vendredi 14 février 2025

Quels sont mes travaux ?

On m'interroge : quels travaux menez vous ? 

Les travaux récents se manifestent par mes publications récentes. 

La dernière est un cours sur une méthode d'approche des phénomènes par analyse descendante. 

La précédente explique comment déterminer le nombre de décimales à afficher dans une moyenne ou dans un écart type. 

Le précédent texte était un cours sur la façon de faire des articles de synthèse et des mini revues. 

 

À côté de ces articles scientifiquement évalué par les pairs, il y a eu  : 

- des comptes rendus de séminaires (mensuels), 

- des billets terminologiques (hebdomadaires), qui font état de recherche historiques sur les termes de la cuisine, 

- des fiches pour l'Encyclopédie  de l'Académie d'agriculture, et des podcasts pour la chaîne Youtube de l'Académie, 

- des organisations de congrès, telle le colloque Vigne et vin  demain, 

- des conférences, 

- des cours à des élèves de Master essentiellement, 

- des formations académiques... 

Je me limite là au dernier trimestre de l'année 2024 et je ne mentionne pas la gestion des deux revues scientifiques que sont les Notes académiques de l'Académie d'Agriculture de France et l'International Journal of molecular and physical gastronomy

Plus le reste

A propos du beurrage des moules

Encore un séminaire de gastronomie moléculaire merveilleux : nous avons exploré le beurrage des moules à soufflé... et découvert  expérimentation que ce qui est dit est parfaitement inexact. 

Plus exactement, nous voulions savoir si le beurrage des moules à soufflés différait selon qu'on faisait un beurrage vertical une  fois, ou deux fois, ou avec un beurrage horizontal une fois, ou deux fois. 

Des différences de gonflement seraient-elles observées ? 

 Nous avons donc préparé des moules tous identiques, soit sans apprêt particulier, soit en beurrant verticalement une fois, ou deux fois, ou en beurrant latéralement une fois, ou deux fois, avec deux ramequins pour chaque cas. 
Puis nous avons réparti dans ces ramequins la même masse (pesée au gramme très) d'appareil à soufflé (plus de détails dans le compte rendu qui est en préparation et sera placé sur le site du Centre international de gastronomie moléculaire), et nous avons cuit tous les ramequins simulténément. 

Le résultat ? D'abord, les deux ramequins de chaque type ont finalement contenu des soufflés gonflés de la même manière... mais pire : il n'y a eu aucun différence pour aucun des beurrages, ou non beurrage ! 

La partie extérieure des soufflés était un peu plus gonflée que la partie intérieure, ce qui correspond au fait que la chaleur circulait mieux sur les bords de la plaque que sur l'intérieur, entre des ramequins un peu serrés. 

Et les soufflés n'avaient pas accroché aux bords des ramequins beurrés, mais ils collaient sur les deux ramequins non beurrés. 

 Pour le reste, je le répète, aucune différence de gonflement

jeudi 13 février 2025

Technoscience : un mot caméléon, qui risque de nous conduire à compter les anges sur la tête d'une épingle. Comment voir le bleu du ciel ?

 
Voyons, il va falloir être positif, alors que certains font exister la poussière dans le monde. 

L'histoire est la suivante : il y en a qui utilisent le mot de "technoscience" pour désigner... Quoi, au juste ? Une recherche bibliographique montre que l'acception initiale, qui voulait en quelque sorte reconnaître que les sciences de la nature s'élaborent pour partie sur des données techniques, a été gauchie mille fois, au point que la communauté des épistémologues ne s'entend même plus, sans compter que si l'on utilise le mot dans une acception donnée, viendra un contradicteur qui nous fera perdre notre temps en nous opposant une autre acception... évidemment bien plus "légitime" (selon cette personne). Un "dieux jaloux" (de quoi, dans un tel cas ?) a refait le coup de la tour de Babel, et c'est donc la cacophonie. 

Il faut dire que le mot est quand même mal forgé, parce que il y a "techne", faire, et "science", savoir. De là, passer à "technique" et "sciences de la nature", c'est déjà un pas audacieux, qui fait deux hypothèses... pour arriver à un mot à plus de trois syllabes, ce type de mots contre lesquels je mets mes amis en garde, de peur qu'on leur refile des denrées pourries ou de l'idéologie. 

D'ailleurs, l'idéologie n'est pas loin, dans ce cas précis, parce que certains interprètent (je ne juge pas, mais me contente de lire) que les sciences de la nature sont produites par des scientifiques payés par l'Etat, lequel se préoccupe de technologie et d'innovations techniques. 

Finalement, quelle acception conserver pour "technoscience" ? Aucune bien sûr : pourquoi perdre notre temps à discuter des notions inexistantes, tendues par certains qui jouent au "dragon chinois" : on fait un dragon en papier énorme, puis on le pourfend pour montrer combien on est fort ! 

Donc je propose d'oublier ce mot idiot pour toujours, et de ne pas entrer dans des discussions où ce mot fluctuant apparaît. Ne comptons pas le nombre d'anges sur la tête d'une épingle, comme le firent certains de ces scolastiques dont Rabelais se moquait si bien. 

 

Le ciel est bleu !

 

Émergeons donc de la boue où l'on a voulu nous plonger, faisons souffler un grand vent sur la poussière du monde que certains ont créée, levons la tête vers le ciel bleu. La technique ? C'est une activité merveilleuse, en ce sens qu'elle fait. Ou plutôt, disons qu'elle est merveilleuse quand elle fait bien, intelligemment. Les sciences de la nature ? On se doute que je vais dire que c'est une activité merveilleuse, surtout quand elle se fait intelligemment. Le rapport entre la technique et les sciences de la nature ? Il y a bien sûr la nécessité d'utiliser des outils techniques (instrumentaux) pour caractériser quantitativement les phénomènes, mais c'est là quelque chose d'évident, donc de secondaire ; d'ailleurs, ne faut-il pas aussi respirer, manger, boire, dormir, pour faire des sciences de la nature... sans que l'on introduise de mot comme "respiroscience" ? 

Puis, pour réunir les données en lois, il faut du calcul, qui ne se distingue pas, en tant qu'outil qui nous aide à atteindre nos objectifs, des spectromètres ou autres instruments techniques, qu'il s'agisse de pied à coulisse ou de synchrotron. L'induction de concepts, sur la base quantitative des "lois" (des équations, il faut le répéter) identifiées ? Cette fois, la technique n'a guère sa part, au moins pour l'instant. La recherche de conclusions testables ? Là encore, nous faisons cela sans technique particulière, bien que l'on puisse imaginer des systèmes formels le faisant pour nous. Les tests expérimentaux des conclusions théoriques ? Il faut reprendre des outils et repartir dans le "laboratoire", cette pièce où l'on travaille pratiquement. Ah, que cette activité de production de connaissances est belle, que le ciel est bleu !

Vive la chimie !

1000 personnes ! De nombreux étudiants, leurs professeurs, des industriels... Ils étaient tous réunis hier à la Maison de la chimie pour un grand colloque "chimie et alimentation". 

Nous avons considéré les choses aussi bien du point de vue de la production, de la sécurité alimentaire c'est-à-dire l'approvisionnement à suffisance, que de la transformation, et des effets dans l'organisme (métabolisme ou toxicologie), puisqu'il y a lieu, par ces temps actuels , de réfuter les craintes infondées que des marchands de peur ne cessent d'entretenir. 

1000 personnes qui ont été accueillies, et jusqu'à invitées à déjeuner ! Cela me fait mieux comprendre l'intérêt extraordinaire de la Fondation de la Maison de la chimie qui gère ses bâtiments superbes en plein cœur de Paris, les louant pour des conférences et utilisant l'argent recueilli pour faire comprendre au public combien la chimie est une science merveilleuse et utile. 

Un ordre de grandeur : le repas a coûté environ 50 € par personne... et ce sont donc 50 000 € qui ont été dépensés par la Fondation de la Maison de la chimie pour recevoir nos amis, rien que pour le repas du déjeuner. Il a fallu aussi inviter les conférenciers, payer leur voyage, leur hôtel puisqu'ils sont venus parfois de loin... Et une telle somme d'argent ne se trouve pas sous les sabots d'un cheval ! 

À l'occasion de la conférence, je me suis fait expliquer le fonctionnement de cette machine remarquable qu'est  la Fondation de la Maison de la chimie. Elle subventionne une série d'actions variées, toutes utiles. Prenons par exemple "Médiachimie,   une chaîne Youtube avec des reportages à destination du grand public. Prenons la série des colloques "chimie et ...", dans laquelle s'inscrivait notre colloque  "Chimie et alimentation" : régulièrement, sur des thèmes aussi variés que la mobilité ou l'habitat, il y a donc des conférences du type de celle d'hier

 Mais il y a aussi des outils bibliographie, des relations avec l'industrie, l'hébergement de la Société française de chimie, etc. 

C'est tout un ensemble qui est ainsi financé à partir des recettes régulières de la location des salles  de la Maison de la chimie, gérée par des bénévoles.  Je les remercie très vivement et je les salue au nom de toute la communauté des chimistes.

mercredi 12 février 2025

Comment ça va ? Très bien

Quand on me demande comment ça va,  je réponds très bien... mais en répondant ainsi il faut quand même que je me justifie et j'en suis bien incapable sans une réflexion approfondie. 

Au fond, je vais très bien parce que je suis en bonne santé et que je fais des choses absolument passionnantes :  de la chimie ! Par exemple aujourd'hui, nous avons organisé un colloque intitulé "chimie et alimentation" où nous avons examiné la présence de la chimie dans des champs très variés qui vont de la nutrition à la souveraineté alimentaire de la France. 

C'était notamment l'occasion de rappeler que la chimie est une science, qui ne se sont confond pas avec ses applications, et que la chimie donc est essentielle pour l'alimentation parce qu'elle apporte des connaissances qui nous permettent précisément de bien choisir les applications que nous faisons de ces connaissances.
Faut-il des pesticides ? Certainement puisqu'il faut se débarrasser des "pestes". Faut-il des engrais ? Evidemment, puisqu'il faut augmenter la croissance des plantes afin de nourrir les populations. 

Mais les pesticides et les engrais ne sont peut-être pas ce que l'on croit  : par exemple, la majeure partie des pesticides que nous consommons sont produits... par les plantes elles-mêmes ! 

Et la connaissance de la chimie du végétal permet précisément d'envisager des solutions variées. 

Faut-il de l'agroécologie ? Faut-il de la permaculture ? Faut-il etc ?Ce n'est pas de vagues sentiments et une sorte d'amour naïf de la nature qui nous donneront les réponses, mais, au contraire, beaucoup de connaissances produites par des sciences varier, dont la chimie. 

Et ce sont ces connaissances qui nous permettront de  faire évoluer des systèmes vers plus de durabilité, plus de qualité, plus de sécurité sanitaire. 

Certes nous nous heurterons certainement à une sorte d'obscurantisme qui me fait souvenir que Jean-Paul II disait "n'ayons pas peur". Il s'agit effectivement de n'être ni peureux ni paresseux : il s'agit de chercher toujours à améliorer ce qui peut l'être : en matière d'agriculture, en matière d'élevage, en matière de fractionnement, et cetera. 

Dans tous les champs (sans jeu de mots) qui concourent à l'alimentation, nous avons besoin de beaucoup plus de connaissances, c'est-à-dire de beaucoup plus de chimie puisque la chimie je le rappelle est une science, une production de connaissances qui ne se confond pas avec ses applications. Oui, je me répète mais le déroulé de cette journée m'a largement montré combien la confusion était fréquente, et mes interventions ont précisément visé à y revenir, à rectifier des idées fausses même par des acteurs importants du secteur. 

Mais j'ai confiance : la bonne monnaie chasse la mauvaise

Science, technologie, ingénierie, technique : de quoi s'agit-il ?

Il y a toujours eu une confusion entre science et technologie, au point que Louis Pasteur le déplorait déjà, avec des phrases d'une énergie terrible. 

Pourtant, c'est tout simple, en principe : D'une part, les sciences de la nature cherchent  à "lever un coin du grand voile", à découvrir les phénomènes inconnus et les mécanismes des phénomènes, à l'aide une méthode aussi certaine que possible, et qui passe par : (1) l'identification d'un phénomène ; (2) la caractérisation quantitative de ce phénomène (on en mesure des caractéristiques judicieusement choisies) (3) le regroupement des résultats de mesure en "lois" synthétiques, c'est-à-dire essentiellement en équations ; (4) la recherche -par induction, c'est là un point central- de concepts, notions, théories, mécanismes quantitativement compatibles avec les équations dégagées ; (5) la recherche de conséquences des théories ainsi "induites" ; (6) les tests expérimentaux de ces conséquences, en vue de réfutations qui permettent de boucler, afin d'améliorer des théories toujours insuffisantes. 

D'autre part, la ou les technologies (à discuter), elles, visent l'amélioration des techniques, et elles ont un but pratique, puisque "technique" signifie "faire".   Pour autant, la science n'est pas au-dessus de la technologie, et la technologie n'est pas au-dessus de la science : ce sont deux activités séparées ! Et Pasteur lui-même observait que sa volonté de contribuer au bien-être de l'humanité l'avait détourné de ses travaux scientifiques (par exemple, l'exploration de la chiralité) vers la technologie, mais il l'avait mûrement décidé. 

Des collègues évoquent, à côté de ces termes de science et de technologie, celui d'ingéniérie, mais il n'est pas bien clair, et, en tout cas, il tombe clairement du côté de la technologie, puisque le Journal officiel en dit : "Ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle (en anglais : engineering)" (Arrêté du 12 janv. 1973 ds Lang. fr., Paris, J.O., 1980, p. 21). Bien sûr, certains peuvent utiliser les termes avec diverses acceptions idiosyncratiques... mais ils risquent de n'être compris que par eux-mêmes.   Ajoutons enfin  : - que le mot « science », utilisé dans une expression telle que « science du coordonnier » n'a rien à voir avec les sciences de la nature, puisque, ici, le mot « science » signifie seulement savoir ; or comment refuser à un corps professionnel d'avoir un savoir ? Ce serait idiot… tout comme il serait idiot de confondre ce savoir empirique avec les sciences de la nature - que  les mathématiques ne sont pas des sciences de la nature, mais des "mathématiques", et elles ne se confondent pas avec le calcul, qui est, comme on l'a vu, le quotidien des sciences de la nature - qu'il ne peut en aucun cas exister des "sciences appliquées", puisque des science ne sont précisément pas appliquées ; une expression comme "sciences appliquées" est un oxymore fautif, tout comme carré rond. 

Tout cela étant dit, puisque la confusion règne (c'est un fait) beaucoup en "sciences et technologies des aliments", et que les étudiants notamment sont perdus, je me suis amusé à recopier la table des matières d'une revue de la discipline pour essayer d'y voir plus clair. A noter que le mot "chimie" figure dans son titre, et que ce mot, déjà, prête à confusion, comme je l'ai expliqué dans d'autres billets, puisque l'on a tendance à confondre dans ce mot... de la science, de la technologie, et même de la technique. Pourtant, un examen attentif de l'histoire de la chimie montre que la chimie est une science de la nature, et que les travaux techniques (industries) ou technologiques ne sont pas de la chimie proprement dite, mais de la technologie ou de la technique, des applications de la chimie qui ne devraient pas être nommées "chimie". On est proche de la confusion qui règne en médecine, si bien dénoncée par Claude Bernard, qui observe justement que la médecine est une technique, que la recherche clinique est une technologie, et que la science de la médecine est la physiologie ! 

Mais lançons nous... même si, on va le voir, l'exercice finit par être lancinant. 

Bioactive compounds of beetroot and utilization in food processing industry: A critical review : ici, au moins, on commence facilement, car il est question d'utiliser des composés des betteraves dans l'industrie. C'est clairement de la technologie. Certes, il aura fallu identifier les composés "bioactifs" avant de les étudier, mais l'intention est claire. Intention ! Le mot est essentiel, parce que l'on peut fort bien imaginer que des ingénieurs ou des technologues, voire des techniciens, s'intéressant à leur travail, fassent une découverte, mais il faudra l'intention, pour aller plus loin, et c'est à ce titre que l'on a parfois dit que Rumford avait découvert la convection. Je reviens une seconde sur mon "Certes, il aura fallu identifier les composés bioactifs" : on voit qu'un travail technologique peut conduire à explorer le monde, à "lever un [petit, ici] coin du grand voile", ce qui correspond à une activité scientifique. Et  s'impose une observation : de même que l'on ne fait pas de chimie quand on respire, on ne fait pas de science quand on effectue certaines des tâches qui relève de sa méthode ; de même, une partie du public confond science et rigueur, mais il ne suffit pas d'être rigoureux pour faire une recherche scientifique. L'intention est essentielle, et les technologues qui auront ici identifié des composés bioactifs dans les betteraves, s'ils ont contribué à l'augmentation des connaissances, n'auront pas notablement contribué à la science. D'ailleurs, des composés "bioactifs" : on pressent qu'il s'agit seulement d'observer si des composés ont une action sur le corps humain... ce qui est une application. J'ajoute aussi que je crois les étapes 4, 5 et 6  essentielles dans la recherche scientifique. Trop souvent, le travail n'est que technique, quand il s'arrête à la caractérisation quantitative des phénomènes. 

Exploring the impacts of postharvest processing on the aroma formation of coffee beans – A review :  ce deuxième travail semble annoncer clairement la couleur : il s'agit d'explorer un champ technique, à savoir ce qui se passe quand on a recueilli les fruits du caféier. Toutefois le titre n'est plus suffisant, ici, parce que l'on pourrait imaginer que les « chercheurs » ont tenté d'élucider des mécanismes à des fins de savoir, ou bien à des fins d'amélioration des procédés. On retrouve ici la question de l'intention, de l'ambition particulière de ce « chercheur » qui, selon les cas, est un chercheur scientifique ou un chercheur technologique. En tout cas, ici, il faut y aller plus avant pour se déterminer... en se doutant que si l'on parle d'arôme, c'est bien que l'on pense à un effet sur l'humain... et donc à de la technologie, en vue de modifier le café pour qu'il soit mieux apprécié : si ce n'est pas de la technologie, cela ! 

Phenolic compounds and antioxidant activities of tea-type infusions processed from sea buckthorn (Hippophaë rhamnoides) leaves </i>: ici, le mot "proccessed" fait penser à de la technologie, mais nous arrivons à un cas plus subtil, même si l'argousier est utilisé de façon technique. Ce qui est en cause, plus précisément, c'est cette exploration des activités antioxydantes des composés phénoliques de la plante. Vise-t-elle une simple caractérisation, pour une utilisation (technologique), ou la recherche de mécanismes ? Il faut lire en détail l'article... et l'on opte alors pour la seconde option. Mais là encore, une observation, à propos de ce "processed" : le fait que des composés phénoliques soient différents avant ou après transformation de feuilles d'argousier est un phénomène dont l'exploration pourrait révéler des mécanismes inédits du monde... à condition d'être dans l'état d'esprit de les chercher. C'est  sans doute dans cette idée que l'un de mes amis qui est un très bon scientifique évoque, parmi les stratégies scientifiques, le "abstraire et généraliser". 

Chloroplast-rich material from the physical fractionation of pea vine (Pisum sativum) postharvest field residue (Haulm) : là, c'est facile, puisque c'est une valorisation de résidus de transformation. Technologie. Bien sûr, avec beaucoup de mauvaise foi, on pourrait dire que l'on s'intéresse aux mécanismes particuliers qui permettent à des résidus du pois de contenir beaucoup de matériaux chloroplastiques, mais... la lecture de l'article montre que tel n'est pas le cas, puisque, au contraire, il s'agissait d'analyser technologiquement les nutriments des fractions isolées, par une technique un peu améliorée. 

Characteristics of flavonol glycosides in bean (Phaseolus vulgaris L.) seed coats : ici, il s'agit donc de caractériser une classe particulière de composés dans les haricots, et l'on peut imaginer que l'objectif est de lever un coin du grand voile. D'ailleurs, la "science des aliments" n'est en réalité une science de la nature, et non une activité technologique, que dans la mesure où elle a cet objectif. On observera que nous avions eu le besoin d'introduire la gastronomie moléculaire comme une discipline scientifique, parce que avions vu que les "sciences et technologies des aliments", dans les années 1980, se résumaient presque à de la science des ingrédients, et à des études des procédés ; or il nous apparaissait clairement que nous pourrions identifier des phénomènes et mécanismes nouveaux si nous explorions des phénomènes peu considérés, avec l'objectif clair d'identifier des mécanismes et phénomènes nouveaux. Bref, ici, il pourrait s'agir de science des aliments, et bien de science... sauf que la consultation de l'article révèle un "Results suggest seed coats of Windbreaker and Eclipse may have potential as functional food ingredients, though benefits may not be simply due to flavonols"... qui montre que le travail était technologique. 

Wine production using free and immobilized kefir culture on natural supports</i> : hopla, facile, non ? Mais c'est aussi l'occasion de voir que, jusque ici, nous n'avons pas eu un seul cas de science ! 

Variations in chlorophyll and carotenoid contents and expression of genes involved in pigment metabolism response to oleocellosis in citrus fruits: ouf, voilà enfin de la science ! Ici, de la science qui caractérise non pas les aliments, mais bien plutôt les ingrédients alimentaires, car c'est là une subtilité que je gardais en réserve, et qui agravait l'état des années 1980  : non seulement la science des aliments n'était le plus souvent que de la science des ingrédients, mais pire, ce n'était pas de la science des aliments, puisque c'était de la science des ingrédients ! Or je maintiens que les ingrédients ne sont pas des aliments, puisque manque l'étape de "cuisine". Un exemple : un sanglier vivant n'est pas un aliment ; pour faire un aliment à partir de ce sanglier, il aura fallu tuer l'animal, le dépecer, le préparer, le "cuisiner"... Ce qui n'est pas une mince affaire, et ce qui change du tout au tout la chair de l'animal. 

Use of a smartphone for visual detection of melamine in milk based on Au@Carbon quantum dots nanocomposites : et là, c'est facile, puisque c'est de la caractérisation technique. N'épiloguons pas. 

Physicochemical properties and phenolic content of honey from different floral origins and from rural versus urban landscapes : à la lecture du seul titre, les deux possibilités scientifique et technologique se présentent, à savoir que l'on pourrait explorer les compositions et des caractéristiques des miels de différentes origines, en vue de comprendre comment ils sont formés, par exemple, ou bien l'on pourrait chercher  à attribuer des propriétés à partir de l'environnement de production, mais je propose surtout de conserver cet exemple observer que certains travaux publiés s'arrêtent à la caractérisation : si l'on est charitable, on peut admettre qu'il s'agisse de science, avec une ou deux étapes préliminaires... mais la caractérisation n'a de sens que si l'on identifie des mécanismes ! 

Effect of interesterified blend-based fast-frozen special fat on the physical properties and microstructure of frozen dough  : bon, de la technologie. Là encore, on pourrait faire de la science si l'on était vraiment scientifique... mais Effect of phosphates on gelling characteristics and water mobility of myofibrillar protein from grass carp (Ctenopharyngodon idellus) : on se trouve dans l'avant dernier cas, et l'on pose la question de l'objectif, avant de trancher. L'article, lui, nous dit qu'il s'agit de technologie : dommage pour la science, tant mieux pour la technologie. 

Hydrolysis and oxidation of lipids in mussel Mytilus edulis during cold storage : je pressens un travail technologique. Car même si l'on caractérise l'évolution des lipides lors du stockage au froid, l'étude s'arrête là. 

Particulate organohalogens in edible brown seaweeds : de la science des ingrédients ou de la toxicologie ? Cette fois, il faut aller voir l'article, dont le résumé est le suivant : 

Brown algae, rich in antioxidants and other bioactive compounds, are important dietary seaweeds in many cultures. Like other marine macroalgae, brown seaweeds are known to accumulate the halogens iodine and bromine. Comparatively little is known about the chemistry of chlorine in seaweeds. We used synchrotron-based X-ray absorption spectroscopy to measure total non-volatile organochlorine and -bromine in five edible brown seaweeds: Laminaria digitata, Fucus vesiculosus, Pelvetia canaliculata, Saccharina latissima, and Undaria pinnatifida. Organochlorine concentrations range from 120 to 630 mg·kg-1 dry weight and organobromine from 150 to 360 mg·kg-1, comprising mainly aromatic organohalogens in both cases. Aliphatic organochlorine exceeds aliphatic organobromine but is positively correlated with it among the seaweeds. Higher organochlorine levels appear in samples with more lipid moieties, suggesting lipid chlorination as a possible formation pathway. Particulate organohalogens are not correlated with antioxidant activity or polyphenolic content in seaweed extracts. Such compounds likely contribute to organohalogen body burden in humans and other organisms. On voit que le résumé commence par vendre la salade, en termes d'application technique. Cela dit, le métabolisme du chlore ou du brome est une question passionnante. On n'oublie pas que l'iode fut découvert à partir des algues par Bernard Courtois. 

Comparative studies on the yield and characteristics of myofibrillar proteins from catfish heads and frames extracted by two methods for making surimi-like protein gel products : bon, l'intention technologique est claire. 

Point-of-use detection of ascorbic acid using a spectrometric smartphone-based system: idem. 

Development and validation of a method for simultaneous determination of trace levels of five macrocyclic lactones in cheese by HPLC-fluorescence after solid–liquid extraction with low temperature partitioning: de l'analyse, donc de la technologie.

Rapid quantification of the adulteration of fresh coconut water by dilution and sugars using Raman spectroscopy and chemometrics: de la caractérisation, en vue de dépister des fraudes, c'est donc de la technologie. 

Effect of pH and holding time on the characteristics of protein isolates from Chenopodium seeds and study of their amino acid profile and scoring : en réalité, il faut lire l'article pour voir que l'on est dans une caractérisation technologique. 

Antioxidant activity of a winterized, acetonic rye bran extract containing alkylresorcinols in oil-in-water emulsions</i> : là encore, on trouve le cas évoqué. Mais là, je commence à me lasser, et sans doute vous aussi. 

Chemical profiles and antioxidant properties of roasted rice hull extracts in bulk oil and oil-in-water emulsion </i>: il s'agit donc de caractérisation, et c'est l'occasion de signaler à nos jeunes amis qu'une caractérisation n'est qu'une caractérisation. Le contenu conceptuel est faible si l'on ne va pas jusqu'aux mécanismes. Mais, au fait, trouver le mécanisme d'un phénomène, c'est bien... mais est-ce une grande découverte ? 

Distribution and effects of natural selenium in soybean proteins and its protective role in soybean β-conglycinin (7S globulins) under AAPH-induced oxidative stress: on sent la technologie à plein nez... 

Mais je propose que nous arrêtions ici, parce que c'est vraiment trop long, en observant seulement que les travaux scientifiques sont vraiment rares ! N'est-ce pas désolant ? N'est-ce pas un scandale que la revue en question évoque les sciences aliments.

Mais je dis assez souvent que se lamenter est inutile, et je vois surtout, là, la possibilité de développer véritablement des sciences des aliments, et pas seulement des ingrédients alimentaires ! Cela, ce me semble être précisément la gastronomie moléculaire !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 

 

Annexe: le reste des titres, pour que vous puissiez vous exercer : 

 # Peels of tucumã (Astrocaryum vulgare) and peach palm (Bactris gasipaes) are by-products classified as very high carotenoid sources

 # Diffuse light affects the contents of vitamin C, phenolic compounds and free amino acids in lettuce plants 

# Solid-state fermentation of black rice bran with Aspergillus awamori and Aspergillus oryzae: Effects on phenolic acid composition and antioxidant activity of bran extracts 

# Modifying Robusta coffee aroma by green bean chemical pre-treatment 

# Microwave and ultrasound pre-treatments to enhance anthocyanins extraction from different wine lees 

# Effect of sex on the nutritional value of house cricket, Acheta domestica L. 

# Effect of anthocyanins on lipid oxidation and microbial spoilage in value-added emulsions with bilberry seed oil, anthocyanins and cold set whey protein hydrogels 

# Comparison of real-time PCR methods for quantification of European hake (Merluccius merluccius) in processed food samples 

# A unified approach for high-throughput quantitative analysis of the residues of multi-class veterinary drugs and pesticides in bovine milk using LC-MS/MS and GC–MS/MS 

# Novel insight into the role of withering process in characteristic flavor formation of teas using transcriptome analysis and metabolite profiling 

# High-sensitivity determination of cadmium and lead in rice using laser-induced breakdown spectroscopy 

# Characterization and storage stability of chlorophylls microencapsulated in different combination of gum Arabic and maltodextrin 

# Determination of serotonin in nuts and nut containing products by liquid chromatography tandem mass spectrometry 

# Development of a DNA metabarcoding method for the identification of fifteen mammalian and six poultry species in food 

# Comparisons of nutritional constituents in soybeans during solid state fermentation times and screening for their glucosidase enzymes and antioxidant properties 

# Characterization of three different types of extracellular vesicles and their impact on bacterial growth 

# Taste-guided isolation of sweet-tasting compounds from grape seeds, structural elucidation and identification in wines 

# A value-added approach to improve the nutritional quality of soybean meal byproduct: Enhancing its antioxidant activity through fermentation by Bacillus amyloliquefaciens SWJS22 

# UV and storage stability of retinol contained in oil-in-water nanoemulsions 

# Screening of antimicrobials in animal-derived foods with desorption corona beam ionization (DCBI) mass spectrometry 

# Effect of hulling methods and roasting treatment on phenolic compounds and physicochemical properties of cultivars ‘Ohadi’ and ‘Uzun’ pistachios (Pistacia vera L.) # Traditional rose liqueur – A pink delight rich in phenolics 

# In vivo anti-hyperuricemic and xanthine oxidase inhibitory properties of tuna protein hydrolysates and its isolated fractions 

# Sensory descriptive and comprehensive GC–MS as suitable tools to characterize the effects of alternative winemaking procedures on wine aroma. Part I: BRS Carmem and BRS Violeta 

# Kinetics of lipid oxidation in omega fatty acids rich blends of sunflower and sesame oils using Rancimat 

# Encapsulation of grape seed phenolic-rich extract within W/O/W emulsions stabilized with complexed biopolymers: Evaluation of their stability and release 

# Evaluation of near-infrared (NIR) and Fourier transform mid-infrared (ATR-FT/MIR) spectroscopy techniques combined with chemometrics for the determination of crude protein and intestinal protein digestibility of wheat 

# Impact of consumer behavior on furan and furan-derivative exposure during coffee consumption. A comparison between brewing methods and drinking preferences 

# Effects of heat-moisture treatment after citric acid esterification on structural properties and digestibility of wheat starch, A- and B-type starch granules 

# Glycine betaine reduces chilling injury in peach fruit by enhancing phenolic and sugar metabolisms 

# Effects of skim milk pre-acidification and retentate pH-restoration on spray-drying performance, physico-chemical and functional properties of milk protein concentrates 

# Simultaneous determination and risk assessment of fipronil and its metabolites in sugarcane, using GC-ECD and confirmation by GC-MS/MS # Extraction of lycopene using a lecithin-based olive oil microemulsion 

# Discrimination of geographical origins of Chinese acacia honey using complex 13C/12C, oligosaccharides and polyphenols # β-Agarase immobilized on tannic acid-modified Fe3O4 nanoparticles for efficient preparation of bioactive neoagaro-oligosaccharide 

# Influence of fried food and oil type on the distribution of polar compounds in discarded oil during restaurant deep frying 

# Structural elucidation of fucoidan from Cladosiphon okamuranus (Okinawa mozuku) 

# Determination of lipophilic marine toxins in fresh and processed shellfish using modified QuEChERS and ultra-high-performance liquid chromatography–tandem mass spectrometry 

# Discrimination of Brazilian lager beer by 1H NMR spectroscopy combined with chemometrics 

# Synergistic effect of mixture of two proline-rich-protein salivary families (aPRP and bPRP) on the interaction with wine flavanols 

# Impact of a post-fermentative maceration with overripe seeds on the color stability of red wines # Inhibitory effects of dietary soy isoflavone and gut microbiota on contact hypersensitivity in mice 

# Metabolite characterization of powdered fruits and leaves from Adansonia digitata L. (baobab): A multi-methodological approach # Isolation of antioxidative compounds from Micromelum minutum guided by preparative thin layer chromatography-2,2-diphenyl-1-picrylhydrazyl (PTLC-DPPH) bioautography method 

# Effect of guar gum on the physicochemical properties and in vitro digestibility of lotus seed starch # Preparation of an intelligent pH film based on biodegradable polymers and roselle anthocyanins for monitoring pork freshness 

# Extraction, structural characterization and stability of polyhydroxylated naphthoquinones from shell and spine of New Zealand sea urchin (Evechinus chloroticus) 

# A review of microencapsulation methods for food antioxidants: Principles, advantages, drawbacks and applications 

# Transcriptome and proteome analyses of the molecular mechanisms associated with coix seed nutritional quality in the process of breeding 

# The synthesis and characterization of a xanthan gum-acrylamide-trimethylolpropane triglycidyl ether hydrogel 

 

Vous avez vu beaucoup de science, vous ?

mardi 11 février 2025

Les "faits" ?

Le chimiste français Michel Eugène Chevreul, qui a établi la constitution moléculaire des triglycérides (les composés qui forment l'essentiel des "matières grasses"), a largement discuté la méthodologie scientifique, en proposant notamment sa "méthode a posteriori expérimentale ». 

En réalité, le nom est incompréhensible sans le contexte :  il fait référence à la méthode "a priori", qui avait été établie par Antoine Laurent de Lavoisier, et qui consistait :

« à ne déduire aucune conséquence qui ne dérive immédiatement des expériences et des observations, à ne conserver que les faits qui ne sont que des données de la nature, à ne chercher la vérité que dans l'enchaînement naturel des expériences et des observations » (Lavoisier, 1789 : Disc, prélim.).

Chevreul reprend cela et introduit une discussion supplémentaire à propos de l'interprétation. 

Mais ce qui m'intéresse aujourd'hui, ce sont ces "faits", qu'il évoque sans cesse. Il est amusant d'observer que, dans mes discussions personnelles à propos de méthode scientifique, je n'ai pas utilisé ce terme puisque je ne le vois pas dans :
- l'identification d'un phénomène,
-  la seconde étape de la méthode scientifique qui consiste à caractériser quantitativement les phénomènes
- dans la troisième étape qui consiste à réunir les données quantitatives en équations ;
- dans l'étape suivante qui consiste à réunir les équations et introduire des concepts nouveaux pour établir des théories ; 
- dans la recherche de conséquences théorique et les tests expérimentaux de ces dernières. 

D'ailleurs, je ne vois pas non plus le mot de "vérité", que Chevreul utilise pourtant. 

Mais rien ne vaut un exemple. Supposons que l'on étudie l'attaque du fer par l'acide chlorhydrique : la théorie dont nous disposons aujourd'hui conduit à penser que cette attaque conduit à la mise en solution du fer sous une forme ionisé et  à la  libération de dihydrogène gazeux. Cela est une théorie, réfutable, perfectible.

La dissolution du fer est un phénomène, et, n'ignorant pas que la notion de "fait" est bien problématique, je propose de ne pas oublier qu'un fait est d'abord quelque chose qui a été fait. Il est apparent que la réaction d'attaque du fer par l'acide chlorhydrique conduit à la "dissolution du fer", mais cela nous intéresse moins que le phénomène dont nous cherchons les mécanismes ; or cette "explication", ces mécanismes sont bien réfutables, révisables, perfectibles, et je ne cesse de citer à ce propos la réfutation de la loi d'Ohm par la découverte de l'effet Hall quantique, un exemple parmi mille.