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lundi 8 avril 2019

Pourquoi les diverses graisses ne fondent pas à la même température

Les question ne cessent d'arriver par email, mais je ne suis pas toujours parfaitement libre pour y répondre. Heureusement, vient le week-end, où je peux rattraper mon retard. Et, cette semaine, une question sur les graisses :

Pourquoi les graisses ne fondent-elles pas toutes à la même température ? 

La question est d'autant plus intéressante que les publicités qui nous submergent ne cessent d'induire le public en erreur : contrairement à ce qu'elles mentionnent, il n'y a pas d'acides gras dans les matières grasses, huiles ou graisses végétales ! Ou, plus exactement, quand il y en a (jusqu'à environ 5 % dans les pire cas), c'est le signe que la matière grasse n'est pas bien raffinée, ou bien qu'elle a été dégradée.


Mais commençons par expliquer ce dont il s'agit, en partant d'une huile bien raffinée. 

C'est alors un liquide transparent, quasi incolore, fait de molécules qui sont quasiment toutes des "triglycérides", à savoir des assemblages d'atomes de carbone, d'atomes d'hydrogène et d'atomes d'oxygène.



Plus précisément, pour la molécule d'un "triglycéride saturé", trois atomes de carbone liés sont ensuite chacun liés à un atome d'oxygène, qui est lui-même lié à un autre atome de carbone qui est, d'une part, lié à un atome d'oxygène, et, d'autre part, lié à un chaîne d'atomes de carbone qui sont chacun liés à deux atomes d'hydrogène, sauf à l'extrémité de la chaîne, le dernier atome de carbone est lié à trois atomes d'hydrogène, et non deux.



Ces molécules sont très nombreuses :  dans une bouteille d'huile, il y en a environ cent millions de milliards de milliards.


Mais la description que je viens de donner est simpliste, parce que, en réalité, il y a des triglycérides variés : au lieu d'avoir cent millions de milliards de milliards de molécule d'une seule sorte, il y a des millions de milliards de molécules d'environ 400 millions de sortes différentes. Toutes ont en commun cette structure particulière, avec trois atomes de carbone auxquelles sont liées les structures présentées précédemment. Et comme on peut synthétiser chimiquement ces molécules à l'aide d'un composé nommé glycérol et de composés nommées acides gras, ou glycérides, on nomme triglycéride les molécules des matières grasses. D'ailleurs, on peut également dégrader les triglycérides en glycérol et acides gras, par exemple.
Le glycérol ? C'est le "sucre" le plus simple, avec, donc, trois atomes de carbone qui sont chacun liés à un atome d'oxygène liée à un atome d'hydrogène, et aussi à des atomes d'hydrogène, de sorte que le total de la liaison de chaque atome de carbone avec des atomes voisins soit de quatre.



Quant aux acides gras, ils sont tous faits d'un atome de carbone qui est lié à un atome d'oxygène, à un autre atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène, et à un enchaînement d'atomes de carbones qui ne sont liés, eux, qu'à des atomes d'hydrogène.







Mais il faut le répéter : les matières grasses alimentaires ne contiennent que très peu de glycérol et d'acides gras, et elles sont majoritairement faites de molécules de triglycérides. C'est un abus de langage dommageable que de dire qu'il y a des acides gras dans les matières grasses alimentaires. Et c'est cet abuse de langage qui impose de parler d'acides gras libres, pour les acides gras qui existent réellement, dans des matières grasses de mauvaise qualité.


Tout cela étant expliqué, nous pouvons maintenant nous préoccuper de la fonte des graisses solides, ou, inversement, de la solidification des matières grasses liquides. 

L'expérience fondatrice est facile à faire : il suffit de mettre une bouteille d'huile dans un congélateur  : quand l'huile est refroidie à la température du congélateur, elle est alors solide, blanche et opaque. En effet, les molécules  sont des objets qui bougent, s'agitent, vibrent... d'autant plus rapidement qu'ils ont plus d'énergie, ce qui revient à dire d'autant plus que leur température est élevée. Et c'est ainsi que, quand on refroidit, les molécules ralentissent, et viennent s'empiler les unes sur les autres, formant des "cristaux" dont l'assemblage devient blanc comme la neige (qui est faite de cristaux, par empilement des molécules d'eau).
A ce stade, manque encore une information : les molécules de triglycérides s'attirent très légèrement, avec une force qui dépend de leur constitution moléculaire particulière.
Et c'est ainsi, par exemple, que si l'on ne considère que des matières grasses "saturées", comme celles que nous avons décrites précédemment, l'empilement se fait à température plus basse pour les petits triglycérides. En effet, imaginons deux groupes de triglycérides à la même température : un groupe avec des petites molécules, et un groupe avec des molécules plus grosses (plus d'atomes de carbone dans les "résidus d'acides gras"). Comme l'énergie d'une molécule correspond à son mouvement, la vitesse des petites molécules est supérieure. Cela signifie que leur mouvement vaincra plus facilement les forces d'attraction entre les molécules, et que ces petites molécules figeront plus difficilement.

Ce qui est dit de la taille des molécules de triglycérides n'épuise pas le sujet : pour l'instant, nous n'avons évoqué que les triglycérides "saturés", et pas les triglycérides "insaturés", pour lesquels  les chaînes d'atomes de carbone sont moins flexibles pour des raisons que nous n'expliquerons pas ici.  De ce fait, les empilements sont plus difficiles, et il faut donc refroidir davantage pour arriver à les empiler en solides. De fait, l'huile d'olive, qui contient beaucoup de ces triglycérides insaturés, fige à plus basse température que la matière grasse d'origine animale, qui contient  des  triglycérides saturés.

Hopla!


Et si voulez en savoir plus : 
E.W. Hammond, in Encyclopedia of Food Sciences and Nutrition (Second Edition), 2003.
H.D. Belitz, W. Grosch, P. Schieberle, Food Chemistry, Springer Verlag.
Hervé This, Mon histoire de cuisine, Editions Belin.


dimanche 4 février 2018

Huiles et graisses

On entend mille choses, à propos des graisses  : 

- l'huile, ce serait mieux que le beurre ou la crème "pour la santé"

- les graisses végétales, ce serait mal (ou bien) dans le chocolat

- les matières grasses hydrogénées, ce serait très  mauvais

- et ainsi de suite. 

Je déplore que beaucoup de mes interlocuteurs qui font ainsi des déclarations à l'emporte pièce ne savent pas de quoi ils parlent, d'un point de vue physico-chimique. Manifestement, quelques données de base sont nécessaires pour se faire une idée. 


Commençons non pas par la chimie, ni par la physique, mais par la nutrition. Ce sera vite fait : je n'y connais rien, de sorte que je ne suis pas habilité à en parler ! 


Alors passons à la politique : on nous dit qu'on peut mettre des graisses végétales dans le chocolat, afin de régulariser les cours du cacao.
Pourquoi pas, mais le chocolat doit d'abord être et rester du chocolat, donc une matière dans la composition de laquelle ne viennent  pas d'autres corps gras que le beurre de cacao.
C'est là une question de loyauté. Et j'ai déjà déploré dans des billets cette possibilité donnée aux fabricants d'ajouter de la matière grasse végétale (quelle qu'elle soit)  en petite quantité au beurre de cacao.
Plus exactement, alors que le produit ainsi obtenu ne diffère probablement pas du chocolat (le mot que je conserve pour désigner le produit sans ajout de matières grasses autres que du beurre de cacao), je propose qu'on ait deux noms différents pour désigner les produits différents, sous peine de tromperie. Ce n'est pas la règle qui a été retenue,  mais il n'est pas impossible de changer la règle actuelle, en vue d'une plus grande loyauté. 

A propos d'huile de palme, aussi, il y a des débats : la question semble être politique, mais là, je n'y connais rien, et c'est en dehors de mon champ scientifique, de sorte que je ne dois  rien en dire. Et que je n'en dis rien.



La toxicologie, maintenant ? Il y a la question des matières grasses, et de leurs impuretés... Là, des explications de chimie sont nécessaires. Nous considérerons d'abord une huile, puis une matière plus complexe. 

Les huiles sont des matières, parfois jaunes, qui sont liquides à la température ambiante. Si l'on avait un microscope très puissant, on la verrait faite d'objets qui bougent en tous sens : des molécules. Ces molécules ont une construction particulière : elles sont comme des peignes à trois dents, et, mieux, avec trois dents souples, au point qu'elles peuvent  se mettre dans toutes les directions autour du manche. Les molécules de l'huile sont nommées "triglycérides", parce que le "manche", s'il était isolé, serait un composé nommé glycérol (le nom que les chimistes donnent à la "glycérine"), et qu'il y a trois dents. 

Et les acides gras, me direz-vous ? Si l'on ne dit pas n'importe quoi, il n'y en a pas dans l'huile. Oui, j'insiste : lorsque des "dents" isolées, qui sont alors des acides gras, réagissent avec un manche isolé, qui est donc du glycérol, pour former des triglycérides, des atomes sont échangés, perdus, etc., de sorte que le glycérol n'est plus du glycérol, et les acides gras ne sont plus  des acides gras. Finalement l'huile est faite, donc, de molécules de triglycérides. 

Et il y a beaucoup de sortes de molécules de triglycérides, parce qu'il y a de nombreuses sortes de "dents". Plus exactement, pour du lait, où de la matière grasse (qui fait ensuite le beurre) est dispersée dans l'eau, sous la forme de gouttelettes microscopiques, il y a 400 sortes de dents.
De sorte que le nombre de différents triglycérides est considérable. Partons en effet d'une molécule de glycérol, et faisons la réagir avec un acide gras : il y a 400 possibilités. Puis faisons réagir l'ensemble avec un autre acide gras : pour chacun des 400 résultats initiaux, il y a 400 possibilités, soit au total 400 fois 400, soit 160 000 possibilités. Et avec le troisièmc acide gras, cela fait donc des millions de molécules différentes. 

Pourquoi cela est-il intéressant ? Parce que les divers  acides gras déterminent le comportement physique des matières grasses. En gros, à une température fixe (par exemple la température ambiante), les grosses molécules bougent plus lentement que les petites.
Or quand les molécules ne peuvent pas bouger, elles restent sur place et forment un solide. De ce fait, les divers triglycérides, s'ils étaient purs, auraient des températures de fusion différentes. Pour les triglycérides du beurre, par exemple, les plus  fusibles fondent dès - 10 °C, et les moins fusibles  fondent à 50 °C. Dans le beurre de cacao, les moins fusibles fondent à 37 °C... comme le prouve l'expérience qui consiste à placer un carré de chocolat dans la bouche. 

Et ainsi, pour chaque  matière grasse, il y a un comportement de fusion différent... mais il y a une constante : aux  températures inférieures à la température de fusion des triglycérides les plus fusibles d'une matière grasse, cette dernière est à l'état solide ; aux températures supérieures à la température de fusion des triglycérides les moins fusibles, la matière grasse est entièrement liquide (l'huile à la température ambiante). 

Et aux températures intermédiaires ? Et bien, là, une partie est liquide, et elle est le plus souvent piégée dans la partie solide. Oui, dans une motte de beurre placée à une température comprise entre -10 °C et + 50 °C, il y a de la matière grasse liquide dans ce qui paraît solide. 

D'ailleurs, c'est une expérimentation amusante que d'ajouter de l'huile à du chocolat fondu, et à refroidir ensuite ; ou, inversement, à ajouter du beurre  de cacao à de l'huile (d'accord, c'est pareil ;-), mais on n'oublie pas qu'à côté de la dénotation, il y a  la connotation) : on change ainsi le comportement de fusion. 

Commençons par dire que le chocolat est fait environ pour moitié de matière grasse (le beurre de cacao, donc) et de sucre. Et pensons à un coulant au  chocolat, gâteau  avec un coeur qui coule quand on ouvre le gâteau. Comment le faire ? Il faut faire une sorte de mousse au chocolat additionnée de farine, et placer, au centre, un "noyau" fait de chocolat rendu plus  fusible par l'ajout de matière grasse liquide à la température du service. On n'oublie pas, évidemment, de congeler ce noyau  pour le manipuler. Lors de la cuisson, il fond, et, quand on coupe le gâteau, dans l'assiette, le chocolat fondu en sort. 

Et par la même technique, on change le degré de fusion des matières grasses, on mélange du beurre avec de l'huile, de l'huile de palme avec de la matière grasse laitière, du beurre de cacao avec de la matière grasse  de fois gras, que sais-je ? 

Tiens, j'ai évoqué l'huile de palme, qui fait débat. Qu'en penser ? D'un point de vue chimique, elle est faite de triglycérides, comme le beurre, comme l'huile, comme le beurre de cacao. Après, il y a -semble-t-il, car en réalité, je n'y connais rien- des questions politiques, environnementales, mais on comprend bien que ce n'est pas à un physico-chimiste d'en parler. Pour moi, un triglycéride est un triglycéride... Chaque matière grasse a son comportement de fusion particulier, son intérêt nutritionnel particulier...

Reprenons les questions initiales. L'huile d'olive "meilleure" que les autres ? Cela n'a jamais été établi correctement, et ce n'est sans doute pas vrai. Il faut de tout, en quantités variées... et faire de l'exercice, pour se donner des chances de rester en bonne santé... si l'on ne fume pas, boit pas, etc.  

Les matières grasses végétales dans le chocolat ? Ayant déjà évoqué le cas, je n'y reviens pas. 

Les matières grasses hydrogénées : là, il faut entrer dans le détail moléculaire des "dents" des triglycérides, et expliquer que certaines de ces "dents" (le vrai nom est "résidu d'acide gras") sont "insaturées", et d'autres sont "saturées". En effet, les "dents" sont des enchaînements d'atomes de carbone (pensons à -C-C-C-C..., où la lettre C représente un atome de carbone). Parfois les atomes de carbone peuvent s'attacher les un aux autres plus fortement, ce que l'on représente par deux barres, au lieu d'une : -C-C=C-C... C'est cela que l'on nomme une "double liaison", ou un "insaturation". Or les triglycérides dont des "dents" ont des doubles liaisons sont plus fusibles que les autres. Pour obtenir une matière grasse solide, à partir d'une huile, on a découvert que l'on pouvait "hydrogéner" les triglycérides. 

Les avantages ? Les inconvénients ? Je vous renvoie vers une séance de l'Académie d'agriculture de France, où nous avions discuté la question. Il faut quand même savoir que certaines matières grasses saturées sont indispensables à notre bon fonctionnement physiologique. 



Toutes les graisses se vaudraient-elles ? Ce n'est pas ce que j'ai dit... et je voudrais terminer cette causerie en signalant que certains  triglycérides ont plus de "goût" que d'autres. Oui, de goût, alors que les matières grasses semblent ne pas avoir de goût quand elles sont pures. Il y a une dizaine  d'années, une équipe de physiologistes, à Dijon, a découvert que les triglycérides sont "coupés" par des enzymes, à proximité des papilles : ainsi sont  libérés des acides gras. Or les acides gras  "insaturés", quand ils sont assez longs,  peuvent se lier à des récepteurs de la bouche, comme une clé vient dans une serrure... et un "goût" est identifié. On a ainsi longtemps dit qu'un acide gras, c'était un acide gras, mais ce n'est pas exact : certains ont un effet sensoriel, en plus de l'onctueux qu'ont tous les triglycérides. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 31 juillet 2015

Que faire devant la malhonnêteté ?

 Certains de mes billets posent  des questions auxquelles je réponds, mais d'autres  posent des questions auxquelles j'invite mes amis à m'aider à répondre. Celui-ci est de ce second type.

 Au départ, il y a une annonce, un "communiqué de presse", par l'université Purdue, qui stipule que "la recherche confirme que le gras est la sixième saveur".
 Jusque là, rien de particulier... sauf qu'un peu de bibliographie montre bien que cette perception (réservons le mot "saveur" pour plus tard) des acides gras insaturés à longue chaîne n'est pas neuve : elle fut découverte il y a une quinzaine d'années par une équipe de physiologistes de Dijon (Bénard et al.), et j'ai dans mon ordinateurs des dizaines d'articles scientifiques qui l'attestent !
D'où la question  : que faire, face à un tel communiqué de presse ? Pouvons-nous laisser croire à nos amis qu'il y a là une grande nouveauté ? Devons-nous laisser la malhonnêteté impunie ? Devons-nous passer l'éponge, en nous disant qu'un clou chasse l'autre, et qu'une "nouvelle" viendra s'ajouter à cette vieille lune, laquelle sera oubliée demain ? Ecrire à la chercheuse à l'origine de la publication ? Ce n'est pas elle qui est fautive, mais plutôt le service de communication de l'université Purdue : on sait que les institutions reçoivent des fonds en proportion de leur activité, notamment de la couverture médiatique qu'elles reçoivent, mais faut-il aller jusqu'à la tromperie ?
 Je suis preneur de vos conseils.


Pour en revenir à cette "perception des acides gras insaturés à longue chaîne", vous observez que  je n'écris pas "goût du  gras", ni même "saveur du gras" (comme le fait ce communiqué de presse fautif), parce que, s'il a été effectivement montré que nous sommes sensibles à la matière grasse, ce n'est pas elle-même qui a "du goût".
En effet, la matière grasse est faite essentiellement de molécules de triglycérides, lesquelles sont composés d'un résidus de glycérol et de trois résidus d'acides gras. Lorsque nous mangeons un produit qui contient de telles molécules, des enzymes des papilles sapictives détachent des acides gras, et il est exact que certains de ces acides gras peuvent se lier à des récepteurs des papilles, et donner une sensation.
Cela étant, la question est surtout de savoir nommer cette perception. Ce n'est peut-être pas une saveur, contrairement à ce que le communiqué de presse dit, et c'est la raison pour laquelle, il y a plusieurs années, j'avais proposé le terme de "lipaction" pour la modalité de perception de ces acides gras.