mardi 20 mars 2018

Pâte sablée ou brisée ?

Un message très important, cet après midi :


Tout d'abord merci pour tous vos travaux et l'envie que vous développez chez nos cuisiniers.
Je voudrais savoir si vous connaissez le type de dispersion que représente une pâte brisée.
J'ai travaillé quelques années en pharmacie galénique sur plusieurs type de dispersions (gels oléogels, E/H, H/E , substances colloïdales) et si vous avez des données précises (biblio et autres), c'est avec un grand intérêt que je pourrai en faire part à mes élèvers (BP et CAP).


Merci de ce merci. Heureux que nos travaux soient utiles !
Pour la "pâte brisée", il y a bien des différences selon les préparations et les procédés. En réalité, avant 1950, on ne distinguait pas les pâtes brisées et sablées, et même aujourd'hui, ce n'est pas cohérent partout.
J'ai pris le parti de nommer pâte sablée la pâte qui s'obtient en mêlant de la farine à du beurre, ce qui conduit sans doute à une dispersion de grains solides d'amidon dans un ciment de beurre, avec un peu de réseau de gluten qui s'établit si le beurre n'est pas sec.
D'autre part, je nomme pâte brisée la pâte que l'on obtient en faisant un réseau de gluten, avec farine et eau, puis on y disperse du beurre. Il y a les schémas et les formules DSF dans mon livre "Mon histoire de cuisine".

A propos de cuisson au four

Ce matin, j'ai diffusé le compte rendu du séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2018, où je fais état des expériences effectuées lors du séminaire d'hier. Nous avons notamment comparé des pâtes sablées enfournées à froid ou à chaud... et n'avons pas vu de différences.

Et là, je reçois cette question :

Je note bien le peu de différences observées, mais en ce qui concerne une pâte chargée ? Type quiche, tarte alsacienne… Pensez-vous qu’un départ à chaud ou à froid puisse influencer la cuisson de la pâte, et donc la bonne tenue de celle-ci ?

 A vrai dire, il est toujours bien difficile de répondre sans faire l'expérience, et les travaux d'hier l'ont encore montré, puisque :
- nous avions prévu que les brioches enfournées à froid développeraient mieux que les mêmes brioches enfournées à chaud... et nous n'avons pas vu de différence
- nous avions prévu que les pâtes sablées (surtout dans les moules à bords très hauts que nous avions utilisés) s'effondreraient, dans un départ à froid... et nous n'avons pas vu de différence.

Ce ce fait, j'imagine que le départ à froid permettrait à la "migaine" de plus détremper la pâte, ce qui augmenterait l'empesage ultérieur de la farine... mais c'est une hypothèse raisonnable à laquelle je ne crois guère. D'ailleurs il faut ajouter que les fours modernes sont merveilleusement rapides. En très peu de minutes, ils atteignent la température de consigne, ce qui gomme toutes les différences.

Des "viandes foisonnées"... ou plutôt non, plutôt des "diracs foisonnés" : les berthollets

En cuisine note à note, les diracs sont importants : ils  sont des matières obtenues par cuisson de solutions aqueuses de protéines : ce sont des "viandes artificielles". Il y en a de durs, de mous, de striés, de lisses...

Mais on peut aussi ne faire cuire qu'après fait foisonner, tout comme on obtient une omelette soufflée après avoir cuit de l'oeuf longuement battu, ce qui, soit dit en passant, a contribué à la réputation mondiale des omelettes de la "mère Poulard", au Mont Saint-Michel.

Mais, quand on n'utilise pas de l'oeuf, mais des protéines, on n'a pas le droit d'utiliser le mot "omelette", tout comme il aurait été déloyal d'utiliser le mot "viande", ce qui a conduit à introduire le nom de "dirac".

Pour des systèmes de protéines foisonnées coagulées ? Je propose le nom de "berthollet". Pourquoi ? Parce que ce chimiste, qui connut Lavoisier et poursuivit sa carrière après la Révolution française, n'avait que des rues à son nom. Il lui fallait un plat !

lundi 19 mars 2018

Cuisine note à note et graisses révélées !

Cela fait plusieurs repas note à note que nous ne mangeons que très peu de matière grasse, et cela incite à s'interroger  : pourquoi les cuisiniers utilisent-ils si peu de matière grasse dans les plats note à note ? Pourquoi se focalisent-ils sur les protéines ? Evidemment, j'ai ma part de responsabilité dans l'emploi des protéines, parce que je montre comment les utiliser, dans les "diracs", mais je crois que la raison est autre, pour ce qui concerne les matières grasses.

 Pour expliquer le phénomène, je veux évoquer la confection des sauces wöhler, que l'on prépare avec de l'eau, des polyphénols, du glucose, de l'acide tartrique, du sel, de la gélatine... et de l'huile. Quand on est soi-même en train de préparer une telle sauce, je ne sais pas bien pourquoi, mais on hésite à verser de l'huile dans la casserole. On en met... mais pas trop... et l'un de mes amis cuisiniers, invité à diner et recevant cette sauce, m'a fait observer que plus de matière grasse serait bienvenue.

 Oui, mais quand on cuisine note à  note, on voit tout ce que l'on utilise, alors que, dans une viande, la graisse est "cachée"... alors qu'elle est parfois abondante. Et puis, quand on utilise de la crème ou du beurre, on n'utilise pas de l'huile... mais de la graisse ou du beurre.

Bref, voir le gras que l'on emploie en cuisine, c'est ne plus pouvoir être de mauvaise foi ! On se limite... et il y a  quasi nécessairement moins de moelleux. Soyons donc réaliste, pour cuisiner note à note, et laissons-nous aller à un peu plus de "bienveillance" pour nos convives.


PS. Mais je sais que tout cela réjouira ceux qui doivent une cuisine moins grasse : grâce aux divers polysaccharides, on obtient des consistances remarquables, sans les graisses ! Je connais quelqu'un qui prédit le plus grand avenir à la cuisine note à note dans tous les spas, cures amaigrissantes, etc.



lundi 12 mars 2018

Croquettes d'huile parfumée

Notre cerveau est notamment une machine à reconnaître les proies, les prédateurs, les partenaires sexuels... Et, plus en détail, nos sens reconnaissent les contrastes. Par exemple, les neurones du cerveau, dans la partie qui traite l'information visuelle, repèrent les directions des discontinuités. Si l'on regardait un fond tout uni, on ne verrait rien, mais nous dépistons les bords. C'est la même chose pour les odeurs : nous sentons l'odeur d'une pièce quand on y entre, mais nous ne sentons plus rien après quelques instants. Idem pour les couleurs, les saveurs, les bruits...

Cela semble donc un bon principe que de cuisiner du contraste, et j'interpète donc que c'est la raison pour laquelle nous aimons tant le caviar, les oeufs de saumons... ou les croquettes. Par les préparations pour animaux, mais bien les boulettes d'un matériau tendre que l'on frit, afin de lui faire une coque dure... et de ménager un contraste avec le coeur. D'ailleurs, le succès universel des frites s'explique par la vertu du contraste : à la périphérie croustillante s'oppose la molle tendreté de la pomme de terre cuite "en purée" à l'intérieur.

Bien sûr, on peut faire mieux. Par exemple, si l'on congèle une ganache (du chocolat avec de la crème), puis que l'on panne à l'anglaise (oeuf battu, mie de pain) avant de frire, on obtient la croute croustillante, et un coeur de chocolat liquide. Merveilleux ! Ou encore, Edouard Nignon évoquait les bâtons royaux, que l'on obtenait en pannant et faisant frire du beurre refroidi, avant de vider la coque croustillante et de l'emplir avec une purée de foie gras. Au fromage, également, cela peut être délicieux. Au beurre noisette...
Mais avez vous essayé à l'huile ? Partons d'une belle huile : de noix, de noisette, de pistache, d'olive... Congélons-la, puis pannons et faisons frire : nous avons alors l'huile qui vient tapisser la bouche. Bien sûr, je crois que ce sont de petits objets délicats qu'il faut faire, mais quel bonheur !




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

dimanche 11 mars 2018

Pourquoi le chocolat Chantilly et les mousses au chocolat sont-ils stables ?

Beaucoup d'étudiants qui préparent des TPE ou des TIPE s'intéressent aux mousses au chocolat. Trop, dirais-je, car comment vont-ils pouvoir établir qu'ils n'ont pas pris leurs résultats sur internet, dans des sites créés par des étudiants qui les ont précédés ? Je crois que, indépendamment du sujet et de sa complexité, c'est cela l'écueil principal qu'ils rencontrent. Et, en effet, je trouve 345 000 pages sur le thème "travaux personnels encadrés", et 32500 pages de ce groupe consacrées aux mousses au chocolat !

Mais bon, je ne peux pas faire le bien de mes interlocuteurs malgré eux. Je me contente donc de répondre ici à la question qui m'est posée ce matin :

Pourquoi le chocolat et les mousses au chocolat tiennent-ils ? Quelles sont les réactions chimiques responsables de cette stabilité ?


Commençons par analyser les systèmes qui nous intéressent.
Une mousse "au" chocolat, c'est une mousse, avec du chocolat ajouté. Par exemple, pour la mousse, on peut imaginer de la crème fouettée, de la crème chantilly (la précédente, mais sucrée), un sabayon, du blanc en neige, du blanc en neige sucré (appareil à meringue), une meringue suisse (du blanc battu et sucré en chauffant), une meringue italienne (du blanc en neige additionné d'un sirop très chaud), etc. A cette mousse, on peut donc ajouter soit du chocolat fondu, soit un mélange de chocolat, de jaune d'oeufs, de beurre.
Et il est vrai que de telles mousses peuvent être assez stables... mais elles le seraient parfois sans le chocolat !

Pour le chocolat chantilly, que j'ai inventé en 1995 (et je vois des chefs malhonnêtes se l'attribuer !), il s'agit de foisonner une émulsion de chocolat dans de l'eau. Et il est vrai que c'est stable...
Enfin, stable... Tout dépend de la température : car le chocolat solidifie aux températures inférieures à 36 degrés environ, et c'est seulement à ces températures que l'on obtient un chocolat chantilly stable : les bulles sont emprisonnées dans une matrice de chocolat qui solidifie, emprisonnant également l'eau présente.

Ce qui donne la clé de la stabilité des mousses au chocolat : là encore, le chocolat peut former un réseau solidifié, en raison de la cristallisation du chocolat.
 
Pas de modifications "chimiques", dans cette affaire ; seulement des changements de phase pour les triglycérides du chocolat ! 












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   


samedi 10 mars 2018

Le brunissement des haricots verts

Oui, les acides nuisent à la fraîche couleur des végétaux verts, parce que l'atome de magnésium qui se trouve au centre des molécules de chlorophylle (il y en a quatre sorte, plus leurs dérivés) est délogé par les atomes d’hydrogène apportés par les acides : les molécules absorbent alors différemment la lumière.

Le bicarbonate de sodium, ou d'autres composés basiques  (basique, c'est en quelque sorte le contraire d'acide ; rien  à voir avec l'amertume, par exemple), préservent la couleur en ralentissant le départ de l'atome de magnésium, par neutralisation de l'acidité.

C'est sans doute pour cette raison que l'on utilisait naguère de la lessive de cendres pour la cuisson des légumes verts : les cendres de bois, mises dans un linge et aspergées d'eau faisaient une solution contenant de la potasse, qui est une base puissante. Cuits dans cette lessive de cendres, les végétaux verts restaient bien verts… mais je ne suis pas certain d'aimer beaucoup les saveurs basiques ;-)







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)