lundi 12 mars 2018

Croquettes d'huile parfumée

Notre cerveau est notamment une machine à reconnaître les proies, les prédateurs, les partenaires sexuels... Et, plus en détail, nos sens reconnaissent les contrastes. Par exemple, les neurones du cerveau, dans la partie qui traite l'information visuelle, repèrent les directions des discontinuités. Si l'on regardait un fond tout uni, on ne verrait rien, mais nous dépistons les bords. C'est la même chose pour les odeurs : nous sentons l'odeur d'une pièce quand on y entre, mais nous ne sentons plus rien après quelques instants. Idem pour les couleurs, les saveurs, les bruits...

Cela semble donc un bon principe que de cuisiner du contraste, et j'interpète donc que c'est la raison pour laquelle nous aimons tant le caviar, les oeufs de saumons... ou les croquettes. Par les préparations pour animaux, mais bien les boulettes d'un matériau tendre que l'on frit, afin de lui faire une coque dure... et de ménager un contraste avec le coeur. D'ailleurs, le succès universel des frites s'explique par la vertu du contraste : à la périphérie croustillante s'oppose la molle tendreté de la pomme de terre cuite "en purée" à l'intérieur.

Bien sûr, on peut faire mieux. Par exemple, si l'on congèle une ganache (du chocolat avec de la crème), puis que l'on panne à l'anglaise (oeuf battu, mie de pain) avant de frire, on obtient la croute croustillante, et un coeur de chocolat liquide. Merveilleux ! Ou encore, Edouard Nignon évoquait les bâtons royaux, que l'on obtenait en pannant et faisant frire du beurre refroidi, avant de vider la coque croustillante et de l'emplir avec une purée de foie gras. Au fromage, également, cela peut être délicieux. Au beurre noisette...
Mais avez vous essayé à l'huile ? Partons d'une belle huile : de noix, de noisette, de pistache, d'olive... Congélons-la, puis pannons et faisons frire : nous avons alors l'huile qui vient tapisser la bouche. Bien sûr, je crois que ce sont de petits objets délicats qu'il faut faire, mais quel bonheur !




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

dimanche 11 mars 2018

Pourquoi le chocolat Chantilly et les mousses au chocolat sont-ils stables ?

Beaucoup d'étudiants qui préparent des TPE ou des TIPE s'intéressent aux mousses au chocolat. Trop, dirais-je, car comment vont-ils pouvoir établir qu'ils n'ont pas pris leurs résultats sur internet, dans des sites créés par des étudiants qui les ont précédés ? Je crois que, indépendamment du sujet et de sa complexité, c'est cela l'écueil principal qu'ils rencontrent. Et, en effet, je trouve 345 000 pages sur le thème "travaux personnels encadrés", et 32500 pages de ce groupe consacrées aux mousses au chocolat !

Mais bon, je ne peux pas faire le bien de mes interlocuteurs malgré eux. Je me contente donc de répondre ici à la question qui m'est posée ce matin :

Pourquoi le chocolat et les mousses au chocolat tiennent-ils ? Quelles sont les réactions chimiques responsables de cette stabilité ?


Commençons par analyser les systèmes qui nous intéressent.
Une mousse "au" chocolat, c'est une mousse, avec du chocolat ajouté. Par exemple, pour la mousse, on peut imaginer de la crème fouettée, de la crème chantilly (la précédente, mais sucrée), un sabayon, du blanc en neige, du blanc en neige sucré (appareil à meringue), une meringue suisse (du blanc battu et sucré en chauffant), une meringue italienne (du blanc en neige additionné d'un sirop très chaud), etc. A cette mousse, on peut donc ajouter soit du chocolat fondu, soit un mélange de chocolat, de jaune d'oeufs, de beurre.
Et il est vrai que de telles mousses peuvent être assez stables... mais elles le seraient parfois sans le chocolat !

Pour le chocolat chantilly, que j'ai inventé en 1995 (et je vois des chefs malhonnêtes se l'attribuer !), il s'agit de foisonner une émulsion de chocolat dans de l'eau. Et il est vrai que c'est stable...
Enfin, stable... Tout dépend de la température : car le chocolat solidifie aux températures inférieures à 36 degrés environ, et c'est seulement à ces températures que l'on obtient un chocolat chantilly stable : les bulles sont emprisonnées dans une matrice de chocolat qui solidifie, emprisonnant également l'eau présente.

Ce qui donne la clé de la stabilité des mousses au chocolat : là encore, le chocolat peut former un réseau solidifié, en raison de la cristallisation du chocolat.
 
Pas de modifications "chimiques", dans cette affaire ; seulement des changements de phase pour les triglycérides du chocolat ! 












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   


samedi 10 mars 2018

Le brunissement des haricots verts

Oui, les acides nuisent à la fraîche couleur des végétaux verts, parce que l'atome de magnésium qui se trouve au centre des molécules de chlorophylle (il y en a quatre sorte, plus leurs dérivés) est délogé par les atomes d’hydrogène apportés par les acides : les molécules absorbent alors différemment la lumière.

Le bicarbonate de sodium, ou d'autres composés basiques  (basique, c'est en quelque sorte le contraire d'acide ; rien  à voir avec l'amertume, par exemple), préservent la couleur en ralentissant le départ de l'atome de magnésium, par neutralisation de l'acidité.

C'est sans doute pour cette raison que l'on utilisait naguère de la lessive de cendres pour la cuisson des légumes verts : les cendres de bois, mises dans un linge et aspergées d'eau faisaient une solution contenant de la potasse, qui est une base puissante. Cuits dans cette lessive de cendres, les végétaux verts restaient bien verts… mais je ne suis pas certain d'aimer beaucoup les saveurs basiques ;-)







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  









vendredi 9 mars 2018

Questions de vitamine C

A propos de vitamine C, je reçois ce matin un message :

"J'ai l'impression que les fruits et légumes d'aujourd'hui, même issus de l’agriculture biologique, sont grandement dépourvus de vitamine C. J’ai en effet observé qu’aujourd’hui, à la découpe, la plupart des fruits et légumes ne noircissent plus. Dans le temps, je me souviens avoir souvent utilisé un jus de citron pour stopper l’oxydation et ainsi reconstituer la molécule d’acide ascorbique. Cet été, j’ai eu le bonheur de ramasser dans un verger (non traité, non traité, quasi à l'abandon, différentes variétés de fruits  et j’ai observé que ceux-ci noircissaient rapidement après découpe. J’en ai déduis qu’ils étaient riches en vitamine C puisque non manipulés (OGM, traitement etc.).
Est-il juste d’affirmer cela ? Comment puis-je en apporter la preuve scientifique ?

Je commence par la fin : la science n'apporte pas de "preuve", puisque cela n'est pas son objectif. Elle se limite à établir des faits, en vue de produire des théories qui sont sans cesse affinées.
Une mesure de la teneur en vitamine C ne serait donc pas une "preuve scientifique", mais une simple preuve...

... en supposant que ce soit vraiment une preuve. En effet, imaginons que l'on prenne un échantillons de fruits, bio ou pas, où l'on doserait la vitamine C : on n'aurait de supériorité éventuelle que sur un échantillon, et pas sur tous les fruits. Bref, on n'aurait qu'une indication probable... à  condition d'avoir travaillé rigoureusement, d'avoir comparé des variétés identiques, cultivées de la même façon à l'exclusion du traitement, dans le même verger, etc. Dès qu'il y a des statistiques, il n'y a pas de preuve, mais des indications plus ou moins probables.

Mais arrivons maintenant à l'observation de notre correspondant. Je commence par quelques données :
1. quand on coupe un végétal, cela libère des polyphénols et des  enzymes polyphénoloxydases
2. ensemble, sans vitamine C, enzymes et polyphénols réagissent pour faire du brun
3. la vitamine C, et d'autres composés, préviennent ce brunissement (d'ailleurs, orange et citrons, riches en vit C, ne brunissent pas)
4. la vitamine C qui empêche le brunissement est "consommée" par la réaction

Autrement dit, les fruits observés par notre correspondant ne contenaient pas beaucoup de vitamine C, contrairement à ce qui était dit.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

jeudi 8 mars 2018

"Les stages sont plus fatigants que les cours"

 A la réflexion, je reste choqué : un étudiant vient de me dire que les stages sont beaucoup plus fatigants que les cours.

Tiens, pourquoi donc ? Ce que je sais, c'est que, personnellement, une intense concentration me fatigue plus -même si je m'ennuie bien moins- que les "distractions", et je sais aussi que les relations humaines demandent de l'énergie... parce que j'y mets toute mon intelligence. Cela est à mettre en relation avec les études de physiologistes (désolé, je n'ai plus la référence) de la Faculté de médecine de Cochin, qui avaient montré que la fatigue intellectuelle était corrélée aux lentes dérives du rythme cardiaque, alors qu'ils étudiaient la fatigue des pilotes de ligne, dans des programmes d'ergonomie.

Pour en revenir à note jeune ami, je l'ai donc interrogé, pour savoir pourquoi il était plus fatigué en stage, et la réponse a été que (1) il se concentrait davantage et (2) il prenait à coeur le résultat des expériences qu'il faisait.
Mais cela est à prendre en creux : n'est-il pas honteux que les étudiants soient si peu engagés lors de leurs apprentissages théoriques ? si peu concentrés ou si peu "actifs") lors de leurs cours ? Plus exactement, au lieu de parler de honte, ne devons-nous pas parler de perte de temps ? D'autant que l'étudiant interrogé (intelligent, amical, confiant) reconnaissait que ce qu'il avait appris lors des années précédentes était oublié, reconnaissant aussi qu'il perdait beaucoup de temps, en cours, parce qu'il n'était pas complètement attentif, ou bien qu'il était perdu, ou s'ennuyait.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Ne devons-nous pas rapidement trouver des moyens de ne pas pérenniser cette terrible situation, qui, en réalité, ne concerne pas un seul étudiant isolé, mais beaucoup  ?   Oui, des cours bien faits (en supposant que l'on doive faire des cours) devraient être épuisants, et les études universitaires devraient sans doute être les plus actives de l'existence... Non, je me reprends : elles ne doivent être ni épuisantes ni plus actives, mais dans la continuité : les études doivent être actives et merveilleuses, fatigantes parce qu'intensives, avec des étudiants bien engagés dans le processus d'obtention des connaissances et des compétences.


Et cela permettrait d'asseoir mon idée selon laquelle les "trimestres" d'études universitaires devraient être pris en compte dans le calcul des temps de travail en vue de la retraite. Je maintiens que, après certaines journées de travail intellectuel, je suis plus fatigué qu'après des travaux physiques.




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

mercredi 7 mars 2018

De l'importance des mots en chimie

Il me semble que j'avais sept ans : je venais de recevoir une boîte de chimie pour Noël, et c'était peu après que mon père m'ai dit, me montrant une bibliothèque neuve qu'il avait fait faire dans le nouvel appartement où nous avions déménagé : "Tu vois, tu peux tout lire". Pour le sourire, il faut ajouter que la bibliothèque était surtout pleine de dictionnaires de grecs, de textes de Georges Dumézil, de livres de médecine, de livres d'art...

Mais bon, j'avais ma boite de chimie, et c'était cela le plus important. J'avais commencé par souffler dans de l'eau de chaux pour voir qu'elle se troublait, par renverser un verre sur une bougie qui avait les pieds dans l'eau et observer que le niveau de l'eau montait avant que la bougie s'éteigne...


Puis j'avais lu dans le livret (très mal fait, et plein d'erreurs, je le sais aujourd'hui) d'accompagnement du matériel que l'azote était utilisé comme engrais.

L'azote, un engrais ? Mon père avait de superbes rosiers, dans les jardinières des balcons, et je voulus favoriser leur croissance : il fallait y mettre de l'"azote".



Mais où trouver cet azote ? Bientôt, j'appris que l'ammoniaque contenait de l'azote. Et allons-y pour mettre de l'ammoniaque au pied de toutes les plantes... qui ont crevé.





On le voit : la confusion entre élément, molécule, atome, composé... est source d'erreurs, de confusion. Cette expérience n'est pas à l'origine de mon attachement pour le sens juste des mots, mais elle ne m'a pas non plus fait sortir de cette idée... qui est celle qu'Antoine Laurent de Lavoisier exprime dans l'introduction de son Traité élémentaire de chimie !

mardi 6 mars 2018

A propos de confitures

Ce matin, des questions, à propos de confiture :



Est il vrai que les pectines sont détruites à partir d une certaine température ?
Le fait d arrêter la cuisson puis de la reprendre puis de l arrêter etc permet il d épaissir la confiture mieux que de simplement poursuivre la cuisson
Bref en 1 mot comme en 100 comment cuire la confiture
2) est il vrai qu une fois mise en pot il faut abaisser la température brutalement en trempant le pot dans de l eau froide sous prétexte que la température monte dans le pot et inactive la pectine ?


Commençons par exposer les grands principes. 

La confiture, c'est un gel, que l'on obtient en cuisant des fruits avec du sucre. Parfois, on ajoute de l'eau, mais c'est inutile si l'on chauffe après avoir laissé les fruits macérer un peu dans le sucre, de sorte que de l'eau des fruits soit sortie, ce qui empêchera le sucre de caraméliser au fond de la casserole.

Le gel qui se formera quand la confiture refroidira nécessite trois conditions :
1. une quantité suffisante de sucre (entre 45 et 65 pour cent)
2. une quantité suffisante de "pectines" qui auront été extraites des fruits, lors de la cuisson
3. une acidité suffisante


Pour la première condition, ce n'est pas difficile : il suffit de savoir que les fruits sont majoritairement faits d'eau, de sorte qu'il suffit de peser.

Pour la deuxième condition, il faut expliquer que les fruits sont faits de "cellules", petits sacs vivants qui sont limités par une "paroi cellulaire", faite de molécules de cellulose (le résidu solide que l'on obtient quand on centrifuge des fruits, des légumes, la pulpe des jus d'orange...) et de molécules de pectine : que l'on imagine des fils qui se dispersent dans le liquide de la confiture, et qui, au refroidissement, iront s'assembler en une immense toile d'araignée (dans toute la configure), ce qui tiendra l'eau et les morceaux de fruit.

Pour la troisième condition, il faut savoir que le fruits sont parfois TRES acides, mais que cela n'apparaît pas en bouche, grâce au sucre. L'acidité réelle se mesure classiquement par un nombre nommé pH sur une échelle de 0 à 14 : entre 0 et 7, c'est acide, et entre 7 et 14, c'est basique. Par exemple, des framboises même mûres peuvent avoir un pH de 2 !


Ca y est, nous pouvons maintenant répondre aux questions

Les pectines sont-elles détruites lors de la cuisson ? Oui, en même temps que les pectines sont extraites des fruits, elles sont progressivement dégradées : il y a donc un bon équilibre à obtenir entre le temps nécessaire pour extraire les pectines, et leur dégradation, qui ne permettrait plus la prise en gel. Et c'est pour cette raison qu'il est utile de faire macérer les fruits avec le sucre avant de cuire : on prépare l'extraction.

Arrêter et reprendre la cuisson ? Bof, je ne crois pas que cela serve à quoi que ce soit. A cela prêt que l'on peut dégrader les structures, dans une précuisson, puis laisser macérer. Mais je crois vraiment que c'est du détail, par rapport aux grands principes énoncés plus haut.

Comment cuire la confiture ? En chauffant... assez longtemps. D'ailleurs, une idée : pourquoi ne pas cuire d'abord une partie des fruits, assez longtemps (par exemple 20 minutes), avant d'ajouter une autre partie des fruits et ne cuire que 5 minutes ?

Pour la mise en pots : refroidir rapidement les confitures est risqué, car un choc thermique risque de briser le verre des pots ! Quant à la température, elle ne sera pas supérieure, dans le pot, à ce qu'elle était dans la bassine. Donc laissons nos confitures tranquilles, et focalisons-nous plutôt sur des questions telles que : faut-il fermer les pots quand ils sont chauds, ou devons-nous attendre qu'ils aient refroidis ? Ou bien : faut-il fermer tout de suite et retourner les pots pour qu'ils refroidissent la tête en bas ? Ou bien encore est-il utile de mettre de la cire ? Ou un disque de papier trempé dans l'alcool ?

Réponses une autre fois.












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)