lundi 11 septembre 2023

Le sucre dans une pâte à foncer

 Le sucre dans une pâte ? Une pâte à foncer est composée principalement de farine et de beurre, avec éventuellement de l'eau. Que peut faire le sucre à une telle pâte ?
Je discute la question dans "Mon histoire de cuisine" : 



Commençons par observer qu'il y a une différence essentielle entre une pâte où l'on travaille la farine avec un peu d'eau avant d'ajouter le beurre, et une pâte où l'on mélange la farine et le beurre avant d'ajouter de l'eau.
En effet, la farine est faite de petits grains d'amidon et de protéines, dont certaines -qui sont nommés gliadines et gluténines- peuvent se lier à l'eau pour former un réseau :  pensons à un filet, à un échafaudage, qui est nommé le gluten.
D'ailleurs, on peut voir ce filet de gluten avec l'expérience qui consiste à malaxer de la farine avec de l'eau pour faire une boule de pâte bien dure, puis à malaxer très doucement cette boule de pâte dans un grand récipient plein d'eau : on voit sortir des grains blancs c'est-à-dire l'amidon, et il reste entre les mains une sorte de filet visqueux et élastique, plus jaune,  qui est ce qu'on nomme le gluten. Cette matière a été découverte par  le chimiste italien Jacopo Beccari en 1742, et l'expérience d'extraction du gluten que je viens de décrire a été trouvée par le chimiste alsacien Johannes Kesselmeyer quelques années plus tard, comme je l'établis rigoureusement ici :
Hervé This. Who discovered the gluten and who discovered its production by lixiviation?. Notes Académiques de l’Académie d’agriculture de France, 2018, 3, pp.1-11.

Mais revenons à la question : pourquoi cette différence entre une pâte faite de farine et d'eau, puis de beurre,  et cette pâte faite de farine et de beurre, puis d'eau ?
Parce que, quand on malaxe la farine avec de l'eau, comme dit précédemment, on forme ce réseau de gluten qui emprisonne les grains d'amidon ; ensuite, si l'on ajoute le beurre, ce dernier se disperse dans la structure déjà constituée. En revanche, si l'on mélange la farine et le beurre, surtout si la proportion de beurre est notable, alors on disperse la farine dans le beurre, ce dernier faisant comme une sorte de ciment ; ensuite, quand on ajoute de l'eau, on parvient plus difficilement à l'introduire pour former le réseau de gluten ; d'ailleurs, généralement, quand on ne travaille pas trop la pâte, on peut ajouter moins d'eau que dans le premier cas.
Ensuite, à la cuisson, la première des pâtes sera ferme, cassante, tandis que la seconde sera friable, le ciment de beurre n'étant guère résistant.

Et le sucre, dans toute cette affaire ? Pour comprendre son effet , il faut commencer par faire l'expérience de l'effet sucre. Pour cette expérience, on commence par faire une boule de pâte avec de la farine et de l'eau, on la malaxe bien pour qu'elle soit bien dure, et on la divise en deux pour garder une partie qui servira de témoin, de comparaison. Pour l'autre moitié, on ajoute du sucre, et l'on malaxe encore ;  après un temps plus ou moins long (de l'ordre de quelques dizaines de secondes selon le type de sucre), la pâte s'effondre, coule.

Ce qui s'est passé, c'est que le sucre a capté l'eau qui faisait les liaisons entre les protéines et les liait en un réseau de gluten. Les protéines détachées viennent se dissoudre dans l'eau, avec le sucre, et l'on obtient alors une "suspension", avec les grains d'amidon dispersés dans le sirop. Or on sait bien qu'un sirop coule, même s'il contient des particules en suspension.
D'ailleurs, l'expérience est beaucoup plus rapide avec du sucre glace qu'avec du sucre cristallisé un peu grossièrement parce que le sucre glace se dissout beaucoup plus vite dans l'eau, capte beaucoup plus vite l'eau  du réseau de gluten, dissocie bien plus rapidement ce dernier.

Bref, les pâtes sucrées, surtout quand elles ont été un peu travaillées avec le sucre, sont beaucoup plus friables que les pâtes non sucrées.

Et je renvoie sur un  séminaire de gastronomie moléculaire, en octobre 2022, lors duquel nous avons exploré cet effet de sucre, cherchant notamment à partir de quelle quantité il se produisait : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/resultats-des-seminaires.

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