La question de la brevetabilité des recettes de cuisine est fréquemment posée. On connaît plus d'un cuisinier qui n'est pas remis de ce qu'on lui a « pris » sa recette, et il est vrai que, en cuisine, le droit d'auteur est mal reconnu.
Toutefois, il faut bien reconnaître que, si la structure physico-chimique d'une préparation est reproduite, le goût est tout ! Or cela n'est pas copiable.
La crème anglaise est un bon exemple, pour analyser l'affaire.
Il est bon de savoir que, il y a environ un siècle, une crème anglaise se préparait avec du lait où l'on avait infusé une gousse de vanille, et 16 jaunes d'oeufs par litre de lait (plus 500 grammes de sucre).
Aujourd'hui, les crèmes anglaises n'ont plus que 8 jaunes au litre. Est-ce la même préparation ? J'insiste, avec des preuves de ce que j'avance. Voici pour commencer la recette de crème à l'anglaise donnée par le Guide culinaire (Philéas Gilbert, Emile Fetu, Auguste Escoffier) :
« Proportions : 500 grammes de sucre en poudre, 16 jaunes d'oeufs, un litre de lait bouilli, parfum à volonté, soit vanille ou zestes qui sont infusés dans le lait, ou un demi-décilitre de liqueur qui est ajoutée dans la crème, quand celle-ci est refroidie. « Procédé : Travailler dans une casserole sucre et jaunes d'oeufs jusqu'à ce que la composition fasse le ruban ; mouiller petit à petit avec le lait, infusé ou non ; prendre la crème sur le feu jusqu'au moment où, la cuisson des jaunes étant complète, elle nappe bien la spatule. Eviter l'ébullition, qui amènerait la décomposition de la crème. Aussitôt prête, la passer au chinois fin ou au linge, soit dans un bain marie si elle doit être conservée chaude, soit dans une terrine si elle doit être employée froide. Dans ce cas, la vanner jusqu'à complet refroidissement. Nota : On peut ajouter à la composition de sucre et de jaunes une petite cuilleréée d'arrow-root. Outre que cette addition permet d'obtenir une liaison plus absolue de la crème, elle prévient sa déccomposition au cas où l'ébullition viendrait à se produire. »
En revanche, des sites populaires modernes préconisent 6 jaunes au litre. Six jaunes au lieu de 16 ! Quand on sait le goût du jaune d'oeuf, on hallucine. Cette recette moderne n'est pas une crème anglaise, mais personne ne s'en fait, et même la profession justifie le détournement en proposant d'adapter la cuisine à l'époque, qui, certes, fait moins d'exercice physique qu'il y a un siècle.
Pour autant, la question est posée : puisque ce n'est pas la même recette, est-il vraiment « loyal », honnête, de donner le même nom ? Je ne le crois pas : c'est une tromperie de la clientèle, et le monde culinaire, si rapide à dénoncer la déloyauté de l'industrie (que je ne défends pas), devrait faire le ménage devant sa porte. Bref, nous sommes bien humains...
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