samedi 25 août 2018

Quelle direction donner à la recherche d'AgroParisTech ?

Quelle recherche notre bel Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement peut-il avoir l'ambition d'encourager, de promouvoir, de montrer au monde ? Pour une école d'ingénieur, la preuve est dans le gâteau, comme disent nos amis anglais, à savoir que la recherche scientifique et technologique montre mieux sa pertinence quand elle est le socle de réalisations industrielles :  n'est-il pas souhaitable d’orienter les recherches de façon à favoriser ce type de succès industriels ?

Évidemment ce serait une naïveté inconcevable que de prétendre connaître les moyens de promouvoir le développement d'une bonne recherche scientifique et technologique, mais il semble raisonnable de penser que la question du recrutement des personnels de recherche est essentielle : on peut imaginer que les succès passés soient une indication de succès futurs, de sorte que l'on serait tenté de  voler au secours du succès, afin d'en profiter. Ce n'est bien sûr pas une attitude suffisante, car on n'oubliera pas que certains individus éclosent de façon inopinée, posant les bases de théories fécondes, de développements fructueux. Qui aurait jamais pensé qu'un obscur ingénieur de l'office des brevets, en Suisse, serait à l'origine de la théorie de la relativité, de l'effet photoélectrique, etc. ? Qui aurait pensé qu'après quatre ans d'isolement, chez lui, sans venir au laboratoire, un mathématicien sans titre de gloire exagéré parviendrait à démontrer la conjecture de Fermat, pour la transformer en théorème de Wiles ? Qui aurait imaginé qu'un mathématicien de plus de soixante ans - Roger Apéry- produirait un résultat d'une importance si grande qu'on donnerait son nom à une constante, alors qu'il est largement dit que l'on ne produit de mathématiques que jeune ?

A défaut d’avoir des certitudes sur les conditions de développement scientifique, on peut au moins s'assurer que les scientifiques auront un environnement propice, stimulant. Cela passe des moyens qu'on leur donne ; cela passe par la réduction de la charge administrative qui pèse sur eux ; cela passe par une animation scientifique aussi énergique et efficace (pas de réunionnite) que possible ; cela passe par de nombreux contacts entre les scientifiques, des échanges d'idées, beaucoup d'encouragement, et certainement pas de coercition.

A ce dernier propos, je ne veux pas dire par là que les scientifiques ne doivent pas être encadrés ou évalués, mais je propose de faire savoir que la dose est déjà considérable... et que tout ce temps d'évaluation est pris sur le temps de recherche. Et l'on se souviendra en souriant de la nouvelle rédigée par le physicien Leo Szilard, où il est raconté avec humour que les scientifiques sont des gens dangereux (puisqu'ils ont fait la bombe atomique) et qu'il faut trouver des moyens de limiter leur activité : avec des évaluations et des appels d’offres,  les meilleurs perdent leur temps dans les jurys, et les autres sont occupés à préparer les dossiers.
Plus positivement, je crois à des  évaluations  bienveillantes, et, surtout, qui considèrent en profondeur les contenus et non les formes.  De bons évaluateurs doivent poser des questions de fond pour s'assurer que ces questions ont été considérées lors des décisions stratégiques des équipes de recherche. Il ne s'agit pas de noter, mais d'interroger et de dialoguer, en vue d'une meilleure définition stratégique des recherches, et, par là, de leur meilleure mise en œuvre. Il doit y avoir un dialogue, et ce dialogue doit être profond.

Mais revenons aux types de recherches effectuées par AgroParisTech. Si  l’institut, pour sa partie d'enseignement, est bien défini, alors s’impose de montrer aux étudiants les notions les plus modernes de notre temps à propos des sujets qui ont été retenus : il y a donc lieu de favoriser les recherches à ce propos, afin que les enseignants chercheurs soient à l'avant du mouvement. Les champs de recherche ? Dans un billet précédente, j'ai évoqué de la biologie moléculaire, de l'analyse de systèmes complexes, de la chimie et de la physique...
Et je maintiens la différence entre science et technologie, qui ne cherche pas à mettre l'un plus haut que l'autre ou l'autre plus haut que l'un, mais qui permet de bien distinguer les types de travaux recevables. Tout d'abord, il me semble important de bien distinguer les deux activités, tant il est vrai que c'est par une claire distinction que l'on pourra distinguer des stratégies pertinentes. Ce n'est pas faire de la philosophie à la petite semaine que de discuter ces questions, mais c'est au contraire une discussion parfaitement pratique que je propose. Et cela conduit à s'interroger : dans une école d'ingénieur, n'est-il pas recevable de produire des travaux scientifiques qui seront la base de développements technologiques utiles ?  Ne doit-on pas, aussi, encourager des travaux technologiques, qui pourront ensuite faire l'objet de la création de start-up, par exemple ?

J'espère vivement que le collègues répondront à ma question : quelles sont les sciences et technologies de base qu'AgroParisTech doit encourager ?

vendredi 24 août 2018

Quelle ambition pour AgroParisTech ?

Alors que l'AgroParisTech s'agite à propos du déménagement de certaines de ses composantes vers Saclay, du regroupement de certains laboratoires, de demandes ministérielles d'accueillir plus d'étudiants, alors que la rentrée des étudiants approche, il n'est pas interdit de penser que les questions de forme ne valent pas les questions de contenu, et, quand je lève le nez de ma paillasse de chimiste (façon de parler : je suis sans cesse en train de calculer ou de rédiger), je me souviens que les deux question essentielles pour une école d'ingénieur sont les suivantes : (1) quel enseignement dispense-t-on ? (2) quelle recherche scientifique et technologique fait-on ? Comment suis-je à ma place ou pas dans cette école ? Ma présence est-elle légitime ? Bien sûr, cette question ne m'est pas réservée : elle se pose à toute personne qui contribue à faire progresser ce superbe "Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement", qui  a résulté de la fusion de plusieurs écoles, avec des objectifs communs et des spécificités.

Pour une école d'ingénieurs telle qu'AgroParisTech, il y a des études (je me refuse, on le sait, à parler d'enseignement) et de la recherche. Et comme nous sommes dans une école d'ingénieur, cette recherche peut légitimement être scientifique ou technologique. Il y a là deux piliers, qui font l'école, et j'ai l'impression que tout le reste est accessoire. Pour mieux faire ma mission, je me propose, jour après jour, de réfléchir publiquement à ces questions, dans l'espoir que mes réflexions susciteront de fructueuses discussions amicales : la construction du savoir, la transmission...  Cela ne fait-il pas un enthousiasmant projet ?

Commençons par la question de l'enseignement. AgroParisTech se nomme en réalité « Institut des sciences et industries du vivant et de l'ennvironnement ». Certes, j'aurais préféré « Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement », mais c'est un détail, et il y a surtout lieu de s'interroger sur les compétences que les ingénieurs (AgroParisTech est une école d'ingénieurs!) doivent avoir dans ces champs du vivant et de l'environnement, ce qui se dit autrement : alimentation, agronomie, environnement.
Ces compétences que nos élèves doivent obtenir, lors de leur passage dans l'école, doivent être modernes, et  si, effectivement, des connaissances classiques du vivant méritent d'être connues (faunes, flore, micro-organismes…),  par exemple, ce ne sont sans doute pas elles qui conduiront principalement vers l'innovation industrielle, si importante pour notre pays... comme on l'observe à l'envi.
D'autre part, j'ai une fâcheuse tendance à penser que la question de l'alimentation est centrale : s'il y a de l'agriculture, c'est parce que l'on doit produire des ingrédients ; et l'agriculture et l'élevage posent des questions d'environenement. Bien sûr, je n'oublie pas les valorisations non alimentaires de l'agriculture (le bois des forêts, la production de biocarburants, la chimie verte...) ni les questions non alimentaires de l'environnement, mais je vois quand même que, depuis sa création, l'Institut d'agronomie qui est devenu à ce jour AgroParisTech s'est toujours préoccupé d'alimentation, du point de vue de l'enseignement et du point de vue de la recherche.
Plus généralement, je nous vois une mission de former  des ingénieurs bien équipés pour gérer les problèmes de leur temps. Les solutions qui peuvent être apportées, soit en termes de science, soit en termes de technologie, sont toujours des solutions qui reposent sur les avancées les plus récentes des sciences. Or je me souviens d'une conclusion que j'avais publiée il y a plusieurs années : pour former des ingénieurs, j'ai  proposé que nous les rendions capables de  (1) chercher l'information scientifique la plus récente et la plus pertinente, puis (2) de conmprendre à fond ces avancées, (3) avant de les transférer soit dans l'industrie, soit dans la science. Bien sûr nos élèves ingénieurs devront recevoir des notions d'éthique, d'économie, de gestion, d'administration, etc. sans oublier qu'ils devront maîtiriser des langues (anglais, chinois, espagnol…). Mais le fond demeure : il faut des connaissances scientifiques solides, à jour.

Se pose donc une question de méthode : comment rendre nos élèves capables au mieux d'assurer ces trois tâches de recherche de l'information, de sélection de cette information et de transfert scientifique ou technologique ? Et se pose en corollaire une question d'identification des champs scientifiques modernes.
En matière de biologie, il est devenu certain que les avancées sont de nature « moléculaire ». En nutrition, par exemple,  la révolution du microbiote est venue du séquencage génétique. En matière de technologies du vivant, les techniques de découpe précise de l'ADN ont fait une révolution, aussi bien dans le domaine animal que dans le domaine végétal. Dans tous les champs, on observe que la biologie, qui donc est devenue moléculaire, s'est rapprochée de la chimie et de la physique. Mais pas de la chimie ou de la physique du 19e siècle,  non ! De la chimie et de la physique modernes.
Que sont ces dernières ? En physique, la question de la matière molle a été une vague de fond qui n'est pas éteinte. En chimie, la mécanique quantique et le numérique se sont imposés, au point qu'IBM propose depuis quelques jours un site gratuit où chacun peut tester des réactions chimiques in silico : on est loin de cette méthode chimique du « lasso » que j'ai subie au début de mes études et qui  consistait à entourer un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène  dans des molécules voisines, afin de prévoir (en se trompant généralement) la production d'une molécule d'eau et la condensation des molécules privées de ces atomes partis sous la forme d'eau. Non, l'ordinateur a considérablement modifié les choses, dans tous ces champs. Se sont imposées des modélisations, de la dynamique moléculaire, des calculs orbitalaires...
On observera aussi que, dans  beaucoup de travaux effectués dans les champs qui concernent notre école, l'analyse chimique est prépondérante, ce qui nous fait retrouver une vision proposée par Charles Adolphe Würtz, un des créateurs d'AgroParisTech : ce dernier avait bien compris que la chimie était la question essentielle de l'agronomie, à son époque où les engrais étaient le nerf de la guerre. Aujourd'hui, alors que l'on cherche à réduire les intrants pour des questions de durabilité et d'environnement, il y a lieu de sélectionner des plantes capables de produire des aliments qui consomment le moins d'eau possible, qui supportent le réchauffement climatique, qui ont besoin de peu  d'engrais, qui résistent aux agresseurs sans imposer l'emploi de trop de pesticides… Mais il ne faut pas non plus tomber dans de l'écologisme naïf : il y a également lieu de chercher des méthodes modernes de lutte chimique, par exemple, avec des pesticides aussi sélectifs que possible, sans oublier les méthodes de biocontrôle, par exemple… ce qui impose encore la bonne connaissance des réseaux hormonaux, par exemple.

Bref, il faut des connaissances fondamentales solides, à partir desquelles nos élèves bâtiront leur socle unique… et utile à la collectivité.

jeudi 23 août 2018

Quelle chance ! Quelle responsabilité !

A la réflexion, il est très enthousiasmant de travailler dans une école comme AgroParisTech et cela pour deux raisons principales. Premièrement il y a une responsabilité essentielle à y faire de la recherche, et, deuxièmement, il y a tous les étudiants, et la possibilité de contribuer à les aider à développer des compétences utiles pour nos collectivités.
J'ai énoncé les deux activités dans l'ordre précédent parce que je suis payé par l'Inra pour être chercheur, et non d'abord professeur-chercheur (on observe que je m'interdis de parler d' "enseignant-chercheur", comme je le dirai dans un billet suivant), ce qui serait le cas si j'étais payé par AgroParisTech. Toutefois je ne mets pas une activité au dessus de l'autre, et c'est seulement l'énonciation qui m'impose un ordre.
Faire une recherche dans ce cadre particulier ? On pourrait observer que ma recherche scientifique n'a pas dévié depuis le temps où je la faisais dans mon laboratoire à la maison, pas plus qu'elle n'avait changé quand mon laboratoire était venu au Collège de France. Je fais ce que je dois, c'est-à-dire de la recherche scientifique de qualité dans ce champ de la gastronomie moléculaire qui est très essentiel pour nos collectivités. Mais il y a une logique certaine à ce que ma recherche soit précisément dans le cadre d'AgroParisTech, et rétrospectivement je remercie ceux qui m'ont conduit ici, puisque c'est sans doute l'endroit où je suis le plus à ma place.
En effet, AgroParisTech étant un institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement, l'alimentation est un des trois champs essentiels de l'école (comme pour l'Académie d'agriculture de France), de sorte que je ne pense pas avoir à gauchir ma recherche pour mieux l'inscrire dans le cadre général des recherches de l'école, et, au contraire, je crois tout à fait bon qu'AgroParisTech affiche des travaux de gastronomie moléculaire.
Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que la recherche à AgroParisTech doive se résumer à la gastronomie moléculaire, car nous devons former aussi des ingénieurs pour l'industrie alimentaire, ce qui passe notamment par une connaissance des procédés industriels, de la nutrition, etc. Toutefois je maintiens que la science est un socle indispensable au développement de la technologie, et la gastronomie moléculaire, à ce titre, trouve absolument sa place, comme elle trouve sa place dans le master européen «Food innovation and product design » (FIPDES), où nos étudiants ont des cours de théorie de la chaleur, de génie génétique, de sciences de la consommation, d'emballage, de statistiques et de mathématiques…
Tout cela concerne l'alimentation, alors qu'AgroParisTech a un intérêt plus large, avec de l'agronomie, des préoccupations d'environnement… Je fais confiance à mes collègues de ces champs-là pour bien identifier les recherches particulières qui permettent d'élaborer des enseignements modernes, lesquels feront un socle pour les développements scientifiques et technologiques de nos étudiants.
Car je rappelle quand même ma métaphore de la montagne du savoir. Quand la science moderne a été créée, disons pour simplifier par Galilée à la fin du 16e siècle, le savoir scientifique s'est enrichi d'une couche : l'inertie, la mécanique… Puis Newton a contribué à déposer une couche supplémentaire, avec la gravitation universelle, et la mécanique s'est développée davantage, tandis que la chimie commençait à se constituer, avec la chimie pneumatique, la découverte d'éléments tels que le phosphore... Puis, au siècle suivant, des couches supplémentaires se sont ajoutées, et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui.
Pour faire progresser les sciences, d'une part, nos étudiants doivent connaître les idées et concepts anciens quand ils sont justes, pour en trouver des prolongements. Ils ont donc à gravir cette montagne pour atteindre le sommet, afin, de là, de faire croître la montagne. Et les professeurs ont le devoir de les aider à ne pas perdre de temps avec toutes les idées erronées du passé. Mais le fait reste : c'est à partir des idées actuelles, les plus modernes, que nos étudiants pourront trouver ds prolongements, ce qui impose que les études que nous leurs proposons fassent état des théories les plus actuelles.
D'autre part, en matière de technologie, j'ai l'impression qu'il n'est pas faux de proposer que l'innovation se fonde sur les résultats les plus modernes des sciences, car les innovateurs du passé ont déjà largement utilisé les idées plus anciennes. De sorte que, là encore, nos étudiants doivent recevoir le savoir le plus moderne. Et cela justifie que les professeurs-chercheurs fassent de la recherche, afin de bien connaître, en profondeur, ce savoir moderne, en vue d'en faciliter la transmission. On observe que je n'ai pas écrit « en vue de l'enseigner », et je renvoie vers des billets précédents pour expliquer pourquoi je partage les avis d'Albert Einstein et de Feynman, qui n'étaient pas les premiers imbéciles venus.
Du premier, je retiens notamment : "Je n’enseigne rien à mes élèves, j’essaie seulement de créer des conditions dans lesquelles ils peuvent apprendre ".
Et du second : " The question, of course, is how well this experiment has succeeded. My own point of view which however does not seem to be shared by most of the people who worked with the students- is pessimistic. I don't think I did very well by the students. When I look at the way the majority of the students handled the problems on the examinations, I think that the system is a failure. Of course, my friends point out to me that there were one or two dozens of students who -very surprisingly- understood almost everything in all of the lectures, and who were very active in working with the material and worrying about the many points in an excited and interested way. These people have now, I believe, a first-rate background in physics and they are, after all, the ones that I was trying to get at. But then, "The power of instruction is seldom of much efficacy except in those happy dispositions where it is almost superfluous." (Gibbons).".
Je reviens donc maintenant sur la question de la responsabilité que j'ai évoquée initialement : on voit que cette responsabilité s'accompagne du devoir très clair de produire et d'aider à transmettre les connaissances scientifiques les plus modernes, les plus avancées.
Il y a d'autres responsabilités aussi, et la première est que nous devons être des inspirateurs, et non des étouffoirs. L'enthousiasme étant exemplaire, nous avons l'obligation de faire nos travaux de recherche et d'organiser les études dans le plus grand des enthousiasmes. On aurait pu ajouter : « que nous soyons nous-mêmes enthousiastes ou pas », mais cela n'est pas nécessaire, car comment ne pas s'enthousiasmer des résultats scientifiques modernes ? Comment ne pas être enthousiaste à l'idée que les étudiants puissent découvrir des idées superbes ? Des idées scientifiques modernes : j'en prends une, à savoir la découverte du graphène, cette couche monoatomique d'atomes de carbone organisés en nid d'abeille et que l'on produit en tirant sur un morceau de scotch qui a été initialement posé sur du graphite. Rien que le procédé est extraordinaire, mais, de surcroît, on obtient ainsi un matériau supraconducteur, c'est-à-dire où le courant électrique circule sans atténuation ! Quant aux études, j'aime l’exemple du calcul tout simple d'une expression comme x1 y2 - x2 y1, dont un peu de culture scientifique permet de voir qu'il s'agit du déterminant d'une matrice, donc d'une caractérisation d'une transformation géométrique, par exemple : les études qui permettent ainsi de voir derrière la banalité d'une expression mathématique sont quelque chose de merveilleux, d'enthousiasmant !
Quel belle école nous avons !

mercredi 22 août 2018

Les scientifiques publieraient trop ? (suite)

J'avais prévu une suite à mon billet précédent, à propos de la publication possiblement (selon des interlocuteurs) excessive des scientifiques... et je reçois un amical commentaire qui me conduit à modifier le texte que j'avais prévu.

Voici donc ce que m'envoie un ami internaute :
"De ce que je lis souvent, il est quand même considéré comme problématique la pression à la publication, le "publish or perish". Cela aboutirait à des publications de qualité médiocre, aboutissant à plus de "bruits" qu'autre chose, voir à des publications plus médiatiques que scientifiques (Séralini and co). De plus, c'est souvent une pression à la publication de résultats positifs, les négatifs (qui sont utiles pour connaître une voie qui mène à un échec) passant souvent à la trappe. Qu'en pensez-vous ?"
 

Oui, mille fois oui ! Il n'était pas dans mon idée d'avoir la naïveté de certains "mesureurs d'activités scientifique" à qui l'on doit des publications excessives et médiocres. Oui, il me semble inapproprié (terme politiquement correct) d'imposer aux doctorants un certain nombre de publications pour la fin de leur thèse, ou aux scientifiques un certain nombre de publications par année. D'ailleurs, l'Académie des sciences a très justement pointé cette question, et l'on ne cesse, ces temps-ci, de voir débouler des articles qui font état des dégâts du "facteur d'impact", que certains tordent à leur avantage en publiant trop et  mal. D'ailleurs, j'avais moi-même fait plusieurs billets à propos de ces questions, et notamment https://hervethis.blogspot.com/2018/07/a-propos-de-revues-predatrices.html.

Mais quand même, avec intelligence, nous devons publier nos résultats... en nous interrogeant de surcroît sur les nouvelles formes de publication permises par l'internet.
Ainsi, dans le temps, on a alterné entre de gros articles, ou au contraire de petits textes bien ciblés. Il va de soi que l'on ne fait pas un gros et bon article par an, parce que cela signifierait que l'on a produit un gros travail théorique dans l'année : les meilleurs (Einstein, Faraday, etc.) sont des hommes ou des femmes de deux ou trois idées dans une vie, et cela est déjà bien, si les résultats sont importants. Mais inversement, on ne peut plus supporter une dispersion de trop nombreux petits articles par trop de chercheurs. La vraie question est donc de réinventer la publication scientifique... Et, quand même, on n'enlèvera pas le bon principe qu'une idée dans un tiroir n'est pas une idée : nous devons publier les résultats de nos travaux !






mardi 21 août 2018

Les scientifiques publieraient trop ?

 Une amie, pour me taquiner, me fait observer que les scientifiques feraient mieux de travailler et de produire, au lieu de publier des articles. Bien sûr, les taquineries ne méritent que des réponses en privé, mais je profite de l'événement pour, au contraire, faire une réponse publique, conscient que cette provocation amicale est en réalité l'émanation d'une idée fausse, trop répandue parmi  nos concitoyens.



La mission des scientifiques ? La première est certainement de faire de la recherche scientifique, c'est-à-dire des expériences et des calculs, de la théorie. D'ailleurs, dans une recherche scientifique bien pensée, utilisant judicieusement les forces du personnel de l'Etat, et donc l'argent du contribuable, il faut que les tâches expérimentales relevant de techniciens soient assurées par des techniciens, afin de laisser aux scientifiques le soin de faire des calculs et de la théorie.

Mais ce dernier point est un détail. Surtout les travaux, les idées, les résultats, les théories doivent être publiés, parce que c'est cela, la production scientifique : des idées, des résultats expérimentaux ou théoriques, des théories, des modèles... Et cela nécessite d'y passer beaucoup de temps, surtout quand on observe justement que c'est souvent lors de la mise en forme communicable des résultats que surviennent les idées théoriques,  notamment lors de la "discussion".


Oui, décidément, mon amie a tort ! Et je maintiens publiquement que les scientifiques doivent publier beaucoup !

mardi 14 août 2018

Directeur scientifique

Dans un billet précédent, j'ai évoqué la question des "directeurs scientifiques" pour des institutions de recherche telles que l'Inra ou le CNRS. Et j'avais conclu que la tâche était bien difficile... mais je renvoie mes amis vers ce texte que je ne veux pas refaire ici.
Aujourd'hui, c'est une question différente que je veux discuter : celle de ce qui est nommé "directeur scientifique" pour l'industrie.

Oui, pour des sociétés comme l'Air liquide, ou Rhodia, ou Lafarge, etc., qu'est-ce qu'un "directeur scientifique" ? Pour commencer, observons que ces sociétés n'ont pas pour vocation de faire de la recherche scientifique, mais bien plutôt de la recherche technologique ou technique. Je ne dis pas que ces sociétés ne puissent pas payer des scientifiques pour faire de la recherche scientifique, mais j'observe que chaque fois que cela s'est produit, les espoirs ont été déçus... et les services de recherche scientifique ont été les premiers fermés, quand les bénéfices de ces sociétés ont diminué. Et je crois préférable de bien penser une répartition des tâches qui confierait à l'Etat le soin d'organiser la recherche scientifique, le soin à l'industrie de chercher des applications des résultats obtenus par la recherche scientifique, par ce qui se nomme plus justement de la recherche technique ou technologique. La question, dans un fonctionnement de ce type, c'est de bien organiser les relations entre les scientifiques et les services techniques.

Mais considérons le cas d'une grosse société, qui vend des produits ou des services : ordinateurs, médicaments, matériaux, programmes informatiques, aliments... Il s'agit de faire des produits nouveaux pour être en avance sur les concurrents, pour proposer aux clients des produits qui rendent de meilleurs services que les produits des concurrents : programmes plus rapides, médicaments plus actifs, aliments meilleurs, etc. Pour cela, il faut effectivement des ingénieurs qui ne sont pas ceux qui font tourner les usines (les ingénieurs "procédés"), mais des ingénieurs qui connaissent suffisamment les sciences pour comprendre, pour pister ce qui se produit de plus avancé en science, afin d'en faire le meilleur usage.
Raison pour laquelle j'ai proposé que les écoles d'ingénieurs organisent les études autour des trois fonctions : apprendre à chercher les résultats des sciences, apprendre à sélectionner ces résultats en vue d'une application particulière, apprendre à transférer ces résultats pour améliorer les techniques couramment mises en oeuvre.

Pour diriger les ingénieurs qui feront donc ce triple travail, il faut (peut-être) un directeur, mais quel est la nature de ce directeur ?  Si cette personne est un scientifique, c'est bien un directeur scientifique.... mais dans la mesure où il ne fait plus de science, n'usurpe-t-il pas son titre ? Au fond, on n'est scientifique que si l'on pratique la recherche scientifique, mais si l'on fait de la direction d'ingénieur engagé dans la technologie, on n'est plus scientifique, n'est-ce pas ? Etre scientifique, ce n'est pas comme un titre de docteur en médecine ; c'est une activité.
Oui, ce directeur n'est donc généralement pas un directeur scientifique, sauf quand, il y a plusieurs années, une société comme Rhône Poulenc s'est adjoint les conseils de Guy Ourisson, Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes et Claude Hélène, pour guider les ingénieurs vers de l'innovation : nos quatre collègues n'usurpaient pas le titre de "directeur scientifique", puisqu'ils indiquaient des "directions", ce qui est le propre d'un "directeur", et qu'ils étaient scientifiques.
En revanche, aujourd'hui, dans de nombreux cas, les "directeurs scientifiques" sont en réalité des directeurs technologiques ou des directeurs techniques. Et ils ont évidemment une grande importance industrielle !

mercredi 8 août 2018

Amusant

Le miel ? Forcément bon, n'est-ce pas ? Puisque c'est fait par des abeilles, qui sont des insectes pollinisateurs, d'une part, et puisque, d'autre part, c'est un "produit naturel"... sans compter qu'il est sucré.
Mais il y a bien mieux : on me signale hier le miel de Manuka, qui provient de l’arbre de manuka, qui ne pousse que dans certaines régions de Nouvelle-Zélande et d’Australie. Vous pensez : si c'est rare, c'est donc que c'est encore mieux. Je lis d'ailleurs en ligne : "A en croire les producteurs, aucune comparaison n’est possible : le miel de manuka est bien supérieur aux autres. Selon eux, il combat des infections bactériennes, y compris résistantes, et guérit mieux des plaies, même ulcérées"... mais il faudrait croire les producteurs, qui n'ont sans doute pas fait les études poussées que l'on fait pour le moindre médicament. Ou bien encore "Cousin de l’arbre à thé, dont est extraite l’huile essentielle antibactérienne du même nom, le manuka garantit un miel d’exception, au prix certes élevé, mais aux promesses alléchantes." Oui, un prix élevé  : je le vois à 100 euros les 250 grammes !



Que  penser de tout cela ? Une petite recherche me montre que les "propriétés" ou "vertus" de ce miel seraient dues au méthylglyoxal. Ah, cette fois, je tiens un fil... et, quand je tire dessus, je trouve immédiatement ceci (je traduis) :



"Le glucose est la principale source d'énergie du cerveau. Des nombreuses études ont montré que le profil métabolique des cellules nerveuses, pour ce qui concerne l'utilisation du glucose et la vitesse de glycolyse n'est pas homogène, avec une activité glycolytique supérieure dans les astrocytes, par rapport aux neurones. Le méthylglyoxal, un composé dicarbonylé très réactif, est inévitablement formé lors de cette glycolyse. Le méthylglyoxal est un précurseur des produits de glycation avancés, associés à plusieurs maladies telles que le diabète, le vieillissement ou des neurodégénérescences.
Dans des situations normales, les cellules sont protégées de la toxicité du  méthylglyoxal par divers mécanismes, et notamment par l'enzyme glyoxalase, encore mal connue : du fait des besoins énergétiques importants du cerveau (besoins en glucose, donc), on peut espérer que la glyoxalase cérébrale est capable de gérer la toxicité du  méthylglyoxal."


Tout cela est tiré d'un article intitulé "Methylglyoxal, the dark side of glycolysis" (Front Neurosci. 2015; 9: 23).
Ajouté à ce que je sais de la réactivité chimique du méthylglyoxal, je vais donc m'abstenir de consommer trop de ce miel et d'en servir à mes amis et à ma famille.
Et, j'y pense, en supposant qu'il soit bon, pourquoi ne pas ajouter à des miels moins contestables, dépourvus de méthylglyoxal, les composés odorants qui feraient son goût ?