mardi 30 août 2016

A propos de l'administration de la recherche scientifique

Dans le livre Hommes de science (Marian Schmidt, Hermann, 1990), le physico-chimiste français Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie en 1987) donne son idée du fonctionnement de la recherche :

"On peut déplorer que partout, et pas seulement en France, l'organisation de la recherche soit devenue très lourde, en raison de son coût. Il est malheureusement vrai que cette pesanteur administrative conduit souvent un chercheur à passer son temps à d'autres choses qu'à son travail scientifique : on ne peut pas y échapper. Ce serait de l'utopie, par exemple, de dire : "On peut faire de la chimie actuellement sans s'occuper d'obtenir le financement permettant d'acheter les produits et les appareils dont on a besoin".
L'administration de la science est inévitable, mais elle pourrait être réduite. Une plus grande légèreté de l'organisation et une plus grande initiative rendue aux scientifiques, et non à ceux qui administrent la science, sont nécessaires pour un meilleur fonctionnement de la recherche. Malheureusement, on a souvent l'impression que l'administration de la science est devenue sa propre justification, oubliant en fait qu'elle existe seulement parce que la science existe, et non l'inverse. [...] Il y a aussi  les réunions trop nombreuses de comités, commissions, conseils, etc., où l'on oublie que discourir n'est pas découvrir. Je n'aime pas y aller, et j'ai acquis une assez mauvaise réputation de ce côté ! Cela ne veut pas dire que je sous-estime le rôle de l'administration et de la gestion, mais il faut les alléger au maximum pour permettre au chercheur de passer plus de temps dans son laboratoire ou sa bibliothèque. Par ailleurs, à certains qui se plaignent d'avoir à consacrer trop de temps aux tâches administratives, on pourrait objecter que, souvent, cela ne tient qu'à eux: il pourrait bien s'agir d'un prétexte pour échapper au labeur, à la discipline, aux incertitudes du laboratoire ou de la table de travail".

A méditer, n'est-ce pas ?

lundi 29 août 2016

Une vision de la recherche

Dans le livre Hommes de science (Marian Schmidt, Hermann, 1990), le physico-chimiste français Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie en 1987) donne son idée de la recherche scientifique :

 "L'important est de poser des concepts et de résoudre des problèmes, et non d'étudier un sujet : la méthode n'est pas la même. Les études approfondies, minutieuses, sont nécessaires, mais il faut essayer d'éviter de se laisser enfermer dans la spécificité d'un sujet. Par ailleurs, quand il s'agit de résoudre un problème, tous les moyens sont bons : il convient donc d'utiliser une approche beaucoup moins stricte, d'autant plus que si certains problèmes n'ont qu'une seule solution, il y en a aussi beaucoup qui peuvent être abordés par des voies différentes. Il s'agit de garder l'esprit extrêmement ouvert. Le plus important est de ne pas se spécialiser dans ce que l'on sait, ou ce que l'on envisage de faire, de n'avoir pas peur d'entrer dans un autre domaine, même - et surtout !- si l'on n'y connaît rien et s'il faut tout réapprendre. [...] La découverte ou l'invention peuvent être le fruit du hasard ou d'un cheminement rigoureux, mais l'esprit y est d'autant mieux préparé qu'il est plus ouvert, plus disposé à aborder la nouveauté et l'inconnu, plus accessible à une nouvelle vision du problème."

dimanche 28 août 2016

Regarder avec les yeux de l'esprit

Dans les phrases écrites sur les murs de notre laboratoire, il y a celle-ci : "regarder avec les yeux de l'esprit".
Regarder avec les yeux de l'esprit ? Regarder, c'est généralement avec les yeux. Il y a d'ailleurs lieu de distinguer  regarder et voir, mais quand même, il s'agit d'un acte qui, normalement, conduit à percevoir à l'aide des yeux. Autrement dit, regarder avec les yeux de l'esprit  doit être interrogé. Et puis, l'esprit n'a pas d'yeux, puisque les y
eux sont ces  globes que nous avons sur l'avant visage. Mais la proposition invite à y penser  mieux et, surtout, elle invite à utiliser notre esprit comme nous utilisons  nos yeux. Il faut braquer notre intellect sur des objets et la comparaison a l'intérêt que l'on peut imaginer un faisceau lumineux soit focalisé soit diffus. il y a les yeux, il y a également la lumière.

La métaphore est intéressante, parce qu'elle permet d'y penser un peu plus.

jeudi 25 août 2016

Ce matin, une question :


Bonjour, je suis étudiant en licence de chimie et passioné de gastronomie moéculaire. Je me permet de vous écrire à nouveau car je ne trouve pas la réponse à une question que je me pose:
Pourquoi la majorité des cartouches de gaz pour siphon contiennent du protoxyde d'azote ?
J'ai remarqué qu'il en existait aussi au dioxyde de carbone, cependant elles semblent moins répandues.


Et ma réponse :
Bonjour et merci de votre intérêt... mais est-ce pour la gastronomie moléculaire ou la cuisine moléculaire ? Et si c'est pour la cuisine moléculaire (très dépassée), pourquoi ne vous intéressez-vous pas plutôt à la "cuisine note à note" ?
Pour votre question, il y a une réponse simple, et, ce qui est mieux, expérimentale : si vous prenez un siphon et que vous y mettez quelques groseilles, grains de raisin, mirabelles, framboises, etc, à sec, et avec une cartouche de dioxyde de carbone. Après un bon moment, vous évacuez le gaz et vous ouvrez : vous récupérez des fruits pétillants ! Le protoxyde d'azote évite cette sensation, qui peut être désagréable, d'autant qu'elle modifie l'acidité, en plus d'autres phénomènes.

mercredi 24 août 2016

Les "bons" livres

Nous sommes bien d'accord : il y a des auteurs  précis, des auteurs intelligents, des auteurs enchanteurs, des auteurs attrayants, des auteurs instructifs... et les autres.
Dans une optique très positive, de partage de nos émerveillements avec nos amis, je décide aujourd'hui (24 août 2016) de commencer une liste :

https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/de-l-emerveillement-partage/de-bons-livres

L'art troublerait et la science rassurerait ?


On a dit que l'art trouble, mais que la science rassure. Plus exactement, c'est le peintre Georges Braque qui a dit cela. « L'art trouble, mais la science rassure ». Je me méfie toujours des formules, parce qu'elles sont souvent des affirmations qui nous tombent dessus, des façons de nous obliger à gober les idées sans y penser. Pensez : un Artiste comme Georges Braque !

L'art trouble ? Pourquoi pas, puisque l'art, au moins dans une certaine conception de l'art, consiste à susciter des sentiments, des émotions. De ce point de vue, un art qui ne troublerait pas ne serait pas de l'art. Et puis, « troubler » ne signifie pas nécessairement troubler de façon négative. On peut aussi dire : émouvoir. Si l'on suppose que Braque a correctement utilisé les mots, alors troubler est une métaphore qui décrit une modification d'un grand calme. Et ces modifications peuvent être de mille sortes. Il y a les friselis sur l'eau ou les tempêtes ; il y a le trouble du pastis, cette apparition d'un nuage laiteux, blanc ; il y a l'eau et sa boue. Bref, que l'art trouble est évident. Sans quoi il n'y a pas d'art.

La science rassure ? Cette fois, la question est plus difficile. Après tout, certains n'ont-il pas peur de technique, de la technologie et de la science ? La science qui a découvert la structure de l'atome n'a-t-elle pas, au contraire, suscité l'effroi en ouvrant la porte au nucléaire ? Reprenons de plus loin.
Au début des sciences, par exemple dans l'Antiquité grecque, on a cherché des explications du monde, face à des phénomènes qui étaient mystérieux en ce qu'ils échappaient à des causes identifiées. Pourquoi la formation des ombres, le bleu du ciel, la pluie, la périodicité de la Lune ? Les scientifiques ont été des explorateurs de ces mystères, et ils ont effectivement produits des théories qui visaient à prendre une position intellectuelle face à ce que l'on ne comprenait pas. De ce point de vue, on pourrait dire que la science rassurait, puisqu'elle ne laissait plus l'être humain démuni face aux phénomènes naturels.
En revanche, au début des sciences modernes, à partir de la Renaissance environ, il y eut cette position de scientifiques croyants qui considéraient que Dieu avait donné deux livres : la Bible et la nature. Chercher à comprendre ces deux livres, c'était chercher à comprendre le message de Dieu, et l'activité scientifique était ainsi une façon de célébrer le créateur. Rien de troublant non plus.
Plus tard, et notamment parce que la science arrivait à des conclusions différentes des textes sacrés, il y eut un immense trouble, et l’Église dut adopter une autre position, qui fut finalement entérinée par le pape, à savoir que la science ne dit rien de la foi, et vice versa. Deux mondes séparés, deux règnes séparés, en quelque sorte, mais la crise avait été grande. Elle avait commencé avec Galilée, et avait environ fini avec l'abbé Lemaître, ce physicien belge qui étudia la relativité générale et la cosmologie. A cette époque, la science troublait.
D'ailleurs, dans les dernières décennies du vingtième siècle, il y eut pire avec la relativité et la mécanique quantique. La relativité fit apparaître des paradoxes, tels celui des jumeaux qui naissent ensemble mais ont un âge différent quand l'un des deux voyage. En mécanique quantique, on ne savait plus si les objets étaient des ondes ou des particules. En réalité, il n'est pas difficile de comprendre que les objets puissent apparaître parfois comme des ondes, telles les rides à la surface de l'eau, les vagues, la houle, ou comme des particules, des billes, en quelque sorte, car les objets du monde nous sont perceptibles par des expériences. Dans certaines expériences, les objets (surtout quand ce sont des particules subatomiques) se comportent comme  des ondes, mais dans d'autres expériences, ils se comportent comme de petites billes, et l'on parle de comportement corpusculaire. Pour autant, ces objets ne sont ni billes ni ondes, mais des objets, qui ont leurs caractéristiques propres. Un verre cylindrique vu selon son axe de révolution apparaît comme un disque, mais il semble un rectangle si on le regarde de profil.
Bref la mécanique quantique fut à l'origine d'un grand trouble, et les esprits scientifiques les plus brillants du vingtième siècle avaient du mal à comprendre la nouvelle position qu'imposait leur propre travail scientifique ! Décidément, la science ne rassurait pas !
Et puis, au vingtième siècle, aussi, il y eut ces rapports étroits entre la science et la technique, par le moyen de la technologie, et toutes ces applications des sciences qui, quand elles étaient nuisibles à l'homme, conduisaient à considérer que la science était fautive. A la Première Guerre mondiale, il y eut des gaz de combat, et l'on accusa injustement les sciences chimiques, alors qu'il fallait  accuser les techniciens qui utilisaient les sciences pour faire ces gaz, ou encore les militaires  qui les employaient. Puis, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y eut la bombe atomique, et l'on accusa cette fois la physique, alors qu'on aurait dû accuser les ingénieurs qui faisaient les bombes, et, à nouveau, les militaires qui les utilisaient. Aujourd'hui, c'est la biologie qui est en cause, qui trouble, avec le génome, et la possibilité de cloner l'être humain.

En réalité, la science ou l'art ne sont pas en cause, mais l'individu est tout. Il y a ceux qui ont peur, et qui auront toujours peur, de la science ou de l'art, et ceux qui s'émerveillent des beautés du monde, parce qu'ils sont prêts à émerveiller. Pour ceux là, il n'y a pas de peur ; il y a de l'émerveillement ; il peut y avoir du trouble, mais cela n'est pas grave, car certains troubles ne sont pas des angoisses. Ces individus n'ont pas à être rassurés, parce qu'ils n'ont pas peur.