mercredi 13 septembre 2023

Pas d'acides dans le sucre

 

Un correspondant soumet à mon analyse la phrase suivante :

"Dans les pâtes à foncer, le bicarbonate  de sodium ferait lever la pâte par réaction avec les acides présents dans le sucre."

Comment a-t-on pu inventer cela.... sachant qu'il n'y a pas d'acides dans le sucre ????????

Certes le bicarbonate peut réagir avec des acides pour libérer du dioxyde de carbone  : on le voit simplement en ajoutant du bicarbonate à du vinaigre blanc, lequel, lui, contient bien un acide, à savoir l'acide acétique.

Certes, le bicarbonate peut libérer du dioxyde de carbone,  qui fait éventuellement lever une pâte : d'ailleurs, si l'on chauffe de l'eau avec du bicarbonate, on voit l'eau mousser.

Mais  ce qui est vraiment choquant, ce sont ces prétendus acides qui seraient dans le sucre.
Non,  le sucre ne contient pas d'acides, et d'ailleurs le sucre de table  blanc est une forme quasi pure (plus de 99 pour cent) de saccharose. Disons le différemment : le sucre, ce sont des grains formés par l'empilement régulier des molécules de saccharose.
Autrement dit, il n'y a que des molécules de saccharose, et aucun acide.

D'où vient cette élucubration des acides dans le sucre ?  Décidément je m'étonne sans comprendre.



mardi 12 septembre 2023

Une "dénaturation des protéines", ce n'est pas une "décomposition", ni une "dépolymérisation" : méfions-nous des mots de plus de trois syllabes que nous ne comprenons pas.

Un correspondant me tend un :

"La congélation des pâtes entrainerait une dépolymérisation des macropolymères de gluténine dans la pâte"

Et la phrase n'a aucun sens, en plus de véhiculer une information très probablement fausse.

La congélation d'une pâte, on comprend bien ce dont il s'agit : on met une pâte (farine, beurre et eau) dans un congélateur : la farine est intouchée, le beurre durcit parce que ses molécules  "cristallisent" (les molécules de triglycérides s'associent en empilements réguliers nommés "cristaux"), et l'eau congèle (les molécules d'eau forment de la glace).
A noter que, dans cette description, les molécules d'eau qui pontaient les protéines du "gluten" (gluténines, gliadines) dans la pâte cessent peut être d'assurer cette liaison, pour s'associer, ce qui correspondrait à un affaiblissement du réseau de gluten... si cette eau ne revient pas ponter les protéines lors de la décongélation, ce que je ne sais pas.

La "dépolymérisation des macropolymères de gluténine" ? La phrase n'a pas de sens, déjà parce que le mot gluténine au singulier n'a aucun sens : il n'existe pas "la gluténine", mais, plutôt, dans la pâte, des molécules de différentes gluténines.
Le mot "gluténine" désigne une catégorie d'objet : les grosses gluténines et les petites gluténines (on dit HMW et LMW, mais c'est un détail) , dont il existe beaucoup de catégories.
Et une catégorie, c'est  abstrait. Ce qui est concret, ce sont les molécules de gluténines.

Ces molécules de gluténines sont toutes des "polymères", car elles sont formées par l'enchaînement de nombreux motifs, nommés monomères (comme les anneaux d'une chaîne), qui, en l’occurrence, sont des "résidus d'acides aminés". En revanche, cela n'a aucun sens de parler de "macropolymère", car un polymère est une macromolécule : dans les deux cas, il s'agit de molécules formées par l'enchaînement de nombreuses unités. Bref, le mot "macropolymère" est une sorte de monstre dont on peut supposer, vu le nombre de syllabes, qu'il recouvre toujours l'incompréhension de celui ou celle qui le prononce, et parfois la volonté prétentieuse d'épater... au risque d'être pris la main dans le sac. Mais je n'ai pas dit que mon interlocuteur était dans cette seconde position.

La "dépolymérisation" ? Il y a encore beaucoup de syllabes, mais le mot est propre, juste... à condition qu'il désigne effectivement la dissociation d'une macromolécule, ou d'une molécule de polymère (on se souvient que c'est la même chose), notamment une molécule d'une gluténine particulière, en ses unités constitutives. Oui, des monomères peuvent "polymériser", quand ils s'enchaînent chimiquement en grand nombre, et il des polymères peuvent se dépolymériser, dans les liaisons chimiques sont détruites. on parle de dépolymérisation...

Et, en tout cas, j'ai les plus grands doute sur le fait que cela se produise lors d'une congélation !
Soyons clair : je n'y crois absolument pas, d'autant que je vois que nombre des phrases qui me sont soumises confondent les matières, les molécules, et cetera, et que si les mots sont erronés, je suis quasiment certain que les idées le sont aussi.  

A propos de congélation,  il y a un principe essentiel de la physico-chimie à savoir que la température correspond à au mouvement des molécules : des molécules formant un échantillon de matière (solide, liquide, gaz)  bougent rapidement quand l'échantillon de matière est chaud, et elles bougent plus lentement quand l'échantillon de matière est froid, notamment dans une congélation.

Pour fixer les idées, partons d'un peu d'eau liquide, à la température ambiante : cette eau est faite de molécules d'eau, comme des billes qui bougeraient sans cesse en tous sens, à très grande vitesse.
Si l'on chauffe l'eau, alors les molécules vont encore plus vite, et si vite même qu'elles peuvent arriver à quitter le liquide, tout comme une fusée qui a une vitesse supérieure peut quitter l'attraction terrestre.
Inversement, quand on refroidit l'eau, les molécules d'eau ralentissent, et elle ralentissent tant que, finalement, les attractions entre  les molécules d'eau deviennent plus fortes que leur mouvement : les molécules restent alors collées les unes aux autres, se limitant à vibrer un peu sur place : c'est la glace.

La congélation correspond ainsi à l'immobilisation des molécules  : dans une pâte à foncer, faite de grains d'amidon, de molécule de protéines et de bien d'autres composés, de beurre, c'est-à-dire de triglycérides et d'eau, il en va de même.
Pour l'amidon, pas de nouveauté puisque les molécules d'amylose et d'amylopectine qui sont entassés en grains d'amidon ne bougent déjà pas.
Pour les molécules de triglycérides, la matière grasse, alors cette dernière cristallise, les molécules de triglycérides s'empilant régulièrement et ne bougeant plus.
Pour les molécules d'eau, de même, la congélation provoque la formation de glace.

Les protéines, dans cette affaire ? Il en va de même : ces molécules en forme de pelote, ralenties, s'immobilisent. Et à froid, en tout cas pour des périodes de quelques heures, il n'y a aucune réaction chimique, aucune dégradation de rien  du tout ! Car pour qu'il y ait réaction, il faut que des molécules se rencontrent ; or elles ne bougent plus. Ou bien il faut que les atomes liés par une liaison chimique aient beaucoup d'énergie ; or la congélation réduit cette énergie.

Mais, en analysant toute cette question, je crois finir par comprendre que mon correspondant a confondu la "dénaturation" des protéines et leur dissociation. Il faut donc une seconde partie à ce billet.


Pour les protéines, il y en a de différentes sortes, mais, pour l'explication, nous considérerons les protéines globulaires : les molécules de ces protéines sont comme des fils repliés sur eux-mêmes en pelote. C'est le repliement particulier qui permet à ces molécules de protéines d'avoir des activités biologiques, par exemple enzymatique.
Ainsi la broméline, qui est une enzyme présente dans l'ananas, a la propriété de couper les autres protéines et, notamment, les molécules de collagène qui donnent leur dureté aux viandes, ou  les molécules de gélatine qui font gélifier de l'eau. Et c'est ainsi que du jus d'ananas frais injecté dans les viandes transforme celles-ci en une sorte de pâte ; et  c'est aussi pour cette raison que les gels de gélatine avec de l'ananas frais finissent liquides. Dans ces deux cas, les molécules de protéines que sont le collagène ou la gélatine sont "décomposés" par les molécules de broméline.
J'insiste sur le "décomposé" qui se différencie complètement du "dénaturé". Qu'est-ce que "dénaturé" ? La broméline, comme les autres protéines dont je parle, est donc enroulée sous forme de pelote, mais quand on chauffe par exemple, cette pelote se déroule et l'activité enzymatique de la broméline est perdue,  et c'est ainsi que l'on parvient très bien à faire des gelées d'ananas avec de l'ananas cuit. Le changement de repliement correspond à une "dénaturation", pas à une dissociation : le fil moléculaire est enroulé différemment, pas cassé en petits morceaux.

Pour les gliadines et les protéines du de la farine, c'est la même chose : la dénaturation correspond simplement à une modification de l'enroulement, et cela ne change pas à ma connaissance les capacités de former le réseau de gluten.


Les gonflements en cuisine

Naguère les livres de cuisine indiquaient que c'était l'oeuf qui faisait « souffler ». Il aurait fait souffler les soufflés, les choux, les petits choux, les cannelés, les quiches, etc. 

 

Toutefois le physico-chimiste a de quoi s'étonner : pourquoi donc les œufs auraient-ils eu cette vertu soufflante ? 

 

Le blanc d'oeuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines. Si le blanc fait souffler, c'est soit en vertu de son eau, soit en vertu de ses protéines, soit en vertu d'une combinaison des deux. Pourtant l'expérience est simple : l'ajout de protéines à une préparation culinaire, ne produit pas de gonflement ; en revanche, avec de l'eau, la préparation gonfle... si elle est chauffée par le bas. En effet, l'eau qui s'évapore fait bien plus de volume de vapeur que le liquide initial (environ un gramme d'eau fait un litre de vapeur). 

Et c'est ainsi que l'on ne voit pas les soufflés gonfler si on les chauffe par le grill du four, par le dessus, alors qu'ils se développent considérablement si on pose le ramequin sur la « sole » du four, en bas. La vapeur formée au fond du ramequin pousse le soufflé vers le haut, et l'on voit le soufflé gonfler. Il y avait donc bien lieu de rénover l'enseignement culinaire, en balayant toutes les scories de son développement, dans les décennies précédentes. 

Ce fut la réforme du CAP, réforme qu'il faut poursuivre aujourd’hui, tant il est vrai que les idées fausses ne meurent jamais, mais que ceux qui les soutiennent finissent pas disparaître (partir en retraite, mourir, se désintéresser de le question). 

Progressivement, en nous fondant sur des expérience répétables, que les professeurs produiront devant leur élèves, on arrivera à des théories plus justes de la technique culinaire. 

 

La conclusion est qu'il semble bien essentiel de poursuivre les expériences, et d'encourager les enseignants à en faire avec leurs élèves, dans les établissements d'enseignements de la cuisine.

lundi 11 septembre 2023

Le beurre et la farine dans une pâte

 
Le beurre permettrait d'envelopper les protéines de la  farine, quand on fait une pâte ?

Ainsi posée, la question est très probablement négative, ou, plus exactement, la question n'a pas de sens, parce que le beurre et les protéines ne sont pas à la même échelle.

Le beurre, c'est une matière principalement formée de très nombreuses molécules de triglycérides : pensons à un énorme paquet de poulpes à trois tentacules, chaque poulpe représentant une molécule de triglycérides.

Dans le beurre, il y a également un peu d'eau, jusqu'à 20 % au maximum mais comme celui-ci n'interviendra pas dans la description qui est faite maintenant, oublions-le.

Les protéines maintenant, et notamment les protéines de la farine, sont des objets de la taille des poulpes, et pas du beurre (lequel est fait de milliards de "poulpes"). Ces protéines sont essentiellement isolées, et c'est seulement  quand elles sont en présence d'eau quelles forment d'un grand filet de "gluten", chaque molécule de protéine faisant un tout petit bout d'une maille.
Ajoutons que les protéines sont le plus souvent solubles dans l'eau de sorte qu'il n'y a aucune raison qu'elles soient enveloppées par le beurre.

D'ailleurs, que signifierait "enveloppé par le beurre" ? Stricto sensu, cela voudrait dire qu'une molécule de protéines s'entourerait de molécules de triglycérides  ? Mais cela n'arrive pas car il n'y a pas de liaison possible entre ces deux types de molécules.

Et tant que je n'ai pas vu d'article établissant la thèse discutée ici, il faut considérer que c'est de la pure invention. 

En revanche, on peut parfaitement parler de farine enrobée dans du beurre, comme on le voit sans peine quand on sable du beurre avec de la farine.

Le sucre dans une pâte à foncer

 Le sucre dans une pâte ? Une pâte à foncer est composée principalement de farine et de beurre, avec éventuellement de l'eau. Que peut faire le sucre à une telle pâte ?
Je discute la question dans "Mon histoire de cuisine" : 



Commençons par observer qu'il y a une différence essentielle entre une pâte où l'on travaille la farine avec un peu d'eau avant d'ajouter le beurre, et une pâte où l'on mélange la farine et le beurre avant d'ajouter de l'eau.
En effet, la farine est faite de petits grains d'amidon et de protéines, dont certaines -qui sont nommés gliadines et gluténines- peuvent se lier à l'eau pour former un réseau :  pensons à un filet, à un échafaudage, qui est nommé le gluten.
D'ailleurs, on peut voir ce filet de gluten avec l'expérience qui consiste à malaxer de la farine avec de l'eau pour faire une boule de pâte bien dure, puis à malaxer très doucement cette boule de pâte dans un grand récipient plein d'eau : on voit sortir des grains blancs c'est-à-dire l'amidon, et il reste entre les mains une sorte de filet visqueux et élastique, plus jaune,  qui est ce qu'on nomme le gluten. Cette matière a été découverte par  le chimiste italien Jacopo Beccari en 1742, et l'expérience d'extraction du gluten que je viens de décrire a été trouvée par le chimiste alsacien Johannes Kesselmeyer quelques années plus tard, comme je l'établis rigoureusement ici :
Hervé This. Who discovered the gluten and who discovered its production by lixiviation?. Notes Académiques de l’Académie d’agriculture de France, 2018, 3, pp.1-11.

Mais revenons à la question : pourquoi cette différence entre une pâte faite de farine et d'eau, puis de beurre,  et cette pâte faite de farine et de beurre, puis d'eau ?
Parce que, quand on malaxe la farine avec de l'eau, comme dit précédemment, on forme ce réseau de gluten qui emprisonne les grains d'amidon ; ensuite, si l'on ajoute le beurre, ce dernier se disperse dans la structure déjà constituée. En revanche, si l'on mélange la farine et le beurre, surtout si la proportion de beurre est notable, alors on disperse la farine dans le beurre, ce dernier faisant comme une sorte de ciment ; ensuite, quand on ajoute de l'eau, on parvient plus difficilement à l'introduire pour former le réseau de gluten ; d'ailleurs, généralement, quand on ne travaille pas trop la pâte, on peut ajouter moins d'eau que dans le premier cas.
Ensuite, à la cuisson, la première des pâtes sera ferme, cassante, tandis que la seconde sera friable, le ciment de beurre n'étant guère résistant.

Et le sucre, dans toute cette affaire ? Pour comprendre son effet , il faut commencer par faire l'expérience de l'effet sucre. Pour cette expérience, on commence par faire une boule de pâte avec de la farine et de l'eau, on la malaxe bien pour qu'elle soit bien dure, et on la divise en deux pour garder une partie qui servira de témoin, de comparaison. Pour l'autre moitié, on ajoute du sucre, et l'on malaxe encore ;  après un temps plus ou moins long (de l'ordre de quelques dizaines de secondes selon le type de sucre), la pâte s'effondre, coule.

Ce qui s'est passé, c'est que le sucre a capté l'eau qui faisait les liaisons entre les protéines et les liait en un réseau de gluten. Les protéines détachées viennent se dissoudre dans l'eau, avec le sucre, et l'on obtient alors une "suspension", avec les grains d'amidon dispersés dans le sirop. Or on sait bien qu'un sirop coule, même s'il contient des particules en suspension.
D'ailleurs, l'expérience est beaucoup plus rapide avec du sucre glace qu'avec du sucre cristallisé un peu grossièrement parce que le sucre glace se dissout beaucoup plus vite dans l'eau, capte beaucoup plus vite l'eau  du réseau de gluten, dissocie bien plus rapidement ce dernier.

Bref, les pâtes sucrées, surtout quand elles ont été un peu travaillées avec le sucre, sont beaucoup plus friables que les pâtes non sucrées.

Et je renvoie sur un  séminaire de gastronomie moléculaire, en octobre 2022, lors duquel nous avons exploré cet effet de sucre, cherchant notamment à partir de quelle quantité il se produisait : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/resultats-des-seminaires.

La question des rapports de stage

Commençons par une analyse méthodologique. 

 

S'il est vrai qu'il est souvent facile de voir la paille dans l'oeil du voisin, de critiquer ce qu'on n'a pas produit soi même, il y a aussi le fait que le nombre des erreurs est quasi infini et qu'il n'est pas sûr que méthode qui consiste à apprendre « en creux » soit la meilleure. 

Autrement dit, partir d'un rapport de stage particulier et le critiquer ne peut permettre que d'identifier quelques erreurs, et cette méthode ne permet pas de dégager les règles utiles à la constitution d'un bon rapport. 

Pourtant, il y a une stratégie intermédiaire, qui consiste à ne relever dans un rapport médiocre que les erreurs les plus graves, afin de donner quelques règles seulement, sans submerger nos amis qui devront faire mieux. 

Dans le rapport que nous venons d'examiner, il y avait d'abord une confusion, puisque la question de la stratégie n'avait pas été posée, avant celle de la tactique : le rapport était-il un rapport de stage ou un compte rendu d'expériences ? 

Souvent, quand les étudiants font des stages dans des laboratoires de recherche scientifique, ils apprennent la pratique scientifique. De ce fait, ils peuvent être tentés de jouer au jeu scientifique en produisant en conséquence un rapport qui s'apparente à une publication scientifique... mais est-ce ce que leur université leur demande ? Cela n'est pas sûr, et, d'ailleurs de nombreuses institutions réclament aux étudiants des parties de contexte, qui décrivent l’environnement du laboratoire, la structure juridique de l'établissement d'accueil, etc. Autrement dit, ces universités réclament un rapport de stage, et non une publication scientifique. 

C'est d'ailleurs légitime puisque les étudiants en formation sont en formation, et qu'ils doivent apprendre. Par exemple, s'ils ont utilisé une méthode d'analyse particulière, ils doivent montrer qu'ils ont appris à utiliser cette méthode, et non donner des résultats comme dans une publication scientifique, car il se pourrait très bien que ces résultats aient été obtenus par d'autres. 

D'autre part, même les thèses de science sont en réalité (notamment) la possibilité d'accéder à l'enseignement supérieur, c'est-à-dire d'occuper une position d'enseignant, personnes capables de faire accéder d'autres individus à des connaissances qu'ils n'ont initialement pas. 

A cette fin, il faut être clair, de sorte qu'il n'est pas inutile de répéter la règle absolue : « la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public », comme le disait le physicien François Arago. 

Avant de revenir à cette notion, balayons une incertitude : on pourrait se demander, quand même, si l'on doit produire un rapport de stage qui explique très clairement ce que l'on a fait, ou bien si l'on doit jouer au jeu de la publication scientifique, c'est-à-dire montrer que l'on a appris à jouer à ce jeu là. Faut-il faire l'un ou faut-il faire l'autre ? 

La question me rappelle mes enfants qui me demandaient si je préférais les framboises aux cassis, et à qui je répondais que je voulais les deux. Dans le doute, il n'est pas impossible à un étudiant travailleur de produire deux rapports, l'un de stage, et l'autre qui montre qu'il maîtrise le jeu de la publication scientifique, de la science, et l'autre où il montre où il est capable de clarté. 

A la réflexion, puisque le stage est une période de formation, l'étudiant a du être en position d'apprendre et non de produire. De sorte que l'option qui consiste à bien expliquer clairement ce qu'on a appris dans le stage est quantitativement préférable à la première, parce qu'elle permet de montrer plus de variété dans les apprentissages. 

Revenons donc à la question de cette clarté qui est la politesse de ceux qui s'expriment en public. La clarté, c'est aussi la possibilité de montrer à autrui que ce que l'on dit est juste, évident, et, a contrario, l'obscurité est souvent une façon prétentieuse ou malhonnête de laisser penser qu'on est savant... alors que nous sommes tous de grands ignorants. Il a été dit « un philosophe que je ne comprends pas est un menteur ». Sans aller jusqu'à cette extrémité, on doit reconnaître qu'un discours qui m'arrive peu clair est peu clair, et que, du point de vue de la communication (qui est en jeu dans la production d'un rapport), il s'apparente à un argument d'autorité, au lieu d'être la transmission d'un message que je comprends. De sorte que, finalement, la production d'un rapport obscur est un mauvais choix. 

La clarté, ce n'est pas quelque chose de facile, car il y a des obscurités de bien des types. Par exemple, l'abstraction est une figure qui conduit à l’obscurité. Si je dis « je me mets à genoux », c'est plus clair que si je dis « Je me mets sur la binarité de mes rotules ». Une des grandes difficultés de la littérature est d'être capable de dire « il pleut » pour dire « il pleut » ; au delà, c'est du grand art. 

La clarté, c'est aussi la capacité de ne pas perdre nos amis dans un enchaînement de phrases. Il faut qu'il y ait une logique et il faut que cette logique soit perceptible. Si je traîne des amis derrière moi, dans une forêt, en les faisant tourner à droite, à gauche, à droite, ils seront déboussolés. En revanche, si je leur explique les raisons de ce cheminement compliqué (flaques d'eau, vipère, trou...), alors ils accepteront de me suivre sur ce chemin tortueux, et ils seront reconnaissant que je les guide. Cela dit, assurons-nous que le chemin tortueux s'impose vraiment ! 

La clarté, c'est donc bien des choses, mais d'est notamment un enchaînement logique, explicite, aussi simple que possible, des structures grammaticales élémentaires (sujet, verbe, complément), et bien d'autres choses encore. Il ne s'agit pas ici de littérature, de cet art qui consiste parfois à éclairer l'esprit d'un mot bien choisi, d'une structure de pensée originale, d'un contenu insolite. Non, il s'agit seulement d'une explicitation de savoirs acquis pendant le stage. C'est de la technique, et l'on ne saurait trop répéter que quelqu'un qui sait ou qui sait faire, c'est quelqu'un qui a respectivement appris, ou qui a appris à faire. Apprendre, ce n'est pas seulement découvrir une notion nouvelle, mais aussi retenir. Savoir faire, c'est avoir beaucoup travaillé pour avoir transformé une connaissance en une compétence. 

Ce travail ne se résume pas un vague claquement de doigts, et le grand mathématicien Euclide avait bien raison de dire qu'il n'y a pas de voie royale : nous sommes tous égaux devant la transpiration qui nous est promise lors de l'acquisition des compétences. Il faut du temps, du soin, de l'intelligence... mais, à l'issue du long chemin qui nous attend lors de la préparation d'un rapport de stage, il y a le plaisir inouï d'avoir bien fait. Décidément, il est vrai que tut ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait, car il est fait que l'ennui ne découle pas de l'uniformité mais de la désinvolture. Faire trop vite, faire mal : aucun intérêt, car les évaluateurs sont rarement dupes, et, surtout, nous ne pourrons avoir la fierté d'avoir bien fait, même si nous avons beaucoup de mauvaise foi. 

 

Allons, terminons sur une note positive : la morale de cette affaire, c'est que la règle absolue dégagée de l'analyse d'un rapport médiocre est la suivante : il faut viser la clarté. En corollaire, il y a beaucoup de leçons à tirer. Un texte broussailleux peut être élague ; un texte sombre peut être éclairci ; un texte heurté peut être lissé ; les aspérités de notre discours, ces morceaux du rapport qui nous heurtent légèrement quand nous lisons, peuvent être aplanies les unes après les autres. 

Évidemment l'exercice n'est pas facile, car nous devons, lors de l'écriture du rapport, oublier de ce que nous savons, et penser à ceux qui ne savent pas. Je propose la notion d'ignorant étalon. L'ignorant étalon, c'est moi à qui tu parles, et qui ne sait rien de la chimie, de la physique, de la biologie. Attention : je ne suis pas bête, et tu n'as aucune raison d'être supérieur. Toi qui me parles, tu sait peut-être faire de la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, tu sais peut-être étudier des équations aux dérivées partielles, mais tu ne sais pas faire du vin, manier le ciseau à bois... 

Oublie donc ta supériorité ; pense à moi comme à un ignorant de ton domaine, qui a pourtant des capacités différentes des tiennes, supérieures aux tiennes dans des domaines que tu ignores. Rends moi intelligent, en me donnant des explicitons éclairantes, très bien choisies, ciselées, afin que j'ai, grâce à toi, le bonheur de découvrir ce que tu as toi-même appris. 

Derrière « La clarté, c'est la politesse de ceux qui s'expriment en public », il y a la question du partage, du partage des connaissances. Ton rapport n'est pas une sorte de document que tu dois rendre de façon obligatoire, mais plutôt un objet que tu vas partager avec une collectivité. Tu vas donner à des amis que tu ne connais pas le bonheur de comprendre, d'apprendre. 

 

Ca vaut la peine d'y passer du temps, non ?

Pourquoi certains prétendent-ils expliquer ce qu'ils ne connaissent/comprennent/savent pas ?

 

C'est amusant : l'an passé il y a eu au moins quatre professionnels des métiers de bouche qui m'ont contacté pour que je réponde aux mille questions... auxquelles ils devaient répondre à leurs collègues, dans des conférences, formations, masterclass... Mais si ces personnes ne savent pas répondre, pourquoi veulent-elles expliquer ? Et pourquoi les institutions ne sollicitent-elles pas plutôt les personnes compétentes ?

Bien sûr, je donne périodiquement des informations dans mon blog mais je m'étonne quand même que des gens qui n'ont pas la compétence nécessaire acceptent d'être en position de donner des explications qu'ils n'ont pas !

D'ailleurs, en lisant leurs questions, on perçoit bien qu'ils ne maîtrisent pas les bases de ces explications, et, déjà, il faudrait des heures de formation pour les mettre en capacité d'expliquer aux autres.
Cela me rappelle une conférence que j'avais faite il y a plusieurs années et où les organisateurs avaient insisté pour que la présidente d'une association professionnelle que je ne veux pas nommer (mais qui a qui intervient dans le monde de l'aliment) fasse une présentation à mes côtés.
Pour ce qui me concerne, je voulais expliquer  à des cuisiniers ce qu'est un triglycéride, et j'avais donc apporté des petites billes en plastique, pour représenter les atomes :  billes noires pour les atomes de carbone, rouge pour les atomes d'oxygène et blanches pour les atomes d'hydrogène. Avant la conférence, il fallait que je les assemble en quelques molécules de triglycérides, certaines avec des résidus d'acides gras insaturés et d'autres avec des résidus gras saturé. Mais les organisateurs m'avaient appelé pour régler des problèmes techniques, de sorte que, pris par le temps,  je demandais un peu d'aide à cette présidente qui devait intervenir précisément sur le thème des graisses.
Je lui remettais donc les modèles de plastique, et j'allais dans la salle de conférence, mais quand je revins, je vis que rien n'avait été fait. Je  demandais pourquoi : elle m'avoua qu'elle ne savait pas faire ces montages. Oui, cette personne qui allait faire une conférence sur les graisses dans les aliments ignorait la structure moléculaire des triglycérides, qui sont les molécules qui forment la quasi totalité des graisses alimentaires !
D'ailleurs, cette présidente confondait tout : elle était notamment de ceux qui croient que les graisses contiennent des acides gras... alors que, fort heureusement, les graisses alimentaires ne contiennent que très peu d'acides gras.

Disons les choses simplement :
- les graisses alimentaires sont majoritairement composées de molécules de triglycérides
- les molécules de triglycérides sont faites d'atomes, comme toutes les molécules, et ces atomes forment comme des pieuvre à trois tentacules
- la "tête" est faite d'atomes organisés un peu comme dans les molécules de glycérol, et c'est pourquoi on parle d'un "résidu de glycérol"
- les trois "tentacules" sont faites d'atomes organisés un peu comme dans les molécules d'acides gras, et c'est pourquoi on parle de trois "résidus d'acide gras".
Une molécule de triglycérides, disons-le clairement, c'est un résidu de glycérol lié à trois résidus d'acides gras, et tout autre formulation est fautive.

J'insiste encore un peu car j'ai rencontré des professeurs d'université qui font la faute terminologique de dire qu'il y aurait du glycérol  et des acides gras dans les graisses... mais j'en viens maintenant à douter qu'ils comprennent vraiment ce dont ils parlent.

Je ne vois aucune  justification valable à leurs abuse de langage. Or pensons qu'ils enseignent à l'université !