lundi 11 septembre 2023

La question des rapports de stage

Commençons par une analyse méthodologique. 

 

S'il est vrai qu'il est souvent facile de voir la paille dans l'oeil du voisin, de critiquer ce qu'on n'a pas produit soi même, il y a aussi le fait que le nombre des erreurs est quasi infini et qu'il n'est pas sûr que méthode qui consiste à apprendre « en creux » soit la meilleure. 

Autrement dit, partir d'un rapport de stage particulier et le critiquer ne peut permettre que d'identifier quelques erreurs, et cette méthode ne permet pas de dégager les règles utiles à la constitution d'un bon rapport. 

Pourtant, il y a une stratégie intermédiaire, qui consiste à ne relever dans un rapport médiocre que les erreurs les plus graves, afin de donner quelques règles seulement, sans submerger nos amis qui devront faire mieux. 

Dans le rapport que nous venons d'examiner, il y avait d'abord une confusion, puisque la question de la stratégie n'avait pas été posée, avant celle de la tactique : le rapport était-il un rapport de stage ou un compte rendu d'expériences ? 

Souvent, quand les étudiants font des stages dans des laboratoires de recherche scientifique, ils apprennent la pratique scientifique. De ce fait, ils peuvent être tentés de jouer au jeu scientifique en produisant en conséquence un rapport qui s'apparente à une publication scientifique... mais est-ce ce que leur université leur demande ? Cela n'est pas sûr, et, d'ailleurs de nombreuses institutions réclament aux étudiants des parties de contexte, qui décrivent l’environnement du laboratoire, la structure juridique de l'établissement d'accueil, etc. Autrement dit, ces universités réclament un rapport de stage, et non une publication scientifique. 

C'est d'ailleurs légitime puisque les étudiants en formation sont en formation, et qu'ils doivent apprendre. Par exemple, s'ils ont utilisé une méthode d'analyse particulière, ils doivent montrer qu'ils ont appris à utiliser cette méthode, et non donner des résultats comme dans une publication scientifique, car il se pourrait très bien que ces résultats aient été obtenus par d'autres. 

D'autre part, même les thèses de science sont en réalité (notamment) la possibilité d'accéder à l'enseignement supérieur, c'est-à-dire d'occuper une position d'enseignant, personnes capables de faire accéder d'autres individus à des connaissances qu'ils n'ont initialement pas. 

A cette fin, il faut être clair, de sorte qu'il n'est pas inutile de répéter la règle absolue : « la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public », comme le disait le physicien François Arago. 

Avant de revenir à cette notion, balayons une incertitude : on pourrait se demander, quand même, si l'on doit produire un rapport de stage qui explique très clairement ce que l'on a fait, ou bien si l'on doit jouer au jeu de la publication scientifique, c'est-à-dire montrer que l'on a appris à jouer à ce jeu là. Faut-il faire l'un ou faut-il faire l'autre ? 

La question me rappelle mes enfants qui me demandaient si je préférais les framboises aux cassis, et à qui je répondais que je voulais les deux. Dans le doute, il n'est pas impossible à un étudiant travailleur de produire deux rapports, l'un de stage, et l'autre qui montre qu'il maîtrise le jeu de la publication scientifique, de la science, et l'autre où il montre où il est capable de clarté. 

A la réflexion, puisque le stage est une période de formation, l'étudiant a du être en position d'apprendre et non de produire. De sorte que l'option qui consiste à bien expliquer clairement ce qu'on a appris dans le stage est quantitativement préférable à la première, parce qu'elle permet de montrer plus de variété dans les apprentissages. 

Revenons donc à la question de cette clarté qui est la politesse de ceux qui s'expriment en public. La clarté, c'est aussi la possibilité de montrer à autrui que ce que l'on dit est juste, évident, et, a contrario, l'obscurité est souvent une façon prétentieuse ou malhonnête de laisser penser qu'on est savant... alors que nous sommes tous de grands ignorants. Il a été dit « un philosophe que je ne comprends pas est un menteur ». Sans aller jusqu'à cette extrémité, on doit reconnaître qu'un discours qui m'arrive peu clair est peu clair, et que, du point de vue de la communication (qui est en jeu dans la production d'un rapport), il s'apparente à un argument d'autorité, au lieu d'être la transmission d'un message que je comprends. De sorte que, finalement, la production d'un rapport obscur est un mauvais choix. 

La clarté, ce n'est pas quelque chose de facile, car il y a des obscurités de bien des types. Par exemple, l'abstraction est une figure qui conduit à l’obscurité. Si je dis « je me mets à genoux », c'est plus clair que si je dis « Je me mets sur la binarité de mes rotules ». Une des grandes difficultés de la littérature est d'être capable de dire « il pleut » pour dire « il pleut » ; au delà, c'est du grand art. 

La clarté, c'est aussi la capacité de ne pas perdre nos amis dans un enchaînement de phrases. Il faut qu'il y ait une logique et il faut que cette logique soit perceptible. Si je traîne des amis derrière moi, dans une forêt, en les faisant tourner à droite, à gauche, à droite, ils seront déboussolés. En revanche, si je leur explique les raisons de ce cheminement compliqué (flaques d'eau, vipère, trou...), alors ils accepteront de me suivre sur ce chemin tortueux, et ils seront reconnaissant que je les guide. Cela dit, assurons-nous que le chemin tortueux s'impose vraiment ! 

La clarté, c'est donc bien des choses, mais d'est notamment un enchaînement logique, explicite, aussi simple que possible, des structures grammaticales élémentaires (sujet, verbe, complément), et bien d'autres choses encore. Il ne s'agit pas ici de littérature, de cet art qui consiste parfois à éclairer l'esprit d'un mot bien choisi, d'une structure de pensée originale, d'un contenu insolite. Non, il s'agit seulement d'une explicitation de savoirs acquis pendant le stage. C'est de la technique, et l'on ne saurait trop répéter que quelqu'un qui sait ou qui sait faire, c'est quelqu'un qui a respectivement appris, ou qui a appris à faire. Apprendre, ce n'est pas seulement découvrir une notion nouvelle, mais aussi retenir. Savoir faire, c'est avoir beaucoup travaillé pour avoir transformé une connaissance en une compétence. 

Ce travail ne se résume pas un vague claquement de doigts, et le grand mathématicien Euclide avait bien raison de dire qu'il n'y a pas de voie royale : nous sommes tous égaux devant la transpiration qui nous est promise lors de l'acquisition des compétences. Il faut du temps, du soin, de l'intelligence... mais, à l'issue du long chemin qui nous attend lors de la préparation d'un rapport de stage, il y a le plaisir inouï d'avoir bien fait. Décidément, il est vrai que tut ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait, car il est fait que l'ennui ne découle pas de l'uniformité mais de la désinvolture. Faire trop vite, faire mal : aucun intérêt, car les évaluateurs sont rarement dupes, et, surtout, nous ne pourrons avoir la fierté d'avoir bien fait, même si nous avons beaucoup de mauvaise foi. 

 

Allons, terminons sur une note positive : la morale de cette affaire, c'est que la règle absolue dégagée de l'analyse d'un rapport médiocre est la suivante : il faut viser la clarté. En corollaire, il y a beaucoup de leçons à tirer. Un texte broussailleux peut être élague ; un texte sombre peut être éclairci ; un texte heurté peut être lissé ; les aspérités de notre discours, ces morceaux du rapport qui nous heurtent légèrement quand nous lisons, peuvent être aplanies les unes après les autres. 

Évidemment l'exercice n'est pas facile, car nous devons, lors de l'écriture du rapport, oublier de ce que nous savons, et penser à ceux qui ne savent pas. Je propose la notion d'ignorant étalon. L'ignorant étalon, c'est moi à qui tu parles, et qui ne sait rien de la chimie, de la physique, de la biologie. Attention : je ne suis pas bête, et tu n'as aucune raison d'être supérieur. Toi qui me parles, tu sait peut-être faire de la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, tu sais peut-être étudier des équations aux dérivées partielles, mais tu ne sais pas faire du vin, manier le ciseau à bois... 

Oublie donc ta supériorité ; pense à moi comme à un ignorant de ton domaine, qui a pourtant des capacités différentes des tiennes, supérieures aux tiennes dans des domaines que tu ignores. Rends moi intelligent, en me donnant des explicitons éclairantes, très bien choisies, ciselées, afin que j'ai, grâce à toi, le bonheur de découvrir ce que tu as toi-même appris. 

Derrière « La clarté, c'est la politesse de ceux qui s'expriment en public », il y a la question du partage, du partage des connaissances. Ton rapport n'est pas une sorte de document que tu dois rendre de façon obligatoire, mais plutôt un objet que tu vas partager avec une collectivité. Tu vas donner à des amis que tu ne connais pas le bonheur de comprendre, d'apprendre. 

 

Ca vaut la peine d'y passer du temps, non ?

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