieux encore, de la biologie de l'évolution. La culture me semble n'être qu'une façon de ne pas nous résoudre à être des bêtes, qui mangent, se reproduisent, échappent aux prédateurs et trouvent des proies ; une façon de ne pas admettre que nous sommes des sortes de machines qui ont besoin d'énergie pour se perpétuer...

Autrement dit, bien manger, ce serait à la fois faire marcher la machine et lui donner le sentiment qu'elle échappe à sa condition de machine. Mais la machine a inventé une foules d'artifices (au sens littéral du terme) pour se donner le sentiment de ne pas être machine... jusqu'à l'idée de dieu, avec lequel elle entretiendrait des relations privilégiées. 
Nous y revenons : bien manger, c'est manger de la religion, laquelle met des limites dont l'arbitraire est souvent merveilleux. 

 Finalement, manger, c'est donc de la culture... mais nous sommes bien heureux de pouvoir en être là, première génération à ne pas avoir connu de famine dans l'histoire de l'humanité !!!!!!!




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

Que serait un "produit chimique" ?




Lors d'une conférence au Lycée français de New York, Sasha m'a demandé ce qu'est un produit chimique, et je lui ai promis une réponse... distribuée à tous.

Un produit chimique, c'est d'abord un produit, quelque chose qui a été fabriqué, produit.
Cela dit, il y a de nombreuses façons de produire un produit. Par exemple, quand on lave une betterave à sucre, qu'on a râpe, qu'on fait infuser les râpures dans de l'eau chaude, que l'on récupère l'infusion, puis quand on évapore de cette infusion, on obtient du sucre de table. Le sucre de table est donc un produit de l'industrie alimentaire !

Ce produit est-il « chimique » ? C'est une question trop difficile pour commencer. Je propose donc de partir d'un produit plus simple : l'eau de Javel. Cette fois, c'est un produit, puisqu'il a été produit, mais, ce qui est plus spécifique, c'est qu'il a été obtenu par une réaction, avec des réarrangements d'atomes : à partir de divers réactifs, ils ont obtenu un produit nouveau, avec des propriétés nouvelles.

Parfois, lors des transformations de ce type, les modifications sont mineures, mais les modifications des propriétés sont considérables. Par exemple, quand on part de la vanilline, qui est le produit qui donne essentiellement son odeur à la vanille, on sait facilement fabriquer de l'éthylvanilline, qui donne la même odeur mais mille fois plus puissamment.

Le sucre, pour y revenir ? La question est difficile, parce que, s'il est vrai que l'on pourrait obtenir du sucre comme indiqué plus haut, l'industrie du sucre utilise une foule de composés qu'elle ajoute au sucre pour en faire le sucre que nous utilisons. Par exemple, l'industrie du sucre ajoute au « sucre pur » (on dit « saccharose ») des agents anti-mottants, qui facilitent la séparation des grains, qui évitent la formation de « mottes ». Du coup, le sucre n'est plus un produit extrait simplement de la betterave, et il contient des composés chimiques. Le sucre de table est un produit qui est donc fait des produits extraits des plantes, et de produits synthétisés. C'est bien compliqué, n'est-ce pas ?

Mais finalement, si le sucre est un produit, est-il un produit "chimique" ? Stricto sensu non, car on se souvient que la chimie est une science. Or les produits des sciences sont des connaissances nouvelles, et non pas des composés nouveaux, ou alors seulement quand la synthèse de ces composés vient à l'appui d'une découverte en termes de connaissances.
Le sucre ou l'éthylvanilline ne sont donc pas des produits chimiques, mais des composés, et des produits de l'industrie alimentaire.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)