mercredi 5 août 2015

Le naturel ?

Une certaine industrie alimentaire vend de façon contestable des produits "naturels", et une certaine réglementation démagogique accepte cette entorse à la pensée.

Contestable ? Entorse ? Oui, car est "naturel", en français, ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par l'être humain. Nos aliments ne sont pas naturels, car ils ont été cuisinés. Et très peu de nos ingrédients alimentaires sont naturels, car même le sel, tiré de la mer ou des mines, a été extrait, purifié, raffiné. On ignore souvent que le sel est amendé avec de l'iode, par exemple, ou que nos fruits et légumes, qui semblent pousser tout seuls, ont en réalité été sélectionnés depuis des générations. Les arbres ont été greffés, la sélection a opéré, et nos pommes modernes n'ont plus rien des pommes sauvages, ni les carottes des carottes sauvages.
Bref, nous ne mangeons pas de produits naturels, et c'est une étrange idée que de le croire. Mais c'est un fait que même des individus qui savent lire, écrire et compter, parlent de produits naturels.
Récemment, lors de l'enregistrement d'une émission de télévision, il m'est venu qu'il est facile de montrer à nos interlocuteurs leurs contradictions. Cela s'est passé alors que je discutais avec une journaliste qui avait prononcé le mot "naturel". Naturel ? Je lui demandai d'abord si le sucre était naturel, et elle tomba dans le piège, puisqu'elle répondit que oui. Les protéines du lait ? Oui, l'acide tartrique, lequel est au fond des bouteilles de vin blanc ? Oui. L'huile ? Oui... Alors le "faux fromage" qu'elle voulait "dénoncer" était naturel, puisqu'il était fait de ces matières (j'abrège la liste et la démonstration).
Par la même technique, à peu près tous nos aliments sont naturels, sauf quand certains ingrédients ont été synthétisés, telle la vanilline des "vanilles artificielles".

Mais nous sommes bien d'accord : ce n'est pas charitable d'agir comme je le fais ! Et il n'est pas juste de dire que nos aliments sont naturels : en réalité, ils sont tous parfaitement artificiels, parce qu'ils ont été préparés. Et des cuisiniers qui parleraient d'une cuisine naturelle seraient dans l'erreur, même si le Michelin leur a donné  des étoiles !

La publicité que je fais aux actions que je crois utile est gratuite

Alors qu'une certaine  presse réactionnaire (seulement certains journalistes ; ceux qui sont honnêtes ne se lancent pas dans des attaques de ce genre) semble commencer à réagir, face à la cuisine note à note (pourquoi ? vendre du papier ? de l'idéologie ?), il me semble important de dire -parce que je suis en mesure de le faire, parce que c'est vrai- que j'ai déjà souvent annoncé publiquement que je ferai gratuitement la publicité de ceux qui permettent aux cuisiniers de se procurer des produits, en vue de cuisiner note à note.

Je l'ai annoncé, je le fais, je le ferai.
En effet, pour cette cuisine, les cuisiniers ont besoin de composés
- qui font les consistances
- qui font les couleurs
- qui font les odeurs
- qui font les sensations trigéminales
- qui font les propriétés nutritionnelles...

C'est ainsi que, pour les Concours internationaux de cuisine note à note, les "partenaires" industriels n'ont versé aucune somme ni à moi-même, ni à mon laboratoire. Ils ont seulement fourni les produits que nous avons envoyé gratuitement aux concurrents, et des prix.

Cela étant, je déplore encore de ne pas être aujourd'hui en mesure de faire la publicité -gratuite : vous voyez que j'insiste- pour des personnes ou des sociétés qui vendraient des composés odorants purs en solution (les composés purs peuvent s'aquérir, mais le monde culinaire a besoin de solution prêtes à l'emploi) : de telles sociétés n'existent pas encore, hélas.

Nous sommes bien d'accord : certains des composés que je promeus ont aujourd'hui le statut d'additifs ou d'arômes, mais on devra surtout considérer que je cherche à supprimer ces catégories : quand on n'utilise que des composés pour faire un mets, la notion d'additif s'évanouit. De même, quand on utilise des composés odorants pour faire l'odeur d'un mets, on n'utilise pas un "arôme", mot d'ailleurs employé actuellement très fautivement, puisque l'arôme est l'odeur d'un aromate (j'ai proposé que les mélanges de composés odorants à usage alimentaire soient plus justement nommés "compositions" ou "extraits").

J'entends donc quelques journalistes ou quelques individus dire que je suis "vendu" à l'industrie des arômes ou des additifs... et je suis très heureux de dire par anticipation que cela est faux : l'enjeu est si important qu'il est hors de question que je m'enrichisse personnellement dans cette aventure. Certains ont dit ou écrit, par exemple, que j'étais conseiller d'un gros groupe  d'arômes... mais ils ont menti : je n'ai aucune relation avec la société en question.

J'oeuvre gratuitement, parce que je crois que la cuisine française a tout à gagner à se lancer dans des innovations, sans perdre sa force historique, traditionnelle ; je crois que la gourmandise vaut des études de la cuisine note à note par des cuisiniers de talents ; je crois que nos successeurs doivent explorer des voies nouvelles, en vue de se nourrir, quand la population du monde aura augmenté.

Et puis, d'ailleurs, puisqu'il est question de cuisiniers, j'ajoute que j'ai également décidé de faire la publicité pour les cuisiniers-pionniers qui se lancent dans la cuisine note à note. Et cela sans aller parasiter leur restaurants, parce que... j'ai du travail au laboratoire.

Bref, c'est pour  les citoyens que j'oeuvre, d'une façon que j'espère utile. Je n'oppose pas l'innovation à la tradition, parce que je crois que nous avons besoin des deux, mais j'aimerais que la France ne soit pas en retard sur d'autres pays, comme elle l'a été pour la cuisine moléculaire, proposée pourtant en France.

Et je déplore l'obscurantisme ! Je propose à tous de se souvenir que l'on avait annoncé que les trains feraient tourner le lait des vaches, ou que le plus lourd que l'air ne pourrait jamais voler. Bien sûr, la technique ne vaut que par l'usage qu'on en fait, et technique sans conscience n'est que ruine de l'âme, mais ne pourrions-nous pas, aussi, réfléchir à des usages utiles à tous : des aliments qui ne soient pas allergènes, la lutte contre le gaspillage alimentaire ou énergétique, une régularisation des cours des denrées alimentaires (des cours qui fluctuent nuisent toujours aux producteurs, en l'occurrence agriculteurs et éleveurs)...

Vive la cuisine note à note : voilà le cri de celui qui n'a rien à gagner dans l'affaire, ni argent, ni notoriété.
Ce qui me conduit à vous poser la question : dans ces conditions, pourquoi pensez-vous que je promeuve cette cuisine ?

Les sciences quantitatives

 Cela fait longtemps que je me dis que les scientifiques (ceux des sciences de la nature, qui sont bien différents de ceux des sciences de l'humain et de la société) auraient intérêt à montrer à la collectivité en quoi leur activité est différente des simples discours, avec des mots. 
Une discussion récente avec des amis cuisiniers m'a montré qu'il y avait urgence, car tout le monde confond... au point que les cuisiniers Marie Antoine Carême ou Auguste Escoffier, dont le monde culinaire gobe les déclarations, ont parlé de "cuisine scientifique", ne comprenant pas que c'était soit une évidence, soit une impossibilité.

 La cuisine est une science : c'est une évidence si le mot "science" signifie "savoir", comme l'on parle de la science du maître d'hôtel, la science du coordonnier, la science du forgeron... Oui, il faut de la connaissance pour cuisiner ! Il faut savoir que l'oeuf coagule à la chaleur, que du blanc d'oeuf forme une mousse quand il est fouetté, que les tissus végétaux brunissent quand ils sont coupés, mais que du jus de citron prévient ce brunissement, etc.
Dans cette acception de "science", la cuisine est une science, bien évidemment.

En revanche, la cuisine n'est certainement pas une science, au sens des sciences de la nature, qui sont des activités où l'équation est la base de tout, et où l'objectif n'est pas la production de mets, mais la recherche des mécanismes des phénomènes.

Un cuisinier qui apprendrait pourquoi les soufflés gonflent (le gonflement est un phénomène) serait-il scientifique ? Non, ce serait un cuisinier qui recevrait une connaissance produite par des scientifiques de la nature. On peut penser que cette connaissance ne nuit pas (j'utilise ici une figure de rhétorique qui est nommé la litote : dire moins pour faire penser plus), mais cela ne change pas les natures respectives de la cuisine (produire des mets) et des sciences de la nature (produire des connaissances fondées quantitativement ; j'y reviendrai). Deux activités qui ont des objectifs différents, et des méthodes différentes : ce sont deux activités différentes, et qui le seront à jamais, puisque leurs objectifs et méthodes n'ont pas de raison de changer.
Bref, si l'acception de "scientifique" est "scientifique de la nature", alors la "cuisine scientifique" est une impossibilité.

Cette confusion de la "cuisine scientifique", ou de la "cuisine qui deviendra une science" a donc atteint (au sens d'une maladie) les grands anciens qu'étaient Carême ou Escoffier. Ils voulaient certainement élever leur activité, mais c'est étonnant que leur aspiration ait été du côté des sciences de la nature, au lieu d'être du côté de l'art, tout comme il est étonnant que, alors que le bon est le beau  à manger, il y ait tant de nos amis qui hésitent à considérer la cuisine comme un art au même titre que la musique ou la peinture. On invoque le fait que la cuisine soit éphémère... mais la musique n'est-elle pas également éphémère ? Après tout, on ignore aujourd'hui comment Bach jouait ses partitas, parce qu'il n'y en a pas eu de reproduction, et, d'ailleurs, une reproduction ne règle rien : tant qu'on ne fait pas jouer un disque, on n'entend pas la musique  conservée sur le disque. De même, tant qu'on n'exécute pas une recette écrite dans un livre, on ne peut goûter la recette

 Mais ce n'est pas la discussion que je veux avoir ici. Ce que je veux faire, c'est montrer, sur un exemple simple, une activité scientifique, au sens des sciences de la nature. Comme dit précédemment, c'est l'étude d'une question dont on n'a pas la réponse, et non l'apprentissage des résultats obtenus par des prédécesseurs. A la base de cette activité, donc, une question dont on n'a pas la réponse.

Je propose de considérer d'abord un exemple ancien : l'exploration de la constitution des matières grasses par le chimiste angevin Michel Eugène Chevreul (1786-1889). A l'époque, on ignorait la notion de molécules, et, de ce fait, on ignorait que les matières grasses sont faites de molécules de triglycérides.
Chevreul avait étudié la saponification des graisses, c'est-à-dire l'opération qui consiste à les chauffer avec une base, ce qui produit un ion carboxylate et un alcool, en l'occurence le glycérol, ou glycérine. Une question était de savoir si les graisses sont de simples mélanges de glycérol et d'acides gras, ou bien si ce sont des produits de réaction. La réponse à cette question est venue de la mesure précise des quantités des divers produits : le bilan faisait apparaître une différence de cinq pour  cent, ce qui se comprend si de l'eau intervient dans la réaction. C'est là une forme élémentaire de méthode quantitative.

Autre exemple plus ancien : la découverte de la gravitation, par Isaac Newton. A l'époque, on pensait que les astres se mouvaient selon un cercle. Toutefois les données astronomiques de Johannes Kepler avaient montré que le mouvement était plutôt une ellipse. Pourquoi une ellipse ? Newton formule la loi de l'attraction entre les masses inversement proportionnelle au carré de la distance.
 Ici, on voit des mots, de sorte que nos amis pourraient penser que la science de la nature ne se distingue pas des autres savoirs... mais ces mots recouvrent en réalité une équation que l'on pourrait écrire : F = G.M.M'/r2.

Jamais le goût ne pourra se décrire ainsi,  si l'on considère que le goût est la sensation -personnelle- que nous avons quand nous mangeons un aliment, goût qui change avec les circonstances, l'état physiologique (par exemple, le phénomène d'alliesthésie négative correspond au fait que notre appétit pour un met diminue avec sa consommation), la compagnie, l'heure de la journée, l'exercice que l'on a pris ou pas... Et puis, la beauté (je rappelle que le bon, c'est le beau à manger)  ne se met pas en équation, et que c'est un fantasme naïf que d'avoir cru que le nombre d'or ferait de belles proportions.

Pour en revenir à Newton, scrupuleux, et conscient que les sciences de la nature produisent des théories qu'il faut tester expérimentalement, il chercha à savoir si l'attraction exercée par la Terre sur la Lune correspondait quantitativement à la loi qu'il avait proposée, et si l'on pouvait identifier cette attraction à la pesanteur terrestre. Sachant que le rayon de l'orbite lunaire est égal à environ 60 rayons terrestres, la force qui maintient la Lune sur son orbite devait être  60², soit 3600 fois plus faible que la pesanteur. Une masse tombant en chute libre au voisinage de la surface terrestre parcourt dans la première seconde une distance de 15 pieds, ou 180 pouces, de sorte que la Lune devait donc tomber vers la Terre à raison d'un vingtième de pouce par seconde. Or, connaissant la période de révolution de la Lune et la dimension de son orbite, on peut calculer sa vitesse de chute. Avec la valeur acceptée en Angleterre en ce temps, Newton trouva seulement un vingt-troisième de pouce par seconde.

Un vingt-troisième de pouce alors qu'il avait calculé un vingtième de pouce ? Cela suffisait pour qu'il renonce à sa théorie juqu'à ce que, en 1682,  au cours d'une réunion de la Royal Society, il apprenne  que l'astronome français Jean-Félix Picard avait déterminé le rayon terrestre et trouvé une valeur différente de celle que l'on connaissait auparavant. Avec la valeur que Picard donnait pour le rayon de la Terre, Newton calcula que la vitesse de chute de la Lune était bien un vingtième de pouce par seconde, valeur qui lui permettait de proposer sa théorie.

 Moralité de toute cette affaire : ces travaux scientifiques ne valent que par le calcul, les équations, et c'est d'ailleurs une idée qui a présidé à la fondation des sciences modernes de la nature, que "le monde est écrit en langage mathématique", comme le disait Galilée. Autrement dit, les scientifiques de la nature explorent les mathématiques du monde. Rien à  voir avec la cuisine.

lundi 3 août 2015

C'est très encourageant !

En octobre dernier, la Royal Society of Chemistry a lancé une enquête pour comprendre l’attitude du public d’outre-Manche envers la chimie, les chimistes et les produits chimiques.

Les premiers résultats viennent d’être publiés :
 75% des personnes interrogées ne pensent pas que tous les produits chimiques soient dangereux et nuisibles,
70% sont d’accord pour dire que toute substance, y compris l’eau et l’oxygène, peuvent être toxiques à une certaine dose,
 60% affirment aussi que tout est fait de produits chimiques.

 Vive la Connaissance !

vendredi 31 juillet 2015

Que faire devant la malhonnêteté ?

 Certains de mes billets posent  des questions auxquelles je réponds, mais d'autres  posent des questions auxquelles j'invite mes amis à m'aider à répondre. Celui-ci est de ce second type.

 Au départ, il y a une annonce, un "communiqué de presse", par l'université Purdue, qui stipule que "la recherche confirme que le gras est la sixième saveur".
 Jusque là, rien de particulier... sauf qu'un peu de bibliographie montre bien que cette perception (réservons le mot "saveur" pour plus tard) des acides gras insaturés à longue chaîne n'est pas neuve : elle fut découverte il y a une quinzaine d'années par une équipe de physiologistes de Dijon (Bénard et al.), et j'ai dans mon ordinateurs des dizaines d'articles scientifiques qui l'attestent !
D'où la question  : que faire, face à un tel communiqué de presse ? Pouvons-nous laisser croire à nos amis qu'il y a là une grande nouveauté ? Devons-nous laisser la malhonnêteté impunie ? Devons-nous passer l'éponge, en nous disant qu'un clou chasse l'autre, et qu'une "nouvelle" viendra s'ajouter à cette vieille lune, laquelle sera oubliée demain ? Ecrire à la chercheuse à l'origine de la publication ? Ce n'est pas elle qui est fautive, mais plutôt le service de communication de l'université Purdue : on sait que les institutions reçoivent des fonds en proportion de leur activité, notamment de la couverture médiatique qu'elles reçoivent, mais faut-il aller jusqu'à la tromperie ?
 Je suis preneur de vos conseils.


Pour en revenir à cette "perception des acides gras insaturés à longue chaîne", vous observez que  je n'écris pas "goût du  gras", ni même "saveur du gras" (comme le fait ce communiqué de presse fautif), parce que, s'il a été effectivement montré que nous sommes sensibles à la matière grasse, ce n'est pas elle-même qui a "du goût".
En effet, la matière grasse est faite essentiellement de molécules de triglycérides, lesquelles sont composés d'un résidus de glycérol et de trois résidus d'acides gras. Lorsque nous mangeons un produit qui contient de telles molécules, des enzymes des papilles sapictives détachent des acides gras, et il est exact que certains de ces acides gras peuvent se lier à des récepteurs des papilles, et donner une sensation.
Cela étant, la question est surtout de savoir nommer cette perception. Ce n'est peut-être pas une saveur, contrairement à ce que le communiqué de presse dit, et c'est la raison pour laquelle, il y a plusieurs années, j'avais proposé le terme de "lipaction" pour la modalité de perception de ces acides gras.

A propos de la cerise

On me signale un article sur le goût de cerise dans les yaourts, où il est fait état de "haters" de ces yaourts. Les pauvres chéris : ils n'aiment pas les yaourts à la cerise vendus par l'industrie alimentaire !
A l'heure où des guerres font rage en Syrie, par exemple, je suis bien convaincu que les sujets (les yaourts à la cerise) de ce genre sont  essentiels  :  on comprend que je me moque (voyez, avez l'âge, je commence à me méfier de mon humour qui échappe parfois).

 Bref, je vous passe les mille façons de faire du papier sans avoir aucune information, mais je m'arrête à ce paragraphe merveilleux :
"Le parfum artificiel de cerise se compose donc des molécules synthétiques (donc à la stéréochimie inversée) suivantes : acétate d’éthyle, acéthylméthylcarbinol..."
 Pourquoi s'arrêter sur  ce texte ? Pas parce que le mot "acétyl" (observez : pas de h) a été mal orthographié, ce qui prouve que l'article est bâclé, mais surtout pour la première phrase :
1. les molécules des parfums artificiels seraient synthétiques
2. les molécules synthétiques auraient une stéréochimie inversée.
C'est cela que je me propose d'expliquer.


Tout d'abord, je crois juste le fait d'écrire "parfums artificiels", parce que, je l'ai dit souvent, il ne s'agit pas d'un arôme, le mot "arôme" désignant en français l'odeur d'une plante aromatique, ce que  n'est pas la cerise (qui est un fruit).

D'autre part, l'article dit  que les parfums artificiels de cerise  seraient fait de molécules synthétiques : cela est faux. Oui, l'industrie des parfums utilise parfois des molécules synthétisées, mais, souvent, il est bien plus facile d'extraire ces molécules de produits naturels, tout comme l'on extrait le sucre (pur à 99,9 pour cent) de la betterave. Par exemple, le limonène (disons plutôt "les limonènes", par anticipation du point que j'explique plus loin, à propos de stéréochimie) est extrait par pressage de peau d'agrumes, et purifié, de sorte qu'il n'est pas synthétisé (ou synthétique), mais d'origine naturelle.
De toute façon, que les molécules soient synthétisées ou extraites, elles sont identiques... si elles sont identiques. On ne répètera jamais assez que de l'eau de synthèse (on fait réagir deux gaz -le dihydrogène et le dioxygène) est exactement pareille que de l'eau de pluie, et cela vaut pour tous les composés, de la vanilline à l'heptanoate d'éthyle.

Enfin, il y a cette question de la "stéréochimie", un mot que je sais ignoré des lecteurs de l'article en question... et sans doute aussi du journaliste qui a écrit cet article.
De quoi  s'agit-il ?
Tout d'abord, cela n'est pas juste d'écrire que deux molécules puissent être de "stéréochimie inversée"... car la stéréochimie est une partie de la chimie, activité technique qui vise à produire des composés ; il n'est pas question d'une activité technique "inversée", pas plus qu'on ne pourrait parler de "cuisine inversée".
La stéréochimie est donc l'activité qui s'intéresse non seulement aux atomes qui composent les molécules, mais, aussi  à l'arrangement dans l'espace des atomes, parce qu'il est exact que, selon cette organisation, les molécules diffèrent, non seulement parce qu'elles sont différentes, comme on va le voir maintenant, mais aussi par leurs propriétés (optiques, odorantes, etc.).

 Prenons un exemple : celui d'une molécule où un atome de carbone (ici en gris, le deuxième en partant de la gauche) est lié  :
- à un atome d'hydrogène (en blanc, vers le haut),
- à un atome d'oxygène (en rouge, vers le bas) lié également à un atome d'hydrogène,
- à un autre atome de carbone (le premier gris à partir de la gauche) lié à trois atomes d'hydrogène (vers la gauche)
 - et à un atome de carbone lié à deux atomes d'hydrogène et à un atome de carbone lié à trois atomes d'hydrogène (vers la droite) :





Si l'on y passe un petit moment, on s'aperçoit que cette molécule est différente de son image dans un miroir, tout comme une main gauche est différente de son image dans un miroir, raison pour laquelle on ne peut faire entrer une main gauche dans un gant droit. C'est donc ce que l'on appelle une molécule "chirale".
Quand l'extrait d'article que je discute plus haut dit que les molécules synthétiques ont une "stéréochimie inversée", il veut en réalité dire que les molécules synthétiques ont une configuration qui n'est pas celle... de quoi d'ailleurs ? Des molécules odorantes des fruits, telle la cerise ? Peut-être, mais comme le journaliste ne comprend sans doute pas ce qu'il écrit, on ne pourra guère  le savoir.

Oublions donc le texte, et revenons à nos molécules chirales, puisque c'est le mot juste.
Et revenons à ce limonène que  l'on extrait des écorces d'agrumes, par simple pressage. Plusieurs molécules différentes, images l'une de l'autre dans un miroir,  peuvent être extraites des écorces d'agrumes, et, selon l'arrangement des atomes, ces molécules ont des odeurs différentes.
De même pour le menthol, dont une forme a l'odeur de menthe, alors que la forme image n'a pas cette odeur.

C'est cela que le journaliste voulait dire, sans doute... et n'importe quel débutant en chimie sait ce fait... qui date quand même de Louis Pasteur, soit il y a plus d'un siècle. Pas de nouveauté, donc, et, depuis ce temps, les chimistes ont parfaitement appris à synthétiser les molécules ayant les arrangements d'atomes dans l'espace qu'ils souhaitent. C'est donc une grande naïveté -ou de la malhonnêteté- que d'écrire que l'industrie des parfums confond les arrangements dans l'espace.
Ce ce que l'on peut assurer, c'est que l'industrie des parfums sait parfaitement utiliser le composé qui a la bonne configuration dans l'espace, et non pas la configuration image dans un miroir, parce que, sans cela, l'odeur ne serait pas celle qui est visée.

Enfin... cerise sur le gâteau, il est amusant de voir que la liste des composés qui est donnée comprend des composés dont les molécules ne sont pas chirales, qui ne peuvent donc pas avoir une "stéréochimie inversée".

En conclusion, je revendique une information de bonne qualité, sans quoi je crois devoir dire qu'elle est tendancieuse ! Mais, de toute  façon, j'invite mes amis à se poser toujours la question, face à un article  : pourquoi son auteur l'a-t-il écrit ?


La stratégie d'une rénovation


L'art culinaire mérite de grandir : tout le monde en convient, sauf  peut-être quelques réactionnaires dont je propose que nous ne nous embarrassions pas. Comment nous y prendre, afin de hâter une évolution nécessaire ?
 Oui, comment introduire cette "cuisine note à note" qui sera nécessairement celle de demain, à côté des cuisines déjà présentes, cuisine moléculaire comprise ?

 Une première stratégie est celle de Parmentier : réserver au roi (en apparence) ce que l'on souhaite que le peuple veuille. Bien sûr, il n'y a plus de rois, en France, mais le succès de publications telles que Closer, Paris Match et d'autres montre bien le goût d'une partie importante de notre communauté pour les "têtes couronnées", qu'elles soient d'un sang prétendument différent (bleu), ou qu'il s'agisse de vedettes des arts, des lettres... voire des sport.

Une autre possibilité consiste à changer les programmes scolaires : la rénovation n'en sera que plus durable, puisqu'elle atteindra l'ensemble de la population, et que l'Ecole reçoit chaque année un million d'enfants en France... mais elle mettra du temps à s'imposer.

Troisième possibilité, que je propose de discuter aujourd'hui : bien expliquer que la nouveauté proposée est dans la droite ligne d'évolutions qui n'ont pas cessé d'avoir lieu. Dire que les grands anciens ont eux-même introduit de l'innovation, bousculé les traditions, amoindrir la nouveauté, arrondir les angles, en quelque sorte.
 Est-ce un bon choix ? On gomme la nouveauté, de sorte que nos interlocuteurs risquent  de moins la percevoir, et, surtout, ils risquent  de penser que, s'il n'y a pas de nouveauté, pourquoi changer quoi que ce soit. Inversement, de cette façon, on acclimate gentiment la nouveauté qui, sinon, serait refusée par tous ceux qui ont peur.

 Alors, que faire ? Je propose de penser qu'il n'y a pas lieu d'avoir une  action unique, mais toutes les actions à la fois, et pour des publics variés. C'est beaucoup plus de travail, mais peut-être aussi beaucoup plus d'efficacité. Alors...