samedi 10 mai 2025

A propos de "vinaigrette"

 Je reçois un message : 

C'est quoi le principe de la tenue de la vinaigrette ?
car je cherche toujours les proportions parfaite pour qu'elle tienne bien ferme
moutarde ancienne
eau
vinaigre
huile olive
huile d'arachide

 

Je vais commencer par discuter le mot vinaigrette, avant de répondre à la question. 

 

Qu'est-ce que la vinaigrette ?

Nous sommes bien d’accord : la dénomination des mets doit revenir à ceux qui l’on initialement utilisée, n'est-ce pas ? C'est, en effet, une question d'éthique, que de reconnaître la paternité des inventions, des idées, des découvertes. 

De ce fait, pour savoir ce qu’est une vinaigrette, il faut donc remonter dans le temps.

Commençons au Larousse gastronomique, qui dit simplement, et sans référence, que la vinaigrette est une émulsion d’un corps gras et d’un produit acide. Définition idiote, puisque l'on pourrait faire une émulsion de jus de citron (acide) et d'huile : sans le mot "vinaigre" présent, ce n'est manifestement pas une vinaigrette ! D'ailleurs le Larousse gastronomique confond tout, puisqu’il admet aussi bien de la crème et du jus de citron, que du vinaigre et de l’huile. Décidément, oublions un texte aussi peu éclairant.

Le Guide culinaire ? Ce n’est guère mieux, puisqu’il confond la « Ravigote (ou Vinaigrette) », pour une sauce qui réunit de l’huile, du vinaigre, des câpres, du persil, cerfeuil, estragon et ciboulettes, oignon, sel et poivre.
Oui, la présence des herbes fait la ravigote, et le seul mérite que l’on puisse reconnaître ici, c’est de ne pas avoir confondu avec la rémoulade, qui, elle, contient de la moutarde.
Remontons donc dans le temps, pour voir si nous trouvons mieux que ce livre que je n’aime pas, parce qu’il a donné l’apparence d’un livre savant, en entérinant des définitions fautives.

Au 19e siècle, le cuisinier Urbain Dubois, par exemple, écrit ainsi : « Vinaigrette : Délayez dans une terrine, une cuillerée de moutarde, avec de l'huile et du vinaigre; ajoutez sel et poivre, oignon, échalote, persil, cerfeuil et estragon hachés; ajoutez quelques câpres entières. » Pas terrible : cela, c’est une rémoulade en ravigote !

Allons, montons plus loin encore, avec le Ménagier de Paris, publié vers 1393… qui dit ainsi que la vinaigrette est une « sauce faite d'huile, de vinaigre et de divers condiments » (Ménagier de Paris, II, p. 108).
Voici qui est plus clair… à cela près que l’on trouve aussi « Prenez la menue-haste d’un porc, laquelle soit bien lavé et eschaudée, puis rostie comme à demy sur le greil : puis minciez par morceaux, puis les metez en un pot de terre, du sain et des oignons coupés par rouelles, et mettez le pot sur le charbon, et hochiez souvent. Et quand tout sera bien frit ou cuit, si y mettez du boullon de beuf, et faites tout boulir, puis broiez pain halé, gingembre, graine, saffran, etc., et deffaites de vin et de vinaigre, et taites tout bouilir, et dit être brune. »
En traduisant, il s’agit de prendre de la viande de porc rôtie, avec de la graisse, des oignons ; on cuit, on ajoute du bouillon, puis du pain grillé, des épices, et du vin et du vinaigre, avant de faire bouillir : rien à voir avec ce que nous disons aujourd’hui être une vinaigrette.

Cette recette est-elle une particularité exceptionnelle ? Non, car c’est presque la même que celle du Viandier, de Guillaume Tirel. C’est si l’on peut dire la véritable recette ! Et notre vague mélange moderne de vinaigre et d’huile, parfois agrémenté de moutarde, n’est qu’une piètre préparation… qui mérite d'être améliorée.

 

Comment cela tient-il ?

Partons de la recette qui a été donnée par mon correspondant, et qui est donc plutôt une rémoulade, puisqu'il y a de la moutarde et de la matière grasse.

La moutarde est faite de graines, donc de tissus végétaux, qui contiennent notamment des phospholipides et des protéines, de sorte que la broyer finement avec de l'huile permet la dispersion de l'huile sous la forme de gouttelettes, ce qui est une "émulsion".

Plus on mélange énergiquement, plus les gouttelettes sont petites, et plus l'émulsion est stable. Simultanément, la couleur s'éclaircit, comme on le voit en faisant l'expérience de préparer une mayonnaise (jaune d'oeuf, vinaigre et huile) à la fourchette, puis en passant un coup de mixer plongeant dedans : à l'endroit mixé, la sauce est bien plus ferme, et bien plus blanche.

Plus ferme : cela signifie d'autre part que les gouttelettes d'huile bougent plus difficilement... et donc que la sauce est stabilisée.

A propos de tarte au citron meringuée

 Une étudiante m'interroge, et voici ma réponse : 



Bonjour et merci de votre message.
Pour vous répondre efficacement, je le lis, et je commente au fur et à mesure :

Je me permets de vous écrire dans le cadre de la préparation de mon Grand Oral, que je présenterai en fin d’année. Je suis élève en classe de Terminale avec la spécialité Physique-Chimie, matière que j’apprécie tout particulièrement.
Vous avez bien raison, la chimie est merveilleuse !

Le sujet que j’ai choisi s’intitule : « En quoi les sciences physiques permettent-elles d’expliquer la réussite de la tarte au citron meringuée ? »
Je crois que le titre doit être changé : ce serait plutôt "Comment les sciences de la nature permettent-elles de bien réussir des tartes au citron meringuées", n'est ce pas ?

Ce projet se découpe en trois parties :
        1.        Le gel citronné, où je traite de l’arôme de citron (notamment la possibilité de le synthétiser par estérification), ainsi que de la gélification par l’agar-agar.
Attention : plutôt que d'arôme, vous devriez parler de goût, parce que l'arôme, en français, c'est l'odeur d'une plante aromatique. Et, d'autre part, ce que vous proposez de synthétiser, c'est sans doute un composé particulier de l'odeur de citron  (lequel ?). Je suppose donc que vous imaginez un ester... mais le gout de citron semble principalement venir du limonène ou du citral ?
D'autre part, dans les recettes classiques, la gélification de la crème citronnée résulte d'une crème citron, par de l'emploi d'agar-agar ; pas de problème, mais c'est juste pour bien situer (et le phénomène de gélification est passionnant dans les deux cas).

        2.        La pâte sablée, sur laquelle porte ma demande.
        3.        La meringue, avec un focus sur l’hydrolyse du saccharose.
L'hydrolyse du saccharose : elle me semble très minoritaire dans cette affaire.

Concernant la deuxième partie, je m’intéresse aux phénomènes physiques qui interviennent lors de la cuisson de la pâte sablée, et notamment à l’utilité de piquer la pâte avec une fourchette avant cuisson. J’ai tenté de formuler une explication basée sur mes connaissances, mais j’aimerais avoir votre avis pour valider ou corriger mes hypothèses.
Attention : baser sur est un anglicisme

Voici ce que j’ai envisagé :
        •        Lors de la cuisson, l’eau présente dans la pâte se transforme en vapeur. Si la pâte n’est pas piquée, cette vapeur pourrait s’accumuler localement, ne trouvant pas d’issue. Cela créerait des bulles de gaz sous la surface, faisant gonfler la pâte, étant donné l’important volume occupé par l’eau sous forme gazeuse.
Oui, l'eau de la pâte s'évapore : il suffit de peser une pâte avant et après cuisson pour voir la masse d'eau perdue, d'où le volume de vapeur produit.
En faisant le calcul, vous verrez qu'une large proportion de vapeur est perdue (ce qui réfute votre "ne trouvant pas d'issue").

        •        J’ai alors pensé qu’une fois que toute l’eau est passée sous forme de vapeur, certaines « bulles résiduelles » continueraient d’augmenter, mais cette fois, simplement par la loi des gaz parfaits auxquels on peut assimiler l’eau dans certaines conditions.
Votre phrase ne va pas : vous voulez dire sans doute que les bulles piégées pourraient gonfler davantage. Et oui, vous pouvez utiliser la loi des gaz parfaits... mais comment allez vous choisir la pression ? Si les bulles ne sortent pas, cela signifie que la pâte résiste.

En effet, je pensais que ces petites bulles résiduelles augmenteraient en volume sous l’action de la température : augmentation de la température T, ferait augmenter le produit PV pression x volume.
 A condition que la résistance de la pâte cuite le permette. 

      •        Cependant, en consultant certains articles, notamment les vôtres, j’ai lu des explications faisant intervenir la formation de feuillets de pâte séparés par de la vapeur, mais cela semblait concerner plutôt la pâte feuilletée.
Oui, c'est pour la pâte feuilletée, et seulement celle-là. Dans votre cas (pâte à foncer, brisée, pas le même phénomène).

Ma question est donc la suivante :
Dans le cas spécifique de la pâte sablée, l’augmentation de volume que l’on observe si l’on ne pique pas la pâte est-elle uniquement due au changement d’état de l’eau (et à l’importante différence de volume entre l’eau liquide et gazeuse), ou bien la loi des gaz parfaits peut-elle aussi être mobilisée pour expliquer certaines bulles persistantes durant la cuisson ?
Voir les comptes rendus du séminaire de gastronomie moléculaire (https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires) pour voir pourquoi il est peu judicieux de parler de pâte sablée. Je crois me souvenir que c'est pendant le covid que nous avons eu ces études.
Pour le soufflé, le texte suivant répond : https://seafile.agroparistech.fr/f/436e3640fb0c4c42b329/?dl=1

Par ailleurs, parle-t-on bien de bulles, ou peut-il aussi être question de feuillets emprisonnant la vapeur, même dans le cas d’une pâte sablée ?
Je crois qu'il faut parler de bulles, ce que montre une microscopie.

Je vous serais très reconnaissante si vous pouviez m’apporter un éclairage clair sur ces points. J’ai passé beaucoup de temps à chercher des explications, mais j’ai du mal à trouver une réponse précise et consensuelle.
Consensuelle ? Le consensus n'a rien à faire en sciences. Il faut des évaluations quantitatives des phénomènes, et c'est cela qui fait que les sciences de la nature sont si merveilleuses : l'expérience réfute toute autorité, d'une part, et, d'autre part, le monde est écrit en langue mathématique, disait justement Galilée.
Je crois avoir précisément montré que quand différentes hypothèses sont possibles, c'est bien l'évaluation quantitative qui s'impose. Si je me souviens bien, c'est ici : https://seafile.agroparistech.fr/f/ac4bb8000ebc406da82e/?dl=1
https://seafile.agroparistech.fr/f/ac4bb8000ebc406da82e/?dl=1
 


En espérant vous avoir apporté suffisamment d'aide.


vendredi 9 mai 2025

Rissoles et ravioles

 

Un texte publié récemment dans un journal culinaire indique que les ravioles et les rissoles seraient des préparations identiques, mais cela mérite d'être discuté.
 
En effet, les « rissole » sont des pâtisseries déjà présentes en France au 12e siècle, aujourd’hui souvent faite de pâte feuilletée contenant une farce de viande, de poisson, cuite en friture profonde. Et le mot « rissole » vient de roux, rouge, puisque la surface brunit un peu.
En 1934, le pâtissier Pierre Lacam désigne sous le nom de « rissoles à l’anglaise » de la pâte feuilletée accompagnée de confiture d’abricot, mais c’est un pâtissier.
En 1906, le Guide culinaire est plus explicite :
« Rissoles. — Nom générique d'un Hors-d'œuvre chaud qui comporte essentiellement : 1° un salpicon, lié exactement comme un appareil à croquettes et bien refroidi, dont l'élément principal, soit : volaille, gibier, foie gras, etc., détermine la dénomination; 2° Une enveloppe de pâte, soit pâte à foncer fine, demi-feuilletage ou rognures, ou pâte à brioche commune sans sucre.
Les rissoles se traitent invariablement par la friture et se dressent sur serviette, avec persil frit bien vert, sans accompagnement. Chaque genre de rissoles prend une forme différente. »
Pourquoi pas, mais on sait que le Guide culinaire est plein d'erreurs, et, en tout cas, il ne donne aucune référence, avec, en outre, des auteurs qui se contredisent. Mieux vaut le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre, antérieur de quelques années. Et là, on trouve que le mot viendrait de roussoler, même sens que brésole, brésoler, faire prendre une couleur dorée : ce qui est juste !
La définition ? De la viande hachée et saucée, enveloppée dans de la pâte et frite. Favre ajoute même que « La différence qui existe entre les ravioles et les rissoles consiste dans l'enveloppe, la forme et la cuisson : les ravioles se distinguent par une enveloppe à pâte ferme (nouilles) par sa forme carrée et par sa cuisson à l'eau, tandis que les rissoles comportent une enveloppe de pâte délicate, le plus souvent de feuilletage de forme ovale ou demi-cercle, panées et frites. Quant à la garniture, elle est absolument facultative et c'est elle qui en détermine le nom. Les rissoles diffèrent des cromesquis en ce sens que l'enveloppe de ces derniers est du pannequet ou de l'hostie, de forme carré-long, également panés et frits. »
C’est donc bien mieux, mais la mention (1889) reste récente. Pour Urbain Dubois, en 1876, il y a des rissoles de pâte fine (pas nécessairement feuilletée), et une panure à l’anglaise (œuf, farine, friture). Pour André Viard, au début du 19e siècle, c’est à nouveau du feuilletage, et une forme de chausson, avec une simple friture. Encore avant, le Dictionnaire des aliments et des boissons, en 1750, est réputé pour avoir colligé des informations anciennes, antérieures à lui. Et l’on y trouve finalement :
« Sorte de pâtisserie faite de viande hachée & épicée, enveloppée dans de la pâte & frite dans du sain-doux ; on fait d'abord de petites abaisses en forme de petite pâte ovale, on les remplit d'un godiveau fait de blanc de chapon, moëlle de boeuf, sel & poivre, le tout bien haché ; les rissoles faites, on les confit dans le sain-doux. On peut en faire en maigre avec de la farce de poisson bien hachée, & même des mousserons ; on les fait cuire auparavant avec beurre, fines herbes & épices, si c'est aux épinards ; si c'est aux mousserons on les fait cuire à l'ordinaire, on les hache bien menu, on les assaisonne d'un peu de sel, sucre, écorce de citron pilée ou râpée, & on les sert cuites au four avec sucre & eau de fleur d'oranger en servant. On appelle aussi les rissoles "oreilles de Parisien", parce qu'elles sont faites en forme d'oreille. »
Ici, on voit que la cuisson n’est pas nécessairement la friture ; le four est possible. En revanche, la forme semble bien déterminée, ainsi que le type de cuisson. 
Et, en tout cas, de bonnes rissoles sont un régal, tout comme de bonnes ravioles, mais les deux préparations sont clairement différentes.

jeudi 8 mai 2025

Preuves et démonstrations

La preuve, nous dit cet excellent Trésor de la langue française informatisé (TLFi, gratuit, en ligne), c'est "ce qui est susceptible d'établir la vérité, la réalité de quelque chose". 

Et l'on voit immédiatement la difficulté. La question de la vérité étant très difficile (et celle de la Vérité serait pire), on pourrait vouloir se poser d'abord la question de la réalité, de l'existence. 

Mais même là, les choses sont bien difficiles : l’illusionnisme nous montre bien combien nos sens les plus fondamentaux peuvent nous tromper. Certes, je sens le mur quand je fonce dedans, mais, en colère ou dans des états de conscience modifiée, je ne sens plus la douleur. Or quand sais-je que ma conscience n'est pas modifiée ? Au fond, les prestidigitateurs rendent aux scientifiques un service immense, parce qu'ils font bien comprendre que, parfois, nous sommes abusés par nos sens : nous voyons des phénomènes qui n'existent pas, des pièces de monnaie qui disparaissent, ou, au contraire, des colombes qui sortent de chapeaux. Tout cela doit nous rendre extrêmement prudents quand nous discutons de "preuves" ou de "démonstrations". 

En matière criminelle, on nous parle des preuves, mais les a-t-on jamais vraiment ? S'agit-il de preuves absolues, ou bien simplement d'indications ? 

J'observe en passant que l'expression "preuve absolue" me semble bien périssologique. De manière juridique aussi quand on demande des preuves de la possession d'un bien d'une identité, la question des preuves se pose, et l'on n'a souvent que des indications plus ou moins probables. Et même les méthodes les plus modernes, à savoir les tests ADN, peuvent se tromper. 

Toute la question repose sur le fait que nos sens sont faillibles, que nos instruments de mesure sont imprécis : tout cela anéantit la possibilité de preuve ailleurs qu'en mathématiques. 

 

Reste à savoir maintenant si l'on peut faire une démonstration, en sciences de la nature. 

Là, il faut considérer que le mot "démonstration" désigne d'abord l'action de montrer, avant d'avoir le sens (approché) de preuve mathématique. 

D'ailleurs, cette observation, assortie de l'idée qu'il ne doit pas exister de synonymes, laisse penser que la démonstration mathématique n'est pas la preuve. 

Plus généralement, nous arrivons à cette question terminologique : soit on définit la preuve comme une justification irréfutable, parfaite absolument rigoureuse ; soit on considère qu'il s'agit simplement d'arguments. 

Dans la première acception, la preuve n'est qu'en mathématiques, et pas en sciences de la nature. Mais dans la seconde acception, on doit évidemment admettre qu'il y a des preuves. 

Bref, on aurait donc bien un intérêt à se situer soi-même dans un discours qui utilise le mot "preuve" ou à demander à nos interlocuteurs de se situer de même, sans quoi nous risquons l'incompréhension mutuelle. 

Quant à la "vérité"... Je la laisse à ceux qui pourront me la définir correctement !

Le récit de la science ?

 
Une jeune fille m'interrogeait hier à propos de phénomènes qui pourrait être discutés, en vue d'en  faire des chapitres de livres  : lesquels prendre, en cuisine ? 

Cela part évidemment d'une idée tout à fait exceptionnelle : il faut d'abord saluer cette envie de s'intéresser à la physique et à la chimie, et notamment quand elle part de la cuisine. 

Mais il y a surtout lieu d'expliquer combien la sélection est facile, car la science sécrète son objet en quelque sorte :  partant des phénomènes, elle en fait l'exploration. 

Ainsi il y a donc lieu, pour n'importe quel phénomène, de se lancer dans un mouvement infini qui consiste à bien identifier le phénomène, à le délimiter, puis à le quantifier, à chercher des regroupements des données en équations, puis à  chercher des regroupements d'équations avec de nouveaux concepts qu'il faut alors imaginer et qui doivent être quantitativement compatibles avec les données ; il faut ensuite  chercher des conséquences logiques des théories ainsi constituées et tester expérimentalement  es conséquences. 

Tout cela mérite d'être accompagné de longues discussions, de longues explications, et il faut souligner que le  mouvement  est infini puisque toute théorie est insuffisante : il  faut moins  les présenter que les réfuter, en chercher des réfutations. 

Ce mouvement infini, c'est le mouvement de la recherche scientifique, qui se fait pour n'importe quel phénomène, et en regardant dans ma cuisine, je vois mille choses qui sont tendues à mon intérêt. 

Par exemple, alors que je fais mariner les anchois dans du sel, je vois l'eau qui sort des tissus musculaire des poissons... mais comment ?
Dans le bocal, je vois une matière grasse à la surface mais d'où vient-elle et comment est-elle apparue ?
Je vois que les chairs brunissent, mais pourquoi ?
À côté du bocal d'anchois, il y a ce saumon que j'ai fumé pendant le weekend : quelles molécules de la fumée ont-elles parfumé mon saumon et où se sont-elles placées ?
Pas loin, il y a des quenelles, toujours de poisson que j'ai également réalisées pendant le weekend à partir de chair de poisson broyée avec des œufs et de la crème. Et comment le broyage a-t-il modifié la chair ? Quelle est la taille des segments de fibres musculaires finalement obtenus ? Quelle est la répartition des tailles ? Pourquoi celle-là ? Existe-t-il un rapport entre l'énergie que j'ai dépensée pour broyer et cette distribution ? Puis, lors de l'ajout de blanc d'œuf et de crème, le broyeur a-t-il introduit des bulles d'air ? Et de quelle taille ? Cette taille dépend-elle de la viscosité de la chair hachée ou plutôt du mixeur ? Et la graisse : les gouttelettes de matière grasse présentes dans la crème ont-elles été divisées lors du broyage ? 

À ce stade je peux m'arrêter : je crois avoir bien montré combien phénomène pouvait donner lieu à une longue discussion. Evidemment cette discussion n'a pas été faite ici, mais il suffit de considérer tout article scientifique pour s'apercevoir que la question initiale de mon interlocutrice avait une réponse facile.
 

mercredi 7 mai 2025

Vient de paraître

 

Hervé This, Qu’est-ce qu’un ragoût, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, 5 mai 2025, https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/quest-ce_que_le_ragout.pdf

Hervé This, Le coulis, universel ou simple ?, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, 5 mai 2025, https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/le_coulis_universel_ou_simple.pdf

mardi 6 mai 2025

Mon discours lors de la réception du Prix Sonning / My speech during the Sonning Prize Ceremony

 


Address for the Sonning Prize Ceremony
Hervé This
Copenhagen, 9 April 2025

Dear Colleagues, Ladies and Gentlemen

It goes without saying that I am deeply honoured to receive the Sonning Prize 2025.
The legacy of past recipients of the Prize is truly outstanding: Sir Winston Churchill, Bertrand Russell, Karl Popper, Ingmar Bergman, Günter Grass, the Danish icons Jørn Utzon and Lars von Trier... I am proud to be the third French recipient, after the Nobel laureate Albert Schweitzer, also an Alsatian, and Simone de Beauvoir.
In the spirit of acknowledging our shared heritage, I intentionally left out the remarkable Niels Bohr from the list of distinguished Danes, because he and I share something special: we are scientists—Bohr, a physicist, and I, a chemist.
One might ask: what is the relationship between molecular and physical gastronomy, which is a part of chemistry, and culture? The answer is simple: molecular and physical gastronomy bridges science, which is culture, and cooking, which is also culture.

I repeat that I am deeply honoured, but I am also greatly concerned about food security. By 2050, the global population may exceed 10 billion, raising a crucial question: What will they have to eat? This issue extends beyond food security and food safety. We must nourish both the body and the mind, for humans are not merely stomachs—we are cultural beings.
Exactly two centuries ago, the French lawyer Jean-Anthelme Brillat-Savarin became renowned for his reflections on the art of eating. In his book The Physiology of Taste, he wrote, that while animals feed, only humans know how to eat, meaning that they are able to appreciate the cultural signification of food. I would argue that this is not an inherent truth, but rather an aspiration. Whether young and old, we must learn how to eat.
To become truly humans, we must elevate food from the stomach to the mind. Achieving this requires the contributions of all disciplines. Indeed gastronomy encompasses history, geography, philosophy, economics, literature, and, of course, the culinary art. It also draws from the natural sciences—biology, physics, and, notably, chemistry.
Another famous gastronome, Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière, rightly observed that “the cackled pieces seem better”. Eating culturally means discussing what we eat, celebrating the culinary artistry of the cook, and appreciating the time, intelligence and effort devoted to preparing dishes.
Culture, language, words… The importance of words was well recognized by the French chemist Antoine-Laurent de Lavoisier, who revolutionized chemistry with a new nomenclature: one cannot improve science without improving language, and vice versa.
It is not widely known, but Lavoisier studied meat broth, anticipating the field of molecular and physical gastronomy. He wrote: ‘We cannot help but be surprised, whenever we ask ourselves questions about the objects we are most familiar with, to see how vague and uncertain our ideas often are, and how important it is, therefore, to fix them with experiments and facts”. And what could be more familiar than the culinary activity, which sustains us several times a day?”

So let us now turn to cooking. It has certainly a technical component, but what’s the point of performing tasks like peeling carrots or whipping eggs, which can be done by machines? The true interest of cooking lies not in mere technique, but in its artistic nature: cooks, at home, in restaurants or in industrial food companies, are expected to create food that has to be good, that is to say beautiful to eat. As there is still resistance to this idea, I insist: the goal is not only to make food visually appealing. Rather it is to make it beautiful in taste and in thought.
Yet even this does not fully capture the essence of cooking. The most technically and artistically accomplished dish is worth nothing if it is thrown in the face of the guests. The dishes should say "I love you"—intrinsically, through their construction, through their flavor. This is the true culinary challenge: to create dishes that express "I love you". A high level of culture!

At first glance, natural sciences may seem distant from this discussion. However, why should not they contribute to other fields, spark new questions, and collaborate with other disciplines to explore this fundamental notion of "I love you"?
Now, moving from sciences in general to molecular and physical gastronomy in particular, it is a science that holds intrinsic value, independent of its applications. This value is evident in the fundamental, and mechanistic questions it raises. Consider for instance the vast literature on tea or coffee, comprising millions of scientific studies. Yet not a single article examines the mechanisms by which compounds in tea leaves or in coffee grounds transfer into water. Similarly, 47% of classic French sauces involve wine in the cooking process, yet no scientific study has explored the chemical reactions that occur when wine is thermally processed in the presence of other compounds, such as those found in meat broths.
It was precisely to address such gaps in scientific knowledge that the English physicist Nicholas Kurti and I created molecular and physical gastronomy in 1988.
The objective was and remains to investigate the mechanisms underlying the phenomena that occur during cooking, employing the same method used by all natural sciences:  experiments and mathematical analysis.
At the time, knowledge in this field was rudimentary. One need only recall that it was once believed that soufflés and similar dishes swelled due to the expansion of air bubbles. One of my earliest discoveries demonstrated that the swelling was actually caused by the evaporation of water. This realization made it possible for soufflés to rise without even beating the egg whites. I will never forget a seminar I gave decades ago, where I presented a soufflé that puffed up despite the egg whites remaining unwhipped. Behind me, a chef and a culinary instructor watched the oven in disbelief, muttering, “But it’s not possible, it’s not possible!” What once seemed impossible is now evident: thanks to molecular and physical gastronomy, culinary techniques have evolved, and so has the way they are taught. The scientific approach has not only helped innovative chefs worldwide to elevate the pleasure of eating to a new level—where creativity and art intertwine—but has also sparked innovation in laboratories around the globe, profoundly influencing food culture.

This brings us to the invaluable act of teaching—the transmission of culture to younger generations. In the past, cooking was learned through repetition. Today, technical aspects are taught in technology classes, grounded in the analysis of molecular and physical gastronomy. Even in primary schools, scientific activities around cooking have reached millions of children in France, and have even extended to the favelas of Rio de Janeiro in Brazil—what a joy!
Of course, there are also technical applications, as we recognized that cooking could not remain in the outdated state we observed in the 80’s. What I have termed ‘molecular cooking’ refers to the modernization of culinary techniques, using tools from chemistry, physics, and biology laboratories. While this renovation is ongoing, significant progress has been made. Today, alternative gelling agents, new cooking methods at low temperature, are widespread across the world. However I will not be satisfied until chefs can work seated, in a quiet environment, free from excessive heat or stress.
This is why we must move to the next step, one that is even more fruitful: synthetic cooking, whose artistic form is known as note by note cuisine. Rather than relying on traditional ingredients like fruits, vegetables, meat, fish or eggs, this approach focuses on the individuals compounds or fractions of these ingredients: water, cellulose, pectins, lipids, and so on.
Just as synthetic music creates sounds beyond the reach of classical instruments, synthetic cooking allows for the creation of new textures and flavours—unimaginable and unprecedented. 3D food printers will play a key role in advancing this culinary frontier.
Just like molecular cooking, note by note cuisine is not about catering to the wealthy. Our goal is to nourish everyone, enabling people to eat with a clear conscience while making the most of the available resources. As we strive to reduce food waste and losses in the effort to feed humanity by 2050, note by note cuisine becomes increasingly vital, posing new scientific challenges for molecular and physical gastronomy and other sciences.

Finally, I reiterate that, of course I am deeply honoured to receive the Sonning Prize, and I must express my heartfelt gratitude to everyone who played a role in the decision made by the Sonning Committee. I am particularly grateful to my colleague Karl Anker Jørgensen, a chemist at Aarhus University, as well as to Professor Marie-Louise Nosch of the University of Copenhagen, Steffen Brandt, Erik Frandsen, and Birgitte Nauntofte, chair of the Aarhus University Board.
I view awards, decorations, and other public recognition as opportunities to make a further meaningful impact. I hope the Sonning Prize will encourage my colleagues worldwide to explore the many fascinating phenomena that can be observed in kitchens. I also hope it will help the public understand that food must evolve, not only because our lifestyles have changed, but also due to the growing concerns around food security, food safety, sustainability and climate change.
All of society is involved, and it is necessary to change mentalities and ideas, from primary schools to professional bodies.
It is not only sound knowledge that should be shared, but also methods, an important word, particularly close to my heart as it refers to a famous discourse by René Descartes, who contributed to the creation of modern science and thought.
Whether we speak of technique, of technology, of teaching or of science, we have to discuss first the goal, then the method, as in Greek methodon means “choosing the way”.
For food, the ultimate goal is Culture. And we need to continue the work of the Enlightenment, which did not conclude with the publication of Diderot and D'Alembert's Encyclopédie. The Age of Enlightenment is far from over. Like the thinkers of the 18th century, we must step out our laboratories to combat magical thinking, disseminate knowledge and skill, and resist ignorance, dogma and tyranny.
Of course, in order to transmit a clearer picture of the world, we need to expand the kingdom of knowledge, through sciences. In this quest, in the laboratory or elsewhere, I have for myself this question that I don't dare ask others: since we are what we do, what is my agenda?

Celebrate Chemistry, Celebrate Culture, and thank you very much for your attention